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trois cents exemplaires numérotés

sur velin de PÉRIGORD

constituant l'édition originale.

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mNOlKÇ

DE TOBTUhie

ET D'INFORTUNE

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DU MEME AUTEUR

LE MORBIHAN PITTORESQUE ET DISPARU :

— Villes et Villages.

— Au bon vieux temps (Préface de R. Grand, de l ' Ins t i tu t ) couronné par l 'Académie française.

— Figures de proue ( Préface de S. A. R. le pr ince X. de Bourbon - Parme ), couronné par l 'Académie des Sciences mora le s et poli t iques.

— Archives et Souveni rs (préface de Daniel-Rops, de l 'Aca- démie française) .

— Pierres p ro fanes et Dalles sacrées.

En passant par le Morbihan (édité par le Cons'eil Général du Mor- bihan et le Comité départemental du Tourisme).

En passant par Rochefort-en-Terre

En passant par Suscinio (édité par le Conseil Général du Morbihan). (Préface de M. Raymond Marcellin, ministre de lTntérieur)

La Côte Celte : La Trinité, Carnac" Quiberon (Edition d'art Le Doaré, Châteaulin).

Le Golfe du Morbihan.

Le Bal du Ciel (Saint-Marcel, juin 1944).

Une Ame de feu : Monseigneur Vladimir Ghika ( Préface de S. Em. le Cardinal Feltin, archevêque de Paris ). Editions Beauchesne.

Cette année... à Jérusalem (à l'Ordre du Saint-Sépulcre).

Saint-François-Xavier (le collège et l'incendie de 1949).

Le Collège Saint-François-Xavier et ses Anciens (album du Centenaire de l'Association). Préface du général de Monsabert. Cou- ronné par l'Académie des Sciences morales et politiques.

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MICHEL DE GALZAIN

MN01ZÇ

DE FOeTflNE

ET TJJ'NFOeTflNE

Illustrations à la plume de JearvFrançois Decker

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^ E manoir entre les futaies, sans tourelle, bas, long, blanc sous un grand toit d'ardoise m'évoque la vieille France cultivée... C'est un rêve qui se perpétue là, dans l'ombre... »

(André Chevrillon, l'Enchantement breton.)

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E mot manoir n'est pas spécifiquement bre- ton ; dérivé de l'infinitif latin manere, en français demeurer, il a néanmoins trouvé en Bretagne une application très person- nelle, similaire à celle qu'évoquent le mas provençal, la chartreuse bordelaise, le logis vendéen.

Tant d'éléments sous-jacents s'y incor- porent qu'une définition semble plus appro- priée par l'exemple que dans le verbe.

Exemple aux facettes multiples, de carac- tères aussi divers que l'architecture des manoirs morbihannais eux-mêmes, du féodal Trécesson au seigneurial Kerguéhennec, du monumental Loyat à la modeste Ville-Moysan, de la gentilhommière racée de Kermalvezin au majes- tueux Doyenné de Péaule. Même une ruine pantelante comme Coëtcandec ou une reconstitution imaginaire comme Rimaison, la reconstruction de classe de Tregouët ou la novation de style de la Forêt à Locoal-Mendon tiennent dans le paysage d'âme du Morbihan un rôle aussi certain que l'altier Pontcallec perché sur son contrefort de la Montagne Noire, devant un panorama vert de prairies et de bois aussi ample à l'œil que l'est à l'esprit la revue des manoirs morbihannais.

Beaucoup, tels les peuples heureux, ne possèdent pour archives qu'une suite monotone de dates et de noms et ne suscitent guère d'échos sonores. Ils me font penser au Plessis-Kaër d'où M. de Robien expédiait par centaines des lettres sans recevoir de ses correspondants une seule réponse... Il est vrai que le rang d'un extérieur ni la qualité des habitants ne suffisent à vêtir un manoir d'histoire, non plus que l'habit ne fait le moine ! L'archéologie et la généalogie ne tiennent donc que des rôles de simples figurants dans les pages de ce livre, essentiellement pages d'histoire, même si les manoirs n'y appa- raissent qu'en profil estompé, comme il leur arrive, dans le décor d'un site, de se deviner à peine en arrière-plan, au bout de longues avenues de chênes, et il faut la réverbération du soleil sur les vitres des meneaux, le soir, pour éclairer leur façade, comme si des feux de bengale leur restituaient subitement le lustre de leurs tranches de vie les plus sensibles au cours d'existences parfois disparates, succession d'heures de gloire et de misère, de bonheur et de difficultés, tels les aléas de la vie humaine faite de joies et de deuils, d'échecs et de réussites.

La vie des manoirs : de fortune et d'infortune, et l'un d'eux m'a semblé résumer les traits les plus typiques d'un grand nombre.

