image de Louis XIV dans les manuels...

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Master « Métiers de l’Enseignement, de l’Education de la Formation » Spécialité « Enseignement auprès des enfants » L’image de Louis XIV dans les manuels scolaires de l’école primaire depuis 1882 Mémoire présenté en vue de l’obtention du grade de Master Soutenu par Myriam Tartas Année 2013/2014 Directrice de mémoire : Lydie Pons

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Master « Métiers de l’Enseignement, de l’Education de la Formation »

Spécialité « Enseignement auprès des enfants »

L’image de Louis XIV dans les manuels scolaires

de l’école primaire depuis 1882

Mémoire présenté en vue de l’obtention du grade de Master

Soutenu par

Myriam Tartas

Année 2013/2014

Directrice de mémoire : Lydie Pons

2

3

Remerciements :

Je tiens avant tout à remercier Madame Lydie Pons, ma directrice de mémoire, ainsi

que Madame Marguerite Figeac pour leur encadrement, leurs conseils et leur

investissement. Je remercie également les membres du CRD de l’ESPE de Mont-de-Marsan

ainsi Madame Isabelle Valque pour son accueil et son aide au CRD de l’ESPE de Pau.

4

Table des matières

INTRODUCTION ...................................................................................................................... 6

Partie 1 : Cadre théorique ........................................................................................................... 8

I. L’image de Louis XIV .................................................................................................... 8

1) Définition du terme d’image. ....................................................................................... 8

2) La construction de l’image monarchique sous Louis XIV .......................................... 9

a. Par lui-même ............................................................................................................ 9

b. Par ses contemporains ............................................................................................ 11

3) Les historiens et Louis XIV ....................................................................................... 12

a. Voltaire et Louis XIV ............................................................................................ 12

b. Les historiens du roman national ........................................................................... 14

c. Les historiens d’aujourd’hui .................................................................................. 17

II. Louis XIV et les instructions officielles ........................................................................ 22

1) Les instructions officielles en histoire de 1882 à 2008 ............................................. 22

2) La place de Louis XIV dans les programmes ............................................................ 26

III. Le manuel scolaire d’histoire .................................................................................... 27

1) Programmes, manuels : Quels liens ? ........................................................................ 27

2) La place du manuel d’histoire ................................................................................... 29

a. L’apparition du manuel scolaire. ........................................................................... 29

b. Les fonctions du manuel scolaire ........................................................................... 30

c. Le manuel scolaire : une histoire politique ............................................................ 31

d. Le manuel véhicule idéologique, vecteur de valeurs et de stéréotypes ................. 32

e. L’évolution du contenu des manuels ..................................................................... 33

CONCLUSION ET HYPOTHESES ........................................................................................ 35

Partie 2 : Etude du corpus ........................................................................................................ 36

I. Présentation de la méthode d’analyse ........................................................................... 36

II. Présentation du corpus sélectionné ............................................................................... 38

1) Démarche de sélection ............................................................................................... 38

5

2) Présentation du corpus ............................................................................................... 39

3) Remarques générales sur les manuels ....................................................................... 42

4) La place de Louis XIV dans ce corpus de manuels ................................................... 43

III. Y-a-t-il une évolution des représentations de Louis XIV dans les leçons du corpus ?

44

1) Une image dépendante des opinions et idéologies des auteurs ................................. 44

2) Louis XIV, monarque absolu. Vers une prise en compte des limites du pouvoir

absolu? .............................................................................................................................. 45

3) Louis XIV, un dompteur de la noblesse. ................................................................... 47

4) Louis XIV et les guerres ............................................................................................ 48

5) Louis XIV et la révocation de l’édit de Nantes ......................................................... 48

6) Louis XIV, roi mécène à la recherche de la gloire et personnalité ............................ 50

IV. Les représentations de Louis XIV à travers les documents et leur questionnement. 51

1) L’évolution générale des questionnements présents dans les leçons sur Louis XIV 51

2) Le tableau de Hyacinthe Rigaud et ses exploitations ................................................ 52

3) Quelles autres images et quelles exploitations ? L’évolution de la fonction de

l’image .............................................................................................................................. 55

4) Les documents textuels et leur exploitation .............................................................. 57

CONCLUSION ........................................................................................................................ 59

ANNEXES ............................................................................................................................... 61

BIBLIOGRAPHIE: .................................................................................................................. 89

6

INTRODUCTION

« Louis XIV est un personnage qui enflamme, passionne, dérange, embarrasse, divise,

agace, excède parfois, mais laisse rarement indifférent. »1. Enormément d’ouvrages de toutes

sortes le concernent, que ce soit pour déclarer leur admiration envers le personnage ou au

contraire pour dénoncer son règne. Comme le dit Jean-Christian Petitfils « il y a les adeptes

du « roi de gloire » et les contemplateurs de « l’envers du soleil » ».2

Olivier Chaline renchérit en disant qu’« Aucun roi de France n’a suscité pareille mythologie,

proliférante et répétitive : déformations et contresens, en doré ou en noir, ne cessent d’être

repris. »3. Alors pourquoi avoir choisi ce sujet déjà si étudié ?

Dans un premier temps, c’est l’occasion de faire un état des recherches actuelles et de

confronter les opinions de quelques chercheurs.

Dans un second temps, précisons que mon sujet n’est pas une simple étude du règne de

Louis XIV, mais qu’elle concerne les manuels scolaires d’histoire de l’école primaire.

Suzanne Citron considère que les manuels ont changé de ton, certains personnages ont disparu

(Bayard, Saint Vincent de Paul) mais d’autres restent et sont considérés comme des

« personnages-symboles », Louis XIV en fait partie (accompagné de Vercingétorix, Clovis,

Charlemagne, Jeanne d’Arc, Napoléon et d’autres…). C’est au vu de ces éléments qu’il m’a

semblé intéressant de travailler sur ce « changement de ton des manuels».

Tout ceci m’a amenée à la problématique suivante : Comment Louis XIV est-il

représenté dans les manuels scolaires de la Belle Epoque à nos jours ?

Pour répondre à cette problématique, il a fallu définir un corpus d’ouvrages. Pour

constituer ce corpus, me destinant à une carrière d’enseignante du premier degré, j’ai donc

naturellement choisi d’analyser des manuels scolaires d’enseignement de l’école primaire.

Pour définir les limites de mon corpus, j’ai sélectionné deux manuels par sortie de

programmes depuis 1882. En effet, comme nous le verrons par la suite, les programmes en

évoluant font évoluer le contenu des manuels et la façon dont les éléments sont traités. Malgré

ma première idée de travailler sur seulement deux éditions de manuels, je me suis rapidement

1 PETITFILS Jean-Christian. Louis XIV. Perrin, 2002. P.13 2 Ibid.

3 CHALINE, Olivier. Le règne de Louis XIV. Paris : Editions Flammarion, 2005. P. 11

7

aperçue que cela ne serait pas possible. En effet, certaines éditions actuelles n’existaient pas

fin XIXe- début XXe et inversement des éditions existantes fin XIXe-début XXe n’existent

plus aujourd’hui. De plus, même s’il avait été possible que je trouve deux éditeurs qui

existaient sur toute cette période, il n’était pas assuré que je puisse me procurer les manuels

scolaires de ces deux éditeurs pour certaines de programmes. J’expliciterais dans la partie

consacrée à la présentation du corpus, les programmes pour lesquels je n’ai pas choisi

d’exploiter de manuels et les raisons de ce choix.

Pour faire mon analyse, j’ai tenté d’élaborer une grille d’observation et d’analyse qui

soit autant adaptée à des manuels de la fin du XIXème siècle qu’à des manuels du XXIème

siècle.

Ce mémoire se compose de deux parties. La première partie permettra de définir les

éléments clés de ce travail pour ensuite pouvoir comprendre les liens qui les unissent. Trois

sous parties seront présentées. Dans un premier temps, nous étudierons l’image (après avoir

défini ce terme) de Louis XIV dans le temps ; de l’image qu’il avait de lui-même jusqu’à

l’image qu’en ont aujourd’hui les historiens. Puis un deuxième point traitera des instructions

officielles depuis 1882 pour l’école primaire et de la place de Louis XIV dans celles-ci. Et

enfin un point sera consacrée à définir ce qu’est un manuel scolaire et le lien qu’il entretient

avec les programmes. Après avoir posé les hypothèses, la seconde partie commencera par

présenter le corpus ainsi que la grille d’analyse pour ensuite étudier les représentations de

Louis XIV dans les leçons et les documents des manuels.

8

Partie 1 : Cadre théorique

I. L’image de Louis XIV

1) Définition du terme d’image.

On peut dans un premier temps se reporter à la définition de l’image telle qu’elle est

donnée dans un dictionnaire4 d’usage courant. Au sens propre, l’image est la représentation

d’un être ou d’une chose par les arts, par les techniques d’impression ou de reproduction. On

parlera d’iconographie lorsque l’on étudiera les différentes représentations d’un même être ou

d’une même chose (par exemple l’iconographie de Louis XIV). Mais l’image a également

plusieurs sens figuré. J’ai retenu ici celui qui me semble le plus approprié à la signification

que je vais donner au terme d’image dans ce mémoire : l’image est aussi la représentation

mentale d’un être ou d’une chose.

Annie Duprat5 reprend ces deux sens du terme d’image. Dans un premier temps il

faudra rappeler l’origine du terme « image ». Image vient du latin imago qui était un masque

de cire à la ressemblance du défunt posé sur les autels des ancêtres dans les maisons romaines.

L’image a donc une origine sacrée liée à la mort. Toutefois, depuis longtemps le terme

d’ « image » désigne un ensemble bien plus complexe comme nous l’avons vu précédemment.

Annie Duprat va définir l’ « image » comme un mot qui « recouvre des acceptions très

diverses : l’image comme représentation mentale, l’image comme métaphore et l’image

figurée. » 6

. Elle distingue donc deux types d’images : l’image figurée (dessin, tableau…)

(sens propre du dictionnaire) et l’image comme concept abstrait (sens figuré).

Il convient alors de définir ce qu’est une représentation, aussi important que le terme

d’image dans ce mémoire. La représentation comme le terme d’image a de multiples sens.

Celui qui nous intéresse pour ce mémoire est celui lié à la psychologie c’est-à-dire la

représentation en tant que « Perception, image mentale, etc., dont le contenu se rapporte à un

objet [ici Louis XIV], à une situation, à une scène du monde dans lequel vit le sujet. »7.

Autrement dit, c’est l’image mentale qui nous vient à l’esprit lorsque l’on nous parle de Louis

XIV. On voit donc bien à quel point les termes d’image et de représentation sont liés.

4 Le Petit Larousse illustré 2013

5 DUPRAT Annie. Images et histoire : outils et méthodes d’analyse des documents iconographiques. Paris :

Belin, 2007. (Collection Belin Sup) p.3 6 Ibid. 7 Le Petit Larousse illustré 2013

9

Ces définitions sont importantes pour bien cerner ce que j’entends par le terme d’

« image de Louis XIV ». Mon mémoire ne se limitera pas au terme d’image au sens

d’iconographie de Louis XIV mais je chercherai à montrer quelle(s) image(s), au sens de

quelle(s) représentation(s), de Louis XIV les manuels d’école élémentaire véhiculent-ils :

image d’un roi tout puissant, image d’un roi absolu…

Toutefois l’iconographie (images figurées) fera partie de mon étude car comme le

précise Annie Duprat ces deux types d’images sont liés par le fait que des images concrètes et

donc figurées « engendrent les imaginaires qui, lorsqu’ils font irruption dans la vie sociale,

peuvent être à l’origine d’une perception nouvelle du monde. »8 et donc de nouvelles

représentations mentales. Concernant l’image au sens propre du terme, on pourrait alors se

poser la question de pourquoi analyser une iconographie de Louis XIV qui a été maintes fois

étudiée. On peut répondre à cette question en reprenant l’idée d’Annie Duprat qui précise que

la réception d’une image évolue selon les époques, les milieux et les spectateurs ; et c’est pour

cela qu’encore aujourd’hui il est intéressant de ré-analyser des images.

2) La construction de l’image monarchique sous Louis XIV

a. Par lui-même

Jean-Christian Petitfils dans son ouvrage Louis XIV, dépeint l’image que Louis XIV

voulait se donner selon lui : celle d’un Roi sérieux, droit, digne et attaché à son devoir. Il

étudiait, selon lui, sa posture, tous ses gestes et sa démarche pour qu’elle soit calme et sereine

(démarche majestueuse). Il cherchait à se créer un caractère mystérieux afin de devenir un

« Sphinx indéchiffrable ». Nous allons maintenant, d’après les Mémoires de Louis XIV voir

ce qu’il en est réellement.

Les écrits de Louis XIV9 sont en quelque sorte des œuvres de justifications et

d’enseignements pour le futur Louis XV. Louis XIV énonce qu’il a un seul et même désir, la

gloire. De plus, après la mort de Mazarin, il dit : « Je commençai à jeter les yeux sur toutes les

diverses parties de l’Etat, et non pas des yeux indifférents, mais des yeux de maître, »10

. Il

semble que c’est à ce moment-là que Louis XIV se sent pleinement roi. Il met en garde son

fils sur ce qui est pour lui, le pire des malheurs : l’oisiveté. Il raconte à propos de lui-même :

« Je m’imposai pour loi, de travailler régulièrement deux fois par jour, et deux ou trois heures

8 DUPRAT Annie. Op.cit. p.3

9 Louis XIV (annoté par Jean Longron. Mémoires de Louis XIV. Le métier de roi. 3

ème éd. Paris : Tallandier, 2001.

(collection Relire l’Histoire). 10

Ibid. p.35

10

chaque fois avec diverses personnes, »11

. Louis XIV est donc un homme rigoureux et

travailleur. Il semble même qu’avec ce rythme, il prit du plaisir à exercer son métier de roi et

compris qu’il était né pour l’être.

Il explique également pourquoi il a décidé de ne plus prendre de premier ministre :

« rien n’étant plus indigne que de voir d’un côté toutes les fonctions, et de l’autre le seul titre

de Roi. »12

. Autrement dit, il ne voulait plus être seulement le roi, mais, il souhaitait être le

chef de l’Etat. Pour le choix de ses différents ministres, il voulait que ceux-ci aient un rang

inférieur car l’objectif du Roi était avant tout de se créer sa propre réputation sans l’ombre de

ministres trop importants socialement.

Dans ses Réflexions sur le métier de Roi (1679), Louis XIV explique que le rang de

Roi ne permet pas de faire tout ce que l’on veut. Sa préoccupation première est bien l’Etat car

il exprime qu’ « Ils [les rois] doivent aimer à faire plaisir, et il faut qu’ils châtient souvent et

perdent des gens à qui naturellement ils veulent du bien. L’intérêt de l’Etat doit marcher le

premier. »13

. On voit ici l’image d’un roi qui se soucie avant tout de son Etat, donc un roi

attaché, semble-t-il à son devoir. Il semble également se préoccuper de son peuple, il dira que

rien ne lui faisait plus chaud au cœur que de voir que son peuple se rendait compte qu’il se

souciait de lui.

Concernant son dessein de gloire, il considère qu’il passe par le bien être de l’Etat. En

effet, il énoncera : «Quand on a l’Etat en vue, on travaille pour soi. Le bien de l’un fait la

gloire de l’autre. Quand le premier est heureux, élevé et puissant, celui qui en est cause est

glorieux ».14

. Cependant, pour avoir une image plus glorieuse, il agit en mécène avec de

nombreux artistes tels que Molière, Lully, Racine, Bossuet, Rigaud, etc.. En contrepartie, ces

artistes créés des œuvres glorifiant le roi, autrement dit des œuvres de propagande. La plus

célèbre de ces œuvres et le Portrait de louis XIV en costume de sacre peint par Hyacinthe

Rigaud en 1701. C’est le roi qui a commandé cette œuvre où il est représenté avec tous les

symboles de la royauté (signe qu’il possède tous les pouvoirs), se tenant bien droit en

adoptant une attitude à la fois décontractée et majestueuse. Or, on sait qu’en 1701, Louis XIV

a alors 63 ans et qu’il est malade. Le contraste entre le bas et le haut du corps a souvent été

mis en avant par les historiens. En effet, ses jambes (qui esquissent un pas de danse rappelant

son passé de danseur) sont représentées comme celles qu’un jeune homme. Elles paraissent

11

Ibid. p.41 12

Ibid. P .44 13

Ibid. p. 279 14

SAINT-SIMON. Mémoires. Editions Gallimard, 2006. p. 280

11

stables et bien fermes, sorte de « piliers du pouvoir ». De plus, le roi porte une perruque, non

pas parce que cela est la mode, mais parce que la maladie l’a rendu chauve. A cette époque (et

peut être encore à l’heure actuelle), la symbolique du corps du Roi est primordiale : si le corps

du Roi est malade ou fragile alors c’est tout le peuple qui est malade. Par exemple, c’est

pendant son enfance, lorsqu’il était encore jeune et fragile que la Fronde a eu lieu. Il faut donc

montrer la perfection physique dans le corps du Roi.

Cette œuvre est donc une des multiples œuvres de propagande commandées par le roi

dans une volonté de construction d’une image monarchique forte, avec un roi ayant tous les

pouvoirs et imposant le respect.

Dans l’analyse de manuels qui suivra, il sera entre autres questions d’analyser

comment les manuels exploitent cette représentation de Louis XIV (lorsqu’elle sera présente

dans le manuel). Est-ce que cette œuvre sera présentée comme une œuvre de propagande

en soulignant tous les éléments qui ne sont pas cohérents comme nous l’avons fait ci-

dessus, ou est-ce-que cette œuvre servira d’appui pour montrer la puissance du Roi-

Soleil.

b. Par ses contemporains

Un personnage contemporain de Louis XIV, très connu pour ses mémoires, est bien-sûr le

Duc Saint Simon. Saint-Simon fréquenta la cour de Versailles durant la deuxième partie du

règne de Louis XIV. Il décrivit alors dans ses Mémoires, une image généralement peu

flatteuse du Roi-Soleil. Saint-Simon a développé le contraste entre un roi vu par ses

contemporains comme au sommet de la majesté et la médiocrité de ce même homme. Il

critique dans un premier temps l’éducation pauvre de Louis XIV, on lui apprit à peine à lire et

écrire selon lui. Il rajoute même que « l’Esprit du roi était au-dessous du médiocre, »15

. Saint

Simon dépeint un homme qui a un faible pour la gloire et qui recevait avec plaisir toutes les

flatteries et les louanges, même les plus grossières. Ceci donne l’image d’un homme

influençable, tel le corbeau dans la fable de Jean de La Fontaine. Le mémorialiste évoque un

roi aimant le luxe et la splendeur. De ce fait, les courtisans dépensaient sans compter pour lui

plaire jusqu’à épuisement. Ainsi, au bout de quelques temps, ces hommes dépendaient

entièrement du roi et de ses privilèges pour subsister. On approche ici de l’idée de la

domestication de la noblesse. Il décrit tout de même un homme avec une certaine maîtrise de

la langue et qui s’exprimait toujours avec justesse.

