Information en ligne : quel écosystème pour demain ?

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Marion Lecointre – Mémoire professionnel – Paris IV - Master II Conseil Editorial – Promotion 2009-2010 1 Université Paris IV Paris-Sorbonne UFR Philosophie et Sociologie Information en ligne : quel écosystème pour demain ? Directeur de mémoire : Jean Sylvestre, professeur associé en charge de l'analyse et du positionnement éditoriaux au sein de l'agence web SDC Marion Lecointre Octobre 2010 Master 2 Conseil Editorial et Gestion des Connaissances Numérisées Promotion 2009 – 2010 Directeur : Jean-Michel Besnier Responsable pédagogique : Monique Ollier

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Mémoire de fin d\'étude (Master 2 Conseil Editorial et Gestion des Connaissances Numérisées)

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Marion Lecointre – Mémoire professionnel – Paris IV - Master II Conseil Editorial – Promotion 2009-2010 1

Université Paris IV Paris-Sorbonne

UFR Philosophie et Sociologie

Information en ligne :quel écosystème pour demain ?

Directeur de mémoire : Jean Sylvestre, professeur associé en charge de l'analyse et du positionnement éditoriaux au sein de l'agence web SDC

Marion Lecointre

Octobre 2010

Master 2 Conseil Editorial et Gestion des Connaissances Numérisées

Promotion 2009 – 2010

Directeur : Jean-Michel Besnier

Responsable pédagogique : Monique Ollier

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« La dynamique relationnelle qui caractérise le web d’aujourd’hui

se heurte à la mécanique institutionnelle de toujours,

et tout l’héritage intellectuel et social sur lequel elle s’est construite. »

Francis Pisani et Dominique Piotet

in Comment le Web change le monde. L'alchimie des multitudes

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INTRODUCTION

L'objet de notre étude portera sur la filière de l'information en ligne française et, plus

spécifiquement, sa nature : une architecture instable et bruyante ; une situation de coopétition

entre acteurs médias, hors médias (moteurs de recherches, portails, agrégateurs, médias à la

demande...) et pro/am (producteurs d'information non professionnels) ; un modèle économique

non durable ; des usages de consommation éclatés et une considération nouvelle du « produit »

information. Notre volonté : souligner les points saillants de l'écosystème de l'information en

ligne tel qu'il a pu évoluer depuis quinze ans en France, poser les éléments critiques de sa non

maturité et enfin dessiner des pistes de consolidation.

Pour ce faire, nous nous sommes principalement appuyés sur l'observation des médias

écrits (traditionnels et pure players) français, sans pour autant ôter du regard les activités des

médias audiovisuels et les écosystèmes informationnels étrangers, notamment anglophones, en

ce qu'ils étaient nécessaires à la mise en perspective de nos réflexions. Nos recherches

s'imprègnent en grande partie des nombreuses analyses avancées sur la toile par des blogueurs

(consultants, experts, journalistes, amateurs) spécialisés dans les domaines du Web, du marketing

et des médias, mais également de travaux d'universitaires et de professionnels, ainsi que de

l'ensemble des problématiques rencontrées lors de mon stage de fin d'étude au sein de l'équipe de

2424actu - un agrégateur de contenu d'actualité multimédia lancé par Orange - qui cherche à

mieux comprendre l'environnement médiatique sur Internet, dont les pratiques de consommation,

et s'y insérer en toute « légalité » (du point de vue économique et juridique).

Nous avons souhaité entamer l'étude par une compréhension de l'objet « information »

(son rôle, sa réception, son utilisation, sa monétisation) pour ensuite mieux évaluer le degré

d'instabilité de la filière. Il nous a par ailleurs semblé indispensable de dédier un temps aux

« infomédiaires » de l'information (sorte de passeurs d'actualité), des acteurs hors médias qui

montent actuellement en puissance au dépend de professionnels de l'information qui eux peinent

à faire vivre leurs contenus, maximiser leur réception. Enfin, nous avons clôt ce tour d'horizon

par la formulation de plusieurs pistes à même de mieux maîtriser la filière, la « révolutionner »

ou du moins la consolider. Tout du long, transpire l'idée d'une information journalistique d' utilité

démocratique, soit essentielle.

Il nous semble aujourd'hui intenable d'espérer, du côté des médias professionnels, s'en

sortir seul, sans collaboration avec des acteurs extérieurs (du Web, de disciplines voisines, des

citoyens). C'est tout l'objet de ce mémoire.

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Remerciements

Je tiens ici à remercier l'ensemble des protagonistes de l'équipe 2424actu, et de mes

stages passés dans divers médias, l'ensemble des enseignants du Master II Conseil Editorial et

Gestion des Connaissances Numérisées, dont Jean Sylvestre pour son temps et son suivi attentif,

ainsi que mes camarades de promotion. Egalement, Eric Mettout pour son temps, Francis Pisani,

Eric Scherer, Alice Antheaume, Nicolas Voisin pour le partage généreux de leurs réflexions et

l'ensemble des blogueurs et « twittos » que j'ai le plaisir de lire quotidiennement et qui partagent

chaque jour leurs analyses, opinions et veilles. Enfin, mes proches, pour leur patience et

compréhension.

Marion Lecointre – Mémoire professionnel – Paris IV - Master II Conseil Editorial – Promotion 2009-2010 4

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SOMMAIRE

Introduction................................................................................................................................................................p.3Remerciements...........................................................................................................................................................p.4Résumé........................................................................................................................................................................p.6Préambule : Du rôle de l'information journalistique en démocratie....................................................................p.7

I – L'information en ligne : une denrée mal aimée ?.........................................................p.10

1) L'information, une « envahissante nécessité »....................................................................p.11a) Recomposition des pratiques de consommation des contenus d'actualité.................................p.11b) Mobiles sociaux des pratiques de consommation des contenus d'actualité..............................p.13

2) « L'information n'a jamais été un bien commercialement viable »...........................p.17a) Une brève histoire économique des médias en ligne en France................................................p.19b) Le modèle gratuit......................................................................................................................p.20c) Le modèle payant......................................................................................................................p.22d) Expérimentation : à la recherche de revenus complémentaires................................................p.23

II - L'information en ligne : une filière en recomposition permanente..............p.24

1) Multiplication des acteurs de l'information en ligne.......................................................p.24a) Production..................................................................................................................................p.24b) Diffusion....................................................................................................................................p.29

2) Nouvel ADN informationnel......................................................................................................p.32a) Eclatement de la chaîne de valeur.............................................................................................p.32b) Modification des pratiques journalistiques...............................................................................p.33c) Nouvelles interactions...............................................................................................................p.34

III - Les « infomédiaires » en ligne : de nouveaux mercenaires ?............................p.36

1) Du portail à l'agrégateur de contenu d'actualité.............................................................p.36

2) La fonction d'infomédiation.......................................................................................................p.38a) Définition...................................................................................................................................p.38b) Positionnement stratégique.......................................................................................................p.39c) Carence juridique.......................................................................................................................p.40d) Déséquilibre économique..........................................................................................................p.41

3) Une situation de coopétition.......................................................................................................p.42a) Eléments de débat......................................................................................................................p.42b) Menaces réelles.........................................................................................................................p.44

IV - Un écosystème informationnel à redéfinir.....................................................................p.45

1) Comprendre et impliquer le public.........................................................................................p.45a) Une mesure discutable...............................................................................................................p.45b) Un investissement nécessaire....................................................................................................p.49

2) Renouveler les pratiques..............................................................................................................p.50

3) Repenser les formes même de la médiation.........................................................................p.53

4) Dépasser les querelles économiques et politiques..............................................................p.56

Conclusion................................................................................................................................................................p.57Bibliographie............................................................................................................................................................p.59Annexes.....................................................................................................................................................................p.67

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RÉSUMÉ

L'écosystème actuel de l'information en ligne (au sens d'une information donnée sur

l'actualité, traditionnellement délivrée par la profession journalistique, et ici sur Internet) souffre

d'une instabilité chronique, due à des bouleversements d'un point de vue économique,

professionnel, industriel, sociétal.

Déjà, l'information journalistique en elle-même apparaît de plus en plus comme une

denrée mal aimée. Alors même que le public avoue la percevoir comme une « envahissante

nécessité », utile à leur vie, leurs usages indiquent tout le contraire. Aussi, et s'en est une

conséquence directe, ce « produit » peine à trouver sa monétisation : mais une non valeur

monétaire signifie-t-elle une non valeur intrinsèque ?

Ensuite, la filière toute entière de l'information en ligne est, depuis sa naissance il y a

quinze ans, déstructurée : les producteurs de l'information se multiplient et viennent d'horizons

totalement étrangers à l'environnement médiatique ; la circulation de l'information elle-même est

éclatée, assurée par divers secteurs hors médias et de plus en plus animée par le public lui-même.

En découle notamment une évolution radicale de l'ADN informationnel avec lequel les médias

doivent aujourd'hui compter.

Par ailleurs, un nouveau genre d'acteurs, appelés « infomédiaires », connaît un succès

certain en parvenant à se réapproprier les contenus d'actualité produits par d'autres et ainsi jouer

le rôle de passeurs. Rôle apprécié par une bonne part du public. En découle un déséquilibre,

décrit comme une situation de coopétition, entre médias et intermédiaires à l'avantage des

derniers. Ce qui ne va pas pour apaiser les esprits.

De fait, il urge de parvenir à la définition d'un écosystème informationnel

économiquement viable, professionnellement durable et démocratiquement tenable. Et cela doit

se jouer à diverses échelles et dans une logique de co-élaboration : avec le public, avec les

pro/am, avec les acteurs professionnels hors médias et tout un ensemble de protagonistes voisins.

C'est l'avenir d'une information utile, pédagogique, citoyenne, d'une médiation du savoir

et des connaissances, d'un pluralisme démocratique, qui entre ici en jeu. C'est aussi un pari aussi

nécessaire que passionnant qui s'offre à toute la filière.

Mots clefs : information en ligne, écosystème informationnel, acteurs médias, pro/am, acteurs

hors médias, infomédiaires, coopétition, modèle économique, public, audience, usages sociaux,

pratique journalistique, rôle démocratique, médiation, collaboration.

Nombre de signes : 175 631 ; Nombre de pages : 68Marion Lecointre – Mémoire professionnel – Paris IV - Master II Conseil Editorial – Promotion 2009-2010

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PREAMBULE

Du rôle de l'information journalistique en démocratie

Journalisme et démocratie sont intrinsèquement liés. Pour preuve, l'indépendance et le

pluralisme des médias sont régulièrement convoqués au moment de mesurer le degré

démocratique d'un Etat. Aussi, « dans sa mythologie, l'information journalistique sert (...) à

éclairer des citoyens/consommateurs, animer le débat démocratique, donner des outils pour que

chacun façonne sa liberté de penser et d'agir »1. Les médias servent à montrer ce qui est caché,

mettre en perspective les faits, confronter les idées. Ils jouent également un rôle de

représentation, celle des gouvernés auprès des gouvernants, en dehors du vote électoral. Le

journaliste Jean-Martin Lagardette propose une définition de cette information journalistique,

condition à la démocratie : « en théorie et dans une société démocratique, l'information de

presse est la description ou l'explication d'un fait d'actualité puisé dans le présent ou ayant une

signification pour le temps présent. Ce fait significatif universellement, collectivement ou

présentant un caractère d'intérêt général sera recherché au nom du public et de son droit de

savoir. Il sera sélectionné et mis en forme par une conscience honnête, libre, formée à la

démarche d'objectivité ainsi qu'au respect de la vérité. Ce travail est diffusé par un média

responsable procurant au journaliste les moyens d'accomplir sa mission et lui garantissant son

indépendance par rapport à tout pouvoir, y compris celui de l'entreprise ou de l'organisme qui

l'emploie »2. Bernard Poulet3 ne décrit pas autre chose au moment de définir le métier des

journalistes : « [Il] consiste à identifier les problèmes, les documenter, vérifier ce qu'ils

découvrent, ou ce qu'on leur communique, hiérarchiser les questions (...), les mettre en

perspective, les situer dans leur contexte et les exposer le plus clairement et le plus honnêtement

possible. Ce travail de mise en forme raisonnée, de tri, de hiérarchisation donne du sens au

fatras des informations (...). (...)Sans cet effort pour raisonner l'information (...), le débat

démocratique devient impossible, noyé dans la cacophonie et la rumeur. » L'auteur définit plus

globalement la « production de l'information », et son rôle, en ces termes : « Ce que nous

1 Dollé, N, « Infos à Flots » in Dossier information et citoyenneté, Mediapart, 5 mai 2010 : http://www.mediapart.fr/club/edition/societe-de-linformation-et-democratie/article/050510/dossier-information-et-citoyennete (28/08/2010 à 15h41)

2 Dollé, N, « Infos à Flots » in Dossier information et citoyenneté, Mediapart, 5 mai 2010 : http://www.mediapart.fr/club/edition/societe-de-linformation-et-democratie/article/050510/dossier-information-et-citoyennete (28/08/2010 à 15h41)

3 Rédacteur en chef à L'Expansion : Poulet, B, La fin des journaux et l'avenir de l'information, Paris, Gallimard, 2009

Marion Lecointre – Mémoire professionnel – Paris IV - Master II Conseil Editorial – Promotion 2009-2010 7

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appelons « production de l'information » est un dispositif qui obéit à des règles, forgées plus

dans la pratique que dans la théorie. Elle traite des affaires de nation et du monde (...). Il s'agit

autant de politique intérieure et internationale, d'économie, de « social-sociétal », que de débats

d'idées, d'innovations, de science, de santé, de religion, de sécurité intérieure, de choix posés à

la nation (...), de culture, de spectacles, de manifestations (...). La liste est longue et s'accroît

sans cesse puisqu'il s'agit d'informer sur tout ce qui concerne les citoyens. Le journalisme

consiste à suivre et rendre compte de l'actualité de toutes ces questions. » Et de reprendre les

propos de Jacques Rigaud : « Le journalisme doit remplir deux fonctions : organiser l'espace

public mais aussi produire des révélations. Révéler au sens de tendre un miroir à la société, pour

qu'elle prenne conscience de ce qu'elle est véritablement. »

Arrêtons-nous précisément ici sur une saine distinction appelée par Bernard Poulet, entre

les notions de média et d'information, d'information et d'« infotainement ». Le terme de

« média » a été popularisé par les publicitaires, pour ne désigner rien d'autre qu'un support

susceptible de véhiculer leurs annonces. Il décrit un intermédiaire, entre le producteur et les

consommateurs, de contenus aussi bien informationnels que divertissants, et non exclusivement

le support au journalisme. Ainsi, il n'est pas dans cette étude question de désigner ce que les

Américains ont nommé l' « infotainment » (contraction des termes « information » et

« entertainment »), nouvelle écriture qui consiste à faire de l' « info-spectacle », soit perdre le

spectateur-consommateur dans un show dans lequel rien ne lui offre de distinguer le vrai du jeu.

Aussi, aujourd'hui et à l'heure d'Internet, l'information journalistique ne représente qu'une

sous catégorie de l'ensemble des informations dont nous sommes bombardés (publicité,

institutions publiques, expressions personnelles...). La confusion va grandissante entre les

sphères « communication » et « information » et, au sein même des médias d'information, le

doute se fait. Pour preuve, le baromètre 2010 TNS Sofres-Logica de confiance dans les médias

montre que, pour 66% des personnes interrogées, la profession journalistique serait soumise aux

pressions des partis politiques et du pouvoir et que, pour 60% des sondés, les journalistes

seraient soumis aux pressions de l'argent. Une méfiance quant à l’indépendance des journalistes

et, par conséquent, l’objectivité de l’information qu’ils délivrent et commentent, qui progresse au

fil des années. Et amène de fait à une crise de la représentation : « Qui parle au nom de qui et

dans quel but ? Qui donne des informations à qui ? Selon quelles procédures? L'objectif et les

méthodes sont-ils assumés et transparents? L'indéniable liberté offerte par les nouvelles

possibilités d'expression induit-elle naturellement des responsabilités ? Comment la démocratie

médiatique est-elle dorénavant servie? »4

4 Dollé, N, « Infos à Flots » in Dossier information et citoyenneté, Mediapart, 5 mai 2010 : Marion Lecointre – Mémoire professionnel – Paris IV - Master II Conseil Editorial – Promotion 2009-2010

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Parallèlement, les journalistes se voient de plus en concurrencés par ce qu'il est commun

d'appeler des « journalistes-citoyens », oeuvrant au sein de médias alternatifs, participatifs ou

comme simple blogueur. Soit une sorte de « mise à niveau démocratique »5 appelée par les

citoyens eux-même et souvent qualifiée de démocratie 2.0 : l'intermédiation de par nature

réductrice n'est plus, la parole se libère, la censure disparaît, le contre-pouvoir citoyen agit de

fait. Loin de dénoncer ce processus, le philosophe Daniel Bougnoux questionne cependant ses

possibles dérives : « Notre idéal démocratique, pourtant lié (...) au principe de publicité et de

liberté de l'information, révèle ici sa complexité et ses pièges. Car si chacun a le droit en

démocratie d'exprimer et de valoriser son monde propre, ce régime exige aussi l'institution d'un

monde commun, autour d'un espace public d'affrontement des opinions contradictoires. (...) Le

journaliste a justement pour tâche d'assembler, et de présenter aussi objectivement que possible

(...) les messages de ses autres mondes ; il tient compte du collectif, et il propose une

information « traitée » ou recoupée. C'est ce souci du bien commun (..) qui risque de décliner

avec les nouveaux parcours à la carte, et la privatisation des informations favorisée par les

nouveaux médias. (...) Les SMS, les listes de diffusion, les blogs et les chats sont excellents pour

s'exprimer, pour mobiliser, pour « sensibiliser » voire dénoncer (...) mais ils favorisent aussi le

repli égotiste, le mimétisme, l'emballement sentimental, la contagion virale ou la chasse en

meute... (...) La véritable information, fondée sur l'enquête et le recoupement des faits, curieuse

des raisons et des mondes des autres, ne s'improvise pas et nous attend un peu au delà. La

véritable démocratie, de même, exige une scène ou un espace public commun, et aussi une

actualité, un temps formaté ou rythmé par des rendez-vous médiatiquement partagés. A la faveur

des nouvelles technologies qui nous désynchronisent, qui nous dépolarisent, nous voyons le récit

médiatique s'émietter ; partout, l'essor du numérique favorise l'individualisme démocratique

mais la « messe est finie ». Faut-il s'en plaindre ? Difficile quadrature... »6

Dans le nouvel écosystème informationnel qui se dessine, l'information journalistique

telle que décrite ici aura toute sa place. Reste à savoir laquelle, sous quelles formes et sous

quelles conditions. Entre médiation, scénarisation et mise en perspective des opinions, des idées,

des faits. Gestion, matérialisation, tri et analyse des flux d'informations et d'opinions – multiples

et de tous genres - incessants et omniprésents.

http://www.mediapart.fr/club/edition/societe-de-linformation-et-democratie/article/050510/dossier-information-et-citoyennete (28/08/2010 à 15h41)

5 Bougnoux, D, « La fonction des médias dans la démocratie » in Information, médias et Internet, Paris ,Cahiers français de La documentation française, n° 338, mai-juin 2007

6 Bougnoux, D, « La fonction des médias dans la démocratie » in Information, médias et Internet, Paris, Cahiers français de La documentation française, n° 338, mai-juin 2007

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I – L'information : une denrée mal aimée ?

Ces dernières années, les médias traditionnels papiers ont été largement contraints

financièrement – baisse du lectorat, concurrence des médias gratuits et d'Internet notamment,

amenant à une fuite des annonceurs –, et aujourd'hui plus encore dans un contexte de crise

économique majeure qui voit les investissements publicitaires diminuer drastiquement.

Concernant plus spécifiquement les raisons d'une diminution de l'audience, il est de coutume

d'accuser journaux gratuits et Internet. Or, les causes sont bien plus profondes, car sociétales. Le

fossé se creuse entre les médias traditionnels et leur « ex-audience » (en pleine recomposition),

un processus qu'il importe d'évaluer.

Déjà remis en cause dès les années soixante-dix, où s'animait alors une défiance bientôt

grandissante vis-à-vis des institutions et des récits qu’elles produisent pour se légitimer – y

compris concernant le discours médiatique –, les médias le sont encore plus actuellement et de

manière visible et effective : avec Internet, les individus ont à leur disposition les moyens de

critiquer librement et visiblement les médias, de rechercher et même produire l'information qu'il

souhaitent véritablement voir diffusée. L'autorité journalistique se voit ébranlée.

Ainsi, nous pouvons observer, d'un côté, des médias traditionnels qui, progressivement,

voient leur rôle social et politique, pourtant institué, être mis à mal, tandis que les moyens

financiers permettant jusqu'ici de l'exercer s'amenuisent. De l'autre, son ex-audience réinvente, à

sa guise et continuellement, de nouveaux moyens de s'informer, ailleurs, hors des médias

classiquement légitimés. Là où un monde de réseaux, de communautés, de liens, d'instantanéité,

d'ubiquité, émerge, un autre sensé être, du moins en partie, le témoin et l'un des médiateurs du

premier se voit mis de côté. De fait, ce n'est pas l'information qui se meurt, ce sont les usages qui

évoluent, jusqu'à se professionnaliser en partie et devenir, de fait, plus exigeants qu'autrefois.

Nous allons ici tenter de définir les pratiques de consommation des contenus d'actualité,

pour ensuite nous intéresser à la crise économique que vivent les médias d'information

généraliste. Parce qu'au-delà de ce qu'est l'information - un « fragment de réalité » (Edgar

Morin), « une « chose » d'intérêt public »7, une part de connaissance nécessaire à tous - elle est

également un produit ancré au sein d'un marché où se rencontre une offre (les médias

d'information) et une demande (les consommateurs d'actualité). Or un produit en crise suppose

une offre supérieure à la demande : tel est-il effectivement le cas et quelles en sont les raisons ?

Faut-il les chercher du côté de la demande ou bien du côté de l'offre ?

7 Bougnoux, D, « La fonction des médias dans la démocratie » in Information, médias et Internet, Paris, Cahiers français de La documentation française, n° 338, mai-juin 2007

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1) L'information, « une envahissante nécessité »

Dans leur ouvrage, paru en 2008 et intitulé Comment le Web change le monde.

