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SCIENCE ET SOCIÉTÉ

impact Vol. IV, n° 2 .-"--i-*' s- £ Eté 1953 ' Le numéro : 125 fr.; $ .50; 2/6

DANS CE N U M E R O :

Applications sociales de la recherche opérationnelle, par R . T . E D D I S O N

L'économie dirigée à l'aide de systèmes de contrôle automatique, par A . T U S T I N

La science nautique et là révolution géographique, par A R M A N D O C O R T E S A O

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Table des matières

APPLICATIONS SOCIALES DE LA RECHERCHE OPERA­TIONNELLE, par R.T. EDDISON

La recherche opérationnelle consiste dans l'application de méthodes scienti­fiques à l'étude d'organisations importantes et d'activités complexes. Elle ne se confond ni avec la sociologie, ni avec l'anthropologie, ni avec la science éco­nomique, mais elle fournit des méthodes pour l'étude des problèmes communs à toutes ces disciplines, qu'elle rapproche les unes des autres — et d'autres sciences — afin de permettre aux chefs responsables de prendre les meilleures décisions possibles.

L'ECONOMIE DIRIGEE A L'AIDE DE SYSTEMES DE CONTROLE AUTOMATIQUE, par A. TUSTIN

/ / existe une étroite analogie entre les systèmes économiques et certains sys­tèmes physiques, notamment les régulateurs et contrôleurs automatiques qui reposent sur le principe du feed-back. Il y a donc intérêt à examiner dans quelle mesure les progrès réalisés dans la mise au point des systèmes de contrôle automatique et dans l'analyse de leur comportement peuvent être transposés dans le domaine de l'économie pour aider à résoudre les problèmes de stabi­lisation et de prévision économiques.

LA SCIENCE NAUTIQUE ET LA REVOLUTION GEOGRA­PHIQUE, , par ARMANDO CORTESAO . . . . . .

L'un des exemples les plus caractéristiques des rapports entre la science et la société est fourni par la science nautique, c'est-à-dire l'application à la navi­gation des découvertes en matière d'astronomie, de magnétisme, de carto­graphie, de météorologie, et d'hydrographie, qui a rendu possible la grande révolution géographique de la fin du XV siècle.

REVUE DES LIVRES ET DES PUBLICATIONS

L'attitude scientiste

H A Y E K , F . A . , The Counter-Revolution of Science. M A R K H A M , F . M . H . , Henri, comte de Saint-Simon, Selected Writings.

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A R T I C L E S D E S P R O C H A I N S N U M E R O S

Professeur P I E R R E A U G E R : « Réflexions sur la valeur humaine de la science. >

Professeur C H A R L E S S A N N I É : « La détection scientifique du crime. >

J A C Q U E S B E R G I E R : « Tendances nouvelles dans la sociologie de l'invention : le know-how détrône le brevet. >

W . T I R A S P O L S K Y : « La fonction économique et sociale des réserves de pétrole. >

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APPLICATIONS SOCIALES DE LA RECHERCHE OPÉRATIONNELLE

par

R.T. EDDISON t

M . Roger T. Eddison, biologiste de l'Université de Cam­bridge, ancien membre du personnel scientifique de la divi­sion statistique à la Rothamsted Agricultural Experimental Station, est directeur de la recherche opérationnelle à la British Iron and Steel Research Association depuis 1948 et codirecteur de la revue Operational Research Quarterly depuis sa fondation en mars 1950.

L'évolution sociale présente de nombreuses analogies avec l'évolution biolo­gique. L'une et l'autre aboutissent à la formation d'organismes complexes à partir d'organismes simples par un processus qui est au début graduel et contingent. L'organisme qui résulte d'une modification utile se trouve avan­tagé et se prête à une nouvelle modification; celui qui résulte d'une erreur disparaît sans que cela entraîne de conséquences graves.

L'évolution biologique reste un processus graduel et imprévisible, sauf dans le cas de certains animaux domestiques et de certaines plantes chez lesquels elle est dans une certaine mesure dirigée par l 'homme. E n revanche, depuis que l 'homme est capable de raisonner, les transformations sociales ne se font plus entièrement au hasard, elles sont souvent sciemment provo­quées et orientées vers un but précis. Mais, pour les réaliser, il ne suffit pas de se fixer un but; il faut encore connaître la voie à suivre pour l'atteindre. C'est l'expérience qui indique cette voie. A u début, les changements, m ê m e délibérés, restaient relativement simples et pouvaient être accomplis sur la base de l'expérience individuelle. Mais, à mesure que la vie devenait plus complexe, l'expérience individuelle, qui ne représente jamais qu'une fraction infime de l'expérience globale de l'humanité, s'est révélée insuffisante. Et, pour atteindre le but qu'on s'est fixé, il est devenu nécessaire de chercher un guide dans l'expérience accumulée de nombreux individus.

L ' A V A N T - G U E R R E

Il convient de distinguer dans ce processus d'évolution la période d'une cin­quantaine d'années qui précède la seconde guerre mondiale, en vue d'en faire une étude plus approfondie. Cette période est caractérisée par une activité intense dans de multiples domaines; mais elle nous intéresse surtout à trois points de vue particuliers.

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R E C H E R C H E O P É R A T I O N N E L L E

Tout d'abord, la structure sociale et économique est devenue de jour en jour plus complexe. C e phénomène est surtout évident sur le plan industriel où le progrès n'a plus procédé par changements graduels et simples, mais par bonds prodigieux, exigeant d'énormes investissements de capitaux. Il n'a plus été possible de procéder par tâtonnements, toute erreur risquant d'être désastreuse, non pour u n h o m m e mais pour des milliers d'individus. Autrement dit, il est devenu indispensable de n'agir qu'à bon escient, tout retour en arrière étant désormais impossible.

Mais le m ê m e phénomène se manifeste dans toutes les formes de l'orga­nisation sociale et politique. L'exemple le plus frappant en est sans doute fourni par l'Angleterre. A la fin du xvni" siècle, toute immixtion dans le « sanctuaire de la vie privée » y était encore rigoureusement proscrite; aussi l'Angleterre était-elle administrée dans des conditions beaucoup moins oné­reuses que n'importe quel autre pays d'Europe de superficie et d'importance à peu près égales. Considérez, en comparaison, le poids des impôts actuels; l'administration du pays est devenue une « grosse affaire » et les dirigeants ne peuvent se permettre des erreurs dont les conséquences seraient incal­culables. , .

E n second lieu, signalons l'application — encore limitée — des méthodes scientifiques à l'administration de l'industrie, à la suite notamment des recherches effectuées à Bethlehem ( E . - U . A . ) par Taylor. Grâce à de minu­tieuses observations, Taylor est parvenu à réaliser d'importantes économies de travail. Ses recherches sont à l'origine des études des temps et des m o u ­vements et d'autres travaux destinés à permettre une utilisation plus effi­cace des ressources. E n elle-même l'observation, si minutieuse soit-elle, ne constitue certes pas la science, et l'aptitude à observer n'est pas l'apanage des savants; l'observation est néanmoins une exigence fondamentale de la méthode scientifique, et ces travaux ont donné naissance à ce qu'on appelle aujourd'hui la science de l'administration.

U n e troisième réalisation de cette époque — qui nous intéresse particu­lièrement ici — est d'ordre purement scientifique : il s'agit de la mise au point de techniques pour l'analyse des données complexes. Ces techniques ont été utilisées en premier lieu par les sciences dites « inexactes > — la biologie et l'agriculture — où les recherches expérimentales étaient depuis longtemps gênées par la multiplicité des variables et la complexité de leurs rapports : il apparaissait impossible, et d'ailleurs inutile, d'étudier un facteur isolé en supposant les autres constants. L'application des méthodes statis­tiques à la conduite et à l'analyse des expériences a permis à ces sciences de progresser à pas de géant. '

D e m ê m e que l'évolution sociale est comparable à l'évolution biologique, de m ê m e les organismes sociaux présentent d'étroites analogies avec les orga­nismes biologiques. Dans un cas c o m m e dans l'autre: Io il est impossible de considérer la fonction d'un organe indépendamment de l'ensemble (inté-

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R E C H E R C H E O P É R A T I O N N E L L E

gralité); 2° à partir d'un certain degré de complexité structurale, le progrès ne peut se faire que dans le sens d'une certaine différenciation des fonctions (ségrégation); et 3 e plus la différenciation est pousséeJ et plus la centra­lisation s'impose. Il n'est donc pas surprenant que les méthodes d'analyse scientifique applicables à l'étude des organismes biologiques vivants puissent aussi servir à l'étude des organismes sociaux vivants.

LA GUERRE ET LA NAISSANCE DE LA RECHERCHE OPÉRATIONNELLE

E n 1939, toutes les conditions se trouvaient donc réunies pour permettre un nouveau pas en avant. Il était devenu indispensable et urgent de mettre au point u n dispositif nouveau grâce auquel les dirigeants politiques, les chefs d'entreprise, etc., fussent en mesure de mieux connaître le fonctionnement des organisations placées sous leur autorité et de prévoir, par conséquent, les effets de tous les changements qu'ils pourraient y apporter; on possédait les moyens de réaliser ce dispositif, grâce aux progrès récents de la science; il existait enfin u n climat favorable à l'emploi de ces nouvelles techniques, en raison des succès obtenus, grâce aux méthodes scientifiques, dans un domaine plus limité. L a seconde guerre mondiale vint interrompre le cours naturel de cette évolution; mais, en m ê m e temps, elle donna une vigoureuse impulsion à l'étude scientifique des opérations militaires.

C'est par hasard, semble-t-il, qu'on eut recours à des savants pour des études de ce genre. Lorsque les troupes chargées de la défense de la Grande-Bretagne furent équipées en radars, on demanda aux savants qui avaient créé ce matériel d'en faire la démonstration sur le terrain. Ces derniers se préoccupèrent aussi de rendre l'emploi des radars aussi efficace que possible. O n s'aperçut bientôt qu'ils avaient contribué à mettre au point u n plan opé­rationnel propre à assurer le meilleure usage des ressources limitées dont disposait alors la Grande-Bretagne pour la défense antiaérienne. Peu après, des équipes de savants furent constituées pour fournir des conseils áu sujet de l'utilisation des ressources militaires dans d'autres situations, d'abord en Grande-Bretagne, et plus tard aux Etats-Unis d'Amérique. Ces équipes, qui étudiaient des problèmes d'utilisation des ressources dans le cadre d'opéra­tions militaires, furent appelées « équipes de recherche opérationnelle >.

L a présente étude ne concerne que les applications sociales de la recherche opérationnelle; il ne nous appartient donc pas de faire l'historique de son utilisation pendant la guerre. Toutefois, le récit des premières réussites de cette recherche permet de mieux en mesurer les possibilités et il n'est sans doute pas inutile d'en donner ici un exemple.

1. L . von Bertalanffy, « General System Theory », Brit. J. Phil. Sci., Edimbourg, août 1950, 1, (2), 134. Voir aussi : V . Gordon Childe„ Social Evolution, C . A . Watts, Londres, 1951.

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R E C H E R C H E O P É R A T I O N N E L L E

U n e équipe de recherche opérationnelle avait été chargée d'étudier l'em­ploi des bombes sous-marines dans la défense anti-sous-maritime des îles Britanniques. Elle constata que ces bombes étaient toujours réglées pour exploser à la m ê m e profondeur (100 pieds, soit un peu plus de 30 mètres) parce que la pression de l'eau à cette profondeur assurait une force explo­sive m a x i m u m . Mais l'équipe éprouva des doutes sur l'efficacité de cette tech­nique car, pour obtenir cet effet m a x i m u m , il fallait attendre que le sous-marin lui-même eût atteint la profondeur voulue, ce qui lui laissait le temps de changer de direction et de se mettre hors de portée.

Les savants déterminèrent donc par le calcul des probabilités les chances qu'il y avait d'atteindre, à différentes profondeurs, un sous-marin se dépla­çant en plongée dans une direction verticale ou horizontale quelconque. Il apparut alors que la b o m b e avait été réglée pour exploser à une profondeur beaucoup trop grande; théoriquement, les chances d'un coup au but étaient bien plus considérables à 35 pieds (10 mètres environ). Restait à faire appliquer cette solution théorique, contraire aux règlements et à une longue tradition. C'était sans doute le plus difficile. Grâce à l'étroite collaboration entre les h o m m e s de science et le c o m m a n d e m e n t , on organisa cependant — d'assez mauvais gré — des expériences. Celles-ci donnèrent entièrement raison aux savants : dès la première semaine le nombre des sous-marins coulés augmenta presque exactement dans la proportion prévue par eux.

LES FACTEURS DU SUCCÈS

Les premiers succès de la recherche opérationnelle pendant la guerre peu­vent être attribués à différents facteurs, dont quatre paraissent essentiels. Il convient de les examiner plus à fond, pour bien montrer ce qu'est la recher­che opérationnelle et c o m m e n t elle procède, tout en évitant d'avoir recours à une définition formelle. Ces quatre facteurs sont les suivants : le milieu où était pratiquée cette recherche, à savoir les forces armées; le sentiment qu'il était nécessaire d'améliorer les résultats; l'emploi de méthodes scien­tifiques pour l'étude des problèmes sur le terrain; l'existence de rapports étroits entre les savants et le c o m m a n d e m e n t sur le théâtre des opérations.

Les forces armées constituent une très vaste organisation gouvernée par des règlements stricts devant permettre de faire face à presque toutes les éventualités; et c'est là le point important. D e nombreuses situations s'y reproduisent constamment sous une forme essentiellement identique. Depuis qu'on avait, pour la première fois, identifié ces situations et édicté des règle­ments pour y faire face, nombre d'entre elles avaient évolué sans que les règlement correspondants fussent modifiés en conséquence. Il existait donc là un c h a m p d'application particulièrement fécond pour les méthodes nou­velles qui permettent d'analyser des situations et de trouver les meilleurs

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moyens d'y répondre. E n outre, les situations se répétant constamment, l'ap­plication des nouvelles règles d'action recommandées par l'analyse avait toutes chances de produire des résultats spectaculaires. L a recherche opéra­tionnelle a certes son utilité en dehors des grandes organisations soumises à des règlements stricts, mais c'est dans ce cadre qu'elle donne les meilleurs résultats.

L a recherche opérationnelle est essentiellement pratique. Elle se propose très précisément d'améliorer le fonctionnement d'une organisation donnée; c'est en cela qu'elle diffère des recherches théoriques, qui peuvent porter sur le m ê m e sujet, mais auxquelles m a n q u e le stimulant d'une préoccupation pratique immédiate. H en résulte que la recherche opérationnelle ne peut réussir — ni m ê m e être entreprise — que si le besoin s'en fait sentir. Il faut que le chef de l'organisation intéressée soit mécontent des résultats obtenus, qu'il aspire à faire toujours mieux, qu'il s'efforce constamment d'améliorer le rendement, et qu'il soit ouvert aux idées et aux suggestions nouvelles.

L a recherche opérationnelle porte un défi aux croyances, aux coutumes et aux traditions établies; elle s'attaque au contentement de soi; son grand développement date du- m o m e n t où, pendant la guerre, il devint évident que nombre de méthodes traditionnellement admises étaient absolument inopé­rantes; on l'employa alors, faute de mieux. Aujourd'hui, l'une de ses prin­cipales tâches est de stimuler, chez tous ceux qui occupent des postes de direction, ce désir constant de mieux faire sans lequel elle ne pourrait conser­ver son élan.

L e développement de la recherche opérationnelle en temps de paix dépend évidemment de son aptitude à s'acquitter de cette tâche. Il répond, en tout cas, à la nécessité signalée plus haut d'aborder sous un angle nouveau les problèmes de direction dans le cadre d'une organisation sociale et indus­trielle chaque jour plus complexe.

LA MÉTHODE SCIENTIFIQUE

L'objectif essentiel de la recherche opérationnelle — et c'est pourquoi c'est bien une « recherche > — est de découvrir des connaissances et des idées nouvelles gTâce à l'emploi de la méthode scientifique. Il n'est pas facile de définir en quoi consiste la « méthode scientifique > et nous n'avons pas l'intention de nous attarder sur ce sujet. O n peut dire toutefois que la méthode scientifique comporte des observations précises, l'analyse des don­nées recueillies et l'élaboration, par un processus déductif, d'hypothèses fonctionnelles pouvant être vérifiées — dans la mesure où c'est nécessaire et possible — par l'expérimentation. Les savants qui travaillent en labora­toire procèdent d'abord à des expériences pour se procurer des données; ceux qui s'occupent de recherche opérationnelle partent des données qu'ils

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R E C H E R C H E O P É R A T I O N N E L L E

trouvent sur place. Mais les uns et les autres utilisent des méthodes et se proposent des objectifs semblables dans le traitement de ces données.

Toute décision prise à chaque échelon d'une organisation quelconque s'ins­pire toujours, dans une certaine mesure, de données opérationnelles anciennes — la plupart du temps il s'agit de données accumulées et inconsciemment analysées par l'individu (ou le groupe) au cours de son existence, autrement dit de l'expérience. Mais on ne peut guère- se fier à l'expérience; non seule­ment elle est toujours trop étroite, mais elle est rarement impartiale dans le choix des données qu'elle retient. L'emploi de méthodes scientifiques permet de supprimer ce parti pris et de faire en sorte que les données retenues fournissent une image exacte du passé; on peut alors déterminer rationnelle­ment les lois auxquelles paraît obéir le système étudié et, par suite, les conséquences probables de chaque décision particulière, ainsi d'ailleurs que le degré d'impondérabilité en étudiant la probabilité des événements anormaux.

Il n'en résulte pas que la recherche opérationnelle a réponse à tout. A u contraire, ses applications sont nettement limitées. N o u s avons dit, par exem­ple, qu'elle permet de déterminer des lois fonctionnelles grâce à une analyse rationnelle. Mais le nombre des lois pouvant s'appliquer à urie situation donnée est infini, et il est impossible de les vérifier toutes par la méthode scientifique. E n pratique, on ne soumettra à l'épreuve des faits que celles qui paraissent s'appliquer le mieux; et pour déterminer celles-ci on aura recours aussi souvent à l'expérience, à l'intuition ou à l'inspiration qu'à l'analyse des données. Rien n'est aussi pratique qu'une bonne théorie fondée sur l'expérience et le jugement personnels. L e rôle de l'analyse scientifique se borne à déterminer quelle théorie — parmi celles dont on estime qu'elles méritent une vérification — correspond le mieux aux faits, et dans quelle mesure elle y correspond. L a méthode scientifique permet aussi de préciser les lacunes de l'expérience et de trouver les moyens de combler les lacunes. Mais ou aura beau vérifier scrupuleusement toutes les hypothèses existantes, on ne pourra jamais être sûr qu'une autre hypothèse ne concorderait pas mieux encore avec les faits.

Les applications de la recherche opérationnelle sont aussi limitées dans le temps. U n chef d'entreprise doit .prendre sa décision en fonction des données dont il dispose; il ne peut attendre d'avoir tous les éléments d'une décision parfaite. Ces données peuvent être insuffisantes; d'ailleurs il est possible que la méthode scientifique soit impuissante à résoudre tel ou tel problème particulier. Dans ce cas, la recherche opérationnelle ne peut qu'in­diquer la solution qui a le plus de chances d'être la meilleure, compte tenu de toutes les circonstances du problème. O n s'apercevra peut-être par la suite, à la-lumière dé renseignements nouveaux, que la décision intervenue n'était pas la meilleure. L a valeur d'une décision ne peut jamais être vérifiée qu'après coup, et c'est là une des caractéristiques de la recherche opéra­tionnelle.

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R E C H E R C H E O P É R A T I O N N E L L E

RAPPORTS ENTRE LES SAVANTS ET LES CHEFS RESPONSABLES

Pour que les chefs responsables aient recours à la recherche opérationnelle, il faut évidemment que l'équipe de recherche travaille en liaison étroite avec eux, ait leur confiance et connaisse exactement leurs intentions. C'est là une autre condition de succès de la recherche opérationnelle, et elle a été remplie dans une mesure exceptionnelle pendant la guerre, lorsque les savants parta­geaient souvent la vie des chefs militaires au cours des opérations. C'est peut-être là l'élément le plus important de la recherche opérationnelle, qui en fait quelque chose de nouveau. L'équipe de recherche doit faire siens les objectifs des chefs responsables pour qui elle travaille; dans la pratique, son c h a m p d'action est limité par les responsabilités de ces chefs. Les savants peuvent aider à préciser un objectif; ils ne peuvent pas se prononcer sur des questions morales. S'il se produit des conflits d'intérêt à l'intérieur d'une organisation, il importe de déterminer au préalable à quel échelon de direc­tion la recherche opérationnelle produira les meilleurs résultats. Les m é ­thodes objectives de l'analyse scientifique peuvent contribuer ainsi à rap­procher différents services ayant des intérêts opposés. O n a souvent remar­qué que les travailleurs acceptent ou rejettent les m ê m e s propositions, selon qu'elles résultent d'une enquête scientifique ou d'une initiative de 1'« admi­nistration ».

L a recherche opérationnelle ainsi conçue pourrait contribuer, pour une large part, à ramener la confiance entre employeurs et employés. Il en résul­terait de profondes conséquences sur le plan social.

LA RECHERCHE OPÉRATIONNELLE DANS LE DOMAINE ÉCONOMIQUE

A la fin des hostilités, les savants, qui avaient si bien réussi pendant la guerre, souhaitaient naturellement pouvoir continuer à appliquer les tech­niques qu'ils avaient créées. L'organisation industrielle offrait, nous l'avons vu, au début de la guerre, u n terrain tout trouvé à cet effet. Pendant la guerre, de nombreuses entreprises furent mises en veilleuse; mais l'après-guerre fut une période décisive pour le développement industriel sur une grande échelle. L a recherche opérationnelle fut alors — et continue d'être — largement utilisée au R o y a u m e - U n i , notamment par la grande industrie, dans le secteur nationalisé et sur le plan coopératif.' Les enquêtes portent aussi bien sur certains aspects particuliers de l'atelier que sur les plus, grands problèmes de stratégie industrielle. Il est impossible de les énumérer ici. N o u s n'en citerons que quelques exemples, qui illustrent certains aspects particuliers de la recherche opérationnelle sur le plan social plutôt que sur le plan proprement industriel.

L e premier de ces exemples se rapporte à u n problème d'équipement dans

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R E C H E R C H E O P É R A T I O N N E L L E

l'industrie. U n atelier de construction de matériel lourd disposait d'un cer­tain nombre de quais subsidiaires situés des deux côtés d'un chemin de fer à voie unique, pour le transport des pièces d'un quai à l'autre. L a production ayant augmenté, la voie se trouvait embouteillée et les délais de transport compromettaient sérieusement le rendement. L a place manquait pour ins­taller une seconde voie parallèle et l'administration envisageait, en désespoir de cause, de reconstruire l'atelier pour pouvoir poser une seconde voie. C'est alors qu'elle fit appel à une équipe de recherche opérationnelle. Celle-ci étu­dia en détail chaque mouvement en le décomposant en ses éléments : attente du convoi, attente de la grue, chargement, transport, déchargement, etc. Tous les temps furent chronométrés et l'on rechercha les causes de tous les délais. Sur la base de cette étude, on établit une loi fonctionnelle permettant de prévoir les effets de différents changements d'organisation. L a conclusion fut qu'avec une meilleure organisation et l'emploi d'une seconde locomotive, la voie unique pourrait suffire très largement aux besoins de l'usine. Les chan­gements voulus ayant été effectués, les délais de transport se trouvèrent réduits à peu près dans les proportions prévues par l'équipe.

Cet exemple montre clairement que la recherche opérationnelle peut, dans certains cas, remplacer avantageusement l'expérience. L a voie unique existante se trouvant insuffisante, l'expérience conseillait d'en construire une seconde. E n réunissant soigneusement les données du problème et en les analysant, on a pu dégager une loi fonctionnelle et aboutir ainsi à une solu­tion beaucoup plus économique.

PROBLÈMES D'UTILISATION ÉQUILIBRÉE DES RESSOURCES

L e deuxième exemple est celui de l'étude effectuée par la British Iron and Steel Research Association sur le déchargement dû minerai de fer importé dans les ports anglais. L e problème posé était le suivant : C o m m e n t réduire le temps de rotation du bateau dans le port ? L'équipe de recherche s'aperçut vite que ce problème n'avait pas été posé correctement et qu'il devait être énoncé ainsi : Quel est le meilleur type d'équipement à installer dans les ports et comment faut-il utiliser cet équipement pour réduire au m i n i m u m à la fois les frais et les délais de déchargement? Il s'agissait en s o m m e d'équilibrer l'utilisation de deux catégories de ressources, problème classique de ce genre de recherche.

