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IMPORTANCE DE LA VISION POUR LE DEVELOPPEMENT SENSORI-MOTEUR DU NOURRISSON Cas pratique, l’enfant malvoyant : Rémi 11 mois DIPLOME UNIVERSITAIRE PSYCHOPATHOLOGIE DES PROCESSUS COGNITIFS CHEZ L’ENFANT ET L’ADOLESCENT BERGER-MARTINET Alexandra Université Paris VI Faculté de Médecine Pitié-Salpêtrière Directeur de l’enseignement : Pr. Ph. MAZET Année Directeur du Mémoire F. VITAL DURAND, Mon enfant voit mal

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IMPORTANCE DE LA VISION POUR LE DEVELOPPEMENT SENSORI-MOTEUR DU

NOURRISSONCas pratique, l’enfant malvoyant : Rémi 11 mois

DIPLOME UNIVERSITAIRE

PSYCHOPATHOLOGIE DES PROCESSUS COGNITIFS CHEZ L’ENFANT ET L’ADOLESCENT

BERGER-MARTINET Alexandra

Université Paris VIFaculté de Médecine Pitié-SalpêtrièreDirecteur de l’enseignement : Pr. Ph. MAZET

Année Directeur du Mémoire

F. VITAL DURAND, Mon enfant voit mal

D.U. Psychopathologie des processus cognitifs de l’enfant et de l’adolescent

2004-2005 Dr J. XAVIER

Importance de l’apprentissage de la vision pour le développement sensori-moteur de l’enfant 2

Alexandra BERGER-MARTINET Année 2004-2005

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REMERCIEMENTS

Merci aux orthoptistes de l’Hôtel-Dieu de Paris pour m’avoir apporté leurs

expériences et leur aide précieuse. Merci tout particulièrement à Elise BURTIN,

orthoptiste, pour son soutien et sa participation à la prise en charge de Rémi. Les

patients comme ce petit garçon demandent à la fois de l’énergie, du temps et un besoin

d’échanger. Il est très agréable de pouvoir partager cela avec toi.

Merci au Docteur Françoise NIESSEN de me permettre de travailler auprès de ces

nourrissons malvoyants. Merci à Catherine LACHAUX, psychomotricienne, avec qui

les discussions, parfois tardives, m’ont aidée a mieux organiser ma pensée.

Merci à Rémi et à sa famille pour leur accord et leurs réponses à des questions parfois

difficiles à entendre.

Merci à mon maître de mémoire le Docteur Jean XAVIER pour ses remarques et

surtout pour m’avoir appris au cours de l’année à prendre du recul sur mon travail de

rééducateur. Je remercie aussi l’ensemble des organisateurs du D.U et les orateurs

pour nous avoir fait partager leur savoir.

Merci enfin aux yeux perçants de tous ceux qui ont relu maintes et maintes fois ce

mémoire pour leurs conseils et leurs remarques.

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1. SOMMAIRE

1. SOMMAIRE...................................................................................................................4

2. INTRODUCTION............................................................................................................ 5

3. LA VISION ET LE DÉVELOPPEMENT PSYCHO-SENSORI-MOTEUR..................................6

3.1. Parallèle fonction visuelle et développement psychomoteur..............................6

3.2. La vision comme outil de communication.........................................................12

3.2.1. Importance du regard social pour l’interaction...........................................13

3.2.2. Attitude de la famille.................................................................................. 13

3.2.3. Impact de l’absence d’échanges enfant/parents sur le développement psychique de l’enfant............................................................................................16

3.3. La vision dans l’élaboration de soi.................................................................... 17

3.4. La vision comme vecteur de l’expérience........................................................ 19

4. CAS PARTICULIER DE L’ENFANT MALVOYANT OÙ COMMENT SE DÉVELOPPER AVEC UN SENS DE LA VUE DÉFICIENT ?...................................................................................21

4.1. Définition de la malvoyance.............................................................................. 21

4.2. Développement cognitif spécifique de l’enfant mal voyant..............................22

4.2.1. La petite enfance.........................................................................................22

4.2.2. Age scolaire................................................................................................ 26

4.3. Nécessité d’apprendre à regarder de façon précoce...........................................28

5. RÉMI..........................................................................................................................32

5.1. Description ........................................................................................................32

5.1.1. L’enfant....................................................................................................... 32

5.1.2. La famille....................................................................................................34

5.2. Evaluation du développement cognitif et sensori-moteur de cet enfant............35

5.3. Suivis thérapeutiques......................................................................................... 38

5.4. Évolutions familiales......................................................................................... 42

6. CONCLUSION............................................................................................................. 45

7. BIBLIOGRAPHIE......................................................................................................... 47

8. ANNEXES................................................................................................................... 49

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2. INTRODUCTION

Parmi les 750 000 naissances annuelles en France 1 000 enfants sont atteints de

malvoyance ou de cécité. Ce handicap pouvant engendrer des déficits secondaires lors

de l’entrée dans les phases d’apprentissage il est évident qu’un diagnostic précoce est

primordial. Selon M. BARBEAU au-dessous de trente mois les troubles de la vision

sont susceptibles d’affecter l’ensemble du développement des fonctions, surtout

praxiques et spatiales.

En effet, le système visuel n’a pas pour seul but d’analyser les images, il participe

également au développement sensori-moteur de l’enfant, développement à la base de

toutes les acquisitions futures. Par ailleurs le rôle essentiel de la vision dans la

communication permet un échange entre l’enfant et ses parents conditionnant les

rapports qu’ils auront les uns avec les autres. Nous entendons par-là la mise en œuvre

des situations visant à sécuriser l’enfant mais aussi les moments des jeux et de

stimulations nécessaires à son bon développement.

Pour toutes les raisons citées précédemment nous tenterons de vous montrer

l’importance du dépistage et de la prise en charge précoce des enfants déficients

visuels. Pour cela nous nous baserons sur le cas pratique d’un enfant malvoyant suivi

en rééducation depuis environ un an : Rémi.

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3. LA VISION ET LE DÉVELOPPEMENT PSYCHO-SENSORI-MOTEUR

3.1. Parallèle fonction visuelle et développement psychomoteur

Les découvertes des ces dernières années et notamment les travaux de Richard HELD

ou de François VITAL DURAND ont montré que si l’enfant naît avec un potentiel

génétique, la capacité innée ne suffit pas. La maturation et l’apprentissage doivent

entrer en jeu.

En effet, au niveau visuel, il existe un âge critique pour le développement où les

capacités mentales et motrices peuvent être utilisées. C’est à ce moment que se fait

l’apprentissage. Si celui-ci ne peut se faire, les réponses ne seront pas intégrées

harmonieusement et le développement se poursuivra de façon anormale. Cette période

du développement de la vision binoculaire se situerait environ entre 3 et 8 mois.

Période la plus prospère aux apprentissages moteurs.

Si cette recherche a été faite dans le cadre visuel, cette affirmation est tout aussi

valable pour le développement en général. On retrouve d’ailleurs une coopération

privilégiée entre la vision et la maturation de la motricité. Prenons l’exemple de la

préhension où la qualité du geste de l’enfant peut permettre d’évaluer sa maturité.

Chez le prématuré le fait de toucher la paume de la main entraîne une simple flexion

des doigts alors que chez le bébé né à terme la main se referme sur l’objet. Plus tard, à

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quatre mois le petit sera capable de regarder l’objet qui le stimule avant de le prendre

pour qu’à six mois ce soit le simple fait de voir l’objet qui stimulera cet acte de

préhension. Cependant pour que l’enfant atteigne ce stade il aura fallu qu’il ait

l’exemple de l’adulte. Dans cet exemple une réaction automatique d’ordre tactile se

transforme en véritable réponse attentionnelle grâce à une autre modalité sensorielle :

la vision.

Ceci démontre combien la vision participe au développement de la motricité et

combien la coopération entre ces deux fonctions est importante.