L'alchimie des multitudes, Francis Pisani8 et Dominique Piotet9 insistent sur la nécessité, pour

toute entité souhaitant s'inscrire durablement et effectivement sur la toile – et particulièrement ici

concernant les médias –, de comprendre ce que l'on nomme l' « audience Internet » et, plus

précisément, l' « ex-audience » des médias traditionnels. Soit l'ensemble des consommateurs de

l'information qui a aujourd'hui migré sur le Web.

Ailleurs10, Henry Jenkins, théoricien américain et directeur du programme de médias

comparés au MIT (Massachusetts Institute of Technology), prévient que « notre attention ne

devrait pas porter sur les technologies émergentes mais sur les pratiques culturelles émergentes.

Plutôt que de dresser la liste des outils, nous devons comprendre la logique sous-jacente qui

forme ce moment des médias en transition. »

a) Recomposition des pratiques de consommation des contenus d'actualité

Intéressons-nous à la consommation des médias, Web et hors Web. Dans son ouvrage,

paru en 2008 et intitulé Le journalisme à l'ère électronique, le journaliste Alain Joannès se plaît à

parler d' « inforexie » – elle est « à l'information ce que l'anorexie est à l'alimentation : un

manque d'appétence » – pour décrire le peu d'enclin qu'ont les Français pour les médias

d'information : la population française compterait parmi celle qui, en Europe, lit le moins de

journaux. Pis, le taux de pénétration de la presse quotidienne en France ne cesse de régresser –

254 exemplaires diffusés pour 1 000 habitants en 1970 contre 140 exemplaires pour 1 000

habitants en 2006 –, plaçant ainsi le pays à la dernière place européenne. Concernant

l'information radiophonique, son audience est aujourd'hui dépassée par celle des programmes de

divertissement sur la FM. Et, du côté de l'écran télé, le JT de vingt heures – quand bien même il

demeure une institution –, voit son audience ne cesser de diminuer. On y verra alors souvent la

concurrence des journaux gratuits, de la TNT et d'Internet réunis.

Pourtant, le bouleversement des affectations des diverses séquences journalières et la

fragmentation et la diminution du temps libre disponible , ainsi que les aspirations nouvelles de

8 Journaliste et blogueur spécialisé dans les problématiques concernant les Technologies de l'Information et de la Communication

9 Directeur des études de l'Atelier (www.atelier.fr), organe de BNP-Paribas dédié aux nouvelles technologies10 Jenkins, H, « Eight Traits of the New Media Landscape » in henryjenkins.org, 6 novembre 2006 : http://www.henryjenkins.org/2006/11/eight_traits_of_the_new_media.html (05/09.2010 à 18h53)

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l'homme hypermoderne11, en sont des causes bien plus complexes, profondes et déterminantes

sur le long terme. Aussi, les audiences fuient car elles ne trouvent plus satisfaction dans

l'information telle qu'elle est délivrée notamment par la presse papier : redondante dans la forme

et le fond, peu flexible car contrainte par le temps de la production/diffusion, de moins en moins

en phase avec la société, car ni fluide ni asynchrone. « De nombreux journaux vont disparaître

pour ne pas avoir compris Internet à temps et pour l'avoir ensuite mal utilisé », explique Alain

Joannès. Pour ne pas avoir compris Internet... ni son audience ajouterait-on.

A l'inverse du temps de l'information tel qu'organisé par les médias traditionnels

jusqu'alors, Internet, et la dématérialisation qu'il implique, modifie radicalement la diffusion de

l'information devenue réactive, instantanée, immédiate, multimédia. Avec l'arrivée des nouvelles

technologies, le temps est comme démultiplié : dans les transports en commun, j'écoute une

émission de radio podcastée, consulte Facebook, un journal ou un site d'information ; durant une

recherche sur internet pour un devoir universitaire, je discute avec mes amis via ma messagerie

instantanée, jette un oeil sur une chaîne d'information en continue, etc. Ainsi est bouleversée la

segmentation temporelle d'une journée, l'individu tend à devenir un être multi-tâche, et les

nouvelles technologies de l'aider dans cette démultiplication du temps disponible12. De fait, une

journée de 24 heures tend à durer quelques minutes de plus au regard de tout ce que l'individu a

désormais la possibilité d'effectuer en un jour.

Notons toutefois que, pour l'instant, Internet n'est pas encore devenu la première source

d'information des citoyens/consommateurs. La télévision demeure le premier support avec lequel

la majorité s'informe, devant la radio, la presse, puis Internet. Reste que depuis quelques années,

la bascule des pratiques s'amplifie et Internet d'y prendre une place déterminante. Certes, la

télévision est toujours le média dominant mais son écoute en direct a diminué au profit du

visionnage en différé (sur Internet, DVD, téléphone...). De même pour la radio. Et la lecture

d'information sur papier diminue légèrement au profit de celle circulant sur Internet ou encore

l'Internet mobile – mais nous n'avons jamais autant lu.

« Passer en revue [des] sites d’importance très variée, permet de voir comment ceux qui

11 Portrait type décrit par la sociologue et psychologue Nicole Aubert dans son ouvrage paru en 2005 et intitulé L'individu hypermoderne, Paris, Erès : « Centré sur la satisfaction immédiate de ses désirs et intolérant à la frustration (...), il est débordé de sollicitations et d'exigences d'adaptation permanente conduisant à un état de stress chronique. pressé par le temps et talonné par l'urgence, il développe des comportement compulsifs et trépidants qui visent à combler ses désirs dans l'immédiat et à gorger chaque instant d'un maximum d'intensité. »

12 Selon une étude Médiamétrie/Bearing Point, le nombre de contacts médias et multimédias a progressé sur les quatre dernières années et atteint en 2009 près de 40 contacts quotidiens. Une progression qui touche l’ensemble des médias et des activités multimédias, avec une pratique de plus en plus fréquente des médias en dehors de leurs supports d’origine. Transmédia, numérique, nouveaux comportements : le multimodèle comme nouvel horizon des médias ?, Mediamétrie/Bearing Point, 1ère édition, 2020 -2011

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les utilisent ont recours à des instruments, prennent des habitudes, des plaisirs, qu’ils ne

trouvent pas dans les médias traditionnels » , expliquent dans leur ouvrage Francis Pisani et

Dominique Piotet. Ainsi, pour prendre le pouls de l'actualité, l'internaute va s'inscrire aux flux

RSS13 de ses sites et blogs favoris, parcourir Google Actualité ou le portail de Yahoo!, se créer

une page NetVibes14. Wikipedia lui offre une recherche rapide sur un sujet quelconque, qu'il

approfondira via une seconde requête sur un moteur de type Google. Le portail de blogs

Paperblog va lui permettre de consulter les billets des blogs les plus lus, appréciés ou

commentés, et même y voir figurer le sien en bonne place. User de Youtube ou de Flickr permet

de visionner ou partager des millions de vidéos et photos. Myspace et Facebook vont lui

permettre de découvrir les créations de nombreux artistes, s'informer des événements qui se

passent près de chez lui et auxquels participent ceux qu'il côtoie. De tels réseaux vont en sus lui

permettre de se créer un carnet de connaissances. Une application Twitter va quantifier en temps

réel les termes les plus utilisés sur sa plateforme afin d'envisager les prochains buzz à venir. Etc.

Autant d'exemples qui présentent les diverses aspirations de l'internaute : volonté de s'informer,

rapidement et immédiatement, sur des sujets bien précis et dont il a besoin ou envie dans

l'instant, mais aussi de rencontrer, de partager, de laisser une trace, de contribuer.

Et Alain Joannès de prévenir : « Littéralement pressurés, les médianautes15 sont voués à

des arbitrages permanents entre leurs habitudes et les nouvelles sollicitations. Ils seront de plus

en plus volages et cette inconstance formera des audiences aussi fragmentées qu'instables, en

perpétuelle recomposition. » Nous y sommes déjà.

b) Mobiles sociaux des pratiques de consommation des contenus d'actualité

Fabien Granjon, sociologue au sein d'Orange Labs, et Aurélien Le Foulgoc, chercheur à

l'Université Panthéon-Assas, ont réalisé une enquête qualitative16 afin de faire émerger et de

mieux comprendre les usages sociaux de l'actualité17. Nous reprenons ici quelques uns de leur

13 Syndication de contenu web14 Portail web français personnalisable : chacun module sa page et ses onglets en fonction des services et

informations qu'il souhaite recevoir, et qui proviennent de divers sites. 15 Alain Joannès décrit ainsi le médianaute : il est « une des facettes de l'individu hypermoderne [...]. Sollicité par

une masse d'informations et de messages publicitaires, le médianaute se comporte en « programmateur de ses centres d'intérêt ». Il puise dans les stocks (presse imprimée ou archives numérisées) ou dans les flux (radio, television, Internet), au gré de ses curiosités et de ses intuitions. »

16 Enquête menée auprès de 35 personnes âgées de 15 à 70 ans (pour moitié des femmes et aux 4/5es utilisateurs quotidiens d’Internet), développant toutes des pratiques quotidiennes de l’actualité sur différents supports (presse écrite, télévision, radio, internet, etc.) et occupant des positions sociales différenciées (chômeur, étudiant, ouvrier, employé, profession libérale, retraité, etc.)

17 Il a été demandé aux personnes suivies de remplir pendant une période de dix jours un carnet de bord à l’intérieur duquel elles devaient renseigner, quotidiennement et avec une grande précision, l’ensemble de leurs pratiques de consommation de l’actualité médiatique (support, heure, lieu, durée, contenu, niveau d’engagement

Marion Lecointre – Mémoire professionnel – Paris IV - Master II Conseil Editorial – Promotion 2009-2010 13

Page 14: Information en ligne : quel écosystème pour demain ?

résultats18, significatifs et proches des conclusions contenues dans diverses études questionnant

le marché de la consommation des contenus d'actualité. Les deux auteurs expliquent d'entrée :

« À la profusion des programmes et des contenus mis à disposition, viennent se greffer de

nouveaux usages (multi-écrans, délinéarisation, agrégation de contenus, etc.) qui tendent à

déplacer les routines et les expériences informationnelles et à faire bifurquer les trajectoires

d’usages des individus. Pour peu que l’on soit attentif aux contenus convoqués, à la manière

dont ils sont enrôlés, ainsi qu’à la valeur sociale (pratique et symbolique) dont ils sont crédités

par celles et ceux qui les fréquentent, les pratiques de consommation de l’actualité (news)

apparaissent de plus en plus diverses. ».

Le capital socio-culturel et le poids générationnel

Plus le niveau de certification scolaire est élevé, plus on s’intéresse à l’actualité et plus on

mobilise par ailleurs Internet. Inversement, la population consommant des contenus d’actualité

en ligne est aussi celle qui en consomme le plus via les supports traditionnels. Auusi, les auteurs

constatent que les usages d’Internet pour s'informer ne se substituent jamais complètement aux

pratiques développées sur les supports traditionnels, venant davantage les compléter.

Egalement, la consommation d'information diffère selon les âges. Les pratiques «

juvéniles » (moins de 25 ans) d’information se caractérisent par un intérêt marqué pour certains

types de médias/supports (radios musicales, téléphone portable, blogs, vidéos courtes, émissions

TV). Les jeunes internautes apprécient particulièrement les actualités leur permettant « d’être à

la page » et d’entretenir des conversations avec leurs pairs et ne font pas preuve d'un

investissement marqué dans leur consommation. Les appétences informationnelles des plus de

55 ans sont, elles, nombreuses et portent notamment sur tous les types de médias traditionnels.

Quant à Internet, ils développent une large appétence pour les rubriques « actualités » des sites

généralistes et pour les sites de presse où ils sont grands consommateurs d'articles.

Des comportements « consommateur » versatiles

Si, pour certains Français, Internet est devenu un moyen privilégié de s’informer et de

suivre l’actualité, leurs préférences vont encore assez largement aux médias de masse19 - ils sont

dans la pratique, activités parallèles, personnes présentes). Des sections du carnet ont également été réservées à l’enregistrement et à la description des discussions (en présence ou à distance, écrites ou orales) que les enquêtés ont eues en relation avec l’actualité médiatique. Deux entretiens semi-directifs ont ensuite été conduits avec chacun de ces individus.

18 Pour lire les résultats : « Les usages sociaux de l'actualité » in Presse en ligne, Revue Réseaux n°160-161, La Découverte, 2010

19 97 % d’entre eux consultent un média « traditionnel » à des fins d’information au moins une fois par semaine : 93 % mobilisent la télévision, 77 % la radio et 59 % la presse (enquête récente réalisée par le laboratoire

Marion Lecointre – Mémoire professionnel – Paris IV - Master II Conseil Editorial – Promotion 2009-2010 14

Page 15: Information en ligne : quel écosystème pour demain ?

tout de même 58% à déclarer consulter Internet à des fins informationnelles au moins une fois

par semaine tandis que, chez la jeune génération, Internet passe devant la radio et la presse.

D'une manière générale, en terme d’usages des contenus d’actualité, la règle est celle du mix-

médias20. Par ailleurs, la consommation d’actualité en ligne est une activité qui, au global,

s’avère peu spécialisée et peu personnalisée.

Aussi, en ligne, l'écrit est le format qui demeure le plus prisé par les internautes qui, s’ils

s’intéressent de plus en plus à des contenus innovants restent encore attirés par une narration

classique : ils la supposent plus à même de (rap)porter une charge informative qu’ils jugent plus

« complète », plus « objective » ou encore plus « critiquable » au sens de « qui mérite d’être

reprise et discutée ». Quant à la lecture, les pratiques de consultation d’actualités en ligne

amènent à une logique de consommation plus flottante : logique d'hybridation et d'enchaînement.

Concernant la temporalité de cette consommation, Internet, tout en permettant une

diversification des sources, entraîne également le développement d’autres formes de pratiques

d’information qui viennent par exemple se loger au creux des emplois du temps, profitant d’une

pause, d’un moment de détente ou d’un surf « sérendipitaire » pour mobiliser des news

d’origines diverses.

Aussi, les résultats de l'enquête relativisent l’importance des formes de recherche de

l’actualité qui seraient forcément actives, volontaires, ciblées et tournées vers une optimisation

des ressources. Chez les individus disposant d'un niveau de certification élevé et ceux qui

développent un intérêt marqué pour l'actualité, ces attitudes de recherche existent effectivement.

Pour les autres internautes qui peuvent à l’occasion s’engager dans de tels usages, ceux-ci

suivent un parcours permis par une accessibilité immédiate et une opportunité qui n’a pas été

nécessairement recherchée.

Notons enfin que les jugements portés sur les contenus varient fortement selon le

contexte : en situation de sérendipité, la brièveté devient une valeur positive de l’information,

alors qu’à d'autres moments, les formats informationnels les plus courts sont critiqués pour leur

faible charge explicative.

Sociology and Economics of Networks and Services (SENSE, 2009) sur les consommations cross-media des internautes français : internautes âgés de 15 ans et plus, équipés d’un téléphone mobile, ainsi que d’Internet et de la télévision à domicile. 1053 individus ont répondu à cette enquête)

20 Quotidiennement, 42 % des internautes mobilisent des médias traditionnels dans des agencements variés, tandis qu’ils sont 40 % à y adjoindre Internet. Concernant les fréquences hebdomadaires, les couplages médiatiques comprenant de l’Internet deviennent largement majoritaires (59 %) tandis que les mix-médias traditionnels ne représentent plus que 35 %.

Marion Lecointre – Mémoire professionnel – Paris IV - Master II Conseil Editorial – Promotion 2009-2010 15

Page 16: Information en ligne : quel écosystème pour demain ?

Une relation ambiguë à l'actualité

Les individus interrogés ont le sentiment d’évoluer dans un environnement où ils sont très

(trop) fréquemment « sollicités par des offres d’information ». La fraction de la population la

moins diplômée affirme « subir l’actualité » et essayer de la « consommer avec modération ».

Cette abondance médiatique conduit à des formes d’inquiétude : ces individus restent attachés

aux médias traditionnels en ce qu'ils leur offrent un ensemble d’informations à portée collective,

sur lequel ils peuvent s’appuyer pour avoir une connaissance qu’ils jugent le plus souvent «

suffisante » pour se sentir « en prise avec ce qui se passe ». Les autres (les plus diplômés

notamment), au contraire, appréhendent positivement les ressources médiatiques dont

l’abondance leur permet de disposer rapidement de toutes les actualités dont ils estiment « avoir

besoin ». Ils font davantage usage d’Internet et en profitent pour donner de l’amplitude à leurs

consommations en variant notamment les sources de contenu. L’abondance informationnelle

provoque chez eux le sentiment d’avoir l’assurance de pouvoir se tenir pleinement et facilement

informé, quel que soit le sujet considéré. Globalement, polymorphes et omniprésents, les

contenus d’actualité sont appréhendés par tous comme une envahissante nécessité dont il faut

apprendre à tirer profit.

Aussi, la consommation d'actualité répond à un besoin de routine. Cette routine rythme et

ponctue les journées, elle devient un repère qui fonde le sentiment d’être « en prise avec le

monde et la réalité » et structure concrètement certains engagements pratiques comme la

possibilité de discuter de certains sujets ou se forger une opinion. Cette consommation répond

donc également à un besoin d'appartenance.

Une monnaie pour les échanges sociaux

Il faut noter que c'est notamment l’engagement dans une discussion qui va conduire les

individus à élaborer de l’information et à accroître leur savoir. De là, les réseaux sociaux

apparaissent, en ligne, comme des outils de production/transfert d’information mais également

de production de publics : ils stimulent le partage des contenus d’actualité car c’est notamment

par ce biais que peuvent se créer de nouveaux contacts. Ils permettent également de stimuler la

curiosité : la production de liens faibles sur les sites de réseaux sociaux peut conduire à la

fréquentation de contenus inédits. Ainsi, les individus glanent de l’information auprès de leurs

interlocuteurs de la même manière qu’ils récoltent de l’information dans les médias traditionnels,

au gré des opportunités qui leur sont offertes. L’information, produite ou simplement relayée,

prend ainsi une tout autre valeur que celle d’une médiation publique entre des faits et des

personnes. Reste que demeure, comme sus-mentionné, une inégalité devant la supposée liberté Marion Lecointre – Mémoire professionnel – Paris IV - Master II Conseil Editorial – Promotion 2009-2010

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Page 17: Information en ligne : quel écosystème pour demain ?

d'expression en ligne. Si Internet offre des espaces propres aux débats et à la formation d'opinion,

c'est dans la limite des dispositions et des sens pratiques acquis par ceux qui les fréquentent.

Sans s'imposer telle une vérité, cette enquête ici résumée a toutefois le mérite de montrer

en quoi il demeure illusoire de vouloir prendre les consommateurs d'actualité comme des êtres

aux mobiles semblables, comme une masse aux mêmes inspirations : il existe autant de raison de

s'informer que d'individu le faisant. Les variables sont telles, et les évolutions si rapides. Reste

des attitudes, des valeurs, des conditions, sur lesquelles jouer.

2) « L'information n'a jamais été un bien commercialement viable »

On le voit, l'information délivrée par les médias souffre moins d'une baisse d'appétence

que d'une recomposition des usages et des mobiles sociaux. Reste que les médias doivent faire

avec une crise économique majeure en partie due à : la fuite des audiences vers des espaces

d'informations hors médias ; le peu d'enclin de cette audience à payer pour une information

présente partout ailleurs que uniquement sur les sites des médias, de surcroît de manière gratuite.

L'information telle que délivrée par les médias n'a-t-elle plus de valeur spécifique ? Il suffit de

reprendre les propos du journaliste David Simon pour comprendre cette perte des certitudes :

« Ce que je ne comprends plus, c'est si l'information elle-même à encore une valeur. Sous

n'importe quel format, n'importe quelle forme de diffusion, est-ce que la compréhension des

événements au jour le jour est encore quelque chose que l'on peut vendre ? Ou est-ce que nous

nous sommes abusés nous-mêmes ? Est-ce qu'un journal n'était viable qu'aussi longtemps qu'il

publiait des petites annonces, des bandes dessinées et les derniers résultats sportifs ? »21

Dans son cahier des tendances automne-hiver 2009/2010, Eric Scherer22 affirme un fait

accepté par beaucoup d'autres penseurs des médias : « La valeur des journaux imprimés et des

magazines n'étaient pas tant dans leur contenu, que dans l'accès à leur contenu, dans leur

commodité et leur confort d'usage, pour un prix modique. Le monde arrivait à nous de manière

pratique. Il était impossible d'extraire la valeur du contenu de l'ensemble combinant distribution

physique/publicité/contenu. » Le blogueur Narvic23 ne dit pas autre chose : « Dans l’ancienne

21 Simon, D, « Does the News Matter tu Anyone Anymore? » in The Whashington Post, 20 janvier 2008 (traduction : Bernard Poulet)

22 Directeur Stratégie et relations extérieures à l'AFP : Scherer, E, Context Is King, AFP-Mediawatch Automne-hiver 2009/2010 : http://mediawatch.afp.com/

23 Narvic, « Les éditeurs de presse dans la nasse de l'économie numérique » in Novövision, 10 décembre 2009 : http://novovision.fr/les-editeurs-de-presse-dans-la (04/09/2010 à 20h43)

Marion Lecointre – Mémoire professionnel – Paris IV - Master II Conseil Editorial – Promotion 2009-2010 17

Page 18: Information en ligne : quel écosystème pour demain ?

économie de la presse, les contenus n’avaient peut-être déjà pas autant de valeur économique

qu’on voulait bien le croire. Mais ça ne se voyait pas. D’abord car on était dans une situation de

rareté de production (..) [et] dans une situation de rareté de diffusion ». Dans un monde où

l'information est omniprésente (de partout, via n'importe quel support et en temps réel), relayable

et recopiable à merci, par n'importe qui, le contenu d'actualité – au sens du fait nouveau rapporté

à un public - se trouve extrait d'un écosystème qui avait auparavant fait sa viabilité. Sur Internet,

le bien information répond d'un coût de (re-)production quasi nul, et devient un bien non-rival et

non-excluable. Avant, l'accès à était le seul outil de monétisation. Alors qu'aujourd'hui l'accès à

est devenu gratuit24, comment parvenir de nouveau à faire payer l'information ?

