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INTRODUCTION
Le principe d’impartialité est l’une des clés de voûte du système pénal1. Ainsi l’exige
l’idéal de justice. Ainsi le réclame la Convention européenne de sauvegarde des droits de
l’homme dont l’article 6, &1 dispose dans son premier alinéa que « toute personne a droit à
ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par
un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi… ». Cette exigence est également
édictée à l’article 14, &1 du Pacte international relatifs aux droits civils et politiques2. En droit
interne c’est l’article préliminaire du Code de procédure pénale introduit par la loi du 15 juin
2000 qui l’évoque au travers du droit à un procès équitable.
Tout justiciable a le droit à être jugé sans partialité ; il s’agit là d’un droit primordial
qui est une condition sine qua non du système judiciaire tout entier. La Cour européenne des
droits de l’homme considère que l’impartialité des juges est la condition même de « la
confiance que les tribunaux se doivent d’inspirer aux justiciables dans une société
démocratique »3. Il n’est pas surprenant, dès lors, que, dans l’enquête de satisfaction auprès
des usagers de la justice, effectuée en 2001 par la Mission française de recherche Droit et
Justice4, l’impartialité soit citée comme la principale qualité attendue d’un juge, avant même
la compétence et l’honnêteté.
L’impartialité est une notion difficile à définir ; elle vise une attitude humaine qui
concerne directement l’action du juge au cours du procès qui ne doit pas se montrer partial.
Est partial « celui qui prend parti pour ou contre une personne, une chose, un groupe, sans
souci de justice ni de vérité, celui qui fait preuve de parti pris ». L’impartialité peut donc être
définie comme étant la qualité de celui qui apprécie ou juge une personne, une chose, une
idée sans parti pris favorable ou défavorable. Cette notion d’impartialité est étroitement liée à
celle d’indépendance ; elles sont rarement évoquées l’une sans l’autre mais nous verrons au
cours de nos développements en quoi elles se distinguent.
1 D. ROETS, préface de J. PRADEL, impartialité et justice pénale, Ed Cujas, 19972 « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement et publiquement par un
tribunal compétent, indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil. »
3 CEDH, 26 octobre 1984, Cubber c/ Belgique et CEDH 1er octobre 1982, Piersack4 et l’Institut Louis Harris
Cette notion fuyante de l’impartialité a donné lieu à une jurisprudence abondante en
droit européen, dont une synthèse permet d’approcher le contenu de cette garantie accordée
aux justiciables. Il convient de noter d’emblée, que la Cour européenne attache une grande
importance à cette garantie : « une interprétation restrictive de l’article 6, &1, notamment
quant au respect du principe fondamental de l’impartialité du juge, ne cadrerait pas avec
l’objet et le but de cette disposition, vu la place éminente que le droit à un procès équitable
occupe dans une société démocratique au sens de la Convention »5.
Le principe d’impartialité peut s’apprécier de deux manières et la Cour européenne en
a poser les limites dans l’arrêt Piersack c/ Belgique du 1er octobre 1982 (je cite) : « si
l’impartialité se définit d’ordinaire par l’absence de préjugé ou de parti pris, elle peut,
notamment sous l’angle de l’article 6, &1 de la Convention, s’apprécier de diverses
manières. On peut distinguer entre une démarche subjective, essayant de déterminer ce que
tel juge pensait en son for intérieur en telle circonstance, et une démarche objective amenant
à rechercher s’il offrait des garanties suffisantes pour exclure à cet égard tout doute
légitime ».
La Cour européenne adopte donc une terminologie qui n’est pas sans poser de problèmes.
L’impartialité objective s’attache aux fonctions exercées par le juge c’est-à-dire au
préjugement alors que l’impartialité subjective concerne les éventuels préjugés que pourrait
avoir le juge dans une affaire.
Si le principe de l’impartialité est un principe général de procédure, applicable à un
grand nombre de matière, telles que disciplinaires, civiles… nous nous intéresserons au cours
de cet exposé exclusivement à la matière pénale et aux implications que peut avoir un tel
principe eu égard à cette matière; sachant qu’il est d’ores et déjà utile de préciser que celui-ci
ne bénéficie pas d’un champ d’application absolu en matière pénale, puisqu’il est par exemple
exclu pour certains juges, tels que les juges pour enfants ou encore pour le parquet. La
procédure pénale française nie en effet toute obligation d’impartialité fonctionnelle et
personnelle à l‘égard du parquet.
Cette négation se matérialise tout d’abord par la non application à ce dernier du
principe de séparation des fonctions. Ainsi, par le possible cumul des fonctions judiciaires, la
chambre criminelle a, dans un arrêt du 28 novembre 1945, autorisé qu’un membre du parquet 5 CEDH, 26 octobre 1984, Cubber c/ Belgique & 30
puisse représenté le ministère public à l’audience, alors même qu’il aurait connu de cette
affaire en tant que juge d’instruction. De cette absence d’application du principe de séparation
des fonctions, en découle également une négation de l’impartialité fonctionnelle en matière de
poursuite. En effet, la chambre criminelle considère qu‘en tant qu’autorité de poursuite, le
parquet n’est pas tenu par le respect du principe d’impartialité; « il a même nécessairement
une idée de la culpabilité de celui qu’il poursuit ». La Cour de Cassation l’a d’ailleurs rappelé,
notamment dans un arrêt du 10 décembre 1986 que « le ministère public ne décidant pas du
bien fondé de l’accusation en matière pénale, le moyen pris de la partialité éventuelle de ce
magistrat est inopérant », puis, toujours dans le même esprit, mais de manière plus marquée,
dans un arrêt du 6 décembre 1996 où elle énonce que « la garantie du droit à un tribunal
indépendant et impartial ne vise que les juges et non pas le représentant de l’accusation… ».