15

Ibid. p.38

12

Malgré en parallèle à cette vision négative, d’autres contemporains ne dépeignent pas du

tout Louis XIV en ces termes et sont même en admiration devant ce Grand Roi. Pour Bossuet,

dans sa Politique tirée de l’Ecriture Sainte (1670-1700), le trône royal n’est pas celui d’un

homme mais de Dieu. Louis XIV est donc une représentation de Dieu et il faut lui obéir.

Jean-Baptiste Primo Visconti (Mémoires sur la cour de Louis XIV (1673-1681)),

mémorialiste italien, décrit Louis XIV comme un roi désirant tout savoir et une volonté

intense de présider toutes les affaires. Il parle d’un roi plein de gravité et qui, en public, prend

une autre expression comme s’il faisait une représentation de théâtre, Visconti dira « En

somme, il sait bien faire le roi ». Visconti compare Louis XIV à la reine des abeilles, et sa

cour à l’essaim qui gravite autour de lui et le suit.

J.C. Petitfils rapporte les propos de la Grande Demoiselle (cousine germaine de Louis

XIV) concernant Louis XIV. Elle le décrit en ces termes : « Il a l’air haut, relevé, hardi, fier et

agréable, majestueux dans le visage, les plus beaux cheveux du monde […]. Les jambes

belles, le port beau et bien planté […]. » 16

. L’ambassadeur de la Sérénissime République

(Alvise Grimani) complète : « Il est de complexion vigoureuse, de grande taille, d’aspect

majestueux ; son visage est ouvert et imposant à la fois, son abord courtois et sérieux ; il est

de tempérament sanguin mais point trop vif, car il est mêlé de tempérament mélancolique, ce

qui le rend pondéré. »17

3) Les historiens et Louis XIV

a. Voltaire et Louis XIV

Henri Drévillon, dans sa participation à l’ouvrage, Le grand atelier de L’Histoire de

France. Les temps modernes (2012), explique que lorsque Voltaire publie, en 1751, son

œuvre Le siècle de Louis XIV, il cherche alors à rétablir l’image de Louis XIV. Depuis la mort

du Roi en 1715, les esprits restent marqués par l’image d’un règne de guerres et de misère. De

plus, avec ses 54 ans de règne, Louis XIV avait l’image d’un roi fatigué et vieillissant, un

règne trop long, avec lequel il avait épuisé son royaume. H. Drévillon expose la position de

Voltaire par rapport à ses contemporains :

En réhabilitant Louis XIV, Voltaire prenait le risque de heurter les esprits peu

disposés à reconnaître les mérites du roi soleil. Non seulement il chantait les

louanges du siècle « le plus éclairé qui fut jamais », mais il attribuait à Louis XIV

16

PETITFILS, J.C. Op.cit. pp. 170-171 17

PETITFILS, J.C. Op.cit. p.171

13

une responsabilité majeure de cet apogée. […], Voltaire décrivait la grandeur des

arts, des lettres et des sciences, mais aussi la vie privée du souverain, les anecdotes

de son règne et son action politique.18

Avant d’essayer de recenser les idées principales de l’œuvre de Voltaire, il faut citer la

célèbre première phrase de son introduction qui explique le dessein de cet écrit :

Ce n’est pas seulement la vie de Louis XIV qu’on prétend écrire ; on se propose un

plus grand objet. On veut essayer de peindre à la postérité, non les actions d’un

seul homme, mais l’esprit des hommes dans le siècle le plus éclairé qui fut jamais.

Dans son œuvre, Voltaire ne cesse de faire des éloges sur le Grand Roi, ces descriptions font

apparaître un roi dans toute sa grandeur. Pour lui, il n’y a eu que quatre grands siècles heureux

dans l’Histoire du monde, le siècle qu’il appelle celui de Louis XIV est « celui des quatre qui

approche le plus la perfection. » Durant ce siècle « il s’est fait dans nos arts, dans nos esprits,

dans nos mœurs, comme dans notre gouvernement, une révolution générale qui doit servir de

marque éternelle à la véritable gloire de notre patrie. ». Selon Voltaire, avant le siècle du Roi-

Soleil, la France était un pays pauvre au niveau intellectuel et des arts. Tous les autres pays

d’Europe ont connu des découvertes et des inventions, seule la France était à la traîne. C’est

alors grâce à Louis XIV et à la société qu’il a créée, que la France a pu évoluer.

Lorsqu’il décrit le roi et son comportement, il cherche à montrer sa grandeur au sens

propre comme au sens figuré : « Sa taille déjà majestueuse, la noblesse de ses traits, le ton et

l’air de maître dont il parla, imposèrent plus que l’autorité de son rang, » (chapitre 25 :

Particularité et anecdotes du règne de Louis XIV). Dans ce même chapitre, une description est

faite de la cour du roi :

Louis XIV mit dans sa cour, comme dans son règne, tant d’éclat et de

magnificence, que les moindres détails de sa vie semblent intéresser la postérité,

ainsi qu’ils étaient l’objet de la curiosité de toutes les cours de l’Europe et de tous

les contemporains. La splendeur de son gouvernement s’est répandue sur ses

moindres actions. […]. Tel est l’effet de la grande réputation.

Concernant la révocation de l’édit de Nantes, Voltaire ne l’évoque pas clairement dans

son œuvre. Elle est citée par endroit mais ne fait pas l’objet d’une partie entière. Dans le

chapitre 27 : Suite des particularités et anecdotes ; l’édit de Nantes est évoqué comme

intervenant dans une situation déjà embarrassante. Cette révocation est, tout de même,

évoquée comme « fatale révocation » (chapitre 16) ; mais on remarque qu’à chaque fois

qu’elle est évoquée, elle n’est pas associée au nom du roi et aucun reproche direct ne lui est

fait.

18

DREVILLON, Hervé. « Les rois absolus (1629 -1715) ». In : Sous la direction de Cornette, Joël. Le grand atelier de l’Histoire de France. Les temps modernes. Editions Belin, 2012, pp.131- 215. p.138

14

b. Les historiens du roman national

Il convient dans un premier temps d’expliciter ce qu’est le roman ou mythe national. Il

est défini dans le dictionnaire en ligne L’Internaute comme une « expression qui désigne un

récit fortement teinté de patriotisme tel qu’il a été élaboré par les historiens du XIXe siècle

qui valorisaient la construction de la nation ». En effet, il s’est construit essentiellement

durant la IIIe République (1870 – 1940) et Suzanne Citron explique que :

les Pères de la République, imprégnés d’une religion de la France, assignèrent à

l’enseignement de l’histoire un objectif patriotique : à tous les enfants du pays,

majoritairement issus de villages ruraux aux mille parlers, seraient inculqués

l’amour de la patrie une et indivisible et la foi en la supériorité de la France.19

L’idée principale du roman national est de montrer une France qui a toujours existé. Suzanne

Citron dénonce cette image de « France immémorielle ». La Gaule est souvent prise comme

exemple pour illustrer ces propos ; en effet selon le mythe national la Gaule ne serait qu’une

pré-France et donc nos ancêtres directs seraient les Gaulois. Ce mythe cherche donc tout

simplement à montrer la grandeur de la France qui a un long passé et qui est sortie grandie en

arrivant à la République.

Deux historiens sont incontournables lorsque l’on parle du roman national et ils ont

largement contribué au développement de ce que S. Citron appelle le mythe du

commencement : Jules Michelet (1798 – 1874) et Ernest Lavisse (1842 -1922). S. Citron

rapporte que J. Michelet voue un réel culte à la France et que pour lui seule l’Histoire de La

France est complète. Il célèbre la gloire des héros et des martyrs de la République. Il influença

beaucoup les travaux d’Ernest Lavisse, auteur du célèbre Petit Lavisse, manuel d’histoire pour

l’école primaire qui révolutionne l’enseignement de l’histoire. En effet, Ferdinand Buisson

(directeur de l’enseignement primaire) écrira même à celui que Pierre Nora appellera

l’ « instituteur national » (dans ses Lieux de mémoire) :

Le voilà le petit livre d’histoire vraiment national et vraiment libéral que nous

demandions pour être un instrument d’éducation, voire même d’éducation morale.

Il y a des pages, avoue-t-il, il y a même de simples images avec légendes qui font

venir les larmes aux yeux, tant c’est vrai, impartial, élevé de courage envers et

contre tout.

Ce manuel fut réédité sans cesse jusqu’à la mort de Lavisse en 1922 et même une dernière

fois en 1950. Il y eu des centaines de milliers de Petit Lavisse diffusés durant la IIIe

19

CITRON Suzanne. Le mythe national, l’histoire de France en question. 2e éd. Paris : Les éditions ouvrières,

1989. P. 15

15

République, on comprend bien alors le poids de ce manuel sur la vision de la France que

pouvaient avoir les Français.

Si l’on se recentre sur le règne de Louis XIV, malgré l’influence que J. Michelet a pu

avoir sur E. Lavisse, la vision et le jugement qu’ils portent sur le Roi-Soleil et son règne sont

sur certains points différents.

J. Michelet dans son ouvrage, Histoire de France au XVIIe siècle. Louis XIV et la

révocation de l’édit de Nantes (1860), construit ce que C. Amalvi qualifiera de légende noire

du Roi-Soleil. Il ajoute même que « Michelet exécute le prétendu Roi-Soleil et règle ses

comptes avec lui en le traînant littéralement dans la boue. »20

. Il cherchait à déposséder Louis

XIV de son siècle en montrant que la grandeur du règne n’était en fait due qu’à l’héritage des

actions et règnes précédents21

. J. Michelet dénonce, entre autres, la révocation de l’édit de

Nantes en 1685, qu’il considère comme le crime majeur du roi et c’est selon lui le prémice du

coup d’Etat religieux de Napoléon du 2 décembre 1851. C. Amalvi explique que J. Michelet

va encore plus loin car « il considère le XVIIe siècle dans son ensemble, et le règne de Louis

XIV en particulier, comme une époque inerte, dont il entend bien disséquer littéralement le

cadavre, voire la charogne. »22

. Pour cela, il utilise la dimension physiologique en

démystifiant le corps du roi et alors le pouvoir royal : « la fistule de l’anus dont s’est fait

opérer Louis XIV serait ainsi, selon Michelet, responsable des maux physiques et moraux du

peuple français sous son règne. »23

. La vision que donne Michelet est partagée car Victor

Hugo l’a félicité en lui disant : « Ce faux grand siècle, ce faux grand règne, il fallait le

démasquer, lui donner cette perruque qui cachait la tête de mort, montrer le crime sous la

perruque. Vous l’avez fait, je vous remercie ! ». On voit donc bien ici une vision très sévère

du siècle de Louis XIV et plus largement des royalistes. C. Amalvi pense qu’il y a des raisons

personnelles qui expliquent ce procès contre Louis XIV ; en effet après le coup d’Etat de

Louis Napoléon Bonaparte, Michelet a perdu ses fonctions officielles (chaire au Collège de

France et poste de conservateur aux Archives nationales), il agit alors plus en « justicier »

qu’en historien.

20

AMALVI Christian. Les Héros des Français : controverses autour de la mémoire collective. Larousse, 2011. P. 243 21

DREVILLON, H. op.cit. 22

AMALVI C. 2011.Op.cit.p. 243 23

Ibid.

16

Concernant maintenant le Louis XIV d’Ernest Lavisse, le manuel laïc le Petit Lavisse

se situe plutôt entre Voltaire et Michelet. C. Amalvi24

explique que succès et fautes

s’équilibrent. Voici les reproches sur le règne de Louis XIV que l’on peut trouver dans le

manuel d’E. Lavisse et plus généralement dans les manuels laïcs : la formule « L’Etat c’est

moi » se retrouve régulièrement et on associe cela à un gouvernement absolutiste et

despotique ; deuxième reproche : le goût du roi pour les guerres ainsi que leur coût qui

appauvrit le peuple, qui doit payer de plus en plus d’impôt (Mona et Jacques Ozouf dans leur

analyse de la deuxième vague des manuels de la IIIe République montreront une critique

encore plus sévère de ces guerres qui ne seraient pas conformes aux vrais intérêts de la

France). Et enfin bien-sûr la révocation de l’Edit de Nantes qui est vu comme l’erreur majeure

de Louis XIV, appauvrissant la France et renforçant ses ennemis.

Cependant, du côté positif, E. Lavisse reconnaît au roi sa capacité à travailler au service de

l’Etat et à choisir des ministres efficaces et actifs. Autres points positifs : à la fin du règne, le

territoire s’est étendu notamment grâce à Vauban et le rayonnement européen de Versailles, et

de la France au niveau artistique et culturel.

Colbert est parfois considéré comme le pivot de ce règne, car le versant positif se situe

pendant la période Colbert (soit de 1661 à 1683) et le versant négatif à partir de 1685, période

caractérisée par l’exercice solitaire et sans retenue du pouvoir de Louis XIV.

Il faut souligner qu’il semble qu’il y ait une évolution dans la manière dont Ernest

Lavisse traite et juge le règne du Roi-Soleil. En effet, S. Citron25

explique qu’Ernest Lavisse

n’a étudié les guerres, notamment celles de Louis XIV, qu’au regard des gains et pertes de

territoires. Lavisse porte alors un jugement négatif sur la politique extérieure du roi et il

qualifie le règne de Louis XIV comme un mauvais règne, cependant même s’il accuse Louis

XIV d’avoir trop fait la guerre, il ne dénonce pas celles qui sont gagnées (tout comme les

manuels actuels précise S. Citron). Au contraire, C. Amalvi dit qu’Ernest Lavisse fut ébloui

« par la grandeur du règne, par son bilan jugé « globalement positif » au regard des

acquisitions des nouvelles provinces et du prestige qui entoure le siècle de Louis XIV dans les

domaines de l’art et de la littérature. » 26

24

Ibid. 25

CITRON S. Op.cit. 26

AMALVI Christian. Les Héros de l’histoire de France. De Vercingétorix à de Gaulle, un tour de France en quatre-vingts personnages. L’ « album de famille » de tous les Français. Le panthéon national de nos livres d’histoire …. Toulouse, Editions Privat, 2001. P. 89

17

On pourrait citer un autre ouvrage qui contribua au roman national : Le Tour de

France par deux enfants de G.Bruno (pseudo d’Augustine Fouillée) paru en 1877. C.

Amalvi27

explique que lors de sa première édition on vient de choisir définitivement la

République contre la monarchie. Le recueil ne contient alors quasiment aucun nom de roi

(Henri IV évoqué lors du passage à Pau par les enfants et Louis XIV apparait dans les

commentaires d’une gravure du château de Versailles et lorsqu’il refuse l’idée de dîme

royale28

de Vauban.). En 1905 (séparation Eglise-Etat) tout référence religieuse est bannie.

Cet ouvrage cherche donc bien à renforcer le sentiment patriotique dans la République.

c. Les historiens d’aujourd’hui

C. Amalvi29

relève le contraste qu’avait analysé Robert Mandrou, dans Louis XIV et son

temps (1973), contraste entre l’image, plutôt positive, de Louis XIV dans la mémoire

collective actuelle, et l’image contrastée (voire négative pour J. Michelet) de Louis XIV dans

le roman national. Robert Mandrou justifie ce contraste, par le fait, que l’ouvrage

« bienveillant » de Voltaire, le Siècle de Louis XIV, fut un classique largement diffusé de la

Restauration jusqu’en 1940 dans les collèges et lycées, pour la formation historique et

littéraire des élites.

De plus, il semblerait que l’on assiste, aujourd’hui, à ce qu’Amalvi appelle une

réhabilitation scientifique du Roi Soleil. Cette réhabilitation a été débutée par l’anglaise

Ragnhild Hatton (L’époque de Louis XIV, 1970) puis suivie en 1986 par le Louis XIV de

François Bluche. Ce dernier s’appuie sur Le siècle de Louis XIV de Voltaire. Bluche enrichit

ce texte des travaux universitaires récents et veut faire justice à la légende noire qui, depuis

l’œuvre de Pierre Goubert (Louis XIV et 20millions de Français), traite injustement le roi.

Même s’il existe des interprétations globales sur lesquelles les spécialistes de Louis XIV

se divisent encore, certaines avancées entrainent l’entente des modernistes. Nous allons donc

dans cette partie essayer de voir quelles sont ces avancées qui font consensus après des années

de dissensions à l’égard de Louis XIV.

Louis XIV, monarque absolu, l’image du roi tout puissant

Dans son ouvrage, Louis XIV (2005), Yves-Marie Bercé rappelle que « Les historiens

ont l’habitude d’attribuer à Louis XIV la responsabilité de l’avènement de l’ « absolutisme »

27

AMALVI Christian. 2011. Op.cit. 28

La dîme royale est un impôt proposé par Vauban en 1707, impôt qui concernerait tout le royaume, nobles et clercs compris. 29

AMALVI Christian. 2011. Op.cit.

18

et de dater le début de ce mode de gouvernement du coup d’Etat royal de 1661. »30

. Or, le

terme d’absolutisme date seulement du XIXème siècle. Au XVIIème siècle, on parlait de roi

« absolu », mais ce mot n’avait pas la signification actuelle et exprimait le fait que le roi

n’était soumis à aucun lien. Mais, il était tout de même reconnu que son pouvoir était limité à

la morale chrétienne, puisqu’il était le représentant de Dieu sur terre, et aux lois

fondamentales du royaume.

C’est dans un article de la revue Histoire, que Joël Cornette déclare « Louis XIV n’est

plus un roi absolu»31

. Il explique que ce mythe est souvent associé à l’idée que, suite à la

Fronde durant la régence, le Roi voulut garder près de lui les nobles afin de les surveiller.