Robert G. Picard, spécialiste de l'économie des médias, démontre de son côté en quoi

« l’information a toujours été financée par des revenus qui dépendaient de la valeur de cette

information pour d’autres activités. »25 Et de dérouler une histoire de la monétisation de

l'information pour mieux nous en convaincre, jusqu'à la naissance du modèle des médias de

masse, apparu à la fin du XIXè siècle : « Dans ce modèle, l’information est fournie aux masses à

un prix bas, mais subventionné par la vente de publicité. Comme la plupart du public n’est pas

intéressée par le suivi des événements au jour le jour et par l’info d’actualité (hard news), le

gros du journal est consacré au sport, au divertissement, au lifestyle et à tous les dispositifs qui

accroissent l’appétence du public à dépenser son argent pour le produit. Ce modèle des médias

de masse reste le modèle prédominant pour le financement de la recherche d’information et sa

distribution, mais son efficacité diminue à mesure que l’audience « de masse » devient une «

niche » d’audience dans les pays occidentaux avec le départ de ceux qui sont le moins intéressés

par l’information d’actualité (hard news) vers la télévision, les magazines et Internet. »

L'accès devient gratuit, la spécialisation va croissante et attire au gré des affinités, les

produits d'appel auparavant « rares » n'ont plus raison d'être. Conclusion implacable :

l'information n'a jamais été un bien commercialement viable et ne le sera pas plus demain. Il faut

alors réinventer les « objets » qui attireront une demande, elle-même prête à participer au

financement de l'information. Et les médias en ligne de peiner et de ne cesser de chercher. C'est

là toute leur difficulté : « Activité professionnelle schizophrénique d’une certaine manière,

l’activité éditoriale doit ainsi constamment concilier les dimensions apparemment antagonistes

de la création artistique/intellectuelle et de la valorisation commerciale. »26

24 En partie seulement : l'utilisateur paye indirectement l'accès aux FAI (fournisseurs d'accès à Internet), et se vend en partie en acceptant l'intrusion de la publicité lors de sa consommation.

25 Picard, R. G., « News has never been a commercially viable product » in The Media Business, Robert G. Picard, 31 juillet 2010 : http://themediabusiness.blogspot.com/2010/03/news-has-never-been-commercially-viable.html (18/08/2010 à 21h07)

26 Rebillard, F, Le Web 2.0 en perspective. Une analyse socio-économique de l’internet, Paris, L’Harmattan, 2007Marion Lecointre – Mémoire professionnel – Paris IV - Master II Conseil Editorial – Promotion 2009-2010

18

Page 19: Information en ligne : quel écosystème pour demain ?

a) Une brève histoire économique des médias en ligne en France

L'universitaire Yannick Estienne, dans son ouvrage intitulé Le journalisme après

Internet27, distingue trois temps forts de l'arrivée des médias français sur Internet : le temps des

pionniers (1995-1998) ; l'essor de la presse en ligne (1998-2001) ; la crise (2001-).

1995 -1998 : l'expérimentation

Les entreprises de presse française voient avec Internet de nouvelles opportunités de

captation de l'audience et de diversification de leur support de diffusion. Les premiers sites-titres

sont créés entre 1995 et 1996 mais demeurent encore pauvres éditorialement parlant. L'idée est

alors de rendre visible la marque sur le web, rien de plus. Aussi, la conception des sites web est

bien souvent guidée, et contrainte, par les expériences passées dans le domaine de la télématique.

De la forme au fond en passant par le modèle économique, rien n'est défini. On expérimente, on

bricole. La stratégie n'est pas encore de mise.

1998 - 2001 : la stratégie

Les médias en ligne ne prennent leur essor qu'au tournant de l'année 1998. Avec l'arrivée

massive des médias, la nécessité pour chacun d'un positionnement éditorial et commercial

s'impose. Les investissements affluent vers les départements ou filiales ad hoc alors créés. La

presse, qui connaît depuis plusieurs années une situation de crise place dans Internet beaucoup

d'espoir – jusqu'à y voir la condition de sa survie. D'ailleurs, l'autonomisation des rédactions web

est engagée : elle doivent-être visibles, dotées de moyens propres, créatives et non freinées par le

papier, proches de la culture des « start-up ». L'heure est à la conquête de parts de marché dans le

secteur de l'information en ligne et à la diversification. A partir de 2000, se développent des

produits multimédia interactifs : bien que les limites technologiques freinent ces ambitions

(faible pénétration du haut débit), il s'agit d'explorer davantage encore les potentialités d'Internet.

Aussi, on enrichit l'écrit : au delà du simple copier-coller des contenus papiers vers le web, le site

agrège fils de dépêches, dossier thématiques, compléments d'informations, liens, etc. Différentes

voies éditoriales sont ainsi explorées : allant du copier-coller des contenus papier sur les sites, au

complément d'information, à l'enrichissement du contenu préexistant jusqu'à la création d'un

contenu propre et multimédia. De même que l'on expérimente divers modèles économiques,

naviguant du payant au gratuit : le financement par la publicité, la vente de contenu et l'e-

commerce. Tout est à inventer.

27 Estienne, Y, Le journalisme après Internet, Paris, L'Harmattan, 2007Marion Lecointre – Mémoire professionnel – Paris IV - Master II Conseil Editorial – Promotion 2009-2010

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Page 20: Information en ligne : quel écosystème pour demain ?

2001 - ? : la crise

L'importante crise boursière et financière qui survient en 2001 déstabilise profondément

les médias et leurs espoirs. De nombreux projets sont suspendus ou même arrêtés, certains sites

s'appauvrissent. Après les forts investissements consentis, l'heure est à la recherche d'économie :

compression des coûts, réduction des effectifs, etc. Paradoxalement, cette période de restriction

budgétaire s'accompagne d'une diffusion plus large d'Internet, d'une hausse de l'audience, d'une

maturité des rédactions web. Internet commence à s'imposer comme support d'information

incontournable. Or, dans un contexte où les site-titres ne sont toujours pas rentables et les

versions papiers les quasi seuls financeurs de l'entreprise de presse, la question de la gratuité de

l'information et, par extension, de la survie des médias traditionnels, se pose. Les modèles

informationnels d'hier (financement par la publicité et la vente) se voient remis en question.

Du modèle gratuit, en cours jusqu'au début des années 2000, les médias en ligne, suite à

l'éclatement de la bulle Internet en 2001, sont venus à des modèles payants, sans grandes

réussites, pour retenter la gratuité quelques années plus tard et aujourd'hui se retourner vers le

payant. Ces va-et-vient, qui plus est effectués sur de très courts cycles, et les tentatives de

constitution de modèles hybrides, démontrent bien les difficultés qu'ont les médias en ligne, en

2010 encore, à trouver un financement sain et durable. Nous allons ici identifier les différents

modèles existant et les raisons de leur « défaites ».

b) Le modèle gratuit

C'est le modèle qui a prévalu jusqu'au début des années 2000, laissant ensuite en grande

partie place au payant ou à l'hybridation. La gratuité était alors le meilleur moyen d'attirer et

retenir le lecteur sur le site : il fallait se faire connaître puis fidéliser, et surtout construire une

audience monnayable auprès des annonceurs. Les titres traditionnels et les revenus publicitaires

finançaient les éditions web. La gratuité était alors perçue par les responsables de ces médias

comme un principe temporaire correspondant à la phase de décollage nécessaire du média en

ligne. C'était sans compter sur une culture de la gratuité qui allait aller en grandissant. L'esprit

d'Internet prône une certaine culture de la gratuité, via la circulation libre de l'information, le

partage des connaissances et la coopération en réseau, décentralisée et désintermédiée : difficile

d'imposer un modèle capitaliste dans un écosystème libertaire. Aussi, le recours à la gratuité par

les éditions web semble avoir tué dans le même temps les éditions papiers : pourquoi dès lors

acheter le journal ? D'autant que fleurissaient dans le même temps les quotidiens gratuits. Et que Marion Lecointre – Mémoire professionnel – Paris IV - Master II Conseil Editorial – Promotion 2009-2010

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Page 21: Information en ligne : quel écosystème pour demain ?

les médias audiovisuels continuaient d'apparaître aux yeux du lecteur comme une offre gratuite.

Ajoutons encore à cela que les blogs, webzines et autres portails sur Internet offrent aux

internautes une information là encore gratuitement. L'information est présente partout, en flux

tendu et en accès libre : pourquoi la payer ? La question se tient. En 2000 comme aujourd'hui, les

mêmes problématiques demeurent. Le financement des contenus d'actualité par l'audience, c'est à

dire par la publicité, n'a pas encore prouvé sa viabilité. D'autant qu'à regarder les comportements

des consommateurs, volages et infidèles, on comprend la réticence des annonceurs. Ce qui fait

dire au blogueur Narvic28 : « Allez donc bâtir une économie viable des sites d’actualité

professionnels dans de telles conditions de fragmentation des usages, et donc des audiences !

Surtout quand toute l’économie de la publicité en ligne des sites de presse reste totalement

organisée autour de la constitution de marques, censées offrir aux annonceurs des

« environnements éditoriaux » propices, attirant une audience qualifiée et justifiant d’y vendre la

publicité plus cher que partout ailleurs sur Internet. » Au printemps dernier, le cabinet Precepta

affirmait clairement devant les membres du Geste (Groupement des éditeurs de service en ligne)

: en matière de revenus en ligne, « les sites médias français sont des nains publicitaires sur

Internet » face aux géants du web (Google, PagesJaunes, Yahoo!, MSN ou Orange). Les revenus

web n’ont représenté en 2009 que 2,8% du chiffre d’affaire total des médias français, or,

« aujourd’hui la répartition des revenus des médias en ligne est la suivante : 63% vient de la

pub, 18% des contenus payants, 6% du B2B et de la syndication et 5% de l’e-commerce. (...) À

eux tous, les médias français, reçoivent trois fois moins que l’ensemble des grands agrégateurs

et deux fois moins que le seul Google. »29 Alors que nombre des médias visent aujourd'hui des

modèles de monétisations autres que celui de la publicité, on notera cependant l'émergence des

médias à but non lucratifs30 et, avec eux, de nouvelles voies alternatives31 de financement de

l'information « gratuite »32. En France, l'association Owni (un laboratoire du « digital

journalism » agrégeant et produisant des contenus), éditée par la société 22mars, est l'un des

grands défenseurs de l'hybridation des revenus entre activités commerciales et à but non lucratif.

28 Narvic, « Avenir des médias en ligne : l'impossible équation » in Novövision, 31 mai 2010 : http://novovision.fr/avenir-des-medias-en-ligne-l (19/08/2010 à 21h21)

29 Scherer, E, « En ligne, les médias français sont des nains publicitaires » in AFP-Mediawatch, 11 mai 2010 : http://mediawatch.afp.com/?post/2010/05/11/En-ligne-les-medias-francais-sont-des-nains-publicitaires (16/08/2010 à 20h26)

30 Scherer, E, Context Is King, AFP-Mediawatch Automne-hiver 2009/2010, p.51 : http://mediawatch.afp.com/ 31 Le journaliste Jean Abiatecci énumère sur son blog quelques unes de ces solutions : les subventions publiques, le

mécénat d'entreprise, le sponsoring des sujets d'enquêtes, l'appel aux dons des internautes, la revente du contenu, la déclinaison des sujets sur différents supports à valeur ajoutée, faire de la formation, éditer des livres, vendre des goodies, vendre des photos en ligne, vendre des services et placer de la pub. Abbiateci, J, « Quels financements possibles pour un média ? » in Papier Brouillon, 28 mai 2010 : http://papierbrouillon.posterous.com/check-list-quels-financements-pour-un-media (16/08/2010 à 10h39)

32 Seeking Sustainable, A Roundtable, Knight Foundation, 11 juin 2010 : http://www.knightfoundation.org/research_publications/detail.dot?id=364196

Marion Lecointre – Mémoire professionnel – Paris IV - Master II Conseil Editorial – Promotion 2009-2010 21

Page 22: Information en ligne : quel écosystème pour demain ?

c) Le modèle payant

Après 2000, et aujourd'hui encore, les médias en ligne cherchent un équilibre entre offre

payante et offre gratuite et les réflexions s'engagent : quels contenus, quels services, faire payer ?

A qui (quelle est la motivation d'achat) ? Et comment (micro-paiement, abonnement) ? Jusqu'où

aller sans risquer de perdre une audience significative ? Quelle est la marge de progression des

ventes par abonnement ? D'autant que le passage brutal d'une information gratuite à une

information payante reste difficile à faire passer auprès des internautes, aussi fidèles soient-ils.

Le dernier exemple en date est certainement spectaculaire : le magnat des médias Rupert

Murdoch a institué un « paywall » total sur le site de The Times, en juin dernier. Les chiffres

(dont la perte de 90% de l'audience)33, encore difficiles à analyser à l'heure actuelle, devraient

apporter certaines réponses. On notera également le projet de monétisation des contenus du New

York Times, annoncé pour début 2011 : après une expérience déçue en 200534, le journal opte

pour le paiement à la durée, un système qui propose au lecteur qui aura consulté un certain

nombre d'articles en ligne un abonnement pour avoir accès aux autres contenus. Une logique qui

ne cherche cependant pas à se couper du trafic issu des moteurs de recherche et réseaux sociaux :

le président, Arthur Sulzberger explique logiquement ne pas souhaiter retirer son site de

« l'écosystème du Web ouvert »35. Difficile enjeu : maintenir une audience forte tout en créant des

revenus additionnels via la vente de contenus – et donc un accès restreint. Pour l'heure, on le voit

bien, des sites comme Mediapart ou Arrêt sur Image, qui ont opté dès le départ pour un accès

sous condition d'abonnement, peinent à parvenir à l'équilibre.

Au delà de ces cas radicaux, l'enjeu est là : parvenir à constituer une base d'abonnés

financièrement tenable tout en maintenant, du côté des contenus gratuits, une audience

monnayable auprès des annonceurs. On parle alors de formule Freemium : des contenus de

« luxe », enrichis, qualifiés, pour les abonnés ; des contenus standards, sans grande valeur

ajoutée, pour les autres. Actuellement, la tendance est à ce modèle, mixte, entre abonnement et

revenus publicitaires.

33 Raphaël, B, « The Times : premiers chiffres derrière le paywall » in La Social Newsroom, 19 juillet 2010 : http://benoitraphael.com/2010/07/19/the-times-premiers-chiffres-derriere-le-paywall/ (08/08/2010 à 19h47)

34 Le système Times Select alors institué consistait à rendre payant l'accès aux articles de ses journalistes et de ses éditorialistes les plus prestigieux.

35 Ternisien, X, « Le New York Times fait à son tour le pari risqué de l'Internet payant » in Le Monde, 11 septembre 2010 : http://www.lemonde.fr/actualite-medias/article/2010/09/10/le-new-york-times-fait-a-son-tour-le-pari-risque-de-l-internet-payant_1409431_3236.html (10/09/2010 à 19h37)

Marion Lecointre – Mémoire professionnel – Paris IV - Master II Conseil Editorial – Promotion 2009-2010 22

Page 23: Information en ligne : quel écosystème pour demain ?

d) Expérimentation : à la recherche de revenus complémentaires

Les équipes web des médias tentent alors de se diversifier, à l'image de Rue89 qui

propose, outre son offre d'information, des ateliers de formation et un service de conception de

site. D'élargir leur audience, paradoxalement à l'aide du papier (Médiapart se lance dans l'édition,

Backchich et Rue89 lancent des formules papiers). Mais dans l'ensemble, les médias restent

proche du modèle publicité/audience et peinent à trouver de nouvelles voies de financement alors

même que le display rapporte de moins en moins d'argent. Le cabinet Precepta rappelait en mai

dernier cet état de fait36 auprès des membres du Geste et d'évoquer ses recommandations :

l'enrichissement de l'offre, la création de nouvelles valeurs ajoutées, l'exploitation de ressources

différentes ou de compétences rares, le recours aux donations voire aux subventions, une

meilleure valorisation de l'existant pour les annonceurs, des diversifications thématiques et

l'exploitation des débouchés mobiles. Enfin, explique le cabinet, des solutions collectives

devraient être tentées pour créer des rapports de force différents. Du côté de la mobilité

précisément, deux nouvelles sources de financement ont fait leur apparition : la vente

d'applications pour smartphones et pour tablettes numériques, dont le fameux iPad. Ce dernier

notamment, plébiscité par l'ensemble des professionnels de l'information, était attendu comme le

sauveur de la presse. Un espoir que terni déjà l'arrivée massive d'agrégateurs sur iPad : pourquoi

payer plusieurs applications quand je peux avoir autant de contenu en en achetant une seule ?

Quant aux solutions collectives, elles pourraient bientôt voir le jour : le Syndicat de la Presse

Quotidienne Nationale vient d'annoncer le lancement, fin 2010, d’un portail d’actualité payant,

tandis que le Syndicat de la Presse Quotidienne Régionale vient d'annoncer le lancement, sur

iPad, de son kiosque numérique. Reste que ces projets posent uniquement le problème de la

monétisation sans se tourner spécifiquement vers le contenu lui-même...

Bien que de nombreux organes tentent d'innover en terme d'écriture et de diffusion

originale de l'information (principalement dans les médias anglophones), les médias restent

penchés sur leurs problèmes financiers – certes majeurs – et moins sur la question de

l'information. L'écosystème informationnel évolue, l'idéologie fondatrice d'antan n'est plus. Les

pratiques informationnelles (production, diffusion, consommation) changent tandis que des

acteurs hors médias bouleversent la filière de l'information en ligne. Il faut comprendre et jouer

avec ces conditions plutôt que d'essayer d'y mettre fin. Il n'y aura pas de retour en arrière.

36 Scherer, E, « En ligne, les médias français sont des nains publicitaires » in AFP-Mediawatch, 11 mai 2010 : http://mediawatch.afp.com/?post/2010/05/11/En-ligne-les-medias-francais-sont-des-nains-publicitaires (08/08/2010 à 20h19)

Marion Lecointre – Mémoire professionnel – Paris IV - Master II Conseil Editorial – Promotion 2009-2010 23

Page 24: Information en ligne : quel écosystème pour demain ?

II - L'information en ligne : une filière en recomposition permanente

Nous nous intéressons ici aux évolutions de la filière de l'information en ligne,

essentielles afin de comprendre ce vers quoi tend l'écosystème informationnel actuel37. De la

production jusqu'à la diffusion, les professionnels de l'information en ligne perdent

progressivement du pouvoir face aux pratiques amateurs et à l'émergence d'acteurs hors médias.

Dans le même temps et nécessairement, c'est l'ADN lui-même de l'information qui change.

1) Multiplication des acteurs de l'information en ligne

Alors que la production de l'information n'est plus l'apanage exclusif des journalistes, et

que la diffusion de celle-ci échappe progressivement aux professionnels des médias, il importe

de recenser ici les différents protagonistes du paysage de l'information sur Internet. Parce qu'ils

influent sur les usages et la nature même de l'information et parce qu'ils sont amenés à

reconditionner l'écosystème de demain. Nécessairement, il faudra compter avec eux.

a) Production

Du contre pouvoir citoyen au média à la demande en passant par l'algorithme tout

puissant, le métier de journaliste se voit profondément bouleversé depuis l'arrivée d'Internet, il y

a quinze ans. Collecte, traitement, production de l'information n'appartiennent plus

exclusivement aux médias institués. Et, alors même qu'amateurs et professionnels hors médias

viennent concurrencer, avec un succès certain auprès du public, la mission journalistique, les

acteurs médias voient dans le même temps leur légitimité progressivement diminuer. Sans parler

de la concurrence qu'entretiennent entre eux les médias sur Internet : journaux, chaînes de

télévisions, radios, sites web s'affrontent en effet pour la première fois sur un même terrain. Qui

produit aujourd'hui l'information en ligne ? Dans quelles mesures et sous quel « droit » ?

Dressons ici une typologie des producteurs de l'information sur Internet.

Les médias professionnels

Les professionnels de l'information en ligne répondent du métier de journaliste et

s'inscrivent dans des entités médiatiques reconnues comme telles. Parmi les « anciens », nous 37 Voir en annexe un schéma représentant la filière de l'information en ligne.

Marion Lecointre – Mémoire professionnel – Paris IV - Master II Conseil Editorial – Promotion 2009-2010 24

Page 25: Information en ligne : quel écosystème pour demain ?

trouvons les sites titres de marques médias (presse, télévision ou radio) et les sites des agences de

presse (AFP, Reuters, AP) qui offrent en ligne des fils d'information dédiés aux particuliers38.

Parmi les nouveaux arrivants, nous trouvons les pure players, des éditeurs de presse en ligne dont

l'origine et l'activité sont entièrement liées à Internet : Rue89, Mediapart, Backchich, Slate, Arrêt

sur image, etc. Ils se sont récemment regroupés au sein du SIIL (Syndicat de la presse

indépendante d'information en ligne), créé en octobre 2009.

Les médias citoyens

On parle de « journalisme collaboratif », « journalisme participatif », « journalisme

citoyen » pour qualifier un phénomène significatif de ce que l'on appelle le Web 2.0 et son

pendant, l'« intelligence collective ». L'idée : chaque citoyen, également lecteur et consommateur

d'information, peut devenir à son tour producteur d'une information qui sera qualifiée puis

publiée par un professionnel. Alors que le prix des outils de production baisse significativement

et que leur usage devient de plus en plus simple, pourquoi ne pas orchestrer la production,

gratuite ou faiblement rémunérée, de ces journalistes amateurs ? Le premier exemple réussi de

média citoyen est OhMyNews, lancé en 2000 en Corée du Sud. En France, nous pouvons citer

Agoravox, fondé en mars 2005 par Joel de Rosnay et Carlo Revelli39 suite à un constat : « grâce

à la démocratisation effective du multimédia, et des NTIC, tout citoyen peut devenir

potentiellement un reporter capable d'identifier et de proposer des informations à haute valeur

ajoutée ». Depuis, on a également pu voir émerger des projets tels que LePost, lancé par

LeMonde Interactif en Septembre 2007 ou encore Rue89, lancé en mai 2007 par des anciens de

Libération. Notons qu'au-delà de ces médias citoyens, la logique du participatif s'est largement

répandue à l'ensemble des médias en ligne : le community manager, chargé d'animer la

communauté des lecteurs mais également de veiller et faire remonter les informations données

dans les espaces sociaux dédiés, est devenu un poste essentiel, bien souvent tenu par de jeunes

journalistes. De même, via la mise en place de sondages, votes, commentaires, blogs sur leurs

sites, les médias valorisent de plus en plus la participation du public à la production de

l'information. Aussi parce que, lui même valorisé par la mise en avant de sa contribution,

l'internaute est plus susceptible de revenir régulièrement sur le site...