Dans le cas qui nous occupe, les ressources à considérer étaient, d'une part, le matériel de déchargement et, d'autre part, les navires à décharger. A moins de régler les arrivées de façon que chaque navire se présentât pour être déchargé au m o m e n t précis où le précédent venait de terminer son déchargement — ce qui était manifestement impossible — il fallait prévoir qu'à certains moments il.n'y aurait pas de navire dans le port;— et le maté-

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R E C H E R C H E O P É R A T I O N N E L L E

riel de déchargement serait inutilisé — et qu'à d'autres moments un ou plusieurs navires devraient attendre pour être déchargés que ce matériel fût disponible. Il s'agissait donc d'équilibrer au mieux l'utilisation du matériel et celle des navires. Pour un trafic donné, plus le matériel de déchargement dont on dispose est important, plus longtemps ce matériel reste inutilisé, mais moins les navires ont à attendre.

L e problème relève de la théorie mathématique des files d'attente. Pour calculer d'une façon purement théorique le temps d'attente des navires, il faut connaître : Io la discipline de la file d'attente; 2° la répartition des arrivées de navires dans le temps; 3° le temps de déchargement par navire; 4° le nombre des emplacements de déchargement; et 5° le taux effectif d'oc­cupation de ces emplacements — qui peut être défini c o m m e le rapport entre le tonnage effectivement déchargé dans l'année et le tonnage théorique que le matériel disponible aurait permis de décharger en travaillant sans inter­ruption, autrement dit, c o m m e le coefficient d'utilisation du matériel. L e temps de ' déchargement dépend aussi des installations de déchargement (nombre et nature des machines, personnel), de la nature du minerai, enfin des dimensions et de la nature du navire. Il fallait procéder c o m m e suit pour la recherche :

1. Déterminer dans quelle mesure le temps de déchargement est fonction du matériel, du minerai et du navire et, pour cela, comparer les taux effectifs de déchargement dans différents ports. A cet effet, les données relatives au déchargement de trois mille cargos furent réunies et analy­sées. A première vue, il s'agissait là d'une analyse tri-factorielle ordinaire de la variance, c o m m u n e en statistique. E n fait, étant donné l'extrême diversité des navires et des minerais, il fallut élaborer une méthode d'ana­lyse spéciale pour obtenir une solution satisfaisante du problème.

2. Déterminer, à partir des m ê m e s données, la répartition des arrivées de navires dans le temps. O n s'aperçut que cette répartition était pratique­ment fortuite, circonstance heureuse car c'est la forme de distribution la plus facile à étudier en théorie par la méthode statistique.

3. Calculer les délais d'attente théoriques probables des navires pour diffé­rents taux d'occupation des emplacements de déchargement et différents temps de déchargement.

4 . Comparer ces délais théoriques aux délais réels constatés dans le cas de trois mille cargos étudiés. L a concordance se révéla satisfaisante.

O n avait donc un m o y e n de calculer les taux d'occupation des emplacements de déchargement et la vitesse de rotation des navires en fonction du type du matériel utilisé et de son m o d e d'utilisation. Mais ceci ne suffisait pas pour équilibrer au mieux les deux ressources, car on ne peut pas additionner le temps du matériel de déchargement et le" temps des navires. Il fallait donc trouver une c o m m u n e mesure entre les deux. Cette c o m m u n e mesure est d'ordre économique : elle découle d'une analyse des frais de construction et

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d'exploitation de différents types de matériel de déchargement et de navires. E n fin de compte, on parvint à déterminer quel équipement portuaire per­mettait de réduire au m i n i m u m les frais des deux catégories, pour différents tonnages annuels.

Cet exemple met en lumière de nombreux aspects de la recherche opéra­tionnelle. E n premier lieu, il illustre bien la définition que nous en avons donnée. L'étude a porté en effet sur des opérations réelles; des méthodes scientifiques ont été utilisées pour analyser les données et en déduire une formule logique permettant de prévoir les effets des changements; les auto­rités intéressées ont pu disposer ainsi d'éléments solides pour le choix de l'équipement à installer. E n second lieu, il vérifie le principe de l'intégralité, l'inséparabilité des éléments d'un ensemble : il n'est pas possible de consi­dérer le matériel de déchargement isolément; il fallait tenir compte aussi du type de navire à décharger, ainsi que des conséquences sociales sur les ouvriers employés d'une modification éventuelle des méthodes de décharger ment. Enfin, l'exemple illustre aussi le principe de ségrégation. E n raison de la complexité de l'opération, les frais de déchargement et les frais de séjour des navires au port étaient supportés par des services différents. L'une des difficultés pratiques de la recherche tenait précisément à ce conflit d'in­térêts.

LE PROBLÈME SOCIAL DES FILES D'ATTENTE

Les files d'attente posent chaque jour des problèmes qui ont déjà provoqué l'élaboration d'un nombre considérable de théories mathématiques. Sur le plan théorique, ces problèmes ne relèvent pas de la recherche opération-.nelle; mais ils fournissent précisément un excellent exemple de la différence qui existe entre la théorie et la pratique. L a théorie exige que certains facteurs prennent une valeur nettement définie parmi un certain nombre de valeurs possibles. Par exemple, il existe des solutions théoriques lorsque les arrivées se font soit entièrement au hasard, soit de façon constante; mais il n'existe pas de m o y e n théorique d'adapter ces solutions si la répartition des arrivées diffère légèrement de celle qui s'effectue au hasard. D a n s ce dernier cas, on ne peut que supposer la répartition absolument fortuite et comparer les délais d'attente prévisibles dans cette hypothèse avec les délais réels observés. Si les écarts sont faibles, la solution théorique reste valable et le modèle théorique peut servir de base aux prévisions. Si les écarts sont impor­tants, il faut envisager une solution empirique et non plus théorique.

N o u s prendrons c o m m e exemple une étude sur les consultations dans les polycliniques des hôpitaux de Grande-Bretagne l. Les malades attendaient

1. J . D . Welch et Norman T.J. Bailey, « Appointment Systems in Hospital Out-patient Depart­ments », The Lancet, Londres, 31 mai 1952, p. 1105.

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•souvent plus d'une heure avant d'être reçus par le médecin consultant. L a considération essentielle était évidemment que ce dernier perdît le moins de temps possible. Mais il fallait aussi éviter de faire perdre trop de temps aux malades et d'encombrer exagérément les salles d'attente. Il s'agissait donc, encore une fois, de trouver un équilibre entre le temps perdu par les médecins et le.temps perdu par les malades. O n c o m m e n ç a par mesurer la durée des consultations et la ponctualité; mais la forme de ces deux courbes était telle que la théorie mathématique relative aux files d'attente ne permettait pas d'aboutir à une solution d'ensemble.' Il fallut donc avoir recours à des méthodes quasi empiriques, et non plus théoriques, pour tracer une courbe représentant le rapport entre le temps perdu par les médecins et le temps perdu par les malades suivant le nombre de malades présents au début de la consultation. O n découvrit ainsi qu'avec deux malades présents au début de la consultation, si les intervalles entre les rendez-vous étaient égaux à la durée moyenne d'une consultation (soit cinq minutes), le médecin perdait moins de six minutes en tout et les malades n'attendaient en moyenne que neuf minutes.

Dans cette solution, on établit un rapport entre le temps perdu par les médecins et le temps perdu par les malades sans toutefois assigner une valeur à ces temps. Mais pour établir un rapport optimum entre ces deux facteurs, il est indispensable d'assigner une valeur à l'un et à l'autre. Posons en principe que le temps du médecin n'a pas une valeur infinie et celui des malades une valeur nulle, c o m m e en témoigne trop souvent le système de consultations dans les hôpitaux. Mais comment leur attribuer une valeur précise? Dans le cas qui nous intéresse on admit, tout à fait arbitrairement, qu'une perte de temps totale de six minutes pour le médecin et une attente . moyenne de neuf minutes par malade constituaient un rapport satisfaisant. -Sans doute n'avait-on pas tort.

L a valeur du temps constitue un élément important de nombreux pro­blèmes de recherche opérationnelle, notamment en matière de circulation. Pour résoudre un problème d'encombrement, par exemple, on mesurera d'abord le temps m o y e n que met un véhicule pour parcourir une certaine distance; on déterminera ensuite expérimentalement le temps que ferait gagner un élargissement de la route. Certes, il n'est pas possible d'élargir expérimentalement la route, mais on peut observer les conséquences d'un rétrécissement "et en déduire celles d'un élargissement; on calculera, ' enfin, le coût d'un élargissement. Mais, pour savoir si le projet vaut la peine d'être réalisé, il faudra chiffrer la valeur du temps qu'il permettra d'économiser : on notera, par exemple, le nombre et le type des véhicules qui empruntent la route, ce qui permettra de calculer la diminution des frais d'exploitation du véhicule résultant d'une économie de temps; on pourra aussi noter le nombre de voyageurs par véhicule et déterminer ainsi l'économie brute eñ heures-personnes. Mais il serait trop compliqué d'affecter ce temps d'une

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certaine valeur dans chaque cas particulier̂ il faudra donc adopter une règle arbitraire et déterminer la valeur moyenne du temps d'une personne d'après les statistiques relatives au revenu national brut.

RBCHERCHES SUR LA CIRCULATION ROUTIERE

Les transports — qu'ils soient routiers, ferroviaires ou aériens — offrent un c h a m p d'application sociale- vaste et fécond à la recherche opérationnelle. D e multiples recherches d'une très grande; portée sociale sont effectuées à l'heure actuelle dans de nombreux pays sur des questions de transport. Citons, à titre d'exemple, les études du R o a d Research Laboratory (Royaume-Uni) sur le comportement des conducteurs et des piétons 1.

E n étudiant la vitesse moyenne des véhicules sur divers tronçons de route, avant et après la réglementation de la vitesse, on a pu constater que cette réglementation, si elle a contribué à réduire quelque peu le nombre des accidents, n'a eu que très peu d'influence sur la vitesse elle-même. O n a éga­lement observé que les conducteurs ne s'arrêtent devant les signaux rouges que dans la mesure où ils le jugent nécessaire. O n a adopté au R o y a u m e - U n i les bandes zébrées blanches et noires en vue de signaler les passages pour piétons à la suite de recherches expérimentales du R o a d Research Labora­tory sur la visibilité relative de différents systèmes de signalisation pour les conducteurs. Par la m ê m e occasion, on a réduit le nombre des passages et clarifié les dispositions légales relatives à leur utilisation. A la suite de ces différentes mesures, on a constaté à cet égard une considérable amélioration du comportement des conducteurs et des piétons.

Ces études montrent que le comportement du conducteur s'inspire des nécessités techniques plutôt que d'une soumission aveugle au règlement. E n ces matières, il vaut toujours mieux conseiller que réprimer. Il importe, en tout cas, que les règlements soient établis sur la base de recherches sérieuses, car s'ils sont arbitraires, ils entraînent le mépris de la loi, avec toutes les conséquences que cela comporte du point de vue social. E n revanche, l ' h o m m e de la rue respectera souvent une décision qui lui paraît abusive mais dont il sait qu'elle est logiquement et scientifiquement fondée, et non dictée par un caprice des autorités. C'est là une constatation qui a la plus haute importance dans le domaine des prescriptions légales et de l'action gouvernementale, et qui trouve aussi son application dans les relations entre patrons et ouvriers.

1. R.J. Smeed, « Road Behaviour of Vehicle Drivers », Opérât. Res. Quart., Londres, décembre 1952, 3 (4), 60-68. •

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LES COMMUNICATIONS SUR LE PLAN PROFESSIONNEL

A mesure qu'une organisation se développe et se complique, ses différents éléments tendent à se différencier sans que l'unité organique de l'ensemble soit compromise. L e maintien simultané de l'unité et d'un haut degré de différenciation pose un problème de communication. Par communication, on n'entend pas seulement les déplacements de personnes et les liaisons télé­phoniques ou postales, mais aussi et surtout les transmission d'idées. Pour transmettre une idée, il faut d'abord l'exprimer sous la forme d'un message, ensuite savoir à qui il convient d'adresser ce message; enfin, trouver un m o y e n matériel de transmission (entrevue personnelle, appel téléphoni­que, etc.).

L e problème de l'expression des idées intéresse la société tout entière. L'importance de la sémantique est reconnue depuis l'époque de la tour de Babel. Mais pour transmettre des idées, les mots ne sont pas toujours suffi­sants : le comportement aussi a un sens qu'il faut savoir comprendre et interpréter. L'élément essentiel de la communication est la compréhension mutuelle des processus mentaux de l'envoyeur et du destinataire. C'est ainsi que les mathématiciens communiquent entre eux avec toute la concision et toute la précision voulues à l'aide de symboles et de formules qui ne pré­sentent aucun sens pour les non initiés. M ê m e pour ceux-ci d'ailleurs, ces expressions restent précises; si elles sont inintelligibles, du moins ne prêtent-elles pas à une fausse interprétation. Il n'en va pas de m ê m e avec le langage : de tous les jours. Q u e de temps gaspillé en pourparlers et en discussions au sujet de l'interprétation de quelques termes!

L e problème de la communication sous sa forme globale présente d o n c une portée sociale qui semble justifier amplement l'intervention de la recher­che opérationnelle. Mais ses différents aspects sont trop hétérogènes pour qu'il ne soit pas plus utile de les étudier séparément. Il est intéressant de noter, à ce point de vue, les nouvelles théories sémantiques qui se fondent • sur l'étude scientifique des rapports existant non seulement entre les. idées et les mots, mais entre le langage et le comportement. Mais la question se pose-surtout sur le plan des relations industrielles, où la recherche opérationnelle' joue évidemment un plus grand rôle que les considérations purement théori­ques. Il est évident qu'une mauvaise interprétation de la pensée d'autrui engendre la méfiance (et vice versa), et toute recherche visant à améliorer la communication de la pensée aurait d'importantes conséquences sociales en améliorant aussi les relations humaines sur le plan industriel.

O n peut déterminer la nature exacte des communications indispensables, dans l'industrie sur la base d'une étude fonctionnelle des différents éléments de l'entreprise considérée; on peut alors évaluer par comparaison l'efficacité du système de communications existant. L a recherche opérationnelle peut jouer là un rôle capital, car il est indispensable d'étudier comment le sys-

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• R E C H E R C H E O P É R A T I O N N E L L E

tèrne fonctionne en réalité et non pas c o m m e n t l'administration s'imagine qu'il fonctionne. Des études de ce genre doivent porter non seulement sur les communications verticales — entre la direction, les chefs de services, les contremaîtres et les ouvriers — mais aussi sur les communications horizon­tales aux différents échelons, celui des chefs de service, celui des contremaî­tres, etc. E n outre, on ne peut déterminer quel serait le meilleur système de communication dans une organisation donnée sans connaître le niveau cultu­rel du personnel, ce qui exige des expériences opérationnelles.

L'étude des moyens matériels de communication offre aussi de vastes pos­sibilités à la recherche opérationnelle. Si ces moyens sont rapides, leur ins­tallation occasionne des frais, qu'il faut considérer par rapport aux écono­mies de temps réalisées. Il convient aussi d'évaluer les pertes de temps qu'entraîne l'emploi de ces moyens (interruptions de travail dues aux coups de téléphone par exemple), ainsi que l'utilité réelle des conférences — y compris les comités mixtes. Il faut procéder à cet effet à l'étude opération­nelle des conditions de travail afin de définir les moyens de les améliorer.

•PRODUCTIVITÉ

L'amélioration de la productivité constitue un objectif social important, car l'élévation du niveau de vie en dépend, notamment dans des conditions de plein emploi. Par productivité, nous entendons aussi bien productivité de la main-d'œuvre que productivité de l'équipement. L a mise au point des m é ­thodes de contrôle de la productivité relève de la recherche opérationnelle m ê m e si l'application pratique de ces méthodes devient ensuite une question d'administration courante, et il en est de m ê m e en ce qui concerne le contrôle de la qualité.

O n parle beaucoup de productivité depuis la guerre, mais les recherches entreprises dans ce domaine visent en général à mesurer la productivité sans que la signification ou l'utilité de ces évaluations soient toujours bien préci­sées. O n a pu mesurer utilement à des fins de comparaison les taux bruts de productivité d'une industrie nationale ou d'une entreprise ou encore d'un service à l'intérieur d'une entreprise. O n a pu comparer, par exemple, la productivité d'une m ê m e industrie dans différents pays, ou celle des services fabriquant un m ê m e produit dans différentes usines.

Ces comparaisons révèlent souvent des différences, surprenantes à pre­mière vue, mais qui n'ont de valeur que « toutes choses égales d'ailleurs ». O r il est rare que toutes les conditions soient identiques dans deux ateliers d'une m ê m e industrie, plus rare encore qu'elles le soient dans deux pays. A plus forte raison, il sera toujours facile d'expliquer une productivité natio­nale relativement faible en démontrant que la comparaison n'est pas valable. Certains rapports des équipes de recherche sur la productivité envoyées aux

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Etats-Unis au cours des dernières années illustrent bien ce fait. Ainsi, l'équipe de la British Iron and Steel Industry cite dans son rapport des chiffres qui montrent que, dans certains secteurs tout au moins, la productivité est nette­ment plus faible en Grande-Bretagne qu'aux Etats-Unis. Mais il est évident que cette infériorité s'explique en grande partie par des différences de condi-, rions : pour la fabrication du fer, par exemple, l'industrie américaine dispose d'une matière première beaucoup plus riche et plus homogène. Si la c o m p a ­raison des taux de productivité peut amener parfois les industriels d'un pays à s'inspirer d'exemples étrangers, cette comparaison perd beaucoup de sa valeur en tant que stimulant de l'effort lorsque les différences sont trop faci­lement explicables.

D e m ê m e , lorsque l'on compare les taux bruts de productivité de diffé­rentes entreprises dans un m ê m e pays, on aboutit souvent à des conclusions erronées quant aux meilleures mesures à prendre. Ainsi, si l'agriculture bri­tannique dans son ensemble peut se vanter de réussites remarquables, cer­tains agriculteurs .n'en sont pas moins inévitablement inférieurs aux autres; si l'on étudiait la répartition de la productivité à un m o m e n t quelconque, on obtiendrait à peu près sûrement une courbe normale, faisant apparaître un petit nombre de très bonnes exploitations, un petit nombre de très mauvaises et une grande majorité d'exploitations moyennes. O n perd beaucoup de temps et d'énergie à harceler les mauvais producteurs pour qu'ils améliorent leur rendement; il serait infiniment préférable, dans l'intérêt de la productivité nationale, d'utiliser cette énergie à améliorer le rendement de la multitude des producteurs moyens.

H faudrait comparer non pas la productivité de deux entreprises — ana­logues mais non identiques — mais la productivité effective d'une entreprise et la productivité optimum que la m ê m e entreprise pourrait atteindre dans la limite des conditions auxquelles elle ne peut se soustraire. A ce point de vue, ce qu'il importe avant tout de mesurer, ce sont les variations de la pro­ductivité totale brute d'une année à l'autre. Les recherches opérationnelles devraient porter sur les détails du fonctionnement d'une entreprise considérée dans son ensemble, compte tenu des conditions sociales et culturelles de ce fonctionnement, de façon non seulement à mesurer mais à expliquer le niveau de productivité. C e n'est qu'alors qu'on pourra prendre des mesures ration­nelles en vue d'élever ce niveau.

LES ACCIDENTS DU TRAVAIL

Les accidents du travail posent un grave problème économique et social en raison des blessures, des invalidités, des pertes de vies humaines qu'ils entraî­nent. H n'est pas aisé d'en déterminer le coût d'un point de vue froidement économique. Si la valeur du temps perdu est relativement plus facile à cal-

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culer que dans le cas des problèmes de circulation examinés plus haut — le revenu de la victime étant connu avec assez de précision — le coût de l'invalidité est évalué de façon beaucoup plus arbitraire. E n outre, il faut considérer qu'une partie seulement — et le plus souvent une petite partie — du coût des accidents est supportée par l'entreprise m ê m e ; le reste constitue une charge socialement répartie. Dans ces conditions, c'est pour des consi­dérations humanitaires plutôt qu'économiques que les entreprises s'effor­cent de réduire le nombre des accidents. C e n'est peut-être pas à tous égards un avantage, et il est possible que le coût des accidents justifierait une poli­tique de prévention beaucoup plus énergique et plus dispendieuse dont les résultats seraient sans doute considérables, notamment sur le plan de la pro­ductivité.

E n fait, le problème de la prévention des accidents et celui de l'accrois­sement de la productivité doivent être envisagés à peu près sur le m ê m e plan. Des statistiques relatives aux accidents sont normalement établies pour cha­que usine; dans le nombreux pays, de telles statistiques sont obligatoires. Elles indiquent ordinairement le taux de fréquence (nombre d'accidents pour cent mille ou un million d'heures de travail) et le taux de gravité (nombre de journées de travail perdues pour cent mille ou un million d'heures de travail). Ces deux taux servent surtout à effectuer des comparaisons — dont il est difficile de savoir dans quelle mesure elles sont valables — et à tracer la courbe des accidents dans une m ê m e usine d'une année à l'autre; en revanche nous ne s o m m e s guère renseignés sur les causes des accidents, et les mesures de prévention consistent le plus souvent à assurer par des moyens mécaniques la protection de la machine ou de l'ouvrier. O n use aussi, à l'occasion, de la propagande, des exhortations, etc.

Depuis quelques années, toutefois, on attribue une grande importance aux questions d'organisation intérieure dans la prévention des accidents; et plus récemment il s'est manifesté une tendance à considérer les accidents c o m m e symptomatiques du climat social de l'usine où ils se produisent. Dans un cas au moins, la recherche opérationnelle a été appliquée à une étude appro­fondie des accidents. Cette enquête extrêmement poussée porte non seule­ment sur les accidents eux-mêmes , mais aussi sur les travailleurs, accidentés ou non. O n examine, pour un échantillon de travailleurs, les antécédents au m o m e n t de l'embauche (par exemple âge et emploi précédent), les états de service au m o m e n t des accidents, la nature et les causes des accidents subis, les transferts et les mutations dont l'intéressé a fait l'objet à l'intérieur de l'usine, les causes d'absence (santé, etc.). Cette étude a déjà fourni des indi­cations utiles et entièrement nouvelles concernant les rapports entre les pro­cédés de sélection, d'affectation, de formation professionnelle, etc., et les accidents. Elle donne une idée des méthodes de recherche opérationnelle qui pourraient et devraient être appliquées dans ce domaine et d'autres ana­logues.

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L ' E N T R E P R I S E E N T A N T Q U ' O R G A N I S M E S O C I A L

Nous avons jusqu'ici considéré séparément, pour plus de commodité, les communications, la productivité et les accidents. Dans la pratique, toute­fois, ces questions ne peuvent être entièrement dissociées. Bien au contraire, il faut les considérer — avec divers autres facteurs — c o m m e des aspects différents d'un m ê m e organisme social : l'entreprise en tant que telle. Il est impossible d'avoir une connaissance complète de cet organisme en considé­rant chaque facteur isolément d'un point de vue mécanique; il importe, au contraire, d'adopter une conception globale et d'étudier l'interaction de tous les facteurs en cause. Trois études récentes, portant sur une exploitation minière et sur deux fabriques de bonneterie, illustrent la valeur d'un telle conception1.

LA FONCTION GOUVERNEMENTALE

Les rouages du gouvernement, de même que ceux de l'organisation indus­trielle, s'étaient considérablement compliqués dès avant la guerre. Mais, si la guerre fut à maints égards une période de stagnation, voire de recul pour l'industrie, la fonction gouvernementale subit en revanche une véritable trans­formation. L a guerre totale exigeait la mobilisation de toutes les ressources des pays belligérants. L e gouvernement ne pouvait plus se permettre de « laisser faire », de s'en remettre aux fluctuations du marché pour assurer la répartition des ressources entre des intérêts opposés : il était obligé d'inter­venir énergiquement dans la vie de la nation et de diriger ses efforts. Dans tous les pays belligérants le gouvernement fut amené à s'occuper directement de questions qui relevaient précédemment de l'initiative privée. Nous en trouvons un exemple dans les activités du Ministère du commerce et de l'industrie du R o y a u m e - U n i (Board of Trade), organisme qui s'occu­pait plutôt du secteur civil de l'industrie et du commerce que de la pro­duction de guerre. L'histoire de ces activités pendant la guerre a été publiée récemment2 .

A u début de la guerre, on ne disposait que de très peu de données sur lesquelles se fonder pour assurer la répartition effective des ressources indus­trielles. Les statistiques de production — quand il en existait — ne don­naient guère d'indications au sujet des matières premières nécessaires à cette production et encore moins au sujet des besoins et des habitudes des consom­mateurs. Cela importait relativement peu tant qu'il n'y avait pas pénurie de

1. Jerome F . Scott et R . P . Lynton, Three Studies in Management, Routledge and Kegan Paul, Londres, 1952.

2. E . L . Hargreaves et M . M . Gowing, Civ/I Industry and Trade, H . M . Stationery Office, Londres, 1952.

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matières premières et de main-d'œuvre. M ê m e lorsque les arrivages de coton devinrent insuffisants pour la demande, on put se contenter d'établir un sys­tème de priorités en faveur des industries de guerre et des exportations. Si le consommateur civil ne pouvait plus s'approvisionner à son gré, la situa­tion n'était pas pour autant critique. Mais à mesure que les industries de guerre exigeaient davantage et que les ressources en main-d'œuvre et en matières premières diminuaient, il devint indispensable de songer sérieuse­ment aux consommateurs civils, dont il fallait soutenir le moral.