Pour J. Cornette, c’est cette « réduction à l’obéissance » qui est le fondement de

l’absolutisme. Or, dans son article, il démontre que cette domestication n’est qu’apparente et

qu’en fait, les nobles sont obéissants seulement parce qu’ils gagnent à l’être. En plaçant une

partie de leur fortune dans le devenir de la monarchie, il est de leur intérêt que celle-ci se

porte au mieux le plus longtemps possible. Et vice-versa, il est de l’intérêt du roi de satisfaire

les nobles (par des marques d’honneur, des privilèges, etc…) afin que ces derniers soient

incités à financer les guerres et autres dépenses du monarque. On est alors loin de l’image

d’un roi sans consensus ; comme le dit Joël Cornette, Louis XIV pratiquait en fait « l’art du

compromis ». Contrairement à ce que l’on a longtemps imaginé, cet art se retrouvait

également chez les intendants (représentants directs du roi dans les provinces). L’idée reçue

concernant ces derniers est qu’ils appliquaient par la force des lois décidées par le roi. Or, il

semblerait qu’ils adaptaient le pouvoir central au pouvoir local avec une mise en place souple

des lois. De plus, la plupart du temps, les intendants défendaient les intérêts des habitants de

leur province. On voit donc que l’on est bien loin d’une application des lois par la force et

d’une soumission totale de la noblesse.

La cour de Louis XIV :

Si la cour ne sert pas à « domestiquer la noblesse », mythe qualifié de « risible » par

O. Chaline, elle a alors bien d’autres fonctions selon ce même auteur :

A trop envisager la cour comme une machine à domestiquer la noblesse française,

on a oublié son rôle dans la politique internationale. On a aussi par trop négligé sa

double fonction d’unification par le sommet des noblesses provinciales et de relais

30 BERCE Yves-Marie. Louis XIV. Paris : Le Cavalier Bleu, 2005.(collection Idées reçues) 31

CORNETTE Joël. « Louis XIV n’est plus un roi absolu ». L’Histoire. Mai 2008, n°331, pp. 70-73.

19

entre le monarque et les provinces. La France n’est pas encore un pays unifié et il

est important que la cour puisse rassembler les élites autour du roi.32

Il y a ici deux fonctions différentes de la cour. Dans un premier temps, grâce à une cour qui

impressionne son propre pays, le roi peut réunir autour de lui les élites. Ces nobles diffuseront

ensuite dans leur province l’image glorieuse du roi mais aussi les lois et les volontés du

monarque. Ainsi, même dans les provinces, on se sentira proche du monarque et la France en

sera plus unifiée. Mais, l’influence de la cour ne s’arrête pas au niveau national. La cour de

Louis XIV est admirée dans l’Europe entière et le roi reçoit notamment des ambassadeurs, qui

à leur tour diffuseront l’image d’une cour somptueuse et d’un pouvoir politique fort dans leur

pays. Selon O. Chaline, l’image de la cour, au-delà des spectacles, de la mode, des rumeurs, a

donc avant tout un rôle dans la politique nationale et internationale et la gestion de cette cour

fait partie du métier du roi.

Le roi et la guerre

Voici un point qui ne fait pas encore l’objet d’un consensus dans les recherches actuelles.

Cinquante-quatre ans de règne et trente-trois années de guerres. Voilà les chiffres qui sont

souvent retenus concernant Louis XIV. Le Roi-Soleil a souvent été accusé d’avoir trop fait la

guerre au détriment de son peuple qui en souffrait par les pertes et les impôts pour les

financer. Le fait qu’il aurait prononcé, sur son lit de mort, la phrase « J’ai trop aimé la

guerre… » à l’intention du futur Louis XV, a fait l’objet d’interprétations différentes. Pour

certains laïques comme Lavisse, cela a permis d’accorder une rémission entière de ces fautes.

Tandis que pour d’autres, ce fut la preuve d’une politique extérieure agressive et conquérante,

symbole de l’orgueil du roi.

La question que l’on peut se poser est alors pourquoi Louis XIV a-t-il autant fait la guerre ?

Dans un article récent, Joël Cornette33

déclare que « Louis XIV fut un roi de guerre, non

seulement par nécessité […], mais aussi par éducation ou par goût. ». En effet, il considère

que ce sont parfois pour des raisons personnelles que le Roi a déclenché certains conflits (il

donne l’exemple de la Guerre de Hollande), une des raisons serait d’amplifier sa gloire, qui

semble être, selon l’auteur, une de ses préoccupations majeures. Cette opinion est partagée par

O. Chaline, qui dit dans son ouvrage : « Sa gloire fût confiée à ses soldats plus qu’à toute

autre catégorie de ses serviteurs. Aussi fut-il toujours très attentif à cette armée qui, tout en

32 CHALINE, O. Op.cit. p.81 33

CORNETTE Joël. « « J’ai trop aimé la guerre… » ». L’Histoire. Avril 2013, n°386, pp. 40-45.

20

grossissant dans des proportions énormes, fut aussi de plus en plus son instrument. »34

. Mais

dans la citation ci-dessous, J. Cornette veut signaler qu’il ne faut pas pour autant juger ce

comportement comme négatif pour la monarchie :

Admettre la volonté personnelle du roi et des motifs de gloire et d’orgueil blessé

comme l’un des moteurs principaux du conflit n’est pas une question de

« psychologie » : nous devons, tout au contraire, considérer ces motifs de « gloire »

et d’ « honneur » comme de puissants ressorts d’action politique.35

Jean-Christian Petitfils nuance le lien entre Louis XIV et la guerre en se posant la

question : « Sans doute Louis XIV a-t-il trop aimé la guerre […], mais n’est-ce pas l’époque

qui s’y prédisposait ? »36

. Pour répondre à cette question, il s’appuie sur l’apport de Ragnhild

Hatton. Celle-ci a essayé de replacer la politique extérieure de Louis XIV par rapport aux

autres politiques étrangères. On explique que la guerre et la paix n’avaient pas les mêmes

représentations et préjugés qu’à la période actuelle. Et elle va jusqu’à l’idée que durant la

période de Louis XIV, la paix est même considérée comme étrange dans le cours normal des

politiques. La politique de l’époque poussait les régnants généralement issus de grandes

dynasties à s’affronter militairement. J.C Petitfils conclut alors que « rien de distingue

fondamentalement le roi de France des autres chefs d’Etat héréditaires de l’époque. […] Louis

XIV se situe dans la tradition européenne la plus classique. » 37.

Il explique que Louis XIV respecta les Lois fondamentales qui imposent le fait de

garder intact le territoire qui lui a été confié au début du règne. Ces lois font que la conquête

de nouveaux territoires lui est limitée et « Plus fréquemment qu’on le croit, Louis accepta,

encouragea même les bons offices, les médiations diplomatiques étrangères. »38

.

La propagande et la gloire

Louis XIV est associé à une recherche constante de gloire. C’est donc tout simplement

un roi qui cherche à se forger une réputation et qui veut se mettre en valeur. La gloire est

définie par O. Chaline comme « tout à la fois la réputation du monarque, l’éclat de sa maison

et l’intérêt de l’Etat. »39

. Comme on l’a déjà évoqué, le développement de la gloire passe par

les guerres et la réputation de l’armée du royaume. Mais, cette mise en valeur advient

forcément par une propagande à la gloire du roi. O. Chaline ne veut pas parler de propagande

34 CHALINE, O. Op.cit. p.61 35

CORNETTE Joël. « « J’ai trop aimé la guerre… » ». L’Histoire. Avril 2013, n°386, pp. 40-45. P.43 36

PETITFILS J-C. Op.cit. p.320 37

PETITFILS J-C. Op.cit. p.321 38

PETITFILS J-C. Op.cit. p.322 39

CHALINE, O. Op.cit. p.99

21

mais d’un effort de persuasion. J.C Petitfils dira qu’il faut « éblouir pour séduire et séduire

pour imposer ». Il semblerait que c’est ce que Louis XIV a tenté de faire. Pour que cet effort

porte ses fruits Louis XIV n’utilise pas des moyens nouveaux mais plutôt des moyens déjà

inscrits dans une tradition d’utilisation. Il construit des bâtiments et des places célébrant le roi

dans toute la France. La gloire passe par la cour et le fait que toutes les fêtes, tous les ballets

et carrousels sont décrits dans la Gazette. Il créa aussi le Petite Académie et déclara à ses

membres, qu’il leur confiait son bien le plus précieux : sa gloire. O. Chaline résume bien dans

la citation ci-dessous tout ce qui a servi à la célébration du roi :

Jamais un roi de France n’a été si célébré ni si représenté. Tous les vecteurs ou

presque furent bons. La gloire du roi se dit et s’écrit. Elle se montre par la peinture

et la sculpture, par la médaille et la gravure, par le cérémonial, que le roi soit

présent ou non, par les feux d’artifice comme par la maîtrise des eaux et des

végétaux.40

Cependant, à la fin du règne de Louis XIV, il semblerait que le discours de la gloire

s’use et que les artistes aient de plus en plus de mal à trouver des idées pour célébrer la gloire

du roi.

La personnalité de Louis XIV

Voici un petit inventaire de ce que l’on peut trouver sur la personnalité de Louis XIV :

O. Chaline parle d’un roi manipulateur, qui utilise l’étiquette comme un instrument et qui se

sert du flou et de l’à peu près pour asseoir son pouvoir. Malgré cela, il ne le présente pas

comme un homme insensible et rapporte son malaise à la mort de son père puis de sa mère. Il

évoque aussi un roi timide et plus hésitant que l’on pourrait le penser.

J.C. Petitfils quant à lui décrit un homme avec « son sens inné de la majesté, son goût de la

gloire et du paraître, son désir de plaire et de surprendre,»41

. Il précise aussi que c’est un roi

qui avait le goût du détail et qui était travailleur, pouvant passer des heures à étudier un

dossier difficile. Selon ce dernier, il est difficile de faire un portrait de son règne, car il retient

à la fois la brutalité militaire et l’honnêteté d’un homme de l’époque.

Joël Cornette parle d’un roi préoccupé par sa gloire et orgueilleux, c’est un roi stratège.

François Bluche, décrit un roi qui parle peu car il sait que chacun de ses mots a son

importance. En parlant du roi, il dit : « Ce prince que l’on croyait aime volontiers et a besoin

de se sentir aimé. » 42

. Ce n’est donc pas selon lui un roi indifférent comme on peut parfois le

lire. Il le décrit même comme sensible et timide.

40

CHALINE, O. op.cit. p..226 41

PETITFILS J-C. Op.cit. p.697 42

BLUCHE, François. Louis XIV. Paris : Editions Hachette Littératures, 1986. P.686

22

En résumé, il semble que l’image d’un homme poli et « solide » fait consensus. De même,

il semble s’investir dans son métier de roi et être un grand travailleur. Le désir de plaire, qui

passe par la gloire et par cette envie d’impressionner, est un point qui revient régulièrement

dans les différentes études. Mais, comme il le dit lui-même dans ses mémoires, ce dernier

point fait partie de la fonction de son rang.

Si l’image de Louis XIV a évolué dans le temps et en particulier depuis l’époque du

roman national, la partie suivante permettra de voir, d’un point de vue général, l’évolution des

instructions officielles durant cette même période, puis la place de Louis XIV dans ces

programmes depuis 1882.

II. Louis XIV et les instructions officielles

1) Les instructions officielles en histoire de 1882 à 2008

Dans le programme du 27 juillet 1882, l’histoire fait partie de l’éducation intellectuelle.

L’histoire enseignée est essentiellement l’histoire de France, et même les « quelques notions

très élémentaires d’histoire générale »43

doivent être mises en relation avec cette histoire de

France. L’Histoire doit être enseignée du Cours Préparatoire (CP) au Cours Supérieur (CS).

Au niveau didactique, le programme préconise une histoire enseignée par récits et entretiens

familiers où doivent être relatés principalement une histoire politique c’est-à-dire une histoire

des grands personnages et des faits principaux de l’histoire de France.

En 1887, des propositions d’horaires sont faites pour l’histoire et géographie : 2h30 par

semaine du Cours Elémentaire (CE) au Cours Supérieur.

Dans les instructions officielles du 20 juin 1923, le volume horaire par semaine évolue

et le CP n’est plus concerné par l’enseignement de l’Histoire/ Géographie. Sur les trente

heures de classe par semaine, l’histoire doit représenter un enseignement de 2h30 pour le CE

puis 3h pour le cours Moyen (CM) et Supérieur. Au niveau de la programmation, les

programmes semblent mieux organiser selon les niveaux même si les instructions sont encore

très brèves. Il faut que les maîtres enseignent les « Principaux faits et principales dates de

l'histoire de France » (jusqu’à 1610 en CE puis le reste en CM).

43

http://jl.bregeon.perso.sfr.fr/Programmes_primaire1882.pdf p.12. Consulté le 18 décembre 2013

23

Les programmes du 28 mars 1938 sont identiques à ceux de 1923. Les instructions

préconisent l’utilisation de tableaux, de scènes ou d’événements « susceptibles de frapper

l’imagination des enfants ».

Dans l’arrêté du 17 octobre 1945, même si les instructions indiquent que l’histoire doit

toujours se faire sous la forme de « récits simples et concrets consacrés aux grandes figures

et aux épisodes les plus marquants de notre vie nationale », on voit apparaître la notion de

vie sociale et de son évolution. Les instructions précisent qu’autour de chaque date doivent

être apportées des descriptions de la société notamment au niveau matériel et au niveau du

travail. L’histoire sort de l’histoire politique pour rentrer davantage dans une histoire sociale.

Cette nouvelle tendance est à mettre en lien avec le développement de l’école des Annales qui

ouvre l’histoire à la sociologie et donc la vie des hommes. De plus, on demande aux

enseignants de solliciter au maximum les ressources locales (ruines, églises, monuments,

médailles, monnaies, etc…). Une liste détaillée de leçons (39 au CE) est proposée.

En 1978, sortent de nouveaux programmes pour le CE. Dans ces nouveaux textes, il

n’y a plus d’histoire mais de « l’initiation historique » classée dans les activités d’éveils (dont

le volume horaire est de 7h sur 27h par semaine). On construit l’histoire (limitée au XIXè et

XXè siècle) à partir des activités personnelles des élèves. On étudie les « aspects de la vie

économique et sociale » ; des éléments des paysages actuels ayant une histoire et « des

événements et des personnages marquants de l’histoire et de la mémoire locale, régionale ou

nationale ». Ces personnages doivent être connus des élèves par le biais du récit. Les faits

plus lointains doivent être évoqués seulement à l’occasion de vestiges, lectures,

commémorations, etc… . La frise historique comme outil (à élaborer collectivement) fait son

apparition dans les programmes.

Suite à ces programmes pour le CE, sortent en 1980 les programmes pour CM.

L’histoire est alors toujours inscrite dans les activités d’éveils mais on ne parle plus

d’initiation. Les instructions définissent des objectifs généraux et spécifiques à l’histoire et la

géographie. Au niveau des objectifs généraux, l’histoire et la géographie vont permettre aux

élèves de se situer dans le temps et l’espace, d’ordonner les informations dont ils disposent, de

développer un esprit critique à l’égard de ces informations mais également de mieux

comprendre la société dans laquelle l’élève vit. Pour les objectifs spécifiques, l’histoire et la

géographie doivent amener les élèves à développer des attitudes telles que l’attention,

l’observation et la curiosité à l’égard du présent et du passé. Il faut également que l’élève

prenne conscience de l’aspect scientifique de ces deux matières et donc de la nécessité d’une

24

étude scientifique. Tout ceci devra apporter à l’enfant un sentiment d’appartenance à une

collectivité nationale. Au niveau des connaissances, les élèves devront connaitre les grandes

périodes de l’histoire de France (plus découpées que dans les programmes actuels) Il faut

surtout que les élèves sachent situer chaque période et connaitre pour chacune « quelques faits

dominants, dates, événements, personnages ». Mais les programmes préconisent également de

s’attacher « aux aspects de la vie en société et de la civilisation ». Une liste d’exemple de

thèmes à étudier pour chaque période est proposée avec des éléments d’histoire sociale.

En 1985, l’histoire en tant que telle est ré-introduite au CP. Mais c’est une histoire se

rapportant à la vie de l’enfant, au rythme des journées, aux saisons, etc…autrement dit le

« temps qui passe ». Au CE, on présente aux élèves les différences entre le présent et le passé

à travers les grandes périodes historiques (préhistoire, époque médiévale…). Enfin au CM, on

étudie l’Histoire de France à travers les grandes périodes. Mais, on peut remarquer que parmi

les grands thèmes qui sont proposés aucun « grand » personnage ou événement n’est cité. Au

niveau didactique, on assiste à un changement majeur ; dorénavant les programmes

recommandent l « analyse attentive et critique de documents simples » pour comprendre

l’Histoire. Au niveau horaire, sur les 27h hebdomadaires, les programmes recommandent 1h

d’histoire/ géographie pour le CP ; 2h en CE et en CM (le CS n’existe plus en tant que tel

depuis les programmes 1945)

Le Journal Officiel du 2 mars 1995, laisse apparaitre deux nouveautés : la mise en

place de 3 cycles (mis en place depuis 1991 par Lionel Jospin, ministre de l’éducation

nationale, de la jeunesse et des sports) et une nouvelle matière : la découverte du monde en

cycle 2. Dans la découverte du monde on retrouve comme dans les programmes de 1985, la

notion de temps : dans la vie des hommes (année, calendrier…) mais aussi dans la vie

quotidienne et l’évolution des modes de vie. En Cycle 3 (du CE2 au CM2) on débute l’étude

des grandes périodes de l’histoire de France mais dans une perspective d’évolution

européenne et mondiale. Une liste propose pour chaque période les grands thèmes, les dates et

personnages de références ainsi que des « repères » à mémoriser. La méthode d’apprentissage

initié en 1985 est maintenue, en effet les programmes conseillent « d’utiliser différentes

sources historiques et de les comparer dans un esprit critique. ».

Dans le bulletin Officiel n°1 du 14 février 2002, on retrouve, au cycle 2, l’appellation

« Le temps qui passe » (programme 1985). A la fin du cycle 2, les élèves devront être

notamment capables de distinguer le passé récent du passé plus lointain ; mais aussi être

curieux des traces du passé et les questionner pour les interpréter et identifier une

25

information relative au passé en la situant sur une frise chronologique. Toutes ces

compétences doivent être acquises avant d’aborder l’Histoire de France au cycle 3. L’Histoire

sera alors abordée en six grandes périodes et vingt et un points forts. Dans ces points forts, on

peut remarquer que le seul « grand personnage » cité est Louis XIV.

Les programmes de 2002 sont remplacés en 2008, par BO n°3 du 19 juin. Il n’y a

toujours pas de réel changement au niveau de la découverte du monde, seul le grand titre

change : « se repérer dans l’espace et le temps ». L’histoire et la géographie doivent

développer chez les élèves « curiosité, sens de l’observation et esprit critique. ».Le

programme conserve les six grandes périodes et fournit une liste d’évènements et personnages

servant de repères indispensables qui sont les « jalons de l’histoire nationale, ils forment la

base d’une culture commune. ». Contrairement au programme de 2002, un grand nombre de

personnages et événements sont donc cités. Un retour de l’histoire politique ?