38 Notons ici que l'AFP a le projet de créer un site entièrement dédié au grand public. Ce qui ne va pas sans susciter certaines critiques de la part des médias en ligne, vis à vis de ce client bientôt concurrent.

39 Co-fondateurs de la société Cybion, spécialisée dans l'Intelligence Economique.Marion Lecointre – Mémoire professionnel – Paris IV - Master II Conseil Editorial – Promotion 2009-2010

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Page 26: Information en ligne : quel écosystème pour demain ?

Les blogueurs

Il est à noter que la pratique du journalisme amateur existait bien avant Internet, au

travers des fanzines ou encore du statut particulier des correspondants de la presse locale. Reste

que l'arrivée de ce nouveau moyen de communication offre à cette pratique une nouvelle

dimension. Jusqu'à dessiner aujourd'hui une importante sphère journalistique « extra-

professionnelle »40. Par ailleurs, le journalisme en ligne, en arrivant sur Internet, a du faire avec

un imaginaire prégnant, celui d' « un nouvel « espace public » qui permettrait l'expression libre

et absolue de tous en abolissant les médiations traditionnelles.».41 La généralisation, et le succès

certain, des pages personnelles – appeler ensuite « blogs », à partir de 2002 - traduit

spécifiquement ce projet. Et, alors qu'il fallait auparavant manier le code HTML et posséder de

bonnes bases informatiques pour ce constituer pages perso ou webzines, l'arrivée des CMS

(outils de gestion de contenu) démocratise le blog. On en compte aujourd'hui 143 890 000 dans

le monde42. Bien sûr, les blogs prennent toute sorte de formes, ils peuvent traiter des sujets les

plus intimes ou encore être alimentés par des experts, ils peuvent servir à commenter, de manière

plus ou moins sérieuse, ou encore à apporter des connaissances, ils peuvent être écrits à une ou

plusieurs mains. Nous nous intéressons ici spécifiquement aux blogs qui s'inscrivent dans une

démarche citoyenne face à l'information, « ces blogs conçus dans l'optique de diffuser et de

commenter une information, de donner à réfléchir et de susciter le débat. »43 Trois catégories

peuvent être distinguées : les blogueurs amateurs (qui relaient et commentent l'information), les

blogueurs experts (qui commentent l'information et partagent leurs connaissances sur un

domaine spécifique) et les journalistes blogueurs (qui trouvent des espaces d'expressions plus

libres et plus divers que leur média). Cette forme d'expression porte en elle l'aura de la

subjectivité mais également du contre-pouvoir salvateur quand les médias subissent de toute part

des critiques portant sur leurs supposés partialité et objectivisme mou. Il y aurait d'un côté les

blogs, l'opinion libre et désintéressée, et de l'autre les médias, les faits. Reste qu'aujourd'hui, les

médias hébergent nombre de ces blogs, qui contribuent notamment à subjectiver et qualifier une

partie de leur travail. Tandis que les blogueurs ainsi hébergés jouissent d'une audience

difficilement atteignable hors des frontières médiatiques.

40 Estienne, Y, Le journalisme après Internet, Paris, L'Harmattan, 200741 Estienne, Y, Le journalisme après Internet, Paris, L'Harmattan, 200742 Chiffres issu du rapport annuel de la société Technorati sur la blogosphère : State Of The Blogosphere 200943 Estienne, Y, Le journalisme après Internet, Paris, L'Harmattan, 2007

Marion Lecointre – Mémoire professionnel – Paris IV - Master II Conseil Editorial – Promotion 2009-2010 26

Page 27: Information en ligne : quel écosystème pour demain ?

Les agences de contenus

En même temps qu'est apparue, pour les entreprises (au sens large), la nécessité d'aller sur

Internet, se sont développées les SSII (Sociétés de services en ingénierie informatique) et autres

Web agencies et avec elles le marché de la conception, réalisation et maintenance de sites web.

C'est dans ce cadre qu'a notamment germé le marché des agences spécialisées dans la production

de contenus et services en ligne, proche du modèle des agences de presse, à savoir le B2B

(Business to Business)qu. Afin de pouvoir s'imposer sur le marché de l'information en ligne, ces

agences de contenus se sont spécialisées : dans le sport, la culture, les nouvelles technologies, la

science, etc. Deux modèles coexistent : la production de contenus en flux continu et l'édition

déléguée. Les premières veillent, collectent, traduisent et produisent des informations que les

clients vont consommer via l'abonnement à un fil de dépêches ou l'achat à l'acte puis exploiter

sur leurs propres sites. Les secondes produisent et vendent de l'information personnalisée en sus

d'une expertise éditoriale à l'intention de clients distincts. Elles produisent à la demande et

rentrent dans une relation client durable.

Les usines à contenu ou médias à la demande

« C'est un vieux fantasme de la presse et de l'édition : savoir précisément ce que le public

a envie de lire à un moment donné. Pour vendre plus et attirer davantage les publicitaires. (...)

Aujourd'hui, Internet et des outils statistiques tels ceux développés par Google (Google Trends,

Google Analytics) donnent la possibilité de savoir sur quels articles les internautes « cliquent »

le plus, quels sont les thèmes qu'ils cherchent sur les moteurs de recherche. Des informations

d'autant plus précieuses que plus de la moitié du trafic arrive désormais sur les sites de contenu

à partir des moteurs. »44 De nouveaux acteurs45 n'ont pas tardé à comprendre le potentiel du

média à la demande et d'asseoir le règne de l'information sur-mesure et/ou automatisée. On

notera notamment le portail Associated Content (les internautes y publient des articles liés à

l’actualité, des photos et des vidéos sur les sujets de leur choix en échange d’une rémunération :

le libre choix est censée coller aux inspirations des internautes/consommateurs), récemment

racheté par Yahoo!, mais surtout la société Demand Media qui fournit de nombreux sites en

contenu. Ce dernier dispose d'algorithmes puissants à même de connaître les sujets les plus

recherchés par les internautes, mais également ceux à même de rapporter le plus d'argent en

44 Ducourtieux, C, Ternisien, X, « Quand les internautes dictent l'actualité » in Le Monde, 14 juillet 2010 : http://www.lemonde.fr/technologies/article/2010/07/13/quand-les-internautes-dictent-l-actualite_1387326_651865.html# (15/08/2010 à 15h33)

45 Shaver, D, « Yoir Guide to Next Generation 'Content Farms' » in Mediashif, 19 juillet 2010 : http://www.pbs.org/mediashift/2010/07/your-guide-to-next-generation-content-farms200.html#comment-171240 (15/08/2010 à 17h25)

Marion Lecointre – Mémoire professionnel – Paris IV - Master II Conseil Editorial – Promotion 2009-2010 27

Page 28: Information en ligne : quel écosystème pour demain ?

consultation. Une fois ces paramètres déterminés, des milliers de rédacteurs freelance, « non

professionnels » et payés au rabais, produisent des contenus ad hoc. Sorte « d'industrialisation

de la « pige » traditionnelle »46. Où la pertinence du fond compte moins que son potentiel à

générer des revenus47. Ainsi, dans les deux cas, le principe se fonde sur l’industrialisation de la

production de contenu pour le web (plus exactement pour les moteurs de recherche) et sa

monétisation par la publicité (achat de mots clefs chez Google Adwords, affichage de pubs

ciblées). Le calcul est simple : « Chiffre d’affaires pub sur le contenu – (coût de l’article + coût

total d’acquisition ). Si le résultat est positif, vous avez gagné de l’argent sur ce contenu. L’idée

est d’en produire un maximum pour jouer sur le volume. »48 Bien que la majorité des sujets ainsi

produits rentrent dans la catégorie « pratique », il est intéressant de constater qu'un acteur tel que

Yahoo! vient de décider de créer un blog d'information, The Upshot, dont les contenus d'actualité

sont dictés par de tels algorithmes. Aussi, The Huffington Post, le pure player d'information

politique le plus influent outre atlantique, vient de racheter une société d'étude d'opinion.

La machine à contenu

Via des algorithmes d'une complexité toute autre, des ordinateurs sont désormais à même

de produire du contenu d'actualité49. Un programme d'intelligence artificielle50 permet déjà de

couvrir des événements sportifs et vise bientôt l'actualité financière. Egalement, ce programme

expérimente la fabrication de mini-journaux télévisés pour Internet. Au global, l'idée est ici de

pouvoir débarrasser les journalistes des tâches les moins nobles pour pouvoir se recentrer sur des

exercices plus pointus (enquêtes, reportages...). Et déjà, des rapprochements vers les médias se

font afin de créer des outils de veille et de collecte d'information.

46 Ducoutieux, C, Ternieisen, X, « Quand les internautes dictent l'actualité » in Le Monde, 14 juillet 2010 : http://www.lemonde.fr/technologies/article/2010/07/13/quand-les-internautes-dictent-l-actualite_1387326_651865.html# (15/08/2010 à 15h33)

47 Chez Suite101 par exemple, société canadienne présente en France, les auteurs sont rémunérés si les publicités associées à leurs articles sont « cliquées ».

48 Raphaël, B, « Quel avenir pour le 'media on demand' ? » in La Social Newsroom, 23 juillet 2010 : http://benoitraphael.com/2010/07/23/quel-avenir-pour-le-media-on-demand/ ((15/08/2010 à 17h32)

49 Lire à ce propos : Eudes, Y, « L'ère des robots-journalistes » in Le Monde, 10 mars 2010 : http://www.lemonde.fr/actualite-medias/article/2010/03/09/l-ere-des-robots-journalistes_1316608_3236.html (15/08/2010 à 18h18)

50 Baptisé Stats Monkey, il est conçu dans l'Illinois, aux USA, dans le laboratoire d'information intelligente (Infolab), installé sur le campus de l'université du Northwestern.

Marion Lecointre – Mémoire professionnel – Paris IV - Master II Conseil Editorial – Promotion 2009-2010 28

Page 29: Information en ligne : quel écosystème pour demain ?

b) Diffusion

Aujourd'hui, la difficulté première des médias en ligne réside dans la captation de

l'attention de l'audience : bien que se fût toujours été l'un des objectifs majeurs du marketing

éditorial, à l'heure d'Internet cela devient un enjeu de premier ordre, duquel dépend en premier

lieu la survie financière des titres. Alors même que les consommateurs ont des usages de plus en

plus volatiles, éclatés, individualisés, et que le processus de désintermédiation tend

progressivement à faire disparaître le rôle de « médiateur », de diffuseur de l'information,

préalablement affecté aux journalistes. Nous recensons ici les différents canaux et terminaux de

distribution de l'information empruntés par les médias, utilisés par les consommateurs.

Des canaux éclatés...

La newsletter et l'alerting

Une à plusieurs fois dans une même journée, les producteurs d'information transmettent à

leurs lecteurs, préalablement abonnés à leur newsletter, les informations dernièrement publiées,

directement dans les boîtes mails. La plupart offrent aussi la possibilité de personnaliser des

alertes (thématiques, localités, etc). Ainsi, chaque fois qu'est publiée sur le site une information

susceptible d'intéresser l'abonné, celui-ci reçoit un mail le prévenant. La même logique d'alertes

se répercute via les applications mobiles.

Les agrégateurs de flux RSS

--> Personnalisés. Pas un site ne manque aujourd'hui de proposer des abonnements à des

fils RSS. Ce procédé permet à l'internaute de recevoir, via sa boîte mail ou des outils agrégeant

ces flux, l'information qui l'intéresse, et ce en temps réel, sans nécessité de se rendre sur le site

d'origine. Et ces outils (Google Reader, Netvibes, Feedly...) de permettre à l'utilisateur

d'organiser sa page en diverses rubriques qu'il aura préalablement créé, d'y classer ses différents

flux, et par ordre de préférence, puis de choisir éventuellement la présentation qui lui convient.

--> Communautaires. On notera également que ces agrégateurs RSS permettent de voter

et/ou partager les contenus avec d'autres membres : on parle alors de recommandation. Sorte de

filtre social qui vient enrichir le filtre de base de l'algorithme. Les plus connus sont ici Digg ou

Delicious. Dans le cas du premier, le contenu est signalé (recommandé) par un utilisateur puis

commenté et noté par les autres membres du site : ainsi s'effectue la hiérarchisation de

l'information. Le second est lui un outil permettant de sauvegarder ses bookmarks puis Marion Lecointre – Mémoire professionnel – Paris IV - Master II Conseil Editorial – Promotion 2009-2010

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Page 30: Information en ligne : quel écosystème pour demain ?

éventuellement de les partager avec le reste des membres : on le décrit souvent comme un outil

de veille collaborative. Proche de cette logique, de nouveaux sites offrent d'agréger l'ensemble

des liens partagés par votre réseau Twitter puis de les mettre en scène à la manière d'un journal.

--> Editorialisés. C'est le cas du Huffington Post outre atlantique qui sélectionne, selon

une ligne éditoriale définie (centre gauche de la vie politique), des contenus principalement issus

de blogs. De même, The Drudge Report aux USA ou Aaliens, en France, agrègent des liens vers

des contenus préalablement choisis. Owni, en France également, agrège l'intégralité des contenus

sélectionnés par son équipe selon une ligne éditoriale déterminée. L'utilisateur va ainsi aller sur

ces sites parce qu'il y trouvera du contenu sélectionné par des personnalités qualifiées, en

lesquelles il a confiance et avec lesquelles il partage une même vision.

--> Automatiques. Le plus connus étant Google Actualités, qui agrège sur une même

page des contenus issus de sites d'informations référencés par le moteur Google, via un

algorithme qui permet en outre de « clustériser » (rassembler par similitudes) différents contenus

se rapportant à un même sujet, ou encore de les classer par rubriques. Wikio fait peu ou prou la

même chose, en y ajoutant en plus des contenus issus de blogs, tandis que 2424actu agrège lui

des contenus multimédias (vidéo et audio (jouables sur le site), texte (liens profonds))51 .

--> Mobiles. On notera ici que ces agrégateurs ne se suffisent plus aux sites web mais

sont également présents sur smartphones (LeNews, 2424actu...) et sur tablettes numériques

(Apollo, Pulse, Flipboard...).

Les réseaux sociaux

L'information transite énormément via les réseaux sociaux, espaces numériques qui

regroupent des millions d'internautes et occupent une bonne partie du temps de connexion. Les

producteurs d'information l'ont bien compris et tentent un maximum d'occuper ces espaces et d'y

diffuser leur information : ce sont les rôles des community managers. Mais le partage

d'information se fait le plus souvent (et est le plus efficace) de membre à membre, par

recommandation (mes amis l'ont aimé, je devrais également l'aimer). Plus que Facebook, Twitter,

un réseau communautaire d'information, est le lieu symbolique de ces échanges.

La blogosphère

On notera également que la blogosphère joue un rôle important dans la diffusion de

l'information : d'une part via son rôle de commentateur, d'autre part via l'ensemble des liens

51 Ce dernier a aussi la particularité de signer des contrats autorisant cette agrégation avec des partenaires (ce qui restreint le panel de contenus agrégés), ce que ne fait pas un Google Actualité par exemple (mais ce qui lui permet de promettre une offre exhaustive).

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Page 31: Information en ligne : quel écosystème pour demain ?

hypertextes présents dans les billets et renvoyant à autant de contenus d'information.

Le moteur de recherche

Ne l'oublions pas, il est le premier vecteur d'audience des sites médias. De fait,

l'optimisation du référencement est devenu un poste essentiel au sein des rédactions web auquel

s'ajoute l'achat de mots clefs chez Google Adwords.

Que l'internaute soit dans une attitude passive ou active face à l'information, qu'il

recherche une information recommandée par ses amis ou par des pairs qualifiés, il s'orientera

vers l'une ou l'autre de ces solutions. Aux médias d'être présents et de parvenir à s'adapter à

chacun de ces canaux et chacune de ces attitudes.

... et des terminaux multiples

Le site n'est plus le lieu incontournable de connexion à l'information. D'autres terminaux

permettent, instantanément et de n'importe où, d'accéder à l'information en ligne – devenue par là

même une information connectée. Les smartphones et autre tablettes numériques affirment le

règne de la mobiquité : où qu'il soit, l'utilisateur va pouvoir consulter l'application de LeMonde,

de LePost ou de Rue89, être alerté par ces mêmes applications dès qu'une information nouvelle

est publiée. Bien installé dans son fauteuil, le télénaute va se connecter à 2424actu via son

téléviseur. L'ordinateur n'est plus qu'un medium comme un autre, davantage tourné vers le travail

et la recherche active d'information, tandis que les terminaux sus mentionnés servent à une

consultation plus passive. Dans ces conditions, les médias en ligne mettent en place des

dispositifs spécifiques, en réponses à ces différentes attentions : des applications dédiées mais

également des contenus dédiés (de l'audio, de la vidéo, du texte, ou les trois à la fois) selon les

terminaux et attitudes de consommation visés. Car demain, peut-être faudra-t-il compter avec des

panneaux urbains interactifs à même d'alerter les badauds et de leur donner la possibilité de se

connecter, via leurs smartphones, à des sites d'information ; avec le web des objets ; avec la radio

numérique ; etc. Soit une information pervasive à laquelle il faudra nécessairement s'adapter.

On le voit, production et circulation de l'information se décentralisent progressivement et

de plus en plus rapidement. Alors qu'il importe d'ajuster constamment l'offre à un présent

instable, il est encore plus nécessaire de trouver les capacités de se projeter en avant. Dans un

futur qui arrive à grande vitesse.Marion Lecointre – Mémoire professionnel – Paris IV - Master II Conseil Editorial – Promotion 2009-2010

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Page 32: Information en ligne : quel écosystème pour demain ?

2) Nouvel ADN informationnel

Nous venons de le constater, avec l'évolution des pratiques professionnelles et la

multiplication et diversification des acteurs de l'information sur Internet, l'information, telle

qu'auparavant envisagée, évolue : émission, réception, environnement de production et de

diffusion, pratiques. Arrêtons-nous un instant pour tenter de cerner certaines caractéristiques, du

moins des tendances, de l'information en ligne52.

a) Eclatement de la chaîne de valeur

Une information décentralisée. Les médias traditionnels, malgré l'existence de leurs « doubles

numériques » sur la toile, se voient concurrencés par des acteurs hors médias, toujours plus

nombreux : grands groupes mondiaux de l'Internet proposant à la fois moteurs de recherche et

sites agrégateurs d'information ; organisations privées ou publiques diffusant de manière

autonome leurs propres informations ; les citoyens via les blogs, réseaux communautaires et

autres sites participatifs.

Une information déterritorialisée. Alors que les entreprises de presse traditionnelle se

caractérisent par un territoire spécifique de production et de diffusion de l'information, cette

dernière, via le web, a désormais la capacité de s'adresser à la planète entière. En découle un

public potentiel plus éclectique mais aussi fugace, éphémère, et difficile à fidéliser. En découle

également un frein en terme de développement face aux concurrents internationaux : la langue.

Une information hyper fragmentée. De moins en moins fidèle, le lecteur picore, à l'image du

zapping, ici une information sur le site de Le Monde, là une autre sur un blog... De fait, près des

deux tiers de l'audience d'un site provient des moteurs de recherche, de la recommandation, du

« buzz », et des flux RSS.

52 Nous nous sommes ici inspirés des travaux de Benoît Raphaël et Nicolas Pélissier. Raphaël, B, « Les 8 nouveaux gènes du nouvel ADN de l'information » in Demain tous journalistes ?, 10 janvier 2008 : http://benoit-raphael.blogspot.com/2008/01/mdias-les-8-nouveaux-gnes-du-nouvel-adn.html (05/09/2010 à 19h26). Pélissier, N, « L'information à l'heure d'Internet » in Information, médias et Internet, Paris, Cahiers français de La documentation française, n° 338, mai-juin 2007

Marion Lecointre – Mémoire professionnel – Paris IV - Master II Conseil Editorial – Promotion 2009-2010 32

Page 33: Information en ligne : quel écosystème pour demain ?

b) Modification des pratiques journalistiques

Une information hypertextuelle. A l'ère d'Internet, l'écriture journalistique évolue et lien

hypertexte en est l'outil principal. Sont privilégiés des textes courts, agrémentés de nombreux

liens renvoyant à d'autres documents à même de préciser un terme, d'approfondir une réflexion,

de contextualiser, de poursuivre un débat, de fournir un témoignage, etc. Sur Internet, le

journalisme se doit d'être ouvert, non conservateur.

Une information multimodale. Internet permet une diffusion multicanal de textes, images fixes

et animées, documents sonores et vidéos. Où les sites-titres peuvent retranscrire une information

issue du titre papier via l'outil vidéo, agrémenter une autre à l'aide d'un diaporama photo ou d'un

entretien sonore. Où une radio va pouvoir diffuser sur son site et de manière écrite les nouvelles

diffusées sur ses ondes, etc. Dans la logique du Rich Media, et si l'usage des divers outils

multimédia est fait de manière pertinente, une même information peut être déclinée en divers

angles, via différents formats, tous mis en relation les uns avec les autres pour une meilleure

compréhension du sujet.

Une information arythmique : alors que les médias traditionnels disposent d'une périodicité

établie, sur Internet l'information est délivrée en flux tendu et, sur les sites d'information, se

côtoient flux continu et de périodicités variables. Aussi, il n'est pas rare qu'un article mis en ligne

directement après sa rédaction, concernant par exemple un événement venant tout juste de se

produire, soit par la suite actualisé et complété au gré des dépêches. Ainsi, l'information est en

chantier permanent, un « work in progress » qui s'enrichit continuellement.