Cette position, en matière d’impartialité fonctionnelle, s’inscrit en totale contradiction avec la
CEDH qui a, à plusieurs reprises rappelé que le principe de séparation des fonctions est
applicable au parquet. Ainsi, elle a pu imposé le respect de ce principe en refusant,
contrairement à la chambre criminelle, la qualité de magistrat à un membre du parquet pour le
contrôle de la légalité d’une arrestation ou d’une détention au motif qu’il est susceptible
d’exercer des poursuites contre la personne en question.
La CEDH prône également le respect par les membres du ministère public de
l’impartialité personnelle, prenant ainsi en considération « l’image que la justice est
susceptible de renvoyer » d’elle-même. La chambre criminelle considère quant à elle que le
parquet n’est tenu à aucune obligation de respecter cette impartialité personnelle, au motif que
« le tribunal » entendu au sens de l’article 6 CEDH n’inclus pas le parquet qui est partie au
procès. Elle a ainsi validé la participation d’un membre du ministère public au jugement de
son filleul dans un arrêt du 6 janvier 1998.
Le principe d’impartialité trouve donc essentiellement à s’appliquer à l’égard des
juges, sauf exception comme précédemment évoquée. Ceux-ci se voient donc appliquer un
certain nombres de règles telles que le principe de séparation des fonctions de poursuite,
d’instruction et de jugement, le principe de la collégialité… et de « sanctions » telles que le
renvoi, la récusation… visant à garantir le respect de ce principe. On a donc tout un arsenal
juridique préventif et répressif tendant au respect de l’application de l’impartialité. Pour
autant, lorsque l’on se penche sur l’étude de la jurisprudence française, on s’aperçoit qu’en
dépit de cette forte valeur et protection que lui consacre notre droit, la chambre criminelle de
la Cour de cassation, par son interprétation particulière des principes, entend en faire une
application plus nuancée. A tel point qu’il est aujourd’hui permis de se demander si cette
valeur et protection accordée à l’impartialité par notre droit n’est pas finalement que
théorique, donnant ainsi en pratique une toute autre mesure et valeur à ce principe, nous
conduisant à un moindre respect et corrélativement à un affaiblissement de celui-ci. S’il est
vrai qu’une application stricte de ce principe est susceptible de porter atteinte à d’autres
principes tels que le droit à être jugé dans un délai raisonnable ou s’avère tout simplement
impossible ou tout du moins difficile à mettre en œuvre en France eu égard à un manque de
moyens essentiellement humains, il n’en demeure pas moins que la chambre criminelle
s’inscrit la plupart du temps en contradiction avec la CEDH qui, après avoir assouplie sa
jurisprudence en la matière, reste tout de même beaucoup plus exigeante que la Cour de
Cassation.
Nous nous attacherons donc à démontrer tout au long de cet exposé qu’en dépit de
l’importance tant quantitative que qualitative des principes susceptibles d’assurer le respect de
l’impartialité, celle-ci n’a, en droit français, finalement qu’une valeur moindre. Après avoir
rappelé et analysé la portée de l’essentiel des règles et « sanctions » tendant à l‘application de
ce principe (I), nous nous pencherons plus longuement sur l’étude et l’analyse de la
jurisprudence nationale et européenne en la matière (II).
I. Le caractère nuancé des garanties susceptibles d’assurer le respect du
principe d’impartialité
Le principe d’impartialité prévu par l’article préliminaire du Code de procédure pénal
en droit interne et par l’article 6, &1 de la Convention EDH en droit européen est soutenu par
plusieurs autres principes que l’on qualifie de directeurs dans notre droit ; Cependant, ces
principes ne jouent un rôle que relatif dans le respect de l’impartialité (A). Ces principes sont
notamment l’indépendance du tribunal, la collégialité, la motivation des jugements et le
double degré de juridiction. Si malgré tout, un soupcon de partialité pesait encore sur le juge,
le justiciable dispose de deux procédures pour l’écarter, à savoir le renvoi et la récusation
(B).
A. La relativité des principes directeurs du procès pénal
L’indépendance
Selon M. Pradel6, l’indépendance est la qualité d’une personne ou d’une institution qui
ne reçoit d’ordres, ou même de suggestion, d’aucune sorte, qui est donc seule à prendre les
décisions qu’elle rend et qui, en outre n’a pas à rendre compte puisque rendre compte évoque
la critique. L’indépendance suppose l’absence de subordination donc de lien avec un tiers. Les
deux notions d’indépendance et d’impartialité sont fréquemment exposées ensemble comme
énoncé dans l’article 6, &1 de la Convention EDH. Pour faire la distinction : est indépendant,
le juge qui ne subit pas de pression. Est impartial, celui qui n'a pas de préjugés. L'impartialité
est davantage liée à l'organisation et au fonctionnement internes des juridictions, aux qualités
personnelles du juge ; en ce sens c'est une vertu même si la distinction entre statut et vertu
n'est que relative. L'indépendance est un préalable à l'impartialité ; on ne peut être impartial,
si, déjà, on n'est pas indépendant ; mais à l'inverse, un juge indépendant de tout pouvoir peut
devenir partial dans un dossier particulier. Ainsi, l’indépendance n’est pas le gage de
l’impartialité mais elle en est la condition.
6 « La notion européenne de tribunal impartial et indépendant selon le droit français », RSC, 1990 p. 692
La collégialité
Même si ce principe est fortement présent dans notre procédure pénale, il convient
d’ores et déjà de rappeler qu’il n’est pas absolu, dans le sens où un certain nombre de
juridiction vont fonctionner à juge unique; ex : tribunal de police, le juge pour enfants… De
plus, il convient de souligner, que dans un souci d’économie budgétaire, le législateur a, en
1972 et 1995, étendu la possibilité pour les juridictions de statuer à juge unique.