De ce descriptif des différents programmes depuis 1882, il faut retenir l’évolution en

termes de didactique de l’enseignement de l’Histoire. On passe, en un siècle, de l’histoire-

récit des grands événements et des « grands » personnages, à l’apprentissage de l’Histoire

passant par le développement du sens de l’observation et de l’esprit critique, ceci dès 1980.

Comme le souligne P. Garcia , la mise en activité a fini par s’imposer44.

Aujourd’hui, l’élève doit aujourd’hui participer à la construction des apprentissages et

l’enseignement de l’histoire ne se résume plus à apprendre par cœur le résumé d’un récit fait

par le maître. On passe alors d’une pédagogie transmissive à une pédagogie constructiviste

voire socio-constructiviste.

44

GARCIA P. Op.cit. p. 280

26

2) La place de Louis XIV dans les programmes

Et Louis XIV dans ces programmes ? Il ne s’agit pas ici d’une analyse mais seulement

d’une simple lecture des programmes afin de pouvoir situer Louis XIV dans ceux-ci. Le

tableau ci-dessous résume ce que l’on peut trouver à son propos.

Tableau 1: Louis XIV dans les programmes de 1882 à 2008

Date de

sortie du

programme

Intitulé leçon précédente Intitulé leçon Louis XIV Intitulé leçon suivante

1882 Programmes généraux, pas de détails. Louis XIV devrait normalement être enseigné en CM

car c’est durant ces années qu’on étudie l’après-guerre de 100 ans

1923 En cours moyen, il est indiqué : la monarchie absolue qui débute le cours moyen et est suivi

par la fin de l’ancien régime

1938

(cours

supérieur)

L'œuvre de Richelieu et de

Mazarin.

-

Formation de la monarchie

absolue et de la

prépondérance française.

La Monarchie de Louis XIV.

-

Grandeur et déclin.

-

Versailles.

Répercussions des luttes

continentales sur l'histoire de

l'Empire colonial français au

XVIIIe

Siècle

1945 CE : Richelieu ; Saint

Vincent de Paul

CM : Renaissance et

Réforme

CE : Louis XIV ; Versailles

CM : l’absolutisme

CE : Colbert ; Turenne et

Vauban

CM : La Révolution et

l’Empire

1978

(CE)

Programme que pour le CE qui doit se limiter à l’étude des XIX et XXème siècles

Malgré tout il est possible d’étudier des « personnages marquants de l’histoire »

1980

(CM)

Qu'est -ce que la

Renaissance ?

La monarchie absolue

(Richelieu et Louis XIV)

L'activité économique au

XVIIIe siècle;

la vie dans une province

française aux XVIIe et

XVIIIe siècles

1985

(CM)

Les problèmes religieux (la

Réforme, les Guerres de

religions)

Les rois de France et

l’évolution de leurs pouvoirs

Les mouvements intellectuels

et artistiques (Renaissance,

Classicisme, Lumières).

1995

(cycle 3)

Les grandes découvertes ;

la Renaissance ;

les guerres de religion

Louis XIV (1643-1715) et la

monarchie absolue

La société française et l’art

classique

La Révolution française et

l’Empire

2002

(cycle 3)

Une autre vision du monde

artistique, religieuse,

scientifique et technique

La monarchie absolue en

France : Louis XIV et

Versailles

Le mouvement des Lumières,

le Révolution française et le

Premier Empire : l’aspiration

à la liberté et l’égalité,

réussites et échecs.

27

2008

(cycle 3)

La Renaissance : les arts,

quelques découvertes

scientifiques, catholiques et

protestants.

Louis XIV un monarque

absolu

Les Lumières

La chose la plus remarquable est le fait que Louis XIV soit quasiment toujours associé à

l’idée d’absolutisme, même dans les programmes actuels alors que les recherches ont évolué.

On note également que Louis XIV n’est évoqué qu’à partir des programmes de 1938 et pour

le Cours Supérieur. A partir de là, il sera toujours cité, sauf pour les programmes de 1985.

Dans les programmes de 2002, Louis XIV est le seul grand personnage cité.

Après avoir étudié les instructions officielles, le point suivant permettra de comprendre le

lien qui existe entre celles-ci et les manuels scolaires. Il sera également question de

comprendre comment un manuel est construit et quel est son rôle au niveau pédagogique et

politique.

III. Le manuel scolaire d’histoire

Il sera question, dans un premier temps, de comprendre le lien qu’il peut y avoir entre ces

manuels et les programmes. La seconde partie sera consacrée à faire un bref historique sur le

manuel scolaire et en particulier le manuel scolaire d’histoire afin d’en saisir les principales

fonctions et son évolution dans le temps.

1) Programmes, manuels : Quels liens ?

Selon Alain Choppin45

, « les programmes officiels - quand ils existent – constituent le

canevas auquel les manuels doivent se conformer strictement ». En effet, le manuel a une

fonction « programmatique », autrement dit, il doit être conforme aux programmes en vigueur

et chaque nouveau programme rend obsolète l’édition précédente d’un manuel. Jusqu’à dans

les années 1960, l’édition scolaire concernait surtout l’école élémentaire où les programmes

variaient très peu. Ceci explique que certains ouvrages tels que Le Tour de France par deux

enfants de G. Bruno, publié en 1877, furent réédités ou réimprimés à 411 reprises jusqu’en

1960. La longévité de ces manuels était considérée comme un gage de qualité par les

contemporains.

45

CHOPPIN Alain. Les manuels scolaires : histoire et actualité. Hachette éducation, Paris, 1992

28

Actuellement, les programmes de l’école élémentaire changent en moyenne tous les 5

ans depuis 1978. Sont publiés environ 5 fois plus de manuels qu’il y a cinquante ans. La durée

de vie des manuels scolaires a donc largement diminué. L’édition scolaire représente 15 à

20% du chiffre d’affaire de l’édition française et on compte entre 50 et 60 millions

d’exemplaires par an.

Mais, il est important de nuancer car même si la sortie de nouvelles Instructions

officielles entraine une nouvelle édition d’un manuel cela ne veut pas dire pour autant que les

enseignants se procurent cette nouvelle édition. En effet, comme le fait remarquer Dominique

Borne, dans son rapport, les nouveaux programmes ne s’accompagnent pas systématiquement

d’un renouvellement des manuels (essentiellement pour une question budgétaire).

Pour être conforme aux instructions officielles, il existe une relation entre le ministère

de l’éducation nationale et le syndicat national des éditeurs scolaires46

. En effet, le ministère

informe ce syndicat du changement des programmes et publie ces derniers quatorze mois

avant leur application pour que les éditeurs aient du temps pour concevoir les nouveaux

manuels. Malgré tout, à chaque changement de programmes, les éditeurs doivent s’adapter à

des modifications plus ou moins importantes des instructions officielles et de leurs

orientations. La principale difficulté pour les éditeurs est de « donner corps » à l’esprit des

nouveaux programmes.47

C’est pourquoi, il peut arriver que les concepteurs des programmes

ne se retrouvent pas dans ces manuels. Comme le précise Henri Moniot48

, les manuels sont

« une expression » des programmes, autrement dit une façon de les interpréter. C’est

notamment pour cela que les programmes sont complétés par des documents

d’accompagnement, pour mieux réguler l’application des instructions officielles.

Pour D. Borne le fait que les programmes soient centralisés mais que les éditeurs les

interprètent en toute liberté relève d’un paradoxe purement français. En plus de cette liberté

de production des éditeurs, la France jouit d’autres libertés49

dans le domaine du livre

d’enseignement : liberté de choix (l’enseignant est libre de choisir le manuel qui lui convient)

et liberté de l’utilisation (l’enseignant peut faire une utilisation partielle ou complète d’un

manuel, il en fait l’utilisation qui lui semble adaptée à son mode d’enseignement).

46

BORNE, Dominique. Rapport sur le manuel scolaire. Juin 1998 47

LE MARREC, Yves. In Manuels scolaires, regards croisés. Op.cit. 48

MONIOT Henri. Didactique de l’histoire. Nathan pédagogie, Paris, 1993 49

LE MARREC, Yves. In Manuels scolaires, regards croisés. Op.cit.

29

Malgré cette liberté, l’Etat ne se désintéresse pas des manuels, il a depuis le XIXème

siècle un droit de véto (en cas d’ouvrages non conformes à la morale, à le Constitution ou aux

lois) et il peut établir des listes (non exhaustives) d’ouvrages recommandés.50

2) La place du manuel d’histoire

a. L’apparition du manuel scolaire.

Les Lettres de Gasparin de Pergame, sont considérées comme le premier livre scolaire

imprimé à Paris, en 1470, à la suite de l’installation du premier atelier typographique. Cet

ouvrage est un recueil pour la jeunesse, de style latin. Il faudra tout de même attendre le XIX

siècle pour que les livres scolaires se répandent et touchent un grand nombre de personnes.

Trois facteurs permettent de comprendre pourquoi le manuel s’est développé lors de ce

siècle51

.

Dans un premier temps, l’enseignement traditionnel individuel est petit à petit remplacé par la

méthode pédagogique de l’enseignement simultané, qui se généralise à partir des années

1850. Cette méthode, amène l’idée, que les élèves d’une même classe d’âge progressent

simultanément, donc qu’ils peuvent utiliser des livres identiques (cependant, de nos jours,

Eric Bruillard 52

constate que le manuel doit faire face à un public scolaire très hétérogène ce

qui remet en cause ce discours unique). Deuxièmement, Guizot dans les années 1830, suivi de

Jules Ferry un demi-siècle plus tard, met en place une politique visant l’alphabétisation et

donc la scolarisation de la jeunesse. Enfin, les progrès en matière de techniques d’impression

et de reproduction entraînent un développement des entreprises d’éditions.

Sur le plan de la terminologie, il faut tout d’abord faire un point sur la distinction entre

le livre scolaire et le manuel. Le Décret n° 85-862 du 8 août 1985 précise que « sont

considérés comme livres scolaires […] les manuels, ainsi que les cahiers d’exercices et les

travaux pratiques qui les complètent ». La notion de livre scolaire est donc un hyperonyme de

manuel autrement dit les manuels font partis de ce que l’on appelle les livres scolaires.

On s’intéressera essentiellement à ce qu’on appelle aujourd’hui le manuel, pouvant

être défini comme « un ouvrage didactique ou scolaire qui expose les notions essentielles d’un

50

CHOPPIN Alain. « L’histoire des manuels scolaires : une approche globale » Histoire de l’éducation. 1980, n° 9 INRP, pp 1-25 51

CHOPPIN Alain (1992). Op.cit. P.7 52

BRUILLARD Eric. Manuels scolaires, regards croisés. Scéren CRDP Basse Normandie, 2005

30

art, d’une science, d’une technique, etc. »53

; cette appellation n’a pas toujours été. Avant la

révolution, il n’existait pas d’expression particulière pour désigner cette catégorie d’ouvrages.

Les livres permettant l’apprentissage étaient désignés soit par leur contenu (Alphabet ;

Syllabaire…) soit par leur rôle (Guide, Méthode…). Puis, lors de l'Assemblée constituante du

19 septembre 1791, Talleyrand (homme d’Etat qui fut notamment président de l’Assemblée

Nationale) déclare : « il faut que des livres élémentaires, clairs, précis, méthodiques, répandus

avec profusion, rendent universellement familières toutes les vérités ». C'est donc la

Révolution qui donne au livre scolaire une existence législative avec cette appellation. A.

Choppin précise que « Depuis lors, de nombreux termes sont apparus et ont été utilisés

successivement ou conjointement [...] » 54

tels que livres d'enseignement, manuels

d'enseignement livres, livres scolaires élémentaires, etc…

Cette évolution de la terminologie démontre à quel point le manuel est un objet

complexe. De plus, ceci est renforcé par le fait qu’il existe deux types de livres scolaires55

:

ceux définis dès le départ comme manuels scolaires et ceux qui le deviennent.

b. Les fonctions du manuel scolaire

Le rapport de D. Borne souligne que les manuels scolaires sont accusés de faire mal au

dos aux élèves ou encore de véhiculer des stéréotypes ou valeurs sexistes, or, on oublie

souvent sa véritable fonction. Le manuel est avant tout l'un des outils didactiques à la

disposition de l'enseignant et à la destination des élèves. Le livre scolaire a parfois été en

concurrence ou au contraire complémentaire aux autres outils didactiques56

. Aujourd'hui,

beaucoup pensent que le développement des nouvelles technologies aura de profondes

répercussions sur l'édition scolaire classique. Pourtant, jusqu’à aujourd’hui ces technologies

n'ont pas fondamentalement remis en cause cette édition et de plus celle-ci semble s'adapter

grâce notamment aux manuels numériques.

Alain Choppin a identifié quatre fonctions essentielles du manuel scolaire : 57

- Fonction « référentielle » ou « programmatique » : c’est à dire que le manuel

est la traduction « fidèle » des programmes ou du moins une de ses interprétations.

- Fonction instrumentale : le manuel vise à favoriser l’apprentissage via des

méthodes, exercices, activités, etc…

53

Le petit Larousse illustré 2013 54

CHOPPIN A. (1992). Op.cit. P.10 55

CHOPPIN A. (1992). Op.cit. 56

CHOPPIN A. (1992). Op.cit. 57

CHOPPIN A. In Manuels scolaires, regards croisés. Op.cit.

31

- Fonction idéologique et culturelle : depuis le XIXème siècle le manuel est un

vecteur langagier et culturel. Il est même considéré par A. Choppin comme un « instrument

privilégié de la construction identitaire ». (nous y reviendrons plus longuement dans les deux

prochains points)

- Fonction documentaire : le manuel doit fournir un ensemble varié de

documents (textuels, iconographiques…) amenant les élèves à développer leur esprit critique

via l’observation et la confrontation des documents.

c. Le manuel scolaire : une histoire politique

Si A. Choppin considère que le manuel est un instrument permettant la construction

identitaire, c’est avant tout car le manuel a un réel pouvoir politique. Nous avons vu

précédemment, l’évolution de la terminologie durant la période Révolutionnaire, or c’est

également à partir de cette période que le pouvoir politique va prendre conscience que le

manuel scolaire est un des principaux outils permettant l’uniformisation de l’enseignement

dans une nation. La Loi Guizot du 28 juin 1833 va donc définir la langue et les matières

d’enseignements afin de normaliser linguistiquement mais aussi culturellement

l’enseignement. Tout ceci se fait dans le but de renforcer le sentiment d’une identité nationale

commune et donc par la même occasion de consolider la cohésion sociale particulièrement

profitable lors des périodes de guerre. On comprend alors mieux l’intérêt d’utiliser les

manuels d’histoire pour diffuser le roman national et faire émerger un fort sentiment

patriotique français.

Patrick Garcia58

rapporte les propos qu’André Balz a écrit dans le Dictionnaire de

pédagogie de Ferdinand Buisson (1911) :

Les agitations de la politique courante ont plus d’une fois franchi le seuil de l’école

et il serait aisé d’en retrouver les traces en parcourant les nombreux manuels

[d’Histoire] destinés, depuis une quinzaine d’années, à être mis entre les mains des

enfants.

Ces propos ne peuvent pas être plus clairs concernant le lien entre la politique et manuels

scolaires. On peut illustrer ceci par le duel, au début du XXème, entre école publique et

l’école catholique. En effet, certains auteurs de manuels d’histoire adoptent un ton clairement

anticlérical et ils sont souvent engagés politiquement. Patrick Garcia donne l’exemple de la

collection Gauthier-Deschamps (qui qualifie par exemple la révocation de l’Edit de Nantes de

58 GARCIA P. Op.cit.

32

« crime odieux ») ou encore les manuels de Calvet (un manuel de chaque sera analysé

ultérieurement).

On assiste, de 1919 à 1933 (à la suite de la Première Guerre mondiale), à une vaste

campagne de révision des manuels (par initiatives privées ou gouvernementales) en particulier

les manuels d’histoire, géographie et d’instruction civique et morale. Cette campagne vise la

suppression de toute trace de militarisme ou nationalisme dans les manuels dans le but de

favoriser la paix. Mais, tout ceci ne résista pas face à la montée du nazisme.

A partir de 1945, les mouvements de révision des manuels reprennent et continuent

encore aujourd’hui mais comme le souligne A.Choppin : « Le mouvement de révision des

manuels scolaires est tributaire de conditions politiques qui tantôt le freinent, tantôt le

stimulent. ». Le gouvernement a donc une forte influence sur le contenu des manuels

notamment par le biais des programmes comme il en sera question ultérieurement. Le manuel

est un enjeu majeur pour le pouvoir politique quel qu’il soit car il peut être diffusé sur tout le

territoire national.

d. Le manuel véhicule idéologique, vecteur de valeurs et de stéréotypes

Comme nous l’avons déjà évoqué avec le roman national, Alain Choppin considère

que le manuel est « le condensé de la société qui l’a produit » et il est le « véhicule d’un

système de valeurs, d’une idéologie, d’une culture » autrement dit le manuel scolaire reflète

une société (souvent idéalisée), son histoire, ses valeurs mais aussi ses stéréotypes. Il

semblerait, qu’encore de nos jours, on ne prend conscience de la valeur idéologique et

culturelle d’un manuel, que lorsqu’il dévie des « normes ». Or, ceci est très rare car les

éditeurs par sécurité restent dans la norme.

Les procédés tels que le choix des textes, l’agencement, le questionnement, le titre

donné etc…, ou encore la place de l’iconographie (qui n’a cessé de croître depuis les années

1970) permettent de faire passer un message idéologique et/ou culturel. On peut donner

l’exemple de la représentation de l’Alsace Lorraine sur les cartes de l’année 1870 à 1918 : ces

régions étaient représentées en violet, couleur du deuil. Cette représentation, implicitement, va

amener la nation à se battre pour une cause juste : sortir l’Alsace Lorraine du deuil.

Toutefois, il faut prendre en compte le fait, comme le précise Christian Laville, qu’il

existe un décalage entre ce que le manuel contient, ce que l’enseignant enseigne et ce que

l’élève retient. De plus aujourd’hui, on assiste de la part des maisons d’édition à une volonté

de remettre en cause certaines croyances telles que le mythe gaulois par exemple. Yannick Le

33

Marec observe que dans les manuels récents ce mythe, malgré sa ténacité, a largement été

remis en cause. De même, le ministère de l’Education Nationale via le Journal Officiel du 18

juin 1982 demande aux éditeurs de publier des manuels luttant contre les stéréotypes des

genres, et demande de supprimer des manuels tout stéréotype sexiste.

e. L’évolution du contenu des manuels

Si on part des manuels des années 1900, les enfants étaient considérés avant tout

comme des adultes en devenir. Il y avait donc dans les manuels très peu d’activités ludiques,

les écritures étaient petites et il y avait peu de place réservée aux illustrations. Puis petit à

petit, les activités ludiques vont occuper une place essentielle59

en occupant 36 % du contenu

des manuels en 1932 puis 56,3% en 1961.