A la fin du règne de Louis XIII, la plupart des résidences de gentilshommes campagnards de l'ancienne France ne sont encore que de massives constructions datant du XVe ou du XVIe siècle. Dans le courant du XVIIe, le manoir perd son armature, les fossés sont comblés, les murs extérieurs percés de fenêtres. Une avenue conduit au portail d'entrée d'où l'on pénètre dans la grande cour ; au fond, le logis des maîtres, à droite et à gauche les communs adossés au mur de clôture et entourés de jardins.

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Au XVIIIe siècle, cette résidence prend le nom de château, et le châtelain est le « seigneur », souvent un hobereau de fortune diminuée, l'embarras croissant des finances publiques rendant les impôts écrasants pour le peuple et certains « seigneurs » de village. Beaucoup payaient de 40 à 50 % de leurs revenus, aussi la culture était-elle de plus en plus délaissée. Le bétail et la récolte étaient saisis parfois par les agents du fisc pour le payement de l'arriéré, le paysan vivait dans le plus strict nécessaire, sans se soucier de produire davantage puisqu'il n'en resterait rien pour lui. Dans les difficultés, le seigneur était le conseiller de ses fermiers, il les aidait à perfectionner leurs procédés de culture, les protégeait contre l'impôt trop lourd qui les frappait, et souvent mettait à leur service ses relations à la cour.

Ainsi M. de Langourla dont la famille vivait depuis des siècles au manoir de la Ville-Guesniac en Mohon, au milieu d'un petit peuple de villageois, l'aimant et en étant aimé. De père en fils, les seigneurs de Langourla, descen- dants des vicomtes de Porhoët, s'intéressaient aux travaux de leurs tenanciers, partageant leurs soucis, exerçant la charité près des plus misérables d'entre eux.

Fort affligé de l'état où se trouvaient ses vassaux et ses terres à la fin de l'Ancien Régime, M. de Langourla se décida, le 4 décembre 1780, à en faire part au ministre Necker. « Vous mettez toujours, lui écrit-il, les impôts sur la classe des hommes utiles et nécessaires, qui diminue tous les jours : ce sont les laboureurs. Les campagnes sont devenues désertes et personne ne veut plus conduire la charrue. J'atteste à Dieu et à vous, Monseigneur, que nous avons perdu plus d'un tiers de nos blés nains à la dernière récolte, parce que nous n'avions pas d'hommes pour travailler. »

« Les seigneurs entretenaient avec les paysans des rapports continuels et faciles » a écrit Thiers dans son Histoire de la Révolution. De même chez eux, dans leurs châteaux d'allure souvent majestueuse, il n'était pas rare qu'ils mènent une vie extrêmement simple, n'ayant guère de l'apparat que l'aspect. Ainsi, pour prendre un exemple concret, l'existence quotidienne des seigneurs de la Ville-Guesniac, typique de cette « vie de château » telle qu'on l'entendait autrefois, toute différente de ce que beaucoup s'imaginent.

L'entrée de la demeure, précédée d'un perron, accédait au vestibule spa- cieux au fond duquel un escalier, à marches larges, mais peu hautes, conduisait aux chambres. La pièce la plus remarquable était « la salle », on dirait aujour- d 'hui le salon. Elle ouvrait à gauche sur le vestibule, à droite sur la cuisine où maîtres et serviteurs avaient leurs habitudes. Le seigneur y prenait ses repas avec sa domesticité et si quelque paysan, tenancier du voisinage, arrivait à l'heure où l'on était à table, les convives se serraient pour lui faire place.

Le mobilier : tables, buffets, de grandes marmites, et, comme dans les maisons du village, les lits de servantes rangés contre le mur. Au fond, une grande cheminée, et autour des fagots et des genêts qui crépitaient sous le chaudron de cuivre, le seigneur et la dame passaient les soirées d'hiver entourés de leurs serviteurs. C'était le « chauffoir » intime, devant lequel les causeries se nouaient.

L 'après-midi, la châtelaine se tenait au salon, s'occupant à de menus ouvrages avec sa servante préférée. On filait la soie ou le lin au rouet, on tapissait au petit point. Parfois, Madame s'asseyait au clavecin, car dans sa jeunesse elle avait reçu une éducation soignée chez les Ursulines de Ploërmel ou de Josselin.

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Lorsqu'il n 'assistait pas aux travaux des champs, Monsieur chassait dans le bois proche en compagnie de ses voisins, les châtelains de la Ville-Martel et de Garnoult. S'il pleuvait, on jouait au piquet, à la mouche, au tric-trac en compagnie de l'Abbé qui était à la fois précepteur des enfants et chapelain de l 'oratoire, une modeste chapelle, face au portail d 'entrée.

