immunologie BioQuizz

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REVUE FRANCOPHONE DES LABORATOIRES - JUILLET-AOÛT 2012 - N°444 // 67 Fiche à conserver BIO QUIZZ CAS CLINIQUE Mme R, 65 ans est hospitalisée en hépato-gastro-entérologie pour asthénie et perturba- tion de sa biologie hépatique. Ses antécédents comprennent une hypertension artérielle équilibrée, une insuffisance rénale chronique secondaire à son hypertension ainsi que plusieurs crises de goutte. Elle présente depuis 2 mois une asthénie importante, une anorexie, un prurit diffus et invalidant avec de nombreuses lésions de grattage. À l’examen clinique, on observe également un ictère cutanéo-muqueux. Le bilan biologique met en évidence une cholestase hépatique ictérique avec des phos- phatases alcalines à 682 UI/L (538-126 UI/L), des γGT à 228 UI/L (5-76 UI/L) ainsi qu’une bilirubine totale à 205 µmol/L (1-17 µmol/L) à prédomi- nance conjuguée (161 µmol/L). On note également une cyto- lyse modérée avec ASAT à 117 UI/L (12-37 UI/L) et ALAT à 68 UI/L (11-43 UI/L). Les examens ne montrent pas de signes d’in- suffisance hépato-cellulaire. D’un point de vue immunolo- gique, le tracé immunoélectro- phorétique retrouve une aug- mentation polyclonale isolée des IgM. Une recherche d’anti- corps antinucléaire (AAN) par immunofluorescence directe sur cellules HEp-2 montre l’image suivante. Damien Ali a , Céline Beauvillain a , Pascale Jeannin a , Gilles Renier a , Alain Chevailler a © 2012 – Elsevier Masson SAS – Tous droits réservés. a Laboratoire d’Immunologie et d’Allergologie CHU Angers 49933 Angers cedex 9 * Correspondance [email protected] IMMUNOLOGIE RÉPONSES AU VERSO QUESTIONS 1. Décrivez l’aspect de cette fluorescence. Quels auto-anticorps suspectez- vous ? 2. Quels autres auto-anticorps recherchez-vous alors en IFI et sur quels substrats ? 3. Quels examens complémentaires immunologiques réaliserez-vous afin de confirmer la présence de ce ou ces auto-anticorps ? 4. Les résultats confirmés, quelle pathologie pourrez-vous évoquer ? Figure 1 – IFI sur cellules HEp2 sérum au 1/100 e , conjugué polyvalent couplé au FITC (fluoresceine iso thio cyanate) anti-immunoglobulines humaines. Lecture au microscope à fluorescence équipé en épi illumination (Axioskop, Zeiss). Grossissement × 400. Photo : G Renier.

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Revue FRancophone des LaboRatoiRes - JuiLLet-août 2012 - n°444 // 67

biologie hépatique i technique et biologie i cas clinique i fiche technique i bio-quizz i

fiche à conserver

BioQuizz

Cas Clinique

Mme R, 65 ans est hospitalisée en hépato-gastro-entérologie pour asthénie et perturba-tion de sa biologie hépatique.Ses antécédents comprennent une hypertension artérielle équilibrée, une insuffisance rénale chronique secondaire à son hypertension ainsi que plusieurs crises de goutte.Elle présente depuis 2 mois une asthénie importante, une anorexie, un prurit diffus et invalidant avec de nombreuses lésions de grattage. À l’examen clinique, on observe également un ictère cutanéo-muqueux.Le bilan biologique met en évidence une cholestase hépatique ictérique avec des phos-phatases alcalines à 682 ui/L (538-126 ui/L), des γGT à 228 ui/L (5-76 ui/L) ainsi qu’une bilirubine totale à 205 µmol/L (1-17 µmol/L) à prédomi-nance conjuguée (161 µmol/L). On note également une cyto-lyse modérée avec ASAT à 117 ui/L (12-37 ui/L) et ALAT à 68 ui/L (11-43 ui/L). Les examens ne montrent pas de signes d’in-suffisance hépato-cellulaire.D’un point de vue immunolo-gique, le tracé immunoélectro-phorétique retrouve une aug-mentation polyclonale isolée des igM. une recherche d’anti-corps antinucléaire (AAN) par immunofluorescence directe sur cellules HEp-2 montre l’image suivante.

Damien Ali a,Céline Beauvillain a,Pascale Jeannin a,Gilles Renier a,Alain Chevailler a

© 2012 – Elsevier Masson SAS – Tous droits réservés.

a Laboratoire d’Immunologie et d’AllergologieCHU Angers49933 Angers cedex 9

* [email protected]

immunologie

réponses au verso

questions

1. Décrivez l’aspect de cette fluorescence. Quels auto-anticorps suspectez- vous ?

2. Quels autres auto-anticorps recherchez-vous alors en IFI et sur quels substrats ?

3. Quels examens complémentaires immunologiques réaliserez-vous afin de confirmer la présence de ce ou ces auto-anticorps ?

4. Les résultats confirmés, quelle pathologie pourrez-vous évoquer ?

Figure 1 – IFI sur cellules HEp2 sérum au 1/100e, conjugué polyvalent couplé au FITC (fluoresceine iso thio cyanate) anti-immunoglobulines humaines.

Lecture au microscope à fluorescence équipé en épi illumination (Axioskop, zeiss). Grossissement × 400. Photo : G Renier.