Durant la période Jules Ferry (IIIe République), le manuel d’histoire (et surtout le Petit

Lavisse) devient un élément central pour l’enseignement de l’histoire. L’image devient alors

essentielle dans les manuels, or, les auteurs des manuels avaient recours à des textes ou

images « fabriqués » car ils étaient considérés comme plus simples à comprendre pour les

élèves. Amalvi explique pourquoi un tel développement de l’image :

Pour trois raisons majeures, Jules Ferry et ses successeurs confient en priorité à

l’image le soin d’accomplir la double mission sacrée qu’ils confèrent aux manuels

d’histoire : diffuser et entretenir dans le cœur des jeunes générations l’amour

indissociable de la patrie et de la République. Sur le plan didactique, la plupart des

pédagogues sont, à juste titre d’ailleurs, convaincus que si le texte du manuel vise

l’intelligence et la mémoire de l’élève, cherche à le convaincre par des arguments

logiques et rationnels, la gravure, elle, frappe l’imagination enfantine et stimule son

affectivité.60

De plus, une autre fonction de l’image est de ressusciter le passé et donc de le rendre plus

vivant. L’utilisation de ces gravures, inventées par les auteurs, permettait de jouer également

sur les stéréotypes grâce par exemple aux traits des personnages : le gentil est beau et le

méchant est laid avec des traits grossiers. Aujourd’hui, on trouve très rarement dans les

manuels des textes et images de ce genre.

Une des grandes limites du manuel est que, de par sa nature pédagogique, les contenus

des manuels d’école primaire doivent être simplifiés, ce qui présente une vision incomplète et

réductrice des faits historiques par exemple.

59

CHOPPIN A. (1992). Op.cit. 60

AMALVI C. (2001). Op.cit. P. 35

34

Encore aujourd’hui, certains auteurs comme Yannick Le Marec61

considèrent que la

place de l’historiographie dans les manuels est trop peu présente. Pour lui, le manuel devrait

« montrer de mesurer l’importance des avancées historiographiques faites de débat et de

controverses » et donc ne pas présenter l’histoire et les faits historiques comme une

connaissance certaine. Il faut que les manuels suivent les avancées des historiens et soulignent

les points qui font consensus et ceux qui sont encore en débat. Nous allons donc analyser si

dans le cas de Louis XIV, les contenus des manuels sont en adéquation avec les travaux

des historiens.

61

LE MARREC, Yves. In Manuels scolaires, regards croisés. Op.cit.

35

CONCLUSION ET HYPOTHESES

En concluant sur les éléments essentiels de cette première, nous poserons des hypothèses

sur les éléments que nous devrions rencontrer dans l’analyse.

Les recherches actuelles sur Louis XIV remettent en cause ou du moins apportent une

vision différente sur certains éléments de son règne, sur la notion de monarchie absolue, entre

autres. Cette évolution des connaissances depuis le XIXème siècle devrait donc se retrouver

dans les manuels scolaires, à moins qu’il n’existe un décalage entre la recherche scientifique

et la transmission de ses nouveaux savoirs dans les manuels.

Toujours en rapport avec ses recherches, nous pouvons également faire l’hypothèse que

l’image, la représentation, qui est véhiculée dans les manuels concernant Louis XIV n’est pas

la même aujourd’hui qu’à l’époque du développement du roman national. La représentation

actuelle devrait être plus neutre.

Nous avons également pu voir des changements dans l’esprit des programmes depuis

1882. Ces programmes demandent de plus en plus le développement d’un esprit critique et

d’analyse. Or, les manuels sont en lien avec les programmes et doivent donc se conformer aux

contenus et recommandations pédagogiques qui sont proposés.

Nous pouvons alors supposer qu’au niveau didactique, la structure de la leçon des manuels

devraient avoir évolué en même temps que l’ « esprit » des programmes depuis la fin du

XIXème siècle. Les types de questions accompagnant le chapitre sur Louis XIV devraient, par

conséquent, mobiliser des compétences différentes chez l’élève et donc répondre à des

objectifs eux-mêmes distincts.

En résumé, l’analyse qui va suivre permettra de mettre en évidence dans chaque manuel

les points du règne de Louis XIV qui seront mis en évidence et donc l’image, la

représentation, que les auteurs et/ ou les instructions officielles cherchent à dégager sur ce roi.

36

Partie 2 : Etude du corpus

I. Présentation de la méthode d’analyse

Pour pouvoir faire une analyse efficace de mon corpus, j’ai choisi de mettre en place

une grille d’observation et d’analyse. Cette grille permet d’analyser chaque manuel de

manière similaire afin de pouvoir en tirer des caractères communs ou au contraire des

caractères qui diffèrent. Afin de construire cette grille d’observation, j’ai sélectionné les

critères généraux qui me semblaient pertinents pour mon thème (taille du manuel, auteurs,…).

J’ai ensuite rajouté les points spécifiques adaptés à la recherche entreprise, comme l’analyse

du tableau de Hyacinthe Rigaud ou encore les idées principales des résumés, etc…

La grille d’analyse, que vous trouverez en annexe (cf annexe 1), est composée de 6

tableaux qui représentent 6 points d’observations et d’analyse.

Dans un premier temps, je me suis intéressée aux informations générales du manuel.

J’ai ainsi recensé les informations de bases (titre du manuel, auteur, éditeur, année d’édition,

programmes en vigueur, niveau(x) visé(s), taille du manuel, nombre de pages…). En plus de

ces informations, je souhaitais me faire une première idée de la structure générale du manuel,

en observant la manière dont il était construit, et plus particulièrement la manière dont les

leçons étaient présentées.

Le deuxième tableau porte sur la (ou parfois les) leçon(s) qui concernaient Louis XIV.

L’intérêt principal de ce tableau, était de relever la structure exacte de la leçon (son titre et ses

différents points et rubriques (lexique par exemple)), et de faire l’étude des points essentiels

dégagés dans cette leçon (éléments du règne qui sont mentionnés, surnoms donnés au roi…).

D’autres éléments ont également été observés, comme l’estimation de la proportion texte/

image, permettant de voir l’évolution de cette proportion dans le temps. Dans le cas où, dans

d’autres leçons ou dossiers, des éléments seraient apportés sur Louis XIV, une rubrique était

prévue pour relever ces informations.

Le tableau suivant, en lien avec la structure de la leçon, permettait de relever tous les

documents présents dans la leçon. Les documents étaient classés en trois catégories : les

documents iconographiques (œuvres d’art, dessins…) ; les documents textuels et les autres

types de documents (cartes, frise chronologique…). Après avoir relevé ces documents, une

colonne était consacrée à l’analyse didactique de chaque document. Autrement dit, est ce que

37

le document n’était qu’une simple illustration de la leçon, ou est ce qu’il permettait de

comprendre un propos ou encore de renforcer ou contredire d’autres documents….

Le quatrième tableau permettait d’analyser, de manière générale, le questionnement

(lorsqu’il existe) proposé dans la leçon. Après avoir relevé le nombre de questions par

document, la grille permettait d’analyser l’intérêt des questions (simple relevé d’informations,

questions de réflexion, questions demandant une interprétation des documents, questions

relevant de l’esprit critique, questions mettant en lien des documents, etc.). Puis dans un

dernier temps, il était question de relever les points essentiels que le questionnement mettait

en avant par rapport à Louis XIV.

Pour le tableau d’analyse du résumé, il convient dans un premier temps de distinguer

le résumé, de la leçon. Quand on parle ici de résumé c’est bien le résumé de la leçon, c’est

donc comme son nom l’indique un petit texte qui résume les points essentiels de la leçon.

Tous les manuels n’ont donc pas forcément de résumé. Nous verrons, un peu plus loin,

pourquoi cette distinction est aujourd’hui de plus en plus floue. Dans ce tableau, nous

trouverons donc si un résumé existe et si oui la longueur du résumé (en nombre de mots).

Puis, la grille demande de relever les points retenus par le résumé et si la typographie fait

apparaître des éléments plus importants que d’autres.

Enfin dans le dernier tableau, on propose de s’intéresser à une œuvre particulière :

Louis XIV en costume de sacre peint par Hyacinthe Rigaud en 1701. La grille demande de

repérer la place du tableau dans la leçon : place particulière, par exemple en première page, ou

au milieu des autres documents, puis en dernier lieu d’analyser l’exploitation qui est faite du

tableau. Autrement dit les questions qui sont posées et les éléments qu’elles font émerger.

Une place libre laissée aux remarques permettait d’apporter des informations

particulières ne rentrant pas directement dans la grille d’observation et d’analyse.

La plus grande difficulté pour la construction de cette grille a été le fait de faire une

grille qui soit adaptée autant à des manuels de fin XIXème-début XXème qu’à des manuels

actuels. Certains points de la grille ne feront pas l’objet d’une analyse, soit car ils n’éclairent

pas directement la problématique soit car il n’y a pas d’éléments intéressants à en retirer.

38

II. Présentation du corpus sélectionné

1) Démarche de sélection

Pour réaliser un travail de recherche plus riche, j’ai choisi d’étudier les représentations de

Louis XIV dans les manuels scolaires d’école élémentaire des programmes de 1882 jusqu’aux

instructions officielles actuelles, c’est-à-dire 2008. L’objectif est d’avoir une vision de

comment l’image de Louis XIV a évolué en un peu plus d’un siècle.

Au niveau des programmes, il y a quatre sorties de programmes pour lesquelles je n’ai pas

fait d’étude de manuels. Je n’ai pas choisi des manuels de 1938 car les instructions officielles

sont identiques à celles de 1923. En 1978, l’éducation nationale propose de nouveaux

programmes pour les classes de CE, or le thème de Louis XIV est traité de manière plus

approfondie dans les classes de CM, dont les programmes sortiront deux ans plus tard. A

partir de 1980, les sorties de programmes sont plus fréquentes et afin d’alléger mon corpus,

j’ai choisi de ne pas traiter les programmes de 1985 ainsi que les programmes de 2002. Les

manuels sélectionnés seront donc conformes aux instructions officielles de 1882 ; 1923 ;

1945 ; 1980 ; 1995 et 2008.

Pour le choix des manuels, il m’a semblé pertinent de choisir deux manuels pour chaque

programme afin de ne pas avoir qu’une seule vision pour chaque programme. En revanche,

pour les instructions officielles de 2008, j’ai sélectionné un corpus plus vaste (5 manuels) afin

d’avoir un regard plus large sur les conceptions actuelles. Pour le ou les niveaux visé(s), j’ai

essayé de sélectionner de préférence, et lorsque cela était possible, des manuels traitants Louis

XIV en cours moyen. La raison est que la leçon sur le règne de Louis XIV était plus

approfondie qu’en cours élémentaire et qu’aujourd’hui cette leçon n’est abordée qu’en CM.

Huit éditions différentes sont présentes dans le corpus. En effet, comme je l’ai déjà

mentionné dans l’introduction, les manuels n’ont pas été sélectionnés selon leur maison

d’édition.

39

2) Présentation du corpus

Suite aux critères de sélection ci-dessus, mon corpus est donc composé de 15 manuels scolaires d’école élémentaire de diverses éditions. Le

tableau suivant présente les manuels de manière générale avec les critères recensés par la grille d’observation.

Le tableau propose également un code de reconnaissance pour chaque manuel, afin de citer ensuite chaque manuel de façon plus simple et

rapide. Le code de reconnaissance est formé des trois premières lettres du nom de l’éditeur suivies des deux derniers chiffres de la date du

programme auquel le manuel fait référence.

Tableau 2: Présentation générale des manuels et codes de reconnaissance

Titre de

l’ouvrage

Auteur(s) (fonction(s)) Editeur

(année

d’édition)

Niveau

visé

Programme

s en vigueur

Taille du

manuel (cm)

(h x l x

épaisseur)

Nombr

e de

pages

Noir et

blanc

ou

couleur

code de

reconnaissance

Histoire de

France

C. Calvet

(Professeur agrégé d’histoire au lycée

Michelet)

Bibliothèque

d’Education

(1902)

CM 1882 18 x 12 x 2 320 Noir et

blanc

BIB-

1882

Histoire de

France

Désiré Blanchet

(ancien élève de l’école normale

supérieure ; ancien professeur agrégé

d’histoire et de géographie au lycée

Charlemagne ; Proviseur au lycée

Condorcet)

Belin frères

(1905)

CM 1882 18 x 11 x 2,5 279 Noir et

blanc

BEL-1882

Histoire de

France

Gauthier et Deschamps

Avec la participation de M. Aymard

(inspecteur de l’Enseignement

primaire)

Librairie

Hachette

( ?)

CE et

CM

1923 20x 13x 1.5 129 Noir et

blanc

HAC-1923

Petite

Histoire de la

France et de

la Civilisation

française

Paul Bernard (Ancien directeur de

l’Ecole Normale d’Instituteurs de la

Seine)

F. Redon (Inspecteur de

l’Enseignement primaire

Librairie

Fernand

Nathan

(1937 – 17ème

édition)

CM et

classe

de 7ème

1923 20 x 13,5 x 1,8 268 Noir et

blanc

NAT-1923

40

Histoire de

France et

initiation à

l’Histoire de

la Civilisation

E. Personne (Agrégé d’Histoire et de

Géographie / Directrice d’Ecole

normale)

M. Ballot (Docteur ès Lettres /

Inspecteur de l’Enseignement

primaire)

G. Marc (Directeur d’école primaire)

Libraire A.

Colin

(1951)

CM 1ère

et 2ème

année

1945 21,5 x 17 x 1,6 257 Noir et

Blanc

(mais 12

planche-

s en

couleur)

COL-1945

Nouvelle

Histoire de

France

P. Bernard

F. Redon

Ferdinand

Nathan

(1953 44ème

éd)

CE 2ème

année

1945 20 x 14 x 1,5 126 Noir et

blanc

NAT-1945

Histoire G. Dorel-Ferre (professeur agrégée

d’Ecole Normale

Avec la collaboration de 2 conseillers

pédagogiques

A. Colin

(1981)

CM 1980 25,5x 18,5x

1,2

160 couleur COL-1980

Histoire

tome 1 : Des

origines à

1715

M. Lachiver (ancien instituteur.

Maître –assistant d’Histoire à la

Sorbonne)

D. Bellard (Inspecteur départemental

de l’éducation)

H. Krauth et J. Reichert (instituteurs)

Bordas

(1981)

CM 1980 26x 18x 1 128 couleur BOR-1980

Histoire –

géographie –

Instruction

civique

Pour l’Histoire : G. Baillat (directeur

adjoint d’IUFM)

J.C. Rouffignac (idem)

+ 2 autres auteurs

Nathan

(1996)

Cycle 3

niveau 2

(CM1)

1995 28,5x 20x 1,4 177 couleur NAT-1995

Histoire –

géographie –

Instruction

civique

J.L. Nembrini (Inspecteur général

d’Histoire et Géographie)

Jacques Faux (professeur d’IUFM)

+ 1 autre auteur

Hachette

éducation

(2000)

Cycle 3

niveau 2

(CM1)

1995 27,7x 19,8x

1,2

160 couleur HAC-1995

Histoire -

Géographie

Sous la direction de Sophie Le

Callennec (professeure d’histoire et

géographie)

D. Guimbretière (professeur d’histoire-

géographie/ formateur à l’institut

l’Aubépine

Hatier

(2010)

CM1 2008 28,6x 21x 1,2 192

(dont 99

pour

histoire)

couleur HAT-2008

41

+ 6 autres auteurs

Histoire –

Géographie –

Histoire des

arts

M.Clary (maître de conférences

Université de Provence – IUFM)

G.Dermenjian (mêmes fonctions)

Hachette

éducation

(2010)

CM1 2008 28,3x 23,2x

1,5

192

(dont 95

pour

histoire)

couleur HAC-2008

Histoire-

Histoire des

arts

Roselyne Le Bourgeois (maître de

conférences à l’IUFM d’Amiens)

Nathan

(2010)

CM1 2008 28,5x 21x 0,5 97 couleur NAT-2008

Histoire –

Géographie –

Histoire des

arts

G. Chapier-Legal (professeure des

écoles)

Y. Goasdoué (directeur d’école

d’application)

+ 1 PE

Belin

(2011)

CM1 2008 28,5x 21,5x

0,6

176

(dont 95

pour

histoire)

couleur BEL-2008

Histoire –

Géographie –

Histoire des

arts

C.Caille-Cattin (maître de

conférences en géographie)

D.Caille (professeur des écoles/ maître

formateur)

+ 6 autres auteurs

Magnard

(2014)

CM1 2008 28,5x 21,3x 1 192

(dont 95

pour

histoire)

couleur MAG-2008

42

A partir de ces premiers éléments, on peut déjà voir une évolution générale des

manuels scolaires à l’école élémentaire. L’élément le plus étonnant est l’évolution de la taille

des manuels, entre 1902 et 2008, les manuels ont gagné 10cm en hauteur et en largeur. Par

conséquent, l’épaisseur des manuels a diminué : 2,5 cm pour BEL-1882 à 0,5 cm pour NAT-

2008. De plus, c’est seulement dans les années 1990 que l’on voit apparaître des manuels

pluridisciplinaires avec en plus de l’Histoire, de la Géographie, de l’Instruction civique et

morale et plus récemment, depuis 2008, de l’Histoire des Arts.

La couleur ne commence à apparaître dans les manuels qu’à partir des années 40, elle

est alors encore réservée que pour des pages spécifiques.

Concernant les niveaux visés, la plupart des manuels actuels se centrent sur un seul niveau

avec l’étude de périodes précises et non plus sur un groupe de niveau (CM et CE) avec toute

l’Histoire de la France. Ceci justifie, en plus de la taille, que les manuels ont moins de pages :

320 pour BIB-1882 contre 95 pour BEL-2008 par exemple.

3) Remarques générales sur les manuels

La grille d’observation et d’analyse a pu faire émerger un certain nombre d’éléments sur

l’aspect général des manuels qui n’apparaissent pas dans le tableau ci-dessus. En ce qui

concerne la place des images dans les leçons, elle a largement augmenté. A vue d’œil, les

manuels sont passés d’une occupation de l’espace par l’image d’environ 5 % par leçon au

début du XXème à une occupation qui oscille, depuis les années 1980, entre 40 et 50%. De

plus, au début du XXème siècle, ces images sont des gravures et ne sont pas des documents-

sources (c’est-à-dire des documents contemporains aux événements relatés) mais des

documents fabriqués par les auteurs. Les documents sources (images mais aussi textes), ainsi

que les photographies, commencent à apparaître à partir des manuels de 1945, mais ils

cohabitent encore avec les dessins et gravures des auteurs. A partir de 1980, les images

proposées sont uniquement des documents sources (cf annexe 2).