On imagine facilement la vie de ces petits seigneurs dans leur belle salle dont les murs sont encore recouverts d 'admirables boiseries. On revoit son

décor Louis XV, meubles de style, portes et cheminées encadrées de nervures et de rinceaux dorés, surmontés de t rumeaux représentant quelques scènes champêtres à la manière de Boucher et de Fragonard. Pour décoration, des plats d'étain ou d 'argent sur le dressoir. Des panoplies aux armes pit toresques, quelques étagères garnies de livres aux reliures rousses, de bibelots anciens, d 'objets d'ivoire ramenés des Indes. La porte-fenêtre ouverte sur le jardin, l 'odeur du foin coupé se mêle à la fenaison aux effluves du verger et la grande salle s'en trouve toute parfumée.

Les repas sont une autre occupation, longs, bien servis et copieux. Les produits du domaine en font f réquemment les frais : légumes et fruits du jardin ; levrauts, cailles et perdreaux de la chasse ; poulets et pigeons de la basse-cour, poissons de l 'étang et des rivières voisines.

On est fort économe, coupant un liard en quatre. Le maître tient ses jour- naliers de près, surveille lui-même leur travail et la rentrée des récoltes ; la châtelaine querelle son domest ique sur la dépense, l 'argent est rare et il faut vivre le plus possible sur le domaine.

Le contraste est f rappant entre cette noblesse rurale vivant des mœurs , des vêtements, du langage de l'ancien temps, et la noblesse vernissée de la cour. Elle vit familièrement avec ses vassaux les plus humbles, elle se mêle avec femme et enfants aux fêtes populaires, organisant les repas en commun dont le châtelain assure le vin et les viandes, et après le dessert, la châtelaine et ses filles se mêleront aux danses villageoises...

Mathurin de Langourla, trop âgé sans doute pour prendre une part active à l ' insurrection morbihannaise, se contenta de vivre médiocrement à Josselin,

ce qui n 'empêcha point les adminis t ra teurs du district, par haine de ses ori- gines, de l ' incarcérer quelques mois dans le donjon du bourg. Son fils par contre, aussitôt en état de porter les armes, s 'enrôla sous les bannières de l'Armée catholique et royale, se dist inguant par sa bravoure et sa fidélité. Le 4 juin 1815, lors de la prise de Redon par les chouans, il fut tué à l 'assaut d 'une vieille tour crénelée où s'était retirée la garnison. Il était le dernier du nom.

Morcelée au XIXe siècle, la Ville-Guesniac a conservé néanmoins une rela-

tive importance, la maison occupée par des fermiers qui ont t ransformé en chambre l 'ancienne grande salle. Il paraî t que leurs prédécesseurs furent sou- vent surpris de bruits insolites, de faits étranges, d ' impressions d'allées et venues à l'étage, alors que ne s'y trouvait personne. Ces revenants se sont-ils lassés de f rapper à des portes obst inément closes ? Ont-ils trouvé ailleurs un foyer plus réceptif, comme les fantômes de Kerangat ? Les résidents actuels assurent n'avoir jamais rien vu ni entendu de suspect, sceptiques à l 'endroit de « ces histoires vraies ou devenues vraies depuis le temps qu'on les raconte

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et qu'on y croit ». Comme Jean-Louis Vaudoyer, ils sont tout prêts à admet t re que « les histoires vraies sont celles dont le cœur a besoin », et notre temps de réalisme et de progrès ne s 'encombre plus guère de fantaisies.

A tort, je le crois : pour autant que les broderies de leur canevas se greffent sur une t rame véridique, elles se rat tachent à l'Histoire, la complètent parfois, comme les parties effacées de mosaïques anciennes que les fragments intacts permet tent de reconsti tuer sans trop de risque d 'erreur.

Car peu de manoirs ridés par l'âge sont demeurés parfai tement homo- gènes : même la chronique très sûre de Lestrenic et de Keroman n'exclut pas de jolies incertitudes ; comme des rais de lumière infiltrés à travers les ombres des sous-bois, le bur lesque côtoie le d r ame au Plessis-Josso, la perfidie rejoint la coquetterie autour du Vaudequip, l 'amour et la mort mènent dans les bois des Aulnais des danses presque aussi macabres que les savantes pantomimes des procéduriers à Talhouët et à Kerihoué : nous voilà plus près des jeux de l 'enfer que de ceux du ciel, les uns et les autres connus de Kerlois. Porcaro, la Voltais, Saint-Jean-Brévelay se rappellent sur tout les manifestations du purga- toire dont ils furent le théâtre ému, et pour n'en avoir pas reçu les mêmes signes sensibles Truscat, Kerascoët, Cadouzan, gardent le souvenir des pages d 'histoire ecclésiastique dont ils conservent la marque, aujourd 'hui leur origi- nalité, comme celle de Bois-de-Haut, de Lanouée, de Branféré se lit davantage dans un contexte d 'économie. Plus rare le cas du Guerric où la magis t ra ture et la politique dessinent un filigrane constant à travers une occupation si diverse.

