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2 I. Louis Hémon et le Québec Louis Hémon est né le 12 octobre 1880 en Bretagne, à Brest, dans une illustre famille bourgeoise. Son père, écrivain et professeur, devient inspecteur général de l’instruction publique et ensuite un haut fonctionnaire de l’Education Nationale. La famille Hémon déménage en 1882 à Paris, lieu où l’adolescent fera ses études : d’abord au lycée “Montaigne” (1887-1893), ensuite à “Louis-le-Grand” où son père enseignait. Elève brillant, il connaît pourtant des résultats très inconstants, voire médiocres. Il obtient une licence en droit à la Sorbonne, mais étudie aussi le vietnamien et la comptabilité en vue, sans doute, d’une carrière coloniale. En 1903, Hémon s’installe en Angleterre, y travaille comme journaliste et participe à des concours littéraires organisés par les journaux. Il reste dans la capitale huit ans, gagnant sa vie dans un travail de bureau, comme secrétaire bilingue et journaliste pour des revues sportives. Pendant cette période londonienne, il sera influencé par les lectures de Dickens, Shakespeare et Kipling et c’est toujours de cette période que datent ses premiers essais littéraires. 1908 est l’année de publication de son premier roman : Collin Maillard. En 1910 il écrit son deuxième roman : Monsieur Ripois et la Némésis, paru en traduction anglaise à New-York, chez MacMillan, quinze années plus tard, puis à Paris chez Grasset, en 1950. En 1925 apparaît aussi son deuxième roman (Battling Malone, pugiliste), édité chez Grasset. En 1911, au début d’octobre, Hémon part pour le Canada. Son état d’esprit n’est pas très bon car il venait de subir l’échec d’un mariage. Il espère, avant tout, retrouver au Canada sa bonne humeur et la joie de vivre. Pour cela, il sent le besoin de commencer un journal de voyage, Itinéraire, qui va paraître d’abord en anglais sous le titre Journal of Louis Hémon (1924), puis en français, trois années plus tard. Au Canada, l’écrivain trouve un emploi à Montréal, puis il part au nord du lac Saint - Jean. Il est jeune et prêt à “goûter” de nouvelles expériences. Commis de bureau ou homme de peine chez la famille Bédard à Péribonka, aucune tâche ne le fait reculer, même le dur travail agricole dans cette région du nord québécois. Pendant tout ce temps, il ramasse des impressions sur les gens et les paysages qu’il rencontre, étudie les moeurs et enrichit son expérience de vie qui ressemble de plus en plus à celle d’un personnage picaresque. En 1912, revenu à Montréal, il travaille comme traducteur chez Lewis Brothers et ramasse ses notices de voyage dans un ensemble cohérent, le roman Maria Chapdelaine, qu’il

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I. Louis Hémon et le Québec

Louis Hémon est né le 12 octobre 1880 en Bretagne, à Brest, dans une illustre famille

bourgeoise. Son père, écrivain et professeur, devient inspecteur général de l’instruction

publique et ensuite un haut fonctionnaire de l’Education Nationale. La famille Hémon

déménage en 1882 à Paris, lieu où l’adolescent fera ses études : d’abord au lycée “Montaigne”

(1887-1893), ensuite à “Louis-le-Grand” où son père enseignait.

Elève brillant, il connaît pourtant des résultats très inconstants, voire médiocres. Il

obtient une licence en droit à la Sorbonne, mais étudie aussi le vietnamien et la comptabilité

en vue, sans doute, d’une carrière coloniale.

En 1903, Hémon s’installe en Angleterre, y travaille comme journaliste et participe à

des concours littéraires organisés par les journaux. Il reste dans la capitale huit ans, gagnant sa

vie dans un travail de bureau, comme secrétaire bilingue et journaliste pour des revues

sportives.

Pendant cette période londonienne, il sera influencé par les lectures de Dickens,

Shakespeare et Kipling et c’est toujours de cette période que datent ses premiers essais

littéraires.

1908 est l’année de publication de son premier roman : Collin Maillard. En 1910 il

écrit son deuxième roman : Monsieur Ripois et la Némésis, paru en traduction anglaise à

New-York, chez MacMillan, quinze années plus tard, puis à Paris chez Grasset, en 1950. En

1925 apparaît aussi son deuxième roman (Battling Malone, pugiliste), édité chez Grasset.

En 1911, au début d’octobre, Hémon part pour le Canada. Son état d’esprit n’est pas

très bon car il venait de subir l’échec d’un mariage. Il espère, avant tout, retrouver au Canada

sa bonne humeur et la joie de vivre. Pour cela, il sent le besoin de commencer un journal de

voyage, Itinéraire, qui va paraître d’abord en anglais sous le titre Journal of Louis Hémon

(1924), puis en français, trois années plus tard.

Au Canada, l’écrivain trouve un emploi à Montréal, puis il part au nord du lac Saint-

Jean. Il est jeune et prêt à “goûter” de nouvelles expériences. Commis de bureau ou homme

de peine chez la famille Bédard à Péribonka, aucune tâche ne le fait reculer, même le dur

travail agricole dans cette région du nord québécois.

Pendant tout ce temps, il ramasse des impressions sur les gens et les paysages qu’il

rencontre, étudie les moeurs et enrichit son expérience de vie qui ressemble de plus en plus à

celle d’un personnage picaresque.

En 1912, revenu à Montréal, il travaille comme traducteur chez Lewis Brothers et

ramasse ses notices de voyage dans un ensemble cohérent, le roman Maria Chapdelaine, qu’il

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dactylographie en double exemplaire. Il envoie ensuite une copie au journal “Le Temps” de

Paris et l’autre à ses parents.

Soudainement, une année plus tard, le 8 juillet, il meurt à Chapleau, en Ontario, heurté

par un train, sans avoir connu le succès de son troisième roman.1

L’aventure canadienne de Louis Hémon s’est malheureusement transformée, à la fin,

en tragédie. Ce terrible accident qui l’a fait quitter la vie trop jeune, à seulement 33 ans, ne l’a

pas laissé mettre sur le papier d’autres chefs-d’œuvre qui étaient, sans doute, à l’état de projet.

Mais l’auteur avait déjà laissé un monument littéraire.

On n’a pas beaucoup d’informations sur ce que Hémon savait sur le Québec avant son

départ d’Angleterre. En Europe, le Canada était encore perçu comme un pays exotique,

éloigné, vers lequel certains gens se dirigeaient pour faire fortune. On sait seulement qu’il

voulait retrouver au Québec son énergie et “le doux parler français”. Cependant, les étapes de

son contact avec la langue et la civilisation des Canadiens français peuvent être reconstituées

par la lecture de plusieurs lettres adressées à sa famille et à l’éditeur parisien Bernard Grasset.

On y trouve des impressions de voyage, des considérations générales sur la survivance

canadienne-française en Amérique, mais aussi des expressions, des phrases, des passages

entiers qui seront ensuite repris et actualisés dans Maria Chapdelaine.

Dès son arrivée au Canada, Hémon se montre très sensible à la langue qu’il entend

parler. “C’est une langue bien curieuse“, écrit-il à sa mère quelques jours après son

débarquement2. Cependant, s’attendant à retrouver une sorte de “vieux français”, il est

d’abord un peu étonné : “ce n’est que du mauvais français anglicisé” ou “des mots anglais,

intacts ou grossièrement francisés” qu’il entend à Montréal, mais il pense que “dans les

campagnes la langue est peut-être plus intéressante”3.

Ce français parlé du Canada lui paraîtra bientôt très intéressant, avant même d’arriver

dans les villages, dans les quartiers de la ville de Québec où il entendra, dans la bouche des

paysans conduisant leurs traîneaux “des injures sans malices” que le père Chapdelaine

adresserait à son cheval Charles-Eugène.