Nous pouvons également remarquer que le nom et les structures des leçons ont

changé. Jusqu’aux manuels relatifs aux programmes de 1923, en plus de la leçon, était

proposé un récit. Celui-ci permettait de raconter un élément précis, une anecdote, ce qu’on

appelle la petite histoire. La présence d’un récit est conforme aux instructions qui

préconisaient un enseignement de l’histoire par l’usage de récits, ces récits permettaient, par

leur aspect romancé, de marquer l’esprit des élèves. De plus, ces récits étaient souvent

accompagnés de « lectures » (cf annexe 3) qui permettaient à l’élève, cette fois, de lire lui-

43

même un élément de l’histoire qui complétait ou illustrait la leçon. A partir des programmes

de 1945, les récits n’apparaissent plus.

Concernant le texte, précédemment, il a été évoqué qu’il fallait faire la distinction entre

leçon et résumé et que les manuels actuels pouvaient rendre floue cette notion. Ceci est tout

simplement dû au fait que, dans les manuels actuels, la leçon, comparée à la leçon des

manuels de la première moitié du XXème siècle, est beaucoup plus courte. De ce fait, dans

certains manuels qui ont une leçon relativement courte, soit l’on ne trouve pas de résumé car

la leçon semble déjà être résumée, soit le résumé est très court et fait une trentaine de mots (cf

annexe 2).

D’autres points tels que la taille de l’écriture ou la présence d’un lexique ont évolué. Plus

on avance dans le temps plus la taille de la police d’écriture est grande et la page aérée.

Concernant le lexique, s’il est aujourd’hui quasiment systématique dans les manuels depuis

les années 1980, il n’apparaissait quasiment jamais dans les manuels avant 1945.

4) La place de Louis XIV dans ce corpus de manuels

Tableau 3: Titre des leçons se rapportant à Louis XIV et nombres de pages

Code de

reconnaissance

Titre de la ou des leçon(s) nombre de

pages des

leçons

nombre

total de

pages62

BIB-1882 La monarchie absolue – persécutions religieuses –

Perte de la prépondérance de l’Europe.

12 320

BEL-1882 Le siècle de Louis XIV 19 279

HAC-1923 -Louis XIV, 1643 – 1715

-Louis XIV, 1643 – 1715. Ses guerres

8 129

NAT-1923 -Louis XIV – Colbert et Louvois

-La révocation de l’édit de Nantes

6 268

NAT-1945 Louis Quatorze 4 126

COL-1945 Louis XIV, roi absolu 5 257

COL-1980 -De Richelieu à Louis XIV

-L’armée du roi

4 160

BOR-1980 6 leçons concernant Louis XIV. 12 128

NAT-1995 Louis XIV et la monarchie absolue 4 79

HAC-1995 La monarchie absolue 4 72

HAT-2008 La monarchie absolue (XVIe – XVIIIe siècle)

+ dossier Louis XIV, le Roi-Soleil

2 + 2 99

HAC-2008 -La monarchie absolue

-Versailles, le château du roi-Soleil

4 95

NAT-2008 La monarchie absolue + dossier sur Louis XIV 4 + 2 97

BEL-2008 Louis XIV et la monarchie absolue 2 95

MAG-2008 Louis XIV, un monarque absolu 4 95

62

Du manuel ou de la partie Histoire dans le cas de manuels avec plusieurs matières

44

Nous pouvons remarquer grâce à ce tableau que la place que Louis XIV prend dans les

manuels peut être très différente d’un manuel à l’autre. Les plus longues leçons sont celles des

manuels des programmes de 1882. Par la suite, les leçons sont bien plus courtes et en général

(sauf pour les manuels des programmes de 1945) lorsqu’elles dépassent 4 pages c’est qu’elles

sont découpées en plusieurs leçons traitant de près ou de loin le thème de Louis XIV. La

présence de dossiers ou équivalent peut expliquer des nombres de pages plus élevés.

III. Y-a-t-il une évolution des représentations de Louis XIV dans les leçons

du corpus ?

1) Une image dépendante des opinions et idéologies des auteurs

Il semble intéressant de faire un point sur l’évolution du ton des auteurs, autrement dit

l’évolution de la façon dont les auteurs s’impliquent dans leurs manuels. Nous pouvons d’ores

et déjà affirmer que ce ton a changé pour évoluer vers la neutralité et que le discours des

auteurs est passé d’un récit romancé à un récit des faits, sans appréciations.

En effet, fin XIXe- début XXème, on pouvait repérer dans les manuels les opinions et

idéologies des auteurs, comme c’est le cas pour C. Calvet. Il faut rappeler le contexte

politique de l’époque. Depuis les années 1870, les républicains se sont emparés du pouvoir

mais début XXème l’opposition royaliste est encore puissante. De plus, C. Calvet est

professeur agrégé dans un lycée Michelet, or ce dernier, en tant que Républicain, a dressé un

véritable procès envers Louis XIV. Et en effet, C. Calvet semble avoir la même opinion que J.

Michelet et emploi un ton très sévère et accusateur envers Louis XIV et donc, plus

généralement, envers les royalistes. Il dépeint l’image d’un roi peu soucieux de son peuple,

qui ne pensait qu’à se faire obéir et à faire des guerres injustes. L’auteur rajoute que Louis

XIV a reçu une France grande et prospère et il a laissé à sa mort une France vaincue et ruinée.

Il qualifie même son règne de despotique et déplorable. Le fait qu’il n’y ait aucune

représentation de Louis XIV dans le manuel, dénonce bien cette volonté de véhiculer une

image négative de Louis XIV.

Désiré Blanchet adopte plus un ton proche de celui qu’employait E. Lavisse, en faisant un

récit qui équilibre les honneurs et les fautes de Louis XIV. Son ton varie selon les

événements. Louis XIV est décrit comme orgueilleux mais en même temps il est dépeint

comme un grand roi qui supportait les échecs « avec une grande grandeur d’âme ».

45

P.Bernard et F.Redon que ce soit dans le manuel de 1937 ou celui de 1953 (NAT-1923 et

NAT-1945), dépeignent le roi plutôt de manière positive, c’est un roi majestueux avec une

épaisse perruque à la mode, un visage noble et grave. Son surnom, le Grand Roi, est cité. Le

roi est orgueilleux mais ce n’est pas vraiment sa faute mais celle des nobles qui veulent

toujours lui plaire. On saisit leur point de vue avec la phrase : « Au fond, le Roi n’est pas

méchant. Mais il veut qu’on l’admire et qu’on le craigne. » (NAT-1945), l’aspect narratif est

ici évident et on voit bien que les auteurs donnent leur propre avis.

A partir des manuels de 1980 on ne rencontre plus des appréciations de ce genre où les

auteurs donnent leurs opinions, les leçons se veulent être aujourd’hui de simples énoncés des

faits.

2) Louis XIV, monarque absolu. Vers une prise en compte des limites du

pouvoir absolu?

D’un manuel à l’autre, qu’ils soient en liens avec les mêmes programmes ou non, nous

pouvons trouver des éléments très différents en ce qui concerne le pouvoir absolu de Louis

XIV. Nous allons ici essayer de recenser le plus exhaustivement possible et ainsi analyser, si

les manuels, en accord avec les recherches actuelles, prennent en compte les limites du

pouvoir absolu.

Tout d’abord dans certains manuels (BEL-1882 ; HAC-1923 ; NAT-1945) le terme de

monarchie absolue n’est pas évoqué mais Louis XIV est décrit comme un roi puissant et qui

n’a pas de limites. Désiré Blanchet (BEL-1882), lui, dit que Louis XIV est un roi tout puissant

qui avait une haute idée de son pouvoir et qui disait « L’Etat c’est moi ! ». Rappelons que les

recherches actuelles ont démontré que cette phrase n’a jamais été dite, ou du moins pas en ces

termes. Dans d’autres manuels, si le terme de monarchie absolue est évoqué dans le titre il ne

l’est plus par la suite (NAT-1923 ; COL 1980)

Si aujourd’hui, nous pouvons trouver dans les manuels des définitions de la monarchie

absolue, dans les manuels plus anciens, il n’y avait pas de lexique, il est donc plus difficile de

comprendre la définition que les auteurs entendaient par ce terme. Souvent, aucune

explication n’est donnée, par exemple pour C.Calvet (BIB-1882), Louis XIV déclara qu’il

voulait gouverner par lui-même et « son œuvre propre fut l’établissement de la monarchie

absolue », c’est donc Louis XIV seul qui a créé un gouvernement absolu. C’est en décidant de

gouverner par lui-même, seul et sans premier ministre que Louis XIV devient un roi absolu,

ce désir est exposé dans d’autres manuels (NAT-1995, MAG-2008). On trouve encore des

46

phrases telles que « Louis XIV veut être obéi de façon absolue » (BOR-1981) sans aucune

explication sur ce qu’est se faire obéir de façon absolue.

Une anecdote relatant la prise du pouvoir qui aurait fait de Louis XIV un roi absolu est

présente dans les deux manuels des programmes de 1923 et dans le manuel COL-1945. Cette

anecdote est une légende qui raconte comment à la mort de Mazarin, en 1661, lorsque l’on

vient demander au roi à qui il faut s’adresser pour les affaires de l’Etat, il répond « A moi ! »

(et « cela fit sourire sa mère » (NAT-1945)). Cette prise du pouvoir donne l’impression

qu’elle se réalise sur un coup de tête (ou d’Etat ?) du roi, un peu au hasard et car l’occasion se

présente.

Dans les autres manuels, une explication ou une définition plus ou moins claire est

donnée. Par exemple, dans le manuel NAT-1923, les auteurs disent que Louis XIV gouverne

de façon absolue c’est-à-dire qu’il décide seul de toutes les mesures à prendre (après examen

en conseil) et il gouverne sans contrôle (donc ici aucune limite à son pouvoir). La définition

que l’on peut trouver dans le NAT-2008 dit que la monarchie absolue est un « gouvernement

dans lequel le roi concentre tous les pouvoirs ; il dit la loi, la fait exécuter et rend la justice ».

Le fait qu’il concentre tous les pouvoirs se retrouve dans le manuel BEL-2008 avec en plus

l’image d’un roi autoritaire, autorité qui s’impose à tous (HAT-2008)

Dans le manuel HAC-1995, la monarchie absolue est définie comme un pouvoir qui vient de

Dieu, personne ne peut alors être supérieur au roi et le roi a tous les pouvoirs, comme cela a

déjà été évoqué dans plusieurs manuels. Cependant apparaissent pour la première fois les

limites, qui sont le fait qu’il doit respecter les règles fondamentales (elles ne sont pas

explicitées). Cette notion de limite se retrouve dans la définition de la monarchie absolue du

manuel HAC-2008 : « Pouvoir royal presque sans limites ».

En plus de cette notion de limite, on voit dans plusieurs manuels que Louis XIV n’est plus

le seul roi associé à la notion de monarchie absolue mais que la monarchie absolue est en

construction depuis François 1er

(COL-1980 ; HAC-2008 ; HAT-2008). Dans NAT-2008,

c’est même Louis XIII et Richelieu qui sont considérés comme ceux qui ont véritablement

mis en place le pouvoir absolu en réduisant à l’obéissance nobles et protestants, Louis XIV

n’a alors fait que profiter de leur travail. Le fait que l’on trouve actuellement des manuels

(HAT-2008 ; NAT-2008) qui traitent d’un côté la monarchie absolue et d’un autre font une

47

double page « dossier » sur le personnage de Louis XIV, laisse penser qu’il y a une volonté de

distinguer Louis XIV de la monarchie absolue et ne plus associer systématiquement les deux.

Nous allons donc aujourd’hui vers une définition plus claire de ce qu’est une monarchie

absolue. Quelques-unes des limites mises en évidence par les recherches actuelles sont petit à

petit prises en compte mais seulement dans une minorité de manuels. De plus, on ne peut pas

reprocher à certains manuels d’associer le pouvoir absolu et Louis XIV car l’intitulé des

instructions officielles de 2008 (« Louis XIV, monarque absolu») associe toujours les deux.

3) Louis XIV, un dompteur de la noblesse.

Dans les recherches actuelles, si le fait que Louis XIV ait réuni la noblesse à Versailles pour

mieux la surveiller suite à la Fronde est remis en cause, nous sommes encore loin de cette

remise en cause dans les manuels, même actuels. L’image d’un roi imposant, autoritaire et

tout puissant est toujours plus véhiculée que celle d’un roi utilisant les consensus et les

compromis pour maintenir l’ordre.

Cette idée de réunir les nobles pour les surveiller se retrouve dans les manuels de

1882 ; de 1923 puis de 2008. En effet, les manuels entre les programmes de 1945 et 2008, soit

n’évoquent plus la cour de Versailles, soit lorsqu’ils l’évoquent ne véhiculent plus cette idée

de domestication de la noblesse. Cependant, le corpus étant tout de même restreint nous ne

pouvons pas en conclure que cette idée avait totalement disparu de tous les manuels durant

cette période.

Pour les manuels traitant de ce point, C. Calvet (BIB-1882) rajoute que Louis XIV

attire les nobles à Versailles pour les empêcher de protester mais qu’en plus pour s’ « assurer

l’obéissance du clergé, Louis XIV persécutait quelques hérétiques. Cela faisait plaisir à

l’Eglise, qui glorifiait volontiers un maître si dévoué à la foi catholique.». C’est le seul

manuel où l’on évoque cette soumission du clergé. L’image des nobles soumis au roi est décrite

par le fait qu’ils font tout pour lui plaire et sont prêts à tout pour un regard ou un sourire (NAT-1923 ;

MAG-2008).

Si cette image de noblesse soumise n’a plus été véhiculée durant une partie du XXème siècle,

elle connait aujourd’hui une véritable renaissance dans les manuels conformes aux

programmes 2008. Sur les 5 manuels, seul le NAT-2008 n’exprime pas cette représentation.

Seulement, pour deux manuels (BEL-2008 et MAG-2008), la vision de contrepartie apparaît.

48

En effet, ils expliquent qu’en contrepartie de leur soumission aux règles strictes de Versailles,

Louis XIV organise des fêtes somptueuses et leur donne des récompenses et des honneurs.

4) Louis XIV et les guerres

Après l’analyse des manuels, une première remarque semble évidente. Les guerres sont un

aspect majeur du règne de Louis XIV. Mais ces guerres étaient très détaillées et faisaient

l’objet d’une ou plusieurs leçons dans les manuels du début XXème. Actuellement les leçons

devenant de plus en plus courtes, cet aspect du règne n’occupe qu’une ou deux phrases de la

leçon ou même aucune (MAG-2008).

Dans les manuels qui traitent des guerres, un point fait consensus dans le temps : les

guerres épuisèrent le pays à cause de coûts humains et financiers importants. Si ce point fait

l’unanimité, l’opinion que les manuels donnent sur ces guerres ne le fait pas.

En effet, plus on remonte dans le temps et plus ces guerres sont dénoncées comme ayant

eu des effets mauvais sur la France. C.Calvet (BIB-1882) dans son attaque envers Louis XIV

qualifie ces guerres comme « les plus injustes », ce ne sont que des guerres de conquêtes qui

n’ont aucun intérêt pour la France. Gauthier et Deschamps (HAC-1923) renforcent ce point de

vue en disant que Louis XIV va abuser du puissant royaume qu’il a récupéré en faisant un

long règne de guerres. De plus, ils dévalorisent Louis XIV car selon eux, il s’attaqua à

l’Espagne qui n’avait ni argent, ni armée pour se défendre. Ce fût donc une guerre injuste et

une victoire facile. Aucune gloire ne peut donc être retirée de cette victoire.

Dans les autres manuels, ce sont surtout les victoires qui ont permis d’agrandir le royaume

de France au début du règne qui sont mises en avant afin de montrer la gloire du roi. Plus on

avance dans le temps, moins les défaites sont dénoncées de manière virulente, et on en arrive

aujourd’hui à ce qu’elles ne soient même plus mentionnées. En effet, les manuels actuels,

n’évoquent que le fait qu’elles aient permis d’agrandir le royaume de France, même si elles

l’ont épuisé. De plus, dans les 4 manuels conformes aux programmes de 2008, traitant des

guerres, Vauban et son rôle dans la protection de la France (construction de villes fortifiées)

est à chaque fois cité.

5) Louis XIV et la révocation de l’édit de Nantes

Comme pour les guerres, il semble que plus on recule dans le temps, plus la révocation de

cet édit est dénoncée comme la plus grande faute de Louis XIV. Pour les manuels de 1882,

rien ne peut justifier ou même expliquer pareille atteinte de la liberté de conscience (BIB-

1882) ; ce fut la faute la plus grave que Louis XIV commit par orgueil (BEL-1882).

49

Pour les manuels de 1923, il semble que, même si l’acte est dénoncé comme une grande

faute injuste, on cherche des excuses au roi. Pour Gauthier et Deschamps (HAC-1923), Louis

XIV ne pouvant bénéficier des conseils de « son sage ministre », Colbert, mort en 1683,

commit alors cet acte. Les auteurs du manuel NAT-1923 ont une vision plus originale encore,

ils expliquent que Louis XIV, qui avait gagné les guerres, voulut faire une œuvre encore plus

glorieuse en ruinant le protestantisme. Il considérait les protestants comme des égarés. Et il

voulait les ramener au catholicisme de gré ou de force. Louis XIV est alors présenté ici

comme le berger qui ramène les brebis égarées (protestants) à la bergerie. Les auteurs

expliquent qu’il accordait alors des privilèges à ceux qui se convertissaient, tandis que

Louvois employait des moyens violents (les dragonnades). Colbert lui présentait alors des

listes interminables de convertis signe que le protestantisme s’affaiblissait (idée qui se

retrouve dans BOR-1980). Son entourage et l’opinion publique étant de l’avis de supprimer

cet édit, Louis XIV céda. La volonté de lui trouver des excuses est ici assez claire.

Puis petit à petit, la révocation est présentée comme un simple fait et de manière neutre en

quelques mots : « En 1685, Louis XIV révoque l’Edit de Nantes. Les protestants doivent se

convertir : sinon, ils sont persécutés, victimes de l’intolérance. » (COL-1980).

