Indigènes et Etat Nation : 7

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FLORENT KOHLER 2013 INDIGÈNES ET ETAT NATION : 7

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F L O R E N T K O H L E R 2 0 1 3

INDIGÈNES ET ETAT NATION : 7

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« Sphère de

médiation »:

élaboration d’un

langage

commun.

LA QUESTION DES STÉRÉOTYPES ET DES SPHÈRES DE MÉDIATION

ONG,

associations,

Monde

académique

Institutions

gouvernementales

Populations et

leurs

représentants

Exemple de langage commun (« moyenne dialectique » selon LS): “Os quilombolas não são envolvidos

com desmatamento ou venda ilegal

de propriedades. Sua ligação

cultural faz com que a terra onde

vivem seja sagrada, não para

especulação.”

Eloi Ferreira de Araujo, presidente da

Fundação Cultural Palmares

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DIFFÉRENTES MANIÈRES D’ABORDER LA QUESTION

• Manière Latourienne: sociologie des réseaux. Etudier la circulation des significations entre différents domaines. • Latour appelle « traduction » la transposition d’un état de fait

(une situation ou une réalité) dans un mode d’existence propre aux différents domaines qui vont s’en emparer.

• Traitement par l’anthropologie, puis traduction en Droit, puis mise en discussion dans différentes arènes. Dans chaque domaine, une situation vit dans un mode d’existence particulier.

• La « sphère de médiation » est le lieu par où transitent les situations entre les différents domaines. Dans chaque domaine sera produit une entité différente, en mode scientifique, en mode juridique, en mode médiatique… C’est pourquoi Latour parle « d’ontologies ».

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MANIÈRE LATOURIENNE

• Une entité (être, phénomène, comportement de la manière ou du vivant) « advient » à l’existence au sein d’un laboratoire: il accède à la représentation, il « entre en politique ».

• Il commence à agir en tant qu’existant: le virus du sida, dans les organismes, dans l’opinion et les politiques publiques, dans les comportements à risque ou prudents.

• Dans chaque domaine, il aura un mode d’existence différent: en tant que virus dans l’organisme, en tant que mécanisme pathogène pour les scientifiques, en tant que problème à résoudre pour les politiques, en tant que peur ou fantasme sur l’opinion. • Le virus exerce une action effective dans chacun de ces domaines. Il « agit

sur ».

• Latour réfute toute distinction entre ces différents modes d’existence, entre réalité et représentation. Seul lui importe « ce qui exerce une action sur ».

• Le loup est tout aussi agissant en tant que mammifère prédateur dans un écosystème que dans sa représentation médiatique (Antoine Doré)

• La drosophile homosexuelle circule du laboratoire à l’opinion publique en fonction des systèmes dominants de représentation de France et du Japon (Sophie Houdart).

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TRANSPOSER LA RELATION DANS LA COGNITION

• Ce que Latour pose comme système de relation, on peut l’aborder sous l’angle des modes de cognitions, c’est-à-dire la manière dont notre cerveau appréhende la réalité en produisant du sens.

• Pourquoi? Parce que la critique que l’on peut adresser à Latour est qu’il propose, de fait, un système descriptif, un mode de narration ou de mise en scène de la démarche scientifique. • Dire que le loup « agit » aussi bien quand il mange un mouton que quand

on en parle dans les journaux et quand il déclenche des politiques revient à dire que le tyrannosaure « agit » parce qu’on reconstitue son environnement et qu’on le met en scène dans des films.

• Dire que le drosophile « agit » sur les représentations comme le fait le loup c’est s’interdire d’observer le loup comme agent, centre de décision ou « centre d’intérêt ».

• Plus généralement, réduire la question indigène à une circulation et transposition de modes d’existence c’est s’interdire de considérer les êtres en soi, en tant qu’êtres vivants , et non en tant que signification.

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NE PAS SE LAISSER EMPRISONNER DANS UNE HERMÉNEUTIQUE

• Constructivisme social poussé à l’extrême: ce qui advient n’est pas seulement une construction sociale, c’est déjà du social, un acteur, un actant, un agent engagé dans des réseaux et des interactions. (Influence de Viveiros de Castro cherchant à dépasser la frontière humain/non humain, société/nature)

• Noter que Latour parle de « modes d’existence » quand on peut parler de « signification ». Confondre les deux pour des raisons dialectiques est dangereux.