De plus, la motricité et plus précisément les mouvements de praxie sont sous-tendus

d’une part par le tonus et la posture, un mouvement ne pouvant être exécuté

correctement sans une posture adaptée, et d’autre part par la vision qui permet un rétro

contrôle. La posture étant le processus par lequel l’organisme réalise un réajustement

entre les contraintes gravitaires et la tâche qu’il est en train d’effectuer. L’absence de

vision a des retentissements importants sur le développement postural et moteur de

l’enfant du fait de son rôle dans la stabilisation du corps et dans le contrôle des

mouvements. En effet, la cécité ou l’extrême malvoyance prive la personne des flux

visuels lui apportant des informations sur la verticale ou l’horizontale. La personne

aveugle ne possède alors que les modalités proprioceptives et vestibulaires pour la

renseigner. Or les recherches montent que celles ci sont beaucoup plus efficaces si

elles sont couplées à des informations visuelles.

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Prenons l’exemple du jeune aveugle : chez lui la tête est penchée en avant comme

chez le nouveau né à cause d’une contrainte gravitaire non compensée. En revanche,

après trois mois l’enfant voyant redresse sa tête pour fixer droit devant. Cette position

permet de mettre en phase les alignements des canaux semi- circulaires et de la vision.

Cette posture (tête penchée) entraîne des anomalies posturales du dos et des jambes,

une fatigue importante associée à des tensions mais surtout elle limite l’apport sanguin

nécessaire aux différents segments corporels diminuant la qualité des informations

proprioceptives. La déambulation étant déjà difficile faute de pré-vision elle est alors

rendue encore plus mal aisée par la tendance à virer c’est à dire à tourner en rond.

L’évolution de la posture est un élément clé dans le développement psychomoteur car

elle constitue l’ancrage de l’activité motrice de déplacement et d’exploration. C’est

elle qui permettra à l’enfant d’atteindre progressivement la position assise puis érigée,

de libérer la mobilité de l’épaule et de la main, d’orienter son corps et dans le cadre de

sa fonction expressive d’initier des interactions. Ces acquisitions sont à la base des

développements perceptifs, moteurs, cognitifs, affectifs ou sociaux. Cependant,

certaines postures particulières sont très dépendantes de la fixation. Il est en effet

courant de constater chez les enfants malvoyants un retard important dans

l’acquisition de la position assise. En effet, c’est l’ancrage du regard au sol qui permet

en grande partie de maintenir la position alors que pour la marche, acquise beaucoup

plus facilement, le maintien de l’équilibre est géré par le bassin.

On comprend donc bien là l’importance de la prise en charge précoce des nourrissons

malvoyants tant au niveau moteur qu’au niveau visuel.

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Le tableau ci-dessous met en parallèle le développement psychomoteur dans les

premières années de vie et le développement de la fonction visuelle.

En marge de la maturation neurologique des voies visuelles et de la mise en place de

l’oculomotricité (fixation, poursuites et surtout saccades) se développe la vision

fonctionnelle proprement dite : le nourrisson commence à apprendre à utiliser son

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AGE StadesFonctionvisuelle

Visionfonctionnelle

Préhension Motricité Cognition

Naissance

Att

en

tio

n p

rolo

ng

ée

1/20Fixation possibleCoordination oculo-céphalique absente

Grasping réflexe

1 moisPoursuite sur 90°

Réflexe clignement

2 moisPoursuite sur 180°

Vergences possiblesChamp visuel réduit

3 mois 1/10Suit et tourne la tête

Accomodation stabiliséeVision des couleurs

Préhension au contact

4 mois

Capacités proche de l'adulte

Saccades fonctionnellesVision du relief

Tentative de préhension

5 mois Préhension volontaire

6 mois 2/10Passage

ventre/dosNe cherche pas

l'objet absent

7 moisPassage

dos/ventre

8 mois Assis seulCherche

l'objet absent

9 mois 3/10Relief, forme, distance

Coordination visuo motricePince fine

Tend l'objetaux parents

10 mois Mache à 4 pattesSens du

contenant/contenu

11 mois Pointe les objetsTient deboutavec appui

Explore en 3D

12 mois 4/10 Champ visuel normal Marche seul

Exp

lora

tio

n v

isu

ell

eIn

ten

tio

nali

té d

u r

eg

ard

Att

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tio

n a

nti

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exp

lora

tio

n

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regard pour un projet précis. Il passe alors de l’état passif de percevoir à l’état actif de

regarder.

Intéressons-nous donc au traitement cérébral des informations visuelles. Pour cela il

convient de rappeler ce qu’est précisément la vision fonctionnelle. Celle-ci a trois

composantes essentielles :

VOIR : l’œil est un capteur sensoriel qui permet l’analyse des caractéristiques

primaires d’un objet (luminosité, taille, contraste, couleur, vitesse de

déplacement, fréquence spatiale).

COMPRENDRE : le traitement cérébral de l’information sensorielle permet

l’étape gnosique. C'est-à-dire la confrontation entre les caractéristiques

primaires perçues et le stock mnésique visant à reconnaître l’objet via les

capacités cognitives. Cette étape est aussi dépendante de la volonté et de la

motivation du sujet.

REGARDER : l’œil devient un effecteur par la mise en œuvre de stratégies de

regard (exploration, observation) qui permettent l’adaptation volontaire de

l’individu à son environnement. Les effecteurs privilégiés en sont les muscles

oculomoteurs via l’oculomotricité.

Ces fonctions sont schématisées en une boucle que nous appelons boucle

neurovisuelle.

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Ces trois étapes étant en constante interaction, on s’explique facilement qu’une bonne

acuité visuelle ne soit ni suffisante ni indispensable pour une vision efficace.

De même la perturbation d’un de ces éléments met en péril la fonctionnalité de la

vision et par cela même les apprentissages qui en découlent.

En grandissant et par le biais d’expériences variées l’enfant devient acteur de ses

systèmes visuel et moteur.

La vision fonctionnelle apportant une information environnementale et affective,

participe au bon développement psychologique de l’enfant. Si voir est un moteur de la

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La boucle neurovisuelle

VOIRŒil récepteur

Cortex occipital

LuminanceCouleurContraste

COMPRENDRE« GNOSIE »

Aires associativesMémoire

REGARDERŒil effecteur

Pré programmation« PRAXIE »

Oculomotricité

Cognition

Attention

Motivation

Volonté

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manipulation et de la compréhension, c’est aussi communiquer de façon verbale ou

non, capter et répondre aux mimiques et expressions d’autrui.

3.2.La vision comme outil de communication

« La vision est le principal mode de communication de l’organisme et un support de

communication sociale. L’image perçue présente autant de qualités psychologiques

que sensorielles » (Vital Durand).

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VOIRVOIR

CommunicationCommunicationPré verbale / Langage

AgirAgirDéveloppement psychomoteur

Organisation du geste

ComprendreComprendreEveil

Saisie de l’information

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De la même façon que l’enfant apprend à se déplacer et à appréhender son

environnement, l’interaction avec autrui évolue beaucoup dans les premiers mois de

vie. Le nourrisson change non seulement dans la relation qu’il entretient avec ses

parents mais surtout il commence à changer dans son rapport avec autrui.

3.2.1. Importance du regard social pour l’interaction

Le partenaire privilégié du bébé dès son arrivée au monde est sa mère. En effet que

fait-il à peine sorti du ventre maternel si ce n’est entrer en communication avec elle

par toutes les modalités qui lui sont offertes ? Posé contre sa peau il ressent sa chaleur,

sa douceur, il l’entend, la sent et la regarde. C’est avec elle et son papa qu’il va

commencer à appréhender ce nouveau monde qui s’offre à lui grâce notamment à

leurs caresses ou au son de leur voix. Il apprendra aussi à analyser ses propres

tentatives d’action en fonction de l’observation des réactions que ses parents auront en

retour.

3.2.2. Attitude de la famille

Indépendamment du métier ou du niveau social des parents, toutes sortes d’attitudes

parentales sont possibles face au handicap visuel d’un enfant.