Six mois plus tard, arrivé à la ferme de Samuel Bédard, le prototype du futur père

Chapdelaine, pour se faire “homme engagé”, il entendra d’autres mots comme : bleuet,

norouâ, fera l’expérience des maringouins, des moustiques et d’autres insectes noirs. Il

1 Ces paragraphes sur la biographie de Louis Hémon sont une synthèse des données trouvées dans le livre de

Nicole Deschamps, Une étude de Maria Chapdelaine, Boréal, Québec, 1997, 8-17 passim. 2 Lettre du 28 octobre 1911, dans Lettres à sa famille, apud Arpad Vigh, L’écriture de Maria Chapdelaine,

Québec, Septentrion, 2002, 88. 3 Lettre du 5 décembre 1911, dans Lettres à sa famille, apud Arpad Vigh, op. cit., 88.

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découvrira aussi les grandes forêts, les gens simples qui labourent la terre. Tout cela formera

le noyau bien articulé du roman Maria Chapdelaine, récit du Canada français, le livre le plus

connu de l’auteur.

Avec le temps, le nom de Louis Hémon a été systématiquement éclipsé par son œuvre

et remplacé de plus en plus par la périphrase “l’auteur de Maria Chapdelaine“1. Mort si jeune,

il n’a pas eu le temps d’écrire beaucoup sur son pays d’origine, mais il nous a laissé ce chef-

d’œuvre sur le Canada français qui aura une influence décisive dans le développement de la

littérature au Québec.

II. Maria Chapdelaine – chef-d’œuvre de la littérature québécoise

Maria Chapdelaine s’inscrit dans le courant le plus important du roman québécois du

début du XXe siècle, celui de la terre. Le roman du terroir, aussi appelé roman de mœurs

paysannes ou roman régionaliste, décrit, comme le roman rustique en France, la réalité rurale

de l’époque. Le cadre géographique de l’action est la campagne, conçue comme un lieu

privilégié, idéalisé, qui assure la félicité à celui qui accepte d’y rester. Cet espace clos est

presque toujours opposé, dans ce genre de roman, à un autre espace, ouvert celui-là, la ville,

un lieu de perdition, de malheur, du vice qui conduit à l’échec celui qui y trouve son refuge.

Dans le cadre du genre romanesque du terroir s’inscrivent : le roman de colonisation,

celui de la terre paternelle et le roman agriculturiste.

Le roman de colonisation a pour but la description de la conquête des espaces vastes

du territoire québécois. Ici s’encadrent des écrivains comme : Pierre-Joseph-Olivier Chauveau

(Charles Guérin. Roman de mœurs canadiennes), Antoine Gérin-Lajoie (Jean Rivard, le

défricheur, Jean Rivard, l’économiste), Louis Hémon (Maria Chapdelaine), Félix-Antoine

Savard (Menaud, maître draveur). Tous ces auteurs décrivent la vie des colons établis sur les

territoires situés le long des deux rives du Saint-Laurent, la migration progressive vers les

nouvelles terres et la conquête des nouveaux espaces, la difficulté des parents d’établir bien

leurs fils et de marier leurs filles, le phénomène de la migration des gens qui ne pouvaient

plus s’adapter à l’âpre vie rurale vers les Etats-Unis où ils n’avaient d’autre solution que

grossir la main d’œuvre étrangère.

Dans le cadre du deuxième type du roman du terroir, à savoir celui de la terre

paternelle, la terre est conçue comme un espace romanesque parfait, non problématique, qui

assure le bonheur et le bien-être à celui qui l’habite. La ville, un espace aliénant, refuge des

1 Nicole Deschamps, Raymonde Héroux, Normand Villeneuve Le Mythe de Maria Chapdelaine, Montréal, Les

Presses de L’Université de Montréal, 1980, 78.

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déshérités, est un lieu de toutes les misères alors que la campagne est, comme dans les romans

de la colonisation, un espace où chacun peut rêver à un meilleur avenir. Le prototype de ce

roman est Terre paternelle de Patrice Lacombe.

Le roman agriculturiste continue les mêmes thèmes développés dans les autres types

romanesques, mais il pose, en premier lieu, le problème de la succession sur la terre

paternelle. Le plus important roman de ce type est Restons chez nous de Damase Potvin.

D’autres romans écrits dans la même ligne sont : La Rivière-à-Mars, L’Appel à la terre,

Trente Arpents de Ringuet et Le Survenant de Germaine Guèvremont.

Après l’époque du roman de la terre, au Québec, comme en Europe d’ailleurs, les

thèmes et les motifs littéraires changent, suite aux conséquences des événements politiques et

culturels. Avec la deuxième guerre mondiale, l’espace romanesque se déplace de la campagne

à la ville de sorte qu’à l’idéalisme des romans du terroir succède le réalisme des romans des

mœurs urbaines et le roman psychologique.1

De toutes les productions littéraires du courant du terroir, Maria Chapdelaine de Louis

Hémon a eu l’influence la plus importante sur le développement de la littérature québécoise.

Jamais dans l’histoire littéraire du Canada français, un livre n’a semblé contenir autant de

solutions à tous les problèmes. Plus qu’un simple témoignage, Maria Chapdelaine est devenu

un véritable livre de recettes, notamment sur le plan littéraire. Les hommes de lettres l’ont

considéré même comme la grammaire et le manuel de stylistique de l’écrivain québécois. Une

pareille réputation permet à ce roman d’être un livre-étalon, le livre par rapport auquel on juge

de la valeur des dernières parutions dans le monde littéraire. Ainsi, pendant longtemps, des

œuvres importantes comme Trente arpents de Ringuet ou Menaud, maître-draveur n’ont eu

d’existence qu’à titre de reflet de l’ouvrage de Louis Hémon.

Le roman Maria Chapdelaine a le mérite d’avoir éliminé un vieux préjugé existant

dans les cercles littéraires du pays au début du XXe siècle, à savoir celui qu’il n’y avait pas de

matière littéraire au Québec. Suivant l’exemple de Hémon, les écrivains ont commencé de

ramasser du matériau dans le folklore, d’exploiter la matière locale (la vie et les problèmes

des gens, les beautés des paysages) et de renoncer peu à peu à l’imitation.

Le roman a été bien accueilli dans les milieux des intellectuels et dans les milieux

ecclésiastiques. Véhicule des valeurs psychologiques et morales de la famille traditionnelle,

Maria Chapelaine a été interprétée comme un chef-d’œuvre catholique. En France, le clergé

contribue à la diffusion du livre. Les interprétations multiples du roman sont, par conséquent,

1 Ces trois derniers paragraphes sont un résumé des idées trouvées dans le chapitre consacré au Roman du terroir

du livre Littérature du Québec de Yannick Gasquy-Resch (Vanves, EDICEF, 1994).

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un indice de sa valeur incontestable. Chaque lecteur (professeur, médecin, homme de lettre,

petit bourgeois, épouse fidèle etc.) trouvait dans le texte l’élément-clé pour interpréter l’œuvre

de son propre point de vue. 1

Ainsi, l’œuvre de Hémon réussit à remplir un espace vide dans la littérature nord-

américaine et à donner une image d’ensemble sur le Québec, qui était perçu encore en Europe

au début du XXe siècle comme un pays exotique et peu connu.

La structure et la composition du roman

Le roman se compose de 16 chapitres de longueur inégale, certains de 15 pages,

d’autres de dix, le dernier de seulement une demi-page. Ils sont numérotés sans titre et leur

ordre chronologique suit le changement des quatre saisons.

Deux types d’événements sont présents dans le roman : ceux de la vie quotidienne (les

travaux agricoles liés aux saisons, la vie familiale et privée, les activités collectives au cours

desquelles le lecteur découvre les personnages extérieurs à la famille Chapdelaine, “les

visites” ou “les veillées”) et l’histoire d’amour de Maria et de François Paradis. Les deux

catégories d’événements s’entrecroisent dans le tissu du roman.

Dans les chapitres qui décrivent la vie de la famille Chapdelaine et de la société, la

vision réaliste est dominante. L’action “intérieure” n’avance pas. Dans les autres chapitres,

des choses arrivent à Maria (rencontres, signes ou événements qui semblent n’avoir une

signification que pour elle) qui transfigurent la réalité dans un rêve d’amour.