L'une des solutions adoptées fut celle du rationnement destiné à assurer une répartition équitable des ressources. Mais il en résulta de nouvelles difficultés, car les rations promises devaient être livrées. D e plus, certains systèmes de rationnement — celui des vêtements par exemple — concer­naient un très grand nombre d'articles, et le public s'attendait à recevoir non quelque chose, mais les articles particuliers qu'il désirait. Il fallait donc veiller constamment à ce que les articles voulus soient produits en quantités à peu près satisfaisantes. Il est impossible d'exposer ici en détail ces pro­blèmes complexes et passionnants. Qu'il suffise de dire qu'à tout m o m e n t le ministère se trouvait devant l'alternative de réduire encore les maigres res­sources du pays ou de voir baisser le moral de la population. C'est le type m ê m e du problème qui relève de la recherche opérationnelle. L'utilité de celle-ci n'étant pas encore nettement reconnue à l'époque, on procéda sur­tout par tâtonnements pour déterminer l'équilibre le plus avantageux entre ces deux facteurs.

Sur le plan de la production, on ne semble guère s'être préoccupé d'éva­luer les effets de la politique gouvernementale sur la productivité, et en par­ticulier sur la productivité de la main-d'œuvre, dont la pénurie devait par la suite se faire si cruellement sentir. Sur le plan de la consommation, il était indispensable d'évaluer la demande effective de chaque article, la plus légère raréfaction entraînant des achats de panique, qui aggravaient encore la pénu­rie. Pendant longtemps cette évaluation fut faite surtout au jugé en ce qui concerne la plupart des produits. Pour quelques-uns, cependant, on mit au point des techniques permettant de calculer la demande, par exemple d'après la vitesse d'écoulement des tickets. Plus tard, un service spécial fut chargé d'étudier les besoins des consommateurs (Consumer Needs Department) et d'assurer la répartition en fonction des fluctuations de la demande. C e service réussit, dans une certaine mesure, à régulariser le marché et en particulier à équilibrer l'approvisionnement, notamment entre les différentes villes et les différentes régions. Mais il s'agissait > là d'un travail d'ajustement qui n'avait rien de scientifique.

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ENQUÊTES

Avant de prendre une décision importante le gouvernement doit presque toujours se documenter sur les besoins et les préférences de la population. Autrefois, on ne disposait pas de techniques pour recueillir des données de cet ordre : il fallait soit procéder à un recensement ou à une enquête c o m ­plète — opération toujours très dispendieuse à l'échelle nationale — soit se fier à la méthode de l'échantillonnage, peu coûteuse mais extrêmement im­précise faute d'une base théorique adéquate. L'une des réalisations les plus importantes de la statistique au cours des dernières années a été l'élabora­tion d'une théorie précise qui permet non seulement d'établir un échantil­lonnage vraiment représentatif de l'ensemble de la population, mais encore de déterminer la marge d'erreur probable, c'est-à-dire les différences exis­tant entre l'échantillon choisi et la population. Les enquêtes par échantil­lonnage sont très largement utilisées aujourd'hui, sans crainte d'erreur. O n considère qu'elles constituent un procédé non seulement plus économique, mais aussi plus précis que les recensements complets. Ces derniers exigent, en effet, des travaux considérables, dont il faut charger, la plupart du temps, un personnel peu qualifié, voire incompétent. Les possibilités d'erreur sont donc importantes. E n revanche, les enquêtes par échantillonnage exigent rela­tivement peu de manipulations et peuvent être effectuées avec le plus grand soin par un personnel spécialisé. Les renseignements recueillis ont donc toutes chances d'être plus exacts que ceux d'un recensement complet. U n e enquête par échantillonnage, lorsqu'elle est bien organisée, est à la fois plus économique et plus utile qu'une enquête démographique complète.

Les spécialistes le savent si bien que, lors du dernier recensement de la population aux Etats-Unis, le Bureau of the Census organisa une enquête par échantillonnage pour vérifier l'exactitude des données recueillies. A u R o y a u m e - U n i , en prévision d'un recensement de la distribution, le Social Survey a été récemment chargé par le gouvernement d'appliquer, dans une région du pays, la technique de l'interview à un échantillon pour recueillir les données du recensement, pendant que le Board of Trade procédait dans d'autres régions à une enquête préliminaire par la méthode classique des questionnaires adressés à domicile. O n a pu ainsi mesurer le coût et l'effica­cité relatifs des deux méthodes dans le cas considéré et décider de quelle manière le recensement devrait être organisé. O n est en droit de penser que la pratique du recensement complet sera bientôt abandonnée.

Ces études, qui visent à déterminer quel genre, d'enquête ou de recense­ment convient le mieux dans tel ou tel cas, se classent de plein droit dans la catégorie des recherches opérationnelles. Les enquêtes elles-mêmes, dans la mesure où elles relèvent d'une technique parfaitement éprouvée, ne consti­tuent pas de la recherche opérationnelle, mais lui fournissent un instrument d'une valeur incomparable qui a maintes fois été utilisé pour fournir au gou-

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vernement les éléments d'une décision pendant et après la guerre. U n e des enquêtes les plus importantes à cet égard, commencée pendant la guerre et poursuivie après, fut celle du Ministère de l'alimentation (Ministry of Food) sur les habitudes alimentaires de la population. Cette enquête visait à contrô­ler l'efficacité du rationnement et son aptitude à répondre aux besoins ali­mentaires des différents secteurs de la population. Elle permit d'améliorer sur de nombreux points le système de rationnement. Signalons, dans le m ê m e ordre d'idées, l'enquête effectuée depuis la guerre pour évaluer quelle serait l'importance de la demande de charbon si ce produit était mis en vente libre. Cette enquête eut pour conséquence le maintien du rationnement. E n 1949, le rationnement de la confiserie fut aboli par mesure politique sans sérieuse enquête préalable. Il dut être rétabli peu après.

E n dehors m ê m e des questions de production et de rationnement, l'acti­vité gouvernementale offre d'innombrables possibilités à la recherche opéra­tionnelle. L'organisation des services de santé fournit un excellent exemple de la portée sociale de cette recherche. Dans ce domaine, on peut procéder sur une base relativement étroite. Ainsi, les enquêtes relatives à l'espacement des consultations, dont nous avons rendu compte plus haut, peuvent être effectuées isolément dans chaque hôpital; toutefois, les conclusions de ces enquêtes gagneraient en portée si elles étaient fondées sur des observations effectuées dans un grand nombre d'établissements. Mais des questions beau­coup plus générales relèvent aussi de la recherche opérationnelle. Ainsi, on s'efforce actuellement au R o y a u m e - U n i de déterminer les besoins de la population en matière de services de médecine générale; on pourrait égale­ment faire une enquête sur la répartition des hôpitaux. Dans les pays où les services sanitaires ne sont pas unifiés à l'échelle nationale, ces grands pro­blèmes relèvent souvent de plusieurs administrations; de toute façon, le gouvernement ne peut s'en désintéresser. A u R o y a u m e - U n i , l'institution du Service national de santé, en 1948, a représenté évidemment une réforme sociale d'importance majeure; la recherche opérationnelle aurait pu être utilisée alors dans des conditions idéales pour déterminer les effets probables de la réforme sur les besoins de la population en matière de services médi­caux et sanitaires. O n aurait pu éviter ainsi certaines difficultés initiales dans l'application du système.

UN EXEMPLE TIRÉ DE L'ANTHROPOLOGIE

L a recherche opérationnelle ne se borne pas à prédire les effets des réformes : elle s'efforce aussi de vérifier les résultats des changements effectués et d'en apprécier l'efficacité après coup. U n e étude sur les meurtres rituels au Bas-soutoland1 nous fournit une démonstration intéressante de la nécessité et

1. G.I . Jones, Basutoland Medicine Murders, H . M . Stationery Office, C m d . 8209, Londres, 1951.

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R E C H E R C H E O P É R A T I O N N E L L E

de l'utilité d'une recherche opérationnelle suivie d'une enquête complémen­taire sur le plan gouvernemental.

E n 1937, le gouvernement avait procédé à des réformes sans connaître vraiment la situation. Après la guerre, un anthropologue fut chargé d'ef­fectuer une enquête. Il constata que certaines réformes n'avaient fait qu'ag­graver la situation en augmentant le nombre des chefs locaux au lieu de le diminuer c o m m e l'exigeait la situation. D e plus, les mesures tendant à réduire les corvées imposées aux autochtones avaient été interprétées c o m m e une aggravation de la taxation. Les réformes, parce qu'elles venaient d'en haut, avaient été mal comprises. Elles avaient en fait contribué à développer u n sentiment d'insécurité qui se traduisait par un besoin d'utilisation médicinale de la chair humaine en tant que m o y e n d'accéder ou de se maintenir à une certaine situation sociale. L e gouvernement avait obtenu un effet contraire à celui qu'il escomptait.

CONCLUSION

L a nécessité de la recherche opérationnelle tient à la complexité des orga­nisations actuelles. L'expérience d'un seul h o m m e ou celle d'un petit groupe est trop limitée et permet de moins en moins de découvrir les lois fonda­mentales du fonctionnement de l'organisation considérée; qui plus est, cette expérience ne tient compte que de données arbitrairement choisies, et ne peut donc servir à fonder des jugements objectifs '. L a recherche opération­nelle vise à compléter l'expérience individuelle par celle du passé tout entier. Elle considère objectivement toutes les données disponibles sans en négliger aucune. Si l'on ne peut être toujours assuré de disposer de données c o m ­plètes, du moins peut-on remédier aux lacunes les plus manifestes par l'ex­périmentation. L'analyse des données se fait à l'aide de méthodes scienti­fiques empruntées à toutes les disciplines pertinentes en vue de déterminer à quelle loi ou à quelle norme le fonctionnement du système considéré semble avoir obéi jusqu'ici. Cette loi sert enfin à prévoir l'effet probable des mesures qui pourront être prises.

L a présente étude porte sur les applications sociales de la recherche opé­rationnelle plutôt que sur ses applications techniques ou industrielles, bien que les deux catégories d'applications soient, à maints égards, inséparables. N o u s n'avons pas cherché à donner une définition rigide de la recherche opé­rationnelle, et on pourra nous objecter que certains des exemples cités plus haut relèvent plutôt d'autres sciences sociales, telles que la sociologie, l'an­thropologie ou la science économique. Mais nous estimons que, de m ê m e que les sciences dites exactes, les sciences sociales peuvent de moins en moins se permettre d'agir de façon fragmentaire et que la société est une et indivisible. L a recherche opérationnelle n'est pas la sociologie; elle n'est

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R E C H E R C H E O P É R A T I O N N E L L E

pas l'anthropologie, elle n'est pas la science économique, mais elle fournit des méthodes pour l'étude des problèmes c o m m u n s à toutes ces disciplines; elle rapproche les unes des autres — et de toutes les autres sciences — non pour en faire la synthèse théorique, mais afin d'aider de façon pratique tous ceux qui occupent des postes de direction à prendre les décisions les mieux fondées.

G U I D E B I B L I O G R A P H I Q U E

Methods of Operations Research, par Philip M . Morse et George E . Kimball, John Wiley and Sons, N e w York, 1951.

Operational Research — Its Application to Peace-time Industry, The Manchester Joint Research Council, Manchester, 1950.

Journal of the Operations Research Society of America, John B. Lathrop (Secretary), 30, Memorial Drive, Cambride 42, Mass., E - U . A .

Operational Research Quarterly, 11, Park Lane, Londres, W . l .

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L'ÉCONOMIE DIRIGÉE A L'AIDE DE SYSTÈMES DE CONTRÔLE

AUTOMATIQUE par

ARNOLD TUSTIN

Le professeur Tustin dirige depuis 1947 le Département d'électrotechnique à l'Université de Birmingham. Il était au­paravant premier ingénieur adjoint à l'usine de la Metro-politan-Vickers Electrical Co., Ltd., à Sheffield. Pendant la guerre, il a joué, à ¡a tête d'un groupe d'ingénieurs, un rôle important dans la mise au point rapide de systèmes de contrôle automatique pour les canons de marine, les appa­reils de radar et les tourelles de chars. Il a écrit un livre-intitulé Direct Current Machines for Control Systems.

L e présent article étudie les causes de fluctuation de quantités économiques, telles que l'emploi, les prix, le revenu, le taux d'investissement, etc. Chacune de ces quantités dépend d'autres quantités ou en subit l'influence, et les. économistes doivent considérer l'ensemble du « système > que constituent toutes ces quantités interdépendantes. Ces systèmes, qui représentent plus ou moins fidèlement un système économique existant, sont souvent appelés, des « modèles économiques >. Nous nous proposons surtout d'attirer l'atten­tion du lecteur sur l'analogie étroite qui existe entre ces systèmes ou « m o ­dèles économiques » et certains systèmes physiques, notamment les régula­teurs et dispositifs de contrôle automatique, qui sont des applications du principe du feed-back. O n a fait récemment de grands progrès dans la mise au point des systèmes de contrôle mécaniques ainsi que dans l'analyse de-leur comportement. Il y a donc intérêt à étudier la possibilité de transposer ces méthodes nouvelles dans le domaine de l'analyse économique de manière à les faire servir à la solution des problèmes de stabilisation et de prévision économiques. Indépendamment des méthodes d'analyse théorique, l'analogie qui existe entre les modèles économiques et les systèmes de contrôle phy­siques suggère une autre possibilité. Lorsque, c o m m e on le constate dans, la pratique, la complexité du système économique est telle que son compor­tement ne peut être calculé, il se pourrait que ce comportement fût néan­moins determinable, grâce à la construction d'un système physique analogue dont le comportement pourrait être observé et noté.

C e n'est pas une tâche aisée que de combiner des notions tirées de la mécanique, des sciences économiques et des mathématiques — trois do­maines dont chacun a sa terminologie particulière — et de présenter les résultats de ce travail sous une forme intelligible à des lecteurs qui ne sont

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L ' É C O N O M I E D I R I G É E A L ' A I D E

-spécialisés en aucun des trois. Mais il est utile, ou tout au moins stimulant, pour les spécialistes, de jeter parfois un coup d'œil par-dessus la palissade qui limite leurs jardins respectifs. Il est bon que l'évolution des faits écono­miques soit comprise de ceux qui s'intéressent principalement à la politique ou à l'administration. Cela exige peut-être qu'on sacrifie parfois à l'intelli­gibilité la précision d'une nomenclature spécialisée et l'auteur sollicite à cet égard l'indulgence des spécialistes qui liraient son article. Les aspects mathé­matiques et techniques des questions dont il traite sont développés et précisés •dans un livre qui paraîtra sous peu 1.

-IMPORTANCE DE LA STABILITÉ ÉCONOMIQUE

U n grand nombre de phénomènes déplaisants de notre époque, depuis la méfiance qui se manifeste dans le m o n d e de l'industrie jusqu'au conflit qui oppose l'Est à l'Ouest, sont la conséquence historique du mauvais fonction­nement passé de nos mécanismes économiques. L'emploi insuffisant de la main-d'œuvre et des capitaux, les dépressions périodiques, les fortunes mira­culeuses et les faillites imméritées ne datent pas d'hier. Mais on s'accorde généralement, de nos jours, à reconnaître la nécessité de remédier à cet état de choses, et les gouvernements s'efforcent de stabiliser l'emploi à un niveau élevé.

Si l'on parvient à assurer le plein emploi de façon permanente, indépen­d a m m e n t des conditions particulières que créent l'effort de guerre et les pro­grammes de reconstruction et d'armement de l'après-guerre, l'avenir se pré­sentera, du point de vue social, sous un jour tout différent. E n particulier, un des postulats fondamentaux du c o m m u n i s m e perdra toute validité : je veux parler de l'idée que tout système économique où l'investissement est motivé par l'espoir du profit est nécessairement instable, injuste et condamné d'avance, et que la promesse d'un régime permanent de plein emploi est une vaine promesse. Certes, il faut bien reconnaître que ni les h o m m e s d'af­faires, ni les syndicats, ni m ê m e les services gouvernementaux ne considè­rent encore c o m m e axiomatique la stabilisation permanente de l'emploi à un niveau élevé. Et il ne semble guère, à examiner de façon objective les graphiques représentant les fluctuations d'après guerre, qu'on soit encore parvenu à l'assurer.

Il peut paraître excessif de faire dépendre de la solution d'un problème technique l'avènement de cet avenir meilleur que nous assurerait la stabi­lité économique, et la possibilité de discréditer à jamais, sans heurt ni fracas, un des postulats fondamentaux de la guerre froide. Et pourtant, il semble

"1. A . Tustin, The .Mechanism of Economie Systems, à paraître chez Heinemann, Londres, en juil­let 1953.

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DE S Y S T È M E S DE C O N T R O L E . A U T O M A T I Q U E

qu'on pourrait obtenir ce résultat en expliquant de façon claire et définitive le mécanisme précis des fluctuations économiques, ce qui permettrait de les prévoir et de les régler. Mais quel est l'état actuel des travaux entrepris dans ce sens?

C e sont surtout les études de J . M . Keynes et la publication, en 1936, de sa General Theory of Employment, Interest and Money 1 (Théorie générale de l'emploi, de l'intérêt et de la monnaie) qui ont fait éclater la controverse d'où devait se dégager une nouvelle façon d'envisager les faits économiques. Peu importe maintenant de savoir si toutes les idées de Keynes étaient entiè­rement justes, ou ses explications suffisantes. L'important est qu'il ait fait sortir les sciences économiques de l'ornière où elles s'étaient enlisées et les ait remises en marche vers la compréhension des mécanismes économiques et la recherche d'une direction satisfaisante de notre vie économique. Depuis la publication de la Théorie générale, on a beaucoup progressé dans l'éluci-dation du mécanisme des fluctuations, des mesures nécessaires pour « tuer les oscillations dans l'œuf » et des problèmes nouveaux de prix et de salaires qui se posent avec acuité sous un régime de plein emploi.

Il ne semble pas toutefois que les progrès accomplis autorisent à consi­dérer la stabilité c o m m e définitivement assurée, m ê m e si l'on se place uni­quement au point de .vue des procédés techniques et qu'on laisse de côté les aspirations d'ordre politique. Il importe au plus haut point de créer sans délai tous les moyens techniques qui peuvent permettre de l'assurer, et de faire admettre c o m m e désormais incontestables l'existence de ces moyens et la résolution politique de s'en servir.

O n n'y parviendra qu'en intensifiant rapidement les recherches économi­ques et les enquêtes statistiques appropriées. Il faut évidemment s'efforcer de faire comprendre, à un public plus vaste que celui des économistes pro­fessionnels, les causes véritables du mauvais fonctionnement des systèmes économiques du passé, et d'expliquer clairement la nature, la nécessité et l'ampleur des mesures à prendre pour assurer dans l'avenir la stabilité et la pleine utilisation des ressources.

PARALLÉLISME DE L'ANALYSE ÉCONOMIQUE ET DE L'ÉTUDE DES SYSTÈMES

PHYSIQUES

Par une curieuse coïncidence, alors que les économistes étudiaient attentive­ment (depuis 1935 environ) la « dynamique » des systèmes de quantités économiques, les ingénieurs durent reprendre à pied d'oeuvre le problème analogue du comportement dynamique et de la stabilité des systèmes de

1. J . M . Keynes, The Genera! Theory of Employment, Interest and Money, Macmillan, 1936. (Tra­duction française par J. de Largentaye, Théorie générale de l'emploi, de l'Intérêt et de la mon­naie, Payot, Paris, 1942.)

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L ' É C O N O M I E D I R I G É E A, L ' A I D E

quantités physiques. Ces problèmes se sont posés notamment pour la cons­truction de toutes sortes d'appareils automatiques de contrôle et de régula­tion. O n sait que, depuis une dizaine d'années environ, les progrès techniques accomplis dans ce domaine ont été impressionnants; on peut citer notam­ment l'amplificateur à feed-back (élément essentiel de la radio et de la télé­vision), le pilote automatique, le projectile téléguidé, le projectile à tête chercheuse, le système de pointage automatique des canons, les usines auto­matiques pour la fabrication de produits chimiques et des dizaines d'autres inventions. Toutes ces réalisations techniques reposent sur les progrès de la théorie de la stabilité des systèmes, d'abord étudiée à fond lorsqu'on a voulu appliquer le principe du feed-back aux amplificateurs radiophoniques, puis étendue à toute une série d'appareils régulateurs.

Toute l'étude des systèmes de contrôle physiques gravite autour d'un m ê m e thème : C o m m e n t éviter les oscillations spontanées dans les systèmes de quantités interdépendantes. Il n'y aurait donc rien d'extraordinaire à ce que ses conclusions fussent en partie valables pour l'économie et applicables à la recherche des meilleurs moyens d'éviter les fluctuations économiques. N o u s nous proposons d'examiner d'abord, dans le présent article, certains des principes et des conclusions élémentaires de la « théorie des systèmes > en général; après quoi, nous traiterons plus spécialement des problèmes éco­nomiques et des analogies qu'ils présentent avec certains problèmes phy­siques.

LES SYSTÈMES DE QUANTITÉS INTERDÉPENDANTES ET LE PRINCIPE DU « FEED­

BACK »

Afin de bien montrer que les principes en question sont de caractère général, nous prendrons un problème scientifique qui ne relève ni de l'économie poli­tique ni de la physique — le problème des variations numériques des popu­lations animales. O n constate que ces variations sont de divers types et il peut y avoir intérêt à les régler. O n peut citer, c o m m e exemples de variations typiques, l'apparition périodique des nuages de sauterelles, dont la multipli­cation a un caractère « explosif », ou le « cycle de la fourrure », bien connu au Canada, où le nombre des animaux à fourrure oscille régulièrement tous les neuf ans entre l'abondance et la rareté. M ê m e les fluctuations de tem­pérature d'un malade fiévreux, que l'on considérait jadis c o m m e le type classique du phénomène irrégulier, ne sont pas fortuites. Elles correspondent à l'interaction complexe des populations de bactéries et de la défense de l'organisme. C e problème de l'interaction de populations et de quantités mésologiques mérite qu'on s'y arrête, car il met en relief la question de ce que nous entendons par « explication >. E n un certain sens, l'explication d'une diminution du nombre des lynx au Labrador, par exemple, est d'une

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DE S Y S T È M E S DE C O N T R O L E A U T O M A T I Q U E

complexité presque infinie, car il faut tenir compte de tous les événements fortuits de la vie de chaque animal. Mais le biologiste se contente d'un « appareil descriptif » beaucoup plus simple. Il prend les chiffres repré­sentant l'effectif de chaque espèce, ainsi que quelques autres données quan­titatives, mesurant par exemple l'abondance de certaines ressources alimen­taires d'origine végétale. Ensuite, à l'aide d'observations et d'études biolo­giques détaillées, il examine quelle influence l'effectif d'une espèce exerce sur celui d'une autre espèce, et quelle interaction il y a entre la quantité de ressources alimentaires existantes et le chiffre des .populations animales.

Il est c o m m o d e de représenter une situation de ce genre par un schéma de dépendance. O n pourrait par exemple présenter ce problème de biologie de la façon qu'indique la figure 1. Les cercles marqués Qi , Q 2 , etc., repré-

Fig. 1. Méthode de représentation graphique d'un système d'interdé­pendance.

sentent l'importance numérique de chaque espèce, la quantité de ressources alimentaires, etc. — c'est-à-dire les diverses variables pertinentes. Chaque flèche indique l'action d'une de ces quantités sur une autre. L e long de la flèche, on peut indiquer par un symbole ou une formule la nature de cette action suivant le plan d'étude adopté. Certaines de ces relations de dépen­dance peuvent être connues, d'autres sont d'une nature évidente, mais d'une grandeur ou d'une intensité incertaines; il en est d'autres enfin que l'on connaît tout juste assez pour pouvoir indiquer par une flèche « qu'il y a probablement une certaine action ».

Quelles déductions le biologiste pourrait-il tirer de ce schéma d'interdé­pendance ? Evidemment, si les relations de cause à effet étaient connues de manière exacte et complète, il pourrait espérer calculer, en se fondant sur un état initial donné ou sur un passé récent, toute l'évolution future du système. Mais, en réalité, ces systèmes biologiques sont très complexes, et il est parfois très difficile de dégager la signification implicite du schéma de dépendance. E n outre, c o m m e nous l'avons vu plus haut, les relations de dépendance entre groupes ne sont jamais exactement ni complètement déter­minées. Elles ne peuvent représenter que les effets produits en général et en moyenne. Il y a des variations supplémentaires dues à des hasards qui, parce qu'il n'en a pas été tenu compte dans l'établissement du schéma de

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L ' É C O N O M I E D I R I G É E A L ' A I D E

causalité, et parce qu'ils ont en fait des origines multiples, peuvent être considérées c o m m e des facteurs fortuits exerçant une action perturbatrice sur un système par ailleurs déterminé. Mais si les relations de dépendance qu'on suppose exister entre une quantité et une autre représentent correc­tement l'effet moyen , le comportement caractéristique du système, tel qu'il se dégage de ces relations, aura un sens; il sera possible de le prédire, voire de le régler, sous réserve d'une marge d'erreur qui dépendra de l'importance relative parmi les déterminantes de la variation des facteurs < normaux > et des facteurs fortuits. Si les différents groupes comprennent un grand nombre d'individus, les effets des causes fortuites de variation pourront être relativement faibles. E n outre, il est possible, si l'on connaît les rapports de dépendance « normaux », d'analyser avec précision la nature générale des effets des autres facteurs, ceux qui sont fortuits.