Dans nos consultations nous recevons le plus souvent des parents dépassés par la

situation. Tout simplement parce que le handicap visuel est très peu connu et qu’il

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nous est difficile à nous, voyant, d’imaginer ce que perçoivent ces enfants mais aussi

parce que leur futur parait extrêmement incertain. Ces parents se demandent à la fois,

quelle sera l’évolution de la vision, de la motricité globale mais aussi des impacts sur

la scolarité et l’intégration sociale. En effet, il faut bien le dire, notre société est

essentiellement faite pour des voyants.

Bien que le handicap soit reconnu et pris en charge, on retrouve toujours chez les

parents une culpabilité plus ou moins bien gérée. Celle-ci sera extrêmement

dépendante de l’annonce du handicap, son contexte, les mots employés mais aussi

surtout de la précision du diagnostic porté. En effet une pathologie héréditaire, due à

un virus ou à une pratique à risque d’un des deux parents sera plus culpabilisante

qu’une malvoyance acquise dans les premiers jours de vie dont l’étiologie est

complètement indépendante d’eux même.

Outre le sentiment de culpabilité, on retrouve aussi un sentiment de honte et un repli

sur soi de la famille face à ce regard « particulier » qu’ont les enfants malvoyants. En

effet, la fixation particulière de ces nourrissons entraîne une errance du regard, un

plafonnement ou encore une fixation excentrée pouvant donner l’impression qu’ils

regardent derrière ou à côté. La famille finit par redouter ce regard errant, sans

fixation et parfois même l’évite, préférant laisser l’enfant seul plutôt que de le

stimuler.

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En dehors même du cercle familial, on remarque une volonté délibérée de cacher cette

différence au monde extérieur avec une tendance à l’hyper protection ce qui contraste

grandement avec les attitudes de rejet.

Ces enfants se retrouvent donc à la fois dans un cocon familial non stimulant et coupé

du monde extérieur et de ses informations sensorielles dont ils pourraient tirer

bénéfice.

Une autre attitude sera de surprotéger l’enfant en « faisant à sa place », en prévenant

ses moindres désirs et en filtrant tous les risques. Ce faisant, on bloque l’enfant dans

sa démarche propre de découverte du monde qui pourra évoluer vers une diminution

de l’envie d’explorer.

Un soutient tant moral que matériel de l’ensemble de la famille est fondamental pour

aider les parents à assumer le regard qu’ils portent sur leur enfant mais aussi pour faire

le deuil de la vision.

Quand le handicap est reconnu, que le deuil de la vision est fait alors seulement les

parents peuvent plus facilement prendre du recul face à ce non-regard et tenter de

comprendre que l’échange n’est ni impossible ni interrompu intentionnellement mais

que tout simplement il faudra utiliser de façon privilégiée d’autres modalités

sensorielles pour entrer en interaction.

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3.2.3. Impact de l’absence d’échanges enfant/parents sur le

développement psychique de l’enfant

Les stimulations parentales sont une base très importante pour le développement de

l’enfant ainsi que pour sa motivation à « entreprendre ».

En effet le bébé comprend petit à petit que son action a provoqué une réaction positive

de la part de ses parents non seulement en entendant leurs félicitations mais aussi en

analysant l’expression de leurs visages. Et ce sont ces encouragements qui vont le

pousser à recommencer.

Par la suite le regard que l’enfant porte à ses parents va conditionner en retour leur

propre réaction. Un enfant qui ne regarde pas sa mère peut être un enfant déroutant

pour elle.

Un des moments les plus mal vécu est l’alimentation, c’est un moment où la maman

effectue un des actes essentiels de son rôle de mère. C’est aussi le moment privilégié

où l’enfant est dans un état de vigilance optimale pour entrer en communication.

Cependant l’absence de regard peut être considérée par le parent comme un refus de

communication pouvant entraîner un sentiment de rejet.

On constate d’ailleurs que ce non-regard fait entrer les familles dans une spirale

infernale où l’enfant ne répondant pas visuellement aux différents stimuli est parfois

délaissé. Ceci combiné au fait qu’un enfant malvoyant est souvent un enfant calme,

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une rupture de la communication est à redouter entraînant à terme un défaut de

stimulation. En effet, l’absence de fixation veut dire que la communication doit passer

par un autre canal que le regard, qui, chez le bébé est le moyen le plus facile à utiliser.

Lorsque le parent ne peut pas ou ne veut pas trouver une autre modalité l’échange

devient alors, impossible. Cette rupture provoque une diminution de l’envie même

d’échanger car l’adulte n’est pas « payé » en retour des efforts qu’il pense réaliser. De

ce fait on arrive à une diminution progressive des moments d’intimité et de jeux qui

ont pour but à terme de permettre à l’enfant de se construire. Le potentiel inné avec

lequel le bébé démarre dans l’existence ne peut alors être enrichi des apprentissages

nécessaires à son bon développement.

3.3.La vision dans l’élaboration de soi

L’élaboration de la personne passe par le ressenti de soi en tant que corps et c’est en

partie le vécu corporel dans toutes ses expériences motrices et sensorielles qui permet

de sentir la peau comme une enveloppe extérieure contenante. Chez le petit en phase

d’acquisition motrice le frottement de la peau sur le sol ou sur les vêtements, le

ressenti de déplacement d’air et le toucher des différentes textures environnantes sont

autant de renseignements sur l’enveloppe corporelle. La vision dans son action

stimulante du déplacement joue un rôle non négligeable dans la construction des ces

enveloppes.

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De même, le fait de voir son propre corps et le corps de l’autre dans sa globalité, lors

de ses déplacements ou dans les expressions quotidiennes et de le rapprocher des

ressentis proprioceptifs permet d’acquérir une représentation unifiée du corps. C’est

une aide à l’élaboration de son propre schéma corporel.

En outre, on sait que dans l’élaboration du langage le fait pour l’enfant de pouvoir

associer le son qu’il entend aux mimiques buccales qu’il perçoit l’aide dans

l’élaboration de ses propres sons grâce notamment au phénomène d’imitation.

L’imagerie mentale aussi se construit en partie à l’aide de la représentation visuelle

des objets. Comment avoir une représentation forte et durable de l’objet absent sans

l’avoir vu ? On peut se remémorer une impression ou une odeur mais celles-ci sont en

général fugaces. L’odeur d’un objet particulier va nous faire évoquer des souvenirs

uniquement au moment où l’odeur est présente. Une fois celle-ci disparue il devient

extrêmement difficile d’avoir accès à ces souvenirs.

La construction de tous ces éléments passe bien évidement par la présence rassurante

des parents, par la manipulation du bébé lors des jeux ou de la toilette mais aussi par

les échanges stimulants tels que la découverte des sens, les mimiques, les félicitations.

Comme montré précédemment une absence d’interaction et un défaut de stimulation

mettent en péril la construction psychique du nourrisson. Ce n’est pas seulement le

handicap visuel qui est la cause de retard de développement mais plutôt le défaut

d’investissement de l’enfant par l’entourage provoqué par la déficience.

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3.4. La vision comme vecteur de l’expérience

Qu’est ce qui donne au bébé l’envie de faire ? Quel est l’élément déclencheur qui va le

pousser à agir ?

Chez le bébé c’est la sensation de plaisir qui est à la base de tout acte et c’est

naturellement la vue de cet objet source de plaisir qui donne l’envie de le manipuler,

le toucher, le goûter, l’entendre ou le sentir. De ce désir se trouve stimulé l’envie ou le

besoin de l’attraper et de ce fait, dès que cela est possible, la nécessité de tendre le

bras ou de se déplacer pour l’atteindre.

En effet, de tous nos sens la vision est celui qui nous ouvre le plus grand champ

d’exploration possible quant à la qualité et à la quantité des informations qu’elle nous

fournit. Si l’audition a, elle aussi, une portée très grande, pour autant tous les objets ne

sont pas sonores et ne peuvent donc pas être remarqués en l’absence de la vue. En fin

le toucher, modalité d’exploration plus restrictive du fait de la limitation de son champ

d’application chez le bébé, permet tout de même de donner un maximum

d’informations à propos des caractéristiques de l’objet (forme, taille, localisation,

orientation, texture, distance) à l’exception de la couleur. Cependant, il nécessite aussi

une participation active d’exploration tactile pour être performant.

