IMMERSION VERPILLOT Natacha

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L’Eco - Solidaire Du 30 mai au 3 juin 2011 Jardin d’avenir : Un tremplin vers l’emploi

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Jardin d’avenir : Un tremplin vers l’emploi Du 30 mai au 3 juin 2011 7 ENTRETIEN Amandine Fournier, accompagnatrice socioprofessionnelle 8 PORTRAITS 8 Nour Eddine 9 Sandrine 6 BREVES 2 L’EDITORIAL DE NATACHA VERPILLOT Rédaction, maquette et crédits photos : Natacha Verpillot Siège social : ISCPA - 47, rue Sergent Michel Berthet 69009 Lyon

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L’Eco - SolidaireDu 30 mai au 3 juin 2011

Jardin d’avenir : Un tremplin vers l’emploi

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ESPOIREmotion. C’est le premier mot qui me vient à l’esprit pour définir mon immersion. En intégrant cette communauté, je n’avais pas la moindre idée de l’accueil qui me serait réservé, ni si ces gens très souvent porteurs d’une histoire lourde s’ouvriraient à moi, s’ils allaient m’accepter. La seule chose dont j’étais certaine c’est que moi je les accepterais qu’importe leur situation, leur passé et leur précarité. Une des raisons qui m’a poussé à faire mon immersion au sein de ce jardin, c’est l’intérêt que je porte à l’histoire des gens. J’avais envie de découvrir ce qui leur était arrivé, pourquoi ils étaient dans une situation si précaire.

Ce que j’y ai trouvé n’a pas de prix. Des gens généreux, souriants et surtout simples. On est trop souvent enchevêtré dans notre propre existence et dans des discours de gens gâtés. Etre avec des personnes sans chichis et au grand coeur a eu l’effet d’un tranquillisant. Tellement que je m’y suis immédiatement sentie à l’aise. Même l’un des plus renfermé m’a confié son histoire sans que je l’y ait invité. C’est là que j’ai compris que j’avais réussi à les mettre en confiance.

J’ai entendu des histoires bouleversantes, tellement que j’ai enfin regardé ma propre existence avec un regard nouveau. Cette existence qu’il me plaît tant de critiquer d’habitude. Je me suis dis «Ma grande, t’es pas mal lotie finalement». Là-bas, ce n’est pas seulement des choses à coucher sur un papier que j’ai trouvé, mais une nouvelle vision des gens démunis. Comme m’a dit l’un d’eux « tu m’apportes quelque chose en venant ici, je t’apporte aussi quelque chose » ou encore un autre qui m’a confié que de « m’avoir raconté son histoire lui avait fait l’effet d’une thérapie ».

Heureusement que ces jardins existent, qu’ils donnent une chance à des gens qui se croyaient foutus ! Parce qu’en réalité, je n’étais pas venu chercher grand-chose là-bas, si ce n’est de la matière pour un reportage. Et en fait ce que j’y ai trouvé, c’est ce que l’on appelle l’espoir !

L’EDITORIAL DE NATACHA VERPILLOT SOMMAIRE 2 L’éditorial de Natacha Verpillot

3 REPORTAGE Jardin d’Avenir : L’insertion par le maraîchage

6 BREVES

7 ENTRETIEN Amandine Fournier, accompagnatrice socioprofessionnelle

8 PORTRAITS 8 Nour Eddine 9 Sandrine

Rédaction, maquette et crédits photos : Natacha VerpillotSiège social : ISCPA - 47, rue Sergent Michel Berthet 69009 Lyon

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REPORTAGE

Ils cultivent l’avenir

Cultiver notre jardin» disait Voltaire dans son conte philosophique par la voix de

son personnage Candide. Une morale que l’on pourrait aisément appliquer aux seize salariés du Jardin d’Avenir. Se reconstruire par le travail. Ils sont tous des hommes et des femmes de tout âge dans une situation précaire. Leur point commun : ils sont tous demandeurs d’emploi. Bénéficiaires du RSA, personnes sans revenus ou même sans domicile, chômeurs, ils travaillent tous au Jardin d’Avenir avec un objectif final, trouver un emploi durable à la fin de leur contrat aidé dans cette exploitation agricole biologique, affiliée au Réseau des Jardins de Cocagne. Mais plus qu’un travail et un salaire, ils sont venus pour se reconstuire, sortir de l’isolement et résoudre leurs difficultés administratives, sociales