Sans constituer donc un rempart absolu contre toute atteinte au principe
d’impartialité,la collégialité constitue tout de même un principe d’organisation judiciaire
opportun à plusieurs égards. En effet, le fait d’être plusieurs à rendre un jugement va
permettre la confrontation de toutes les opinions en présence relativement à la culpabilité de
la personne poursuivie. Par ce mélange et cette confrontation des différentes opinions, les
magistrats vont être plus à même de parvenir à un délibéré que certains auteurs qualifient de
« fruit d’un subtil équilibre ». Un certain nombre d’études sociologiques ont par ailleurs
démontré à plusieurs reprises que plus un groupe est numériquement important, plus il va
tendre vers une meilleure correction des attitudes partiales.
Pour autant, la doctrine majoritaire s’accorde à dire que ce principe est en pratique
fortement limité et ce, pour plusieurs raisons. En effet, même lorsque l’on se retrouve en
présence d’une juridiction collégiale, l’effectivité de ce principe est susceptible d’être remise
en cause, notamment par la présence du Président du tribunal. Celui-ci est en effet à même
d’influencer la décision de ses assesseurs car il est le seul à avoir eu connaissance du dossier
et c’est également lui qui pose les questions lors de l’audience. Cela se vérifie d’ailleurs
davantage devant la Cour d’Assises; sachant que là encore tout dépend de la personnalité de
ce dernier et de la place qu’il entend laisser à ses assesseurs et/ou aux jurés.
La motivation
La motivation des jugements peut être considérée comme un soutien à l'impartialité
personnelle ou subjective. Elle vise à éviter tout préjugé ou parti pris de la part du juge. Le
préjugé est une opinion préconçue, le résultat d'un jugement opéré sans que son auteur ait pu
avoir tous les éléments nécessaires à ce jugement. La motivation a pour fonction principale
de permettre le contrôle de la décision et l’impartialité est l’un des objets de ce contrôle.
L’exigence de motivation est susceptible, dans certains cas, de combattre un préjugé qui se
serait instillé dans l’esprit du magistrat. Elle permet également aux justiciables de
comprendre la décision et de vérifier l'absence de partialité du juge. En effet, seule la
motivation permet au justiciable de contester la décision. Si, en prenant connaissance des
motifs, le justiciable estime que le juge a pris sa décision avec partialité, il pourra exercer son
droit de recours.
Cependant, nous pouvons remarquer que cette exigence a une portée limitée
notamment en ce qui concerne les décisions les plus graves, à savoir les arrêts de Cour
d’assises.
Le double degré de juridiction
Le droit à ce que sa cause soit à nouveau entendue découle du droit interne et de son
article préliminaire, mais également du droit européen et de son article 6 de la CEDH. Ce
droit va permettre un contrôle a posteriori de l’impartialité tant fonctionnelle que
personnelle. Il va en effet être susceptible de sanctionner la partialité de la juridiction du
premier degré. Certains auteurs parlent de « l’aspect curatif » de ce principe et de « la
dilution du risque par l’intervention d’hommes nouveaux ».
Si ce principe est aujourd’hui plein et entier en matière de jugement, notamment
depuis la loi du 15 juin 2000 qui a introduit le droit de faire appel des décisions rendues par
les Cours d’Assises, il n’en va cependant pas de même en matière d’instruction. En effet, le
droit de faire appel des décisions rendues par le juge d’instruction est limité à un certain
nombre d’actes, sachant que lorsque celui-ci est possible, il n’en est pas pour autant effectif.
En effet, il existe un filtre constitué par l’intervention du Président de la chambre
d’accusation.
B. L’effectivité de la récusation et du renvoi pour écarter le juge
suspect de partialité
1) La récusation
La récusation est la procédure par laquelle une partie au procès sollicite qu'un
magistrat dont l'impartialité peut être mise en doute soit écarté du jugement de ce procès. La
procédure peut être utilisée par toute personne mise en examen, prévenu ou accusé ou par
toute partie à l'audience. Elle est dirigée contre un ou plusieurs magistrats individuellement
pris, qu'ils soient chargés de l'instruction ou de jugement de l'affaire ; la récusation peut aussi
viser collectivement toute une juridiction, par exemple un tribunal correctionnel ; mais on ne
peut récuser ni le greffier ni surtout le ministère public, partie principale au procès. À la
différence de la récusation dirigée contre les jurés d’assises, qui est péremptoire, c'est-à-dire
n’a pas à être motivée et s'imposent à la cour, la récusation des magistrats n'est possible que
pour l'une des causes mentionnées dans l'article 668 du Code de procédure pénale, et qui sont
au nombre de neufs :
Il s’agit par exemple du lien de parenté ou d’alliance du juge ou de son conjoint avec
l’une de parties ou encore de manifestation entre le juge ou son conjoint envers l’une des
parties de nature à faire suspecter l’impartialité u juge…
− la parenté ou l’alliance du juge ou de son conjoint avec l’une des parties
− l’intérêt dans le litige d’une personne dont le juge ou son conjoint est le tuteur, le curateur
ou le conseil judiciaire…
− le lien de dépendance du juge ou de son conjoint envers l’une des parties
− la connaissance préalable du procès par le juge, en qualité de magistrat, d’arbitre ou de
conseil, ou pour avoir déposé sur les faits, en qualité de témoin
− un procès antérieur entre le juge, son conjoint, leurs parents ou alliés, contre l’une des
parties, son conjoint, ses parents ou alliés
− un procès intenté par le juge ou son conjoint devant un tribunal dans lequel l’une des parties
est elle-même juge
− l’existence d’un différend concernant le juge ou son conjoint, leurs parents ou alliés en ligne
directe, similaire à celui qui oppose les parties
− toutes manifestations entre le juge ou son conjoint envers l’une des parties, de nature à
« faire suspecter l’impartialité » du juge
2) Le renvoi
Le renvoi, prévu aux articles 662 et suivants cpp consiste pour la juridiction
normalement compétente à se dessaisir de l’affaire qui lui a été soumise au profit d’une autre
juridiction. Il existe deux types de renvoi permettant de garantir l’impartialité : le renvoi pour
cause de suspicion légitime (1) et le renvoi dans l’intérêt d’une bonne administration de la
justice (2).
a. Le renvoi pour cause de suspicion légitime.