D e l'examen d'un schéma de dépendance c o m m e celui de la figure 1, il est parfois possible de tirer immédiatement certaines conclusions de grande portée.

Pour illustrer une distinction importante à faire dans ces systèmes, nous envisagerons le schéma partiel, très simple, de la figure 2; il est censé représenter certains des principaux facteurs en jeu dans un système complet c o m m e celui de la figure 1. Il ne s'applique qu'à deux populations animales ou groupes de populations :— certains carnassiers et leur proie, par exemple les lynx et les lapins, à supposer que les lapins constituent la principale nourriture des lynx, ce qui est le cas dans certaines régions du Canada. Il s'agit d'étudier comment varie l'effectif de ces populations, en mesurant les écarts qu'il présente par rapport à un état d'équilibre.

— K t |_ par unité de temps

Fig. 2. Schéma d'interdépendance très simple, c o m m e celui qui pourrait exister entre une population de bêtes de proie et celle des animaux qui leur servent de proie, à supposer que

+ K a R par unité de temps les deux populations soient isolées.

Les faits à représenter sont les suivants : lorsque le nombre des lynx aug­mente, le taux de diminution du nombre des lapins s'élève d'autant; mais lorsque le nombre des lapins décroît, le nombre des lynx a également ten­dance à décroître, par suite de la disette. L a figure 2 indique comment ces rapports peuvent susciter une oscillation continue de l'effectif de ces deux populations. L e mathématicien remarquera que, si l'on admet par hypothèse que les effets mentionnés sont simplement proportionnels à leur cause, et si l'on représente par L et R les nombres respectifs de lynx et de lapins, les hypothèses peuvent s'exprimer par les équations suivantes :

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DE S Y S T È M E S DE C O N T R O L E A U T O M A T I Q U E .

dR ' ' dL

dt dt

de sorte que

= — K i K o L dfi

équation qui est la m ê m e que celle d'un simple pendule et exprime le fait que ce système, une fois donnée l'impulsion initiale, continuera indéfini­ment à osciller de part et d'autre d'une position d'équilibre.

Si les rapports de dépendance s'écartaient légèrement de cette simplicité idéale, l'oscillation, au lieu de s'entretenir d'elle-même, aurait un caractère' tel que chacune des oscillations successives serait ou un peu plus ample ou. un peu moins ample que la précédente. Dans le premier cas, l'oscillation s'atténuerait progressivement et finirait par s'amortir; ces systèmes sont appelés « amortis » ou « stables ». Dans le second cas — celui d'une oscil­lation toujours croissante — on dit que l'oscillation est cumulative et ces systèmes sont appelés « instables ». Dans un système instable, toute oscil­lation initiale, si petite soit-elle, doit s'amplifier — à tel point qu'il faut que certains facteurs extérieurs finissent par intervenir pour en limiter l'am­plitude.

Cette hypothèse d'un système élémentaire de deux populations dirige l'at­tention sur une notion qui présente une haute importance si l'on veut c o m ­prendre le comportement des systèmes. Dans le schéma de dépendance de la figure 2, les flèches qui représentent la série des causes et des effets cons­tituent un circuit fermé. E n d'autres termes, la relation qui unit les différentes quantités n'est pas un simple rapport de dépendance de l'une à l'autre, mais un rapport d'interdépendance entre les deux : chacune d'elles est à la fois-cause et effef. Il est évident que c'est Y interdépendance — l'existence d'un circuit fermé de relations de dépendance — qui constitue la condition néces­saire pour que les quantités soient soumises à une oscillation auto-excitée et auto-entretenue de caractère continu, et tout circuit fermé de ce genre don­nera lieu à oscillation si les rapports de temps remplissent certaines conditions.

O n se sert, depuis quelques années, pour exprimer la m ê m e notion, de l'expression feed-back. L e cycle, ou circuit fermé, est appelé un « circuit de feed-back »; les quantités y sont interdépendantes. O n se servait autre­fois, pour exprimer une idée très voisine, d'un autre terme, dû au philosophe Hegel : on disait que les rapports entre certaines quantités étaient « dialec­tiques », c'est-à-dire de la nature d'une « conversation ».

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L ' É C O N O M I E D I R I G É E A L ' A I D E

Si, dans la représentation réaliste jd'uné situation c o m m e celle des popu­lations animales, un rôle important est joué par un circuit fermé du genre de celui que représente la figure 2 — circuit qui ne constitue pourtant qu'un élément d'un système plus complexe — ce dernier pourra présenter le comportement oscillatoire caractéristique du cycle principal. Dans d'autres cas, ce comportement pourra être profondément modifié. E n général, on ne peut pas, lorsqu'on étudie le comportement d'un système, examiner sépa­rément chacun des cycles; il faut envisager le système dans son ensemble.

C'est aux biologistes qu'il appartient de dire si des phénomènes du genre du < cycle de la fourrure » que l'on constate au Canada s'expliquent de manière satisfaisante par l'existence de circuits de feed-back du type oscil­latoire illustré par la figure 2. L'auteur ne se permet pas d'exprimer une opinion sur ce point, mais il lui semble peu douteux que certains rapports d'interdépendance de cette nature doivent jouer un rôle dans le mécanisme. L a régularité surprenante de ces cycles peut fort bien être due au fait que les « points d'inflexion » sont déterminés par l'alternance des saisons (réap­parition annuelle de périodes de disette, saison des amours, etc.).

U n feed-back peut être négatif ou positif, c'est-à-dire qu'il peut avoir pour effet de réduire ou d'augmenter, suivant le cas, la variation de la quantité sur laquelle il porte. Négatif ou positif, un feed-back peut produire une oscillation d'amplitude croissante si certains rapports de durée sont res­pectés.

SYSTÈMES LINÉAIRES ET NON LINÉAIRES

Si compliqué que soit une système de quantités, il est facile de trouver par déduction comment il se comportera tant que les relations de dépendance d'une quantité par rapport à une autre seront de l'espèce que les mathéma­ticiens appellent « linéaire » — c'est-à-dire tant qu'elles pourront s'exprimer par des équations différentielles linéaires. Traduit en langage profane, cela signifie simplement que l'analyse est facile lorsque les effets sont tous pro­portionnels à leurs causes. U n système de ce genre ne peut subir par auto-

v excitation que deux sortes de variations. Les quantités peuvent être soumises à des oscillations d'amplitude croissante, ou bien elles peuvent varier dans u n seul sens, à un rythme constamment accéléré. Si les rapports de durée sont tels que le comportement du système ne relève d'aucun de ces deux types, on peut dire que le système est « stable », c'est-à-dire que toute variation temporaire s'atténue et disparaît. L e cas limite est possible en théorie, mais infiniment improbable.

Lorsqu'il s'agit de systèmes linéaires, il est facile de calculer les effets de telles ou telles perturbations influant sur le système; m ê m e si ces perturba­tions sont fortuites, on peut en prédire jusqu'à un certain point les effets.

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DE S Y S T È M E S DE C O N T R O L E A U T O M A T I Q U E

Mais les effets ne sont pas toujours proportionnels aux causes. E n fait, il n'y a presque pas d'effet qui soit proportionnel à sa cause pour toute la g a m m e des variations. U n e population de lapins peut diminuer à un rythme proportionnel au nombre de lynx qui les dévorent, mais seulement jusqu'à u n certain point; car la population ne peut finalement tomber au-dessous du zéro, et lorsqu'elle se raréfie le taux de réduction n'est plus régi par la m ê m e relation : la loi de proportionnalité. D e m ê m e , l'augmentation ne saurait être indéfinie, en raison du caractère limité des ressources alimentaires, ou de maladies épidémiques.

Il arrive donc fréquemment qu'un système oscillatoire soit linéaire ou proportionnel tant que les oscillations sont de faible amplitude; mais, à mesure qu'elles s'accentuent, ce caractère proportionnel disparaît et il inter­vient de nouveaux facteurs, non proportionnels, qui freinent les oscillations et en limitent l'amplitude. Il se peut qu'on aboutisse finalement à une oscillation d'amplitude constante, de période fort régulière, mais qui n'est plus parfai­tement unie ou « sinusoïdale ». Cette oscillation limitée est désignée par l'expression «-cycle limite ».

Contrairement au comportement des systèmes linéaires, celui d'un sys­tème où interviennent des facteurs non linéaires est extrêmement difficile et, dans l'état actuel, presque impossible à calculer. O n peut parfois tirer de l'étude de systèmes presque équivalents des conclusions quant à sa nature générale; mais on risque, ce faisant, de commettre des erreurs.

LE PRINCIPE DU « FEED-BACK » DANS LES AMPLIFICATEURS RADIOPHONIQUES

ET LES SYSTÈMES DE RÉGULATION AUTOMATIQUE

C'est à propos de l'application du principe du feed-back avec amplificateurs à tube électronique qu'on a entrepris pour la première fois d'étudier sérieu­sement les circuits fermés dans les systèmes physiques, et cette application nous fournira un autre exemple c o m m o d e .

Examinons les étages de basse fréquence d'un poste récepteur de radio. L e signal électrique représentant les ondes sonores, qui est appliqué à l'en­trée à ces étages, est un faible voltage, aux variations rapides, qui est repré­senté par et à.la figure 3. Il s'agit d'augmenter ce voltage de manière à obte­nir un voltage proportionnel, e0, beaucoup plus élevé mais variant de la m ê m e manière, pour faire fonctionner le haut-parleur. O r , on peut construire des appareils qui donnent de très fortes amplifications, mais des amplifica­tions qui ne sont pas rigoureusement proportionnelles. Il,est nécessaire de contrôler ou de régler la tension de sortie e0 de sorte qu'en dépit de ce m a n ­que de proportionnalité, elle reste toujours égale à K e 4 , K étant une constante représentant l'amplification voulue. A cette fin, on construit u n appareil donnant une amplification très supérieure à la valeur de K qu'on désire fina-

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L ' É C O N O M I E D I R I G É E A L ' A I D E

lement obtenir, puis, c o m m e le montre la figure 3, on renvoie un voltage

1

— e0

K

en opposition au courant d'entrée et. Il s'agit, nous l'avons dit, de faire en

sorte que e0 = Ke(, ou

K

0 "ension d'entrée

0— i«-E Amplificateur

£ Tension de sortie

K e»<| e ° . w

Circuit de feed-back

-K

Fig. 3. Application du principe du feed-back au contrôle de la tension de sortie d'un amplificateur à tube électronique, de manière que celle-ci varie de la m ê m e façon que la tension d'entrée. a) Circuits. b) Schéma d'interdépendance. c) Relation entre la tension d'entrée, la tension de sortie et l'erreur au cours d'une

variation caractéristique de la tension d'entrée.

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DE S Y S T È M E S DE C O N T R O L E A U T O M A T I Q U E

Si l'on parvenait à obtenir exactement ce résultat, le feed-back serait égal au voltage d'entrée, et de sens inverse. Mais si l'on n'y parvient pas, c'est-à-dire s'il y a une erreur, celle-ci est mesurée par la différence

1 e{ — .— e0. i

K

C'est cette quantité, Terreur, qui devient la tension appliquée à l'entrée de l'amplificateur.

D e la sorte, le système se corrige pour ainsi dire de lui-même. Toute variation de e0 autre que la variation K e 4 qu'on désire obtenir se manifeste immédiatement c o m m e une « erreur » supplémentaire et, par conséquent, c o m m e une variation du voltage d'entrée, de sens contraire à celui de l'er­reur. C'est ainsi que, si e0 est un peu trop fort, la tension d'entrée est réduite dans une mesure correspondante, et e0 subit également une réduction jusqu'à ce que l'équilibre soit obtenu. A cette fin il suffit de rendre l'amplification très forte. D u point de vue mathématique, il faut, pour assurer l'équilibre des voltages, si l'on désigne par K x l'amplification de l'appareil m ê m e , que

1 Ki'fa e0) = e0

K ou

Ki et Ket

Ki K 1 + — — + 1

K Ki

qui se rapprochera d'autant plus de Ke< que K x sera plus grand. L a tension de sortie suit ou répète les variations de la tension d'entrée parce

que ces deux quantités sont continuellement comparées par l'intermédiaire du feed-back. L e fonctionnement de l'amplificateur est c o m m a n d é par Ter­reur que constitue l'écart entre la tension de sortie et la valeur désirée. Si l'on a soin de faire en sorte qu'une légère erreur suffise à provoquer la ten­sion de sortie désirée, l'erreur restera forcément faible. Nous avons là un exemple classique de « contrôle par l'erreur ». Tous les appareils modernes de contrôle exact, continu et automatique, dont nous avons déjà mentionné quelques-uns, fonctionnent suivant ce principe et reposent sur un « schéma de dépendance » analogue à celui que représente la figure 3. ''.•;

C e schéma de dépendance est nécessairement un circuit fermé. Tous ces systèmes sont, si l'on n'y veille, sujets a des oscillations auto-excitées et auto-

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L ' É C O N O M I E D I R I G É E A L ' A I D E

entretenues. Dans un poste récepteur de radio, ces oscillations se traduisent par des « sifflements » qui étaient si gênants dans les premiers modèles.

Ces remarques s'appliquent à tous les régulateurs automatiques, et il suffit pour s'en rendre compte de considérer la façon dont la température d'une pièce est réglée par thermostat. O n trouvera à la figure 4 le schéma de dépendance correspondant à ce cas. L a température de la pièce, T , déter­mine l'arrivée de combustible, F , dans l'appareil de chauffage qui, à son tour, détermine H , la chaleur dégagée, qui fait varier T ; le circuit de dépen­dance se trouve ainsi fermé.' Cet exemple est intéressant parce que, d'habi­tude, le circuit fermé n'est pas linéaire. Lorsque la température T atteint un m a x i m u m , elle établit un contact électrique qui provoque une réduction sen­sible de l'arrivée de combustible F ; lorsqu'elle atteint un m i n i m u m , l'arrivée de combustible recommence à augmenter jusqu'à sa valeur initiale. O n obtient ainsi une oscillation perpétuelle de la température entre ces limités — c o m m e l'indique la figure 4. C e système fonctionne toujours suivant un

Arrivée de combustible

Chaleur Température

© ^

© Marge de régulation A T

Limite supérieure

Limite inférieure

Fig. 4. L e type le plus simple de thermostat est u n système oscillatoire. L e schéma de dé­pendance est indiqué en a, la relation non linéaire de dépen­dance entre l'arrivée de c o m ­bustible et la température en b, et l'oscillation constante qui en résulte entre les limites su­périeure et inférieure de la température en c.

a) S c h é m a de dépendance. b) L a relation non linéaire N

entre F et T . c) Graphique du comporte­

ment qui en résulte.

« cycle limite ». L e fait que ce régulateur est instable et que les valeurs oscillent perpétuellement ne diminue en rien son utilité aux fins domestiques, car on peut le régler de telle sorte que les limites entre lesquelles T oscille soient extrêmement rapprochées.

N o m b r e d'appareils de contrôle automatique qui comprennent nécessaire­ment u n circuit ne doivent toutefois pas donner lieu à cette oscillation. L e pilotage automatique d'un avion, par exemple, repose sur la mesure (au m o y e n d'une gyro-boussole) de Verreur que constitue l'écart entre la direction de vol effective et la direction voulue, indiquée d'avance sur un cadran.

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DE S Y S T È M E S DE C O N T R O L E A U T O M A T I Q U E

L'erreur provoque un mouvement du gouvernail dans la direction voulue pour la corriger. Il ne faudrait pas que la correction fût trop forte, qu'elle exigeât une nouvelle correction, trop forte à son tour, et ainsi de suite, car on aurait alors un vol en zigzag. L e contrôle doit être stable et précis. Il a fallu trouver le m o y e n de ramener le gouvernail au point mort plus tôt ou, mieux encore, de lui imprimer, au bon m o m e n t , des mouvements se succé-dant dans l'ordre voulu pour ramener l'avion sur son cap sans heurts ni exagération. C'est sur ce contrôle exercé par le feed-back en fonction du temps aussi bien que du volume que reposent essentiellement les progrès récents des systèmes régulateurs, et il est aujourd'hui parfaitement au point. Il est maintenant possible, grâce à des procédés de construction éprouvés, d'obtenir les meilleurs résultats compatibles avec la nature des éléments phy­siques. O n verra plus loin l'intérêt que ces faits peuvent présenter pour la solution des problèmes analogues qui se posent en économie politique.'

LES SYSTÈMES ÉCONOMIQUES, SYSTÈMES DE QUANTITÉS INTERDÉPENDANTES

L'économiste, c o m m e le biologiste, s'occupe de systèmes où les « causes > ultimes sont d'une complexité infinie. E n fait, l'ingénieur se trouve dans une situation plus favorable, bien plus, toutefois, en pratique qu'en théorie. Pour lui, la partie du phénomène conforme à la loi est souvent — ce n'est pas toujours le cas — si importante qu'il peut négliger entièrement la marge d'erreur correspondant aux facteurs fortuits.

L'économiste peut toutefois chercher à établir les relations entre des quantités qui représentent des ensembles d'opérations individuelles, et de tels ensembles ne dépendent guère des circonstances fortuites qui peuvent influer sur les décisions individuelles. Il est utile, par exemple, d'étudier la relation qui existe entre l'épargne globale d'une communauté et les variations de son revenu global, sans s'occuper de connaître les raisons psychologiques parti- ' culières. qui font que M . Durand, de M e u d o n , économise pour s'acheter un . piano à queue. Mais il faut considérer chacun de ces « ensembles économi­ques > c o m m e sujet à certaines variations tenues pour fortuites, en raison des nombreux faits dont on ne tient pas compte malgré leur rôle dans la détermination des phénomènes économiques. Les « lois » qui nous occupent ici concernent la manière dont un ensemble particulier d'opérations ou d'élé­ments est influencé, en moyenne ou au total, par les autres quantités choisies pour composer le schéma d'étude. Les lois d'interaction qui jouent « en moyenne » dans u n système de quantités, permettent de prévoir le compor­tement du système. Son comportement effectif s'écartera de ce comporte­ment théorique dans la mesure où les éléments fortuits agiront sur les quan­tités et les relations de dépendance; mais cet écart peut être faible. O n peut dire qu'un « schéma explicatif » est satisfaisant s'il ne laisse qu'une place

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L ' É C O N O M I E D I R I G É E A L ' A I D E

m i n i m u m aux variations résultant du hasard ou de circonstances acciden­telles. L e grand problème, dans ce secteur particulier des sciences économi­ques, est de choisir,' parmi les séries possibles de quantités ou de variables, et de relations de dépendance entre elles, celles qui, tout en étant les plus simples, expliquent de la façon la plus complète le comportement du système économique.

L e nombre de ces variables dépend entièrement de la nature du problème à résoudre. C'est ainsi que l'économiste américain Leontief, procédant à une enquête sur l'industrie américaine 1, a analysé un système composé de six cents groupes industriels interdépendants. Cette analyse n'a été rendue pos­sible que par l'emploi de machines à calculer électriques à grande vitesse de type arithmétique. Elle visait à préciser les effets de certaines transformations (par exemple, l'expansion de l'industrie, aéronautique) sur ces groupes indus­triels, et les répercussions ultérieures dues à la transmission de commandes à des sous-traitants, à l'accroissement de l'emploi, etc.

Lorsqu'on s'intéresse au comportement du système « dans son ensem­ble >, l'analyse repose sur un nombre beaucoup plus restreint d'ensembles économiques. Les opérations de vastes secteurs de l'industrie (ou celles, par exemple, de deux groupes seulement d'industries : « production de biens de consommation » et « production de biens d'équipement ») peuvent être réu­nies et traitées globalement.

Les remarquables travaux récemment publiés par R . M . G o o d w i n 2 , R . Stone 3 et d'autres ont montré, à l'aide de cette sténographie mathéma­tique qui est connue sous le n o m d'« algèbre matricielle », comment les ana­lyses qui portent sur un grand nombre de « quantités » différentes peuvent se ramener à des schémas plus simples, faisant intervenir un nombre moins élevé d'« ensembles » plus importants. Ces travaux fournissent une base solide pour la définition précise et la mesure statistique des « ensembles » à utiliser dans des analyses de ce genre.

LA STRUCTURE D'UN SYSTÈME, ÉCONOMIQUE

L a principale contribution que J . M . Keynes a apportée à cette analyse dans sa Théorie générale consiste peut-être dans le choix particulièrement heureux qu'il a fait d'un système extrêmement simple de quantités pour illustrer les modes les plus typiques de comportement du système. Il a souligné, en par­ticulier, l'importance de la distinction à faire entre la production de biens de consommation et celle de biens d'équipement.

1. W . W . Leontief, The Structure of American Economy 1919-1929, Harvard University Press, 194». 2. R . M . Goodwin, « The Multiplier as Matrix », Econ. Journal, vol. 59, n° 236, déc. 1949, p. 537. 3. R . Stone, « Simple Transaction Models, Information and Computing », Rev. Econ. Studies,

vol. 19 (2) n° 49, 1951-1952, p. 67.

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DB S Y S T È M E S DE C O N T R O L E A U T O M A T I Q U E

Il sera utile d'examiner d'abord le schéma de dépendance, correspondant à l'analyse simple des conditions d'équilibre d'un système économique, dont Keynes s'est servi pour expliquer la possibilité d'un sous-emploi persistant.

C e schéma (fig. 5) indique les relations qui existent entre cinq quantités, exprimées par les cercles, et il porte sur des valeurs moyennes calculées sur une période suffisamment longue. Les quantités sont mesurées en valeur monétaire. L e cercle Y représente le revenu global, composé de P c , salaires, traitements et profits déboursés pour la production de biens de consomma­tion, et de I, sommes dépensées pour la production de biens d'équipement. Pendant la m ê m e période, le revenu se subdivise en deux éléments : la

Débours pour la / T N i / " n N ^

. production ( ¿ V * Vj^J Consommatron de biens de \ _ /

consommation ¡N^ yr K »

Débours pour la

Fig. 5. Schéma de Keynes pour production l'étude des conditions d'équili- de biens bre d'un système économique, d'équipement

consommation, P , et l'épargne, S, Keynes postule qu'une fraction K du revenu global est affectée aux dépenses de consommation, et il appelle K la < propension à consommer ». Etant donné que, sur une période suffisam­ment longue, les dépenses de consommation sont égales au coût des biens de consommation augmenté du profit, c'est-à-dire à P c , on a P = P c . Cette relation donne un circuit fermé.

D'autre part

Y = KY + I ou

• 1 •

Y = I . 1 — K

L e revenu global est donc déterminé par le taux de l'investissement. C'est, en fait, un simple multiple

1

1 — K du taux de l'investissement. C e facteur est appelé par Keynes le « multipli­cateur >. L a quantité I représente, dans ce raisonnement, non seulement

S ) Epargne

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L ' É C O N O M I E . D I R I G É E A L ' A I D E

I'« investissement » au sens étroit, mais toutes les dépenses autres que celles qui composent les prix des biens de consommation.

L a relation ci-dessus peut aussi s'écrire :

Y (1 — K) = I Or

Y (1 — K ) = S, par définition,

ce qui nous donne S = I, ou : l'épargne est égale à l'investissement. Il en résulte que, si le taux de l'épargne est, à l'origine, supérieur à celui de l'in­vestissement, le niveau de l'activité économique et le montant du revenu baisseront (et, dans l'hypothèse inverse, s'élèveront) jusqu'à ce que l'égalité soit obtenue.

C e raisonnement simple a servi de point de départ à l'élaboration des poli­tiques de plein emploi. Il suppose qu'on peut relever le niveau de l'activité économique en accroissant 1'« investissement » ou en diminuant 1'« épar­gne » : dans 1'« investissement », il faut comprendre les dépenses publiques -excédant la s o m m e des recettes fiscales et du montant d'une balance c o m ­merciale positive. Les gouvernements peuvent évidemment prendre des m e ­sures pour varier ces quantités. E n résulte-t-il qu'on peut, si on le veut, assu­rer le plein emploi de façon permanente?

H serait déraisonnable de tirer une telle conclusion de ce seul raisonne­ment, qui a trait à des moyennes portant sur une période qui n'est pas très clairement spécifiée. C e raisonnement démontre qu'il est possible de relever le niveau moyen de l'activité économique, mais l'exemple envisagé est un « exemple d'équilibre » et la possibilité de fluctuations a été jusqu'ici entiè­rement laissée de côté. Il reste encore à examiner si, par exemple, un léger recul de l'activité économique peut dégénérer par effet cumulatif en dépres­sion grave et si, inversement, une légère augmentation peut provoquer, par accumulation, des pressions croissantes sur l'emploi, les prix et les salaires.