Si l’on considère que la vie intérieure de Maria constitue le noyau de l’action, on peut

diviser le roman en trois parties : le rêve de bonheur, détruit au chapitre X par la mort de

François et la mort symbolique de Maria, le rêve d’évasion vers les espaces citadins qui est le

contrepoint du premier rêve et qui est brisé par la mort de Laura (dans le chapitre XIV) et,

finalement, le retour à la réalité, qui représente la dernière mort du rêve de bonheur et le

refuge dans une vie à côté de la famille, refuge qu’on peut interpréter soit comme une

répétition du passé (c’est l’interprétation traditionnelle, “optimiste”), soit comme une

résignation devant l’impossibilité de transgresser la condition sociale2.

Voilà une brève présentation de l’action du roman :

I. Samuel Chapdelaine vient chercher sa fille, Maria, qui a passé un mois de vacances à Saint-

Prime. Dans la rue, ils rencontrent, par hasard, François Paradis, un jeune coureur de bois.

1 Nicole Deschamps, Raymonde Héroux, Normand Villeneuve, op. cit., 209-213 passim.

2 Nicole Deschamps, Raymonde Héroux, Normand Villeneuve, op. cit., 63.

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II. Revenue dans son village au nord du lac Saint-Jean, Maria raconte ses péripéties et répond

aux questions de sa mère. Les discussions sont un prétexte pour l’auteur de présenter la

modeste habitation des Chapdelaine.

III. Au cours d’une soirée du mois de mai, François Paradis arrive chez les Chapdelaine. Le

lecteur connaît l’histoire de sa vie : il a préféré vendre la terre de son père défunt et faire le

commerce des fourrures avec les Amérindiens plutôt que de rester au village. François raconte

la vie de son père et son attention est attirée par Maria, une fille d’une beauté particulière.

IV. En juin, les travaux de la terre sont en plein déroulement. Le père Chapdelaine travaille à

côté de ses deux fils aînés, revenus des chantiers.

V. Le 22 juillet, on célèbre la fête de la Sainte-Anne. C’est une fête qui précède la moisson et

la cueillette des baies, en particulier, des bleuets. La fête est une occasion pour les habitants

de se réunir en grand nombre car le temps est chaud et les routes sont belles. Le lendemain,

lors d’une cueillette de bleuets, François fait part de ses sentiments à Maria et la prie de

l’attendre jusqu’au printemps et de penser à lui et à la possibilité d’un mariage.

VI. En août c’est la saison des foins, période quand les pluies sont indésirables car elles

nuisent aux travaux agricoles. Maria rêve à François Paradis et imagine maints scénarios de

leur histoire d’amour. Le premier amour éveille des sensations nouvelles pour elle.

VII. Septembre est le mois où a lieu la récolte des céréales. L’absence des pluies bénéfique en

été pour les foins, ne l’est plus pour la récolte du blé. En plus, la gelée précoce menace la

moisson déjà bien mince.

VIII. En octobre et en novembre, l’hiver provoque des accumulations de neige. Les

Chapdelaine préparent leur demeure pour l’hiver et ramassent les provisions nécessaires. Les

garçons travaillent sur le chantier, au nord. Maria ne songe pendant tout ce temps qu’à une

seule personne : François Paradis.

IX. En décembre, les tempêtes font le neige se ramasser. Celle-ci bloque les chemins qui

deviennent impraticables.

Lors de la nuit de Noël, Maria récite mille Avé en secret pour que Dieu facilite le

retour de François Paradis.

X. La solitude du jour de l’An est interrompue par l’arrivée d’Eutrope. Le Nouvel An

commence mal car il apporte une nouvelle tragique : François Paradis, désireux de voir les

Chapdelaine pour les fêtes de Noël, a quitté le chantier durant la tempête et “s’est écarté”.

Cela voulait dire qu’il s’est égaré puisqu’il était mort gelé dans la forêt, couvert par la neige.

Ses traces sont découvertes par les Indiens dans la profondeur du bois.

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XI. Maria continue sa vie habituelle, mais sans l’enthousiasme et la naïveté qu’elle avait

jusque là. Son père l’emmène dans le village voir le curé. Elle se rend compte que sa seule

consolation est la religion : tout ce qu’elle peut faire pour obéir à la volonté divine est

d’oublier François, mais le devoir de chrétien lui impose aussi de prier pour son âme. Puis elle

doit fonder une famille à côté d’un villageois.

La jeune fille rentre chez elle blessée et craintive, méfiante à l’égard de l’avenir qui

l’attend, mais elle essaie de s’adapter à la nouvelle situation.

XII. En mars, lors d’une veillée chez Ephrem Surprenant, les Chapdelaine se rendent à

Honfleur. Lorenzo, un jeune immigrant qui habite aux Etats-Unis, se lance dans une critique

sévère de la vie d’habitant dans un village. Le lendemain, il vient demander Maria en

mariage. La jeune fille est tentée de suivre Lorenzo pour échapper à son malheur et pour

recommencer une nouvelle vie.

XIII. Eutrope Gagnon vient à son tour demander Maria en mariage ; il avait deviné la

sympathie que la jeune fille éprouvait pour François, mais il pense avoir une chance contre

Lorenzo car il est un “habitant”, comme les Chapdelaine, donc, leur possible gendre préféré.

Maria n’est pas prête à faire un choix. Eutrope fait presque partie de la famille, tant sa

façon de vivre ressemble à celle qu’elle connaît. Par contre, elle pense que Lorenzo pourrait

lui ouvrir des perspectives nouvelles qui lui permettraient de quitter un espace qu’elle

commençait de haïr.

XIV. Soudainement, Laura, la mère Chapdelaine, tombe malade. Son agonie et sa mort

semblent très proches et inévitables. Ni les médicaments, ni le médecin, ni les prières de

Maria et du curé ne réussissent à arrêter le destin malheureux de Laura : elle meurt dans une

grande douleur.

XV. Samuel trouve un soulagement à son chagrin dans l’apologie qu’il fait à sa femme qui,

malgré quelques moments où elle s’était sentie désemparée, a cru qu’ il n’y a pas de plus belle

vie que celle d’un habitant qui a une bonne terre et sait la cultiver. Maria écoute son père avec

émotion, mais elle ne peut plus trouver le sens de la vie derrière les mots de son père. Des

voix lui conseillent et la persuadent de choisir Eutrope comme mari.

XVI. Maria accepte d’épouser Eutrope.

La lexicographie du français québécois

Au Québec, depuis la colonisation jusqu’au XXe siècle, les différences entre la langue

parlée et écrite couramment, d’un côté, et le modèle idéal de la langue, de l’autre côté, sont

devenues de plus en plus accentuées. La première mesure que les linguistes québécois ont

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prise pour diminuer ces différences a été le retour vers le modèle du français de France et le

rejet de toutes les particularités propres au Québec. Cette conception est évidente si l’on

étudie les livres de lexicographie depuis le XIXe siècle jusqu’en 1970. Les linguistes

canadiens ont eu, pendant tout ce temps, une attitude de correction excessive de tout ce qui

représentait un “écart” au modèle.

En 1810, Jacques Viger a écrit le Dictionnaire des mots créés au Canada où il analyse

plus de 400 mots. Le linguiste y distingue trois types de mots : des mots créés au Canada, des

mots qui ont une prononciation et une orthographe différentes de celles des mots qui existent

en France et 25 anglicismes. Viger introduit aussi des éléments de géographie linguistique, en

montrant, par exemple, par l’intermédiaire des cartes linguistiques que bouilloire correspond

au mot canard (à Montréal) et au mot bombe (à Québec).

Dans toutes ses préoccupations qui ont comme objet la langue, une tendance puriste

qui s’accentuera vers la fin du XIXe siècle est évidente. On assiste, en conséquence, à une

prolifération des ouvrages qui combattent les anglicismes et les autres particularités du

français canadien : Manuel de difficultés les plus communes de la langue française, adapté au

jeune âge et suivi d’un recueil de locutions vicieuses (1841) de Thomas Maguire, Recueil des

expressions vicieuses et des anglicismes les plus fréquents (1867) et Manuel des expressions

vicieuses les plus fréquentes (1867) de J. F. Gingras, Petit vocabulaire à l’usage des

Canadiens français, contenant les mots dont il faut répandre l’usage et signalant les

barbarismes qu’il faut éviter pour bien parler notre langue (1880) de Napoléon Caron,

Dictionnaire des locutions vicieuses du Canada avec leur correction suivi d’un Dictionnaire

canadien (1881) de J. A. Manseau, Fautes à corriger, une chaque jour (1890) d’Alphonse

Lusignan, Dictionnaire de nos fautes contre la langue française (1896) de Raoul Rinfret,

Dictionnaire du bon usage (1914) écrit par Etienne Blanchard.