Il est important de préciser ici que ce qui est visé est l’impartialité de la juridiction
dans son ensemble et non pas d’un magistrat en particulier. Ce qui distingue ce moyen de la
récusation. C’est un moyen qui va permettre à la Cour de Cassation d’effectuer un contrôle a
posteriori de la composition d’une juridiction.
Depuis quelques années, et notamment en raison de l’influence grandissante de la
CEDH, ce moyen connaît un regain d’intérêt et l’on observe à son sujet une multiplication des
décisions de la chambre criminelle de la Cour de Cassation.
Pour autant, les conditions de la mise en œuvre d’un tel moyen sont assez strictes,
puisqu’il s’agit de démontrer qu’il existe des circonstances graves de nature à menacer
l’impartialité. Devant ces conditions que l’on pourrait qualifier de strictes, il est permis de
s’interroger sur l’effectivité d’un tel moyen. C’est d’ailleurs pour cela que la Cour de
Cassation apprécie la suspicion légitime de manière objective, considérant qu’il y a suspicion
légitime à partir du moment où sont rapportés « des motifs pertinents et suffisants ». Cette
appréciation dite objective est susceptible d’être discutée, dans le sens où les termes employés
relèveraient davantage selon nous d’une appréciation souveraine de la chambre criminelle,
donc plus subjective qu’objective.
Si ce moyen peut s’avérer difficile à mettre en œuvre, eu égard, notamment à ces
conditions et à l’appréciation que la Cour est susceptible d’en faire, il est également
nécessaire de rappeler que la chambre criminelle peut être ainsi tenter de le rejeter, se cachant
ainsi derrière la rigueur des conditions, car il revient à blâmer ouvertement la juridiction en
question. C’est donc pour toutes ces raisons que la Cour de Cassation a dégagé un autre
moyen permettant également de sanctionner toute partialité éventuelle : le renvoi dans
l’intérêt d’une bonne administration de la justice.
b. Le renvoi dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice.
Il faut ici préciser le sens de ce terme de bonne administration de la justice. Il doit
effectivement être entendu, notamment selon la chambre criminelle de la Cour de Cassation,
comme un principe participant à « une administration impartiale de la justice ».
Ce moyen est très important dans le sens où il permettait, tout du moins avant la loi de
juillet 1989, de pallier l’éventuelle impossibilité de mettre en œuvre le renvoi pour cause de
suspicion légitime. C’est donc une procédure qui apparaît comme étant un substitut à celle
précédemment évoquée. En effet, si la Cour de Cassation, saisie par le moyen de suspicion
légitime, refusait ce dernier pour les diverses raisons précédemment évoquées; elle pouvait
tout de même sanctionner l’éventuelle atteinte à l’impartialité en renvoyant d’office l’affaire
dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice.
Ce moyen est donc apparu plus adapté, plus approprié, dans le sens où, il permettait à
la Cour de Cassation de sanctionner la juridiction en question sans pour autant la blâmer
ouvertement.
Cependant, depuis les lois de juillet 1989 et janvier 1993, ce moyen apparaît
davantage comme une des modalités permettant de sanctionner toute partialité éventuelle,
plutôt qu’un subsitut au premier moyen précédemment cité. La chambre criminelle
bénéficierait donc de deux choix distincts contribuant au respect du principe d’impartialité : le
renvoi pour cause de suspicion légitime (redevenu un moyen apparentier) et le renvoi dans
l’intérêt d’une bonne administration de la justice.
II. Un pragmatisme nécessaire dans l'application du principe
Comme l'écrit Mme le professeur Marie-Anne Frison-Roche7, la violation du principe
d'impartialité est proprement insupportable : « l'acte de juger est alors atteint dans son
essence, le droit est précipité dans le chaos, son ordre est détourné et sa puissance livrée aux
caprices des juges ».
En effet, la règle de droit n'a de sens que respectée et le droit subjectif n'a d'existence qu'à
travers l'effectivité dont bénéficie son titulaire. La juridiction est donc la pierre angulaire, qui
permet au droit être effectif, c'est-à-dire tout simplement d'exister. Concernant le principe
d'impartialité, un tel droit, aussi fondamental soit-il, ne peut être absolu ; cela, pour diverses
raisons que nous vous exposerons au fur et à mesure de nos développements. Et ce sont pour
ces mêmes raisons, que la Chambre criminelle et la Cour européenne des droits de l'homme
font preuve d’un certain pragmatisme dans l'application du principe, tant au niveau de
l'exercice de fonctions judiciaires distinctes (A), qu'au niveau de l'exercice de mêmes
fonctions judiciaires (B).
A. La recherche d’un équilibre jurisprudentiel à l’occasion de
l’exercice de fonctions judiciaires distinctes
L'exercice de fonctions judiciaires distinctes renvoie directement au principe de
séparation des fonctions judiciaires : ainsi, dans une même affaire, le juge ne pourra pas
intervenir en des qualités différentes. Sur ce point, la jurisprudence de la Cour européenne a
nettement évolué (1), passant de l'exigence d'un strict respect vers une conception concrète du
principe et celle de la Chambre criminelle demeure ambiguë (2) et fait preuve d’un certain
casuisme.