Keynes s'est bien penché sur ces questions, mais c'est depuis une dizaine d'années seulement qu'on a fait des progrès sensibles en ce qui concerne leur étude quantitative. Celle-ci occupe une place importante dans le secteur • des sciences économiques actuellement connu sous le n o m d'econometrie.

DYNAMIQUE ÉCONOMIQUE ET VARIATIONS AUTO-EXCITÉES

Si l'on veut qu'il facilite l'étude des fluctuations et de la variation des quan­tités en question, il faudra remanier ce modèle ou schéma d'interdépendance de façon à exprimer les relations entre ces quantités non seulement pour leur valeur moyenne ou d'équilibre, mais aussi lorsqu'elles varient. Il importe donc de définir avec soin les relations en fonction du temps. Il est également

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DE S Y S T E M E S DE C O N T R O L E A U T O M A T I Q U E .

très c o m m o d e et en général possible de considérer les quantités ou ensembles-de quantités c o m m e s'ils se composaient de deux éléments pouvant être étu­diés séparément : d'une part des valeurs en équilibre constantes ou ne variant que lentement, d'autre part, les fluctuations et oscillations qui se produisent-de part et d'autre de ces valeurs d'équilibre. Ensuite, pour étudier les fluc­tuations possibles, on peut considérer que les symboles indiqués sur le schéma ne représentent que l'élément soumis à fluctuations. Bien entendu, les'valeurs obtenues doivent être ajoutées ou substituées aux valeurs moyennes ou d'équilibre.

Dans le schéma revisé, il importera surtout d'indiquer que le taux d'ac­croissement de l'investissement varie certainement pendant les fluctuations et. qu'il varie en fonction de l'activité économique, représentée par le revenu global. O n trouvera à la figure 6 la structure générale d'un schéma d'inter­dépendance tout juste assez développé pour exprimer ces faits. U n e nouvelle quantité y a été introduite : la cadence à laquelle les investissements sont décidés, D . Il ne s'agit pas là des sommes déboursées en fait, I, qui consti­tuent le montant dont s'accroît l'investissement. Toute décision d'investir est. suivie d'une dépense correspondante, I, échelonnée sur une certaine période,, de sorte que I doit être distingué de D et représenté isolément, la relation qui unit D à I étant fonction du temps et symbolisée par F(i). D e m ê m e , il faut tenir compte dans plusieurs autres relations des effets du décalage-

Fig. 6. Structure générale d'un schéma d'interdépendance pour l'étude du comportement dy­namique d'un système écono­mique. (E représente toute dé­pense supplémentaire considé­rée c o m m e due à des facteurs indépendants.)

(D J—(7) \^J Cycle de la y^/

consommation C

Décalage dans le temps Fit)

Cadence des décisions" d'investir

dans le temps. D u fait de l'introduction de la relation entre la cadence des-décisions d'investir et le revenu Y — relation symbolisée par F — la figure 6 se présente sous la forme de deux circuits fermés, ou « cycles fermés de dépendances », unis par la quantité Y qui leur est c o m m u n e .

E n étudiant le comportement du système de la figure 6 à l'état dynamique, on peut d'abord supposer que le décalage dans le temps qui se manifeste

103:-

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L ' É C O N O M I E D I R I G É E A L ' A I D E

dans le cycle des biens de consommation (circuit C ) .est relativement peu important, de sorte que l'effet de ce circuit n'est pas très différent de celui que nous avons déjà étudié dans le cas de l'équilibre : il fait apparaître le

• « multiplicateur > constant, qui rend Y

1 — k

fois plus grand. Il devient donc possible de simplifier encore la représentation du système

(fig. 6a), en la limitant à celle du cycle de 1'« investissement », à condition de multiplier le feed-back par le multiplicateur, puisque c'est le seul effet du cycle de la consommation.

¿HîT©

Y modifié par le multiplicateur

Fig. 6a. Simple circuit de feed­back représentant les princi­pales relations dans une oscil­lation auto-entretenue.

Il ne reste plus, dans ce cycle, que deux relations. L a première, sym­bolisée par Fi, est la relation entre la cadence des décisions d'investir, D , et les variations du revenu, Y . L a seconde, symbolisée par F(i) est la rela­tion moyenne qui unit, en fonction du temps, les dépenses d'investisse­ment, I, à chaque élément des décisions d'investir, D . C e sont là des relations centrales et décisives de la dynamique économique. L'échelon­nement dans le temps de l'investissement est relativement simple et facile à établir, mais les déterminantes de la cadence des décisions d'investir sont moins évidentes et demandent à être étudiées de plus près.

Il est facile, toutefois, de se faire une idée de la nature générale de cette relation. L'interprétation ci-dessous, peut-être un peu sommaire dans sa simplicité, a donné lieu à d'assez longues discussions.

O n peut donc supposer que, dans l'ensemble, les biens d'équipement sont nécessaires à la production, si bien que, lorsque cette dernière s'accroît, dans une mesure indiquée par l'augmentation du revenu Y , il faut augmen­ter l'équipement. O n peut donc postuler, à titre de première approximation,

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DE S Y S T È M E S DE C O N T R O L E A U T O M A T I Q U E

•que la cadence des décisions d'investir est proportionnelle au taux de varia­

tion du revenu, c'est-à-dire au taux de variation de Y .

Si l'on admet ce postulat élémentaire, on peut, en suivant le cycle de

dépendance à partir de Y et en « bouclant la boucle », voir comment varie

le revenu Y . U n taux de variation de Y à un m o m e n t donné suscite une

variation proportionnelle de D , cadence des décisions d'investir, qui, à son

tour, provoque l'accroissement de la valeur de Y à laquelle viennent s'ajou­

ter successivement dans le temps des montants déterminés par F(r).

Les effets de ces relations peuvent être déterminés de deux façons : d'une

part, on peut procéder progressivement, de façon à observer ce qui se passe

à des intervalles assez rapprochés. Si l'on connaît l'évolution antérieure de

Y au cours d'une certaine période, il est assez facile, mais un peu fastidieux,

de calculer la valeur de Y dans le proche avenir; car cette valeur est consti-

Taux des investissements I

© \ _ .

15 2 0 25 Revenu y Investissement

30 Années

Kevenu y «»

y j .*-£*{ <&

• - D

7*Br

IO

\ 3 ^ | 5 2 0 2 5 S O Années

¡Fig. 7. Courbes de comportement théorique d'un modèle très simple (comme celui de la fig. 6), faisant apparaître de profondes ressemblances avec le comportement carac­téristique des systèmes économiques. 0) Décalage supposé dans le temps F(f). V) Variation cumulative, à partir d'un état d'équilibre, à la suite d'une faible pertur­

bation X en absence de facteurs limitatifs non linéaires. c) M ê m e variation, mais une limite supérieure A est imposée au revenu et une limite

inférieure B au taux de l'investissement. O n voit ainsi se former un < cycle limite » régulier. Le plein emploi n'est atteint qu'en C .

d) Continuation du cycle limite de la fig. 7c avec des perturbations supplémentaires en X j et X 2 qui en détruisent'la régularité. Le plein emploi est de nouveau atteint en D ,

• mais le m a x i m u m en E est bien loin du plein emploi.

105

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L ' É C O N O M I E D I R I G É E A L ' A I D E

tuée par le montant total des taux de variation provoqués par d'anciennes valeurs de Y , compte tenu de l'échelonnement dans le temps. L a deuxième méthode est plus compliquée : c'est celle du mathématicien qui cherche à découvrir quel est le genre de courbe qui répond à ces conditions, et quelle en est la formule. Ces deux méthodes nous amènent à la conclusion sui­vante : si le feed-back a une grandeur suffisante, un schéma de dépendance de cette nature doit donner lieu à une oscillation d'amplitude croissante.

Pour le démontrer, on a procédé à des calculs d'après la relation chrono­logique représentée à la figure la (relation qui donne le décalage de temps entre la décision d'investir et l'investissement lui-même), en attribuant au feed-back la valeur numérique 1,2. O n trouvera aux figures 7b, c et d les courbes représentant l'évolution du revenu Y dans ces conditions. L a figure 1b montre ce qui se passe lorsque l'équilibre initial du système est r o m p u par un accroissement temporaire du taux de l'investissement ou de la dépense dû à une cause étrangère. Il en résulte une oscillation progressi­vement croissante, qui continuerait indéfiniment si elle ne se trouvait fata­lement freinée lorsqu'elle atteint une amplitude suffisante.

L a figure le montre les effets de deux sortes de « freins ». O n a supposé d'abord que le revenu ne peut continuer à augmenter au-delà d'une limite déterminée, par exemple celle qu'on atteint lorsqu'on arrive au « plein e m ­ploi ». Pour fixer la limite inférieure de ces variations, on a admis que la cadence des décisions d'investir ne peut être inférieure à zéro. O n observera que l'oscillation se stabilise maintenant en un « cycle-limite » régulier d ' a m ­plitude constante.

Supposons maintenant qu'il se produise de légères perturbations supplé­mentaires : elles auront pour effet de détruire la régularité du cycle (fig. Id). L a limite supérieure et la limite inférieure peuvent être décalées, dans le temps, dans un sens ou dans l'autre; la hauteur à laquelle s'inscrivent les booms et la profondeur des dépressions ne sont plus égales.

C e « modèle » fort simplifié ne représente qu'un des cycles de causa­lité — le principal, il est vrai — de notre système économique réel, et ne le représente que d'une façon approximative. Mais son comportement général est nécessairement semblable à celui qu'a eu dans la pratique notre système économique. Il est sujet à des oscillations qui présentent une certaine régula­rité, mais qui ne sont pas absolument régulières, parce qu'elles subissent l'effet de perturbations. Dans chacun de ces cycles le fléchissement est très

. accusé et le redressement peu rapide, c o m m e on peut l'observer en fait dans les cycles économiques. N o m b r e d'économistes, dont Kalecki1, Hicks 2 et

1. M . Kalecki, « A Macrodynamic Theory of Business Cycles », Econometrica, 1935, p. 327. 2. J.R. Hicks, A Contribution to the Theory of the Trade Cycle, Clarendon Press, 1950.

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DE SYSTÈMES DE CONTROLE AUTOMATIQUE

Goodwin 1, ont procédé à des calculs sur îe comportement caractéristique de modèles simples de cette nature, avec de légères variations.

ETABLISSEMENT D'UN SCHÉMA RÉALISTE D'INTERDEPENDANCE POUR UN SYS­

TÈME ÉCONOMIQUE

Les économistes ne prétendent évidemment pas que des exemples aussi sim­ples que celui que nous- venons d'examiner permettent l'étude quantitative des'systèmes économiques réels. C e ne sont que des modèles représentant de façon sommaire les principaux éléments de la structure de ces systèmes. Les résultats qui ont été obtenus, et qui prouvent la similarité de comporte­ment entre ces modèles et les systèmes économiques, autorisent à penser que, du point de vue qualitatif ou explicatif, ces modèles font apparaître la nature essentielle du mécanisme de l'instabilité économique. O n ne leur en demande pas davantage. L'ingénieur qui étudie la construction d'un stabili­sateur pour pilotage automatique peut avoir intérêt à penser au comporte­ment d'un simple pendule; en effet, il a ainsi devant les yeux les éléments essentiels de son problème. Mais, quand il passe aux études détaillées et à l'établissement des plans concernant les procédés de stabilisation et leur synchronisation, il aura besoin d'un modèle qui soit dans ses détails beau­coup plus proche de la réalité.

Les travaux actuellement effectués dans les centres économétriques gra­vitent autour de la mise au point de « modèles > du système économique qui tiennent compte de toutes les quantités, de tous les effets et de toutes les distinctions qui, après une analyse économique détaillée, semblent per­tinents si l'on veut obtenir des prévisions assez exactes. Cette tâche c o m ­prend trois parties : choix des quantités et du schéma d'interdépendance; découverte de la nature exacte des diverses relations d'interdépendance, de la loi qui les régit ou de la définition qu'il convient d'en donner; enfin, pro­blèmes de calcul. L a deuxième de ces questions mérite une attention parti­culière, car le point de vue exprimé dans le présent article soulève deux objections de la part de certains économistes. Ils soutiennent, d'abord, qu'il n'existe pas de relations de dépendance présentant une constance ou une uniformité suffisantes, ensuite que, s'il en existe, il est impossible de les découvrir sous la forme quantitative qui seule permettrait de faire des pré­visions utiles. Ces observations sont justes en grande partie et elles méritent d'être examinées de près.

Ces objections peuvent être immédiatement écartées pour un certain n o m ­bre des relations qui constituent un schéma d'interdépendance — celles qui

1. R . M . Goodwin, « The non-linear Accelerator and the Persistance of Business Cycles », Econo­metrica, vol. 19 (1), janvier 1951, p. 1-17.

" ' . ' • ' 1 0 7

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L ' É C O N O M I E D I R I G É E A L ' A I D E

n'expriment rien d'autre que la* définition des quantités examinées — ou qui sont dues à des conventions de comptabilité.

Les relations vraiment mises en cause sont celles qui font intervenir le comportement humain. O n a vu plus haut qu'il ne s'agit pas des détermi­nantes complexes des différents actes de chaque individu. Ces causes infini­ment variées font intervenir un élément de hasard qui est toujours présent,, mais dont l'importance relative est faible lorsque l'étude porte sur un grand nombre d'individus.

Prenons un exemple simple de relation exprimant une définition : la rela­tion entre la valeur monétaire des dépenses de consommation, que nous appellerons P , le revenu, Y , et l'épargne, S, est la suivante :

S = Y — P

Cette relation peut être considérée c o m m e la définition de S et n'est par conséquent pas contestable. Dans son analyse de l'état d'équilibre, Keynes s'est demandé ce qui se produirait dans l'hypothèse où K — la propension à consommer — resterait constante au cours d'une longue période. C'était indiscutablement une question qui méritait examen et, en l'examinant, K e y ­nes n'a pas énoncé de « loi économique ». Il n'a pas affirmé que la « pro­pension à consommer » était restée constante pendant une période déter­minée, pas davantage qu'il ne lui a assigné de valeur déterminée pour l'ave­nir. E n analysant cette hypothèse, Keynes a en tout cas contribué à l'intel­ligence des faits économiques dans la mesure où il a ajouté un nouveau chaînon au raisonnement. O n peut maintenant commencer à se représenter les processus économiques et avoir au moins une idée des conséquences possibles de la constance de K , ou de sa variabilité. O n ne saurait aller plus loin sans renseignements précis sur le système en question au cours de la période envisagée. K est-il, en fait, constant? Dans la négative, de quelles quantités dépend-il, ou dans quelle mesure ses variations sont-elles arbitrai­res ou fortuites?

H est indispensable, si l'on veut réaliser de nouveaux progrès, de rempla­cer les hypothèses simplement plausibles au sujet de la « propension à consommer » et de toutes les autres relations importantes du système par des relations quantitatives que l'on puisse, à une faible erreur près, tenir pour valables dans l'avenir immédiat, si court soit-il, m ê m e si ces relations sont complexes. Nul ne suppose — et il n'est pas nécessaire de le faire pour progresser — que les habitudes des consommateurs obéissent à des lois uni­verselles ou sont aujourd'hui les m ê m e s qu'avant la guerre par exemple. H suffit que nous puissions, sous réserve d'une légère erreur probable, dire, par exemple, que les taux de la consommation dans le proche avenir sont fonction de la valeur et des variations d'autres quantités — valeurs actuelles et passées du revenu global, indice des prix de détail, peut-être saison de

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DE S Y S T È M E S DE C O N T R O L E A U T O M A T I Q U E -

l'année et montant actuel de l'épargne, ou tous eutres facteurs que l'étude de la réalité ferait apparaître. '

Il y a quatre principaux moyens soit de découvrir des relations de ce genre, soit d'arriver à la conclusion, peu vraisemblable, qu'il n'en existe pas, et que le comportement du système est en grande partie fortuit, incons^ tant et arbitraire.

L e premier et le plus important de ces moyens est la méthode des « en­quêtes >, en l'occurrence l'étude des budgets familiaux et autres études de ce genre : des sondages détaillés effectués sur u n échantillon représentatif permettraient de déceler les facteurs qui déterminent en fait la fraction du revenu qui est utilisé à des dépenses de consommation.

L e deuxième est celui de la « théorie économique » — en l'occurrence,, le jeu de l'offre et de la demande, et les tableaux de préférence des consom­mateurs. Ces connaissances théoriques sont indispensables, mais elles ne sau­raient remplacer l'observation, qui reste le critère décisif.

Ensuite vient l'analyse statistique. Si l'on dispose de renseignements sta­tistiques sur la variation des quantités pertinentes, il existe des méthodes d'analyse qui permettent souvent de découvrir le schéma de relations linéaires le plus approprié; mais ces méthodes exigent des très longs calcula-et risquent de produire des résultats erronés si les relations, bien que confor­m e s à une loi, ne sont pas linéaires.

C'est probablement aux difficultés et aux pièges statistiques qui entourent ce problème particulier des analyses statistiques qu'est dû le scepticisme de certains économistes quant à la possibilité de déterminer des relations de. dépendance à l'aide de renseignements statistiques. C e problème devient par­ticulièrement ardu lorsque le système comprend des circuits fermés ou des phénomènes de feed-back. Il serait néanmoins soluble si le système était linéaire. L a véritable difficulté réside dans la combinaison de la complexité avec le caractère non linéaire.

L e quatrième m o y e n procède en réalité du précédent. Il consiste à ajuster" toutes les relations, linéaires ou non, d'un modèle présumé complet jusqu'à, ce que son comportement théorique soit aussi conforme que possible aux résultats de l'observation.

Des recherches économiques de cette nature prennent beaucoup de temps et sont coûteuses. L'attention qui leur est accordée est, pour le m o m e n t , tout à fait insuffisante. Si l'on comprenait combien il importe de progresser dans-ce domaine, on ne tolérerait pas qu'il demeure relativement négligé. Les pro­grès rapides actuellement en cours, malgré la modicité des ressources dispo­nibles, permettront sans doute bientôt d'établir u n schéma de relations appa­remment suffisant pour des études de régularisation pratique et pour des. prévisions utiles. Si l'on n'y parvient pas plus vite, ce sera faute d'études assez détaillées sur les relations essentielles — à vrai dire peu nombreuses — qui doivent nécessairement se dégager de l'observation.

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X ' É C O N O M I E D I R I G É E A L ' A I D E . •

O n a déjà étudié le comportement de certains systèmes à l'aide de sché­m a s de dépendance assez développés. C'est ainsi que Colin Clark1 et L . R . Klein 2 ont étudié l'économie américaine pendant la période de 1921 à 1941, à l'aide d'exemples comprenant, dans le premier cas, neuf quantités interdépendantes, et dans le second, seize de ces quantités.

Ces économistes ont constaté que le comportement de l'économie pendant la période en question pouvait, en grande partie, s'expliquer par le compor­tement inhérent aux modèles choisis pour cette étude, où les relations de dépendance avaient été ajustées de manière à correspondre aussi exactement

•que possible à la réalité. C o m m e on pouvait s'y attendre, il s'est révélé im­possible d'utiliser les relations ainsi dégagées pour des prévisions relatives à l'après-guerre, en partie à cause des bouleversements provoqués par la guerre et par l'adoption de politiques de plein emploi, en partie parce que les modèles étaient incomplets et que, faute de données fournies par l'obser­vation directe des phénomènes économiques et relatives aux dépendances, on avait dû trop souvent se contenter d'examiner les relations « les plus appropriées ».

CONDITIONS NÉCESSAIRES A DE NOUVEAUX PROGRÈS. LES DIFFICULTÉS DE

•CALCUL

U n schéma de dépendance qui représente de façon satisfaisante un système contemporain est forcément complexe et fait inévitablement intervenir un nombre considérable de quantités distinctes. Il sera forcément non linéaire,

•surtout s'il représente une économie contemporaine fonctionnant à un niveau •proche du plein emploi, parce que les réactions suscitées par les incitations à produire davantage se heurteront au plafond fixé par l'effectif limité de la main-d'œuvre disponible. Il y a un autre facteur non linéaire qui présente une certaine importance : lorsqu'une période d'activité de l'investissement est suivie, par exemple, d'un léger fléchissement de la prospérité, on constate généralement un recul disproportionné de l'investissement, simplement parce que toutes les occasions alléchantes d'investissement ont été saisies, et qu'il faut un certain temps avant qu'il s'en présente d'autres (dues au vieillisse­ment du matériel, à de nouvelles inventions, etc.).

' Les calculs auxquels les économistes désirent procéder, au sujet du c o m ­portement d'un modèle de ce genre, pour étudier le système économique

'contemporain sont de deux sortes. E n premier lieu, il s'agit d'ajuster les relations, et notamment certaines

constantes, de sorte que le comportement du « modèle > corresponde à celui du système réel dans un passé récent. Il est indispensable que la struc-

•1. C . Clark, « A System of Equations Explaining the U . S . Trade Cycle 1921-1941 », Econometrica, vol. 17, 1949, p. 93.

'2 . L . R . Klein, Economic Fluctuations in the United States 1921-1941, Chapman and Hall, 1950.

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DE S Y S T È M E S DE C O N T R O L E A U T O M A T I Q U E

ture des relations soit fournie, dans une mesure aussi large que possible, par l'observation directe et objective. Pour assurer le m a x i m u m de correspon­dance, on procédera à un ajustement judicieux des hypothèses, en tenant dûment compte du degré de certitude qu'autorisent d'autres considérations.

O n calculera ensuite le comportement futur du système en étendant à l'avenir, ou en extrapolant, les observations relatives au comportement de ce système dans un passé récent.

Ces calculs, notamment ceux du premier type, peuvent être difficiles lors­que — c o m m e c'est incontestablement le cas — des relations non linéaires . jouent un rôle important..Si le système était entièrement linéaire, il n'y aurait guère de difficultés. L e comportement des systèmes linéaires,- m ê m e très complexes, se prête à l'analyse par plusieurs méthodes mathématiques. Il n'existe aucune méthode correspondante pour les systèmes non linéaires. Certains des travaux actuellement en cours dans ce domaine pèchent préci­sément par le fait qu'on cherche parfois à résoudre ce problème en trouvant un schéma linéaire à peu près équivalent. O n risque de commettre ainsi des erreurs grossières.'

O n peut donc dire que ce sont dès difficultés de calcul qui font en quelque sorte obstacle au progrès. Nous nous attacherons surtout, dans le reste du présent article, à examiner s'il serait possible de surmonter cet obstacle à l'aide de machines à calculer, et notamment dés machines à calculer « ana­logiques ». O n pourrait aussi, bien entendu, recourir, dans une plus large mesure, aux machines électroniques à grande vitesse de type arithmétique. Ces machines faciliteront les calculs qui peuvent se ramener à des opérations usuelles d'arithmétique. L e calcul du comportement de systèmes complexes et non linéaires à l'aide de machines de type arithmétique pose un problème très ardu en ce qui concerne l'établissement du « programme > (c'est-à-dire la représentation sur des fiches perforées des instructions détaillées à donner à la machine). Il semble que la machine de type analogique convienne mieux à cet usage que la machine de type arithmétique, en raison de la facilité avec laquelle elle permet de faire varier les hypothèses et les valeurs, d'interpréter les résultats et de les représenter automatiquement sous forme de graphiques.

POSSIBILITÉS DU RECOURS AUX ANALOGIES AVEC LA PHYSIQUE

O n se sert beaucoup aujourd'hui, dans le domaine de la mécanique et pour la mise au point des systèmes de contrôle automatique (notamment pour le pilotage automatique des avions), de modèles physiques qui peuvent être ajustés de manière à reproduire le système à étudier, c'est-à-dire présenter le m ê m e schéma d'interdépendance. Rien n'empêche en théorie de construire des systèmes physiques correspondant, par la structure des relations d'inter­dépendance, au genre de modèle économique que les économistes désirent

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L ' É C O N O M I E D I R I G É E A L ' A I D E

étudier, et représentant correctement celles de ces relations qui sont non linéaires, mais à une échelle chronologique telle que les minutes ou les se­condes représentent des années. Si l'on disposait d'un modèle physique de ce genre, pourvu d'un dispositif permettant de faire varier méthodiquement les relations d'interdépendance et enregistrant le comportement du système à l'aide de courbes tracées sur une feuille, on pourrait, en procédant à des expériences systématiques, parvenir à ajuster le schéma de façon qu'il cor­responde aussi étroitement que possible à l'histoire récente du système éco­nomique envisagé. U n e telle machine étant capable de fournir, en une frac­tion de minute, les indications relatives à une période de dix ans et d'enre­gistrer simultanément l'erreur moyenne, il ne serait pas impossible de procé­der empiriquement. U n e fois qu'on aurait ainsi ajusté le modèle et qu'on y aurait introduit les quantités représentant des perturbations déjà intervenues ou escomptées, il suffirait de laisser fonctionner l'appareil pour obtenir, par extrapolation, les renseignements voulus sur l'avenir.