A part ces ouvrages normatifs, après 1880, dans le cadre de la lexicographie

canadienne, apparaissent des livres qui se proposent autant la “purification” de la langue de

toutes ses “particularités” que sa description. Parmi ces ouvrages, les plus importants sont :

Glossaire franco-canadien et vocabulaire de locutions vicieuses usitées au Canada (1880) de

Oscar Dunn, Dictionnaire canadien-français ou Lexique - glossaire des mots, expressions et

locutions ne se trouvant pas dans les dictionnaires courants et dont l’usage appartient surtout

aux Canadiens français (1894) de Sylva Clapin.

Au XXe siècle, les ouvrages qui visent la description et l’organisation de la langue se

multiplieront : Le parler populaire des Canadiens français (1909) de Narcisse-Eutrope

Dionne, Petit dictionnaire du joual au français (1962) d’Augustin Turenne, Le français du

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Canada (1963) de Victor Barbeau, Dictionnaire des difficultés de la langue française au

Canada (1896) de Gérard Dagenais, Dictionnaire correctif du français au Canada (1968) de

Gaston Dulong.1

Après 1970, dans la lexicographie québécoise, la description remplace de plus en plus

la préoccupation pour la “pureté” de la langue. Si jusque là, on considérait que le lexique du

français canadien avait deux parties différentes, d’un côté, les mots du français québécois qui

apparaissaient aussi dans les dictionnaires de France et, de l’autre côté, les régionalismes, à

partir de la moitié du XXe siècle, la façon d’aborder ce problème linguistique change. Le

français canadien n’est plus conçu comme divisé, mais il est décrit comme un tout, les

régionalismes étant inclus parmi les mots du français standard. Cette situation a eu des

conséquences directes sur la lexicographie, car les dictionnaires ont commencé d’aborder la

langue d’une façon globale. Par conséquent, les dictionnaires du Québec ne seront plus les

reflets des dictionnaires de France. Les mots et les sens peu fréquents au Québec sont

remplacés par d’autres qui étaient employés largement au Canada. Certains exemples destinés

à illustrer ces mots seront changés aussi. Ainsi, Le train arrive à Paris deviendra Le train

arrive à Montréal.

Parmi les plus importants ouvrages linguistiques de cette période, nous citons : Les

anglicismes au Québec (1982) de Gilles Colpron, Dictionnaire de la langue québécoise

rurale (1977) de David Rogers, Livre des expressions québécoises (1979) de Pierre

Desruisseaux, Le guide raisonné des jurons (1980) de Jean Pichette, Dictionnaire des

expressions figurées au Québec (1989) d’André Clas et Emile Seutin, Le dictionnaire

pratique des expressions québécoises (1991) d’André Dugas et Bernard Soucy.

A part ces dictionnaires et ces ouvrages normatifs, il y a une série de livres descriptifs

de type universitaire qui mettent en évidence les particularités régionales du français

québécois : Description grammaticale du parler de l’Ile-aux-Coudres (1975) d’Emile Seutin,

Richesses et particularités de la langue écrite au Québec (1979-1982) d’Emile Seutin, André

Clas et Manon Brunet, Le parler populaire du Québec et de ses régions voisines. “Atlas

linguistique de l’Est du Canada” (1982, 10 volumes) de Gaston Dulong et Léandre Bergeron,

Régionalismes québécois usuels (1983) de Jean-Claude Boulanger et Robert Dubuc, Les

parlers français de Charlevoix, de Saguenay, du Lac-St-Jean et de la Côte-Nord (1985,

5 volumes), Dictionnaire de canadianismes (1989) de Gaston Dulong, Dictionnaire de

1 Les derniers quatre paragraphes sont un résumé des idées trouvées dans le livre Le français québécois.Usages,

standard et aménagement écrit par Pierre Martel et Hélène Cajolet-Laganière (Québec, Les Presses de

l’Université Laval, 1996).

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fréquence des mots du français parlé au Québec (1992) de Normand Beauchemin, Pierre

Martel et Michel Théoret.1

Toujours dans cette période apparaît le chef-d’œuvre de la lexicographie québécoise,

le Dictionnaire historique du français québécois, paru en 1998 grâce au travail de l’équipe de

chercheurs du Trésor de la langue française au Québec, sous la direction du professeur Claude

Poirier.

L’élaboration des dictionnaires correctifs généraux commence aussi : Dictionnaire

nord-américain de la langue française (1979) (la troisième édition du Bélisle), Multi-

dictionnaire des difficultés de la langue française (1988).

A partir des années ’80, apparaissent aussi les dictionnaires adaptés à l’usage des

élèves. Un de ces dictionnaires est le Dictionnaire CEC Jeunesse (1982), coordonné par Jean-

Claude Boulanger et qui a été réédité plusieurs fois. Il représente une étape importante dans la

modernisation de la conception sur la lexicographie au Québec car le français nord-américain

constitue le point de référence de l’ouvrage alors que le français européen est considéré

extérieur. Donc, le rapport entre la norme et “l’écart” s’est presque inversé par rapport aux

premiers dictionnaires.

La même position sur la langue apparaitra aussi chez les auteurs d’autres ouvrages de

lexicographie de ce type (Dictionnaire du français Plus, Dictionnaire québécois

d’aujourd’hui).2

En conclusion, l’évolution de la lexicographie démontre qu’à partir de la deuxième

moitié du XXe siècle, la variété québécoise commence d’être conçue comme une langue

unitaire.

Pour la décrire, les linguistes ont recours successivement à deux méthodes : la

méthode différentielle et la méthode globale. Les adeptes de la première méthode étudiaient

seulement les particularités en faisant toujours une comparaison entre la variante québécoise

et le français de France. Cette méthode conduisait inévitablement au maintien d’un sentiment

d’insécurité linguistique et ne permettait pas une description complète de la langue car elle

supposait une sélection des faits de langue, ce qui impliquait l’existence de la subjectivité. Les

adeptes de la deuxième méthode considèrent le français québécois comme une variété

1 Les quatre derniers paragraphes sont un résumé des idées trouvées dans le livre déjà cité, écrit par Pierre Martel

et Hélène Cajolet-Laganière (Québec, Les Presses de l’Université Laval, 1996, 20-38). 2 Id., Ibid., 42.

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autonome (pareille au français de Suisse, de Belgique). Cette méthode permet une description

détaillée de la langue et son organisation planifiée.1

L’histoire de la lexicographie québécoise démontre aussi que la manière de traiter les

particularités de la variété québécoise se modifie avec le temps. La réception des québécismes

passe peu à peu d’une période de rejet absolu à une période d’acceptation et d’intégration

dans l’ensemble de la langue.

1 Pierre Martel, Hélène Cajolet-Laganière, op. cit., 71-75 passim.

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Les particularités lexicales du roman Maria Chapdelaine (chapitre V)

ACCOUTUMÉ (adj.)

acclimaté, habitué

“Alors le boss l’a laissé faire, par peur de le perdre, vu que c’était un homme capable

hors de l’ordinaire, et accoutumé dans le bois.” (124)

Mots de la même famille

accoutumance (subst. fém.) habitude (BDLP-Acadie) => accoutumer 1. (vb. trans.) faire

prendre une coutume : Accoutumer les enfants à la discipline 2. (vb. pron.) prendre l’habitude

de : On s’accoutume de donner à toutes les passions des noms adoucis (Bélisle) =>

d’accoutume (loc. adv.) d’habitude (DRFTN)

Rem.

En français de France, l’adjectif ne s’emploie qu’avec un complément (GPFC).

Pourtant, le TLFi enregistre le sens de “habituel”, “familier”, “ordinaire” chez certains auteurs

parmi lesquels Chateaubriand, mais on fait la précision qu’il est rare.

Etymol. et hist.