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Pour ce qui est de la qualité des informations sensorielles il est bon de souligner la

précision des données spatiales recueillies grâce à la perception visuelle. C’est

pourquoi dès que la vision est mise en place c'est-à-dire vers 4 mois, elle incite le petit

à déplacer ses mains vers tel ou tel objet. Puis plus tard le corps tout entier, favorisant

ainsi le déplacement et donc l’accès au rampé et à la marche.

Chez l’enfant voyant ce qui le conduit à une pleine utilisation de sa vision est qu’il en

retire une interprétation ou tout au moins une sensation. Son expérience visuelle lui

rapporte un bénéfice (sensation, plaisir) même si son développement cognitif ne

permet pas un traitement élaboré de ce qui est perçu. Le nourrisson malvoyant aura,

lui, des difficultés à obtenir ce bénéfice de prime abord. En conséquence, sans éveil ni

intérêt pour l’environnement les envies d’explorations s’en trouvent nettement

diminuées. Il en va de même pour l’enfant insuffisamment investi qui peut donc se

sentir insecure et avoir peur d’investir à son tour l’espace et donc de se déplacer, de

toucher ou même être hyper sensibilisé au bruit.

Considérant l’importance de la vision dans la communication, la saisie de

l’information et l’organisation du geste, la déficience visuelle précoce constitue un

risque certain pour le développement relationnel, social, cognitif et psychomoteur de

l’enfant.

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4. CAS PARTICULIER DE L’ENFANT MALVOYANT OÙ COMMENT SE DÉVELOPPER AVEC UN SENS DE LA VUE DÉFICIENT ?

4.1.Définition de la malvoyance

Selon l’OMS il existe cinq catégories de malvoyance classées en fonction de l’acuité

visuelle et de l’étendue du champ visuel.

Dans la catégorie 1 la lecture est possible sur de gros caractères, la catégorie 3 permet

de voir les images de livre d’enfant ou de se déplacer dans une pièce. Enfin dans la

catégorie 4 la personne déficiente visuelle peut percevoir les masses ou la luminosité

des objets.

Quelle que soit son acuité visuelle et la catégorie à laquelle il appartient l’enfant

malvoyant doit se construire pour et dans un monde de voyants, il est, et sera toute sa

vie, entouré par des personnes plus ou moins sensibilisées au handicap visuel. Il est

pour cela extrêmement important que cet enfant et sa famille soient pris en charge par

Importance de l’apprentissage de la vision pour le développement sensori-moteur de l’enfant 21

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1

2

3

4

5

1/10 < AV < 3/10

1/20 < AV <1/10

1/50 < AV < 1/20

PL < AV < 1/50

Pas de perception lumineuse

> 20°

5° < CV < 10°

ACUITE CHAMP VISUELCATEGORIES

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des professionnels avertis. L’idéal serait que ces derniers fassent partie d’une équipe

pluridisciplinaire pour que le handicap soit considéré dans sa globalité au niveau

moteur, social et cognitif.

4.2.Développement cognitif spécifique de l’enfant mal voyant

Dans ce cadre, il est légitime de se poser la question suivante : est-il possible

d’acquérir les mêmes connaissances et surtout au même rythme en mettant en œuvre

d’autres modalités que la vision ?

C’est en nous appuyant sur le travail d’Yvette HATWELL que nous tenterons de faire

le point sur les données actuelles. Nous étudierons les spécificités des acquisitions en

séparant deux catégories d’âge : la petite enfance c'est-à-dire jusqu’à trois ans puis

l’âge scolaire et au-delà. En effet les études ont montré que l’âge au quel apparaît la

perte de vision est non négligeable quant aux effets cognitifs lorsque la mal voyance

ou la cécité se déclare dans la période prè-scolaire.

4.2.1. La petite enfance

Importance de l’apprentissage de la vision pour le développement sensori-moteur de l’enfant 22

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D.U. Psychopathologie des processus cognitifs de l’enfant et de l’adolescent

Développement perceptivo moteur

Les différents auteurs s’accordent pour dire que la privation visuelle n’a pas d’effet

majeur sur le développement jusqu’à 2 mois de vie. Par la suite, on observe un retard

postural et moteur, surtout au niveau du maintient de la tête et de la position assise

(BULLINGER, 1995).

L’exploration et la saisie des objets se font plus difficilement. L’appréhension de

l’environnement par le seul biais tactilo-kinesthésique est très coûteuse en énergie

puisqu’elle est morcelée, partielle et se fait toujours de façon successive. Elle

demande beaucoup d’attention et de mémoire de travail mais surtout nécessite une fois

l’objet exploré dans son entier un travail mental de synthèse des informations pour

que l’enfant puisse avoir une représentation unifiée de ce dernier. Elle est donc

difficilement utilisable chez le petit enfant qui utilise plutôt ses mains dans un projet

moteur de jeux et de manipulation plutôt que dans un but d’exploration. De plus les

mains sont souvent inactives et rétractées au niveau des épaules parce que peu

stimulées du fait du petit champ d’exploration tactile. Il y a cependant conservation du

réflexe d’agrippement.

Les déplacements locomoteurs autonomes sont retardés. Même si les possibilités

motrices sont présentes, beaucoup d’enfants aveugles font du surplace. En effet, tant

que le petit ne s’est pas construit un espace extérieur indépendant de lui et contenant

des objets ayant une place déterminée il n’a pas la motivation d’aller vers des sources

sonores n’existant pas pour lui en tant qu’objet s’il ne les a pas touchées.

Importance de l’apprentissage de la vision pour le développement sensori-moteur de l’enfant 23

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D.U. Psychopathologie des processus cognitifs de l’enfant et de l’adolescent

Les relations du bébé avec son entourage sont perturbées, comme vu

précédemment. L’enfant est peu expressif, il sourit peu et on constate un retard dans

les manifestations corporelles tel le lever les bras pour être attrapé. Les réponses se

font en particulier à des stimulations tactiles. Les nourrissons aveugles sont en général

très calmes et peuvent rester immobiles longtemps ce qui incite les parents à les laisser

seuls.

Les réactions à la frustration sont particulières dans le sens ou l’enfant ne suit pas

l’objet retiré et n’attaque pas son « agresseur ». Il répond en fait par une agressivité

non dirigée.

La coordination audition-préhension n’apparaît qu’à 12 mois chez l’enfant aveugle

ou très malvoyant alors qu’elle est présente à 6 mois pour les voyants (4 à 5 mois pour

la coordination vision-préhension chez le voyant).

La permanence de l’objet étudiée par des tests adaptés de la théorie de Piaget

montre une réaction de recherche d’un jouet bruyant n’émettant plus de son entre 15 et

32 mois chez le malvoyant contre 6 à 7 mois pour les enfants voyants, en condition

visuelle.

Chez les enfants aveugles, on retrouve couramment des comportements stéréotypés

ou « blindismes » tels que balancement de la tête, des membres, écholalies ou poings

enfoncés dans les yeux. Ceux-ci servent probablement d’autostimulation sensorielle

Importance de l’apprentissage de la vision pour le développement sensori-moteur de l’enfant 24

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pour palier le déficit de stimulations extérieures puisqu’ils sont interrompus lors

qu’apparaît une perception sensorielle intéressante. Les malvoyants eux aussi ont des

comportements de ce genre mais plutôt du type de passage de la main devant les yeux

ou de rotation incessante de la tête pour stimuler les possibilités visuelles restantes.