Une information formatée et recyclée. Si l'on s'intéresse à la forme des sites d'information, le

constat est claire : beaucoup ont fait le choix du fil d'actualité et du modèle tabulaire, ou restent

encore assez influencés par le support journal – il faut aller de l'autre coté de l'Atlantique pour

espérer trouver des modèles plus innovants. Quant au fond, l'information délivrée par les sites

d'information est peu ou prou la même d'un site à l'autre. D'une part les journalistes de ces

rédactions ont souvent les mêmes sources d'information (veille effectuée sur d'autres sites web

traitant de l'actualité, dépêches d'agence, blogs influents...) et, pis, les rédactions web des sites

souffrent d'un manque de moyens alloués en terme d'argent, de temps et d'outil propres à

produire des reportages ou une information originale. En découle la généralisation d'un

journalisme de desk, basé sur le copier-coller. Pas de grands reporters au sein des rédactions web

et peu de journalistes spécialisés auxquels donner du temps. Aussi, à l'heure où tout le monde

Marion Lecointre – Mémoire professionnel – Paris IV - Master II Conseil Editorial – Promotion 2009-2010 33

Page 34: Information en ligne : quel écosystème pour demain ?

rentre dans la course à l'audience afin de maintenir voir faire progresser les revenus publicitaires,

chacun s'essaie à produire une information qui sera par la suite bien classée dans Google

Actualité. Or, Google Actualité favorise les comportements moutonniers en mettant en avant les

articles traitant des sujets les plus... traités. Alors que, dans les médias traditionnels, tout auteur

d'un scoop était le héros du jour, dans l'univers Google, un site dévoilant un scoop ou toute autre

information inédite sera de fait pénalisé. Dans une étude53 menée par les universitaires Franck

Rebillard, Emmanuel Marty et Nikos Smyrnaios, est précisément démontré le paradoxal manque

de pluralisme de l'information et la redondance de celle-ci sur internet.

Une information automatisée. Nous avons mentionné quelques exemples plus haut : le système

de syndication (dont le flux RSS est le plus répandu), et le modèle de Google Actualité basé sur

un système d'algorithmes. Il s'agit bien évidemment d'une logique d'intermédiation, ressentie

comme automatique, non de production de l'information journalistique. On rappellera ici des

exemples de journalisme de liens sus mentionnés (Aaliens, The Drudg Report, LeFocus), qui

prouvent que certains ont compris l'intérêt de filtrer, trier et éditorialiser les flux d'information,

aussi externes soient-ils. Dire oui à l'automatique, et y apporter sa valeur ajoutée.

c) Renouveaux des rapports à l'information

Une information personnalisée. Alors que le modèle traditionnel des médias de masse se base

sur le one-to-many, il s'opére aujourd'hui un glissement vers une communication sociale de type

one-to-one. De la production d'une information indifférenciée à l'intention du public, perçu

comme une entité, les médias en-ligne tendraient aujourd'hui vers une personnalisation de

l'information délivrée au public. De plus en plus de médias proposent aux internautes de se

constituer sur Internet un journal à la carte. Le service allemand Niiu.de propose d'imprimer et

acheminer à domicile un journal composé à la demande par le client (sur la base des contenus

d'une vingtaine de journaux allemands et étrangers et de 600 blogs). Ainsi, l'internaute peut

choisir ses rubriques (régionales, culturelles, sport...) et le dosage qu'il désire entre celles-ci. Par

ailleurs, l'abonnement à des flux RSS, l'émergence de services tel Netvibes, ou encore la logique

de hiérarchisation des informations par échelle de popularité témoignent de cette tendance.

Une information socialisante. L'utilisation que le lecteur/internaute fait aujourd'hui de

l'information importe véritablement pour mieux comprendre les évolutions possibles et futures

53 L'intégralité de l'étude est consultable sur : http://nikos.smyrnaios.free.fr/francais/communications.html, et des extraits de celle-ci sur : http://www.bakchich.info/Infos-le-net-en-circuit-ferme,07902.html

Marion Lecointre – Mémoire professionnel – Paris IV - Master II Conseil Editorial – Promotion 2009-2010 34

Page 35: Information en ligne : quel écosystème pour demain ?

de celle-ci : il va pouvoir apporter sa contribution en commentant ou en « bloguant » un article,

le partager avec ses amis, récupérer un contenu visuel (photo, vidéo, flash) pour alimenter son

blog ou sa page Facebook, corriger un article, apporter son témoignage, sa photo ou sa vidéo,

jouer avec l'actualité (test, quizz...), etc.

Une information participative. Alors que, dans la communication médiatique traditionnelle, la

participation du public est restreinte et cadrée, limitée au courrier des lecteurs ou encore aux

émissions radiophoniques de libre antenne, sur les sites d'information la participation des

internautes s'opère d'une toute autre manière. Grâce aux forums et plus encore aux commentaires

postés sous les articles, les journalistes ont un retour direct, et parfois brutal, du public sur leur

travail. Aussi, les blogs de journalistes, hébergés ou non sur le site au sein duquel ils exercent,

renouvellent la relation au public, permettent un dialogue durable avec celui-ci, parfois fécond et

riche d'enseignement – bien qu'il ne faille pas taire le fait qu'une grande majorité des

commentaires des internautes est violente, futile, voire hors de propos, mais n'est ce pas là la face

négative bien que nécessaire de la libre expression ? Il convient également ici de mentionner les

nouvelles possibilités offertes par le Web 2.0 en terme de partage collectif à distance de

l'information, dans la logique du many-to-many. Ainsi, sur des sites participatifs d'information

tels que Rue89 ou Agoravox, le public peut devenir co-producteur de l'information en proposant

sujets ou textes validés ensuite par l'équipe rédactionnelle. Ici, la profession de « community

manager » est significative : il s'agit d'animer la communauté d'une marque média, mais

également de faire remonter informations et témoignages jusqu'aux yeux des journalistes, ensuite

à même d'actualiser un article, en produire un autre.

On le comprend, alors même que les acteurs médias se confondent de plus en plus avec

les protagonistes hors médias, l'information en ligne répond à de nouveaux critères de

production, diffusion, consommation, et ne possède pas de frontière, est poreuse dans l'Internet.

Si les médias en ligne tentent de faire avec en faisant évoluer leurs pratiques, une évolution,

parmi celles sus mentionnées, semblent toutefois inquiéter plus profondément encore les

professionnels de l'information en ligne : la montée en puissance des « infomédiaires », accusés

de freiner et de bénéficier dans le même temps des efforts des premiers.

Marion Lecointre – Mémoire professionnel – Paris IV - Master II Conseil Editorial – Promotion 2009-2010 35

Page 36: Information en ligne : quel écosystème pour demain ?

III - Les « infomédiaires » en ligne : de nouveaux mercenaires ?

Nous avons précédemment évoqué le cas des acteurs hors médias qui concurrencent en

ligne les acteurs traditionnels de l'information, d'une part en terme de production des contenus,

d'autre part sur le terrain de l’édition et de la diffusion. Nous allons ici plus particulièrement nous

intéresser aux intermédiaires des contenus d'actualité en ligne - portails généralistes et surtout

agrégateurs d'information en ligne. Ces derniers, appelés « infomédiaires », sont clairement

montrés du doigt par les médias d'information en ligne en ce qu'ils sont accusés de voler leurs

contenus, à savoir de les exposer aux internautes sans demande préalable ni contre-parties

financières, alors même que ces nouveaux acteurs bénéficient d'une forte audience – audience

qui n'irait plus vers les sites d'origine. Une bataille qui n'aide pas à apaiser la crise qui touche les

médias jusqu'à frustrer les tentatives d'innovation de ces derniers. Alors, qui a tort et qui a

raison ? Bien sûr la problématique n'est pas à poser en ces termes – qu'il importe urgemment de

dépasser. Aussi et surtout, observer les relations qu'entretiennent infomédiaires et fournisseurs de

contenu aide notamment à mieux comprendre l’organisation socio-économique de la filière, et

ses enjeux en terme de création, pluralisme et viabilité54.

1) Du portail à l'agrégateur de contenu d'actualité

Arrêtons-nous un moment sur le cas des portails généralistes tels que ceux de Yahoo!,

MSN ou encore Orange. Et commençons avec cette définition formulée par Yannick Estienne55 :

« Un portail peut être défini comme un site Web dont la vocation est d'être symboliquement la

« porte » que l'internaute emprunte pour accéder aux contenus du Web, une interface obligée en

quelque sorte. » Il y a des acteurs dont la fonction de portail est le coeur de métier, tel que

Yahoo!, et d'autres dont cette activité est mise au service de leur démarche commerciale, tel que

les opérateurs de télécommunication par exemple. Et l'auteur d'évoquer ainsi la double fonction

remplie par le portail : « D'une part, en tant que carrefour virtuel du web, il génère de l'audience

et constitue une vitrine promotionnelle idéale. D'autre part, avec son interface pour les abonnés,

il permet la gestion en ligne de la relation client. »

54 Franck Rebillard et Nikos Smyrnaios se sont appliqués à étudier ces relations dans un article intitulé « Les infomédiaires au coeur de la filière de l'information en ligne. Le cas de Google, Wikio et Paperblog » in Presse en ligne, Rebillard, F, Smyrnaios, N, Réseaux, n°160-161, Paris, La Découverte, 2010. Nous reprenons ici pour partie leurs résultats.

55 Estienne, Y, Le journalisme après Internet, Paris, L'Harmattan, 2007Marion Lecointre – Mémoire professionnel – Paris IV - Master II Conseil Editorial – Promotion 2009-2010

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Page 37: Information en ligne : quel écosystème pour demain ?

Logiquement, se retrouve alors sur ces portails une multitude de services au sein de

laquelle s'inscrit l'actualité : « Pour « capter » l'internaute et le retenir le plus longtemps

possible sur le site, on lui propose gratuitement de l'information. L'internaute a en un minimum

de clics accès à un panorama de l'actualité « chaude » dans le ou les domaines susceptibles de

l'intéresser », explique Yannick Estienne. Mais, parce que l'information n'est pas le coeur de

métier de ces acteurs, ceux-ci externalisent l'activité, pour ne se concentrer que sur un aspect de

l'offre : « Le travail proprement éditorial de l'équipe qui a la charge de faire vivre la « Home »

du site-portail consiste à sélectionner et à hiérarchiser les informations disponibles. (...)

Toutefois, si les choix éditoriaux effectués par le personnel des site-portails sont le plus souvent

dictés par « l'actualité » - d'après la définition qu'en donnent les journalistes – les impératifs

commerciaux de la société éditrice du site-portail (fidéliser et attirer les clients) ont fortement

tendance à déterminer ces choix. » A savoir une priorité donnée à l'information sensationnelle ou

encore aux « marronniers ». Reste encore à comprendre d'où provient, et comment, l'information

visible sur ces portails.

Les premiers fournisseurs d'information de ces acteurs sont les agences de presse

(l'Agence France Presse, Reuters, Associated Press) qui ont ainsi trouvé un moyen de diversifier

leurs revenus et répartir leurs coûts de production. Aussi, les portails tissent des partenariats avec

d'autres agences de contenus spécialisées mais également des médias en ligne et des pure-

players. Ainsi, des producteurs traditionnels se sont mis à la syndication56 en vendant notamment

des articles et dossiers prêts à l'emploi. De même, l'hébergement de blog (tel que le Bondy Blog

sur Yahoo!) est une autre source de contenus pour les site-portails.

On le voit, les portails opèrent des partenariats avec des producteurs traditionnels de

l'information, en toute légalité et contre rémunération. Une situation inverse à celle de Google

Actualité, qui agrège et organise les informations des producteurs d'information du Web sans

demande préalable. Ou encore Wikio qui, précisément parce que les relations avec les

producteurs devenaient délicates, s'est repositionné en septembre 2010 sur le terrain des médias

sociaux. Mais rentrons plus précisément dans l'univers des agrégateurs d'actualité et les relations

qu'ils « tissent » avec les producteurs traditionnels de l'information en ligne.

56 Le fait de vendre à plusieurs diffuseurs le droit de reproduction d'un contenu.Marion Lecointre – Mémoire professionnel – Paris IV - Master II Conseil Editorial – Promotion 2009-2010

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Page 38: Information en ligne : quel écosystème pour demain ?

2) La fonction d'infomédiation

Dans un article57 récemment publié dans la revue Réseaux, les universitaires Franck

Rebillard et Nikos Smyrnaios expliquent que la notion d' « infomédiation » - un néologisme issu

de la contraction des termes « information » et « intermédiation » - a été introduite en 1981 par

Kimon Valaskakis pour définir « le processus par lequel un nombre croissant d’activités

humaines, dans différents domaines,(…) sont en passe soit d’être médiées soit d’être remplacées

par des appareils high tech de traitement de l’information ». Le terme s'est ensuite émancipé

pour être utilisé, d’abord aux États-Unis puis en Europe, afin de désigner le métier de courtier en

information, sur le modèle de l’intermédiation professionnelle de la presse classique (vente de

revues de presse, argus…). A la fin des années 1990, des chercheurs de Harvard l’ont appliqué à

Internet et, progressivement, le concept d'infomédiation s'est logiquement étendu à divers

domaines du Web. L'idée, qui repose sur l'hypothèse que trop d'information tue l'information,

consiste à repérer et organiser, parmi le flux, l'information utile à l'internaute, qu'il soit une

entreprise (veille stratégique et d'opinion) ou un consommateur lambda (revue de presse

personnalisée ou synthétique, recherche). De fait, « présenté comme un facteur d'entropie, le

phénomène d'abondance informationnelle [impulsé par le Web] [était] à l'origine d'un nouveau

marché. »58

Spécifiquement ici, nous allons nous intéresser à l'agrégation de contenus d'actualité à

destination du grand public. Nous mettrons volontairement de côté le cas des agrégateurs de flux

RSS personnalisés tels que Google Reader ou Feedly – sorte de logiciel on line via lequel

l'utilisateur décide des fils RSS agrégés et de leur agencement -, et nous nous attacherons plus

précisément au cas de site-agrégateurs tels que Google Actualité ou Wikio.

a) Définition

En guise de base d'acceptation, convoquons ici les définitions de Franck Rebillard et

Nikos Smyrnaios en matière d'infomédiation : « Il s’agit d’une activité (...) d’extraction et de

classement de contenus en lien avec l’actualité, matériaux numériques divers et variés produits

et rendus disponibles par une multitude de tiers (...). L’infomédiation désigne ainsi le plus

souvent la fonction consistant à relier des besoins ciblés et des ressources pertinentes au sein de

volumes de données considérables et hétérogènes. » Et les auteurs de dresser dans leur article ce

57 Rebillard, F, Smyrnaios, N, « Les infomédiaires au coeur de la filière de l'information en ligne. Le cas de Google, Wikio et Paperblog » in Presse en ligne, Réseaux, n°160-161, Paris, La Découverte, 2010

58 Estienne, Y, Le journalisme après Internet, Paris, L'Harmattan, 2007Marion Lecointre – Mémoire professionnel – Paris IV - Master II Conseil Editorial – Promotion 2009-2010

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Page 39: Information en ligne : quel écosystème pour demain ?

constat, justifiant le besoin urgent d'intermédiation sur Internet : « Les industries culturelles et

médiatiques sont caractérisées par une surproduction de contenus, et conséquemment par un

goulet d’étranglement au niveau de la distribution-diffusion. Avec l’Internet, ce phénomène de

surproduction des contenus s’accentue en raison des coûts réduits de publication sur le Web. Il

se double en outre d’une composante nouvelle, liée au caractère archivable et semi-public des

échanges informels entre internautes. Tous ces éléments s’additionnent pour former au final un

vaste ensemble de productions discursives numérisées, en s’inscrivant plus largement dans un

procès d’ « informationnalisation » qui rend d’autant plus nécessaires des dispositifs de

repérage dans ces volumes considérables et hétérogènes de données. Il en résulte une situation

où, sur l’Internet, une offre élargie et gratuite de matériaux numériques doit être mise en

relation avec une demande éclatée et individualisée. (...) La filière de l’information en ligne

n’échappe pas à ce mouvement général. »

Effet paradoxal : alors que certains intermédiaires disparaissent avec Internet (phénomène

de désintermédiation) de nouveaux apparaissent (phénomène de réintermédiation), un double

mouvement aidé par la baisse des coûts logistiques pour produire de l'information et pour

atteindre l’utilisateur. Face à la crise de l'audience que connaissent les producteurs traditionnels

de l'information en ligne, de nouveaux acteurs montent ainsi en puissance en s'appropriant le rôle

de médiateur préalablement effectué par les médias et en parvenant du même coup à faire montre

d'une audience significative, et par là même d'une stratégie qui réussit.

b) Positionnement stratégique

Dans leur article, Franck Rebillard et Nikos Smyrnaios étudient59 notamment le cas des

infomédiaires que sont Google Actualité60, Wikio61 et Paperblog62 afin d'en faire ressortir certains

traits communs et différenciations, le tout délimitant le positionnement stratégique, en terme

d'audience et par là de revenus, de ces nouveaux acteurs de l'information en ligne, ainsi qu'une

ambition partagée : « exploiter l’externalité positive que constitue pour leur activité

l’information non marchande (blogs) ou gratuite (éditeurs) disponible sur le web »63. Nous

reprenons ici deux points saillants de leur activité : la meta-éditorialisation et la spécialisation.

59 Nous renvoyons à lecture de leur article pour une compréhension approfondie des fonctionnements des infomédiaires étudiés.

60 Le portail « actualité » du moteur de recherche Google.61 Un agrégateur de liens pointant vers des contenus professionnels (médias) et amateurs (blogs). 62 Un agrégateur de contenus amateurs (blogs).63 Rebillard, F, Smyrnaios, N, « Les infomédiaires au coeur de la filière de l'information en ligne. Le cas de

Google, Wikio et Paperblog » in Presse en ligne, Réseaux, n°160-161, Paris, La Découverte, 2010 Marion Lecointre – Mémoire professionnel – Paris IV - Master II Conseil Editorial – Promotion 2009-2010

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Page 40: Information en ligne : quel écosystème pour demain ?

Au delà de la recherche et collecte de contenus, permises par leurs algorithmes respectifs,

les infomédiaires méta-éditorialisent ces ressources selon des logiques particulières, qui forment

leurs spécificités, en terme de regroupement et hiérarchisation des contenus (selon les sujets, les

appétences, les recommandations sociales...). Ainsi, leurs méthodes de travail et choix

d'organisation des données (automatique, manuelle, communautaire) divergent pour s'adapter à

leurs cibles et marchés respectifs. De la même manière, chacun se spécialise dans un segment

spécifique de l'information en ligne. Tout en répondant d'un même projet, ces acteurs offrent

alors différentes manières d'accéder à l'information recherchée par les utilisateurs, se rendant

ainsi d'intérêt aux yeux de ces derniers. On notera ici l'émergence récente d'agrégateurs de

contenu sur iPad qui, comme sur le web, risquent de contraindre les espérances des producteurs

de l'information en ligne – qui voyaient paradoxalement dans l'iPad un sauveur. D'autant que ces

agrégateurs d'un genre nouveau jouissent d'une pertinence certaine en terme de filtrage du flux

informationnel. A l’image de Flipboard dont l’objet est d’agréger, filtrer et mettre joliment en

forme l’ensemble des informations partagées via les réseaux sociaux de l'utilisateur. A l’image

aussi d’Apollo News qui promet de livrer l’information la plus en phase avec les intérêts de

l'utilisateur, et ce de manière de plus en en plus précise au fur et à mesure de ses connexions.

Ainsi s'inscrit la différence essentielle entre médias et infomédiaires : raisonné,

l'utilisateur choisira l'objet le plus efficace pour se repérer dans le flux. Mais, si ces acteurs

semblent au moins prouver que l'information attire encore le public, deux points sont à éclaircir.

c) Carence juridique

La fonction des infomédiaires, qui se basent sur des algorithmes de collecte, tri, sélection,

hiérarchisation, se situe à mi-chemin entre l'édition et la diffusion. De fait, en important des

contenus ou, le plus souvent, en agrégeant des liens hypertextuels, les infomédiaires recourent à

une fonction hybride de méta-éditorialisation : assemblage et mise en forme automatique de

contenus produits et éditorialisés par des tiers. Aussi, ces acteurs diffusent moins qu'il n'exposent

des contenus, en les enrichissant de logiques d'indexation et de recommandation propre à guider

l'utilisateur – ils sont en fait les destinataires d'une première diffusion qu'ils vont ensuite

orchestrer. Ainsi, les infomédiaires n'éditent ni n'hébergent de contenus. Or, de par cette

classification floue, l'activité d'infomédiation fait montre d'une carence juridique dans le droit

français. Franck Rebillard et Nikos Smyrnaios la détaillent : « La Loi pour la confiance dans

l’économie numérique du 21 juin 2004 distingue deux statuts : le statut d’éditeur, décideur

intellectuel des contenus qu’il publie sur son site, à la responsabilité juridique de publication Marion Lecointre – Mémoire professionnel – Paris IV - Master II Conseil Editorial – Promotion 2009-2010

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Page 41: Information en ligne : quel écosystème pour demain ?

équivalente à celle existant en droit de la presse ; et le statut d’hébergeur, prestataire technique

fournissant un espace informatique à des tiers, à la responsabilité juridique de publication

limitée et a posteriori puisque ne devant retirer des contenus que lorsque ceux-ci lui ont été

signalés comme illicites. Ni la définition de l’éditeur, ni celle de l’hébergeur ne semblent

toutefois parfaitement appropriées pour qualifier l’activité des infomédiaires. » Or, l'observation

démontre que la place des infomédiaires au sein de la filière de l'information en ligne, non encore

juridiquement définie, apparaît inversement « de plus en plus prégnante, jusque dans les

modèles socio-économiques qui se dessinent pour sous-tendre son développement. »

d) Déséquilibre économique

Du fait du mythe fondateur de l'Internet et des spécificités de l'économie de l'information

en ligne, la consultation des contenus d'actualité sur Internet n'est que rarement effectuée contre

paiement. Et les éditeurs de tirer des revenus indirectement de la vente d'espaces publicitaires,

intermédiation commerciale, revente de fichiers client, intégration au sein d'un groupe industriel,

etc. Très logiquement, les infomédiaires s'inscrivent dans ce même modèle du financement

indirect de l'information. Un atout en plus : ils peuvent justifier d'une promotion ciblée

« correspondant à leur position d’aiguilleur entre une offre dispersée et une demande

individualisée au sein de la filière »64. D'où le malaise entre fournisseurs de contenu et

agrégateurs : alors même que les infomédiaires sont susceptibles de gagner de l'argent grâce aux

contenus agrégés, ces premiers ne rémunèrent pas leurs sources65, quand bien même celles-ci

souffrent d'un manque de revenus qui les affaiblit. C'est là l'un des points de débat en jeu dans la

situation de « coopétition », déséquilibrée, qu'entretiennent infomédiaires et médias.