L’adjectif accoutumé (FEW 2, 1091b, I.1. CONSUETUDO, cf. prov. acostumat “usuel,

ayant telle manière”) est employé au même sens que celui de Maria Chapdelaine dans le

dialecte poitevin (GPFC) et à Niort (Deux-Sèvres) (FEW 2, 1091b) ce qui pousse à croire

qu’il est, en français canadien, un héritage des parlers de France.

L’adjectif est attesté pour la première fois dans le Fichier lexical sans complément

dans le roman de Louis Hémon.

Le mot est attesté pour la première fois dans un ouvrage métalexical québécois en

1930 (Société du parler français au Canada, Glossaire du parler français au Canada ...,

Québec, L'Action sociale limitée, 1930, 10). L’expression accoutumé à … comme un chien

à aller nu-tête est attesté depuis 1909 (DIONNE N[arcisse]-E[utrope], Le parler populaire

des Canadiens français ou Lexique des canadianismes, acadianismes, anglicismes,

américanismes, mots anglais les plus en usage au sein des familles canadiennes et acadiennes

françaises ..., Québec, Laflamme et Proulx imprimeurs, 1909, 146)(ILQ).

Bbg.

SPFC, GPFC, 1930 – Bélisle, 1957 – Brasseur, P., DRFTN, 2001 – BDLP-Acadie – Fichier

lexical du TLFQ – ILQ – TLFi – FEW.

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ATOCA (subst. masc.)

fruit d’un arbrisseau qui croît dans les tourbières, airelle à gros fruits12

“Les forêts du pays de Québec sont riches en baies sauvages ; les atocas, les grenades, les

raisins de cran, la salsepareille ont poussé librement dans le sillage des grands incendies.

[…]” (65)

Expr., loc. et syntagmes

rouge comme un atoca (loc. adv.) très rouge (BDLP-Québec) → aller aux atocas (expr.) →

marmelade aux atocas/ d’atocas, dinde, poulet aux atocas, tarte, pouding aux atocas

(expr.) (BDLP-Québec)

Mot(s) de la même fam.

atocatier (subst.masc.) arbuste nain qui produit des atocas (BDLP-Québec) => atocatière

(subst. fém.) plantation d’atocatiers (BDLP-Québec)

Rem.

Atoca et ses variantes graphiques (atoka / ataca / attocat / attoca / attouca / otoka)

est employé généralement au pluriel (BDLP-Québec).

Encycl.

L’atoca est le fruit d’un arbrisseau qui croît dans les tourbières des régions froides, sur

les terres imbibées d’eau. Ses rameaux minces atteignent jusqu’à 80 cm, les feuilles sont

ovales et pointues. Ses fleurs sont roses, ses baies rouges ont un goût acidulé et elles sont très

appréciées sous forme de jus, de fruit séché, de confiture ou de sauce. Au Québec, la sauce

aux atocas est traditionnelle pour les repas de Noël.

Le fruit de l’atocatier est connu aussi pour ses propriétés thérapeutiques.

Les atocas étaient connus par les Amérindiens longtemps avant l’arrivée des premiers

colons. Ils les utilisaient à divers usages : pour préparer le pemmican (mélange de viande

séchée et de graisse assurant la survie en hiver), pour préparer les cataplasmes très efficaces

sur les blessures et les teintures pour les vêtements.

Avant la découverte de la vitamine C, les baies d’atocas étaient très appréciées aussi

par les marins de la Nouvelle-Angleterre durant leurs longs voyages sur la mer, pour se

protéger contre le scorbut.

12

Sylva Clapin donne dans son dictionnaire une définition complète de ce mot : “nom vulgaire du fruit de la

canneberge, plante vivace répandue du Labrador à la Virginie et produisant une baie plus ou moins rouge d’une

agréable acidité.”

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La coutume de servir des atocas en accompagnement de la dinde à l’occasion de

l’Action de grâces et de la période des fêtes est originaire des Etats-Unis, mais déjà à l’époque

de la Nouvelle-France on appréciait ces fruits en confiture ou en gelée.13

Etymol. et hist.

Le mot d'origine iroquoienne est relevé dans la langue huronne sous les formes atoxa

et toxa “petit fruit rouge” (où x rend la prononciation [kh]).14

La variante toxa est attestée

déjà en 1632 chez le père Sagard, sous l'orthographe toca : “Il y a aussi d'autres graines

rouges, nommés [sic] [par les Hurons] Toca ressemblans [sic] à nos Cornioles ; mais elles

n'ont ny noyaux ny pepins, les Hurons les mangent crües & en mettent aussi dans leurs petits

pains.” (Le grand voyage du pays des Hurons, 328).

Atoca a été relevé dans les parlers franco-américains de la Nouvelle-Angleterre et du

Missouri et a pénétré en outre en anglais canadien.15

Le sens rencontré dans le texte de Louis Hémon apparaît dans plusieurs corpus

littéraires ou scientifiques étant donné la fréquence de la notion et la spécificité autochtone de

son référent :

1658 : “Nous ne trouviõs en Toutes nos Hostelleries ny pain, ny vin, ny chair, ny poisson.

Dieu nous dõna un petit fruict sauvage qu'on nomme icy Atoka; la jeunesse en alloit

ramasser dans les prairies voisines, & quoy qu'il heust presque ny goust ny substance, la

faim nous le faisoit trouver excellent : il est presque de la couleur & de la grosseur d'une

petite cerise.” (Paul Le Jeune, The Jesuit Relations and Allied Documents. Travels and

Explorations of the Jesuit Missionaries in New France, 1899, ed. by Reuben Gold

Thwaites, Cleveland, Burrows Brothers Company, t. 43, 1re

partie, 146, d’après le Fichier

lexical du TLFQ)

1712: “Latoca [sic] est un fruit a pepin de la grosseur des cerises la plante qui vient

rampante dans les maraists produit son fruit dans l'eau qui est âcre on s'en sert a faire des

confitures.” (Gédéon de Catalogne, «Mémoire de Gédéon de Catalogne sur les plans des

seigneuries et habitations des gouvernements de Québec, les Trois-Rivières et Montréal»,

dans Bulletin des recherches historiques, Beauceville, t. 21, n° 9, 1915, 262, d’après le

Fichier lexical du TLFQ)

13

Ces informations résument le contenu de la rubrique encyclopédique consacrée au mot atoca de BDLP-

Québec. 14

Dans le TLFi, atoca est considéré un mot d’origine inconnue qui est mis en relation avec le mot espagnol

atocha, qui désigne pourtant une plante toute à fait différente, le sparte. 15

Ces informations sont un résumé des données trouvées dans la rubrique étymologique consacrée au mot atoca

dans BDLP-Québec.

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1723 : “Ils ont cependant une habitation où ils recueillent des fruits, qui sont bien

différens de ceux du bas du fleuve du Mississipy, comme des cerises qui sont en grappes

ainsi que nos raisins de France, des atoquas [sic] qui est un fruit semblable à nos fraises,

mais plus grosses et carrées, des topinambours qui ressemblent à nos truffes [...]” (André

Pénicaut (éd.), Découvertes et établissement des Français dans l'ouest et dans le sud de

l'Amérique septentrionale, 1614-1698. t. 5, Première formation d'une chaîne de poste

entre le fleuve Saint-Laurent et le golfe du Mexique (1683-1724), recueillis et publiés par

P. Margry, Paris, Imprimerie de D. Jouaust, 417, d’après le Fichier lexical du TLFQ)

1756 : “Le pays produit peu de fruits, des petites pommes, un petit fruit aigrelet

approchant de la cerise appelé atocha, qui vient sous la neige, et dont on fait des

compotes dans le printemps, des noix appelées noix de Niagara, qui ne sont pas plus

grosses que des noisettes, une coque très vive, et en dedans un fruit qui a le goût de la noix

de France, mais moins bonne.” (Louis-Joseph de Montcalm, Journal du marquis de

Montcalm durant ses campagnes en Canada de 1756 à 1759, 1895 publié sous la

direction de l'abbé Henri-Raymond Casgrain, Québec, Imprimerie de L.-J. Demers &

Frère, 62-63, d’après le Fichier lexical du TLFQ)

Atoca désigne également l’arbrisseau des tourbières qui produit de petites baies au goût

acidulé et qui deviennent rouges en mûrissant (Dict. québécois d’aujourd.) (Vaccinum

macrocarpon - Europe, Vaccinum oxiccocos - en Amérique du Nord, famille des éricacées) :

1709 : “Il y a des arbrisseaux parmy lesquels est le blüet et l'atoca. Ce premier rapporte en

grappe un petit fruit gros comme un pois dont le nom de bluet denote la couleur et dont les

sauvages amassent beaucoup pour l'hyver. Le second croit dans les endroits mareacageux

[sic]et porte un fruit de la couleur et de la grosseur d'une cerise; l'un et l'autre de ces fruits

ont une grande propriété pour guerir la dissenterie.” (Antoine-Denis Raudot, Relation par

lettres de l'Amérique septentrionalle (années 1709 et 1710), 1904, éditée et annotée par

Camille de Rochemonteix, Paris, Letouzey et Ané éditeurs, 13-14, d’après le Fichier

lexical du TLFQ)

Le terme a été pris en compte par la lexicographie québécoise et la BDLP-Québec lui

consacre un article complet.