Développement des fonctions symboliques

L’acquisition du langage par la mise en place de vocalisations ou d’imitation de

syllabes présente les mêmes caractéristiques chez les non voyants que chez le voyant

du moins jusqu’à l’âge de 2 ans. On retrouve cependant quelques spécificités : les

nourrissons aveugles sont plus silencieux que les voyants et prennent plus rarement

l’initiative de communication vocale avec autrui. Pour ce qui est de la compréhension

et la production de mots il n’y a pas de différence mise en évidence à ce jour si ce

n’est un retard dans la maîtrise des pronoms personnels.

On retrouve dans le jeu de l’enfant malvoyant des spécificités telles que : le jeu

solitaire, répétitif et stéréotypé. Il y a aussi peu d’imitation des parents ou de la vie

quotidienne. La différence majeure avec les voyants se fait dans le jeu fonctionnel,

c'est-à-dire le jeu où l’enfant utilise à bon escient un objet de la vie courante comme

manger avec une dînette. On constate dans ce cas un retard important attribué à la

difficulté de perception de l’objet miniature. En revanche dans le jeu symbolique,

c'est-à-dire le jeu ou un objet est substitué à un autre comme se laver les dents avec un

crayon, les études ne montrent pas de retard chez les malvoyants.

Importance de l’apprentissage de la vision pour le développement sensori-moteur de l’enfant 25

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D.U. Psychopathologie des processus cognitifs de l’enfant et de l’adolescent

Dans l’élaboration d’une théorie de l’esprit, la privation visuelle peut avoir des

conséquences car elle touche à la fois la connaissance du comportement de l’autre

ainsi que les relations avec lui. Par exemple l’attention visuelle conjointe et le

pointage d’une scène permettent de partager les mêmes références. Ou encore, la

perception de mimiques ou d’orientation du regard de l’autre permet une meilleure

compréhension de son état d’esprit. Les études montrent que dans les épreuves de

« contenu » et de « coordination des perspectives spatiales » il y a un net retard du

groupe des aveugles et mal voyants puisque les épreuves sont validées à 11-12 ans

contre 4-5 ans chez les voyants. Selon HATWELL « Les restrictions que le handicap

visuel impose aux expériences perceptives sur l’environnement matériel et humain

(co-orientation de l’attention, communication non verbale, perception du résultat des

actions) participent aussi à la compréhension des croyances des autres. »

On retrouve dans le développement symbolique du jeune enfant aveugle ou malvoyant

des potentialités pratiquement normales dans plusieurs domaines mais aussi des

perturbations spécifiques quand l’enfant doit se décentrer pour se représenter le point

de vue d’autrui.

4.2.2. Age scolaire

Le sujet de ce mémoire concernant essentiellement le développement du jeune enfant

nous ne ferons qu’évoquer les capacités cognitives de l’enfant scolarisé.

Importance de l’apprentissage de la vision pour le développement sensori-moteur de l’enfant 26

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A l’âge scolaire le langage des aveugles n’est pas particulièrement différent de celui

des voyants du point de vue du vocabulaire et de la signification des mots. Ce

pendant, il persiste un verbalisme et un animisme important ainsi qu’une tendance à

ramener la conversation à soi en permanence.

Le développement intellectuel global mesuré au test de Wechsler n’est pas affecté

pas la cécité. En revanche, les épreuves de performances adaptées à la cécité montrent

une réelle différence entre les réalisations des aveugles complets et des malvoyants.

La vision même très handicapée favorise nettement la réussite de ces tâches que ce

soit au niveau de la rapidité ou du nombre d’erreurs.

L’imagerie mentale non visuelle des aveugles à la même propriété que celle des

voyants. Mais la manipulation mentale et plus compliquée car plus lente surtout quand

il faut traiter un grand nombre d’informations spatiales.

L’étude des représentations spatiales montre que les aveugles arrivent aux mêmes

représentations que les voyants mais beaucoup plus lentement et par d’autres

modalités. Si la vision n’est pas indispensable dans ce domaine elle facilite beaucoup

l’accès à ces représentations. On retrouve en particulier des difficultés dans la

représentation des conséquences spatiales de son propre mouvement et du mouvement

des objets ainsi que dans la formation de cartes cognitives de l’environnement.

Le développement du raisonnement étudié à partir des travaux de PIAGET montre

que les aveugles passent par les mêmes étapes que les voyants. Les résultats sont

Importance de l’apprentissage de la vision pour le développement sensori-moteur de l’enfant 27

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hétérogènes quant aux différents stades. La cécité retarde la construction de l’espace

et les notions de conservation. Elle touche dans une moindre mesure les tâches de

sériation d’objets à manipuler et on retrouve les mêmes performances que chez les

voyants dans les classifications verbales, les sériations verbales et les conservations

des nombres.

4.3.Nécessité d’apprendre à regarder de façon précoce

D’après J.OTTO (1966) « l’observation précise des patients présentant une

diminution importante de la fonction visuelle de base organique a montré que le

retard de développement est souvent beaucoup plus important qu’il ne le serait si le

reste de la fonction visuelle avait été utilisé soigneusement. »

En effet, voir est une fenêtre ouverte sur l’extérieur, mal voir peut provoquer un repli

sur soi engendrant une inactivité. Il est important d’éviter qu’un désintérêt visuel ne

soit source d’isolement pouvant être à l’origine de troubles du comportement.

Selon Richard HELD « certaines capacités visuelles sont présentes à la naissance et

leur maintien tout comme leur développement ultérieur dépendent d’une expérience

visuelle normale pendant les premiers mois de vie »

L’éducation visuelle précoce a pour but de donner à l’enfant les moyens de rechercher

et de traiter les signaux visuels pertinents de son environnement afin de se construire

Importance de l’apprentissage de la vision pour le développement sensori-moteur de l’enfant 28

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mais aussi d’élaborer autour de lui un environnement spatial structuré. Ceci l’aidera

par la suite à élaborer sa relation avec l’espace ou avec autrui.

L’orthoptiste est le rééducateur privilégié de l’enfant déficient visuel. Comme dans

tout handicap son rôle est d’évaluer le potentiel résiduel, de mettre en avant les

capacités de l’enfant, de les développer et de lui apprendre à s’en servir tout en

respectant son désir ou son « non-désir » de voir. Pour cela il se pose la question

suivante : « est-ce la vision qui perturbe l’action ou est-ce l’action qui perturbe la

vision ? ».

La rééducation du nourrisson est en fait plutôt une sorte d’« éducation thérapeutique »

dans le sens où il s’agit d’aider l’enfant à effectuer des tâches qu’il n’a jamais

exécutées. Pour que cet apprentissage soit le plus efficace possible il faut que les

meilleures conditions soient requises aussi bien dans la salle d’exercices que dans la

vie quotidienne.

Cette prise en charge comporte quelques points fondamentaux tels que :

Le développement de l’éveil visuel pur en obtenant une possibilité de fixation

en réponse à une stimulation uniquement visuelle.

L’utilisation des autres canaux sensoriels

S’il faut se méfier du non-investissement de l’outil visuel au profit des autres

sens, les expériences multi sensorielles, n’empêchant pas le développement du

Importance de l’apprentissage de la vision pour le développement sensori-moteur de l’enfant 29

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potentiel visuel restant, sont extrêmement profitables à la prise en charge. On

pourra aisément comprendre qu’une odeur ou une texture agréable peut

déclancher une envie de regarder ce qui est à la source de cette sensation

nouvelle.

La mise en place d’une guidance parentale

Outre le rôle de rééducateur de la vision fonctionnelle, l’orthoptiste est souvent

le premier interlocuteur régulier de la famille et se retrouve seul face à la

problématique que représente le handicap dans la vie quotidienne. Il se trouve

ainsi confronté aux multiples questions des parents. Celles-ci peuvent être

explicites et le plus souvent d’ordre pratique comme le choix des jouets,

l’agencement de la chambre ou la recherche de lieux de prise en charge. Elles

sont aussi la plupart du temps implicites car, sous le couvert d’une banale

demande de renseignements les parents attendent la confirmation de leurs

attentes quant à l’avenir et à l’évolution des capacités de leur enfant. Notre rôle

est aussi d’être à l’origine d’une remise en question parentale quant à la façon

dont ils vivent le handicap. Nous nous devons de répondre à leurs questions

sur l’organisation de la vie quotidienne et les orienter en expliquant les

capacités et les limites de l’enfant mais il devient alors intéressant de passer le

relais aux personnes compétentes. Ainsi, le plus souvent leur cheminement les

amène à consulter de façon plus ou moins régulière un psychologue.