Les manuels conformes aux programmes de 1945 et 1980 n’apportent rien de nouveau

ou n’essaient pas de comprendre pourquoi le roi a supprimé cet édit. A partir des manuels

conformes aux programmes de 1995, de nouvelles raisons sont évoquées. Dans les

manuels HAC-1995 ; NAT-1995 et HAT-2008, les auteurs expliquent que le roi ne supporte

aucune opposition à son pouvoir politique et religieux (droit divin) et à son autorité et que

donc tous les Français doivent être soumis à sa religion : le catholicisme. Ceci permettra

d’unifier le pays (HAC-2008).

L’originalité du manuel NAT-2008 est que cette fois ce point n’apparaît pas dans la

leçon mais dans le dossier sur Louis XIV à travers un document qui n’est autre que le

préambule de l’édit de Fontainebleau. Les questions font émerger les faits par lesquels Louis

XIV justifie sa décision en disant que « la majeure partie de nos sujets de la Religion

Prétendue Réformée est devenue catholique. » (justification que nous avons déjà rencontrée

dans NAT-1923 et BOR-1980) mais aussi que cette loi permet d’effacer le souvenir des

troubles et les maux dûs à cette religion.

Le manuel MAG-2008 qui n’évoque déjà pas les guerres n’évoque pas non plus la

révocation de l’édit de Nantes.

50

6) Louis XIV, roi mécène à la recherche de la gloire et personnalité

Louis XIV est un roi mécène qui s’est entouré et a protégé durant son règne de nombreux

artistes (peintres, écrivains, sculpteurs, musiciens, jardiniers, architectes…). Les auteurs des

manuels sont d’accord pour donner cette image d’un roi qui aime les arts et qui les encourage.

Ce fut la raison pour laquelle il apparut d’autant plus comme un Grand Roi entouré d’une

cour cultivée et brillante. Cependant, C.Calvet (BIB-1882) qui se démarque encore une fois

dans ses propos, explique que si ce fût l’un des plus grands siècles de notre histoire littéraire

ce n’est absolument pas grâce à Louis XIV. En effet selon lui « On a donné, par abus, au

XVIIème siècle tout entier le nom de siècle de Louis XIV, comme si un souverain, aussi

généreux qu’on le suppose pouvait faire naître des écrivains. ». Aucun mérite ne revient donc

à Louis XIV, en ce qui concerne le développement des arts à son époque. Les autres manuels,

eux, sont tous d’accord pour montrer un roi soucieux des arts.

Beaucoup de manuels se contentent de véhiculer l’image d’un roi aimant les arts en citant

ensuite quelques artistes de l’époque. D’autres vont plus loin et expliquent l’intérêt que le roi

gagne à protéger ces artistes : promouvoir sa gloire en utilisant ces œuvres pour célébrer sa

personne et la monarchie (HAC-2008 ; COL-1945 ; NAT-2008). Les guerres, du moins les

victoires, ont également été mises au service de sa gloire (BIB-1882). Cet aspect du règne

n’est pas toujours évoqué dans les manuels.

Il n’y a donc pas réelle évolution sur ce point du règne du roi. Certains manuels

l’évoquent, d’autres non. Dans les programmes 2008, vu que l’Histoire est liée à l’Histoire

des arts ce point devrait être largement exploité. Or, c’est souvent un dossier sur le château de

Versailles qui est présenté.

Au niveau de la personnalité de Louis XIV, il était souvent présenté dans la première

moitié du XXème siècle comme un roi orgueilleux (BEL-1882 ; NAT-1923 ; COL-1945 ;

NAT-1945). Pour certains, cet orgueil est dû au fait que les nobles cherchent trop à lui plaire

(NAT-1923) pour les autres cela vient tout simplement de sa personnalité. Louis XIV est

soucieux de sa grandeur et c’est pourquoi il se fait appeler Roi-Soleil (ce surnom apparait dans

7 manuels depuis 1945 (dont 3 conformes aux programmes de 2008)), le nom de Grand Roi

apparait également parfois mais il est plus souvent rattaché aux guerres, sauf dans le manuel

NAT-1945 où l’on peut lire « La mort du Roi est fort belle. Il souffre longtemps, sans se

plaindre, résigné. […] Alors, Vraiment, il est un Grand Roi. ».

51

Louis XIV est un personnage aux multiples facettes. Celles que nous venons de traiter

sont celles que l’on retrouve le plus fréquemment. Certaines n’apparaissent cependant jamais

telle que l’image d’un roi victime de nombreuses maladies, ou encore le fait que Louis XIV

ait utilisé des œuvres comme des objets de propagande.

IV. Les représentations de Louis XIV à travers les documents et leur

questionnement.

1) L’évolution générale des questionnements présents dans les leçons sur

Louis XIV

Dans cette sous-partie, il ne sera question que de faire une rapide analyse de la forme prise

par les questionnaires présents dans les leçons sur Louis XIV. L’étude des objectifs et des

intérêts des questions se fera au fur à mesure des points suivants.

En effet, les questionnements présents dans les leçons ont eux aussi connu une évolution

depuis la Belle Epoque. Dans les deux manuels les plus anciens (BIB-1882 et BEL-1882), des

questions sont proposées à la fin du chapitre (après la leçon, le récit et la lecture). Ces

questions sont simplement présentes pour savoir si la leçon a été apprise par cœur. Des

devoirs de rédaction sont également proposés : « exposez les principales réformes de

Colbert » (BEL-1882). Mais tout ceci ne demande qu’une simple restitution de la leçon. Les

manuels de 1923 restent dans le même esprit. Il faut souligner tout de même la particularité du

manuel de Gauthier et Deschamps (HAC-1923) qui propose un questionnaire-résumé (cf

annexe 4), c’est-à-dire que chaque question est suivie de la réponse qui servira de résumé.

A partir de 1945, les questions sont toujours à la fin du chapitre mais apparaît l’idée de

poser des questions sur les documents (COL-1945), ou plus particulièrement sur les gravures

présentes dans la leçon (cf annexe 5). Les questions ne portent plus alors directement sur la

leçon.

Les deux manuels sélectionnés pour les programmes de 1980 ne proposent pas de

questionnement sur la leçon ou les documents, alors que les programmes préconisent le

développement d’une attitude attentive et curieuse.

Le manuel HAT-1995 préfigure l’esprit des manuels et des programmes actuels. La

leçon occupe une double page avec leçon, documents et des questions pour chacun des

52

documents. De plus, un code couleur permet de repérer en vert les questions d’observation et

en rouge les questions faisant appel à une réflexion.

Pour les manuels conformes aux programmes de 2008, la structure est proche de celle du

manuel HAT-1995. La leçon et les documents sont présentés ensemble. Chaque document est

suivi de questions qui permettent de construire et de comprendre la leçon. Parfois même, pour

accentuer cette volonté de construction, les documents avec leurs questions sont présentés

avant la page contenant la leçon (MAG-2008 : cf annexe 6). Nous sommes arrivés ici dans une

pédagogie constructiviste. Mais malgré cette évolution dans la prise en compte des documents

par le biais de questionnaires, on peut se poser la question de savoir si ces questions

reflètent l’esprit des programmes qui mentionnent le développement de l’esprit critique

depuis les années 1980. Nous essaierons de répondre à cette interrogation lors de l’étude des

exploitations faites des documents sur Louis XIV.

2) Le tableau de Hyacinthe Rigaud et ses exploitations

Ce tableau, œuvre de propagande commandée par Louis XIV au peintre Hyacinthe Rigaud

est une des images les plus connues de Louis XIV. C’est en cela qu’il paraissait intéressant de

lui consacrer un point spécifique. Sur les 15 manuels, 7 manuels présentent cette image de

Louis XIV. Nous verrons que la place de cette œuvre, la légende et le questionnement

diffèrent complètement d’un manuel à l’autre et il sera également question de voir si

aujourd’hui, en accord avec les recherches actuelles, le tableau est présenté comme une œuvre

de propagande. En annexe 7 se trouvent les manuels où le tableau de Hyacinthe Rigaud est

présent.

Le manuel HAC-1923 présente non pas le vrai tableau mais une gravure en noir et blanc

qui le reprend (cf annexe 4). La légende indique seulement « Louis XIV ». La gravure est

insérée dans la lecture « Louis XIV et sa cour ». Dans cette lecture, à aucun moment on ne

cite l’illustration ou l’on ne demande de s’y rapporter. Aucun questionnement n’est proposé.

L’image n’a donc ici qu’une fonction d’illustration afin de se faire une représentation mentale

du roi.

Les deux manuels conformes aux programmes de 1945 intègrent la photographie du

véritable tableau en entier mais toujours en noir et blanc. Si aucun questionnement n’est

proposé sur le document, cette fois la leçon les mentionne directement par le biais d’un

renvoi. Même si le tableau n’occupe pas la même place (petite photo. insérée dans la leçon

53

pour COL-1945 et une page entière dans une double page réservée aux documents pour NAT-

1945), les auteurs le décrivent avec admiration :

- COL-1945 : Dans la leçon nous pouvons lire : « Comparons ce magnifique portrait de

Louis XIV à celui des rois précédents. » ; « Nous n’avons pas trouvé de roi ayant plus noble

allure, avec ses traits réguliers, son abondante perruque flottante, son attitude fière. ». Dans la

légende, le tableau est présenté en ces termes : « Louis XIV en costume de cérémonie

(peinture de H.Rigaud). » suivie d’une description du tableau où l’on peut notamment lire :

« Le roi est vêtu d’un magnifique manteau de velours bleu, doublé d’hermine. » ou encore « Il

est ainsi plus brillant que le plus brillant de ses courtisans. »

- NAT-1945 : la leçon commence par dire, en lien avec le tableau, : « Admirez son

attitude majestueuse, l’air de dignité répandu sur toute sa personne. » La perruque est décrite

comme ayant des boucles abondantes qui encadrent son noble et grave visage. Dans la

légende, il est indiqué « Louis XIV par Rigaud » suivie encore une fois d’une description qui

repère notamment les symboles du pouvoir. Cependant son vêtement n’est pas présenté

comme un habit de sacre mais comme un « magnifique » habit de cour couvert d’un ample

manteau.

L’image est certes intégrée dans la leçon contrairement au manuel de 1923, mais elle ne fait

pas l’objet d’une étude pour autant, elle sert juste à montrer, comme le souhaitait Louis XIV,

sa grandeur et son attitude majestueuse.

La photographie (en couleur) de cette œuvre est également présente dans les deux manuels

conformes aux programmes de 1995 mais l’utilisation qui en est faite est différente. Pour

NAT-1996, l’image est insérée comme les autres documents autour de la leçon. La légende

indique « Louis XIV en costume de sacre. Tableau de Rigaud, Musée du Louvre, Paris » (si le

lieu d’exposition apparaît pour la première fois, ce n’est toujours pas le cas de la date de

création). Un renvoi vers ce document est fait dans la leçon à la fin de la phrase : « La

cérémonie du sacre fait de lui l’envoyé de Dieu sur la Terre : on parle de monarchie absolue

de droit divin. ». Aucune description ou question ne met en valeur Louis XIV à travers ce

tableau.

Nous allons maintenant traiter le manuel HAC-1995 avec le MAG-2008 où l’œuvre de

Rigaud apparaît également. Dans ces deux manuels le tableau sert d’entrée dans la leçon, de

découverte pour s’étonner, s’interroger (HAC-1995) et comprendre l’enjeu de la leçon

(MAG-2008 propose une problématique: « Pourquoi le roi Louis XIV représente-t-il la

monarchie absolue à son plus haut point ? »). Les auteurs du manuel HAC-1995 ont choisi de

54

zoomer le tableau, on ne voit que le buste et une partie des jambes du Roi, ceci montre déjà

que le manuel ne cherche pas à mettre en avant l’image de propagande en faisant relever le

contraste entre le haut et le bas du corps. Les légendes indiquent cette fois la date de la

réalisation du tableau. Les manuels proposent chacun deux questions sur ce tableau. Ce sont

des questions de description. Les questions veulent faire émerger les mêmes points (mais pas

dans le même ordre). L’une des questions demande de relever les signes qui montrent qu’il est

le roi, il s’agit ici de repérer les regalia de la monarchie française. L’autre demande de décrire

le personnage (pour HAC-1995, la description est plus vaste : le décor, les vêtements,

l’attitude du roi). Enfin ce qui diffère est la dernière partie des questions. Dans le manuel

HAC-1995, il est demandé « quelle image de la monarchie le peintre a-t-il voulu donner ? » et

dans le MAG-2008 « Quelle impression te donne-t-il ? ». Pour la première fois cela laisse une

place au fait que peut-être l’image qui est donnée par le tableau est une volonté du peintre

(pas encore du roi) qui ne reflète pas la réalité. Le manuel 2008 laisse moins de place à cette

interprétation.

Le dernier manuel qui présente cette œuvre est le manuel HAT-2008. L’œuvre prend un

quart de la page du dossier sur Louis XIV, elle ne fait donc pas partie de la leçon. A partir de

ce tableau les auteurs proposent des questions d’observation (décrire le portrait du roi

(vêtement, attitude, coiffure et repérer les différents symboles de la royauté française) et trois

questions de réflexion. Les questions de réflexion demandent tout d’abord d’expliquer

pourquoi le roi a fait représenter ces symboles de la royauté sur son portrait (idée que le

tableau est une volonté du roi). La seconde question propose des adjectifs (puissant, solennel,

majestueux, glorieux…) pour décrire Louis XIV et l’élève doit choisir ce qui convient le

mieux et justifier. Et enfin la dernière question demande pourquoi, à leur avis, Louis XIV se

faisait appeler le « Roi-Soleil ». Les questions ne font toujours pas apparaître l’aspect

propagande de cette image. Les réflexions que le manuel propose n’en sont pas réellement.

Par exemple, pour la première , les élèves pourront répondre qu’il fait représenter tous les

symboles de la monarchie française car il est le roi tout simplement. De plus, parmi les

adjectifs proposés pour le décrire, aucun ne pourrait faire l’objet d’un réel débat dans la

classe. Il manquerait pour cela une question demandant aux élèves pourquoi, à leur avis, il se

fait représenter de cette manière.

On remarque que, encore aujourd’hui, malgré les recherches qui ont été faites sur ce

tableau, les manuels ne vont pas assez loin pour montrer aux élèves cette volonté de

55

représentation sur laquelle a joué Louis XIV. Il serait intéressant, de consulter le guide du

maître pour savoir où exactement les manuels veulent en venir.

3) Quelles autres images et quelles exploitations ? L’évolution de la fonction

de l’image

Dans les manuels de la première moitié du XXème, le peu d’images présentes sont des

gravures. Le plus fréquemment ce sont des portraits des acteurs importants du règne de Louis

XIV (Anne d’Autriche, Mazarin, les différents ministres, des artistes de l’époque tel que

Molière). Il y a parfois des dessins de monuments tels que le Dôme des Invalides ou

Versailles ; ou encore des scènes : Louis XIV à la cour de Versailles (HAC-1923) ; les

dragonnades (BIB-1923), etc.. Dans ces gravures, Louis XIV n’est pas plus mis en avant que

les autres acteurs de l’époque (ministres, artistes…), ni par la taille, ni par le style de la

gravure. Les images présentes dans les manuels de cette même période n’ont qu’une fonction

d’illustration, elles ne sont en aucun cas exploitées et aucun repère dans la leçon ne s’y

rapporte.

Il semble que les questionnaires concernant les documents iconographiques ont du mal à

s’imposer. C’est seulement à partir des manuels de 2008 que les questions sur ces types de

documents sont systématiques. Le manuel COL-1945 fait exception en proposant des

questions sur les documents en fin de leçon, cependant les documents iconographiques sont

accompagnés d’un texte explicatif et les questions portent en fait sur celui-ci. Il semblerait

donc que l’image a du mal à s’imposer comme un document à part entière. Ceci peut

s’expliquer par le fait qu’elle n’a longtemps eu qu’une fonction d’illustration. Lorsque des

questions sont proposées, elles sollicitent plus des capacités de description que d’analyse

critique.

Hormis le portrait peint par H.Rigaud, d’autres représentations de Louis XIV sont

présentes dans les manuels, que ce soient des portraits ou des représentations de Louis XIV

dans des scènes précises. BEL-2008 propose un portrait proche de celui de Hyacinthe Rigaud,

celui de Louis XIV tenant le plan de la maison royale de Saint Cyr. Au niveau de

l’exploitation, une seule question est posée et elle consiste à repérer les symboles de la

royauté. BOR-1980 propose un autre portrait de Louis XIV jeune (environ 20 ans).

Certaines œuvres se retrouvent plusieurs fois dans le corpus :

56

- Le tableau anonyme de Louis XIV présent au bout d’une table et étant entouré de son

conseil (COL-1945-NAT-2008 : cf annexe 8). Cette œuvre est une image de propagande, seul

le roi est en couleur et se démarque des membres présents autour de la table. Dans le premier

manuel, cette image permet de conforter l’idée d’un monarque qui dirige tous ses ministres.

Dans le deuxième, elle est présentée avec un extrait des mémoires de Louis XIV. Les

questions demandent implicitement de faire un lien entre les deux documents afin de

comprendre comment le roi gouverne. Les documents permettent de construire le concept de

gouvernement sous Louis XIV. De plus, le terme de monarchie absolue n’apparait pas.

- la tapisserie de Versailles où l’on voit Louis XIV qui visite la manufacture des

Gobelins (NAT-1995 ; BEL-2008), illustre le fait que la production et le commerce se

développent.

- le tableau de Tesselin représentant Colbert qui présente à Louis XIV les membres de

l’Académie Royale (HAC-1995 ; HAC-2008). Celui-ci est lié au fait que Louis XIV protège

les arts et les sciences. Dans le manuel HAC-1995, des questions portent sur ce tableau, l’une

d’elle est « Quelle est l’attitude des savants ? », on suppose que la réponse attendue est qu’ils

ont l’air d’être soumis au roi, ce qui amène l’idée qu’ils travaillent pour lui et son image.

Concernant les autres documents iconographiques que l’on peut trouver dans le corpus, il

serait trop long de faire une liste de chaque document, nous allons donc retenir les images du

roi qui reviennent le plus souvent (en plus de celles vues précédemment), même si ce n’est

pas à travers le même document.

- Le roi sur son cheval (la plupart du temps blanc) : cette image permet soit de montrer

le roi en guerrier soit le roi à la chasse. Dans le NAT-2008, le tableau de Pierre Mignard (cf

annexe 9) (où l’on voit Louis XIV couronné par la Victoire) ayant pour légende : « Louis XIV

représenté en guerrier triomphant », le terme de « représenté » semble porteur de sens. Dans

les manuels du début du XXème siècle, on imagine que l’on aurait pu lire : « Louis XIV,

guerrier triomphant », la nuance est donc qu’aujourd’hui les auteurs véhiculent l’idée que les

tableaux ne sont que des représentations et non la vérité. C’est à ce moment là que peut

intervenir l’esprit critique et l’esprit d’analyse.