• « Signification » = intégration à un système de signes. • Les systèmes de signes forment un « sens » global attribuable à toute situation.

• L’adoption d’une nouvelle perspective entraîne l’adoption d’un nouveau système de signification.

• On appellera « signe » ce qui forme sens pour un individu particulier. Cf. « Théorie de la signification » de Jacob von Uexküll.

• Chez les humains, deux niveaux de signification: niveau du réel (ce qui est saillant) et niveau des représentations (ce qui forme sens). Cf. Riffaterre (1979:13), à propos de la poétique de Baudelaire:

• « Pour que le lecteur perçoive ces éliminations ou substitutions, il faut d'abord qu'il puisse identifier le système, reconnaître quelle mythologie est mise en œuvre. Or cette identification même n'est possible que par l'existence, dans le texte, de stéréotypes dont la lecture, même sous forme de fragments, est une espèce d'amorce : elle déclenche dans notre esprit le déroulement du système de lieux communs ou du moins nous prédispose à déchiffrer la suite en pleine conscience de ce système comme contexte verbal. »

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EXEMPLE DU PRÉSIDENT DE LA FONDATION PALMARES:

“Os quilombolas não são envolvidos com desmatamento ou venda ilegal de propriedades. Sua ligação cultural faz com que a terra onde vivem seja sagrada, não para especulação.”

• Système de signification: signes appartenant à des domaines différents, qui

s’entrelacent. • Desmatamento/Ilegal/Especulação domaine du Droit et de l’Economie. • Ligação/Cultural/Sagrada domaine des Sciences Humaines et de la Spiritualité.

• L’analyse ne repose pas sur des règles de syntaxe. Les termes soulignés

sont « saillants » pour les auditeurs comme un buisson ou une flaque de boue sont saillants pour un joueur de golf.

• Ce qui permet aux significations de circuler entre les humains, c’est leur capacité à intégrer des systèmes organisés, opérationnels. C’est là qu’interviennent les stéréotypes, comme des unités de sens partagé entre différents individus.

• Le Président de la Fondation tient un discours à double adresse, tourné vers ceux qu’il défend (les quilombolas) et vers ses interlocuteurs institutionnels (ici, les médias).

• Il oppose un mode d’être spiritualisé par opposition à un autre, destructeur. Ce qu’il convient de noter est que ni l’un ni l’autre de ces modes ne se déploie dans la sphère de la réalité, mais uniquement dans la sphère des représentations.

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EBAUCHE D’UNE THÉORIE DES STÉRÉOTYPES

• La cognition s’opère dans un sens donné : pensée modulaire. Stéréotypes comme outils de cognition sociale (Lippman, Vinacke) : faire du stéréotype un instrument opératoire pour analyse de discours recueillis au cours de l’enquête, méthode narratologique.

• La cognition opère à partir d’une réalité donnée. Les conventions sociales, les normes, les valeurs, les processus perceptifs, sont autonomes par rapport au langage. Une enquête fondée sur discours risque de passer à côté de la réalité.

• Chez l’espèce humaine, fonctionnement de l’esprit et fonctionnement du langage sont corrélés, mais ne se recouvrent pas

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PSYCHOLOGIE SOCIALE, THÉORIES COGNITIVES

• Encodage et décodage à partir d’une même réalité. Quel rôle joue la réalité dans la P langagière. Décrypter ce qui est traduit par du langage (stock de représentations stéréotypées) et ce qui est produit par du langage.

• Notion de « discours contraint » : de même manière que les lois physiques façonnent la matière, des contraintes (sociales et cognitives) s’exercent sur le mode de production du discours. Déterminer quelles sont ces contraintes permet une analyse plus fine des représentations.

• Lippman, Vinacke ; jugement social (Tajfel)

• Cognition : théorie des Mèmes de Dawkins, épidémiologie des représentations (Sperber)

• Perspective évolutive : Dessalles. Etude de la saillance et de la pertinence, ce qui permet au locuteur d’être écouté.