ou de santé. Au Jardin d’Avenir, ils réapprennent à respecter un rythme de travail et à échanger. Accompagnés et encouragés par six encadrants de l’association, ils sont soutenus dans leurs démarches professionnelles et personnelles. Le but : leur donner tous les atouts nécessaires pour à terme trouver un emploi durable. C’est dans la commune de Saint-Martin-en-Haut , dans les Monts du Lyonnais, que s’étend sur six hectares cette exploitation maraîchère biologique. Bien plus qu’un domaine agricole traditionnel, Jardin d’Avenir est un chantier d’insertion dont l’activité principale, le jardinage, a pour vocation l’insertion sociale et professionelle. «Ici, ils remontent une pente douce où ils se resocialisent, ils retrouvent un cadre, ils ont des collègues de travail. On les aide à retrouver confiance en eux, à rompre

l’isolement» explique Guy Palluy, directeur de Jardin d’Avenir, à Saint-Martin-en-Haut depuis juin 2010.

Mettre la main à la patteAu Jardin d’Avenir, le coeur du sys-tème réside dans le maraîchage. C’est par ce biais, qui demande beaucoup de main d’oeuvre, que les salariés, qualifiés ici de «jardiniers», doivent apprendre à se refamiliariser avec le travail. Cinq jours par semaine, les seize jardiniers doivent être à pied d’oeuvre. Le fruit de leur effort, à savoir la récolte, est ensuite réparti dans des paniers, qui doivent conte-nir au moins cinq légumes différents, vendus aux adhérents-consomma-teurs de l’association. Une obligation qui demande une certaine producti-vité. Chaque matin, à 8 heures, ils se ras-semblent devant le tableau où les maraîchers encadrants distribuent à des binômes les tâches qu’ils doivent exécuter. De la plantation à la confection des paniers, en pas-sant par le ramassage des produits et le désherbage, l’équipe, encadrée par deux maraîchers, Silva et Jean-Yves, doit mettre le pied à l’étrier. Pendant que certains suspendent les tomates, d’autres désherbent le pré

Seize jardiniers en contrats aidés venus pour retrouver une vie sociale, le goût du travail et vaincre l’isolement ou la maladie. Pour les accompagner vers un emploi durable, six encadrants de l’association Jardin d’Avenir les aident à résoudre leurs difficultés et reprendre doucement un rythme de travail au travers de l’agriculture biologique. Reportage.

Au centre, Silva, maraîcher encadrant, explique aux jardiniers comment suspendre les tomates

Silva, maraîcher encadrant, explique la technique du désherbage à deux jardiniers.

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appelé ici «Terre du soleil». Deux se chargent de récupérer les oeufs des poules et de leur donner de l’eau. Les courgettes et les blettes ont été arra-chées. Ce sera prochainement le tour des carottes et des tomates. Cependant, pas si simple pour cer-tains de reprendre un rythme de tra-vail régulier. Ainsi, les retards et les absences sont assez fréquents. Même constat concernant la productivité. «Il y a souvent un décalage entre la perception qu’ils ont du travail qu’ils ont fait et ce qu’on pourrait leur fixer comme objectif dans une entreprise traditionnelle», explique Guy Palluy. D’autant plus que les contrats ne sont que de 24 ou 26 heures par semaine, une quantité de temps de travail très éloignée des 35 heures requises sur le marché du travail classique. «Il faut qu’ils comprennent que Jardin d’Ave-nir, ce n’est qu’un tremplin et qu’ils sont à mi-temps. Dans une entreprise classique, on travaille toute la jour-née», insiste Christine, l’encadrante chargée de la commercialisation des paniers de légumes. Même s’ils s’ac-cordent tous pour dire qu’il ne faut pas trop les bousculer, Guy Palluy avoue qu’il doit «les recadrer, c’est un peu mon rôle, surtout lors d’absence et de retards». Mais si le directeur de l’association prend ce rôle à coeur c’est parce qu’il a conscience qu’en les cadrant il leur rend service «pour les préparer à la vie active». D’autant plus que certains n’ont jamais tra-vaillé.

S’il est important de les brieffer, c’est aus-si parce qu’il faut que chaque semaine, les 170 familles adhé-rentes doivent avoir un panier rempli.