Le travail en équipe pluridisciplinaire

Importance de l’apprentissage de la vision pour le développement sensori-moteur de l’enfant 30

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Une prise en charge complète ne saura se résumer uniquement au duo

ophtalmologiste/orthoptiste mais doit être globale et s’inscrire dans un projet

commun aux différentes professions de rééducation. La prise en charge idéale

du nourrisson comportera au minimum une rééducation orthoptique visant à

réaliser une éducation visuelle précoce, une prise en charge psychomotrice

veillant à l’harmonie corporelle et un soutien psychologique de l’enfant et de

sa famille. Le tout coordonné par un médecin référent veillant à l’équilibre

entre travail et repos.

Importance de l’apprentissage de la vision pour le développement sensori-moteur de l’enfant 31

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5. RÉMI

5.1.Description

5.1.1. L’enfant

Rémi est un petit garçon né à 40 semaines d’aménorrhée, il pesait 3,060 kg pour 50

centimètres. La maman a présenté des contractions dès l’âge de 7 mois.

L’accouchement s’est déroulé normalement, à la naissance l’APGAR était à 10. Le

séjour à la maternité la maman a simplement signalé un torticolis et une divergence

oculaire.

Devant le regard « spécial » et le torticolis de leur enfant, les parents consultent le

pédiatre. Celui-ci constate le retard de développement psychomoteur. Il fait pratiquer

des examens et une encéphalopathie d’étiologie inconnue malgré une forte suspicion

du cytomégalovirus est diagnostiquée. L’IRM réalisée montre une atrophie cortico

sous-cortical importante. Il annonce le handicap sous la forme de « votre fils est un

légume » et oriente la famille vers un ophtalmologiste. Rémi est âgé de 2 mois. Après

quelques examens, celui-ci prescrit une paire de lunettes et un bilan orthoptique.

L’orthoptiste consultée propose un traitement d’amblyopie c'est-à-dire occlure le

meilleur œil dans le but de faire travailler le plus mauvais. L’ophtalmologiste et

l’orthoptiste proposent un contrôle deux mois après.

Importance de l’apprentissage de la vision pour le développement sensori-moteur de l’enfant 32

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D.U. Psychopathologie des processus cognitifs de l’enfant et de l’adolescent

A 4 mois, devant le peu de progrès réalisés, les parents décident de prendre un nouvel

avis ophtalmologique. Arrivés à la consultation d’ophtalmologie de l’hôpital Antoine

Béclère de Clamart, l’enfant a bénéficié d’une consultation couplée

ophtalmologie/orthoptie. C’est dans ce cadre que je l’ai rencontré. La consultation du

Dr Niessen a confirmé la très légère myopie pour laquelle Rémi était équipé et n’a

retrouvé aucune anomalie des globes oculaires. Le bilan orthoptique a montré une

absence totale de fixation spontanée, que ce soit en monoculaire ou en binoculaire.

Avec cependant une possibilité d’orientation du regard sur une cible à damiers mais

sans mobilisation du corps. On ne voyait que peu d’expressions de joie ou de

désaccord sur son visage et pas de babillage. Le cou était tourné en permanence sur la

gauche, sans mobilisation de tête possible et il y avait une hypotonie axiale

importante.

En fait, on avait laissé cet enfant avec un œil caché depuis deux mois sans vérifier que

celui laissé libre était capable de fixer. De plus le port de ses lunettes (non

indispensables) lui limitait considérablement le champ de vision.

Devant le peu d’éveil visuel présent, le retard global de développement et la

possibilité, fugace mais présente, d’orientation du regard nous avons décidé en accord

avec l’ophtalmologiste de retirer l’occlusion et les lunettes et de prendre en charge

Rémi à raison de 45 minutes deux fois par semaines.

Importance de l’apprentissage de la vision pour le développement sensori-moteur de l’enfant 33

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D.U. Psychopathologie des processus cognitifs de l’enfant et de l’adolescent

5.1.2. La famille

Que ce soit le papa comme la maman de Rémi, la famille, très affectée par le handicap

visuel, prend part de façon active dans la prise en charge de l’enfant, et adhère

immédiatement et complètement à notre proposition de rééducation.

Des deux parents, c’est la maman qui est la plus expressive. Psychomotricienne, elle

travaille dans un Centre d’Action Médico Social Précoce. Lors de notre rencontre, elle

ne semble pas savoir comment prendre du recul face à la pathologie de son enfant ;

elle a du mal à communiquer et à manipuler son fils. Il émane d’elle une profonde

détresse en partie liée à une double culpabilité : à la fois celle de peut-être avoir

transmis à son enfant le « fameux » virus non retrouvé aux examens, mais aussi de ne

pas s’être aperçue plus tôt, compte tenu de sa profession, que le cache posé sur les

lunettes avait entravé au moins le développement visuel de son enfant. On perçoit

également une grande angoisse quant à l’avenir psychomoteur et intellectuel de Rémi

et une difficulté majeure à se projeter en tant que femme et maman dans le futur. Les

premières séances se passent dans les pleurs maternels et la culpabilité. Elle s’excuse

de dire des « choses pareilles ». Malgré cette grande détresse elle se rend disponible

pour son enfant et tient à assister aux séances. Implicitement, elle se place en position

d’observatrice, assise sur une chaise, et cherche à apprendre comment stimuler et

entrer en communication avec Rémi.

Le papa, est beaucoup plus réservé. Comme son épouse il sait se rendre disponible

toutes les semaines. S’il est à la fois beaucoup plus discret dans ses questions et par

Importance de l’apprentissage de la vision pour le développement sensori-moteur de l’enfant 34

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rapport à ses peurs il est en revanche plus expressif quand il s’agit de féliciter Rémi en

séances. Pour lui l’extériorisation du ressenti passe beaucoup par l’humour.

Les grands-parents paternels occupent une place importante la vie quotidienne de

Rémi. Ils viennent parfois en séance, seuls avec l’enfant ou pour accompagner la

maman. Ils permettent aux parents de « souffler un peu » selon leur propre expression

en assurant dans la semaine une partie des prises en charges. La grand-mère de Rémi

lui semble toute dévouée tandis que son grand-père parait plus en retrait, il ne souhaite

pas assister aux séances et le prend peu dans ses bras. Du côté maternel, l’acceptation

a visiblement été plus tardive mais le plus important est que désormais ils prennent

eux aussi une part active, en accompagnant Rémi au CAMSP une fois par semaine.

5.2.Evaluation du développement cognitif et sensori-moteur de cet enfant

Du fait du handicap associé à la malvoyance de Rémi je n’ai pas trouvé de tests

étalonnés me permettant d’évaluer le niveau psychomoteur et cognitif de cet enfant et

donc de juger de façon quantitative son évolution. Divers tests ont été mis à ma

disposition tels quel le « bilan d’évaluation des capacités psychomotrices du

nourrisson et du jeune enfant » de O. MOYANO (annexe 1), le test de BRUNET-

LEZINE révisé (annexe 2) ou encore le « développement moteur fonctionnel du jeune

enfant » de VAIVRE-DOURET (annexe 3).

Importance de l’apprentissage de la vision pour le développement sensori-moteur de l’enfant 35

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D.U. Psychopathologie des processus cognitifs de l’enfant et de l’adolescent

Prenons l’exemple de l’échelle de développement psychomoteur de la première

enfance de BRUNET-LEZINE.