1) L’évolution de la position de la Cour européenne des droits de l’homme
a. D’une stricte application du principe de la séparation des fonctions
Dans un premier temps, la Cour européenne a fait une application rigoureuse du
principe, en interdisant au juge l'exercice successif de fonctions juridictionnelles dans une
7 « L’impartialité du juge », Recueil Dalloz 1999 p. 53
même affaire, et en exigeant un « séparatisme » strict : ainsi, toute violation objective du
principe de séparation des fonctions judiciaires vaut partialité du juge. Cette exigence a été
posée par l'arrêt Piersack c/ Belgique du 1er octobre 1982, que nous avons vu dans
l'introduction et qui donne les définitions de l'impartialité objective et de l'impartialité
subjective. Cet arrêt concerne la séparation des fonctions de poursuite et de jugement. Il s'agit
là d'une décision très protectrice des justiciables car elle est fondée sur la simple apparence
d'un risque de partialité.
La Cour européenne a confirmé sa position dans l'arrêt De Cubber c/ Belgique du 26
octobre 1984 en ce qui concerne la séparation des fonctions d'instruction et de jugement
(président d'une cour d'assises ayant participé à l'instruction de l'affaire). Elle décide que
« toute violation objective du principe de la séparation des fonctions vaut partialité du juge
car il y va de la confiance que les justiciables doivent avoir dans les tribunaux ». Elle ajoute
« qu'une interprétation restrictive de l'article 6, §1, notamment quant à l'exigence
d'impartialité, ne cadre pas avec l'objet et le but de cette disposition, compte tenu du rôle
éminent de cette garantie dans une société démocratique ».
Mais cette conception objective manquait de souplesse et risquait d'entraîner de graves
conséquences dans le fonctionnement des tribunaux nationaux et de conduire, à la « tyrannie
de l'apparence ». En effet, de petits tribunaux comprenant de faibles effectifs peuvent se
retrouver paralysés par une application trop stricte du principe de séparation des fonctions.
Dans un souci de pragmatisme et de bonne administration de la justcie, les juges ont donc été
amenés à tempérer la rigueur de la solution retenue.
b. Vers une position plus souple
La Cour européenne des droits de l'homme est passée d'une analyse purement
objective, fondée sur le strict respect de la séparation des fonctions judiciaires, à une analyse
plus subjective, prenant en compte les circonstances concrètes de la cause et l'attitude réelle
du magistrat dont l'impartialité est contestée. La Cour se livre à une appréciation in concreto
de l’attitude réelle du magistrat et le non-respect du principe de séparation des fonctions ne
suffit plus à fonder un grief de partialité. Cette évolution jurisprudentielle s'est opérée dans
l'arrêt Hauschildt c/ Danemark du 24 mai 1989 dans lequel la Cour considère que «pour se
prononcer sur l’existence, dans une affaire donnée, d’une raison légitime de redouter chez un
juge un défaut d’impartialité, l’optique de l’accusé entre en ligne de compte mais ne joue pas
un rôle décisif (arrêt Piersack du 1er octobre 1982). L’élément déterminant consiste à savoir
si les appréhensions de l’intéressé peuvent passer pour objectivement justifiées ».
Cette affaire qui marque un tournant dans la jurisprudence de la Cour européenne des
droits de l'homme mérite que l'on s'y arrête un instant. En l'espèce, des membres de la
juridiction de jugement s'étaient prononcés sur le maintien de l'inculpé en détention provisoire
et des juges d'appel étaient intervenus en première instance. La Cour comprend à cet égard les
doutes du prévenu sur l'impartialité du juge mais estime qu'on ne saurait pour autant les
considérer comme objectivement justifiés dans tous les cas, la réponse varie suivant les
circonstances de la cause. En se prononçant sur la détention provisoire avant le procès, le
magistrat apprécie sommairement les données disponibles pour déterminer si de prime abord
les soupçons de la police ont quelque consistance alors que lorsqu'il statue à l'issue du procès,
il lui faut rechercher si les éléments produits ou débattus en justice suffisent pour asseoir une
condamnation. On ne saurait assimiler des soupçons à un constat formel de culpabilité.
Pour la Cour, le fait qu'un juge ait accompli des actes d'instruction et même statué sur la
détention provisoire d'un inculpé avant de le juger ne constitue pas ipso facto une violation du
devoir d'impartialité qui lui incombe, tout au moins dans les systèmes qui ignorent l'institution
du juge d'instruction. Pour elle en effet, tout dépend des « circonstances » ; c'est donc à partir
des circonstances particulières de l'affaire Hauschildt que la Cour va retenir la violation de
l'article 6, §1 : le juge qui a prorogé la détention provisoire à neuf reprises et les magistrats
qui prolongèrent à leur tour la détention provisoire avant l'ouverture des débats en appel et
participèrent ensuite à l'adoption de l'arrêt final se sont fondés sur la même disposition du
code pénal danois qui exige l'existence de « soupçon particulièrement renforcé » que
l'intéressé a commis des infractions dont on l'accuse pour le placer en détention provisoire.
Cela signifie qu'il faut avoir la conviction d'une culpabilité très claire.
Par la suite, plusieurs arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme ont confirmé
cette jurisprudence. Citons, par exemple, l'arrêt Sainte-Marie c/ France du 16 décembre 1992.
Bien que plus souple, cette jurisprudence n'est pas sans poser problème : en effet, l'emploi des
termes objectif et subjectif n'est pas aisé et fait l'objet de controverses de la part d'une partie
de la doctrine. Outre les conceptions objective et subjective qui sont posées dans l'arrêt
Piersack (pour rappel, la démarche subjective consiste à rechercher ce que le magistrat
pensait en son for intérieur en telle circonstance et la démarche objective consiste à rechercher
s'il offrait des garanties suffisantes pour exclure à cet égard tout doute légitime), la Cour va
mêler de l'objectif à l'analyse subjective et du subjectif à l'analyse objective. Je m'explique : la
preuve de l'impartialité subjective du juge ne peut se faire que par des éléments eux-mêmes
objectifs. Il faut que le préjugé du juge s'extériorise pour que la partialité soit retenue. La Cour
européenne l'a d'ailleurs admis en posant la présomption simple d'impartialité qu'il appartient
aux requérants de renverser. Cette complexité terminologique peut mener à des confusions et
a pour conséquence un manque de prévisibilité certain des solutions rendues par la Cour. C'est
la raison pour laquelle, une partie de la doctrine, et notamment Mme Koering-Joulin8 propose
l'utilisation de nouvelles formules ; elle propose de remplacer l'impartialité objective par «
l'impartialité fonctionnelle » et l'impartialité subjective par « l'impartialité personnelle ».