Se reconstruire«Je me suis remis à dialoguer et j’essaie de remettre le pied à l’étrier». Denis est l’un des seize jardiniers de Jardin d’Avenir. A son arrivée, il était c o m p l è t e m e n t renfermé. A 47 ans,

Denis a décidé de s’affranchir de sa solitude. Ce grand mince au visage marqué a tout perdu du jour au lendemain à cause de son alcoolisme. La première conséquence s’est traduite par la perte de son emploi, un poste qu’il avait depuis vingt ans dans une fabrique de circuits imprimés à Gerland. Et comme une galère n’arrive jamais seule, son addiction lui a valu le retrait de son permis. Contraint de partir de la maison de ses parents dans laquelle il séjournait, il trouve un logement à Saint-Symphorien-sur-Coise. Un village des Monts du Lyonnais où il n’a pas la moindre attache. En quelques mois, Denis s’est retrouvé seul, sans emploi et sans repères. Seul avec sa bouteille d’alcool, il s’est muré dans le silence. Au Jardin d’Avenir, il réapprend à avoir des contacts avec les autres, à se reconstruire et à se responsabiliser. L’environnement de Denis, c’est la dépendance, d’ailleurs il se repose constamment sur les autres. Pour qu’il acquiert une certaine autonomie, Jardin d’Avenir lui donne régulièrement des tâches à effectuer seul. Une disposition prise en équipe par les encadrants pour l’aider à surmonter ses problèmes et pour qu’il ait un jour la chance d’être de nouveau embauché. Ici, chacun vient avec son lot de problèmes, avec des besoins différents mais ont tous un objectif commun : trouver un travail. Pourtant, lorsqu’on les

interroge sur leurs souhaits d’avenir et leurs besoins, c’est la recherche d’une vie sociale qui prend le pas sur l’argent et le travail. Certains viennent pour retrouver un équilibre au niveau du travail, de l’alimentation et des heures de sommeil ou encore avoir une activité dans leur journée, tester leurs capacités physiques. Des nécessités qui traduisent l’isolement dans lequel se trouve ces personnes. Un retour sur le marché du travail ordinaire demande une préparation. Des conditions indispensables doivent être remplies pour accéder à un emploi stable. A commencer par se demander comment je peux me réapproprier ma vie, comment je peux redevenir serein. Et puis il y a Les besoins auquels il faut subvenir lors de son contrat au Jardin, différents selon les personnes : préparer et obtenir le permis de conduire, organiser la garde des enfants, régler des ennuis administratifs, se soigner ou encore préparer une formation. Au Jardin d’Avenir, on cultive son avenir, mais l’avenir passe par une reconstruction de soi-même au présent.

Chacun son histoireAu jardin d’Avenir, chacun vient avec

Les jardiniers travaillent en équipe sur une tâche particulière chaque jour. Sandrine et Mehdi s’occupent de suspendre les tomates.

Silva contrôle si les jardiniers font bien leur travail. Michel vient de ramasser les courgettes pour les paniers des adhérents.

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sa propre histoire, une histoire parfois dure à porter et qui les handicape pour trouver ou garder un travail. Des personnes qui très souvent ont été exclues, marginalisées.Au rayon des écorchés de la vie, on retrouve des gens au passé trouble comme Nour Eddine qui a du faire face à une maladie psychotique toute sa vie (cf Portrait) tandis qu’Alexandra vit dans l’illusion permanente,.Bipolaire, elle est toujours éloignée des réalités et ne se rend pas compte de ses difficultés. Certains ont tout simplement immigrés récemment, c’est le cas d’Amir, âgé de 20 ans, qui est venu il y a deux ans du Kosovo pour se marier avec une Française. Une femme qu’il ne connaissait que virtuellement. Il tchatait avec elle depuis des années. Un mariage qui lui a permit d’obtenir la nationalité française. «Je suis venu en France sans réfléchir, je ne parlais pas un mot de français et lorsque je suis arrivée, je me suis reclu chez moi». Cela fait cinq mois qu’Amir travaille au Jardin d’Avenir et déjà il ressent les réels progrès qu’il a fait en français. Une amélioration due aux échanges avec les autres jardiniers et l’équipe encadrant.

Des attentes «Quelques soient les attentes des personnes qui bénéficient de cette expérience, ils trouvent une écoute

attentive, des gens intéressés par leur parcours, qui veillent à ce que tout se passe bien. Ils y trouvent un certain confort et peuvent ainsi se projeter vers d’autres choses», souligne Amandine Fournier, accompagnatrice socioprofessionnelle au Jardin d’Avenir. Dans cette exploitation, on crée du lien social dû à la proximité entre les personnes investies. Le travail des encadrants est aussi de détecter les problèmes qui les empêchent d’accéder à l’emploi et de leur apporter leur aide par le biais d’entretiens tous les quinze jours et d’aides aux démarches. Plusieurs choses sont mises en place pour les accompagner au mieux. «Jardin d’Avenir, c’est le reflet des difficultés de la vie», résume Silva, maraîcher encadrant. Tandis que pour Guy Palluy, il l’assimile à «une palette des écorchés vifs». Mais rien n’est définitif. Ils sont d’abord épauler dans leurs problèmes liés à l’administration, au logement et à la santé. Puis, tout un travail est réalisé autour du projet professionnel.Certains ont déjà un projet fixe et il n’en démorde pas. «Je les encourage à suivre cette voie, mais je les incite aussi à avoir un plan B au cas où il ne se concrétiserait pas», explique Amandine Fournier. Si l’objectif n’est pas de les former pour être maraîcher, certains ont pour projet de poursuivre dans cette voie comme Sandrine qui déjà avant