De par sa nature, la fonction d'infomédiation donne aux agrégateurs « un rôle central

dans la filière de l’information d’actualité en ligne. Elle les amène à établir des relations étroites

avec les fournisseurs de contenus, blogueurs amateurs et éditeurs professionnels, ces derniers

constituant simultanément des concurrents dans la valorisation de l’audience auprès des

annonceurs. »66 Nous allons maintenant nous intéresser plus précisément à ces relations, la

situation de coopétition qui les anime et leurs impacts sur le filière de l'information en ligne.

64 Rebillard, F, Smyrnaios, N, « Les infomédiaires au coeur de la filière de l'information en ligne. Le cas de Google, Wikio et Paperblog » in Presse en ligne, Réseaux, n°160-161, Paris, La Découverte, 2010

65 A l'exception de 2424actu qui, sans rémunérer automatiquement ses partenaires, a signé avec eux des contrats avec conditions d'exploitation, reversement majoré des revenus publicitaires et minimum garanti.

66 Rebillard, F, Smyrnaios, N, « Les infomédiaires au coeur de la filière de l'information en ligne. Le cas de Google, Wikio et Paperblog » in Presse en ligne, Réseaux, n°160-161, Paris, La Découverte, 2010

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Page 42: Information en ligne : quel écosystème pour demain ?

3) Une situation de coopétition

La situation de coopétition (coopération autant que compétition) qui se tisse entre

producteurs de contenu et infomédiaires décrit ce moment où les deux acteurs sont

simultanément partenaires et concurrents dans la filière de l’information en ligne, et notamment

sur le marché de la publicité. D'une part, chacun a besoin de l'autre : l’infomédiaire doit

nécessairement nouer des liens avec des fournisseurs de contenu tandis que ceux-ci gagnent, via

les infomédiaires, un surcroît de trafic sur leurs sites. D'autre part, les deux s'affrontent du point

de vue financier pour trouver des revenus indirects auprès des mêmes financeurs. Alors que les

infomédiaires en sortent vainqueurs, la situation de coopétition s'avère à cet égard déséquilibrée.

a) Eléments de débat

Nous prendrons ici l'exemple de Google Actualité puisque c'est bien lui qui fait l'objet,

auprès des producteurs d'information en ligne, des plus fortes critiques. Que lui est-il reproché ?

D'une part le non-respect du droit d'auteur : les producteurs estiment qu’on ne peut pas tout faire

avec un titre, un chapô, et ce sans demander la permission. D'autre part, la non-redistribution des

revenus : les contenus génèrent du trafic, de l’audience, donc des recettes publicitaires. Bien que

Google Actualité ne compte pas encore d'espaces publicitaires, il « volerait » une partie de

l'audience à des producteurs qui l'auraient par ailleurs monétisée. Mais alors que font encore ces

producteurs critiques sur les pages de Google Actualité ? Là est tout le problème : ces médias

sont dépendants du moteur de recherche Google, carrefour virtuel quasi incontournable. Se

déréférencer reviendrait à ne plus exister en ligne, sans compter que Google Actualité leur amène

tout de même une audience significative, très loin d'être négligeable. Le président du New York

Times, Arthur Sulzberger, le dit très bien : « Se plaindre de Google, c'est comme vouloir se

priver de l'oxygène dont on a besoin pour vivre »67. Mais alors que faire ?

Dans un édito de Libération paru en avril 2010, Laurent Joffrin évoque l'idée, partagée

par d'autres, d'un partage des revenus : « Faut-il brûler Google ? Non. Mais il faut le faire payer.

(...) Il faut réformer les règles qui régissent le système de distribution de l’information. Celle-ci

passe de plus en plus par un petit nombre d’acteurs mondiaux, fournisseurs d’accès à Internet

(FAI), ou agrégateurs de contenu, comme Google, qui forment un mastodonte numérique, un

monstre convivial qui broie les autres sans même s’en apercevoir. (...) Les bénéfices de Google

67 Ternisien, X, « Le New York Times fait à son tour le pari risqué de l'Internet payant » in Le Monde, 11 septembre 2010 : http://www.lemonde.fr/actualite-medias/article/2010/09/10/le-new-york-times-fait-a-son-tour-le-pari-risque-de-l-internet-payant_1409431_3236.html (10/09/2010 à 19h37)

Marion Lecointre – Mémoire professionnel – Paris IV - Master II Conseil Editorial – Promotion 2009-2010 42

Page 43: Information en ligne : quel écosystème pour demain ?

(comme ceux des FAI) sont immenses. (...) Il ne s’agit pas de subvention. Il s’agit de demander

une part modeste de bénéfices qui resteront en tout état de cause énormes. » Le SPQN et le

SPQR ont respectivement annoncé leurs projets de portail d'actualité sur le Web et de kiosque

numérique sur iPad pour contourner Google Actualité. Cela suffira-t-il ?

Du point de vue organisationnel déjà, des freins contraindraient ses efforts, comme

l'explique un ancien cadre de la presse68 : « La Presse est un des rares secteurs de l’économie

française divisée en une vingtaine de syndicats (...). Cette situation est hautement préjudiciable.

Non seulement la Presse investit lourdement dans des structures qui stigmatisent ses propres

divisions, mais en plus, elle permet à ses interlocuteurs – l’État, Google, les annonceurs – de

mener le jeu. » Et d'évoquer en outre un système de distribution aussi multiple que complexe, un

fort corporatisme, des aides nécessaires mais non structurantes, une mauvaise maîtrise d'Internet.

Ses préconisations : « Arrêter d’appauvrir les rédactions, et investir dans la qualité du contenu ;

cesser les querelles de famille et s’unir, tant sur le plan professionnel qu’industriel pour être en

mesure de discuter à part égale avec les interlocuteurs – publicitaires, moteurs de recherche –

des médias , voici (..) ce qu’il faudrait viser, mais qui implique une véritable révolution des

processus de production de l’information écrite. (...) Moins de dépendance et plus d’initiative. »

Pareillement, des voix s'élèvent pour dire aux médias en ligne leurs fautes. Le blogueur

Narvic, pour qui Google « a compris le premier ce qui avait changé », les résume : « La

rencontre de la demande et de l’offre de contenu sur internet ne s’opère plus au niveau d’un

journal et d’une marque de média, comme avec le papier. Elle s’opère article par article, à

l’unité, selon le sujet traité et la popularité ou la réputation en ligne de son auteur et l’étendue

ou la qualité de son réseau social en ligne. Il y a bien entendu toujours des processus d’édition

en ligne qui favorisent la rencontre de cette offre et de cette demande, mais ils ne résident plus

du tout dans la constitution d’un journal, représentant une vue globale et cohérente de

l’actualité du jour selon une ligne éditoriale définie par un éditeur. Ces processus, qui sont le

cœur du métier de l’éditeur, sont de plus en plus distribués, opérés de manière collective (par la

blogosphère, les réseaux sociaux…) ou automatisés par des algorithmes (agrégateurs

automatisés, moteurs de recherche), ou dans un mélange des deux (...). C’est dans l’indexation,

dans le référencement, dans la construction des popularités et des réputations en ligne, que se

joue aujourd’hui l’essentiel du processus d’édition. Et les éditeurs de presse en sont très

largement absents ! »69

68 Lagier, A (alias), « La presse écrite se meurt, vive l'information par l'écrit ! » in Owni, 19 août 2010 : http://owni.fr/2010/08/19/la-presse-ecrite-se-meurt-vive-l-information-par-l-ecrit/ (05/09/2010 à 15h36)

69 Narvic, « Les éditeurs de presse dans la nasse de l'économie numérique » in Novövision, 10 décembre 2009 : http://novovision.fr/les-editeurs-de-presse-dans-la (04/09/2010 à 21h49)

Marion Lecointre – Mémoire professionnel – Paris IV - Master II Conseil Editorial – Promotion 2009-2010 43

Page 44: Information en ligne : quel écosystème pour demain ?

Les esprits s'échauffent. Toutefois, cela n'a jamais aidé de reporter la faute sur un seul et

unique acteur, quand, de fait, une multitude de causes s'avèrent rentrer en jeu. Et c'est bien celles-

ci qu'il faudra avoir en tête au moment de repenser l'écosystème de l'information en ligne.

b) Menace réelle

Reste un constat certain : le manque de revenus à même de financer la production des

informations intermédiées par les agrégateurs, les réseaux sociaux, les moteurs de recherche, etc.

Ce qu'expliquent Franck Rebillard et Nikos Smyrnaios : « Nos trois études de cas, réalisées en

2007 et 2008, portent sur des acteurs qui ne rémunèrent pas directement la création des

contenus dont ils exploitent l’infomédiation (à de rares exceptions près comme l’accord trouvé

entre Google et l’AFP). En revanche, les rédactions numériques des médias existants (journaux,

radios, télévisions) et des agences de presse, ainsi qu’une partie des pure players (sites

participatifs et webzines), emploient des journalistes. Ces éditeurs sont ainsi les seuls à

supporter les coûts de production de l’information journalistique professionnelle, souvent au

risque de leur viabilité économique, mais doivent en partager les retombées avec les

infomédiaires. Dans ce contexte, la question importante de l’équilibre socioéconomique de la

filière, faisant se juxtaposer plusieurs modèles sans véritablement les marier, reste à résoudre. »

Difficile d'innover quand l'argent manque et que l'inquiétude guette...

En outre, au delà de ces dilemmes d'organisation socio-économique de la filière, une

question bien plus politique émerge. « La fonction d’orientation des internautes vers les sources

d’information est (...) primordiale dans une optique de pluralisme de l’information. L’Internet

présente la caractéristique d’abriter des types d’espaces publics très différents : c’est à la fois

un lieu où la consommation d’informations reste très concentrée sur quelques sites drainant des

audiences de masse, en même temps qu’un terrain pour l’expression d’opinions alternatives (...).

Assurément, les infomédiaires sont des vecteurs importants pour le développement de chacun de

ces types d’espaces publics. Ce qui se joue ici est donc plus qu’une simple opposition de

procédés de recherche et d’assemblage d’informations. C’est aussi la capacité pour certains

infomédiaires à mettre en lumière et à rendre plus accessible une représentation du monde déjà

largement diffusée ou à l’inverse moins exposée. » Comme l'information et le journalisme, la

fonction d'infomédiation a également un rôle à jouer en terme d'utilité citoyenne et

démocratique. En s'appuyant sur ce constat, parmi d'autres, nous allons dans une ultime partie

tenter de dessiner ce que pourrait être le projet d'un futur écosystème informationnel.Marion Lecointre – Mémoire professionnel – Paris IV - Master II Conseil Editorial – Promotion 2009-2010

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Page 45: Information en ligne : quel écosystème pour demain ?

IV – Un écosystème informationnel à redéfinir

Au vu de ce que nous venons précédemment d'aborder, il apparaît clairement que

l'écosystème actuel de l'information en ligne souffre d'une instabilité chronique, due à la fois à la

spécificité même de l'économie d'Internet, mais également à la difficile compréhension d'un

monde en perpétuelle évolution ou encore de querelles professionnelles contraignantes. Nous

allons ici tenter de distinguer quelques pistes pour une refonte, du moins une maîtrise plus

sereine, de cet écosystème. Qui passe nécessairement par une nouvelle approche de l'audience et

des pratiques journalistiques, mais également par une meilleure réponse face à un besoin urgent

de re-médiation ou encore une mise à plat des freins socio-économiques et politiques. Comme

précédemment, nous resterons ici attachés aux spécificités des médias et du Web français.

1) Comprendre et impliquer le public

Cela ne surprendra personne, pas de média sans public. Le journaliste écrit, filme,

enregistre, avant tout pour être entendu, aujourd'hui comme hier. Ce qui change ? Avant, le

producteur d'information pouvait faire abstraction des désirs, critiques, attentes du public.

Aujourd'hui, impossible de les ignorer quand bien même il le souhaiterait. Avec les multiples

outils statistiques offerts aux médias, les feedbacks directs des internautes sur le travail des

journalistes, ces derniers sont comme poussés à agir en conséquence. En découle régulièrement

des logiques de marketing qui impactent sur la rédaction même - qui tend a délivré ce qui est

souvent appelée une « information à la demande ». Pourtant, et malgré l'ensemble de ces outils,

qui saurait dire précisément et avec assurance quelle est son audience, quels sont ses

attachements, ses usages, ses mobiles ? Là est le problème : les statistiques ne sont qu'une

première couche d'information qu'il s'agit ensuite de qualifier.

a) Une mesure discutable

Dans son ouvrage intitulé Le Journalisme après Internet70, Yannick Estienne rappelle

comment a évolué la représentation du public par les journalistes, et ce bien avant Internet :

« Dans l'après-guerre, la conception civique de l'information prédomine. La mission sociale des

journalistes consiste à s'adresser à un « lecteur-citoyen » dont ils aspirent à former l'opinion. Le 70 Estienne, Y, Le journalisme après Internet, Paris, L'Harmattan, 2007

Marion Lecointre – Mémoire professionnel – Paris IV - Master II Conseil Editorial – Promotion 2009-2010 45

Page 46: Information en ligne : quel écosystème pour demain ?

lecteur, quant à lui, polarise son attention sur un ou plusieurs titres correspondant à son

appartenance sociale, politique et idéologique. Les journalistes s'adressent à leurs lecteurs en

ajustant leur discours à la connaissance qu'ils ont du titre pour lequel ils travaillent et du public

qu'ils pensent ou souhaitent toucher. (..) Les rédactions ignorent alors les études d'audience

réalisées par et pour les annonceurs. Or, depuis, on est progressivement passé du « public-

citoyen » au « public-lecteur » puis au « public-consommateur » à mesure que la fonction

marchande l'emportait sur la fonction civique et que les instruments de connaissance de

l'audience prenaient place au coeur des rédactions. » Aussi et malgré les réticences des

journalistes, cette évolution a nécessairement agi, du moins en partie, sur les pratiques au sein

des médias et guidé les lignes éditoriales. Et avec Internet, cette « rupture » se vit encore plus

fortement. Il est aisé, via des outils plus ou moins fins (Google Analytics, Omniture...), de

comptabiliser les visites, de mesurer le temps de celles-ci, de tracer les parcours de lecture, de

connaître la provenance des visites, de détecter les contenus les plus lus, etc. Le journaliste

Vincent Truffy reprenait dernièrement les constats issus d'un article du New York Times71 afin de

décrire les évolutions en cours dans les médias : « On y apprend ainsi que la journée du site du

Wall Street Journal commence par l’épluchage méthodique des statistiques de consultation des

articles, l’analyse des mots les plus recherchés dans le moteur interne et le recensement des

tendances sur Twitter. Ou que le Washington Post fait trôner au milieu de sa rédaction un écran

montrant, en temps réel, le nombre de visiteurs uniques, le nombre de pages par visiteurs et leur

provenance, sans oublier de surimprimer à ces chiffres l’objectif mensuel à atteindre. (...) Le Los

Angeles Times a adopté une démarche plus radicale puisqu’il a doté son site d’un logiciel

indiquant pour chaque article la somme rapporté en clics publicitaires. »72 Autant de méthodes

qui jouent sur la mise en scène des sites, la hiérarchisation, les modèles d'écritures, de plus en

plus formatés, mais également un certain mimétisme entre ceux-ci, comme l'explique Murray

Dick, conférencier à l’université anglaise de Brunel : « (..) On obtient des pages de résultats sur

les moteurs de recherche qui ressemblent à ces lignes que les instituteurs faisaient recopier à

leurs élèves en guise de punition. L’utilisation n’est donc pas forcément facilitée et peut même

générer de la frustration chez les internautes – et cela peut avoir des conséquences aussi bien

chez les agrégateurs que les éditeurs de ces titres. »73 Là est le risque, prendre les statistiques

comme argent comptant et voilà tout, au dépend qui plus est du consommateur comme le précise

71 Peters, J. W, « Some Newspapers, Tracking Readers Online, Shift Coverage » in New York Times, 6 septembre 2010 : http://www.nytimes.com/2010/09/06/business/media/06track.html?_r=1 (16/09/2010 à 20h38)

72 Truffy, V, « L’information sur le web doit-elle se fier aux chiffres? » in Owni, 16 septembre 2010 : http://owni.fr/2010/09/16/linformation-sur-le-web-doit-elle-se-fier-aux-chiffres/ (16/09/2010 à 20h43)

73 Westbrook, A, « Les journalistes écrivent-ils pour Google? » in Owni, 16 septembre 2010 : http://owni.fr/2010/09/16/les-journalistes-ecrivent-ils-pour-google/ (16/09/2010 à 20h30)

Marion Lecointre – Mémoire professionnel – Paris IV - Master II Conseil Editorial – Promotion 2009-2010 46

Page 47: Information en ligne : quel écosystème pour demain ?

Yannick Estienne : « La connaissance de l'audience a généralement une valeur informative et

non prescriptive. Or la tentation est grande de vouloir utiliser ces résultats dans le but d'orienter

les choix éditoriaux. En fonction des verdicts du marché de l'information en ligne, des éditeurs et

des journalistes son en effet incités à développer certains thèmes « porteurs » en terme

d'audience et à en abandonner d'autres. Ainsi, la frontière entre l'informatif et le prescriptif est

pour le moins ténue. » Et les dérives bien réelles : un travail journalistique qui ne sert qu'à

maximiser l'audience, un jugement de valeur sur les contenus guidé par l'appétence, etc. De fait,

nous explique l'auteur, « la conception pédagogique de la relation est de plus en plus évacuée au

profit d'une conception utilitaire et « phatique ». (...) L'internaute incarne moins ce citoyen dont

la presse se doit d'éclairer les choix politiques en proposant des informations « utiles » - d'un

point de vue civique » - que le « consommateur-zappeur » qui « demande » à être diverti en

s'informant ». Mais les médias offrent-ils ainsi seulement ce que le public demande ? Après tout,

celui-ci consomme ce qu'on lui donne, mais peut-être apprécierait-il autant ce que l'on n'ose

encore lui proposer. Reste qu'il convient de relativiser, sans toutefois ôter l'idée du risque, ces

tendances à produire une information « à la demande ». Le recours au SEO74, au pistage de

l'audience et autre formatage des contenus pour être visible dans Google, peut devenir une clef -

à condition de savoir la maîtriser - plutôt qu'un piège, comme l'explique Nikki Usher, thésarde à

l'université de USC Annenberg : « Se montrer plus attentif aux demandes des lecteurs est peut

être la meilleure chose que les médias puissent faire pour rester des sources d’information

pertinentes et essentielles. (...) Si elle est utilisée correctement, la SEO et le tracking de

l’audience rendent les rédactions plus responsables devant leurs lecteurs sans dicter de

mauvaises décisions éditoriales (...). La SEO ne tuera pas le journalisme ; cela améliorera la

façon dont nous trouvons et consommons l’information. »75 De fait, il s'agit de trouver un juste

milieu entre ces techniques et un journalisme de qualité, poussé par l'exigence, qui connaît

d'ailleurs encore, contrairement aux croyances répandues, un succès certain – le rédacteur en

chef du magazine du New York Times, Gerald Marzorati, le dit bien : le journalisme long « est

notre forme la plus vue et la plus partagée par mail. Cela compte pour les lecteurs. Cela permet

au lecteur de s’arrêter. Cela ralentit le lecteur. »76 Vincent Truffy reprend notamment les mots de

Jay Rosen, récemment invité à donner une leçon inaugurale à l’Ecole de journalisme de Sciences

Po, pour confirmer cet état : « La vraie question est de savoir comment les journalistes peuvent

se servir des chiffres pour améliorer le journalisme », et acquérir « suffisamment de compétence

74 System Engine Optimisation, soit l'optimisation pour les moteurs de recherche75 Usher, N, « La SEO, alliée du journalisme de qualité » in Owni, 16 septembre 2010 :

http://owni.fr/2010/09/16/la-seo-alliee-du-journalisme-de-qualite/ (16/09/2010 à 21h00)76 Usher, N, « La SEO, alliée du journalisme de qualité » in Owni, 16 septembre 2010 :

http://owni.fr/2010/09/16/la-seo-alliee-du-journalisme-de-qualite/ (16/09/2010 à 21h00)Marion Lecointre – Mémoire professionnel – Paris IV - Master II Conseil Editorial – Promotion 2009-2010

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Page 48: Information en ligne : quel écosystème pour demain ?

avec les statistiques de fréquentation pour trier une curiosité à court-terme et un intérêt public

plus profond.» »77 Et le journaliste de poursuivre en reprenant les termes d'une récente étude78 : la

mesure – ou plutôt compréhension - de l'audience « ne peut tenir en un chiffre mais demande de

combiner les chiffres de consultation, les citations de l’article à l’extérieur du site, les réactions

des utilisateurs, pour mieux comprendre la propagation de l’article de loin en loin sur le web, la

façon dont l’agenda public s’élabore désormais et comment les informations sur des sujets-clés

sont utilisées par des publics donnés. » Ne pas s'arrêter aux chiffres, contextualiser, évaluer mais

également parier, écouter et oser faire des choix : autant d'états d'esprit à intérioriser pour ne pas

tomber dans le piège d'une information formatée, donc inutile. Par ailleurs, on notera ici que des

moyens plus qualitatifs, sans être suffisants, permettent davantage et mieux d'envisager les

aspirations du public (certes ramené à sa portion la plus active) : blogs, forums, commentaires,

etc. Aussi, rien de mieux que de se rappeler à quels points les attachements du public sont

complexes, multiples, disparates voire quasi insondables.