Il convient de remarquer que la Cour européenne des droits de l'homme semble
vouloir effacer cette ambiguïté. En effet, l'état actuel de sa jurisprudence se retrouve dans
l'arrêt Morel c/ France 6 juin 2000. Bien qu'il s'agisse d'un arrêt relevant de la matière civile,
il s'applique tout à fait à la matière pénale en ce qui concerne la notion d'impartialité. Pour
évoquer l'impartialité subjective, la Cour européenne parle de « convictions personnelles » et
pour l'impartialité objective, elle préfère parler de « raison légitime de craindre un défaut
d'impartialité ».
En droit interne, la position de la chambre criminelle n'en n'est pas moins ambiguë.
2) La position ambiguë de la Chambre criminelle
Après avoir dans un premier temps appliqué de manière littérale et « très interne » le
principe de l’impartialité fonctionnelle, la chambre criminelle de la Cour de Cassation a
davantage évolué vers une application beaucoup plus concrète de ce principe, faisant de plus
en plus référence à l’article 6 de la CEDH (b).
a. D’une application littérale du principe…
La référence constante aux dispositions de droit interne, ainsi que l’application littérale
des textes en vigueur conduit la chambre criminelle de la Cour de Cassation à adopter des
positions incohérentes et dangereuses eu égard au respect du principe d‘impartialité, alors
même qu’elle se retrouve en présence de faits similaires.
8 La notion européenne de tribunal indépendant et impartial au sens de l’article 6, &1 de la Conv ESDH, RSC 1990 p. 765
On peut citer à cet égard deux arrêts de la chambre criminelle: le premier en date du 19
octobre 1979 et le second en date de novembre 1983. Tous deux ont la particularité d’être
uniquement basés sur les dispositions de droit interne et concernent la participation de
membres de la chambre d’accusation à la fonction de juger, alors même que ces derniers se
seraient antérieurement prononcés sur la détention de la personne mise en cause.
Après avoir autorisé une telle participation en 1979 au motif que l’interdiction énoncée
à l’article 47cpp alinéa 1 ne concerne pas les membres de la chambre d’accusation, mais
uniquement le juge d’instruction, elle refusera en 1983 une telle possibilité au motif que les
membres de la chambre d’accusation.
C’est donc principalement en fonction de la précision des textes internes en vigueur en
matière correctionnelle et criminelle que le respect ou non du principe d’impartialité sera
assuré.
Cette interprétation littérale combinée à l’unique référence aux dispositions de droit
interne conduit ainsi à l’édiction d’une jurisprudence très incohérente. Si la position de la
Cour en 1979 peut se justifier au regard des dispositions internes, elle aurait pu cependant être
évitée en se référant tout simplement à l’article 6 de la CEDH et à sa généralité. Elle aurait de
ce fait davantage contribué au respect du principe de séparation des fonctions.
Certainement consciente des incohérences qui découlent de sa jurisprudence, la
chambre criminelle va délaisser son application littérale pour évoluer vers une appréciation in
concreto du principe de séparation des fonctions et intégrer progressivement les normes
conventionnelles.
b. Vers une appréciation in concreto du principe de séparation des fonctions.
Ce même arrêt de novembre 1983 constitue le point de départ de cette nouvelle
interprétation. Dans cet arrêt, la chambre criminelle sanctionne en effet la participation d’un
membre de la chambre d’accusation à la formation de la Cour d’Assises au motif « qu’en
prenant antérieurement une décision sur la détention du mis en cause, il a nécessairement
procédé à un examen préalable du fond ».
Cette position a été par la suite confirmée dans un arrêt de 1996. Celui-ci est important
à plusieurs égards car non seulement il se réfère à l’article 6 CEDH, mais il procède
également à la transposition des critères d’appréciation de l’article 253cpp à la matière
correctionnelle. Il est important de préciser que ce n’est pas un regain d’intérêt de la chambre
criminelle pour la convention qui la conduit à utiliser l’article 6 CEDH. La généralité de
celui-ci constitue pour elle un moyen légal de justifier sa position, de pallier l’imprécision de
la loi en matière correctionnelle et de contribuer ainsi à un meilleure application du principe
de séparation des fonctions.
Pour autant, pour apprécier le respect de ce principe, la chambre criminelle ne se suffit
pas du critère objectif, c’est-à-dire qu’elle ne va pas juger contraire au principe de séparation
des fonctions d’instruction et de jugement la participation d’un magistrat sur le seul motif
qu’il a déjà eu à connaître de l’affaire au cours de l’exercice d’une autre fonction. Elle exige
plus, ce plus résidant dans le fait de déterminer si ce magistrat en question a procédé
antérieurement à un examen préalable de l’affaire. La chambre se distingue à ce titre de la
CEDH en ne se contentant pas de la théorie de l’apparence, mais en introduisant dans cette
impartialité objective des critères de subjectivité.
Il ne faut donc pas voir dans l’utilisation de l’article 6 CEDH un ralliement, un
alignement de la jurisprudence de la chambre criminelle à celle de la CEDH, mais bien plus
un moyen de mettre en œuvre sa propre vision et application qu’il convient de faire du
principe de séparation des fonctions.
Si l’impartialité s’avère être tempérée dans l’exercice des fonctions judiciaires
différentes, elle l’est aussi lorsqu’il s’agit de l’exercice de mêmes fonctions judiciaires.