Au cœur du Golfe, lui-même cœur du Morbihan, Le Guerric offre de sa collection de manoirs l'un des plus parfaits exemplaires, alliant la luminosité d 'un cadre de bois et de mer à l 'harmonie de lignes élégantes et sobres lui conférant un visage distingué, sans artifice.

L'observation vaut pour la plupart des manoirs morbihannais chez lesquels les traits physiques s 'accordent au caractère de l 'âme : il en est de grands et de petits, des demeures princières et des habitations presque humbles, mais rare celle qui ne pra t ique pas la fidélité à ses origines, le culte de son passé, que ce passé se résume en anecdotes ou confine à l 'histoire nationale, qu'il demeure l 'héritage de la famille qui l'a forgé ou que, par mutat ions, il soit tombé en mains étrangères, généralement attentives à la sauvegarde de ce patrimoine. C'est un autre reflet de la for tune et de l ' infortune des manoirs morbihannais qu 'anime un même souci de maintien, de survivance. Volontiers leur appliquerait-on le mot de Victor Hugo : ceux qui vivent sont ceux qui luttent.

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^teaz bijoux de piezze dans l'éczin ozchéologique du U(ol,bit.au :

zécesson (ci-vessas), au zubis de cjzanii zose sezli vaus une COUZOHM d'êmezaude ;

^ezguehennec (ci-dessous), alfièze demeure qui lui a vola

l'appellation de Vez:sailles breton.

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/lu cœuz du qolte, lui-même cœuz, du ^fozbikan,

le quellic allie la luminosité d'an Iltéâlze de veldule et de mez à l'harmonie

de ligues élégantes et sobzes...

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£ 'ES plus anciens manoirs du Morbihan — leur emplacement au moins,

car leurs murs ont été plusieurs fois relevés depuis la première fondation — se situent directement à la périphérie de Vannes. Au pied du château de l'Hermine, s'étendait un vaste parc où les ducs de Bretagne entretenaient des « résidences secondaires », petits manoirs de plaisance, devenus plus tard seigneuries.

Deux subsistent, aussi transformés depuis ces temps lointains, que la topographie de leur environnement. Les souverains de Bretagne, s'ils revenaient sur terre, ne reconnaîtraient certes, ni leur cadre ni leur intérieur, mais mieux que nous démêleraient-ils la légende qui s'y attache.

PLAISANCE

Le premier, c'est Plaisance, aux confins de Saint-Avé et de Vannes, aujour- d'hui gentil manoir face à l'entrée de Liziec, englobé de même dans le parc de l'Hermine, aussi vaste que jadis celui de Suscinio.

En 1433, le duc Jean V le remit à son fils, François, marié depuis deux ans à la fille du roi de Sicile, Yolande d'Anjou. Le lieu est agréable, à défaut de la demeure vieillotte, rasée pour faire place à un nouveau château si plaisant que le duc et la duchesse le baptisent derechef : Plaisance. Elle, décédée en 1440, n'en profitera pas trop longtemps; lui, dix ans de plus. Mais comme il se remarie entre temps à la bonne et douce Isabeau d'Ecosse, celle-ci en fait son habitation, et, quoique le duc l'offre à l'évêque de Nantes, Guillaume de Malestroit, pour « en jouir durant sa vie », Plaisance, ballotté entre propriétaire et usufruitier, coule des années sans certitude de son sort. En 1486, il passe définitivement à l'abbaye de Prières qui ne semble pas en tirer un parti avan- tageux, le laissant en tel état d'abandon qu'en 1637 les moines décident de l'abattre et d'utiliser ses pierres à rebâtir leur église et leur communauté. Un constat des lieux, en 1670, déclare « qu'il ne reste plus que quelques vestiges de murailles de la maison, chasteau et lieu de Plaisance, comme portes et fenestres de taille et en forme d'armoires, et qu'il n'y a aucune charpente, boisages ni couvertures en place, et que le tout est en ruine et parterre ». La Révolution ne releva rien, mais en retirant aux moines leur propriété mor- celée dès lors entre plusieurs adjudicataires, elle énumère les biens qui en dépendent : le pourpris, c'est-à-dire l'enclos, des communes et garennes et plu- sieurs moulins échelonnés sur un canal qui reliait les deux pièces d'eau, l'étang de Plaisance et l'étang du Duc. Peut-être même celui-ci, insignifiant jusqu'alors,

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fut-il élargi pour augmenter la quantité d'eau qui entourait la ville de Vannes et le château de l'Hermine. Mais pour augmenter l'étang, il fallait y apporter les cours d'eau déversés dans l'étang de Plaisance. D'où la nécessité d'un canal de l'un à l'autre.

Le canal n'est plus qu'un filet sans intérêt, comme l'étang devenu marécage.