son arrivée voulait avoir sa propre installation en agriculture biologique. (Cf Portrait). Mendy avait aussi un projet vissé à son arrivée. Elle désirait être assistante maternelle. Mais en attendant de repasser une nouvelle fois son diplôme pour exercer après deux échecs, elle a postulée au Jardin d’Avenir, par défaut. Une révélation. Mendy s’est prise de passion pour le jardinage. A tel point qu’elle a acheté un terrain où elle fait ses propres plantations. Jardin d’Avenir a donné un nouvel élan à son dessein. Elle a pour ambition d’éduquer prochainement des enfants au jardinage. Mais pour la plupart, ils arrivent ici sans avoir la moindre idée précise et dans ces cas là tout est à construire.

Leur donner toutes les clésPour leur permettre d’avoir en main tous les atouts pour retrouver un emploi convenable sur le marché dit «ordinaire» du travail, les encadrants du Jardin d’Avenir poussent leurs salariés à effectuer des stages en entreprise. Adge en a bénéficié, il est parti une semaine travailler en maçonnerie. Il doit désormais attendre de savoir s’il a une chance d’être embauché à la fin de son contrat au Jardin. L’association accueille aussi des jeunes peu qualifiés. Joyce a 20 ans. Grand métisse, au look de rappeur américain, il semble sûr de lui, Quel financement ?Le budget de l’association s’élève à 400 000 euros par an. Il est financé par différents acteurs. 30% pro-vient du chiffre d’affaire réalisé par la vente des paniers aux adhérents-consommateurs et une partie émane du remboursement des salaires du fait des contrats aidés. Le budget est aussi assumé à hauteur de 10% par la Région, 3,5% par l’Etat, 3% par le PLI et 4,25% par les conseils géné-raux du Rhône et de la Loire. Jardin d’Avenir devrait recevoir prochai-nement le soutien de l’Europe au travers d’un Fonds social européen, une solution pour équilibrer le bud-get. Au vu de l’insuffisance des aides, l’association n’a d’autre choix que de recourir à des sociétés privées pour pallier ce manque.

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sociable mais ce n’est qu’une façade. En réalité, Joyce est très angoissé et discret. Il n’a pas de grande motiva-tion. Quand il n’est pas au Jardin, il sort peu, reste beaucoup chez lui en compagnie de sa petite amie. A quatre reprises, il a refusé des stages que l’accompagnatrice, Amandine, lui proposait. Son seul souhait à sa sortie : faire des jobs en intérim. Les encadrants se concertent pour trou-ver des solutions pour lui donner l’envie d’un avenir plus reluisant. «Au début, lorsque je n’arrivait pas à aider quelqu’un ou qu’il partait sans rien. Je le ressentais comme un échec personnel. Puis, avec l’expérience, on prend plus de recul, on se dit que ce n’était peut être tout simplement pas le bon moment», confie Amandine. Mehdi est encore plus jeune, il a 17 ans. Issu d’une famille nombreuse, il pense que son rôle est de participer financièrement dans sa famille. Un avis que ne partage pas le directeur de Jardin d’Avenir, Guy Palluy. «Mehdi est très jeune. J’essaie de le pousser à faire une formation. Il faut qu’il com-prenne que ce n’est pas à lui de sub-venir aux besoins de sa famille». Une possibilité que l’adolescent n’envi-sage toujours pas malgré l’insistance des encadrants.Les après-midi sont aussi l’occasion pour les jardiniers d’en profiter pour faire leurs démarches profession-nelles. Une opportunité encore trop négligée, d’après les encadrants. Pourtant, Amandine est disponible pour les aider à réaliser leurs CV et lettres de motivation.