• Dissociation catégories/jugement et langage. Les normes et les valeurs peuvent être décrites, mais non produites par le langage.

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LES PRÉCURSEURS

• La psychologie sociale connaît une avancée avec Lippman, en 1922. Cette avancée est due aux progrès des moyens de communication mis au service de l’information et de la propagande.

• Lippman propose de redéfinir le stéréotype comme « image dans nos têtes », l’esprit choisissant un itinéraire parmi des repères qui ne seraient pas spatiaux, mais idéaux. Incapable d’appréhender dans sa totalité le monde qui l’entoure, l’esprit humain classe, trie, se focalise, et partage ce qui émerge de ce tri.

• C’est le sociologue Vinacke qui fera des stéréotypes des « concepts sociaux » : • Stereotypes "are organizations of experience with certain classes of objects (persons)

based on perceived relationships. Personality and intellectual traits constitute the most significant components. It is probable that intensional properties play a different (and more confused) role in stereotypes than in other concepts… development of stereotypes is basically similar to that of other concepts, save that the context in which it takes place, and the direction (if any) given to that development, have special features." • Stereotypes as social concepts. Vinacke, W. Edgar The Journal of Social Psychology, Vol

46, Nov 1957, 229-243.

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PSYCHOLOGIE SOCIALE

• Pour Vinacke, les stéréotypes sont donc des modes d’organisation de l’expérience fondée sur les relations que certaines classes d’objets (les gens) entretiennent entre elles. Ce qui différencie les stéréotypes des concepts au sens philosophique du terme, c’est que les stéréotypes sont des concepts localisés, contextualisés. Vinacke restreint leur champ d’application aux relations sociales.

• La psychologie sociale fera un large usage de cette notion dans les différentes théories de l’identité sociale et du jugement social, opposant les « groupes-collections » aux « groupes-agrégats » (cf. Leyens, Yzerbit, Schadron), et permettant de comprendre comment s’établissent, à partir d’introjections négatives ou positives, des positions sociales liées à la couleur des cheveux ou de la peau, des formes d’expression, des codes vestimentaires.

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ETHNOLOGIE ET ANTHROPOLOGIE COGNITIVE

• L’ethnologie ne sera pas en reste puisque l’ethnologie du contact, de Malinowski à Danielle Juteau en passant par Barth, s’emparera de la question de la constitution des groupes ethniques et de leurs frontières, en pointant le rôle fondamental de la différenciation culturelle, envers de la discrimination.

• Parallèlement, avec l’avancée des neurosciences et le surgissement de l’anthropologie cognitive, c’est le fonctionnement de l’esprit lui-même, hors de tout contexte particulier, qui devient objet d’investigation.

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CAS DE PHINEAS GAGE

• Cas du très fameux Phinéas Gage, dont la terrible perforation cérébrale ouvrit un champ d’étude nouveau. Ce champ d’étude va d’une part établir la dissociation entre performance langagière et normes sociales (la maîtrise du langage ne recouvre pas le système de normes et de valeurs des sociétés humaines) d’autre part établir que les catégorisations et classements sont des processus dont les fondements sont émotifs.

• Cf. Damasio 1995

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PENSÉE MODULAIRE

• Fodor, repris par Sperber, propose un modèle de cognition humaine fondé sur une pensée modulaire. L’appréhension du monde passe par un certain nombre de filtres et ces filtres sont organisés en modules réalisant différentes tâches : perception, classement, représentation et métareprésentations. Chaque module est constitué d’attracteurs : un mode standard de traitement de l’information à partir de modèles préexistants. Une telle approche permet d’expliquer pourquoi, à partir de phénomènes perceptifs partagés, l’humanité a produit des mythes et des divinités (Boyer).

• Une approche évolutionniste, telle que pratiquée par Dessalles, permet de souligner certains traits du langage retenus par la sélection naturelle, en particulier les phénomènes de saillance et de pertinence, qui replacent la question dans le cadre plus vaste de la capacité langagière au sein de l’espèce humaine.