Si j'y insiste pourtant, c'est que le savant chanoine Mahé raconte à leur propos une légende digne des contes de Perrault. A l'en croire, une princesse, propriétaire de l'étang du Duc, était recherchée en mariage par le seigneur de Plaisance à qui elle refusait de donner sa main, et croyant se débarrasser de ses instances une nouvelle fois qu'il revenait à la charge, elle lui fit imprudem- ment subordonner son consentement à la communication des deux canaux.

Le galant prit au mot la chose qui n'était pas, sans doute, un mince travail, pas irréalisable non plus ; la preuve, qu'il réussit l'entreprise et qu'ayant invité la princesse à une fête chez lui, il l'y mena en bateau par le canal nouvellement percé dont il lui avait réservé l'inauguration. Comme il lui rappelait aussi sa promesse et en exigeait l'exécution, elle, de dépit et de désespoir, préféra se jeter à l'eau. C'est sa complainte que chantonne l'onde claire du Liziec...

LESTRENIC

Des complaintes, vous en entendrez aussi autour de Lestrenic : les mau- vais jours s'y sont mêlés aux heures de faste, comme l'ivraie au bon grain.

A la sortie de Vannes, route de Nantes, un peu plus haut que Saint-Léonard, une petite route rurale comme il n'en existe plus beaucoup d'aussi verdoyantes, malgré le bitume dont est revêtue sa chaussée, mène au hameau de Saint- Laurent, réputé pour la foire au cidre qui s'y tenait le 22 septembre, en la fête patronale de la chapelle aux fenêtres ogivales et meneaux rayonnants. Devant le parvis, un solide calvaire du XVe siècle, érigé sur un socle où, parfois, se célébrait la messe : tout ce qui reste à évoquer le passé de ce lieu, pas le premier venu dans les annales de la Bretagne.

Sur l'autre côté du chemin, le dos d'une demeure cossue, à l'aspect confor- table, dominant de sa petite hauteur le fin fond de la rivière de Noyalo embourbée dans des marais que le flot montant métamorphose en paysage mi-terrien, mi-maritime, significatif de notre arrière-rivage : les alentours d'Auray, du Bono, d'Etel, des petits fleuves côtiers ou des bras de mer recou- verts par le jusant le répètent en de multiples images partout ressemblantes et nulle part absolument semblables. Il suffit d'un méandre du lit, d'un décor boisé, d'un seuil de prairie léché d'eaux timides pour personnaliser un site morbihannais, même sans empreinte de l'histoire.

Du temps que Saint-Laurent s'appelait Lestrenic, les ducs de Bretagne, propriétaires du manoir et du parc, y entretenaient l'une de leurs résidences. Les sentiers qui l'avoisinent ont dû voir passer de brillantes compagnies de dames et de seigneurs que l'imagination se surprend à ressusciter...

Cet étrange cortège mélangé de clercs et de laïcs, c'est celui de saint Vincent Ferrier arrivant à Vannes en 1418. Le duc Jean V, qui se trouve alors à Lestrenic, a tenu à saluer le passage de l'illustre prédicateur qui remue les foules et les âmes. Jusqu'à Vannes il l'accompagne avec son épouse Jeanne

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de France et probablement leur tout jeune fils François, le futur François Ier de Bretagne.

Leur destinée se lit-elle sur leurs visages ? Que doit paraître alors préco- cement sinistre la physionomie de ce jeune prince voué au malheur de Caïn : un jour, François tuera son frère Gilles, la plus vilaine journée de Lestrenic, pas la seule ! Même quand la joie éclate chez les Vannetais accourus au-devant de Maître Vincent, le sourire de la duchesse se voile de mélancolie, l'attriste son inquiétude de la mine ravagée déjà de l'apôtre dont elle recevra le dernier soupir en une petite chambre de la rue des Orfèvres, baptisée récemment place Valencia en souvenir de sa ville natale. Elle-même l'ensevelira en atten- dant de reposer près de lui, en la cathédrale de Vannes.

A t'assombrir ? Il y a aussi les misères de son ménage. Duchesse, elle n'en est pas moins femme, et guère heureuse. L'Histoire appelle son mari Jean le Bon. Peut-être bon prince, pas mari modèle.

Trente-huit ans plus tard, quelle est encore cette femme en quête de solitude, aux traits tirés ? Lestrenic est-il donc hanté que ses arbres ne puissent abriter la douceur et la paix ? Pas plus fortunée en ses liens conju- gaux, c'est Françoise d'Amboise, échappée d'une scène de jalousie et de coups q u e v i e n t d e l u i f a i r e s o n é p o u x P i e r r e I l , p u î n é d u f r a t r i c i d e F r a n ç o i s Ier.