Contrats aidés et obligation de résul-tatsQui dit contrats aidés, dit exigences de quotas. Comme ces contrats sont le fruit de politiques nationales, les chantiers d’insertion comme Jar-din d’Avenir doivent répondre à des objectifs que l’Etat leur impose notamment sur le nombre de sor-ties positives. C’est à dire que 50% des personnes doivent décrocher un CDI, un CDD ou une formation dont 22% d’emplois dit durables, à savoir des CDD de plus de six mois. Mais ce ne sont pas les seules exigences, les résultats sont imposés aussi pour les embauches, par exemple, ils doivent recrutés au moins 50% de personnes touchant des minimas sociaux, les ateliers de recherche d’emploi, le nombre de stages acceptés, les visites d’entreprises programmées etc. Des

exigences de quotas critiquées par l’équipe de Jardin d’Avenir. «La meil-leure ouverture sur le monde exté-rieur, la confiance en soi, la meilleure connaissance d’un métier ne sont pas prises en compte parmi les cri-tères quantifiés», proteste Amandine Fournier. De même, il faut souligner que dans la majeure partie des cas, il est difficile de déboucher sur un emploi, six mois ou un an plus tard. «Un parcours d’insertion dure beau-coup plus longtemps !», explique Guy Palluy. Mais ce n’est pas tout, l’équipe encadrante affirme que les quotas n’ont pas changé malgré la crise de 2008 où des milliers d’emplois ont été supprimés. «Avec la crise, les profils sont plus lourds qu’en temps normal, le chômage dure plus long-temps et le moral des personnes est donc en berne», explique Guy Palluy. Du coup, dans un souci de satisfaire les ratios imposés, ils sont obligés de recruter des personnes qui «tiennent plus la route». C’est pour cette raison que Jardin d’Avenir a engagé des gens comme Marie. Elle a déjà démarré son projet : la culture de safran. En attendant qu’elle obtienne des ré-sultats et qu’elle passe la période difficile des débuts, Guy Palluy a dé-cidé de l’embaucher. «Elle renforce l’équipe. C’est du donnant-donnant. Elle nous aide et nous on lui paie un salaire le temps que son exploitation prenne du galon», souligne le direc-teur de Jardin d’Avenir. Parce que les sorties de ces salariés en insertion ne sont pas toujours dynamiques, pour la plupart ils ont complètement per-du l’habitude de travailler ou ils n’ont même jamais commencé. Au Jardin d’Avenir, comme dans tous les Jardins de Cocagne, économie, développement durable, social et al-truisme se marient parfaitement.

BREVES

• QUI VEUT UN PANIER BIO ?

Chaque semaine en échange de 15 euros, les adhérents-consom-mateurs reçoivent leur panier de légumes bio cultivés par les jardi-niers. Les adhérents ignorent quels légumes ils trouveront dans leurs paniers. En revanche, il y a toujours au moins cinq légumes différents. Un concept qui plaît. Marie-Hélène, adhérente au Jardin d’Avenir, confie d’ailleurs qu’elle a l’impression qu’on lui offre un cadeau chaque semaine. A noter, que les paniers peuvent être livrés sur plusieurs communes des Monts du Lyonnais par les maraî-chers encadrants.

• PARTAGER UN REPAS

Le jeudi, c’est la journée où l’on partage un repas entre jardiniers et encadrants au Jardin d’Avenir. Pour ce déjeuner, deux salariés sont dési-gnés pour préparer un repas équili-bré avec l’aide d’un encadrant, gérer le budget courses puisque chacun doit participer à hauteur de 2 euros. Un repas banal ? Pas tant que ça, c’est l’occasion pour toute l’équipe de se retrouver, d’échanger, de livrer ses impressions et de savourer un repas fait par deux d’entre eux. Un moment chaleureux qui ne se dé-roule qu’une fois par semaine et que les jardiniers attendent avec impa-tience.

Que dire du Réseau Cocagne ? La démarche de fonder le Réseau Cocagne a été amorcée dans les années 1990. Une initiative qui a pour vocation de rompre l’isolement des personnes, de favoriser la cohésion sociale et la mobilisation citoyenne. Ce réseau prend son inspiration dans un modèle suisse enrichi d’un volet social. Le premier jardin de Cocagne a vu le jour en 1991 à Chazeule dans le Doubs. En 2011, il regroupe plus de 100 jardins en activité et 15 sont en projet. 3500 personnes par an sont embauchés en contrat aidé et restent en moyenne un an. On dénombre 20 000 familles adhérentes, 1500 bénévoles et 600 encadrants. L’association Jardin d’Avenir a été créée en 2005 et est rattachée au Jardins de Cocagne. Elle compte 200 adhérents dont 170 bénéficient d’un panier de légumes hebdomadaire. Les familles adhèrent en priorité pour avoir des lé-gumes locaux et bios mais comme le dit Guy Palluy «L’insertion, c’est la cerise sur le gâteau».