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RÉALITÉ ET LANGAGE

• Ce panorama nous permet de souligner une ambiguïté dans la question du langage : d’un côté, il joue un rôle prépondérant dans les relations sociales, et dans le même temps son fonctionnement est partiellement déconnecté des réalités qu’il prétend décrire. Si donc le fonctionnement de l’esprit et celui du langage sont corrélés, ils ne se recouvrent pas. Par ailleurs, en se focalisant sur les rapports que ces deux objets entretiennent – esprit et langage – on a quelque difficulté à percevoir quel rôle joue le monde environnant dans la constitution de notre monde de représentation.

• 2. Un détour par la littérature nous permettra de mettre en évidence la relative autonomie du langage dans la constitution de ce monde.

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PRINCIPE DE FICTION

• Si ces approches permettent de rendre compte du fonctionnement général du langage, elles ne permettent pas de rendre compte d’une situation donnée : elles renvoient en effet au fonctionnement des représentations et non pas aux humains qui les produisent, objets de l’anthropologie. Détour par narratologie et par le principe de fiction.

• La poétique : mode de représentation (poiesis) propre à un auteur. Poésie : ressources langagières, fiction : ressources dramatique

• 1) Contraintes propres au fonctionnement du langage. Exemple de la littérature : production par l’intrigue, production par le langage. Dans l’enquête, le contexte vient s’ajouter à ces deux modes de production.

• 2) Contraintes produites par le contexte : le discours contraint relève du fonctionnement du langage même si produit dans contexte donné : il est décontextualisé en ceci qu’il repose sur phraséologie qui n’a pas d’ancrage précis. C’est précisément au moment où des contraintes s’exercent sur le discours que celui-ci va se déconnecter.

• 3) essai d’articulation des systèmes de représentation en fonction des registres.

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GÉNÉRATION LANGAGIÈRE

• On appelle poétique la manière, propre à chaque auteur, de constituer un univers de représentation. Pour simplifier, deux ensembles émergent : la poésie en tant que telle, dont les ressources relèvent du fonctionnement du langage, et la fiction qui emprunte davantage aux ressorts dramatiques. La frontière, nous le verrons, est toutefois ténue.

• La cognition n’est pas absente de la production littéraire, puisque la condition de sa réception est évidemment que l’objet produit soit intelligible. Comme l’expose Riffaterre, la production de texte équivaut au déploiement d’un système de lieux communs.

• Génération par le langage lui-même.

• Génération par les ressources de l’intrigue : ressorts dramatique. Exemple tiré de la Peau de Chagrin: le cygne à cravate.

• Dans les deux cas le lecteur complète le tableau.

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ARTICULATION DES REPRÉSENTATIONS.

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DISCOURS ET RÉALITÉ: QUELLE ANTHROPOLOGIE?

• L’indien sauvage n’a pas besoin de la réalité pour exister: il existe dans le registre représentationnel.

• Le fait qu’il mange ses père et mère n’est pas un mensonge, mais une fiction.

• Cette fiction se déploie dans le champ des représentations, tout comme le fait que « l’Indien vit en harmonie avec la nature ». • La différence est que l’Indien sauvage ne reconnaissant ni père ni mère

est une représentation partagée par le groupe, tandis que l’Indien vivant en symbiose avec la nature est une représentation partagée dans un contexte de négociation interethnique.

• Il y a également une différence entre poser l’Indien sauvage comme existant et agissant, et l’étudier en tant que tel dans les différents champs de négociation, et l’étudier en tant qu’élément de représentation du groupe étudié, qui demeure le centre de l’attention.

• La sociologie des sciences étudierait l’Indien sauvage dans ses différents « modes d’existence ». Nous proposons de l’étudier dans son articulation au sein d’une sphère ou d’un champ de représentation particulier, que nous qualifions de « cosmologique » (autre terme : épistémè, champ épistémique, champ de connaissance partagée).

• Nous appelons « grille de lecture » ou « cadre de représentation » la manière dont une culture donnée articule les éléments de signification au sein d’un champ de représentation.

• Qu’est-ce que cet Indien « dit » au sujet du groupe, de ses valeurs, de ses normes, de sa cohésion?