B. L’impartialité tempérée dans l’exercice de mêmes fonctions
judiciaires
Dans cette situation, Le juge a déjà connu de l’affaire dans le cadre de l’exercice de sa
fonction de juger. Il va connaître par deux fois de la même affaire pour les mêmes accusés
et/ou pour les mêmes faits et ceci sans violer le principe de séparation des fonctions. Il est vrai
que la Cour européenne des droits de l’homme s’est davantage prononcée sur les hypothèses
de non respect du principe de séparation des fonctions judiciaires que sur l’exercice de mêmes
fonctions. Cependant, dans un souci de pédagogie et, parce que le sujet est complexe nous
avons choisi de distinguer les deux situations.
Concernant l'exercice successif d'une même fonction judiciaire, nous pouvons nous
interroger sur l'impartialité du juge qui se prononce à plusieurs reprises dans la même affaire.
Il convient alors de distinguer trois périodes pendant lesquelles le magistrat qui s'est prononcé
sur le fond de l'affaire est susceptible d'intervenir.
1) Les incidents antérieurs au jugement
Les incidents antérieurs au jugement ou incidents de procédure regroupent les nullités,
les exceptions préjudicielles, l'incompétence, les demandes de nouvelles mesures
d'instruction... La jurisprudence admet que ces incidents soient réglés par la juridiction saisie
du problème de fond. Les magistrats qui la composent sont compétents à la fois pour trancher
l'incident et pour statuer sur la prévention ensuite. Cette règle a d'abord été admise pour les
suppléments d'information et elle est d’ailleurs expressement envisagée par la loi. L’article
463 du Cpp précise que le tribunal doit commettre par jugement un de ses membres pour
effectuer les investigations supplémentaires. Cette possibilité ne porte pas atteinte au principe
d'impartialité dans la mesure où les deux investigations supplémentaires ne sont pas
complexes. Dans cette situation, il serait contre-productif de recourir à un juge extérieur qui
n'a pas eu connaissance de l'affaire. Cependant, cette dérogation est utilisée par la doctrine
favorable à l'idée que le juge d'instruction devrait pouvoir siéger au fond. Il faut remarquer
que l'instruction et la procédure de supplément d'information sont de nature différente ; le
supplément d'information vise simplement à apporter un éclairage sur un point de détail
oublié lors de la phase préparatoire ou apparue après sa clôture alors que l'instruction renvoie
à une enquête d'ensemble.
Cette solution est appliquée par la jurisprudence à tous les autres incidents de
procédure.
Prenons maintenant l’hypothèse de l’opposition : un prévenu est jugé par défaut et doit
obligatoirement former opposition devant la juridiction ayant rendu la première décision. La
Chambre criminelle décide que, lorsque la juridiction est composée des mêmes magistrats,
l’opposition n’est pas en contradiction avec l’obligation d’impartialité Crim 25 juillet 1989.
Sur ce point, la position de la Cour EDH est identique. Dans un arrêt du 10 juin 1996
Thomann c/ Suisse, elle précise que « les juges ne sont en aucune manière liés par leur
première décision : ils en reprennent à son point de départ l'ensemble de l'affaire, toutes les
questions soulevées par celle-ci restant ouvertes et faisant cette fois l'objet d'un débat
contradictoire à la lumière de l'information plus complète que peut leur fournir la
comparution personnelle de l'intéressé ».
Le juge n'est donc pas partial car il juge une seconde fois, et la présence de l'intéressé donne
une nouvelle dimension à ce second jugement. De plus, il s'agit toujours de la première
instance et le prévenu dispose des voies de recours habituelles.
2) Le jugement et l’appel
Plusieurs hypothèses sont ici envisageables: il convient donc de les étudier les unes
àprès les autres et d’analyser à chaque fois la position de la chambre criminelle et de la
CEDH.
- Sur la participation successive du même juge au jugement d’une même affaire avec
les mêmes accusés au même degré de juridiction :
Si la CEDH a pour l’essentiel l’habitude et la constance de se contenter de la théorie
de l’apparence et de sanctionner la seule participation d’un juge à une formation de jugement,
alors qu’il aurait eu à connaître antérieurement de l’affaire, sa position est plus nuancée en
cette matière où la CEDH va exiger plus pour interdire une telle participation. Ce « plus »
résidant dans la prise en compte de critères plus subjectifs. Elle énoncera d’ailleurs dans un
arrêt du 28 octobre 1998 « Castillo / Espagne » que « le simple fait qu’un juge ait eu à prendre
des décisions avant le procès… ne peut justifier en soi des appréhensions quant à son
impartialité ». Elle rejoint ainsi sur ce point la position de la chambre criminelle de la cour de
Cassation.
On a donc en droit interne et communautaire une certaine souplesse dans l’application
de ce principe, la chambre criminelle allant, comme à son habitude un peu plus loin,
autorisant la participation d’un juge au jugement d’affaires connexes (arrêt 10 juillet 1998) ou
bien encore d’une affaire pénale, alors même qu’il aurait eu à connaître de celle-ci au civil. En
effet, elle ne viendra sanctionner dans ce cas la partialité du juge que lorsque ce dernier aura
eu à se prononcer sur les faits qui sont ensuite pénalement poursuivis.
- Sur la participation du même juge à une même affaire, au même degré de juridiction,
mais avec des accusés différents :
A priori, on pourrait penser qu’il n’y a pas d’atteinte à l’impartialité dans la mesure où
le juge a affaire à des accusés différents. Pour autant, il convient de préciser que ce même
juge a déjà eu l’occasion de juger ses co-accusés. Même s’il doit en principe déterminer la
culpabilité de chacun, il existe tout de même un risque de partialité que la chambre criminelle
et la CEDH sanctionne différemment
La CEDH considèrera en effet que l’atteinte à l’impartialité est constituée par le seul
fait pour le juge de participer à ce jugement, alors même qu’il aurait précédemment eu à juger
ses co-accusés. La CEDH semble donc vouloir pallier toute partialité éventuelle, ce qui la
conduit à se suffire de la théorie dite de l’apparence pour sanctionner et interdire une telle
participation. C’est d’ailleurs ce dont il sera question dans un arrêt du 6 août 1996
« Ferrantelli et Santangelo / Italie » où elle évoque que « les apparences peuvent revêtir de
l’importance ».