ITEMSBilaninitial

Après 9 mois

Couché sur le ventre soulève la tête et les épaules non ouiRetient la tête bien droite quand on exerce une traction sur les avant-bras non nonSe retourne du côté sur le dos non nonSuit des yeux une personne qui se déplace non nonSuit des yeux l'anneau d'un côté à l'autre non possibleAssis, tourne la tête pour suivre un objet qui disparaît lentement non nonRépond à la voix par immobilisation non nonVocalise deux sons différents ou fait des vocalisations prolongées non ouiSourrit à l'examinateur en réponse à son sourire accompagné de paroles non nonRéaction d'animation quand on s'approche de lui non non

En position assise maintient la tête bien droite sans osciller non nonCouché sur le ventre, s'appuie sur les avant-bras non nonSoulève la tête et les épaules quand on l'ammene en position assise non nonRegarde le cube posé sur la table non nonCouché sur le dos tient fermement le hochet d'un mouvement involontaire non nonJoue avec ses mains, les examine non nonVocalise quand l'examinateur lui parle et lui sourit non nonS'anime aux préparatifs du repas non nonRit aux éclats non ouiA conscience de la nouveauté d'une situation non oui

Couché sur le ventre, garde les jambes en extension non nonSur le dos, mouvements dirigés pour enlever la serviette sur sa tête non nonTient assis avec un léger soutien non nonRegarde la pastille posée sur la table non nonCouché sur le dos, secoue le hochet placé dans sa main en le regardant non nonCouché sur le dos, mouvements de préhension dirigés vers l'anneau non nonSaisit un cube au contact non nonTourne la tête immédiatement pour regarder la personne qui parle non nonExprime de façon différente plaisir, déplaisir, colère ou joie non ouiParticipe à des jeux corporels non non

2 m

ois

3 m

ois

4 m

ois

Au début de la prise en charge Rémi ne réalisait aucun des items pour partie en raison

de l’absence de fixation et de la difficulté à mobiliser son corps. On ne retrouvait pas

de réaction aux stimulations tactiles ou sonores ni d’expression de joie ou de déplaisir

sur son visage.

Importance de l’apprentissage de la vision pour le développement sensori-moteur de l’enfant 36

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D.U. Psychopathologie des processus cognitifs de l’enfant et de l’adolescent

Aujourd’hui, en se basant sur nos observations mais aussi sur celles des parents et du

personnel de la crèche, Rémi répond en partie aux items suivants :

- Sur le dos, il peut soulever la tête mais pas les épaules et seulement s’il est

guidé visuellement.

- Tourne la tête pour suivre un objet des yeux quand il est bien positionné. La

poursuite est très saccadée.

- On discerne bien sur son visage différentes expressions comme le plaisir ou le

déplaisir. Il manifeste sa joie par des rires ou un sourire et sa colère par des

pleurs. Il réagit de façon différente selon les lieux où il se trouve et se montre

étonné dans les situations inhabituelles comme par exemple me voir au

CAMSP pendant le séance de kinésithérapie.

Ces résultats montrent sans nul doute une évolution. En revanche les items de chaque

stade ne sont pas tous acquis et le peu que nous pouvons valider n’est réalisé que dans

certaines conditions d’installation, de fatigabilité ou de santé….

En dehors de ces items nous avons pu constaté des changements peu pris en compte

dans les tests standardisés tel que :

- Le regard de Rémi plafonne beaucoup moins qu’au départ. Il peut regarder en

face de lui et en particulier un visage. Mais surtout, on sent bien que

maintenant le plafonnement est plus un moyen de s’échapper, une façon de

dire qu’il ne veut plus regarder, qu’une impossibilité à maintenir une fixation.

Importance de l’apprentissage de la vision pour le développement sensori-moteur de l’enfant 37

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D.U. Psychopathologie des processus cognitifs de l’enfant et de l’adolescent

- Le contact visuel est donc plus évident, notamment au moment des repas. On

constate qu’il prend le temps de regarder le parent qui s’occupe de lui. Son

regard est stable et fixé sur lui. On retrouve au moment du goûter une

complicité invisible jusqu’alors entre l’enfant et son papa ou sa maman.

- Il associe entre elles les différentes modalités sensorielles. Quand il sent de la

cannelle, il ouvre la bouche et veut « goûter », nous voyons alors passer sur

son visage une expression de plaisir. La maman nous dira après que la grand-

mère de Rémi lui donne de la compote à la cannelle pour le goûter.

- A la crèche, l’assistante maternelle a remarqué que Rémi faisait des sourires à

l’arrivée des autres enfants. Il s’agite quand il arrive dans la salle de bain, lieu

où il prend beaucoup de plaisir.

- Couché sur le dos il est capable de pousser sur ses jambes pour se diriger vers

celui qui l’appelle.

- Depuis peu quelques mouvements moteurs, des bras en particulier, s’ajoutent

au reste pour signifier ses envies.

L’évolution majeure de ces derniers mois reste l’expressivité du visage et du corps de

Rémi. En particulier dans la relation avec ses parents où il y a plus de temps de jeu et

de câlins.

5.3.Suivis thérapeutiques

Importance de l’apprentissage de la vision pour le développement sensori-moteur de l’enfant 38

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D.U. Psychopathologie des processus cognitifs de l’enfant et de l’adolescent

Dès les 3 mois de vie de Rémi, ses parents ont décidé de leur propre chef de se donner

les moyens d’essayer d’aider leur enfant. En effet, ils n’ont pas accepté la réponse du

neuropédiatre qui ne souhaitait rien entreprendre car puisque cet enfant était trop

handicapé, il n’y avait plus rien à faire pour lui. Les premiers thérapeutes de Rémi ont

été :

La psychomotricienne : les parents l’ont consulté de leur propre chef par

rapport au retard de développement psychomoteur. Elle suit Rémi à raison

d’une fois par semaine, son travail consiste essentiellement en des massages

énergétiques visant à unifier son corps et à détendre ses bras.

L’ostéopathe : il a été vu ponctuellement pour traiter le torticolis. Ce dernier

complètement réduit, les consultations sont très ponctuelles.

L’orthoptiste : les séances ont lieu deux fois par semaine. Le but de la prise en

charge est d’aider Rémi à accéder à une vision la plus fonctionnelle possible.

Pour cela les séances sont à la fois des moments de travail et d’observation car

il est impossible de cerner l’étendue des possibilités d’un enfant malvoyant en

le voyant une ou deux fois.

Les capacités sont dépendantes :

o Du positionnement, l’enfant peut avoir des difficultés à gérer à la fois

sa posture et sa vision.

o Des caractéristiques primaires de l’objet présenté, il faut déterminer ce

qui attire le regard ou ce qui le fait fuir (taille, contraste, luminance,

éblouissement,…).

Importance de l’apprentissage de la vision pour le développement sensori-moteur de l’enfant 39

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o Du champ visuel de l’enfant, il faut observer le comportement et le

positionnement de la tête et des yeux quand l’enfant fixe pour savoir

dans quelle portion de l’espace il peut détecter les objets.

o Du temps de présentation et de la vitesse de déplacement de la cible,

l’enfant est il sensible au mouvement, rapide, lent ?

o De la motivation et de l’attention.

Rapidement, pour assurer un maximum de prise en charge une collègue m’a

rejointe pour s’occuper de Rémi. Etre deux nous permet d’avoir toujours au moins

une personne présente et au mieux d’effectuer une prise en charge à « quatre

mains ». C'est-à-dire que l’une de nous peut positionner l’enfant correctement

quand il n’est pas dans son siège moulé pour le soulager de sa posture et l’autre

ayant la possibilité de le faire travailler et de contrôler le regard. Enfin, lors des

séances, l’équipe d’orthoptiste au complet échange avec les parents ce qui permet

à la maman ou au papa de « choisir » son interlocuteur en fonction des caractères

de chacun et de son envie du moment.

Très vite, il nous est apparu que les prises en charge psychomotrices et visuelles

n’étaient pas suffisantes. Nous avons alors conseillé aux parents de se rapprocher d’un

centre rééducatif plus global.