C'est alors sur un autre plan, relationnel, conversationnel, concernant et engageant, qu'il

s'agit de travailler. Les constats ne font que confirmer cette thèse : « La façon dont on s'informe

est en train de changer, sous nos yeux. Il y a quelques années, les portails des fournisseurs

d'accès donnaient accès aux sites d'information sur lesquels il fallait se rendre. Les sites

d'information étaient ceux qui avaient le plus de trafic. Puis se sont les moteurs qui nous ont dit

où aller. Ce sont les mots clefs de nos requêtes qui nous mènent à l'information et non plus la

structure d'un site d'information. Les moteurs sont devenus les premiers sites en terme

d'audience. Et nombre de services sont passés loin devant l'information »79, nous explique

Hubert Guillaud80. Et d'évoquer l'influence des réseaux sociaux dans nos pratiques de

consommation de l'information : « Alors que l'audience de Google est en stagnation, celle de

Facebook progresse vivement. Désormais, pour accéder à l'information, ce ne sont plus ni la

presse ni Google qui sont nos pages d'accueil par défaut. C'est Facebook, ce sont les sites

sociaux qui sont en train de devenir les principaux moteurs de notre navigation. On ne cherche

plus l'information : on accède à celle qui vient de notre réseau social. Nos amis sont le filtre qui

raffine l'information qui vient à nous. Nos « amis » sont en passe de devenir nos principaux

prescripteurs d'information. Ce qui n'est pas sans conséquences. »

77 Truffy, V, « L’information sur le web doit-elle se fier aux chiffres? » in Owni, 16 septembre 2010 : http://owni.fr/2010/09/16/linformation-sur-le-web-doit-elle-se-fier-aux-chiffres/ (16/09/2010 à 20h43)

78 Graves, J, Kelly, L, Confusion Online : Faulty Metrics and the Future of Digital Journalism, Tow Center For Digital Journalism, Columbia University Graduate School of Journalism, septembre 2010

79 Guillaud, H, « S'informer à l'heure du numérique : enjeux et limites » in Les rencontres de l'Orme 2.10, 31 mars 2010 : http://www.orme-multimedia.org/r2010/images/stories/orme2.10/pdf/orme2.10_guillaud.pdf (11/09/2010 à 13h10)

80 Rédacteur en chef du site Internet ActuMarion Lecointre – Mémoire professionnel – Paris IV - Master II Conseil Editorial – Promotion 2009-2010

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Page 49: Information en ligne : quel écosystème pour demain ?

b) Un investissement nécessaire

Les médias l'ont bien compris, pour fidéliser leur audience sur Internet, les maîtres mots

sont : participation, interactivité, conversation – sur le site et en dehors du site, là où se trouvent

en masse les internautes. D'où la généralisation du métier de community manager au sein des

rédactions, l'hébergement de blogs sur leurs sites et, parallèlement, l'incitation envers les

journalistes à animer leurs propres blogs, répondre aux commentaires, être présents sur les

réseaux sociaux. L'idée : jouer sur le lien et l'appartenance communautaire, impliquer les

internautes et leur donner l'impression d'une certaine liberté d'action – certes toujours cadrée et

faussement ouverte. Reste que cette logique privilégie une relation top down, animée par les

rédactions, quand elle aurait intérêt à apprivoiser une relation également bottom up, animée par

les internautes eux-même. Les médias veulent prendre en main l'animation de ses relations quand

le public veut prendre en main l'information. Divergence non négligeable qu'il importe d'intégrer.

Jay Rosen81 ne dit pas autre chose lorsqu'il explique que nous sommes passés d’une

logique d’audience (passive et isolée) à une logique de public (compris comme une place

publique, dont les citoyens sont actifs et parlent entre eux). Il explique ainsi comment le pouvoir

a changé de mains et la manière dont les gens se détournent progressivement des mass médias

pour se tourner davantage les uns vers les autres : le journalisme, explique-t-il, est désormais une

relation mutuelle avec des gens qui étaient considérés auparavant comme une audience. Ainsi la

participation est une condition essentielle à cette relation – ne serait-ce que parce que le public,

pris dans son ensemble, dispose d'une large connaissance à même d'aider le journaliste à enrichir

ses contenus. Mais non suffisante : selon la logique du 90/10 (90% des consommateurs se

contentent de lire, 10% participent, seulement 1% sont vraiment actifs), « ce n’est pas parce que

les outils de commentaire, de publication ont été mis dans les mains de tous que tous vont les

prendre en main ». Et Jay Rosen d'introduire la notion, supplémentaire, de users : « les

utilisateurs utilisent votre travail de journaliste pour gérer leur vie », ainsi les journalistes ne

sont pas là pour trouver des informations pour des lecteurs mais pour fabriquer des informations

pour des « utilisateurs ». Selon l'orateur, considérer les gens comme une masse (l'audience)

amène à les réduire à l’état de formule. Inversement, considérer les gens comme un « public »

amène les journalistes à fabriquer des informations qu’ils vont pouvoir utiliser (pour s’informer,

pour agir…). Les gens deviennent dès lors utilisateurs des médias, de l'information. Aussi, Jay

Rosen rejoint l'idée que le journaliste est supposé suivre l’activité de l’audience à la trace,

81 Rosen, J, « The People formerly known as the Audience and theAudience properly known as the Public », conférence donnée à l'Ecole de Journalisme de Science Po, Paris, 2 septembre 2010

Marion Lecointre – Mémoire professionnel – Paris IV - Master II Conseil Editorial – Promotion 2009-2010 49

Page 50: Information en ligne : quel écosystème pour demain ?

connaître la demande pour offrir un contenu ad hoc. Mais il prévient également : « Vous devez

écouter les besoins des gens, mais si vous ne leur donnez que ce qu’ils veulent, ou que ce que

vous voulez, vous perdrez votre autorité. Vous devez également donner aux gens ce qu’ils ne

savent pas qu’ils veulent. »

Au delà de ces considérations concernant la mesure des relations journaliste-public, c'est

plus globalement les dispositifs informationnels qu'il s'agit de repenser et, si cela est déjà fait, de

consolider. Dans leur ouvrage intitulé Comment le web change le monde. L'alchimie des

multitudes, Francis Pisani et Dominique Piotet décrivent le « futur réticulaire (en réseaux) du

journalisme et des médias ». Cesser de considérer le site comme lieu ultime de destination, les

contenus comme résultats finaux, le public comme participant faible ou minoritaire, la relation

comme étant uniquement un outil de fidélisation. Plus que de participation, le journalisme de

réseaux ou « networked journalism » valorise la collaboration. En ligne, force est de constater

que lecteurs et journalistes vivent dans le même monde et que nombre de liens se nouent entre

eux, de manière directe, instantanée, les uns enrichissant les autres, jusqu'à aboutir à un

processus de construction collaborative de l'information. Le journaliste ne trouve pas seul ni ne

fabrique en solo l'information. L'ensemble des flux qui anime Internet, de manière instantanée et

pervasive, contribue quasi inconsciemment à l'élaboration de l'information. Il faut conscientiser

ce processus et le valoriser : pas d'information produite sans public impliqué. Le journaliste n'est

rien sans ces flux, sans les alertes et conversations des internautes, sans leurs implications,

conscientes ou non. L'aller-retour entre public et journalistes est permanent et au coeur du

processus de production : il faut le dire, le montrer, le motiver et le valoriser.

2) Renouveler les pratiques

Nous allons ici dégager certaines valeurs de l'information. D'apparence mal aimée, cette

denrée comble pourtant un besoin nécessaire : comment y réintroduire des éléments de désir ?

Personnalisation

« Fournir le bon contenu à la bonne personne au bon moment et souvent au bon

endroit »82. De Facebook et Twitter (qui vous proposent de découvrir ce qu'affectionnent vos

proches) à Google (publicité contextuelle) en passant par des agrégateurs d'information

communautaires, l'ère de l'information personnalisée est bel et bien en marche. Bien sûr, il ne

82 Scherer, E, Context Is King, AFP-Mediawatch Automne-hiver 2009/2010 : http://mediawatch.afp.com/ Marion Lecointre – Mémoire professionnel – Paris IV - Master II Conseil Editorial – Promotion 2009-2010

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Page 51: Information en ligne : quel écosystème pour demain ?

suffit pas de permettre de noter un contenu ou de cliquer sur le bouton « I Like » de Facebook

pour faire d'un service un produit à forte valeur ajoutée, mais plutôt de comprendre la valeur de

l'information telle que considérée par chaque internaute, pour enfin construire un écosystème

attractif. Le consultant Benoît Raphaël évoque certaines pistes à sérieusement considérer83 :

accompagner la recommandation sociale d’indices de pertinence ; adapter le contenu livré aux

requêtes de l'internaute sur les moteurs de recherche ; adapter le contenu à l’historique de

navigation (de l’utilisateur et de ses amis) ; offrir des possibilités d’interagir avec l’offre ; insister

sur et mettre en avant le choix éditorial d’une communauté ou d’une rédaction avec laquelle

l’utilisateur se sent en affinité ; laisser faire le hasard - n'oublions pas que le jeu de la sérendipité

offre à coup sûr à l'utilisateur le plaisir de la découverte, de la découverte autonome.

Spécialisation et rareté

Une bonne partie des lecteurs de journaux d'autrefois n'achetait pas le support pour

l'intégralité de ses articles mais uniquement certains domaines ou « produits » qui l'intéressaient.

Avec la fragmentation numérique des informations, leur omniprésence, et la consommation

« zappeuse » et autonome des internautes, l'ancien modèle ne tient plus. La phrase fameuse de

Jeff Jarvis est ici éloquente : « Faites ce que vous faites de mieux, et faites des liens vers le

reste ». Plus l'information est spécialisée et experte, à haute valeur ajoutée, rare ou encore

exclusive, plus elle a de la valeur, et plus elle est monétisable. Et cette valeur peut aussi bien

tenir dans le fond que dans la forme : une narration riche, une mise en scène pertinente et

contextuelle, un producteur fiable et de confiance, font aussi la différence.

Information engageante

Une information engageante est à même d'impliquer le lecteur et de l'ancrer dans une

communauté active, de l'inciter à participer et motiver ses affinités. De nombreux exemples

d'enquêtes participatives (avec collaboration et appel aux dons) aboutissent avec succès et sont

là pour démontrer la pertinence d'une telle posture.

Enquête et originalité

La qualité des informations produites, l'originalité, la capacité à s'affranchir de l'agenda et

du flux de l'actualité. Autant d'attitudes qui ont de la valeur : dire ce que les autres taisent,

rappeler ce que les autres oublient, chercher là où les autres ne vont pas voir. Le dire autrement,

83 Raphaël, B, « Le nouvel âge de l'info personnalisée » in La Social Newsroom, Benoî Raphaël, 12 août 2010 : http://benoitraphael.com/2010/08/12/le-nouvel-age-de-linfo-personnalisee/ (19/08/2010 à 21h41)

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le mettre en scène différemment. Expliquer autant que montrer. L'enquête et l'investigation se

font de plus en plus rare, notamment eu égard à des problèmes de financement. Pour autant,

prendre le temps de la recherche et de la mise en perspective, aller sur le terrain plutôt que de

répéter les mêmes présupposés, déployer des formats longs, stopper à intervalles réguliers

l'instantanéité de flux factuels, sont autant de pratiques à même de valoriser l'information. Des

revues telles que XXI ou la récente Usbek & Rica, au succès réel, qui prennent le temps et

expérimentent autant dans le fond que dans la forme, prouvent que cela a de la valeur et qu'un

marché existe. Il est ici intéressant de prendre l'exemple de la revue Usbek & Rica qui déploie ici

un journalisme prédictif, dans une logique de docu-fiction d'anticipation84, là un journalisme naïf,

dont la logique consiste à regarder le monde présent avec les yeux d'un étranger.

Ecritures innovantes

On pourra ici citer pèle-mêle le webdocumentaire (voire l'exemple splendide de Prison

Valley), la bande dessinée (voire XXI, Usbek&Rica), notamment interactive, le datajournalisme

(voire les travaux du New York Times, El Pais ou encore d'Actu Visu et Owni en France). Autant

de sous-genres que l'on pourrait rallier à la pratique du journalisme visuel, ainsi décrite par Eric

Scherer85 : « Désigne l'utilisation de nouveaux outils numériques pour expliquer et illustrer

l'information. Comme dans la presse imprimée, il peut s'agir du recours classique aux photos ou

de graphiques, mais aussi de plus en plus, sur le Web, d'images, de graphiques animés

sophistiqués et interactifs (« timelines », cartes, images satellites...), de visualisation de données

et de statistiques, d'applications de réalité augmentée, de 3D... » Le webdocumentaire, par

exemple, défend une logique d'information par le plaisir, le jeu, ou encore l'implication, dans la

même logique que celle des Serious Game : une forme ludique, une navigation semi-autonome et

engageante, une scénarisation avant tout au service du contenu et de son appropriation, attentive,

par le public. Le datajournalisme, dans cette même logique de narration visuelle, répond à cette

affirmation fameuse : « des dessins plutôt que des mots ». Caroline Goulard, co-fondatrice du

site Actu Visu, définit ainsi ce mode de traitement86 : « La définition commence avec le terme de

data. Pour le journaliste traditionnel, la brique de base est l’article. Le journaliste travaille sur

la narration. Avec les données, on n’est plus dans la narration verbale, mais dans une narration

construite autour d’éléments grammaticaux qui appartiennent au lexique visuel. Le journaliste

de donnée s’adresse à l’intelligence visuelle. » Le journaliste traite rarement les données avec

84 On notera également l'expérimentation du Monde de cet été : une bande dessinée narrant le procès, à venir, de l'ancien Président de la République Jacques Chirac.

85 Scherer, E, La révolution numérique, Paris, Dalloz, 200986 Guillaud, H, « Journaliste de données : data as storytelling » in Internet Actu, 9 juillet 2010 :

http://www.internetactu.net/2010/07/09/journaliste-de-donnees-data-as-storytelling/ (11/09/2010 à 16h02)Marion Lecointre – Mémoire professionnel – Paris IV - Master II Conseil Editorial – Promotion 2009-2010

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profondeur, déjà parce que la tâche coûte du temps et est peu aisée, les données étant le plus

souvent éclatées et non reliées. Pourtant, avec Internet, il n'a jamais été aussi simple d'y accéder

et nombre d'outils d'aider à les matérialiser et organiser. De quoi mieux comprendre une

nébuleuse de chiffres auparavant impalpable, mieux dessiner un contexte économique, mieux

contextualiser une information, etc. Aussi, des écritures adaptées aux supports mobiles, et aux

prochains éventuels supports de l'information (écrans urbains, journaux digitaux, objets du

quotidiens) doivent être dès maintenant pensés.

Contexte, tri et mise en scène

Sur Internet l'information est bruyante, balancée de toute part en flux tendu sur le mode

de la redondance et de la brièveté : difficile d'y déceler une valeur quelconque, difficile de

détecter le signal dans le bruit. Le tri, la sélection, la mise en scène de ces informations et leur

contextualisation apparaissent essentiels. Et si cela est réussi, réalisé de manière simple et

efficace et fait gagner du temps et des connaissances dans le même temps, alors la valeur

émergera. Partout sont donnés le « Who », What », « When », Where », l'enjeu consiste à donner

le « How » et le « Why » - via la pertinence du fond et sa contextualisation, via l'ergonomie et le

discours de la forme.

Cette dernière piste nous amène à nous tourner vers un enjeu non moins essentiel que

celui des pratiques journalistiques : la médiation de l'information.

3) Repenser les formes même de la médiation

Au delà des enjeux qui entourent les formes du journalisme, Hubert Guillaud nous

prévient de la pauvreté de nos pratiques et outillages87 en matière de réception intelligente de

l'information : « Notre littératie, c'est-à-dire notre alphabétisme numérique, que ce soit celui des

plus jeunes comme le nôtre, est souvent bien pauvre. Nous savons mal lire ce que l'internet nous

renvoie... (...) Savoir construire ses filtres d'accès à l'information devient capital : sélectionner

des sources, des personnes, des thématiques, des flux oriente la façon dont nous accédons à

l'information. Mais qui sait le faire ? Est-ce si simple ? » Et de critiquer jusqu'aux agrégateurs et

autres moteurs de recherche sensés pourtant « faire émerger un sens de cette accumulation. Ils

87 Guillaud, H, « S'informer à l'heure du numérique : enjeux et limites » in Les rencontres de l'Orme 2.10, 31 mars 2010 : http://www.orme-multimedia.org/r2010/images/stories/orme2.10/pdf/orme2.10_guillaud.pdf (11/09/2010 à 13h10)

Marion Lecointre – Mémoire professionnel – Paris IV - Master II Conseil Editorial – Promotion 2009-2010 53

Page 54: Information en ligne : quel écosystème pour demain ?

sont encore loin du compte. (...) Plus ils classent, plus ce qui émerge est une information

moyenne, banale. (...) Les outils du web 2.0 nous ont fait rentrer dans l’ère de l’agrégation, mais

c’est une expérience dont on perçoit assez vite les limites. Ils favorisent la somme des regards

plutôt que leur pertinence. Bien sûr, savoir qu’on partage un intérêt avec une foule de gens est

une information, mais une information sur quoi ?… (...) Les actions que l’on réalise sur le web,

les photos que l’on collecte, les vidéos que l’on visionne et que l’on critique, les signets que l’on

met de côté… Toutes ces traces, si nous savions mieux les comparer (et pas seulement les

agréger) à celles des autres, si nous comprenions mieux comment leur dissémination fait sens,

peut-être nous permettraient-elles d’y voir plus clair ? (...) C’est pour moi toute la limite des

outils que nous utilisons aujourd’hui, tout « web 2.0 » qu’ils s’affirment, qui favorisent la somme

ou la moyenne des regards plutôt que leur pertinence… Mais comment faire sens ? Comment

aider le regard à se déporter, quand la plupart de nos outils favorisent le sens commun ?

Comment favoriser, mettre en valeur, mieux analyser la dissémination plutôt que la

concentration ? La qualité ou la pertinence, plutôt que la quantité ? Trop d’outils mettent en

avant le plus lié, le plus vu, le plus écouté, le plus lu. (...) Où sont les outils qui nous aideront à

prendre les chemins de traverse ? » Et Hubert Guillaud, comme d'autres, d'en appeler à une

écologie informationnelle : « Certes, nous circulons mieux dans l’information, mais on oublie

souvent de nous permettre de mieux la gérer et de mieux la comprendre. Si la fracture de l’accès

aux nouvelles technologies tend à se réduire, ne sommes-nous pas en train d’en construire une

autre, celle des savoirs, des compétences et du temps disponible en ligne ? Celle de l’attention.

Une fracture cognitive entre ceux capables d’utiliser les outils et de naviguer dans la

surinformation et ceux qui n’en auront ni le temps, ni les moyens, ni les capacités. Entre ceux

qui connaissent les outils, qui savent chercher et trouver, et ceux qui ne sont capables que de

consulter...(...) Jean-Noël Lafargue le dit très bien : « Les outils cessent d’être des vecteurs

d’émancipation lorsqu’on n’en a aucune maîtrise. » (...) Une écologie informationnelle n’est pas

une utilisation durable de nos outils numériques (...) mais une utilisation durable de « notre

temps de cerveau disponible ». »

On l'aura compris, et tout à chacun déjà ressenti : il est aujourd'hui de plus en plus

difficile de détecter le signal dans le bruit, de faire la part entre l'important et l'éphémère, entre le

commentaire et l'information, entre la donnée et l'information. Il est urgent d'offrir des moyens,

ouverts, accessibles et compris par tous, de filtrage et d'orientation parmi les flux incessants dans

lesquels nous baignons, et que nous craignons aussi paradoxalement de manquer. Il nous semble

que deux niveaux doivent être envisagés : le travail de l'algorithme puis celui de l'humain. Marion Lecointre – Mémoire professionnel – Paris IV - Master II Conseil Editorial – Promotion 2009-2010

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Page 55: Information en ligne : quel écosystème pour demain ?

L'algorithme. Celui-ci permet de « qualifier », à l'aide des métadonnées, le flux et ses

composants, puis de les trier et filtrer : montrer le bruit, montrer les silences ; rassembler les

contenus par thématiques, mots clefs, protagonistes, localités, etc ; trier par degrés d'appétence,

sources, etc ; assembler par affinités communautaires, etc. Autant de possibilités d'organisation

qui peuvent être, au choix, générées automatiquement ou à la demande, au gré des envies et

besoins des internautes. Cette posture étant acceptée, il s'agit ensuite d'en décider la

matérialisation : un flux reste un tout abstrait. Il s'agit de pouvoir naviguer efficacement et

facilement, d'en avoir une compréhension immédiate pour une utilisation efficiente. Là intervient

la datavisualisation, soit la narration visuelle des données à l'aide de timelines, trimap, graphes,

radars, nuages de tags, cartes, et autres visualisations interactives servant de guides dans le

parcours et les recherches de l'internaute. Egalement, les notions de filtres et recommandation

algorithmique sont ici essentielles. A un niveau second, ces notions permettent également un

accès facilité au sein des contenus, notamment audiovisuels : une vidéo annotée, châpitrée,

contextualisée ; un podcast dont la forme sert la compréhension du fond, dont les diverses

entrées sont informées et contextualisées. Nous en conviendrons cependant, cette étape ne

constitue que la première couche, globale et surplombante, d'un accès à une maîtrise et une

compréhension plus palpable du flux, des contenus, de l'information.

L'humain. Pour ensuite pouvoir contextualiser plus finement les données, les analyser, et surtout

nous dire ce qui est important, l'humain, ici le journaliste, doit jouer un rôle essentiel. C'est lui

qui saura décider de datavisualisations discursives et par là plus pertinentes que les premières : il

opèrera un tri plus fin, une sélection plus critique, une contextualisation plus orientée, et

enrichira les métadonnées (en collaboration avec le public), pour ensuite scénariser et analyser.

Au delà, l'algorithme sera pour lui un indicateur : chercher dans les silences une information

passée à la trappe, détecter des tendances et impulser une enquête, offrir un nouvel angle sur une

affaire surmédiatisée, etc. Aussi, l'accès du public à ces outils offre pareillement à celui-ci de

faire ses propres analyses mais également d'alerter les journalistes sur certains points saillants,

non regardés ou oubliés. Il ne se ferme pas à la collaboration, bien au contraire, mais à tend à une

co-critique, co-construction et co-refonte des pratiques, de l'information, des modes de

circulation, etc. Dans cette logique, et pour faciliter l'appropriation des informations, il faudra

disséminer l'ensemble de ces outils, datavisualisations, contenus, analyses et travaux

journalistiques en dehors du site-mère, et dans les espaces numériques au sein desquels progresse

le public. La pervasion, qui sera le mettre mot du web futur, suppose cette réappropriation des

espaces hors site, des usages fragmentés des internautes.Marion Lecointre – Mémoire professionnel – Paris IV - Master II Conseil Editorial – Promotion 2009-2010

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Page 56: Information en ligne : quel écosystème pour demain ?

Cette mission doit-elle incomber aux journalistes ou bien être en partie délocalisée auprès

d'acteurs hors médias à même de déployer de telles technologies ? La réponse n'est certainement

pas binaire et répond davantage à des logiques de co-construction, co-développement,

collaboration, co-financement. Mais nous l'avons vu plus haut, rien de moins simple...