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ENTRETIEN«Si la santé, le logement, la mobilité ne sont pas

effectifs, on ne peut pas trouver d’emploi»Amandine Fournier est accompagnatrice socioprofessionnelle affiliée au Jardin d’Avenir. Son rôle : détecter les freins à l’employabilité des personnes salariées au Jardin et les accompa-gner dans leurs démarches professionnelles et sociales. L’Eco-Solidaire : Quels sont les pro-fils types des personnes qui viennent en insertion dans les Jardins de Co-cagne? Amandine Fournier : Ce qu’ils ont tous en commun, c’est qu’ils sont tous au chômage depuis plus ou moins longtemps. Après, en amont, il y a des parcours différents. Certaines personnes qui entrent ici ont déjà eu un parcours professionnel et ont connu à un moment donné une rup-ture dans ce parcours liée soit à des licenciements économiques, soit à des licenciements dus à des compor-tements qui ne fonctionnaient pas. D’autres ont eu des parcours profes-sionnels saccadés. Ils ont enchaînés des petits boulots, mais sans jamais réussir à se faire embaucher dans une entreprise. Enfin des personnes n’ont aussi aucune expérience profession-nelle ou très peu. Du coup, ici c’est un peu un apprentissage de ce qu’est la vie en entreprise sachant que c’est un apprentissage de première étape puisqu’ici les salariés travaillent 24 heures et c’est très loin des 35 heures habituelles. C’est pourquoi on essaye d’être très vigilant pour ne pas qu’ils s’en servent comme un modèle de travail. Il existe aussi des différences de parcours au niveau administratif. Certains ont des ressources dues à des ASSEDIC, d’autres ont des mini-mas sociaux, le RSA, ou des alloca-tions d’aides spécifiques.

Quelles sont les aides que vous leur apportez? Quand ces personnes arrivent au Jardin d’Avenir, on essaye de repé-rer où sont leurs difficultés et ce qui a pu les freiner. Il peut y avoir pleins de choses : des problématiques de santé physique comme des maux de dos, un bras qui ne marche plus, ou mentale comme de la dépression mais aussi des maladies mentales.

Ça peut aussi être des problèmes so-ciaux comme la toxicomanie, l’alcoo-lisme, la rupture familiale etc. Après notre boulot, c’est de faire leur dia-gnostic par rapport à leur compor-tement au travail. Tous les jours, on voit comment ils réagissent à telle situation et nous, derrière, ça nous permet d’établir un diagnostic assez fin et précis. Les complications que l’on repère s’étendent de la difficulté à gérer leurs émotions à la difficulté

de comprendre les consignes, ce qui est souvent dû à un retard mental. Ce diagnostic intervient au bout du pre-mier mois de travail. A la suite duquel on leur demande de nous proposer les grands axes sur lesquels ils aime-raient travailler quand ils sont au jar-din, à savoir le travail sur le projet de vie et le projet social. Du coup, pour certains cela se traduit par des stages en entreprise. Au niveau social, des personnes sont à la recherche d’un nouveau logement, ou sont en cours de traitement d’une maladie ou en-core certains veulent travailler sur leur mobilité. Si la santé, le logement, la mobilité ne sont pas effectifs, on ne peut pas trouver d’emploi. On essaye

de mettre en place des choses. Par exemple, Joyce, un jeune de 20 ans, va au code tous les mercredis matins au lieu de venir au travail. Un moyen de l’aider à obtenir son permis. Aussi, je les reçois tous les 15 jours en entretien pour faire le point sur la manière dont ça se passe au Jardin et un point sur l’aspect social. On attend que les problèmes administratifs et sociaux soient réglés et on travaille sur le projet professionnel. L’idée, c’est qu’ils aillent sur internet, qu’ils cherchent des entreprises qui leur plaisent, qu’ils les contactent et qu’ils aillent faire un stage là-bas. Et pour ceux qui sont proches de l’emploi, on cherche des offres sur internet, on fait des CV, des lettres de motivation et des simulations d’entretiens d’em-bauche.

Comment sont-ils recrutés? On a besoin d’un agrément du pôle emploi puisque l’on est financé en majeure partie par l’Etat dans le cadre de la politique contre les exclu-sions. C’est donc le pôle emploi qui nous envoie des candidatures de per-sonnes. Pour certains, c’est trop tôt, puisqu’ils ont de grandes difficultés de logement et de santé donc ils ne peuvent pas encore travailler. Ceux qui en sont capable viennent chez nous se refaire une santé et repartent sur de bonnes bases. Les personnes ayant de grandes compétences ne sont pas admises chez nous ! Il y a une très nette différente entre une personne au chômage à cause d’un accident de la vie mais totalement en mesure de se retrouver par elle-même un emploi et celle au chômage et qui est marginalisée, exclue. C’est aussi tous les travailleurs sociaux du coin qui nous amènent des gens puisqu’ils les connaissent bien.