Ils ont choisi de se rendre dans un Centre d’Action Médico Social Précoce. Celui-ci

fonctionne comme un centre de consultation externe où un projet global autour de

l’enfant est élaboré par l’équipe pluridisciplinaire. La famille amène l’enfant pour

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chaque rééducation. Selon son choix, elle assiste ou non aux séances mais on lui

demande d’être présente physiquement dans les locaux pendant le temps de travail de

l’enfant.

Dans le cas de Rémi les prises en charges y sont les suivantes :

Kinésithérapie : les séances ont lieu deux fois par semaine en présence soit

de la maman soit des grands-parents. La kinésithérapeute mobilise Rémi

pour détendre au maximum les différents segments mais aussi pour

renforcer le tonus musculaire. Le but à terme est que les différents schèmes

moteurs effectués par le rééducateur soit repris et réalisé par l’enfant

spontanément. Ceci pour lui permettre d’acquérir le « quatre pattes », la

position assise puis la marche.

Psychologie : dans le cadre d’un suivi à distance, les parents vont tous les

mois au C.A.M.S.P avec leur enfant rencontrer la psychologue du centre.

En fonction de l’entretien elle réoriente les objectifs de prise en charge

avec les professionnels et contribue au travail de guidance parentale.

Groupe d’éveil sensoriel : pour sa deuxième année au centre, Rémi

intégrera un groupe d’éveil sensoriel animé par une psychomotricienne. Il

s’agit d’accueillir les enfants dans une salle équipée selon la méthode

SNOEZELEN contenant entre autre un matelas à eau, une colonne à bulle,

des fibres optiques, un projecteur de tests et un mur à texture.

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En dehors de ce centre la maman a pris la décision d’aller consulter un psychologue

libéral. Elle y va seule pour le moment. Elle souhaite y aller en couple mais le papa

considère ne pas en avoir besoin pour le moment.

Depuis qu’il a trois mois, Rémi est gardé en crèche à temps complet. Une rencontre

avec l’équipe a permis de nous conforter dans nos observations quant aux progrès

réalisés. Le personnel dit avoir vu un grand changement ces derniers mois surtout du

point de vue de la communication non verbale. A la crèche Rémi est chez les petits. Il

est suivi par l’éducatrice de ce niveau et une auxiliaire puéricultrice a été désignée en

tant que référente pour s’occuper de lui en particulier. Cependant, à ce jour, se pose le

problème du maintien dans la structure. En effet, pour suivre le personnel et pour qu’il

ait accès à plus de stimulation, Rémi doit passer chez les moyens. L’équipe de

direction hésite à le garder à la fois pour sa sécurité mais aussi pour son bien-être, sa

présence demandant une personne uniquement pour lui à temps complet. La solution

de trouver une aide par la mairie est envisagée par la directrice d’autant plus que la

maman aurait exprimé son désir de mettre Rémi à la crèche pour le protéger de ses

pulsions dépressives.

5.4.Évolutions familiales

Les progrès réalisés au cours des neufs mois de suivi sont divers. Ils touchent bien sûr

au développement de l’enfant mais aussi à l’interaction avec autrui, et notamment

avec les parents, mais ils concernent aussi les parents eux-mêmes. Nous ne pourrons

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les décrire en ordre hiérarchisé car ils sont indissociables les uns des autres tant le

rapport entre l’évolution de l’enfant et celle des parents est étroit.

La maman a évolué dans sa relation avec son fils qu’elle prend maintenant dans ses

bras, qu’elle habille avec plus de dextérité, et à propos de qui elle ne tarit pas d’éloges.

Elle est aussi confortée dans son propre rôle de mère. En effet même si la peur de mal

faire est toujours présente, elle a moins besoin de poser de questions sur la vie

quotidienne pour se sentir sûre d’elle et rassurée. Je pense qu’elle a maintenant

entendu qu’elle est une bonne mère pour son enfant et que personne ne peut lui

reprocher le passé. En revanche le deuil de l’enfant parfait n’est pas encore réalisé.

Elle est encore en phase dépressive intense et est extrêmement ambivalente en vers

son enfant. Exprimant des intentions de meurtre sur son fils, tout en disant qu’il est

« toute sa vie ». Elle est encore très projetée sur l’avenir à long terme sans pouvoir

envisager le cours terme. Elle souhaite pour son fils qu’il puisse travailler et avoir une

famille sans pouvoir entendre ce qu’il sera ou non capable de faire dans les prochains

mois. Cette maman désire un autre enfant mais est dans l’impossibilité de le réaliser.

Elle exprime sa peur de ne pas être capable de gérer deux enfants dont Rémi et son

angoisse d’avoir un deuxième enfant handicapé tant que le diagnostic ne sera pas

établi. Enfin elle décrit un couple en train de se s’éloigner face à la difficulté du

handicap et de la dépression.

Le papa a pu entrer en communication avec son enfant et en retire du profit. A chaque

séance, il rapporte les progrès et le plaisir éprouvé par l’un et l’autre lors des jeux.

Lors des séances de rééducation il est plus détendu. L’échange avec l’équipe de

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rééducation permet de le conforter dans son ressenti et ses observations quotidiennes.

Cependant il reste en équilibre fragile, les paliers dans la progression sont vécus

comme des échecs personnels. Il considère une impossibilité à réaliser quelque chose

d’acquis comme une régression sans tenir compte de facteurs extérieurs (maladie,

fatigue, faim,…).

Les relations entre parents et grands-parents ont beaucoup évolué au court du temps.

Nous sommes passés d’une relation fusionnelle très forte entre la maman et la famille

paternelle à une rupture totale de la part de la maman avec sa belle-famille. En effet, la

maman ressentait comme un poids et un reproche les actions de sa belle-famille, elle

était blessée dans son rôle essentiel de mère et avait besoin de reprendre le contrôle de

son foyer. Aujourd’hui encore, les grands-parents paternels ne prennent plus part à

l’organisation de la vie quotidienne de la famille et la maman semble avoir retrouvé le

contrôle de sa vie.

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6. CONCLUSION

Le travail effectué autour de ce mémoire a permis de mettre en évidence que les

conséquences de la malvoyance ne sont pas uniquement visuelles mais quelles

touchent aussi au développement psychomoteur et cognitif de l’enfant. Comme l’a

montré WINICOTT dans ses nombreuses études sur la relation mère/enfant, la

communication visuelle, notamment dans les interactions parents/enfant, est

fondamentale pour le bon développement psychique du nourrisson.

Chez le bébé malvoyant, on comprend alors l’impacte qu’auront un dépistage et une

rééducation précoce sur les apprentissages futurs du nourrisson mais aussi sur

l’équilibre familial. L’intervention précoce permet aux parents d’adopter une attitude

plus positive vis-à-vis de cette situation mais elle permet aussi à l’enfant d’entrer dans

les acquisitions qu’elles soient spatiales, langagières ou de communication et ceci au

terme d’une éducation thérapeutique spécialisée.

Si l’orthoptiste est le rééducateur privilégié de la vision, son bilan et son projet

thérapeutique ne prennent sens que quand ils sont confrontés aux bilans des autres

professionnels de rééducation. En effet, l’enfant malvoyant et sa famille trouveront

leur intérêt dans une prise en charge pluridisciplinaire élaborée en équipe autour d’un

projet commun.

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Cependant, dans le souci d’améliorer notre travail autour des enfants malvoyants

présentant un handicap associé, il serait intéressant de travailler à l’élaboration d’une

évaluation globale de l’enfant en envisageant la construction d’une grille plus sensible

aux évolutions visuelles, motrices et psychiques afin de pouvoir « coter » les progrès

de ces bébés polyhandicapés.

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8. ANNEXES

Annexe 1 : Bilan d’évaluation des capacités psychomotrices du nourrisson et du

jeune enfant, O. MOYANO.

Annexe 2 : Test de BRUNET-LEZINE révisé.

Annexe 3 : Développement moteur fonctionnel du jeune enfant, VAIVRE-DOURET.

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