- Louis XIV un monarque qui reçoit à sa cour des invités importants (ambassadeur de

Perse ; Grand Condé). L’accueil se fait dans un escalier où l’on voit Louis XIV entouré de sa

cour en haut de celui-ci, et l’invité de marque en bas de l’escalier, seul, faisant la révérence

devant le roi. Les questions du manuel HAT-2008 interrogent sur l’impression que le peintre a

57

voulu donner avec ce tableau en s’appuyant sur la disposition des personnages et sur les effets

d’ombres et de lumières. On parle d’impression ce qui engage le débat sur la fidélité de

l’œuvre avec les faits réels comme dans le point précédent sur la représentation. En plus de

recevoir des invités importants, Louis XIV est souvent représenté à la cour de Versailles

recevant des nobles lors de spectacles ou de bals qu’il organise.

4) Les documents textuels et leur exploitation

Ce qui est appelé document texte est ici un document complémentaire à la leçon qui

est accompagné d’une légende (tel que l’on peut le trouver pour les images). Les documents

de ce type n’apparaissent pas avant 1980. Les « lectures » des manuels de 1882 et 1923

pourrait être considérées comme des documents textuels mais ils ne sont en fait qu’une

continuité de la leçon. De plus, ils sont « fabriqués » par les auteurs du manuel. Il faut

attendre les années 1980 pour que se mettent en place des documents textuels tels que nous

les connaissons aujourd’hui. De plus, ce sont des documents-sources (Mémoires de Saint-

Simon, Mémoires de Louis XIV…). C’est pour cela que dans ce point concernant les

documents textuels, on ne s’intéressera qu’aux manuels depuis 1980.

Les documents textuels les plus fréquents sont Les Mémoires. On ne trouve rarement,

même actuellement, des documents qui donnent, par exemple, l’avis ou les remises en cause

des historiens. Tous les documents sont des documents datant de l’époque de Louis XIV.

Pour les programmes de 1980, seul BOR-1980 présente des documents textuels

concernant Louis XIV (mais sans question). Les documents sont une lettre de Louis XIV à sa

mère pour lui relater l’arrestation de Fouquet et un extrait de ses Mémoires où il explique sa

façon d’exercer son métier de roi. Ces deux documents semblent vouloir démontrer que Louis

XIV est un Roi qui s’investit dans son royaume, et qu’il considère sa fonction comme un

métier.

Dans NAT-1995, toujours aucun questionnement sur les documents textuels.

Cependant l’image de Louis XIV semble plus négative. Deux des trois documents textes

montrent un royaume de France qui vit dans la misère avec des morts chaque jour à cause de

la de faim (extrait de registre paroissial). En parallèle, un troisième document décrivant le

lever du roi (par les bénédictins de Saint Maur) accompagné d’une gravure de Louis XIV

organisant un bal à la cour, cherche à montrer le contraste entre Versailles, où le roi exhibe sa

richesse et le reste de la France (cf annexe 10).

58

Dans les manuels actuels, les Mémoires de Louis XIV se retrouvent dans chacun des

manuels, parfois ce sont les mêmes extraits. Par contre les Mémoires de Saint-Simon

n’apparaissent dans aucun. Chaque document est accompagné d’une ou plusieurs questions.

Nous allons essayer de voir à travers ces documents la tendance qui se dégage concernant la

représentation qui est donnée de Louis XIV.

Les manuels semblent essentiellement proposer des documents qui permettent de

comprendre le mode de fonctionnement du pouvoir sous Louis XIV. Cela passe par ses

Mémoires pour l’instruction du Dauphin où Louis XIV explique la façon dont il s’oblige à

passer plusieurs heures à travailler par jour et la raison pour laquelle il n’a pas choisi de

premier ministre (« ne pas laisser faire par un autre la fonction de roi ») ou sa façon de penser

que son pouvoir vient de Dieu. Un texte de Bossuet est également proposé sur ce point (NAT-

2008). Les questions sur ces documents guident les élèves pour comprendre la façon dont le

roi gouverne. Tout ceci permet de construire la définition de ce qu’est la monarchie absolue.

Mais dans certains manuels on peut tout de même lire « Louis XIV symbolise la monarchie

absolue. Autoritaire, il concentre tous les pouvoirs. » (BEL-2008).

D’autres documents textuels sur d’autres aspects du règne sont également proposés.

Par exemple, NAT-2008 et HAT-2008, traitent de l’édit de Fontainebleau, le premier avec son

préambule et le second avec la Gazette de France de 1685. Une question de réflexion

intéressante est proposée dans le HAT-2008 : « Quelle image de la France cela a-t-il donné à

l’étranger ? ». Cela oblige les élèves à réfléchir sur les conséquences de cet acte sur l’image

du roi.

MAG-2008 propose les derniers vers de la fable de Jean de la Fontaine, Les obsèques de la

Lionne. Les auteurs posent la question du rôle des gens de la cour autour du roi selon le poète.

Les courtisans sont à la cour pour flatter le roi, même si ce sont des mensonges. Ceci est à

mettre en lien avec la phrase soulignée dans les Mémoires de Louis XIV « Distribuant les

grâces par mon propre choix. ». On voit l’aspect de la contrepartie à la cour.

Les documents textuels proposés portent essentiellement sur la façon dont Louis XIV

exerce son pouvoir.

59

CONCLUSION

Jusqu’aux manuels de 1945, nous sommes en présence d’une pédagogie transmissive

(leçon à apprendre par cœur, questionnaire qui permet de vérifier si la leçon a été apprise).

Après une évolution assez lente et inégale selon les manuels, aujourd’hui, il est rare que les

documents ne soient pas accompagnés de questions. Cependant, par rapport aux programmes

qui préconisent le développement d’un esprit de réflexion, d’analyse et également d’un esprit

critique, il apparait qu’encore peu de questions font appel à cet esprit. Il semble tout de même

que les manuels évoluent vers cet objectif. Par contre, un réel changement s’est opéré en ce

qui concerne la place des documents, qui sont plus nombreux, et qui n’ont plus seulement une

fonction d’illustration, mais qui permettent de construire et/ou de justifier les propos de la

leçon. Nous sommes donc, actuellement, dans une pédagogie constructiviste, où l’élève

n’apprend pas une leçon par cœur mais la construit à partir de différents supports (leçons,

documents divers).

Louis XIV est un roi aux multiples facettes (roi absolu, guerrier, mécène, bâtisseur de

Versailles, etc.). Les leçons devenant de plus en plus courtes, il est impossible de détailler

chaque point. C’est pourquoi les auteurs actuels sont obligés de faire des choix, comme

d’évoquer, par exemple, les guerres ou les artistes en une seule phrase. De ce fait, il semble

que Louis XIV soit devenu un personnage neutre, comme tous les autres rois ou personnages

« repères ». C’est peut-être une des raisons pour lesquelles, j’ai le sentiment, d’après mon

expérience professionnelle et personnelle, que les élèves ne semblent plus aimer l’histoire.

Cela ne représenterait, pour eux, qu’une suite d’événements et personnages neutres qui

s’enchainent. Cependant, il n’est pas envisageable de revenir à une représentation de Louis

XIV valorisée ou dévalorisée qui dépend des opinions des auteurs des manuels.

Au niveau, des représentations et images véhiculées aujourd’hui, les manuels semblent

petit à petit ne plus présenter Louis XIV comme un roi tout puissant mais plutôt de proposer

aux élèves de comprendre comment il gouvernait et comment lui-même concevait son

pouvoir. Le roi est cependant présenté comme un roi majestueux au milieu de sa cour à

Versailles, les nobles se semblant être que des figurants qui n’ont d’yeux que pour le roi. Le

Roi-Soleil a fait des guerres qui lui ont permis d’agrandir le royaume de France et il révoqua

l’édit de Nantes pour imposer à tous son pouvoir de droit divin. Les points abordés sont donc

plus ou moins toujours les mêmes mais aujourd’hui ils sont plus nuancés et s’appuient plus

sur des documents-sources pour essayer de se rapprocher des faits réels.

60

Les savoirs enseignés concernant Louis XIV ne sont tout de même pas totalement fidèles

aux recherches scientifiques actuelles. Cependant il faut nuancer, il semble que certains

manuels commencent à intégrer certains éléments, tels que le fait que la monarchie absolue

n’ait pas un pouvoir totalement sans limites ou que les tableaux ne soient qu’une

représentation et non un témoignage fidèle de l’époque. Mais encore une fois, les manuels ne

sont pas égaux. L’analyse, en plus des manuels, des livres du Maître aurait pu permettre

d’avoir une idée plus précise des connaissances que les manuels voulaient véhiculer. Il faut

également garder à l’esprit que les manuels sont à destination d’élèves de CM1 donc

d’environ 9 ans et que le volume horaire consacré à l’enseignement de l’Histoire a aussi

fortement diminué entre 2002 et 2008 (en cycle 3 : de 3h-3h30 hebdomadaires pour l’histoire-

géographie en 2002 contre 2h en 2008 pour l’histoire-géographie-instruction civique et

morale) . Les leçons, documents et questions ne peuvent pas donc être trop longs et trop

complexes et demander aux élèves des capacités d’analyse poussées qui se développeront

avec de l’entrainement. C’est pourquoi, il aurait été intéressant de pouvoir comparer des

manuels de primaire et des manuels de collège pour faire émerger des éléments différents

concernant la pédagogie ainsi que l’écart entre les savoirs enseignés. On peut supposer qu’au

collège la leçon est plus détaillée et plus longue, que l’on peut trouver des documents

d’historiens, et plus de questions faisant appel à l’esprit critique, etc..

61

ANNEXES

62

Sommaire des annexes

Annexe 1 : Grille d’observation et d’analyse ........................................................................... 63

Annexe 2 : Présentation de quelques manuels et d’une de leur double page ........................ 69

Annexe 3 ................................................................................................................................... 75

Annexe 4 ................................................................................................................................... 76

Annexe 5 ................................................................................................................................... 77

Annexe 6 ................................................................................................................................... 78

Annexe 7 : Le tableau de H. Rigaud dans les manuels ............................................................. 79

Annexe 8 : Tableau de Louis XIV à la table du conseil (anonyme) ........................................... 85

Annexe 9 : Louis XIV en guerrier triomphant couronné par la Victoire (Pierre Magnard, 1692)

.................................................................................................................................................. 87

Annexe 10 ................................................................................................................................. 88

63

Annexe 1 : Grille d’observation et d’analyse

Informations générales sur le manuel

Critères observés Réponse aux critères complétements et observations

Titre

Année

Auteur(s) et statut du ou

des auteur(s)

Maison d’édition

Collection

Niveau et public visé

Programmes en vigueur

Type de programmation

suivie

(spiralaire,

chronologique…)

Nombre de pages total

Couleur / noir et blanc

Caractères

typographiques

(taille et type d’écriture,

caractères en italiques,

gras, mots importants en

64

couleur…)

Structure générale du

manuel

(périodes traitées ;

présence de dossier,

lexique en fin

d’ouvrage…)

Leçon concernant Louis XIV

Titre de la leçon

Nombre de page de la

leçon

leçon précédente et

suivante

Structure de la leçon

(double page, rubriques

particulières (type « le

sais-tu ? »), résumés…)

Proportion texte/image

Présence d’un lexique

(si oui quels sont les mots

65

retenus)

Titres d’autres leçons ou

dossiers dans lequel

Louis XIV est évoqué

Analyse des documents proposés

Nom, date, source et type de

document

place et taille du

document dans la

leçon

Valeur didactique des documents

illustration ; valeur explicative d’un

propos ; objet d’étude ; renforcer ou

contredire d’autres documents….

Liste des

documents

iconographiques

Liste des

documents

textuels

66

Autres

documents

Analyse des questionnaires proposés

Moyenne du

nombre de

questions par

documents

Types de questions

(ouvertes ;

fermées)

Analyse de

l’objectif des

questions

(relevé

d’informations ou

faire appel à la

réflexion et ou à

l’esprit critique…)

Points essentiels

dégagés

67

Analyse du ou des résumé(s)

Nombre de mots

Type de discours

(narratif,

informatif…)

Typographie faisant

apparaître ou non

des mots clés

(si mots clés

lesquels)

Analyse du contenu

(quels faits relatés ;

quel surnom donné à

Louis XIV…)

Tableau de Hyacinthe Rigaud Louis XIV en costume de sacre

Tableau présent (oui

ou non)

Place du tableau

dans la leçon

(première page du

chapitre ; inséré

parmi les autres

documents…)

68

Exploitation du

tableau

(présence d’un

questionnaire ;

si oui, qu’est-ce que

ce questionnaire

cherche à démontrer

(image d’un Roi

puissant ou tableau

comme outil de

propagande…)

Remarques :

69

Annexe 2 : Présentation de quelques manuels

et d’une de leur double page

Figure 1: Couverture du manuel BIB-1882 (C.Calvet)

70

Figure 2: Une double page leçon du manuel BIB-1882

71

Figure 3: Couverture du manuel NAT-1945

72

Figure 4: Double page leçon sur Louis XIV du manuel NAT-1945

73

Figure 5: Couverture du manuel BEL-2008

74

Figure 6: Double page d'une leçon du manuel BEL-2008

75

Annexe 3

Figure 7: Lecture, récit et exercices dans le manuel BEL-1882

76

Annexe 4

Figure 8: Double page leçon avec un « résumé-questionnaire » et gravure rappelant le tableau de H.Rigaud. Manuel HAC-1923 (Gauthier et Deschamps)

77

Annexe 5

Figure 9: questionnaire dans le manuel COL-1945

78

Annexe 6

Figure 10: Double page avec documents précédent la leçon dans le manuel MAG-2008

79

Annexe 7 : Le tableau de H. Rigaud dans les manuels

Figure 11: Photographie du tableau Louis XIV par H. Rigaud dans le manuel NAT-1945

80

Figure 12 : Portrait de Louis XIV dans le manuel COL-1945

81

Figure 13: Portrait de Louis XIV dans la double page leçon. Manuel NAT-1995

82

Figure 14: Portrait de Louis XIV dans la double page d'entrée dans le leçon. Manuel HAC-1995

83

Figure 15: Portrait de Louis XIV dans le dossier "Louis XIV, le Roi-Soleil". Manuel HAT-2008

84

Figure 16: Portrait de Louis XIV dans la double page d'entrée dans la leçon. Manuel MAG-2008

85

Annexe 8 : Tableau de Louis XIV à la table du conseil

(anonyme)

Figure 17: Tableau de Louis XIV et son conseil dans le dossier concernant Louis XIV. Manuel NAT-0_

86

Figure 18: Tableau de Louis XIV et son conseil. Manuel COL-1980

87

Annexe 9 : Louis XIV en guerrier triomphant

couronné par la Victoire (Pierre Magnard, 1692)

Figure 19: Tableau de Louis XIV représenté en guerrier triomphant dans le dossier sur Louis XIV. Manuel NAT-2008

88

Annexe 10

Figure 20: Double page documents avec contraste entre la page de gauche qui présente la richesse de la cour à Versailles et la page de droite qui présente le peuple qui vit dans la misère. Manuel NAT-1995

89

BIBLIOGRAPHIE: Ouvrages :

AMALVI Christian. Les Héros des Français : controverses autour de la mémoire collective. Larousse, 2011.

AMALVI Christian. Les Héros de l’histoire de France. De Vercingétorix à de Gaulle, un tour de France en quatre-vingts personnages. L’ « album de famille » de tous les Français. Le panthéon national de nos livres d’histoire …. Toulouse, Editions Privat, 2001.

BERCE Yves-Marie. Louis XIV. Paris : Le Cavalier Bleu, 2005.(collection Idées reçues)

BLUCHE, François. Louis XIV. Paris : Editions Hachette Littératures, 1986.

BRUILLARD Eric. Manuels scolaires, regards croisés. Scéren CRDP Basse Normandie, 2005

CHALINE, Olivier. Le règne de Louis XIV. Paris : Editions Flammarion, 2005.

CHOPPIN Alain. Les manuels scolaires : histoire et actualité. Hachette éducation, Paris, 1992

CITRON Suzanne. Le mythe national, l’histoire de France en question. 2e éd. Paris : Les éditions ouvrières, 1989

DREVILLON, Hervé. « Les rois absolus (1629 -1715) ». In : Sous la direction de Cornette, Joël. Le grand atelier de l’Histoire de France. Les temps modernes. Editions Belin, 2012, pp.131- 215.

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GARCIA Patrick, LEDUC Jean. L’enseignement de l’histoire de France. de l’Ancien Régime à nos jours. 2ème éd. Paris : Armand Colin, 2003. (Collection U)

LOUIS XIV (annoté par Jean Longron). Mémoires de Louis XIV. Le métier de roi. 3ème éd. Paris : Tallandier, 2001. (collection Relire l’Histoire).

MONIOT Henri. Didactique de l’histoire. Nathan pédagogie, Paris, 1993

PETITFILS Jean-Christian. Louis XIV. Perrin, La Flèche (Sarthe), 2002.

SAINT-SIMON (choix de textes et dossier réalisés par Nicolas Veysman). Mémoires. Editions Gallimard, 2006.

90

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CHOPPIN Alain. « L’histoire des manuels scolaires : une approche globale » Histoire de l’éducation. 1980, n° 9 INRP, pp 1-25

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http://www.linternaute.com/dictionnaire/fr Dictionnaire en ligne consulté le 11/05/2014

Autres :

BORNE, Dominique. Rapport sur le manuel scolaire. Juin 1998

Dictionnaire Le Petit Larousse illustré 2013.

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4ème de couverture :

Mots clés : Louis XIV, représentation ; image ; manuels scolaires ; évolution : programmes 1er

degré.

Ce travail a pour objectif d’analyser l’évolution de l’image, au sens de représentation

mentale, de Louis XIV dans les manuels scolaires de l’école primaire depuis des instructions

officielles de 1882 jusqu’à celles de 2008. Pour mener ma recherche, j’ai tout d’abord fait une

étude historiographique concernant Louis XIV, puis des recherches plus générales sur les

programmes du 1er degré et les manuels scolaires. Suite à cela, pour réaliser cette étude, j’ai

sélectionné deux manuels pour les sorties de programmes suivantes : 1882 ; 1923 ; 1945 ; 1980 ;

1995 ; 2008. Grâce à une grille d’observation et d’analyse, j’ai étudié la façon dont les manuels

traitaient Louis XIV et analysé si les savoirs véhiculés étaient en accord avec les recherches

actuelles.