Le mot est attesté pour la première fois dans le discours métalexical en 1841 ([MAGUIRE

Thomas], Manuel des difficultés les plus communes de la langue française, adapté au jeune

âge et suivi d'un Recueil de locutions vicieuses, Québec, Fréchette et Cie (impr.), 1841 , 14)

(ILQ).

Bbg.

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Dict. québécois d’aujourd., 1992 − BDLP-Québec – Fichier lexical du TLFQ − ILQ – TLFi –

Ø FEW.

BÂTISSE (subst. masc.)

maison, bâtiment, construction

“ – Vous avez bien entendu parler de Nazaire Gaudreau, qui était tombé du haut d’une

bâtisse.”16

(184)

Mots de la même famille

=> bâtisseurs (subst. masc., pl.) pionniers de la colonisation et de l’agriculture au Canada

(Bélisle) => bâtiments (subst. masc., pl.) grange, étable, porcherie et autres constructions

dépendant d’une ferme

Rem.

En français, le mot a le sens spécifique de “construction quelconque dépourvue de

caractère”, sens qui est souvent péjoratif (TLF 4, 280a) ou “bâtiment de grandes dimensions

(avec parfois l’idée de laideur)”. Au Canada, il a le sens général et neutre de “bâtiment”,

comme dans quelques parlers dialectaux de France (FEW, 15 / 1, 77b, *BASTJAN).

Etymol. et hist.

Le nom est un héritage des parlers de France. Il se rencontrait dans la première moitié

du XXe

siècle dans les dialectes de Saintonge, de Normandie et en Auvergne (GPFC). En

Bourgogne (Nuits, Côte d’Or, Beaune), bâtisse a le sens de “maison en construction” (FEW

1, 278a, *BASTJAN).

Le nom est attesté dans la variante québécoise à partir du XIXe siècle :

1842 : “[...] démolir la petite bâtisse appellée la boutique aux herbes et les murs entre

l'école des externes et la maison de m[onsieu]r L. Paradis; [...]” (Joseph Petitleclerc,

ANQ : Actes notariés, 1)

Bâtisse apparaît pour la première fois dans le discours métalexical québécois en 1841

([MAGUIRE Thomas], Manuel des difficultés les plus communes de la langue française,

adapté au jeune âge et suivi d'un Recueil de locutions vicieuses, Québec, Fréchette et Cie

(impr.), 1841, 18) (ILQ).

Bbg.

16

Dans le discours du narrateur se rencontre également le substantif bâtiment : “Le bois serrait de près les

bâtiments qu’ils avaient élevés eux-mêmes quelques années plus tôt. (55)

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SPFC, GPFC, 1930 – Bélisle, 1957 – Ø Dict. québécois d’aujourd., 1992 – Brasseur, P.,

DRFTN, 2001 – Fichier lexical du TLFQ – ILQ – TLF– FEW.

BLEUET (BLUET) (subst. masc.)

petit fruit comestible du bleuetier, myrtille (vaccinum myrtillus)

1. “Le beau temps continua et dès les premiers jours de juillet les bleuets

mûriront.”(65)

2. “[…] les premiers bleuets roses aussi, s’étendaient confondus avec ces fleurs,

mais sous la chaleur persistante ils prirent lentement une teinte plus pâle, puis bleu

de roi enfin bleu violet, et quand juillet ramena la fête de Sainte-Anne, leurs plants

chargés de grappes formaient de larges taches bleues […].”(65)

3. “Les forêts du pays de Québec sont riches en baies sauvages ; les atocas, les

grenades, les raisins de crin, la salsepareille ont poussé librement dans le sillage de

grands incendies ; mais le bleuet, qui est la luce ou la myrtille de France, est la

plus abondante de toutes les baies et la plus savoureuse.” (66)

4. “D’autres ne cueillent les bleuets que pour eux-mêmes, afin d’en faire des

confitures ou les tartes fameuses qui sont le dessert national du Canada

français.”(66)

5. “Deux ou trois fois au début de juillet Maria alla cueillir des bleuets avec

Télesphore et Alma-Rose ; mais l’heure de la maturité parfaite n’était pas encore

venue, et le butin qu’ils rapportèrent suffit à peine à la confection de quelques

tartes de propositions dérisoires.”(66)

6. “− Comme de raison ! fit-elle. Et demain on ira tous ramasser des bleuets.” (79)

7. “Les bleuets étaient bien mûrs.” (80)

8. “Côte à côte ils ramassèrent des bleuets quelque temps avec diligence, puis

s’enfoncèrent ensemble dans le bois, enjambant les arbres tombés, cherchant du

regard autour d’eux les taches violettes de baies mûres.” (81)

9. “Il n’y a pas encore de bleuets à cueillir puisque c’est le printemps.” (91)

Expr., loc. et syntagmes

tourtière aux bleuets (rég. Saguenay-Lac-St-Jean) pâtisserie faite d’une abaisse de pâte

brisée garnie d’une préparation sucrée, souvent à base de fruits, qu’on peut recouvrir (BDLP-

Acadie)

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Encycl.

Les bleuets sont des baies que l’on trouve particulièrement dans la région du lac Saint-

Jean, le fruit des petits arbustes reconnaissables à ses feuilles, qui poussent en talles ou

massifs et sont le paradis des perdrix de savane qui mangent leurs fruits. Ils poussent en sol

acide et terrain tourbeux.

Les Amérindiens du Québec les utilisaient en abondance pour améliorer les mets et

incorporaient les fruits dans la viande séchée et les galettes de pain.

Le fruit est originaire de l’Amérique du Nord et se rencontre seulement dans les zones

tempérées. Il est rond à peau lisse, de 8 mm environ, bleuté tirant sur le noir à certains

endroits, avec un aspect givré. Le bleuet est d’abord tout blanc pendant environ deux

semaines, il rougit ensuite et lorsqu’il est bien mûr, il devient bleu.17

Rem.

Le substantif bleuet existe aussi en français de France où il désigne une plante à fleurs

bleues de la famille des composacées (centaurea cyanus) qui pousse dans les champs de blé:

“Lorsque les blés sont en fleur, c’est alors qu’ils sont revêtus de toute leur

magnificence. Le coquelicot éblouissant, le bleuet azuré, la nielle pourprée, le

liseron couleur de chair, relèvent de l’éclat de leurs fleurs l’aimable verdure des

guérets.”(Bernardin de Saint-Pierre, Harmonies de la nature, 1814, 57, d’après

TLFi).

Bleuet peut également désigner en français de France l’un des noms du canot bleu ou

squale glauque et, en ornithologie, le nom vulgaire du martin-pêcheur d’Europe18

.

Le sens du mot bleuet présent dans le roman de Louis Hémon est exprimé en français de

France par l’un des termes : airelle, brimbelle, luce (en Bretagne), teint-vin, vaciet. La

différence entre airelle et myrtille est due à la répartition de ces deux mots dans l’espace : le

premier se rencontre plutôt dans le sud de la France, dans le Midi, tandis que le deuxième se

rencontre notamment au nord.