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PORTRAIT

Reconstruction psychiqueJardinier au Jardin d’Avenir depuis six mois, Nour Eddine a du apprendre à compiler avec la maladie pendant des années. Il est maintenant déterminé à se reconstruire et à prendre sa vie en main.

« Ce travail m’a permis de me réappro-prier qui j’étais et d’avoir un meilleur équilibre. Cela m’a aidé à me resocia-liser, à reprendre confiance en moi au niveau du travail mais aussi à me responsabiliser et être autonome du point de vue du travail, de l’alimenta-tion et du sommeil ». Nour Eddine est en contrat aidé au Jardin d’Avenir de-puis 6 mois. Cette semaine, il a renou-velé son contrat parce qu’ici « chacun vient avec son lot de problèmes, son parcours de vie semé d’embûches. Mais le respect est toujours de mise ici. On se sent à l’aise ». A 47 ans, cet homme sociable et bavard semble avoir la tête parfaitement sur les épaules. Mais Nour Eddine a large-ment gagné sa place parmi les 15 autres jardiniers. Nourredine a un lourd passé psychologique. Schizoph-rène, il a passé près de 17 ans dans un établissement psychiatrique lyonnais en ambulatoire. Mais pour lui, c’est du pareil au même. Sous traitement depuis qu’il a 22 ans, il a l’impression d’être sans cesse dans une « cami-sole chimique ».

« Comme une renaissance »Aujourd’hui Nour Eddine, cet al-gérien aux traits rieurs, atteste connaître sa maladie et avoir appris à la maîtriser et à vivre avec. Marié et père de quatre enfants, Nour Eddine a décidé de se prendre en main après trois ans de chômage. Il n’a jamais vraiment eu d’emploi durable mais a enchaîné des petits boulots de technicien de surface entre deux séjours hospitaliers. « Je me renfermais sur moi-même. J’ai commencé à chercher du tra-vail pour trouver un équilibre psy-chologique, pour être comme tout le monde et j’ai découvert Jardin d’Avenir ». C’est dans une antenne de pôle emploi à Chazelles-sur-

Lyon, la ville où il habite avec sa fa-mille, qu’il se rend l’an dernier pour trouver un emploi. Il est aiguillé vers Jardin d’Avenir où il est recruté. Au début, Nour Eddine a peur de ne pas être à la hauteur, pense que l’agricul-ture est un travail très fatiguant, puis il s’est rendu compte qu’il en était ca-pable. « Quand je réussissais quelque chose, à chaque fois je ressentais une telle satisfaction que c’était comme une renaissance ».

Aider son prochainNé en Algérie, il immigre en France à l’âge de trois ans. Issu d’une famille de huit enfants, son père était chauf-feur livreur et sa mère s’occupait des personnes malades. Nour Eddine a hérité de ce côté humain et social de sa mère. De ce fait, il a un projet précis. Il aimerait travailler dans une épicerie solidaire qui devrait ouvrir prochainement dans les Monts du Lyonnais. Une épicerie où les ali-ments sont vendus à un prix en cor-

rélation avec le revenu faible de ses clients. Le reste étant financé par des organismes solidaires. Nour Eddine est convaincu qu’il a quelque chose à apporter aux autres. « J’ai touché le fond et j’ai remonté la pente plusieurs fois. Je pourrais donc les éclairer et faire en sorte qu’ils soient compris. Pour comprendre une brûlure, il faut s’être déjà brûlé soi-même ». Nour Eddine est aujourd’hui dans une phase de reconstruction, une initiative qu’il a prise de son propre chef pour triompher de la maladie et montrer de quoi il est capable. « Je suis un battant, je ne lâcherais pas prise ». En attendant d’atteindre son but final, le quadragénaire continue d’afficher une mine joviale et d’aller chaque jour s’occuper des poules du Jardin d’Avenir, en rêvant du jour où il aidera à son tour les personnes en difficulté.

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PORTRAIT

Chercheuse de terre

A 34 ans, Sandrine a un rêve : posséder sa propre exploitation agricole biologique. Au Jardin d’Avenir, elle est un peu la perle rare. Portrait d’une jardinière ambitieuse et peu commune.