Rudes temps et cœurs rudes, cœurs malades aussi : peut-être Pierre Il ressent-il déjà les symptômes de la paralysie qui l'emportera l'an 1454 en son château de Nantes ?

Sans même la consolation d'un enfant à bercer, à voir jouer autour d'elle, à élever, la pauvre duchesse n'a pas attendu la mort de son mari pour recourir à Dieu. Inaccessible aux séductions de la terre, elle se fera carmélite au monastère du Bondon qu'elle a fondé, y deviendra prieure avant d'essaimer aux Couëts, près de Nantes, d'y mourir en odeur de sainteté, d'être béatifiée sous le pontificat de Pie IX.

Avec la fuite du temps approche cependant la fin de la Bretagne auto- nome. Un duc réside encore à Lestrenic, François 11, au nom tout embrumé de ses luttes épiques contre Louis XI, mais vénéré par la mémoire de sa fille, la duchesse Anne, née en 1476, et très certainement elle aussi passa-t-elle ici quelques semaines, l'été, avec sa sœur Isabelle, retrouvant pour compagnes les fillettes de Séné, chansonnant avec elles de vieux airs campagnards comme en fredonnent encore tous les petits Bretons, qu'ils soient de Vannes, de Cornouaille ou de Trégor :

C'était Anne de Bretagne, Duchesse en sabots, Revenant de ses domaines En sabots, mirlitontaine...

Voilà son domaine de Lestrenic passé à la couronne de France. Ses derniers beaux jours, il les vivra sous Françoise de Foix, à qui l'a galamment donné François Ier, sa vie durant.

Mais la vie passe ! Françoise de Foix au tombeau, le manoir est retombé sous la coupe de Paris qui n'en a cure. Enveloppé de solitude et d'oubli, il était en ruines en 1614, devançant de deux siècles le sort de Suscinio à l'agonie lente et rythmée par les vagues et le frémissement de l'Océan.

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Justement, l'Océan va recevoir les derniers vestiges de Lestrenic : après les pierres de la maison données par Louis XIII aux Capucins pour matériaux de leur nouvel établissement de Calmont-Haut, à Vannes, les arbres du parc tombent un à un sous la cognée des bûcherons : une ordonnance royale l'a prescrit, et le sénéchal de Vannes, le 9 mars 1636, a impitoyablement dressé procès-verbal de cette lamentable infortune consommée. « Nous étant trans- portés au parc de Lestrenic, avons vu qu'il est circuit et fermé de murailles en la plus grande partie tombée... auquel parc avons vu rester seulement les souches des arbres de haute futaie qui y estoient, qui ont été abattus pour être employés à la construction du grand vaisseau basti depuis peu pour le Roy, à la Roche-Bernard... »

Ce "grand vaisseau", charpenté des bois de Lestrenic, c'est la Couronne, l'un des fleurons historiques de la Vilaine, et sa reconstitution par l'amiral Pâris, l'une des plus belles pièces du musée de la Marine.

Envahi d'un silence conquis au prix de la dispersion de ses pierres et de la profanation de ses ombrages, Lestrenic, au nom maintenant francisé de Saint-Laurent, se réveille pourtant à la vie. Par lettres patentes du 8 octobre 1634, délivrées à Saint-Germain-en-Laye, Louis XIII en fait don aux Jésuites de Vannes, établis depuis quatre ans au collège Saint-Yves. Saint-Laurent devient l'annexe d'été du collège, le Pen Boc'h de l'époque. A la compagnie badine des dames et des seigneurs d'antan, succède la communauté des reli- gieux ; aux jeux d'Anne de Bretagne, rythmés de coups de sabot, les jeux virils de la soule des collégiens, à l'âge sans pitié. Fort probablement, le manoir actuel date-t-il de cette époque, c'est le « corps de logis bâti par les Pères » dont fait mention un acte de 1637. Son nom se retrouve encore en 1762, à l'occasion de la dissolution de la Compagnie de Jésus (mais Saint- Laurent demeura dépendance de Saint-Yves) ; puis, en 1793, lors de la vente comme bien national, dernier épisode de son film historique.

Proche de Vannes, Saint-Laurent est pourtant suffisamment à l'écart des grands courants de circulation moderne pour avoir conservé sans altération grave de ses traits le charme de son passé. Même les foires qui le sortaient de son silence, en septembre, ne font plus grand tapage, et ne siffle plus au bas de son parc le tortillard de Rhuys qui roulait ses minuscules wagons le long d'une petite ligne ferrée comme il n'en existe plus que dans les jardins d'acclimatation...

LE CHATEAU DU DIABLE

Le troisième volet de ce triptyque se rapporte à un manoir plus vieux encore, pour remonter au XIIIe siècle, sous le duc Jean Le Roux. Lui-même n'est pas directement en cause, mais ses vassaux, de puissants seigneurs. La mémoire lorientaise conserve fidèlement leur souvenir, un peu confondu toutefois dans un halo de légende...