Airelle et myrtille circulent en français québécois aussi, mais ils sont moins fréquents

que bleuet et ils sont sentis comme propres au français de France.

17

Les informations de la rubrique encyclopédique sont un résumé des données trouvées dans l’Encyclopédie

canadienne à la page

http://www.thecanadianencyclopedia.com/index.cfm?PgNm=TCE&Params=f1ARTf0003090. 18

Ces significations ont été extraites de l’article du TLFi consacré au mot bleuet.

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Etymol. et hist.

Bleuet (FEW 15/1, 148b, 149a, 2b, *BLAO) est un héritage des parlers de France.

Marcel Juneau19

croit que bluet relève d’une forme préromane, bulluca, variante *belluca,

qui désigne une prunelle ou une prune. Par la suite, il a subi l’influence de l’adjectif bleu.

En galloroman, blue ou ses variantes, défini par “myrtille” ou “airelle” est connu en

normand (d’où il est probablement venu au Canada), en lorrain, en franc-comtois et dans les

parlers de la Suisse romande.20

Le terme se rencontre également dans les régions suivantes :

Moselle (blü “myrtilles ou airelles”), Tholy (blouï “myrtilles”), Autrey (blü “myrtille”) etc.

(FEW).

Le sens de “myrtille“ du mot bleuet présent dans le roman de Louis Hémon a été déjà

pris en compte dans la lexicographie et il apparaît avec fréquence dans les ouvrages littéraires

québécois et dans les articles de journaux :

1744 : “Il y a trois sortes de Grosseilles naturelles au Pays. Ce sont les mêmes qu’en

France. Le bleuet est ici comme en Europe, par Contrées. Ce Fruit est merveilleux

pour guérir en peu de temps la Dysenterie. Les Sauvages le font sécher, comme on fait

en France les Cerises.” (François Xavier de Charlevoix, Histoire et description

générale de la Nouvelle-France, avec le Journal historique d’un voyage fait par ordre

du rois dans l’Amérique septentrionalle, Paris, t.5, 239-240, d’après le Fichier lexical

du TLFQ)

1888 : “Disons pour les étrangers qui pourraient nous lire, que les Canadiens appellent

bleuets non pas la Centaurée des blés, mais l’Hediotis carulea avec ses baies d’un bleu

foncé fort recherché dans notre pays.” (Napoléon Caron, Deux voyages sur le Saint-

Maurice, Sillery Septentrion, 87, 2000, d’après le Fichier lexical du TLFQ)

1920 : “Le commerce de bleuets a été très actif dans notre région cette année. Dans la

paroisse de Grands Bergeronnes il s’en est vendu pour plus de 20, 000 dollars.” (La

Presse, 11 novembre, 24, d’après le Fichier lexical du TLFQ)

1925 : “Le menu était celui de tous les jours chez un cultivateur bas-canadien : une

soupe aux pois avec persil et herbes salées, un carreau de lard bouilli avec un collier

de pomme de terre, de choux, de carottes et de navets ; un grand plat rempli d’épis de

blé d’Inde également bouillis et que les convives avaient le droit d’enduire de beurre à

même une miche placée dans un large beurrier posé au milieu de la table ; comme

dessert, des bleuets séchés couverts d’une couche de sucre d’érable râpé.” (Damase

19

« Québécois bleuet, français berlue, même souche » dans RLiR n°197-198, t 50, (1986), Strasbourg, 133-137. 20

Ces paragraphes sont un résumé de l’article de Marcel Juneau.

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Potvin, Le Français : roman paysan du « pays de Québec », Montréal, Editions

Edouard Garand, 174, d’après le Fichier lexical du TLFQ)

1930 : “La baie que nous mangeons, surnommée le bleuet, ou raisin des bois, est

aigrelette et agréable, mangée crue ; en compote, elle est préférable ; on en fait aussi

des sirops pour se désaltérer. On la mélange à la crème ou au lait, ou bien on en fait

des tartes.” (Almanach du peuple, Montréal, Librairie Beauchemin Limitée, 336,

d’après le Fichier lexical du TLFQ)

1931 :“Le bleuet est un peu sauvage et il n’aime pas à pousser et à mûrir aux bruits de

la haute industrie, sous le panache des fumées noires des locomotives qui passent près

de lui, et aux cliquetis stridents des machines aratoires trop perfectionnées. Il

s’accommode fort bien de l’humble et silencieux travail de la faucille et de la petite

faulx, du rateau à bras, de la petite herse simple et de la charrue à rouelles ; mais

quand arrivent la tintamarresque moissonneuse-lieuse, la stridente faucheuse à cheval,

le rateau idem et les herses-camions, il se renfrogne, devient sec, perd son jus et sa

saveur et, alors, jugeant avec calme qu’il n’a plus de raison d’être, intelligemment il

préfère disparaître. Et c’est ce qu’ont fait les bleuets du «Banc du sable ».” (Damase

Potvin, Plaisant Pays de Saguenay…, Québec, 1931, d’après le Fichier lexical du

TLFQ)

1937 : “Hémon avait pourtant averti les cinéastes que les bleuets canadiens ne sont

pas, comme les bluets [sic] de France, des fleurs de champs, mais des baies sauvages,

les airelles du Canada, qui poussent « dans les brûlés », au flanc des coteaux pierreux,

partout où les arbres plus rares laissent passer le soleil.” (Louvigny de Montigny, La

revanche de Maria Chapdelaine : essai d’initiation à un chef-d’œuvre inspiré du pays

de Québec, Montréal, Editions de l’Action canadienne-française, 87-88, d’après le

Fichier lexical du TLFQ)

1945 : “En France, le bluet, − orthographié aussi parfois bleuet – est le Centaurea

Cyanus. Bluet appliqué au Vaccinum n’est pas un canadianisme, bien que Littré et

Bescherelle aient consacré le nom bluet du Canada. André Martignon le mentionne

pour la région des Pyrenées, et Henri Pourrat pour l’Auvergne. Dans tous ces

exemples on écrit bluet, d’ailleurs plus conforme à la dérivation populaire. Bleuet, de

formation plutôt savante, employé d’abord par les personnes s’appliquant à soigner

leur langage, se répand de plus en plus.” (Jacques Rousseau, Etudes ethnobotaniques

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québécoises, Montréal, Institut Botanique de L’Université de Montréal, 96-97, d’après

le Fichier lexical du TLFQ)

1946 : “Plusieurs sont sous l’impression que les bleuets ont été apportés ici par les

Français à l’origine de La Nouvelle-France. Sûrement, le bleuet existe en France

depuis des siècles sous le nom d’airelle. Mais le bleuet canadien est bien indigène, et

les sauvages, avant la venue de Cartier et, plus tard, de Champlain, faisaient leurs

délices de ce met succulent qu’ils aimaient d’autant plus qu’ils en faisaient la récolte

sans être obligés d’en prendre soin.” (Le Bulletin des recherches historiques, Lévis,

Québec, t. 52, 79, d’après le Fichier lexical du TLFQ)

En français québécois, le mot bleuet peut désigner aussi le petit arbrisseau ligneux à

feuilles coriaces qui fait partie de la famille des vaccinées.

Le terme plus “scientifique” pour désigner l’arbrisseau est bleuetier (Dict. québécois

d’aujourd.).

Ecrit avec majuscule, le mot désigne le blason populaire pour les personnes de la région

du Lac Saint-Jean (Fichier lexical du TLFQ) :

1930 : “BLEUET− n.m. Natif de Saguenay” (Le goglu : journal humoristique,

Montréal, 22 août, 7, d’après le Fichier lexical du TLFQ)

Le mot bleuet est attesté pour la première fois dans le discours métalexical québécois en

1875 (FOUBERT Auguste, La vie d'émigrant en Amérique (République Argentine, États-Unis

et Canada), Paris, Imprimerie Paul Dupont, 1875, 212). La variante bluet est attesté à partir

de 1831(Anonyme, «Noms scientifiques et populaires de quelques plantes du Canada», dans

L'Observateur, Montréal, 1831, 4 juin, 342) (ILQ).

Bbg.