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Réponses

On observe sur les cellules HEp-2 en interphase un marquage cerclé du noyau. La présence de plis apparaissant en positif, et non en négatif comme dans aspect homogène, confirme que cette fluorescence concerne la membrane nucléaire ; et son aspect granulaire plutôt que lisse, évoque la présence d’auto-anticorps dirigés contre des protéines constitutives des pores de cette membrane. Les pores nucléaires sont des complexes moléculaires responsables du transport nucléo-cytoplasmique : ils per-mettent l’entrée de protéines dans le noyau ainsi que le passage des ARN ribosomaux et messagers vers le cytoplasme. Parmi les protéines constituant ces pores nucléaires, la gp 210 est connue pour être la cible d’auto-anticorps donnant cet aspect de fluorescence caractéristique [1]. Cette glycoprotéine de 210 kDa, localisée à la jonction des membranes nucléaires internes et externes, assure l’ancrage du complexe moléculaire. Elle peut être divisée en trois parties avec tout d’abord, à l’extrémité N-terminale un domaine constitué de 1 783 acides aminés, localisé dans la lumière de la citerne périnucléaire (entre les membranes interne et externe). Vient ensuite une région transmembranaire puis un segment de 58 acides aminés cytoplasmiques faisant face au pore nucléaire et correspondant à l’extrémité C-terminale [2]. Les auto-anticorps anti-gp 210 sont dirigés préférentielle-ment contre une séquence de 15 acides aminés situés à l’extrémité C-terminale de la protéine. un autre épitope se situe dans la partie N-terminale [3].

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Après observation de ce marquage ponctué de la membrane nucléaire, on s’attachera à rechercher la présence d’auto-anticorps anti-mitochondries de type M2 en iFi sur ces mêmes cellules HEp-2. Ces anticorps anti-mitochondries sont fréquemment asso-ciés aux anti-gp 210 et donnent sur cellules HEp-2 une fluorescence cytoplasmique granulaire avec des granulations de tailles moyennes à prédominance périnucléaire et qui forment des chaînettes en périphérie [4].Les auto-anticorps anti-M2 pourront ensuite être recherchés sur coupes d’organes (estomac, foie et rein) de rat. Leur présence se traduit par une fluorescence granitée ; celle-ci est uniforme et diffuse sur le foie, très dense sur les cellules pariétales des glandes gastriques et dispersée sur les cellules principales, et au niveau du rein plus dense sur les tubules proximaux que sur les tubules distaux et dispersée dans les glomérules [2, 4]. À noter par ailleurs que ce substrat n’est pas adapté à la recherche des anticorps anti-gp 210.

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La présence d’anticorps anti-gp 210 et potentiellement d’anti-mitochondries de type M2 sera confirmée par la réalisation d’un immunodot. Ce test en phase solide utilise des antigènes ou fragments d’antigènes purifiés, synthétiques ou recombinants selon les fournisseurs, par exemple une protéine gp 210 recombinante d’origine humaine et les sous-unités E2 de la pyruvate deshy-drogénase, de l’oxoglutarate deshydrogénase et de la 2-oxoacide deshydrogénase, cibles antigéniques majeures des anticorps anti-mitochondries. il existe également des tests ELiSA permettant de confirmer la présence des anti-gp 210.

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Références[1] invernizzi P, Wesierska-Gadek J, 25 - Nuclear envelope protein autoanti-bodies/antilamin autoantibodies, in: Shoenfeld Y, Gershwin ME, Meroni PL, Editor(s), Autoantibodies (Second Edition), Elsevier, Burlington, 2007:191-6.

[2] Pham BN, et al. Maladies auto-immunes du foie, Cahier de formation Biologie médicale n° 37, Bioforma, Paris, 2006.

[3] Nickowitz RE, Worman HJ. Autoantibodies from patients with primary biliary cirrhosis recognize a restricted region within the cytoplasmic tail of nuclear pore

membrane glycoprotein Gp210. J Exp Med 1993;178(6):2237-42.

[4] Pailhories H, Beauvillain C, Jeannin P, Renier G, Chevailler A. Bioquizz

immunologie. Rev Fr Lab 2009;415:89-90.

[5] Poupon R. Primary biliary cirrhosis: A 2010 update. J Hepatol 2010;52(5):745-

58.

[6] Wesierska-Gadek J, Penner E, Battezzati PM, Selmi C, zuin M, Hitchman E,

et al. Correlation of initial autoantibody profile and clinical outcome in primary

biliary cirrhosis. Hepatology 2006;43:1135-44.

La présence d’anticorps anti-gp 210 est hautement spécifique (à hauteur de 99 %) de la cirrhose biliaire primitive (CBP). Ces anticorps sont retrouvés dans 25 % des cas de CBP, ils sont un argument diagnostique important en faveur de cette pathologie notamment lorsque la recherche d’anticorps anti-mitochondries est négative ce qui est le cas chez moins de 10 % des patients.La CBP est une affection chronique, lentement progressive, auto-immune qui affecte principalement les femmes (ration de 9:1) à partir de 40 ans. Elle serait due aussi bien à des facteurs génétiques qu’environnementaux (agents infectieux et xénobiotiques) [5]. Son diagnostic de certitude nécessite l’association d’un syndrome de cholestase, la détection d’anticorps anti-M2 ou anti-gp 210 et un aspect de cholangite destructrice non suppurée en histologie. La présence de deux de ces critères permet un diagnostic probable de la maladie. ici, les autres éléments clinico-biologiques de la patiente concordent parfaitement avec ce diagnostic, dont l’augmentation polyclonale isolée des igM.En pratique courante, la présence d’anticorps anti-gp 210 est fréquemment masquée par la fluorescence qu’entraînent les anticorps anti-M2. Cependant, les anticorps anti-gp 210 pourraient avoir une importance prépondérante dans le diagnostic et le suivi de la maladie car ils semblent être en corrélation avec une évolution plus rapide de la pathologie ainsi qu’à un mauvais pronostic [6], et voir le cas clinique de Magali Gautier et Sophie Desplat-Jégo dans ce numéro.

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