H existe de nombreux types de modèles physiques, dont la nature dépend notamment du type de quantité physique choisi — mécanique, électrique, hydraulique, etc. Ces appareils présentent aussi d'importantes différences de caractères fondamentaux, notamment quant au dispositif prévu pour contrôler l'écoulement du temps. L e modèle le plus couramment employé reproduit les relations interdépendantes à l'aide d'amplificateurs à tube ther­mionique et de réseaux électriques. Les quantités sont représentées par des voltages électriques. C e type, le modèle électronique, ne répond pas aux besoins des économistes, parce que l'échelle chronologique y est fixe. O n ne peut « suspendre le cours du temps » ; et il existe un rapport fixe : tant de secondes représentent tant d'années.

Les économistes ont besoin d'un modèle dans lequel l'écoulement du temps puisse être représenté de façon distincte et indépendante — en fonc­tion par exemple de la rotation d'un axe — et, en conséquence, être réglé. O n pourra alors mettre en place dans l'appareil les données représentant la valeur initiale des quantités ou leur valeur dans un passé récent, l'axe du temps étant au repos. Lorsqu'on fera tourner cet axe, l'appareil enregistrera la variation des quantités dans le temps. Dans un modèle de ce genre on peut suspendre le cours simulé du temps à tout m o m e n t pour modifier ou ajuster les données. Cette possibilité semble indispensable à l'étude écono­mique, mais elle exige un dispositif beaucoup plus complexe et plus coû­teux que le modèle électronique connu.

Il existe actuellement une machine à calculer analogique qui répond en théorie à cette exigence et permet le réglage indépendant du temps simulé : c'est le célèbre analyseur différentiel. Ici les quantités sont représentées m é ­caniquement (par les angles de rotation d'axes) et les relations interdépen­dantes sont représentées par des systèmes d'engrenages à vitesse variable, des ensembles d'engrenages ordinaires et différentiels, etc.

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DE S Y S T E M E S DE C O N T R O L E A U T O M A T I Q U E

Ces machines sont assez difficiles à manier. L a mise en place des quan­tités et la lecture des résultats prennent, avec elles, trop de temps pour qu'elles puissent servir à l'étude économique, et les modèles existants de ces machines ne peuvent recevoir et enregistrer simultanément qu'un n o m ­bre trop restreint de quantités. Il est évident qu'il faudra, si l'on veut mettre les ressources du calcul analogique au service de la recherche économique, construire un appareil spécial. Il faudra que des ' ingénieurs et des écono­mistes collaborent à cette construction, n'épargnant ni leur temps ni leur peine pour faire en sorte que cet appareil puisse résoudre les problèmes sous la forme qu'ils revêtiront probablement, et qu'ils en déterminent quelles devront être son exactitude et sa rapidité, de quels dispositifs d'enregistre­ment et .de quels appareils auxiliaires il devra être muni , etc.

Cette étude aboutirait probablement, nous semble-t-il, à la construction d'un appareil dans lequel les diverses quantités seraient représentées par des voltages électriques correspondant à la position de curseurs sur des potentiomètres, et enregistrés simultanément par un appareil d'enregistre­ment graphique à plusieurs stylets. L e fonctionnement des modèles électri­ques est beaucoup plus rapide que celui des modèles mécaniques.

L a mise en place des relations d'interdépendance dans l'appareil se ferait au m o y e n d'unités électriques interchangeables, aboutissant à u n tableau central m u n i de fiches ou de commutateurs appropriés, qui permettraient une mise en place et un contrôle rapides et donneraient une certaine sou­plesse au dispositif.

Les relations fondamentales du système à représenter se réduisent souvent à des additions, des soustractions et des multiplications par des facteurs constants. Toutes ces relations sont très facilement et très exactement simu­lées par des circuits à tube électronique.

Il y a, parmi les relations qu'il s'agit de représenter, u n autre groupe im­portant : celui des relations chronologiques. N o u s en avons déjà examiné une : l'échelonnement caractéristique du taux d'accroissement de l'investis­sement qui, pour une catégorie déterminée de biens d'équipement, fait suite à une « décision d'investir ». Il y a bien d'autres décalages et variations chronologiques dont il faut tenir compte. L a simulation de ces relations chronologiques est une des conditions qu'il est difficile de remplir s'il faut, en m ê m e temps, régler de façon indépendante le cours du temps simulé. Les réseaux électriques qui sont si c o m m o d e s pour simuler, dans l'appareil élec­tronique habituel, des relations à retardement, ne s'appliquent qu'à une échelle des temps fixe. Il y a m o y e n de remplir cette condition, mais l'ex­posé des principes appliqués à cette fin nous entraînerait dans des détails techniques sur l'enregistrement des valeurs électriques qui ne sauraient trou­ver place ici.

Il existe aussi des relations exprimées par des équations différentielles, à la simulation desquelles se prête fort bien la version électrique des éléments

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L ' É C O N O M I E D I R I G É E A L ' A I D E

d'un analyseur différentiel. L e lecteur qui a une certaine habitude des appa­reils électriques reconnaîtra d'emblée que le dispositif représenté par la figure 8, par exemple, simule l'intégration, avec une échelle chronologique réglable indépendamment, et que, si l'on y ajoute un élément intégrateur, toutes les relations réductibles à des équations différentielles linéaires pour­ront être reproduites de la m ê m e façon que par un analyseur différentiel mécanique.

Axes du temps

Vitesse e ¿ î

Voltage+K^j Courant constant

Amplifi­cateur

Feed-back

£.

Vélodyne

Fig. 8. Exemple type de dispositif électrique d'intégration. L'axe indiqué par le sym­bole 0 0 tourne d'un angle égal à Kfxdt. ,

Restent les relations non linéaires. Certaines de ces relations peuvent être représentées par une courbe. Ces courbes, tracées sur le papier, peuvent être suivies avec un « œil électrique » (ou cellule photo-électrique permet­tant de suivre une courbe), et la fonction non linéaire relevée est introduite dans l'appareil. Certains types de fonctions non linéaires sont un peu plus complexes, mais l'étude montre qu'il ne serait pas difficile de mettre au point un dispositif approprié.

L a conclusion générale, que nous ne pouvons développer ici, est qu'il est techniquement possible de construire un modèle physique permettant d'étudier le comportement des systèmes économiques, mais cet appareil de­vrait être spécialement étudié à cette fin et comprendre un très grand nombre d'éléments. Son prix de revient s'élèverait sans doute à plusieurs dizaines de millions de francs et il faudrait des années pour en établir les plans, le cons­truire et procéder à tous les essais nécessaires.

QUELS RÉSULTATS UNE MACHINE A CALCULER ANALOGIQUE PERMETTRAIT-

ELLE D'OBTENIR?

N o u s tenons à souligner une fois encore que, si la construction d'une cal­culatrice analogique pour les recherches économiques nous semble mériter de retenir l'attention, cela ne veut pas dire que cette machiné présenterait,

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DE S Y S T È M E S DE C O N T R O L E A U T O M A T I Q U E

à elle seule, une grande utilité. C'est un outil dont il serait bon de disposer, mais qui ne serait vraiment utile que si l'on intensifiait les enquêtes et les recherches statistiques, afin de déterminer indépendamment, dans toute la mesure du possible, les relations principales du système, de manière à pou­voir découvrir les autres relations et procéder empiriquement, grâce à l'ap­pareil, à l'ajustement définitif des valeurs. U n e machine à calculer analo­gique de ce genre présenterait un immense intérêt pour les recherches d'éco-nométrie.

U n e fois ces résultats acquis — et ils exigeraient des années de travail de la part d'une nombreuse équipe d'économistes, de statisticiens et d'ingé­nieurs — les décisions politiques pourraient s'appuyer sur une base solide. Certains services gouvernementaux pourraient, par exemple, procéder de façon régulière à l'élaboration et à l'application de mesures de stabilisation visant principalement à faire disparaître l'instabilité inhérente au système pour y substituer une stabilité inhérente.

Les principes sur lesquels repose la stabilisation automatique des systèmes physiques, et notamment le contrôle automatique, sont aujourd'hui bien connus. O n peut procéder de deux façons : en modifiant dans le sens voulu la nature de certaines relations, ou en créant ce que les ingénieurs appellent « un feed-back de stabilisation ». N o u s nous proposons d'expliquer main­tenant à quoi cela correspond dans le domaine économique.

STABILISATION AUTOMATIQUE D'UN SYSTÈME ÉCONOMIQUE

11 est évident que parmi les pouvoirs actuellement impartis aux gouverne­ments se trouve celui de prendre toute une série de mesures propres à influer sur le comportement du système économique. Certains exemples sont fami­liers : déséquilibre budgétaire, modification du taux de l'escompte, liberté des marchés, modification du taux des dépenses publiques et politique des ' travaux publics. O n peut y ajouter l'achat et la vente de stocks régulateurs de produits non périssables, la modification du taux des taxes à la consom­mation, l'accumulation et le déblocage de crédits, les mesures de sécurité sociale qui influent sur l'épargne, les programmes d'enseignement technique et de recherches qui accroissent les possibilités d'investissement, etc. Ces mesures agissent plus ou moins vite. Celles dont l'effet est rapide sont à pré­férer lorsqu'il s'agit de stabilisation.

Tout système économique est sujet à diverses perturbations dues à des événements^ extérieurs : variabilité des récoltes, transformations politiques, nouvelles inventions, etc. Il n'est ni possible ni nécessaire de supprimer les petites fluctuations qui résultent directement de l'action de ces facteurs. Il est certainement nécessaire de pallier toute perturbation prolongée, impor­tante ou permanente; mais ce dont il s'agit ici, c'est d'empêcher une petite

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E C O N O M I E ET C O N T R O L E A U T O M A T I Q U E

perturbation temporaire d'avoir des effets « explosifs » ou oscillatoires de caractère cumulatif.

O n a vu plus haut, d'après l'exemple de l'avion à pilotage automatique, que toute déviation par rapport à la direction fixée doit se corriger d'elle-m ê m e , selon des modalités prévues et dans des conditions de temps telles que l'avion se redresse rapidement, mais sans exagération. L e mouvement qu'il faut imprimer au gouvernail pour obtenir ce résultat n'est pas simple­ment u n mouvement proportionnel à l'erreur. Il serait plus exact de le décrire c o m m e une sorte de tremblotement du gouvernail qui corrige l'er­reur en m ê m e temps et amortit l'oscillation qui, sans cela, ne manquerait pas de se produire. A cette fin, on choisit, c o m m e « indice », des variations importantes, la variation d'une ou plusieurs quantités du système et l'on provoque, à titre correctif, une excitation supplémentaire dont la force est déterminée à l'avance en fonction de cet indice. C'est ce qu'on appelle « ajouter un feed-back stabilisateur >. Il est possible de prendre diverses quantités c o m m e indices et diverses autres c o m m e points de correction, mais, évidemment, les relations chronologiques sont plus ou moins simples sui­vant la combinaison choisie. •

Dans le système économique, puisqu'il y a intervention de l'activité hu­maine, on a une certaine latitude en ce qui concerne le m o m e n t où doit s'effectuer la correction, sauf toutefois que cette dernière ne peut pas anti­ciper l'apparition de l'indice. Si l'on prend certaines quantités c o m m e « indi­ces » des mesures ordinaires de stabilisation automatique, on choisira évi­d e m m e n t celles qui sont-le plus sensibles au début d'une perturbation, par exemple l'indice des prix de détail ou la cadence des décisions d'investir. U n « feed-back stabilisateur » prend donc en économie politique la forme de mesures administratives courantes dépendant, selon une formule fixe, d'un certain indice statistique. Des procédés simples permettent de déterminer la formule la plus efficace, une fois que l'on connaît le schéma de dépendance du système et que l'on a choisi l'indice et les moyens à mettre en œuvre.

Les dispositifs stabilisateurs de ce genre présentent u n caractère surpre­nant : lorsqu'ils sont efficaces et automatiques, ils donnent l'impression d'être très peu utilisés. Ils « tuent dans l'œuf » toute velléité oscillatoire et, une fois la stabilité obtenue, aucune oscillation ne peut plus s'entretenir et le dispo­sitif de stabilisation assure sans grand effort la stabilité du système. Il n'en est peut-être pas tout à fait ainsi lorsque des mesures de stabilisation écono­mique sont prises par un seul gouvernement, parce que les systèmes natio­naux ont en général une périodicité assez semblable, et le dispositif de direc­tion d'une économie nationale risquerait d'être mis à rude épreuve si, à u n m o m e n t correspondant à peu près à sa périodicité naturelle, il se produisait une perturbation due aux fluctuations économiques de ses voisins. Mais ce danger disparaîtrait si tous les principaux gouvernements adoptaient des mesures de stabilisation efficaces.

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LA SCIENCE NAUTIQUE ET LA RÉVOLUTION GÉOGRAPHIQUE

par

ARMANDO CORTESAO

Le D T Cortesao, spécialiste portugais de l'histoire des scien­ces, est l'auteur de plusieurs ouvrages consacrés principale­ment aux découvertes géographiques. Ancien secrétaire général de la commission chargée par l'Unesco d'élaborer une histoire scientifique et culturelle de l'humanité, il est actuellement vice-président de l'Académie internationale d'histoire des sciences.

I

L ' u n des domaines où apparaissent le mieux les rapports entre les conditions économiques et sociales, d'une part, et le progrès scientifique, d'autre part, est celui de la science nautique, c'est-à-dire l'application à la navigation des découvertes en matière d'astronomie, de magnétisme, de cartographie, de météorologie et d'hydrographie.

Plusieurs peuples anciens — Chinois, Indiens, Malais, habitants de la région de la Méditerranée orientale et Arabes — ont déployé une grande activité maritime; mais sur les débuts m ê m e s de la navigation les indications restent vagues. Il semble cependant que trois mille ans environ avant Jésus-Christ les Babyloniens soient allés aux Indes à travers l'océan Indien, et qu'antérieurement à l'an 2000 av. J . - C . les Phéniciens aient déjà vogué sur l'Atlantique. Nous ignorons s'ils avaient mis au point une méthode, ou des méthodes, leur permettant de se diriger après avoir perdu la terre de vue. O n peut au moins penser que l'expérience, accumulée au cours de nombreux siècles, des longues traversées en haute mer a dû faire trouver tôt ou tard quelque m o y e n — si élémentaire fût-il — de s'orienter et de déterminer la latitude sur la base d'observations astronomiques rudimentaires.

U n e fois détruite la puissance navale des Phéniciens, des Grecs et des Carthaginois, les Romains devinrent les maîtres de la mer, mais ne perfec­tionnèrent nullement l'art de la navigation. L'Empire romain s'effondrant à son tour, les Arabes, après avoir occupé la péninsule Ibérique, déployèrent en Méditerranée et m ê m e dans l'Atlantique les plus hautes qualités de m a ­rins; ils apportèrent à l'art et à la science de la navigation des contributions très importantes en introduisant en Occident la voile latine et en dévelop­pant leurs propres connaissances astronomiques, déjà considérables. Quant aux Vikings, il se peut qu'ils aient abordé, dès le X e siècle, au Groenland et sur les côtes nord-est de l'Amérique, mais toute l'habileté de ces hardis

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LA S C I E N C E N A U T I Q U E E T LA R É V O L U T I O N G É O G R A P H I Q U E

marins n'a pas fait avancer l'art nautique — ou, si elle l'a fait, eux seuls en ont profité. E n réalité, la navigation n'a guère c o m m e n c é à devenir une véri­table science qu'à partir du x m e siècle.

Plusieurs facteurs y ont contribué. Grâce à la renaissance des études 1, les progrès accomplis dans le domaine des mathématiques et des sciences c o m ­mencèrent à porter leurs fruits sous la forme de découvertes scientifiques de caractère pratique et d'inventions techniques. Les croisades, qui durèrent de la fin du xie siècle à la fin du x m e , ranimèrent l'intérêt des Européens à, l'égard du m o n d e extérieur et éveillèrent certainement des vocations d'explo­rateurs. Enfin, le capitalisme naissant — ce « capitalisme primitif » qui fit son apparition au xiii" siècle sous l'influence de l'Eglise — encouragea l'es­prit d'aventure à se manifester autrement que par la guerre. Citons ici Lewis M u m f o r d : « Mises à part les grandes industries textiles du x m e siècle, et les entreprises minières du xve, le domaine OÎL les investissements furent les plus abondants fut celui du transport maritime : navires et cargaisons. » E n retrouvant et en développant les grands traités de l'antiquité classique, par­ticulièrement ceux de mathématiques, d'astronomie et de géographie de Pto-lémée, les musulmans d'abord, puis les juifs et les chrétiens préparèrent une des découvertes les plus importantes, qui devait être faite deux siècles plus

.tard : celle de la méthode permettant de déterminer scientifiquement la posi­tion d'un navire en haute mer par application des connaissances astronomi-, ques qu'on avait alors.

Pour nous, le point capital est que les travaux importants accomplis par les savants arabes en astronomie et en géographie furent portés à la connais­sance du m o n d e latin par John Holywood — le célèbre Johannes de Sacro Bosco, mort vers 1250 — dans son traité Sphaera Mundi, qui fut traduit en de nombreuses langues et dont l'influence fut immense jusqu'au xvie siè­cle. L ' u n de ces savants arabes, l'astronome Al-Zagarli (xie siècle) non seu­lement inventa un astrolabe plat perfectionné, mais encore établit les tables astronomiques dites tables Alphonsines.

N o n moins dignes d'être signalés, encore que moins connus hors de la péninsule Ibérique, sont les Libros del Saber de Astronomia, composés sur

1. C e renouveau des arts et des lettres a commencé sous Charlemagne (mort en 814). L a fondation de l'Ecole palatine carolingienne et des écoles cathédrales exerça une profonde Influence sur le mouvement intellectuel, qui devait s'épanouir quelques siècles plus tard. Avec l'unification politique du m o n d e arabe, un élément nouveau et de première importance apparut dans l'évolution culturelle de l'Europe. D e nombreux ouvrages grecs furent traduits en arabe, tandis que par l'entremise des Perses, les Arabes recevaient de l'Inde la plus grande partie de leurs connaissances en matière de mathématiques. Autour de l'Ecole carolingienne et des écoles cathédrales — ou à leur place — se fondèrent les premières universités d'Europe : celles de Bologne, de Paris et d'Oxford au xir» siècle, puis dix autres au x m e : Padoue, Naples, Cambridge, Toulouse, Salamanque, Gênes, Perouse, Coimbre, Montpellier et Lérida. D e nombreux ouvrages encyclopédiques avaient déjà été composes et étaient très répandus. Tous ces éléments contribuèrent à l'essor du grand mouvement intellectuel et culturel marqué par le renouveau de l'aristotélisme, par l'apparition de la doctrine franciscaine (l'amour de la nature qui la caractérise était bien en harmonie avec la nouvelle orientation donnée à la spéculation scientifique par la pensée aristotélicienne) et enfin par une nouvelle méthodologie des mathématiques. Cette dernière fut surtout l'œuvre d'Abraham Savasorda, juif espagnol qui vivait à Barcelone et dont les travaux furent poursuivis un siècle plus tard par un savant plus connu que lui : Leonardo Fibonacci (mort vers 1243).

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LA S C I E N C E N A U T I Q U E E T LA R É V O L U T I O N G É O G R A P H I Q U E .

l'ordre et sous la direction d'Alphone X le Sage (mort en 1284), que Sarton. considère c o m m e « un des plus utiles truchements entre la science arabe et. européenne ».

O n trouve dans cette œuvre énorme, à côté de quelques travaux originaux,, la traduction en espagnol, faite par les soins d'un groupe d'érudits juifs et chrétiens qu'Alphonse X avait rassemblés autour de lui, de tous les traités. d'astronomie alors connus, en commençant par celui de Ptolémée, et en continuant par les ouvrages des auteurs arabes. Ces dix-huit Libros conte­naient non seulement l'exposé de toutes les connaissances théoriques d e l'époque en matière d'astronomie, mais encore la description d'instruments-tels que les astrolabes, quadrants, sphères armillaires et horloges, avec des-instructions pratiques permettant de les construire. L'existence dans la pénin­sule Ibérique de cette s o m m e de connaissances spéciales présente sur le plan: historique une importance considérable.

Tel était, au x m e siècle, l'état des connaissances, lorsque l'Europe, sous; l'impulsion du capitalisme nouveau, lança ses premières expéditions sur l'océan. Peu après 1270, quelques galères placées sous le c o m m a n d e m e n t de Lancelot Malocello, m e m b r e d'une famille de la noblesse génoise, mirent à la voile vers les « îles Fortunées », les Canaries, où Malocello' construisit un fort. E n 1291, les frères Vivaldi partirent de Gênes sur deux autres galères et mirent le cap vers l'Atlantique dans le dessein d' « aller par mer jusqu'aux ports des Indes et d'en rapporter des marchandises utiles »; ils atteignirent les Canaries mais ne revinrent jamais, et plusieurs expéditions que les Génois envoyèrent à leur recherche n'obtinrent aucun résultat. U n e trentaine d'années plus tard, Italiens, Majorquins, Portugais et Français-s'élançaient à leur tour et les expéditions aux Canaries devinrent fréquentes. Beaucoup de ces navires ne marchaient qu'à la voile et, incapables de vain­cre les courants et alizés du nord-est, ils étaient contraints de pousser plus au large pour retrouver les vents favorables qui les ramèneraient à leur port d'attache.

Pour avoir raison des obstacles que créaient ainsi les alizés du nord-est au. retour des Canaries et des rivages plus méridionaux, les constructeurs créè­rent la caravelle à voilure latine, bâtiment plus léger, plus rapide et bien plus manœuvrable que celui à seule voilure carrée, et capable par consé­quent de serrer le vent et m ê m e de remonter dans le vent. C'est la caravelle qui a permis aux Portugais d'atteindre le cap Vert en 1443 et la côte de l'Or en 1446; en 1460,^ ils découvraient les îles du Cap-Vert et, en 1475, ils avaient déjà exploré les rivages africains jusqu'au 9* degré de latitude S. Lorsque le tonnage de la caravelle à voilure latine eut passé de 50 à 150 et

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XA SCIENCE N A U T I Q U E ET LA R É V O L U T I O N G É O G R A P H I Q U E

'200 tonneaux et qu'elle eut été dotée de trois ou de quatre mâts, on l'équipa <ie quelques voiles carrées supplémentaires pour qu'elle pût entreprendre de plus longs voyages; d'autre part, on ajouta des voiles latines aux voiles car­rées des navires plus gros, afin de leur permettre de tirer parti des vents moins favorables: Lorsqu'en 1487-1488, Bartholomeu Dias doubla le cap de Bonne-Espérance, la flottille se composait encore de quatre caravelles à deux ou trois mâts, gréées uniquement de voiles latines; mais la caravelle à trois mâts qui, en 1492, porta Colomb en Amérique avait à son grand mât •une voile carrée, tandis que les navires avec lesquels Vasco de G a m a parvint aux Indes en 1498 portaient une voile latine à leur mât d'artimon.

Ces progrès qu'on réalisa dans l'art de naviguer, en recherchant des moyens d'effectuer de plus longues traversées, répondaient essentiellement à l'évolution de la conjoncture économique européenne au cours de la pre­mière moitié du xv° siècle. Vers la fin du moyen âge, en effet, les épices aromatiques — telles que clous de girofle, noix de muscade, cannelle, gin­gembre, et surtout poivre — étaient devenues si recherchées que souvent on les employait en guise de monnaie et pour payer les impôts. L'Orient les envoyait en Europe par la mer Rouge et l'Egypte, ou par la Syrie; Gênes et Venise en assuraient la distribution en Europe occidentale, et Constanti­nople en Europe orientale. Mais elles devaient être payées en or, et leur consommation croissante, suivant le rythme m ê m e du développement du commerce international en général, provoqua de larges brèches dans les ressources en or dé l'Europe. C o m m e une bonne partie de cet or et un peu de ce poivre venaient des Arabes, de l'Afrique du Nord et de l'Afrique du Nord-Ouest respectivement, on comprend pourquoi, dès le début du XIVe siè­cle, les Génois s'efforcèrent de découvrir les routes que suivaient les cara­vanes arabes pour apporter le métal précieux aux ports des rives sud de la Méditerranée, et particulièrement à Ceuta, ville que les Portugais avaient enlevée aux Maures en 1415. Ainsi commença une série d'explorations sys­tématiques du littoral atlantique de l'Afrique. Et lorsque les Portugais arri­vèrent en Guinée, ils l'appelèrent « Côte de la Malaguette » (du n o m latin d'une épice aromatique), tandis que les terres situées plus au sud reçurent le n o m de « Côte de l'Or ».

Mais le problème n'en était pas pour autant résolu. D'autre part, Cons­tantinople étant tombée entre-temps en 1453, l'Egypte demeura désormais le seul intermédiaire commercial entre l'Orient et l'Occident, ce dont elle profitait pour majorer considérablement les prix. E n outre, l'audace des pirates barbaresques en Méditerranée ne faisait que croître et le commerce maritime y était pratiquement à leur merci. Il fallait donc trouver le moyen de ramener les épices d'Orient directement par mer, c'est-à-dire de faire le tour de l'Afrique : l'idée en avait été lancée déjà par le Majorquin Ra imon Lulle et le Vénitien Marino Sañudo au début du xive siècle; ce furent les Portugais qui la reprirent.