La légende pure donne le nom — vrai ou imaginaire? — de Pierre Nivanec au passeur de Kerentrech dont la barque transportait à demande les voyageurs d'une rive à l'autre du Scorff. Toute la richesse du brave homme : une maisonnette très humble comme il convient à un pêcheur besogneux, et une fille de dix-sept ans, Suzanne, gentille et brune à ravir, ne demandant

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rien d'autre à la vie que le bonheur près de son père, ce qui est sagesse, et elle fut deux fois sage en se gardant des avances du voisinage, où les garçons ne devaient pas manquer.

Or, une nuit de novembre où le vent soufflait en tempête, Pierre était sorti pour amarrer solidement la barque à la rive, lorsque, de l'autre côté de la berge, une voix forte s'éleva, dominant le sifflement de la bise et l'agi- tation des courants :

« Ohé ! passeur !

— Entendu ! j'y vais ! »

Et il se mit à ramer dans les ténèbres si noires qu'il eut peine, à terre, à distinguer un cavalier dont la fringante monture avança docilement sur le plancher de la nacelle.

« En chassant sur les bords du fleuve, je me suis égaré, déclara l'étranger, et comme la nuit est sombre et que l'orage menace d'éclater, tu me donneras l'hospitalité en ta demeure.

— Elle est bien petite, répondit Nivanec, mais toujours ouverte pour l'étranger. »

En entrant chez le batelier, l'inconnu se dépouilla de son grand manteau noir et apparut revêtu d'un ample pourpoint rouge sur lequel tombait son feutre baissé, lui couvrant tout le haut du visage. Bientôt, dans la chaumière, tout fut silencieux, cependant qu'au dehors la pluie tombait en rafales rythmées au clapotis de l'eau contre la rive.

Au premier rayon du jour, le passeur voulut réveiller son hôte, frappa discrètement à la porte, l'entrouvrit : la chambre était vide ; dehors le cheval noir n'était plus attaché et, sur un coin de la table, s'alignaient des rouleaux d'or.

« Suzanne ! »

Tout bouleversé, le batelier appelait sa fille. Elle aussi disparue ! Mais, presque aussitôt, des paysans accouraient, l'un d'eux portant Suzanne encore évanouie, la robe blanche fripée et maculée de terre.

Quand elle eut repris ses sens, elle raconta s'être réveillée sur le cou d'un cheval au galop, serrée dans les bras du cavalier au pourpoint rouge.

« Ton cœur n'était point pris, jolie fille du Scorff, ricanait-il, c'est que je le gardais pour moi seul. » Là, dans un éclat de rire, dressé sur ses étriers, il me cria son nom : « Tu ne m'as pas reconnu ? Je suis Satan ! » Déjà nous étions dans le bois du château, les branches me frôlaient le visage, mais je réussis à dégager ma main droite et trois fois je fis le signe de la croix. Au troisième, le cheval bondit et je tombai à terre.

Il paraît que pendant longtemps se voyaient comme une curiosité de musée les empreintes qu'imprimèrent dans le sol les sabots du coursier infernal.

Légende, bien sûr, mais, ce qui est vrai, c'est que tout le pays dénom- mait "Château du Diable" ce coteau longtemps jonché de ruines, les ruines du castel de Pendreff. Qui l'habitait ? Un seigneur vendu à Lucifer, répondait la tradition assez ancrée dans la mémoire populaire pour avoir même retenu à son sujet quelques détails explicites.

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A l'en croire, un modeste marchand d'Hennebont, avisé en affaires, avait, au XVIIe siècle, acquis l'éminence de Pendreff et une ferme voisine, terres d'épis et d'ajoncs, là même où la Compagnie des Indes creusa son port, établit ses magasins, éleva ses maisons, dressa ses remparts. La vente de ses champs et de ses landes expropriés par la Compagnie en fit le plus opulent homme du pays de son vivant, le plus malheureux à son trépas, sa fortune édifiée en vertu d'un pacte diabolique qui l'obligeait, sa dernière heure venue, à se livrer aux puissances maudites.

De la légende à la tradition, de la tradition à l'histoire, un même fil conducteur pourrait bien se retrouver sous la trame de ces divers épisodes. Affabuler "la Compagnie" sous l'image du prince des enfers, c'est sans doute maquiller la vérité, pas tout à fait la détruire.