Pour autant, il est question dans ce même arrêt de la référence par le juge aux autres
accusés et à leur rôles respectifs, ainsi que de la citation par ce dernier de passage du
précédent jugement. On peut donc se demander si la CEDH ne va pas tout de même au-delà
de cette simple théorie de l’apparence en introduisant par cette référence des critères de
subjectivité. La question n’a pas été plus réglée dans un arrêt de novembre 2000, où la CEDH
a sanctionné le seul fait pour des magistrats de participer à la formation de jugement, alors
qu’ils se seraient prononcés antérieurement lors du jugement concernant des tiers « jugement
dans lequel figuraient des références au rôle de cette personne dans l’activité criminelle en
cause ».
La chambre criminelle est plus claire et moins rigoureuse puisqu’elle considère quant
à elle que « la participation d’un même juge aux débats sur deux poursuites successives
portant sur les mêmes faits, mais dirigées contre des accusés différents » ne constitue pas en
soi une atteinte au principe d’impartialité fonctionnelle. On peut citer à ce titre un arrêt du 13
novembre 1996. Elle ne se contentera donc pas de cette théorie dite de l’apparence et exigera
plus pour interdire une telle participation.
- Sur la participation d’un même juge à une même affaire, au même degré de
juridiction, mais avec des accusés différents :
Cette hypothèse ne soulève pas de difficulté particulière pour la chambre criminelle
qui considère que le fait pour un même juge de juger une personne pour les mêmes faits en
tant que complice, puis en tant qu’auteur ne vient pas porter atteinte au principe
d’impartialité. On peut cependant en douter: s’il est vrai qu’a priori, cela n’est pas susceptible
de porter atteinte au principe d’impartialité, il faudra tout de même rester prudent et
rechercher si le juge en question n’a pas fait preuve de partialité.
- Sur la participation d’un même juge à une même affaire avec les mêmes accusés mais
à des degrés différents de juridiction :
Cette hypothèse ne soulève pas de grand débat dans la mesure où les deux instances
( chambre criminelle et CEDH); en tous cas en matière de jugement; s’accordent à reconnaître
la violation du principe d’impartialité par la violation d’un autre principe : celui du droit au
double degré de juridiction. Cette position bénéficie même d’un champ d’application qui s‘est
étendu au fur et à mesure, puisqu’elle concerne aujourd’hui aussi bien l’appel de la décision
de première instance, que le renvoi après cassation (On peut citer à ce titre un arrêt du 20
octobre 1999).
3) L’application des peines
Un magistrat ayant fait partie de la juridiction de jugement peut-il ensuite jouer le rôle
de juge de l'application des peines et, éventuellement, siéger dans la juridiction qui se
prononcera sur le non-respect de la peine ?
En cas de mauvaise conduite de la part du condamné ou de non-exécution de la peine, le JAP
qui a participé à la décision de première instance peut connaître des suites de la décision au
titre de l’application des peines. A ce titre, il va prendre certaines décisions. Le principe
d’impartialité est respecté car le JAP met l’accent sur la réadaptation sociale et non sur la
recherche d’une culpabilité.
S’agissant du sursis avec mise à l’épreuve :
Avant la loi du 9 mars 2004, le JAP devait saisir le tribunal correctionnel et il était
prévu que ce dernier puisse siéger dans la juridiction qui devait se prononcer sur la révocation
du sursis dès lors qu’elle ne se prononçait pas sur le fond de l’affaire. Ce cumul a fait l’objet
de controverses de la part de la doctrine ; en effet, en saisissant le tribunal correctionnel, le
JAP apparaît à la fois comme juge et partie. Il demande la sanction d’un comportement qu’il
considère comme fautif et ne pourra donc pas réellement faire preuve d’impartialité dans le
délibéré.
Cependant, le législateur de 2004 a choisi d’ignorer ces questions en court-circuitant le
tribunal correctionnel ; l’article 742 du CPP prévoit en effet que, le JAP peut, d’office ou sur
réquisitions du parquet, ordonner par ordonnance motivée la prolongation du délai d’épreuve
ou révoquer en totalité ou en partie le sursis. Le JAP est désormais le seul maître du jeu ce qui
peut poser problème du point de vue de l’impartialité.
S’agissant du travail d’intérêt général :
Il en va de même ; selon l’article 733-2 du CPP, le JAP peut d’office ordonner par
décision motivée la mise à exécution de l’emprisonnement et de l’amende prononcés par la
juridiction de jugement.
En conclusion, nous pouvons considérer que l’impartialité du juge pénal n’est pas
qu’un principe théorique dans notre droit. Aucun tempérament ne peut-être apporté à
l’impartialité personnelle car sa violation serait intolérable et en contradiction avec les valeurs
d’une société démocratique.
Mais les nuances qui peuvent être apportées à l’impartialité fonctionnelle dans la
pratique sont quant à elles justifiées pour les diverses raisons que nous avons exposées. Une
application trop rigide du principe conduirait à un blocage de l’institution judiciaire ; le
manque de moyen humain de la justice en est une explication. Cette rigidité aurait également
des répercutions sur d’autres garanties fondamentales du procès pénal comme le droit à être
juger dans un délai raisonnable. Ceci explique une jurisprudence hésitante qui essaie de
rechercher un juste équilibre à l’application de ce principe dans un souci de bonne
administration de la justice.