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LA S C I E N C E N A U T I Q U E ET LA R É V O L U T I O N G É O G R A P H I Q U E

III

Leurs premières explorations'maritimes avaient permis aux Portugais de se familiariser avec le régime des vents et des courants, et ils n'avaient pas tardé à comprendre que pour atteindre les Indes il fallait d'abord naviguer en direction du sud-ouest sur l'Atlantique-Sud, puis obliquer vers le sud-est de façon à doubler le cap de Bonne-Espérance. C'est ce que Bartholomeu Dias fit le premier en 1487. Mais la navigation sur l'Atlantique-Sud était de la navigation en haute mer , et on ne peut se lancer en pleine mer avec une certaine sécurité que si l'on sait déterminer exactement et à intervalles rai­sonnables la position du navire. L a boussole, alors connue depuis plus d'un siècle, était certes indispensable, mais ne pouvait à elle seule résoudre le problème. À la fin du m o y e n âge, la navigation se faisait à l'estime, c'est-à-dire que la position du navire était évaluée d'après la distance parcourue et la direction suivie à la boussole. Parfois, d'ailleurs, on obtenait ainsi de bons résultats, mais généralement le défaut de précision dans l'estime de la distance parcourue et l'impossibilité d'évaluer les corrections nécessaires pour tenir compte des courants et de la dérive rendaient pratiquement impossible la navigation hauturière. Pour déterminer la position d'un navire en haute mer , il était indispensable de connaître sa latitude, mais il fallait pour cela mesurer la hauteur méridienne d'un corps céleste quelconque. Q u a n d on eut trouvé, puis mis au point la façon d'exécuter cette opération simple mais essentielle, l'astronomie nautique, base de la navigation au long cours et de la géographie moderne, était née.

L a manière de déterminer la latitude d'un lieu était connue dans l'anti­quité, peut-être dès l'ah 2000 av. J . - C , ou m ê m e avant. Grâce aux Arabes, l'astrolabe et le quadrant étaient d'usage courant dans la péninsule Ibérique. L'astrolabe était un instrument compliqué servant principalement aux opéra­tions astrologiques : il comprenait souvent un calendrier circulaire, une carte céleste circulaire pivotante et un disque où était gravée la projection polaire des cercles de hauteur de la sphère céleste. Il est naturel que les navigateurs les plus entreprenants de la première moitié du X V e siècle, soucieux de dis­poser sans tarder d'un m o y e n assez précis de calculer la position de leur navire en haute mer , aient pensé à utiliser l'astrolabe et le quadrant pour déterminer leur latitude en observant l'étoile polaire et le soleil, ce qu'on faisait déjà à terre depuis quelques siècles. Grâce à cet élément positif qu'était la latitude du lieu, l'estime pouvait être corrigée et la position du navire portée sur la carte avec une approximation suffisante.

Mais, pour se servir c o m m o d é m e n t de l'astrolabe à bord, il fallait en pre­mier lieu le débarrasser de ses accessoires astronomiques compliqués. O n y arriva en le réduisant à un simple anneau plat, dont deux quadrants étaient gradués en degrés et au centre duquel pivotait une alidade portant une pin­nule à chaque extrémité; en m ê m e temps, on augmenta le diamètre de cet

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LA S C I E N C E N A U T I Q U E E T LA R É V O L U T I O N G É O G R A P H I Q U E

anneau pour rendre les observations plus précises. L'astrolabe astronomique devint ainsi l'astrolabe nautique. Celui qu'on utilisait à bord avait une tren­taine de centimètres de diamètre; mais, pour les observations à terre, on pou­vait en employer de plus grands; les résultats étaient alors plus précis que ceux qu'on pouvait obtenir à bord à cause des mouvements du navire. Lors­que Vasco de G a m a se rendit aux Indes pour la première fois, il se servit d'un grand astrolabe de bois de 70 centimètres environ de diamètre, monté sur un trépied, avec lequel il fit des observations à terre. L a première obser­vation de latitude astronomique qui ait été faite en m e r et dont on ait enre­gistré les résultats date de 1462, mais il est probable • qu'on en avait déjà effectué au moins dix ans plus tôt.

Les progrès de la cartographie sont allés de pair avec ceux de l'art nau­tique. Parmi les savants que Henri le Navigateur rassembla autour de lui se trouvait le juif majorquin Jafuda Cresques, expert en cartographie et en fabrication d'instruments, venu au Portugal entre 1420 et 1427. Jafuda était le fils d 'Abraham Cresques, auteur du célèbre atlas, actuellement conservé à la Bibliothèque nationale de Paris; il avait probablement aidé son père à le dessiner entre 1375 et 1381. O n ne sait pas combien de temps il a séjourné au Portugal, mais il est certain que son influence fut très grande, non seule­ment en tant que cosmographe et fabricant des premiers instruments, mais surtout en tant que dessinateur de cartes nautiques et géographiques, art qu'il enseigna à ses élèves. Azurara, chroniqueur du prince Henri, mentionne les « cartes marines détaillées que l'Infant fit dresser » pour les côtes nou­vellement découvertes. Ces travaux anciens ont été appelés par Beazley et Prestage « les premières cartes hydrographiques des côtes occidentales de l'Afrique >, qui < ont été adoptées et copiées par tous les cosmographes d'Europe ». Ces cartes du xv" siècle ne diffèrent guère de celles qui étaient employées en Méditerranée, probablement depuis quelques siècles déjà, bien que le spécimen le plus ancien qui nous soit parvenu date de l'an 1300 envi­ron. C'étaient ces cartes — sur lesquelles un ensemble de roses des vents formait un réseau de rhumbs l — qui aidaient les pilotes à se diriger; ils le fai­saient au m o y e n de la boussole et de la « Toleta » ou « R a x o n de marte-loio », table de données numériques — probablement d'origine italienne — correspondant aux différents angles de r h u m b et permettant ainsi d'évaluer la position du navire après avoir changé de direction.

Tant qu'on naviguait au nord de l'équateur, on n'avait aucune difficulté à calculer la latitude du navire, soit d'après la hauteur de l'étoile polaire, ce qui était très simple, soit d'après celle du soleil à midi. Pour cette dernière opération, avant m ê m e le xve siècle, on disposait déjà de plusieurs traités sur l'astrolabe et le quadrant, ainsi que d'instructions et de tables de décli-

1. Le cadran de la boussole est divisé en trente-deux secteurs de 11°1S' chacun, appelés rhumbs, dont l'ensemble forme la rose des vents.

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LA S C I E N C E N A U T I Q U E E T LA R É V O L U T I O N G É O G R A P H I Q U E

naison ou « d'ombres ». Mais ces tables d'ombres étaient limitées à l'hémi­sphère boréal et plus les navires approchaient de l'équateur — qui fut enfin franchi en 1471 — plus l'observation de l'étoile polaire était difficile. Plus tard,' des instructions furent établies qui permettaient de déterminer la lati­tude dans l'hémisphère austral par l'observation de la Croix-du-Sud. Cepen­dant, il devenait indispensable d'établir de nouvelles tables de déclinaison pour déterminer la latitude d'un lieu quelconque d'après la hauteur du soleil à midi et sa déclinaison, c'est-à-dire sa position dans le zodiaque.

C e problème fut résolu par la junta d'astronomes et de mathématiciens réunie par le roi Jean II. Ils adaptèrent, pour l'appliquer à l'hémisphère aus­tral, la méthode utilisée pour l'hémisphère boréal. Jean II dit < le Parfait », qui est peut-être le plus grand Portugais de tous les temps, avait succédé à Henri le Navigateur, son grand-oncle, à la direction centrale des expéditions de découverte, et c'est lui qui présida aux longs préparatifs et à l'organisa­tion de l'expédition de Vasco de G a m a aux Indes. L e principal savant de cette junta était le juif portugais José Vizinho, disciple d 'Abraham Zacuto. C e dernier, précisément, qui était professeur d'astronomie à l'Université de Salamanque, avait composé en 1473-1478 un Almanack Perpetuum en hé­breu, ouvrage appelé à juste titre « le m o n u m e n t immortel de l'astronomie du X V e siècle », qui eut, ainsi que son auteur, la plus grande influence sur le développement de la science nautique; Vizinho utilisa probablement l'al-manach de Zacuto lorsqu'en 1485 il fut envoyé sur les côtes de Guinée pour vérifier les nouvelles tables par des observations faites à bord des navires.

Les tables de déclinaison furent tout d'abord calculées pour une seule année; on en établit ensuite pour des périodes de quatre ans, et ces dernières servirent déjà à Vasco de G a m a lors de son voyage aux Indes en 1497-1498. Les premières étant trop compliquées, eu égard à la culture rudimentaire des marins ainsi qu'à leurs besoins limités, on les simplifia et, en les complétant par divers renseignements utiles et par des instructions détaillées, on en fit un manuel pratique connu sous le n o m de Règles de l'astrolabe et du qua­drant. Bien souvent recopiés à la main, ces manuels, ou regimentos, ne tar­dèrent pas à être imprimés. L'exemplaire le plus ancien qui nous soit parvenu — il date peut-être de 1495 — se divise en deux parties. L a première c o m ­prend : Io des instructions détaillées permettant de calculer la latitude à partir de la hauteur méridienne du soleil, avec plusieurs exemples de situa­tions où l'observateur se trouve respectivement à l'équateur, au nord de cette ligne ou au sud; 2° des règles pour trouver la latitude d'après la hauteur de l'étoile polaire; 3° la latitude de soixante points choisis sur les côtes au nord de l'équateur (la première des éditions suivantes qui nous soient parvenues la donne pour cent quatre-vingt-treize lieux, choisis dans les deux hémi­sphères); 4° des règles pour tracer la route du navire; 5° un calendrier et des tables de déclinaison du soleil établis pour douze mois. Quant à la deuxième partie, elle ne contient que la traduction en portugais de la Sphaera de Sacro

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LA S C I E N C E N A U T I Q U E ET LA R É V O L U T I O N G É O G R A P H I Q U E

Bosco. Les éditions ultérieures furent considérablement améliorées, et les regimentos, avec quelques adaptations ou additions, furent bientôt traduits en espagnol, en anglais, en français, en italien et en d'autres langues.

L'« académie nautique » de Jean II avait mené à bonne fin les travaux préparatoires : il était désormais possible de déterminer la latitude d'un navire, où qu'il se trouvât sur la mer, en observant la hauteur d'un corps céleste au-dessus de l'horizon. L a science nautique moderne était née.

IV

C e n'est pas seulement la navigation astronomique, mais aussi les autres branches de la science nautique — notamment le régime des courants et des vents de l'Atlantique, et celui des marées — qui furent minutieusement étu­diées au cours du xv° siècle. L e phénomène de la déclinaison magnétique, connu au moins dès le x m e siècle, avait été observé par Bartholomeu Dias longtemps avant Colomb, mais Joao de Castro fut le premier à l'étudier scientifiquement. Il comprit que la déviation de l'aiguille aimantée était une quantité variable qui n'avait aucun rapport avec les différences de longitude; mais les cosmographes cherchèrent pendant longtemps encore à résoudre, au m o y e n de la boussole le problème de la longitude. D e nouveaux instru­ments furent inventés et des méthodes nouvelles imaginées pour calculer la latitude en mer par des observations astronomiques effectuées à n'importe quelle heure du jour ou de la nuit. Dans le domaine de la cartographie, Pedro Nuñes comprit que lorsqu'un navire va toujours dans la m ê m e direc­tion, ce n'est pas une ligne droite qu'il parcourt, mais bien une courbe (ou loxodromie) qui coupe sous un angle constant les méridiens successifs. Cette . courbe particulièrement irrégulière ne peut pas être représentée sur un plani­sphère par une ligne droite, sauf lorsque le rhumb suivi est exactement N . - S . ou E . - O . Pedro Nuñes publia en 1537 son étude et sa définition de la loxo­dromie, mais ce n'est qu'en 1569 que le grand cosmographe flamand Gérard Mercator donna une expression graphique de l'étude de la loxodromie avec la célèbre projection qui porte son n o m et qui, après avoir été perfectionnée par le mathématicien anglais Edward Wright en 1599, constitue encore aujourd'hui la représentation du globe qui a la plus grande utilité pratique pour la navigation. Mais le problème, longuement étudié, quoique secon­daire, de la détermination de la longitude en mer ne put être résolu de façon satisfaisante qu'en 1735, grâce au chronomètre de marine inventé par Har­rison; cinq ans auparavant, le sextant venait d'être imaginé, en Angleterre également.

Ainsi, les trois jalons principaux qui marquent le développement de la science nautique sont : 1 ° la fondation de l'astronomie nautique; 2° la décou­verte de la projection de Mercator; et 3° l'invention du chronomètre de

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LA SCIENCE N A U T I Q U E ET LA R É V O L U T I O N G É O G R A P H I Q U E

marine. Ces deux dernières inventions firent de la navigation une science presque exacte, en attendant la radiotélégraphie et le radar qui ne devaient apparaître que deux siècles plus tard. Mais le problème principal avait été, dès le X V e siècle, résolu de façon satisfaisante, si heureuse m ê m e qu'avant la fin de ce siècle, l'Amérique et les Indes étaient atteintes par mer , et qu'ainsi une ère nouvelle commençait pour l'humanité. • .

C'est la révolution intellectuelle, économique, sociale et politique que l'Eu­rope avait traversée durant les deux siècles précédents qui imposa l'expan­sion maritime, laquelle, d'autre part, fut rendue possible par le développe­ment de la science nautique. Et, si les Portugais furent les premiers à décou*-vrir la navigation astronomique moderne, c'est grâce aux connaissances et aux efforts accumulés par nombre de peuples tout au long des siècles.

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REVUE DES LIVRES ET DES PUBLICATIONS

L'attitude scientiste

ÍF.A. H A Y E K , The Counter-Revolution oí Science, Studies on the Abuse of Reason, The Free Press, Glencoej Illinois, 1952 (Londres, chez Allen et •Unwin), 255 pages, 4 dollars ou 32 shillings.

Henri, comte de Saint-Simon (1760-1825). Selected Writings (textes choisis, •traduits, avec une introduction par F . M . H . M A R K H A M ) , « Blackwell's Political Texts », Basil Blackwell, Oxford, 1952, LI + 1 1 6 pages, 12 shillings •6 pence.

Lorsqu'en 1941, le professeur Hayek publia dans Economica la série aujour­d'hui fameuse de ses articles sur « L a contre-révolution de la science », il •apparut immédiatement que c'était là une des contributions les plus brillantes et les plus significatives à l'histoire intellectuelle du totalitarisme. Peu après, entre 1942 et 1944, paraissait dans Economica une série d'articles sur « L e

-scientisme et l'étude de la société » dus également à la plume du professeur Hayek. Enfin, ayant quitté sa chaire de statistique et sciences économiques

•à l'Université de Londres pour venir enseigner les sciences sociales et m o ­rales à l'Université de Chicago, le professeur Hayek publiait en juin 1951, dans la revue Measure, un essai, rédigé à l'origine sous forme de conférence, sur « C o m t e et Hegel ». Les trois études légèrement revisées sont aujour­d'hui réunies en un volume, où elles se suivent non dans l'ordre de leur parution, mais dans l'ordre logique : l'étude théorique sur le scientisme vient en premier lieu, suivie d'abord d'un compte rendu historique du développe­ment de ces idées, puis d'une interprétation assez peu orthodoxe de l'in­fluence c o m m u n e de Comte et de Hegel. L'ensemble possède une réelle unité et constitue peut-être l'étude la plus pénétrante qui ait été faite à ce jour du scientisme et de son influence profonde sur la pensée politique et sociale.

L e scientisme peut être défini brièvement c o m m e l'application abusive à l'étude de la société des méthodes qui ont si bien réussi dans les sciences naturelles.

... Chaque fois que nous avons affaire, non pas à l'esprit de recherche en général, sous sa forme désintéressée, mais à l'imitation servile de la méthode et du langage de la science, il s'agit de « scientisme » ou de préjugé c scientiste »... ces termes, au sens

•où nous les employons, désignent, on le voit, une attitude nettement antiscientifique au sens propre, puisqu'elle consiste à appliquer de façon mécanique et sans discrimination certaines habitudes de pensée dans des domaines autres que ceux pour lesquels elles ont été formées. L e scientisme, par opposition à l'esprit scientifique, n'est pas. une attitude impartiale mais, áu contraire, une attitude très partiale qui prétend savoir, avant m ê m e d'avoir examiné une question, quelle est la meilleure manière de l'étudier.

C'est au début du xixe siècle que cette attitude a commencé à s'affirmer dans l'étude des phénomènes sociaux et économiques. Devant le succès des m é -

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R E V U E D E S L I V R E S E T D E S P U B L I C A T I O N S

thodes utilisées par les sciences naturelles, certains savants — et les fana-' tiques de la science — voulurent à toute force les appliquer aux sciences

sociales. Il n'est pas rare de voir les h o m m e s demander à un nouveau prin­cipe d'explication plus qu'il ne peut donner : le cas s'est produit à diverses époques pour la gravitation, l'évolution, la relativité, la psychanalyse. T o u ­tefois, le scientisme n'exagère pas les possibilités d'une doctrine scientifique particulière mais celles de la science elle-même. Les principales erreurs du scientisme sont analysées par le professeur H a y e k sous les trois titres sui­vants : « l'objectivisme », « le collectivisme » et « l'historicisme ».

L'objectivisme, en ce sens, consiste à faire abstraction de notre connais­sance subjective du fonctionnement de l'esprit humain. O r , en matière d'ac­tions humaines, les choses sont ce que les acteurs croient qu'elles sont. Les « faits » des sciences sociales sont aussi les opinions, les idées ou les concepts, non pas des observateurs mais des sujets observés. Les sciences sociales traitent de phénomènes que nous ne comprenons que parce que le sujet de notre étude possède un esprit ayant la m ê m e structure que le nôtre. Toute connaissance que nous avons, mais que n'ont pas ceux dont nous voulons expliquer les actions, ne nous est d'aucune utilité pratique, tout c o m m e notre absence de foi dans le pouvoir des amulettes ne peut nous servir à comprendre le comportement du sauvage qui y croit.

L'objectivisme se traduit aussi par une obstination aveugle à utiliser des données quantitatives. Selon le professeur Hayek , c'est à cela qu'il faut attri­buer les aberrations et les absurdités les plus flagrantes du scientisme dans l'étude des faits sociaux. O n est amené ainsi non seulement à étudier de pré­férence les aspects les plus insignifiants des phénomènes sociaux, simple­ment parce que ces aspects se trouvent être mesurables, mais aussi à affecter ces phénomènes de valeurs numériques aussi dépourvues de sens que l'affir­mation de Platon qu'un tyran juste est sept cent vingt-neuf fois plus heureux qu'un tyran injuste.

L e collectivisme est la tendance à considérer des concepts tels que ceux de « société », de « capitalisme », de « classe sociale », etc., c o m m e des sujets comparables aux organismes biologiques, et de croire qu'on peut découvrir les lois de leur comportement par l'observation. Les h o m m e s de science sont habitués à chercher d'abord, dans les phénomènes relativement complexes observés par eux, des régularités empiriques, qu'ils essaient ensuite d'expliquer au m o y e n d'éléments plus simples. Mais les phénomènes « complexes » dont s'occupent les sciences sociales ne sont pas observables. Us sont tous sans exception des constructions de l'esprit et ne peuvent être considérés « objectivement », indépendamment de l'esprit humain. N o u s ne pouvons les étudier que par la méthode subjective, de l'intérieur, grâce à notre connaissance des attitudes individuelles qui en sont les éléments.

Enfin, l'historicisme, au sens moderne, consiste à vouloir établir sur la seule base de l'histoire la science des phénomènes sociaux. Dans cette théorie,

' l'histoire est seule capable d'alimenter une telle science en fournissant des données empiriques dont on peut tirer des lois semblables à celles de la physique et des autres sciences naturelles. E n fait, en matière sociale, il est souvent plus important-et plus intéressant d'expliquer certaines situations particulières et uniques que de procéder à des généralisations, car ce sont de telles situations — la grandeur et la décadence de l'Empire romain, par exemple, ou la Révolution française, ou encore la révolution industrielle — qui ont contribué de façon décisive à la formation du milieu particulier qui

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R E V U E DES LIVRES ET DES P U B L I C A T I O N S

est le nôtre. L a philosophie de l'histoire s'efforce de découvrir des lois là où par la nature des choses il n'en existe pas. Cependant, depuis Hegel, A u ­guste C o m t e , et surtout M a r x , jusqu'à Sombart et Spengler, cette croyance a été si répandue qu'elle a exercé une profonde influence "sur l'évolution sociale, du fait notamment que les lois de l'histoire semblaient aussi valables et aussi respectables que celles qui jouissent, à juste titre d'ailleurs, d'un énorme prestige dans le domaine des sciences naturelles. v •

' D'après le professeur Hayek , ces trois erreurs constituent en quelque sorte le dénominateur c o m m u n des innombrables tentatives faites au cours des quatre dernières générations pour élaborer une véritable science de la société. Les grandes différences qui existent entre les méthodes des sciences natu­relles et celles des sciences sociales expliquent pourquoi le physicien a si souvent l'impression de voir le sociologue commettre tous les péchés mortels qu'il apporte lui-même le plus grand soin à éviter. U n e fois qu'on a admis le credo scientiste, la tentation d'élaborer une vraie science de la société — une sorte de « physique sociale » ou d'« énergétique sociale > — est à peu près irrésistible. N o m b r e de gens y ont succombé allègrement au cours des cent vingt dernières années dans l'espoir de déclencher une révolution dans l'étude de la société. - , . . ' . . ' . , ; ,

Mais l'attitude scientiste a des conséquences pratiques bien plus graves que ne le feraient soupçonner ces tentatives avortées, et relativement inof­fensives, en vue d'élaborer une < science de la société ». Dans une interpré­tation pragmatique des institutions sociales, on considère que rien ne peut avoir d'utilité à moins de répondre à u n plan préconçu et qu'aucun dispo­sitif ordonné ou réfléchi ne saurait exister en l'absence d'un tel plan. O n en conclut facilement que nous devons être en mesure d'agir absolument à notre gré sur les institutions sociales. O n admet en effet que, de m ê m e que l'ingé­nieur connaît parfaitement ses matériaux et en dispose c o m m e il l'entend, de m ê m e 1'« ingénieur politique > ou 1'« ingénieur social » (Lénine appelait les artistes des « ingénieurs de l'âme ») peut connaître à fond et manier à son gré les matériaux qui lui servent à édifier une structure sociale ou poli­tique donnée.

L'apparition des « ingénieurs sociaux » et des « ingénieurs politiques » n'est toutefois qu'une manifestation particulière d'une tendance plus géné­rale qui dérive directement du scientisme : c'est l'exigence universelle d'un contrôle ou d'une orientation délibérée des processus sociaux, dont l'expres­sion la plus populaire est l'exigence d'une « économie planifiée », qui, mieux qu'aucun autre cliché, exprime l'esprit de notre époque. C e collectivisme politique est la conséquence naturelle du collectivisme méthodologique, lui-m ê m e directement dérivé du scientisme. E n fait, sans le collectivisme métho­dologique, le collectivisme politique n'aurait pas de fondement intellectuel. L a majorité des dirigeants intellectuels du socialisme sont socialistes parce que le socialisme leur apparaît c o m m e « la science appliquée en pleine conscience et en parfaite connaissance à toutes les branches de l'activité humaine ». Cette tendance intellectuelle constitue non seulement « la contre-révolution de la science » (selon l'expression forgée à l'époque napoléonienne par le réactionnaire de Bonald), mais aussi, et surtout, la contre-révolution des h o m m e s de science, c o m m e le démontre le professeur H a y e k dans le passionnant exposé historique qui donne son titre à l'ouvrage. L e positivisme français doit la plupart de ses grandes idées à d'Alembert, à Turgot, à L a -grange et à Condorcet. Trois de ces précurseurs. étaient des h o m m e s de science. L e milieu nourricier où ces idées ont poussé et se sont épanouies,

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R E V U E ' D E S ' L I V R E S E T D E S P U B L I C A T I O N S

pour se répandre ensuite à travers toute la société, fut cette pépinière de savants et d'ingénieurs de profession : l'Ecole polytechnique, institution nou­velle éminemment représentative de l'esprit de l'époque qui symbolisait le système d'éducation institué par la Révolution, système essentiellement scien­tifique où les disciplines classiques n'avaient presque pas de place. .;-

C'est alors qu'apparaît, pour la première fois dans l'histoire, ce nouveau type d ' h o m m e — le produit de la Realschule allemande ou d'autres institutions analogues — qui devait occuper une si grande place et exercer une si profonde influence à la fin du xrx* et au début du xx" siècle : le spécialiste, technique que l'on considère c o m m e cultivé parce qu'il a passé par une école où l'on entre difficilement, et qui ignore à peu près tout de la société, de sa vie, de son développement, de ses problèmes, de ses valeurs, faute d'avoir étudié suffisamment l'histoire, la littérature et les langues. ' ' •

L e professeur Hayek semble suggérer ici que certains des défauts les plus caractéristiques de l'enseignement allemand ont leurs racines dans le sys­tème qui fut adopté en France à la suite de la Révolution.'.' ': .•-.•••;•..