Or, la vérité, c'est qu'en 1247 le duc de Bretagne Jean Le Roux ayant vaincu ses vassaux révoltés, les princes de Léon et de Guémené, rasa leurs forteresses à l'ouest du Blavet, avec défense de jamais les reconstruire. Châteaulin, Quimperlé, le Vieil-Hennebont furent démantelés, et aussi l'antique château-fort de Trefaven, qui commandait le bassin du Scorff, comme Henne- bont celui du Blavet. Au XVIIe siècle pourtant, les Rohan, à force de suppliques, obtinrent du roi l'autorisation de relever leur forteresse en prenant habile- ment soin d'en déformer le nom. Trefaven devait, à l'origine, se dire Dreffaven, contraction des deux mots bretons : dreff, barrage, et aven, rivière. Un châ- teau sur un barrage aurait paru bien belliqueux au roi, si fantaisie lui avait pris de s'informer. Alors, Trefaven devint Trezaven, le castel sur la plage, d'apparence inoffensive.

Mais, quand les Rohan s'allièrent aux Anglais, se firent protestants et, en réplique aux fortifications de Port-Louis, édifièrent le clocher-donjon de Larmor, le roi, courroucé, répondit par un coup d'éclat : la construction en aval de Trezaven de l'arsenal de Lorient, sur le fief du Couëdic, récemment acheté par un ancien négociant hennebontais devenu, à la suite de cette acquisition, le noble sire de la Coulinière.

En apprenant la cession du Faouëdic à la Compagnie des Indes sans leur aveu, au mépris de leur droit féodal, les Rohan s'indignèrent, se déchaînèrent même en voyant le prix de la cession servir à relever, face à Trezaven, le vieux manoir de Pendreff où se prélassait l'astucieux sire de la Coulinière. Faute de rien pouvoir d'autre, ils l'accusèrent, par malice, d'avoir vendu son âme de Breton au diable, c'est-à-dire à Sa Majesté, et tentèrent de le flétrir dans l'opinion en accréditant son château pour le château du diable.

Qu'ait existé dans ces parages un passeur de barque est possible, pro- bable même. A broder sur la visite du démon en personne, il n'y avait qu'un pas.

Et un autre à chuchoter plus tard que les seigneurs de Pendreff et de Trefaven, réconciliés, communiquaient par un souterrain où un trésor aurait longtemps été caché.

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La plus ancienne mention du Resto date de 1420 : un acte de cette époque le fait appartenir à un sire Guchon de Baud, plus tard à François du Bahuno et, sous Louis XVI, aux Kersalaün. Des points de repère plus qu'une généalogie.

L'archéologie du manoir n'est guère plus diserte, et il est aussi malaisé de s'en faire une idée précise que de restituer aux anciens propriétaires leur position exacte : comme leurs familles se sont éteintes, les murs du vieux Resto ont été rasés, la gentilhommière d'antan remplacée par un logis plaisant quoiqu'il ne remonte pas beaucoup au-delà d'un siècle. La liaison de l'une à l'autre demeure : le parc peuplé d'arbres probablement à l'époque où fut bâtie la remise de chaume. Son portail mentionne la date de 1780, dernier vestige authentique du primitif Resto dont les fermes ont conservé un cachet ancien accusé auquel ni l'archéologue ni l'artiste ne restent insensibles. Et au charme qu'ils éprouvent n'est pas étranger le moulin seigneurial, l'un des bâtiments de cet ensemble rural, sis plus bas que le ruisseau, source de tous les malheurs du manoir, à en croire la légende.

Le premier malheur du sire du Resto : le voisinage immédiat du sire de Tallen, tous deux divisés par une haine implacable en raison d'un préju- dice causé à celui-ci par le mauvais vouloir de celui-là. Un même cours d'eau, seconde cause d'infortune, arrosait les terres de l'un et de l'autre et mettait également en mouvement les deux moulins féodaux. Le sieur du Resto se plaisait, paraît-il, à l'époque des sécheresses, à retenir l'eau, condamnant au silence les aubes de Tallen.

Il y eut des luttes terribles; les terres furent saccagées des deux côtés; et les pauvres serfs, les plus éprouvés, voyaient chaque année leurs récoltes ravagées. La misère était atroce.

Les suzerains intervinrent : le châtelain du Resto obtint gain de cause en raison de titres plus anciens. Mais son rival, loin de se tenir pour battu, rumina sa vengeance.

Or, il arriva qu'une guerre lointaine fut organisée. De nombreux gentils- hommes s'équipèrent et partirent, emmenant leurs hommes d'armes. Le sieur du Resto suivit l'expédition. Son voisin, ruiné, ne put y prendre part et le pays accalmi se félicitait de la paix retrouvée lorsqu'une nuit de grandes flammes tourbillonnèrent au-dessus du Resto d'où s'échappaient de lugubres plaintes mêlées de féroces cris de joie : le sieur de Tallen venait d'assouvir sa haine, massacrant sans pitié la dame du Resto, ses enfants et ses servi- teurs ; ses victimes restaient ensevelies dans l'ardente fournaise. Alors, le moulin de Tallen fit entendre à nouveau son joyeux tic-tac, le château ne tarda pas à reprendre un air moins sévère.