4) Dépasser les querelles économiques et politiques

Comme précédemment démontré, la filière de l'information en ligne souffre d'une grande

instabilité : producteurs multiples, médias, hors médias et amateurs ; information omniprésente ;

circulation éclatée ; consommation fragmentée ; modèles économiques non viables. Dans ce

contexte, l'absence de coopération, les querelles intra et extra professionnelles nuisent d'autant

plus à l'évolution durable de l'écosystème de la filière. Il est urgent d'envisager les conditions de

son développement. Lesquelles ne peuvent, à nos yeux, que passer passer par la fédération des

entités et acteurs concernés, par le partage de moyens, financiers, humains, technologiques, et

aussi de la R&D, de la veille, de l'expérimentation, de la formation, de la pédagogie.

Mais pointons un instants les freins objectifs qui contraignent les acteurs francophones de

l'information : la territorialité des droits, la question de l'ouverture des données, la difficulté à

articuler l’international et le national, la non interopérabilité des standards et formats utilisés par

les médias, le manque de R&D. Quant aux freins subjectifs : manque de revenus amenant en

partie à une frilosité face à l'innovation, fédération difficile des acteurs intra et hors médias.

L'idée que nous souhaitons ici évoquer est celle de la constitution d'un organe qui serait à

même de rallier l'ensemble des acteurs de la filière de l'information en ligne : médias, centres de

recherche, monde de l'université et de l'éducation, grands acteurs du web (portails, moteurs de

recherches, fournisseurs d'accès à internet, plateformes de contenu), monde de la publicité... Un

organe qui travaillerait autour de l'évolution des pratiques culturelles et sociales, des nouvelles

formes de consommation et d'appréhension des contenus, des nouvelles écritures journalistiques

et des modèles économiques à envisager, et ce dans une logique transdisciplinaire. Un organe qui

saurait animer le débat public et citoyen, déployer une veille prospective, financer une

importante R&D, expérimenter et mettre en pratique des technologies et projets innovants,

former les professionnels et les citoyens.

Régulièrement demandée, il semblerait qu'une telle entité soit effectivement sur le point

de naître, impulsée par le programme « Investissements d'avenir » de l'Agence Nationale de

Recherche, dans le cadre du grand emprunt. Voyons ce qu'il en ressortira....Marion Lecointre – Mémoire professionnel – Paris IV - Master II Conseil Editorial – Promotion 2009-2010

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Page 57: Information en ligne : quel écosystème pour demain ?

CONCLUSION

« Le présent est invisible », annonçait le philosophe des médias Marshall McLuhan en

1969, dans une interview-fleuve accordée au magazine Playboy. Où il expliquait que, à chaque

fois que se produit une importante innovation dans le domaine des médias, « le système nerveux

central produit une anesthésie autoprotectrice », le prémunisant ainsi contre la « pleine

conscience » de ce qui lui arrive. Plus tard seulement, nous pouvons comprendre les mutations

qui nous affectaient alors. De cette manière, le nouvel environnement permis par une innovation

« ne devient pleinement visible qu'après son remplacement par un nouvel environnement : nous

avons toujours un temps de retard dans notre vision du monde ». De fait, nous ne pouvons

contrer cette attitude, au moins faut-il l'avoir en tête pour trouver une alternative à cet

aveuglement de fait : observer, tenter d'évaluer, ouvrir un maximum de portes. En somme,

multiplier les chances de s'en sortir.

Depuis quinze ans que les professionnels de l'information ont investi Internet, ceux-ci ne

cessent de chercher une solution pour un environnement économique qui soit viable et durable –

et ce en solitaire, de manière indépendante, sans réelle entraide corporative et encore moins hors

des frontières du métier. On le voit, de nouvelles tendances émergent au rythme de cycles courts,

des tentatives sont rapidement abandonnées puis réactualisées, et vice et versa, à mesure que le

Web tend lui à se professionnaliser, les internautes à s'affirmer et leurs pratiques mûrir. Tandis

que ce qu'il est commun d'appeler les « Pro/Am » ont déjà envahi une partie du processus de

production, nombre d'acteurs hors médias, cherchant à s'adapter au Web, se développent jusqu'à

empiéter sur le terrain de la filière de l'information en ligne et d'en déstructurer en partie ses

fondements juridiques et économiques. C'est pourtant avec eux que les médias doivent

aujourd'hui nécessairement travailler et dessiner un écosystème informationnel solide pour

demain. C'est en partie avec eux qu'il faut redéfinir un modèle socio-economico-juridique, avec

eux qu'il faut collaborer en vue du développement de nouvelles technologies, avec eux qu'il faut

repenser les modes d'existence de l'information. Car ce sont eux qui en partie parviendront à faire

vivre les contenus des médias en dehors de leurs frontières et auprès du public. Aussi, aux

médias de s'approprier et inventer de nouvelles formes d'écritures de l'information, de donner

davantage d'influence au public et moins aux annonceurs, d'expérimenter, d'oser expérimenter.

Nous ne cherchons pas à dire qu'ils n'en ont pas l'intention. Beaucoup l'aimerait s'il n'y avait pas

un manque flagrant de revenus et une situation de coopétition déséquilibrée et porteuse

d'inquiétudes et de rancunes. C'est en cela qu'il nous semble incontournable que se crée une ou

des entités rassemblant en leur sein l'ensemble des protagonistes de l'information et du Web – Marion Lecointre – Mémoire professionnel – Paris IV - Master II Conseil Editorial – Promotion 2009-2010

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Page 58: Information en ligne : quel écosystème pour demain ?

dont le public –, l'ensemble des domaines à même d'enrichir la veille, la recherche,

l'expérimentation, l'ensemble des modes de financement à même de motiver des projets. Sans

souhaiter jeter la pierre aux médias, nous avons voulu montrer ici en quoi l'information ne

circule plus dans un sens unique ni ne se construit à une main ni ne se finance via seulement un

ou deux portefeuilles. Les médias ne sont plus seuls sur le terrain de l'information. Mais ils sont

essentiels et irremplaçables. Il faut s'en convaincre pour se permettre d'investir en temps,

créativité et innovation, pour ne pas avoir peur de frapper aux portes des grands acteurs du web

« coopétiteurs ».

Ainsi, nous appelons à une approche écosystémique dans le sens où, indéniablement

liées, les parties agissant de près ou de loin sur la filière de l'information en ligne doivent

nécessairement être considérées et intégrées au projet de développement durable de cette

dernière. Ce n'est actuellement pas le cas, d'où le déséquilibre. Or, nous sommes actuellement

rentrés dans l'ère des réseaux, où ce n'est plus une entité mais une multitude d'agents

indépendants qui oeuvrent à un même projet. Aux médias, comme les autres protagonistes, de s'y

adapter, de faire confiance aux divers acteurs et d'en tirer partie. Le Web est par définition

ouvert, et toute tentative de renfermement comporte ses limites, pour ne pas dire une mort

prématurée. Aujourd'hui, production, diffusion et consommation s'effectuent de manière éclatée,

fragmentée et via des acteurs autonomes. Il y a fort à parier que non pas une fusion mais plutôt

une mise en réseau serait structurante et, à la fin, bénéfique. Reste certainement à trouver un

projet commun, puis ses conditions d'existence. Et ce, alors même qu'une nouvelle menace

plane, qui pourrait une fois de plus déstabiliser l'ensemble de la filière jusqu'à ôter à l'information

son rôle démocratique originel : la possible fin de la neutralité du net...

Marion Lecointre – Mémoire professionnel – Paris IV - Master II Conseil Editorial – Promotion 2009-2010 58

Page 59: Information en ligne : quel écosystème pour demain ?

BIBILOGRAPHIE SELECTIVE

Marion Lecointre – Mémoire professionnel – Paris IV - Master II Conseil Editorial – Promotion 2009-2010 59

Page 60: Information en ligne : quel écosystème pour demain ?

1 – Essais, travaux universitaires, revues,

Estienne, Y, Le journalisme après Internet, Paris, L'Harmattan, 2007

Titulaire d'un doctorat en Sciences de l'Information et de la Communication et chercheur

associé au CRAPE-Rennes 1 (Centre de Recherches sur l'Action Politique en Europe), Yannick

Estienne a enquêté, dans le cadre de sa thèse, sur les journalistes web. Il s'intéresse ici à la filière

de l'information en ligne et ses multiples acteurs avant de se concentrer plus spécifiquement sur

le métier de journaliste sur Internet : les implications que cela entraîne sur l'ensemble de la

profession, et ce que cela révèle de la profession. Loin de discréditer le métier, l'auteur tente

d'envisager les nouveaux rôles que seront amenés à endosser les journalistes à l'avenir.

Guillaud, H, « S'informer à l'heure du numérique : enjeux et limites » in Les rencontres de

l'Orme 2.10, 31 mars 2010

Le rédacteur en chef du site Internet Actu relève ici les éléments critiques qui agissent sur

l'évolution des pratiques de consommation de l'information en ligne et nous ouvre des pistes

d'amélioration.

Joannès, A, Le journalisme à l'ère électronique, Paris, Vuibert, 2008

Journaliste et consultant en veille stratégique et en communication interactive, Alain

Joannès tente d'offrir à ses pairs un regard analytique sur l'évolution du paysage médiatique et de

son audience à l'ère d'Internet, et face à l'émergence des Nouvelles Technologies de l'Information

et de la Communication. Surtout, Alain Joannès présente finement des outils électroniques

propres à l'exercice optimal du métier de journaliste et, par là, essaie d'expliquer en quoi

l'exploitation raisonnée des réseaux peut permettre aux journalistes d'améliorer leurs qualités de

réflexion, leur réactivité, leur productivité. Au delà des méthodes nouvelles de collecte et de

traitement de l'information, l'auteur prône notamment, pour l'organe de presse, le recours au

réflexe Rich Media, à la diffusion multicanal et à la mise en place d'une rédaction intégrée

organisée en réseau.

Pisani, F, Piotet, D, Comment le web change le monde. L'alchimie des multitudes, Paris,

Pearson Education France, 2008

Francis Pisani, notamment auteur du blog Transnets spécialisé dans les nouvelles

technologies, et Dominique Piotet, directeur de la filiale américaine de l'Atelier, organisme de

BNP-Paribas dédié aux nouvelles technologies, s'essaient à une subtile et pointilleuse analyse du Marion Lecointre – Mémoire professionnel – Paris IV - Master II Conseil Editorial – Promotion 2009-2010

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Page 61: Information en ligne : quel écosystème pour demain ?

web et de ses acteurs/internautes, qu'ils nomment les webacteurs. Après une réflexion pertinente

sur les bouleversements sociaux et nouvelles dynamiques relationnelles engendrés par/sur

Internet, les auteurs placent celle-ci en face des problématiques économiques contenues dans la

chose numérique, où il est question d' « entreprise liquide » et de renouveau journalistique.

Polomé, P, 2009, Les médias sur Internet, Toulouse, Milan, 2009

En près de soixante pages, l'auteur propose d'expliquer ce qu'est un « cybermédia », un

« cyberarticle », un « cyberjournaliste », ou encore un « cyberlecteur », puis d'en extraire des

problématiques majeures : quid de l'économie des médias en ligne ? De la liberté d'expression

numérique ? De l'anonymat ? Etc. Une rapide et instructive découverte de l'univers des médias-

en ligne à l'heure actuelle, et dont l'avenir se dessine en point d'interrogation.

Poulet, B, La fin des journaux et l'avenir de l'information, Paris, Gallimard, 2009

Rédacteur en chef à L’Expansion, Bernard Poulet pose sans tabou le débat du rôle de

l’information dans nos sociétés et le devenir de la presse. Et ce en s'appuyant sur trois

révolutions auxquelles doit faire face la filière : la révolution numérique, le bouleversement des

modèles publicitaires et les changements de comportements - notamment des jeunes - à l’égard

de la presse.

Tronquoy, P (eds.), Informations, médias et Internet, Paris, La Documentation française,

Collection Cahiers français, n°338, mai-juin 2007

L'ensemble du recueil cherche à analyser les conditions de production de l'information.

Une première partie s'intéresse aux liens entre médias et démocratie, tandis qu'une seconde

questionne les relations (concurrence ou complémentarité ?) qui s'exercent entre médias

traditionnels et en ligne, analyse les spécificités de l'information en ligne, ou encore les usages,

politiques, intimes, publics ou privés, de l'Internet.

Scherer, E, La révolution numérique, Paris, Dalloz, 2009

Le directeur Stratégie et relations extérieures à l'AFP, et veilleur sur le blog AFP-

Mediawatch, livre ici un glossaire utile, à même de décrire simplement et efficacement les

différentes évolutions en cours sur le Web.

Marion Lecointre – Mémoire professionnel – Paris IV - Master II Conseil Editorial – Promotion 2009-2010 61

Page 62: Information en ligne : quel écosystème pour demain ?

Scherer, E, Médiapocalypse ou Médiamorphoses ?, AFP-MediaWatch, printemps-été 2009

Scherer, E, Context is King!, AFP-Mediawatch, automne-hiver 2009-2010

Scherer, E, Remettre le génie dans la bouteille ?, AFP-Mediawatch, printemps-été 2010

Des cahiers de tendance édité deux fois par an par l'observatoire international des

nouveaux médias AFP-Mediawatch. Ceux-ci présentent de nouvelles tendances, de nouveaux

usages du Web, en cours, interroge des modèles d'affaires émergents sur la toile et des nouvelles

formules éditoriales numériques, tandis qu'il dresse le bilan d'expériences passées riches

d'enseignement et se projette vers l'avenir.

Smyrnaios, N, « Journalisme et innovation sur internet » in Jurnalism Si Comunicare, 2008

Un article qui présente le fossé existant entre une offre de contenu classique sur le web,

ici dans le domaine journalistique, et la multiplication d'outils et services innovants sur Internet,

le plus souvent impulsés par les internautes eux-même. Où, pour ce faire, l'auteur, Maître de

Conférence en Sciences de l'Information et de la Communication, aborde le développement

fulgurant des outils de recherche et l’élargissement de leur champ d’application, la

personnalisation poussée de l’accès au contenu, l’émergence d’une information participative et la

diversification des canaux de distribution de contenus audiovisuels.

coll., Presse en ligne, Réseaux, n°160-161, Paris, La Découverte, 2010

Les articles de ce numéro, qui s'appuient en majorité sur des enquêtes de terrain,

apportent des éléments de réponse aux différentes problématiques entourant les médias en ligne.

Nous nous sommes particulièrement imprégnés des études de Fabien Granjon et Aurélien Le

Foulgoc, « Les usages sociaux de l'actualité », et de Franck Rebillard et Nikos Smyrnaios, « Les

infomédiaires au coeur de la filière de l'information en ligne ».

Dossier spécial Internet rend-il encore plus bête ? in Books, n°7, juillet-août 2009 : p.12 à 62

Le magazine consacre son numéro d'été à la mutation culturelle engendrée par le Web et

les nouvelles technologies, via la retranscription d'essais et articles internationaux aux points de

vues divergents.

Marion Lecointre – Mémoire professionnel – Paris IV - Master II Conseil Editorial – Promotion 2009-2010 62

Page 63: Information en ligne : quel écosystème pour demain ?

2 – Entretiens

Eric Mettout, rédacteur en chef du site de L'Express, questionnaire par mail, 23 juin 2010

Francis Pisani, Eric Scherer, Nicolas Voisin (fondateur de 22 mars, société éditrice d'Owni) et

Alice Antheaume (responsable de la prospective à l'Ecole de Journalisme de Sciences Po) :

entretiens menés dans le cadre du projet de refonte du service 2424actu (agrégateur d'actualité

multimédia).

3 – Sites web

Autant de blogs et médias en ligne spécialisés dans les nouvelles technologies et

alimentés par des journalistes, acteurs et théoriciens des médias et du web 2.0 notamment.

Actualisés quasi quotidiennement, au rythme des innovations et développements de la toile,

fournis dans l'idée d'une pensée en « work in progress », ces espaces d'information et de

réflexion permettent une vision éclatée, ouverte et perpétuellement ajustée du web et de ses

problématiques. Nous ne faisons apparaître ici qu'un concentré de nos sources.

http://blog.actuvisu.fr/ : le blog du nouveau média Actu Visu, « un site de visualisation de

l'actualité. Une nouvelle manière de raconter le monde. Avec des infographies interactives. Avec

des données parlantes. »

http://atelier.rfi.fr : le site de l'Atelier des médias, une web-émission de la radio RFI à destination

de « la communauté des nouveaux médias ».

http://benoitraphael.com/ : après Demain tous journalistes ?, le nouveau blog de l'ancien

rédacteur en chef de LePost.fr, La social NewsRoom, dissèque en particulier les modèles

économiques des médias en ligne et pure players du Web.

http://www.electronlibre.info/ : un collectif de journalistes traitant quotidiennement de l'univers

numérique.

http://www.internetactu.net/ : un site de référence auprès des professionnels. Il traite de

l'innovation dans les techniques, les services et les usages des technologies de l’information et de Marion Lecointre – Mémoire professionnel – Paris IV - Master II Conseil Editorial – Promotion 2009-2010

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Page 64: Information en ligne : quel écosystème pour demain ?

la communication. Son ancêtre était le Micro Bulletin, publié par le CNRS à partir de 1979. Le

site est aujourd'hui exploité par la Fing (Association pour la Fondation Internet Nouvelle

Génération).

http://www.journalistiques.fr : le blog d'Alain Joannès, auteur de l'ouvrage Le journalisme à l'ère

électronique, mentionné plus haut.

http://www.journalismes.info/ : un « web-observatoire » du journalisme sur Internet.

http://medias2.tv/accueil : la plateforme communautaire de la revue Médias. « Un lieu d'échange

et de production de textes, de sons et d'images », auquel collaborent journalistes, étudiants,

universitaires...

http://mediagazer.com/ : un agrégateur spécialisé dans les médias et les nouvelles technologies.

http://mediawatch.afp.com : ce blog, dont les contributeurs sont des journalistes et des cadres de

l’AFP, issus des quatre coins du monde, est conçu comme un guide d'usage à l'intention des

professionnels des nouveaux médias. Les « liens vagabonds » sont incontournables.

http://www.niemanlab.org/ : un think tank collaboratif traitant de l'évolution des médias et du

journalisme et émanant de l'université de Harvard.

http://novovision.fr : sans tabou, le blog du dénommé Narvic prend le temps de l'analyse, avec

un propos riche car constamment référencé : monde numérique, journalisme en ligne et médias

en ligne y sont longuement disséqués.

http://owni.fr/ : « OWNI est un groupe de médias français et européen, ainsi qu'un "thinktank" à

ciel ouvert, au sein duquel collaborent 20 éditeurs et journalistes permanents, plus de 600

blogueurs, des développeurs, des designers, des entrepreneurs, des étudiants et des chercheurs.

Nous y expérimentons le « Digital Journalism » (datajournalism & information en réseau) et

cherchons à comprendre le monde qui nous entoure sous un regard critique, constructif et

technophile. » Un producteur et agrégateur de contenus sélectif portant sur l'univers numérique,

les médias, le journalisme... Incontournable.

Marion Lecointre – Mémoire professionnel – Paris IV - Master II Conseil Editorial – Promotion 2009-2010 64

Page 65: Information en ligne : quel écosystème pour demain ?

http://papierbrouillon.posterous.com/ : un « carnet de notes personnel sur ce que pourrait être

un média d'avenir. Avec le recul de quelques années d'expériences à plonger les mains dans le

cambouis du journalisme », par Jean Abbiateci, journaliste.

http://pisani.blog.lemonde.fr : le blog de Francis Pisani, co-auteur de l'ouvrage Comment le web

change le monde. L'alchimie des multitudes, mentionné plus haut.

http://www.presse-citron.net/ : l'un des blogs HighTech les plus consultés. Il est alimenté

quotidiennement par Eric Dupin, consultant.

http://fr.readwriteweb.com/ : essentiel et publié en cinq langues, « un blog dédié aux

technologies Internet, qui en couvre l’actualité et se distingue par ses notes d’analyse et de

prospective ainsi que par l’accent mis sur les usages et leurs impacts sur les médias, la

communication et la société. »

http://www.themediatrend.com : alimenté par Marc Mentre, journaliste, ce blog est « destiné à

recenser les ressources disponibles, à reprendre les études et à analyser les expériences

intéressantes concernant les nouveaux médias, les nouvelles pratiques journalistiques et les

nouveaux usages, en les replaçant, lorsque c’est possible, dans leur contexte historique ».

http://blog.slate.fr/labo-journalisme-sciences-po/ : alimenté par Alice Antheaume, responsable de

la prospective et du développement à l'Ecole de Journalisme de Sciences Po, le blog W.I.P.

(Work In Progress) « traite des rédactions prises dans le tsunami du temps réel et des usages de

l’audience qui changent souvent plus vite que les journalistes ».

...

4 – Emissions

Place de la toile : « une émission qui aborde les différents aspects de la révolution numérique,

moins du côté technique que du côté des conséquences qu’elle induit sur l’information, les

médias, la communication, les liens sociaux entre les individus, et finalement, l’organisation de

notre vie », sur France Culture, toutes les semaines.

Marion Lecointre – Mémoire professionnel – Paris IV - Master II Conseil Editorial – Promotion 2009-2010 65

Page 66: Information en ligne : quel écosystème pour demain ?

L'atelier des médias : la « Web-émission participative pour la communauté des médias et réseau

social de rfi ».

L'atelier numérique : « Avec une alternance de formats sérieux et ludiques, « l'Atelier

Numérique » a comme ambition de livrer une analyse critique, approfondie, et parfois amusée,

sur Internet et les technologies de l'information », toutes les semaines sur BFMRadio

Marion Lecointre – Mémoire professionnel – Paris IV - Master II Conseil Editorial – Promotion 2009-2010 66

Page 67: Information en ligne : quel écosystème pour demain ?

ANNEXES

Marion Lecointre – Mémoire professionnel – Paris IV - Master II Conseil Editorial – Promotion 2009-2010 67

Page 68: Information en ligne : quel écosystème pour demain ?

La filière de l'information en ligne

in : Rebillard, F, Smyrnaios, N, « Les infomédiaires au coeur de la filière de l'information en

ligne. Le cas de Google, Wikio et Paperblog » in Presse en ligne, Revue Réseaux, n°160-161,

Paris, La Découverte, 2010.

Marion Lecointre – Mémoire professionnel – Paris IV - Master II Conseil Editorial – Promotion 2009-2010 68