Effectivement les principaux Saint-Simoniens ' — ' y compris'Auguste Comte , le plus grand d'entre eux — étaient presque tous passés par l'Ecole polytechnique. Chose étrange, le fondateur du mouvement n'en sortait pas lui-même, mais il trouva naturel de se loger juste en face de l'Ecole lorsqu'il décida de s'embarquer dans une nouvelle science de la société.

L e fait que la première traduction anglaise de Saint-Simon ait paru cent vingt-sept ans après la mort de l'auteur, dans la collection des « Blackwell's Politicai Texts » aux côtés du Leviathan de Hobbes , du Traité du gouverne­ment civil de Locke et du Fédéraliste, constitue une excellente preuve de la grandeur de l ' h o m m e — si par grandeur nous entendons une extraordinaire prescience des événements du siècle à venir. Car s'il est une épithète qui s'applique à Saint-Simon, c'est bien celle de précurseur. Il a été le précur­seur du socialisme, du totalitarisme, de la technocratie, et si le mot de « so­ciologie > est de l'invention de son élève Auguste Comte , l'idée est bien de lui et constitue l'essence m ê m e de sa philosophie. O n trouve aussi chez Saint-Simon l'esquisse d'une théorie de l'histoire considérée c o m m e l'étude des lois scientifiques qui régissent le développement de l'humanité. C o m m e le fait remarquer M . M a r k h a m dans l'introduction, il n'est sans doute pas un seul élément de là pensée de Saint-Simon dont on ne puisse retrouver l'origine ailleurs; mais son esprit extraordinairement synthétique lui a per­mis de transformer ces emprunts en quelque chose de neuf — caractéris­tique du xix°, voire du xx ' siècle, mais certainement pas de sa propre époque. .; Il est intéressant de noter que Saint-Simon a été amené à ces conceptions

par ce culte de la science et de la méthode scientifique dont il fut l'instiga­teur. C e culte s'exprime, en des termes d'une exagération délirante, dans sa première publication, Lettres d'un habitant de Genève (1803). Il y propose la création d'un « Conseil de Newton », composé de vingt et un savants et artistes, qui remplacerait la papauté en tant qu'autorité spirituelle et unifie-: rait toute la science humaine — y compris celle des relations sociales — sur la base de la loi de la gravitation universelle de Newton. N o n seulement ce conseil inaugurerait le règne spirituel d'une élite' de savants, d'artistes et d ' h o m m e s de génie, mais il aurait aussi pour tâche de concilier les intérêts des deux autres classes qui, selon Saint-Simon, composent la société et se

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trouvent par la nature des choses toujours et inévitablement en conflit : celle des propriétaires et celle des non-propriétaires. Les exhortations que Saint-Simon adresse à ces trois classes trouvent leur forme la plus expressive dans le passage fameux où il prêche le culte du travail (« Tous les h o m m e s tra­vailleront >), et, ailleurs, « tout h o m m e qui n'obéira pas aux ordres sera traité par les autres c o m m e un quadrupède >. C e texte contient en germe une grande partie de sa doctrine ultérieure. Toutefois, ce passage, auquel le livre du professeur H a y e k accorde une large importance, ne figure pas dans les extraits choisis par M . M a r k h a m .

Les idées exposées sous une forme embryonnaire dans ce premier ouvrage sont développées dans l'Introduction aux travaux scientifiques du XIXe siè­cle (1808) et dans le Mémoire sur la science de l'homme (1813). L e profes­seur Hayek voit dans le premier de ces livres un document remarquable où se manifestent pour là première fois presque toutes les caractéristiques de l'organisateur scientiste moderne et qui marque « les débuts à la fois du posi­tivisme et du socialisme modernes, mouvements nettement réactionnaires et autoritaires à l'origine ». Dans le second ouvrage, Saint-Simon non seule­ment cite le n o m mais formule le programme du positivisme — programme que devait plus tard réaliser Auguste Comte . O n discerne déjà dans les deux ouvrages les grandes lignes originales d'une théorie de l'histoire.

L e Mémoire sur la science de l'homme marque l'aboutissement de la pen­sée indépendante de Saint-Simon. A partir de ce m o m e n t il devient pratique­ment impossible de discerner avec précision dans les travaux collectifs de l'école saint-simonienne la part du maître et celle de ses élèves, dont certains lui étaient intellectuellement supérieurs. L e premier de ces collaborateurs, dont le n o m figure en tête de l'ouvrage intitulé De la réorganisation de la société européenne (1814), est Augustin Thierry, le m ê m e Thierry qui devint plus tard le chef d'une nouvelle école d'historiens qui, en interprétant l'his­toire en termes de mouvements de masses et de luttes de classes, devait exer­cer une influence profonde sur M a r x . C'est à cette période que l'enthousiasme scientifique de Saint-Simon cède partiellement la place, c o m m e il était logi­que, à un engouement nouveau pour l'industrie. Avec l'aide de banquiers et d'industriels, il fonde un journal, l'Industrie, où non seulement il exprime son désir de mettre u n terme à la révolution, mais formule aussi le principe de la subordination du politique à l'économique.

Mais les écrits les plus remarquables peut-être de Saint-Simon se trouvent dans un autre journal qu'il lance en collaboration avec le plus célèbre et le plus influent de ses disciples, Auguste Comte , et qui porte ce titre caractéris­tique : l'Organisateur. Il y esquisse un véritable projet de réorganisation de la société et du système politique, sur la base d'une planification industrielle et économique moderne. Cette planification doit être dirigée et effectuée par , les « industriels », terme par lequel Saint-Simon désigne tous ceux qui s'ac­quittent d'un travail productif à un échelon élevé, c'est-à-dire les ingénieurs, les artistes, les h o m m e s de science, ainsi que les entrepreneurs les plus riches et qui réussissent le mieux. C e projet n'est pas une utopie : il représente l'aboutissement de la conception scientifique de l'histoire mise au point par Condorcet et développée par Saint-Simon lui-même. Les m ê m e s idées sont reprises dans deux autres ouvrages écrits en collaboration avec Comte , Du système industriel (1821) et Le cathéchisme des industriels (1823), qui m a r ­quent une évolution très nette vers le socialisme autoritaire. Dans le second de ces ouvrages, C o m t e esquisse les grandes lignes de la « physique sociale »

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qu'il devait plus tard appeler « sociologie ». Peu après, Comte rompait avec Saint-Simon, ce dernier commençant à transformer sa doctrine en une reli­gion. L e produit de ce stade ultime et mystique de la pensée saint-simonienne est l'ouvrage intitulé le Nouveau Christianisme, qui parut quelques semaines avant la mort de l'auteur en 1825. Il n'apporte aucun élément nouveau si ce n'est qu'il transforme le système positiviste en une religion nouvelle. Aussi est-on quelque peu surpris d'en trouver la traduction intégrale dans l'édition de M . M a r k h a m , où manquent en revanche d'importants passages d'œuvres antérieures — telles que l'Industrie et l'Organisateur — qui sont particuliè­rement caractéristiques du développement de la pensée de Saint-Simon et dont le professeur Hayek donne une analyse assez poussée.

O n a dit du saint-simonisme qu'il est né après la mort de Saint-Simon, et que son influence décisive sur la pensée européenne est due en réalité à l'action des saint-simoniens plus qu'à celle de Saint-Simon en personne. Moins d'un mois après la mort du maître, ses amis et disciples formaient une association composée de Rodrigues, Enfantin, Bazard, Transon, Lechevá-lier et de maints autres polytechniciens. Ils organisèrent en 1829-1830 une série de conférences qu'ils publièrent ensuite sous le titre : Doctrine de Saint-Simon, exposition. C e document est « de loin le plus important de ceux qui sont dus à Saint-Simon et à ses disciples; il marque une date essentielle dans l'histoire du socialisme ». D e l'avis du professeur Hayek, si ce n'est pas la bible du socialisme, c'en est au moins l'ancien testament.

L e mouvement saint-simonien a exercé, sur l'évolution de la pensée euro­péenne, une énorme influence, que le professeur Hayek s'attache à retracer dans l'une des parties les plus intéressantes de son magistral ouvrage. George Sand, Balzac, Victor H u g o en France; Carlyle et John Stuart Mill en Angle­terre; Mazzini en Italie; Strindberg en Suède; Herzen en Russie témoignent tous de cette influence. Mais, la France mise à part, celle-ci ne fut nulle part plus profonde qu'en Allemagne où, par l'intermédiaire des jeunes hégé­liens et de Ludwig Feuerbach en particulier, elle affecta profondément Engels et M a r x . O n a souvent signalé qu'à maints égards — et notamment par la théorie de la lutte des classes et par certains aspects de l'interprétation qu'il donne de l'histoire — le marxisme est bien plus proche des doctrines de Saint-Simon que de celles de Hegel.

Mais l'influence de Saint-Simon a pénétré bien plus profondément encore par l'intermédiaire d'Auguste Comte . C e dernier, après sa rupture avec son maître, s'est efforcé de supprimer toute trace de l'enseignement qu'il avait reçu. E n fait, m ê m e en admettant que « Comte est un Saint-Simon qui a passé par l'Ecole polytechnique », il est difficile de discerner entre eux aucune différence essentielle, si ce n'est que Comte a su exprimer avec clarté et précision les grandes idées de Saint-Simon. L'influence du « positivisme » et de la « sociologie » de Comte , si elle ne s'est exercée directement que sur un petit nombre de personnes, a été extrêmement étendue parce que ces personnes se trouvaient être les penseurs les plus influents de leur temps : J.S. Mill, Buckle, Lecky, Herbert Spencer en Angleterre; Taine, Renan, Lévy-Bruhl, Durkheim en France — pour ne citer que quelques grands n o m s — ont tous contribué à propager cette influence. Cela est encore plus vrai de la génération actuelle, à laquelle ces idées ont été inculquées par des maîtres tels que Carey et Veblen en Amérique, Ashley et Hobhouse en

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R E V U E D E S L I V R E S E T D E S P U B L I C A T I O N S

Angleterre, et Lamprecht en Allemagne, pour ne citer que les plus influents. L e professeur Hayek va plus loin dans la troisième partie de son ouvrage;

il suggère que :

... Dans le domaine de la pensée sociale, les conceptions qui caractérisent non seule­ment la seconde moitié du xix° siècle, mais aussi notre propre époque, proviennent en grande partie de l'accord de deux penseurs que l'on considère d'ordinaire c o m m e étant intellectuellement aux antipodes l'un de l'autre : 1'« idéaliste » allemand Georg Wilhelm Friedrich Hegel et le < positiviste » français Auguste Comte .

Parmi les grands penseurs qui ont su combiner les idées de Hegel et celles de Comte on peut citer M a r x , Engels, Feuerbach, Renan, Taine, Durkheim, Mazzini. L e point de rencontre de ces deux théoriciens sur le plan social est défini par le professeur Hayek en ces termes : « Toute étude de la société doit se proposer pour but principal l'élaboration d'une histoire universelle de l'humanité considérée c o m m e la forme nécessaire que devait prendre le développement de l'humanité, en vertu de lois identifiables. » Les données qu'il fournit permettent de conclure aussi bien à l'influence de Comte sur Hegel qu'à celle de Hegel sur Comte. . Il semblerait en définitive que nous nous laissions guider aujourd'hui par des idées vieilles d'au moins un siècle — tout c o m m e le xixe siècle s'était laissé principalement guider par les idées du xvine. Mais alors que celles-ci — les idées de H u m e , de Voltaire, d ' A d a m Smith et de Kant — donnaient naissance au libéralisme du xixe siècle, les théories de Saint-Simon et de Comte , de Feuerbach, de Hegel et de M a r x ont engendré le totalitarisme du xxe.

E.M. FRIEDWALD

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THE NEW LANKA

REVUE TRIMESTRIELLE D'INTERET GENERAL, POLITIQUE ET LITTERAIRE, PUBLIEE EN JANVIER, AVRIL, JUILLET ET OCTOBRE

V O L . IV, n° 3 ' AVRIL 1953

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Revue trimestrielle de philosophie de la connaissance ,•

E S T L ' O R G A N E de la « philosophie ouverte ». Sur les thèses essentielles de la « philosophie ouverte » vous y trouverez des éditoriaux, des articles de fond, le compte rendu de débats sur les tendances diverses de la «philosophie ou­verte », en un mot, l'image vivante de son développement.

O R G A N I S E des débats et publie des recueils sur les questions essentielles de la connaissance moderne. (Voir par exem­ple le numéro 7-8 sur l'idée de complémentarité, avec la participation de - cinq prix Nobel de physique, ou le numéro 19-20 sur les fondements de la psychologie.)

P U B L I E les comptes rendus des Entretiens de Zurich, entière­ment consacrés à l'épanouissement de la pensée ouverte.

C O M M E N T E les publications récentes et accorde l'hospitalité de ses colonnes aux discussions de principe à leur sujet.

A P P E L L E à la collaboration tous ceux qui veulent et qui cher­chent la synthèse et l'intégration de l'ensemble des connais­sances modernes.

EST L'ORGANE VIVANT D'UNE « PHILOSOPHIE OUVERTE».

Directeurs : Ferdinand Gonseth (Zurich) Gaston Bachelard (Paris) Paul Bernays (Zurich)

Editions du Griffon, Neuchâtel (Suisse). Presses universitaires de France! Paris; . : . . , : • ' •

Abonnement : Suisse, 16 fr.s.; étranger, 18 fr.s.

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BIOLOGY AND HUMAN AFFAIRS

Publication destinée aux membres du corps enseignant et de l'assistance sociale. Aborde tout problème d'intérêt général humain sous l'angle de l'éducation et de la civilisation modernes.

Sommaire du numéro de juin 1953 :

Editorial Comment : Father and Son. < Race and Society », par Kenneth L. Little, M . A . , Ph.D. < The Changing Concept of Race », par Mozell C. Hill, B.A.,

M . A . , Ph.D. « Adaptation in an Animal Species : the Orange Free State

Mole-Rat », par G. Eloff, M . A . « Team Work in Teaching the Public about Health », par

J.L. Burn, M . D . , D.Hy., D .P .H . Paraît trois fois par an: février, juin, octobre.

Abonnement annuel : 12s.6d. ($1.75)

Adressez correspondance et abonnements à : The British Social Biology Council, Tavistock House South, London, W . C . I .

Journal of Scientific and Industrial Research Publication mensuelle éditée par

THE COUNCIL OF SCIENTIFIC & INDUSTRIAL RESEARCH, INDIA

Publie des articles et des mises au point scientifiques inédits. Contient également: Comptes rendus de publications scientifiques et techniques — Analyses de comptes rendus de recherche — Analyses de brevets indiens — Listes bibliographiques de comptes rendus de recherche édités en Inde — Instruments scientifiques et matériel chimique pour la recherche, etc.

Abonnement annuel : 30 shillings sterling Le numéro : 4 shillings sterling

PUBLICATIONS DIVISION, CS.I.R, Old Mill Road, New Delhi 2, INDE

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L e seul centre dans le m o n d e qui se consacre à la documentation, à l'étude et à la promotion des relations internationales non gouvernementales.

L'UNION DES ASSOCIATIONS INTERNATIONALES palais d 'Egmont , Bruxelles,

publie :

Bulletin O . N . G .

Annuaire des organisations internationales

Répertoire général des pé­riodiques publiés par les organisations internationa­les non gouvernementales

Revue mensuelle de 50 pages; des études; le calendrier des réunions internationales annoncées; une rubrique bibliographique, etc. A b o n n e m e n t : $5.00, ou équivalent.

Publié avec l'assistance du Secrétariat de l ' O . N . U . , plus de 1.000 organisations, 1.227 pages. Prix : $7.00, ou équivalent.

A paraître en juillet 1953. Prix : $2.00, ou équivalent.

2 GRANDS PÉRIODIQUES au service des sciences sociales et politiques

publiés par l'Unesco

LA SOCIOLOGIE CONTEMPORAINE

Bibliographie internationale de sociologie. Instrument de tra­vail et d'information scientifique.

Publication trimestrielle bilingue

Abonnement annuel . 900 fr. Lé numéro . . . 300 fr.

DOCUMENTATION POLITIQUE

INTERNATIONALE Recueil périodique de comptes rendus analytiques d'articles ressortissant aux sciences poli­tiques.

Publication trimestrielle bilingue

Abonnement annuel . 1.400 fr. ' Le numéro . . . 400 fr.

Adresser les demandes d'abonnement à l'agent général de l'Unesco de votre pays. En cas de difficulté, écrire à l'Unesco, 19, avenue Kleber, Parls-10«.

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PUBLICATIONS DE L'UNESCO: AGENTS GENERAUX

A L L E M A G N E Unesco Vertrieb für Deutschland, R. Oldenbourg, M U N I C H .

ARGENTINE Editorial Sud­americana, S. A. , Alslna 500, B U E N O S AIRES.

AUSTRALIE Oxrord university Press 346, Little Collins Street, M E L B O U R N E (Victoria).

AUTRICHE Wilhelm Frlck Verlag, 27 Graben, VIENNE I.

BARBADE (La) S.P.C.K. Bookshop Broad Street, B R I D G E T O W N .

BELGIQUE Librairie Encyclo- . pédlque, 7, rue du Luxembourg, B R U X E L L E S IV.

BOLIVIE Libreria Selecciones, avenida 16 de Julio 216, LA P A Z .

BRESIL Livrarla Agir Editora, rua México 98-B, caixa postal 3291, Rio D E JANEIRO.

CANADA . . Periodica Inc., Centre de publications internationales, 4234, rue de la Roche, M O N T R É A L 34. University or Toronto Press, T O R O N T O .

CEYLAN Lake House Bookshop, The Associated News­papers of Ceylon, Ltd., C O L O M B O I. .

CHILI Libreria Lope de Vega calle Estado 54, SANTIAGO.

CHYPRE M . E Consientinides, P.O. Box 473, • NICOSIA.

COLOMBIE Emilio Royo Martin, • < • Carrera 9a, 1791, - . . BOGOTA. -

COSTA RICA Trejos Hermanos, ' Apartado 1313, SAN JOSÉ. • •

CUBA ' ' . Unesco Centro Regional en el Hemisfero Occidental, calle 5, n° 306, Vedado, Apartado 1350, L A H A V A N E .

D A N E M A R K .. . . EJnar Munksgaard, Ltd., . i 6 Norregade, C O P E N H A G U E K . '

E G Y P T E La Renaissance d'Egypte, 9, rue Adly-Pacha, L E CAIRE.

E Q U A T E U R Casa de la Cultura ' Ecuatoriana, avenida 6 de Diciem­bre 332, Q U I T O .

E S P A G N E Aguilar S.A. de Edi­ciones, Juan Bravo 38, M A D R I D .

ETATS ASSOCIES D U C A M B O D G E , D U LAOS ET D U V I E T - N A M •

Librairie nouvelle Albert Portail, B. P. 283, SAIGON ; Sous-dépôt : K. Chantarith," C.C.R. , 38, rue Van-Vollen-hoven, P I I N O M - P E N H .

E T A T S - U N I S D ' A M E ­RIQUE

•' Columbia University ' . Press, ••• • 2960 Broadway, N E W YORK 27.

FEDERATION MALAISE ET SINGAPOUR

Peter Chong, and. Co . , , ¡., P.O. Box 135,'

- ' ^ S I N G A P O U R . ' - ; • J •'• '•"!''''

FINLANDE Akateeminen Klrja-kauppa, 2 Keskuskatu, HELSINKI.

F O R M O S E The World Book Co. Ltd., 99 Chung King South Rd., TAIPEH. '

F R A N C E Vente au détail : ' • • Librairie de l'Unesco,. C.C.P. Paris 21-27-90; Société générale, compte Publications de l'Unesco, 45, avenue Kleber, P A R I S ; Vente en gros :, Unesco, Division des ventes, 19, avenue Kléber, • PARIS-16«.

G R E C E ' ' • ' • ' . . Elerthéroudakis,

• Librairie Internatio­nale, A T H È N E S .

G U Y A N E NEERLANDAISE Radhaklshun and C , Ltd. (Book Dpt.), Watermolenstraat 36,

PARAMARIBO.

HAITI Librairie « A la Caravelle », 36, rue Roux, B.P. III-6, P O R T - A U - P R I N C E .

HONGRIE Kultura, P.O.B. 149, BUDAPEST 62.

INDE . Orient Longmans, Ltd: Indian Mercantile Chamber, Nicol Rd., B O M B A Y ; 17 Chlttaragan Ave., CALCUTTA; 36-A Mount-Road, M A D R A S . Sous-dépOts : Oxrord Book and Stationery Co., Sclndla House, N E W D E L H I ; Rajkamal Publications, Ltd., Himalaya House, Hornby Rd.,

.. B O M B A Y I. INDONESIE

G.C.T. van Dorp and i; C O . ,

DJ alan Nusantara 22, D J A K A R T A .

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IRAK Me. Keiizie's Bookshop,

. B A G D A D .

ISRAEL Blumstein's Book-storGS 35 Allénby Road, T E L - A V I V .

ITALIE G. C. Sansoni, via Gino Capponi 26, casella postale 552, .

, F L O R E N C E .

JAMAÏQUE Sangster's Book Room 99 Harbour Street, • KINGSTON. Knox Educational Services. SPALDINGS.

JAPON Maruzen Co. Inc., 6 Tori-Nichome, Nlhonbashl, T O K Y O .

JORDANIE Joseph I, Bahous' and Co., Dar nl-Kutub, , Salt Road, A M M A N . ;

LIBAN Librairie Universelle, avenue des Français, B E Y R O U T H .

L U X E M B O U R G Librairie Paul Bruci, 50, Grand-Rue, L U X E M B O U R G .

MADAGASCAR La Librairie de Madagascar, ' TANANARIVE.

M A L T E Sapienza's Library, 26 Kingsway, L A V A L E T T E .

MEXIQUE Dirusora de las publi­caciones de la Unesco, 127, avenida Ejido, Esc. 401, M E X I C O D . F.

NIGERIA C M . S . Bookshoop, • P.O. Box 174, LAGOS.

N O R V E G E A/S Bokhjornet, Stortingsplass 7,

* OSLO.

NOUVELLE-ZELANDE Unesco Publications Centre, 7 De Lacy Street, DUNEDIN, N. E. 2.

PAKISTAN Ferozsons: 60, The Mail, L A H O R E ;

• McLeod Road, K A R A C H I ; 35 The Mail, P E S H A W A R .

P A N A M A ' Agencia Internacional de Publicaciones, Apartado 2052, plaza de Arango n° 3. P A N A M A H. P. .

PAYS-BAS N . V . Martlnus Nijhoir, Lange Voorhout 9. L A H A Y E .

PEROU Libreria Internacional del Perú, Apartado 1417, LIMA.

PHILIPPINES Philippine Education Co. , v , 1104 Castillejos, Qulapo, MANILLE.

PORTO RICO Panamerican Book Co., San Juan 12.

PORTUGAL Publlcaçoes Europa-America, Ltda., 4 rua da Barroca, LISBONNE.

R O Y A U M E - U N I U . M . Stationery ornee, P.O. Box 569, LONDRES, S.E.!.

SENEGAL Librairie « Tous les livres », 30, rue de Thiong, D A K A R .

SUEDE A / B C E . Frltzes Kungl. Hovbokhandel. Fredsgatan 2, S T O C K H O L M 16.

SUISSE ' ' Europa Verlag, 5 Raemlstrasse, ZURICH. Librairie de«l'Univer--sité, case postale 72, FRIBOURG.

SYRIE Librairie universelle,-D A M A S .

TANGER Centre International, 54, rue du Statut. •

TCHECOSLOVAQUIE Orbls, • Národní 37, . P R A G U E 1. '

THAÏLANDE Suksapan Panit, Arkarn 9, Raj-Damnern Avenue,. B A N G K O K . . .

TUNISIE Agence Aghléblte, 20, Grand-Rue, B. P. 2;-. K A I R O U A N . ,

TURQUIE Librairie Hachette, 469, istlklal Caddesi, Beyoglu, ISTANBUL.

UNION BIRMANE Burma Educational . Bookshop, 551-3 Merchant Street, P.O. Box 222, R A N G O O N .

UNION SUD-AFRICAINE-

Van Schalk's Book­store, P.O. Box 724, PRETORIA.

URUGUAY Centro de Cooperación-Cien tinca para América-Latina, Unesco, Bulevar Artigas 1320, MONTEVIDEO.

VENEZUELA Libreria Villecas Venezolana, ' Madrices a Marrón, 2«,. CARACAS.

YOUGOSLAVIE Jugoslavenska Knjiga. Terazije 27/II, B E L G R A D E .

B O N S D E L I V R E S D E L ' U N E S C O Utilisez les Bons de livres de l'Unesco pour l'achat d'ouvrages et de périodiques-a caractère éducatif, scientifique ou culturel. Pour tout renseignement complé­mentaire, s'adresser à: • ' • : ' " ' • •

B O N S D E L I V R E S D E L ' U N E S C O , ' 19, avenue Kléber, Paris 16'-

IMPRIMERIE M . ' BLONDIN. PARIS (France) i Dépôt légal : 2« trimèstre 1953.