Dans les Jardins de Cocagne, on ne trouve pas que des personnes venues remettre le pied à l’étrier et dont le parcours est tumultueux. Au Jardin d’Avenir, c’est Sandrine qui incarne ce profil atypique. Fraîchement débar-quée, un an plus tôt, Sandrine n’est pas venue au Jardin dans le but de se reconstruire, stabiliser sa vie so-ciale ou développer son autonomie comme les autres jardiniers. Elle a un projet bien précis : avoir sa propre installation en agriculture biologique. D’ailleurs, cette jeune jurassienne a la gestion de sa propre serre au Jardin d’Avenir dans laquelle elle cultive des tomates de façon autonome. Toujours volontaire, elle apporte son aide aux

autres maraîchers en passant d’un pré à l’autre et de serres en serres. Dyna-mique et rigolote, Sandrine masque avec le sourire la peine qu’elle a pour trouver un terrain pour finaliser son envie. Pourtant, rien ne la prédesti-nait à se lancer dans la filière agricole.

«Revenir à des choses plus terre à terre»A la fin du collège, ses professeurs la poussent à poursuivre ses études dans le général. Mais Sandrine refuse catégoriquement. Son unique but : trouver une formation débouchant immédiatement sur un emploi. A l’époque, elle n’a aucune ambition

professionnelle. Après avoir envisagé brièvement d’être garde forestière, elle abandonne l’idée et un peu par hasard, elle se lance dans une forma-tion en plasturgie. Sandrine est active et manuelle, cette voie devrait lui convenir. A la fin de ses études, elle quitte son village du Jura pour décou-vrir la ville où elle est née, Nice. Elle y trouve un emploi puis un autre à Mo-naco dans la plasturgie en tant que contrôleuse qualité. Un bon travail qui lui permet d’avoir un train de vie agréable et un appartement confor-table en bord de mer. Mais après quatre années, elle se lasse et s’aper-çoit que cette vie ne lui convient pas. « Je voulais revenir à des choses plus

terre à terre, plus na-turelles », confie-t-elle. Sensible au monde agricole, elle donne des coups de main dans des pe-tites exploitations où elle touche un peu à tout : vente sur les marchés, traite des vaches, confection du pain et culture des légumes. Elle poursuit en se lan-çant dans une for-

mation pour se spécialiser en agricul-ture biologique. « Je me suis dis que c’était un bon moyen pour m’insérer dans le monde agricole ». Au cours de cet apprentissage, elle acquiert des connaissances sur le maraîchage, l’élevage et les plantes aromatiques et médicinales. Elle crée d’ailleurs par la suite une micro-entreprise, dans le sud, d’herbes aromatiques. Puis elle se consacre à l’une de ses passions, voyager. Mais là encore pas question de prendre de simples vacances. Elle s’éclipse six mois en Amérique Latine. Contre le gîte et le couvert, elle tra-vaille dans des fermes. A son retour, son projet s’affine encore au fil des

travaux qu’elle effectue dans des exploitations sudistes. Elle se sent enfin prête à s’installer. « Je pensais qu’avoir de l’expérience suffirait ». Pas si simple au final, elle fait une autre formation à Florac pour consoli-der ses connaissances en maraîchage.

ConfianceCinq ans que Sandrine s’est installée à Saint-Galmier, à une vingtaine de kilo-mètres du Jardin d’Avenir. Au cours de ses formations, elle avait déjà eu l’occasion de faire des stages au sein d’autres jardins de Cocagne. Elle dé-cide alors d’envoyée sa candidature à Jardin d’Avenir pour avoir un bagage supplémentaire en attendant de trou-ver un terrain pour s’installer seule. « Lorsque je me suis présentée à l’en-tretien pour travailler au Jardin d’Ave-nir, l’ancien directeur croyait que je voulais un poste de maraîcher enca-drant. Il ne comprenait pas pourquoi je voulais venir en qualité de jardi-nière », affirme Sandrine, entre deux rires. Sandrine galère pour trouver un terrain, elle veut juste un job à court terme. « Je voulais concilier habita-tion et exploitation en trouvant une ferme à rénover avec un peu de ter-rain. Mais soit c’est hors de prix, soit il n’y a pas d’espace agricole ». Si elle est en contact avec des agriculteurs, rien n’est concrétisé. Alors en atten-dant, elle prend tout ce qu’elle peut prendre au Jardin d’Avenir. « Ca m’ap-porte beaucoup sur le plan technique. Ici, on a aussi l’avantage de travailler en groupe, ce qui favorise l’échange sur les techniques. Et par rapport à une exploitation classique, il y a une certaine confiance, plus de possibilité d’avoir une autonomie ». En attendant de trouver une exploitation, Sandrine continue de consacrer toute son éner-gie pour faire un travail minutieux au Jardin et partager ses connaissances avec les autres salariés.

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