Dict. encycl. Quillet 1961 - Le Grand Larousse, t.1, 1972 − RLiR 50 (1986) − Dict. québécois

d’aujourd., 1992 - Lexis, 1994 – Bérgeron, Léandre, Dict. de la langue québécoise, 1997 –

BDLP-Québec – Fichier lexical du TLFQ – ILQ − TLFi − FEW.

BOIS (subst.masc.)

(dans l’expr. bois debout) arbres non coupés

“– Quand nous avons pris notre première terre à Normandin, nous avions deux vaches et

pas de pacage, car presque tout ce lot-là était encore en bois debout et difficile à faire.”

(199)

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Expr., loc. et syntagmes

avoir un oeil au bois (loc. verb.) avoir un oeil qui louche (BDLP-Louisiane) => caribou des

bois (loc. nom.) sous-espèce de grande taille qui habite surtout la forêt boréale depuis Terre-

Neuve jusqu’en Colombie britannique (BDLP-Québec) => rat de bois (loc. nom.) opossum

(BDLP-Louisiane) => faire le rat de bois (loc. verb.) faire le mort (BDLP-Louisiane) =>

ravert de bois (loc. nom.) cafard, blatte de bois (BDLP-Louisiane) => bois à feu (loc. nom.)

bois de chauffage (SPM) –> bois de corde (loc. nom.) bois de chauffage groupé en cordes

(SPM)

Mots de la même famille

=> boisé (adj.) vitre boisé sur laquelle le givre a créé des empreintes arborescentes, des

arborisations (Bélisle) => boiseux (adj.) couvert d’arbres (Bélisle)

Etymol. et hist.

L’expression bois debout est un héritage de France ; cf. moyen fr. bois en estant, bois

en étant “bois sur pied” (FEW 15, 205a, I.3, *BOSK). Elle se rencontre en Nouvelle-France

depuis le XVIIe siècle chez François Genaple de Bellefonds :

1693 : “[…] à titre de ferme du jour de la Notre-Dame de Mars dernier passé jusqu'à 9

années suivantes et consécutives... à Jean Minet, habitant de la Petite Rivière St-Chalres

[sic], [sic] une habitation située sur la dite petite rivière consistant en six ou sept arpents

de terre défrichée et qui sont en friche présentement et le restant de la dite habitation

complanté en bois debout sans bâtiments dessus qu'un vieux hangards de pieux monté

sur des fourches, couvert de paille et dont les pignons sont débouchés, joignant d'un côté

René Regnault et d'autre le dit preneur.” (François Genaple de Bellefonds, «Nos

ancêtres au XVIIe siècle», dans Rapport de l'archiviste de la province de Québec pour

1955-1956 et 1956-1957, [Québec], Rédempti Paradis, 485, d’après le Fichier lexical du

TLFQ)

L’expression bois debout est attestée en Acadie, à Saint-Pierre et Miquelon et elle est

également répandue dans les parlers normands (DRFTN).

Le mot bois apparaît pour la première fois dans le discours métalexical québécois en

1894 (CLAPIN Sylva, Dictionnaire canadien-français ou lexique-glossaire des mots,

expressions et locutions ne se trouvant pas dans les dictionnaires courants et dont l'usage

appartient surtout aux Canadiens-français ..., Montréal-Boston, C. O. Beauchemin et fils-

Sylva Clapin, 1894, 179). L’expression bois debout apparaît dans le discours métalexical

depuis 1895 (FRÉCHETTE Louis, «A travers ...», dans La Patrie, Montréal, 1895 1er

juin, 2)

(ILQ).

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Bbg.

Bélisle, 1957 – Brasseur, P., Chauveau, J.-P., SPM, 1990 – Brasseur, P., DRFTN, 2001 –

BDLP-Louisiane et Québec – Fichier lexical du TLFQ – ILQ – TLFi – FEW.

BONHOMME (subst. masc.)

1. père de famille

“ – Quand le bonhomme est mort j’ai tout vendu, et depuis j’ai presque toujours

travaillé dans le bois […].” (19)

2.vieux, vieillard21

“ – Et qui va être un foreman à deux piastres par jour ? C’est le bonhomme

Laliberté…” (14)

Expr., loc. et syntagmes

bonhommes dans la lune ombres dans la lune (GPFC)22

–> mettre un bonhomme dans un

champ de blé d’Inde mettre un épouvantail dans un champ semé de maïs (GPFC)

Rem.

Le pluriel du nom (bonhommes) à Saint-Pierre et Miquelon est différent de celui du

français de France (bonshommes) (SPM). Cette forme de pluriel existe aussi au Québec.

Etymol. et hist.

Bonhomme est un héritage de France attesté sous diverses variantes graphiques en

moyen français et dans plusieurs régions : vî bouname (Verviers), bouĕnhoume (La Hague,

Manche), bonhomme (Haut-Maine), bounhoumme (Sologne) (FEW 4, 455b).

En français québécois, le mot apparaît pour la première fois chez Philippe Aubert de

Gaspé au XIXe siècle. On ne peut pas déduire du contexte s’il est employé au sens de “père de

famille” ou de celui de “vieillard” :

1837 : “Le bonhomme réduit enfin au silence, le galant fit embarquer sa belle dans sa

carriole, sans autre chose sur la tête qu'une coiffe de mousseline, par le temps qu'il

faisait; s'enveloppa dans une couverte, car il n'y avait que les gros qui eussent des

robes de peau dans ce temps-là; donna un vigoureux coup de fouet à Charmante, qui

partit au petit galop, et dans un instant gens et bête disparurent dans la poudrerie.”

(Philippe Aubert de Gaspé-fils, dans Conteurs canadiens-français au XIXe siècle,

Montréal, C.O. Beauchemin & Fils, libraires-imprimeurs, 5, d’après le Fichier lexical

du TLFQ)

21

Ce sens est enregistré aussi dans le TLFi, mais il est considéré vieux en français de France. 22

Cette expression se rencontre également dans les parlers de Touraine et d’Anjou (GPFC).

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A Saint-Pierre et Miquelon, bonhommes (subst. masc. pl.) a le sens de “gros nuages”

(SPM).

En français de France, bonhomme ales sens suivants :

1. homme bon, vertueux, d'un comportement favorable, agréable à autrui ;

2. homme simple, naïf, excessivement crédule ou complaisant ;

3. paysan23

;

4. simple soldat ;

5. figure représentant schématiquement un homme moyen :

“dessiner des bonshommes”24

.

Le mot apparaît pour la première fois dans le discours métalexical québécois en 1862

(PROVANCHER L[éon] (abbé), Flore canadienne ou description de toutes les plantes des

forêts, champs, jardins et eaux du Canada ..., Québec, Joseph Darveau imprimeur-éditeur,

1862) (ILQ).

Bbg.

SPFC, GPFC, 1930 – Brasseur, P., Chauveau, J.-P., SPM, 1990 – Fichier lexical du TLFQ –

ILQ – TLFi.

BOSS (subst. masc.)

1. maître, patron, propriétaire

1. “−Il n’y a pas de plus belle vie que la vie d’un habitant qui a de la santé et point de

dettes, dit-elle. On est libre ; on n’a point de boss. […]” (149)

2. “− Je les entends tous dire ça, répliqua Lorenzo. On est libre ; on est son maître. Et

vous avez l’air de prendre en pitié ceux qui travaillent dans les manufactures, parce

qu’ils ont un boss à qui il faut obéir.” (149)

3. “ […] Il n’y a pas de boss dans le monde qui soit aussi stupide qu’un animal

favori.” (150)

4. “− « Boss » ! On va mourir à faire de la terre !” (63)

5. “[…] plusieurs familles de sauvages étaient déjà descendues à Sainte-Anne de

Chicoutimi et on n’a pas pu les voir ; et pour finir, ils ont chaviré un des canots à la

descente en sautant un rapide et nous avons eu de la misère à repêcher les pelleteries

23

Ce sens est considéré vieilli dans le TLFi. 24

Seulement le dernier de ces cinq sens est attesté dans le Dict. québéc. d’aujourd.

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sans compter qu’un « boss » a manqué de se noyer, celui qui avait eu des fièvres.”

(76)

6. “Quand le milieu de décembre est venu, il a dit tout à coup au boss qu’il allait partir

pour venir passer les fêtes au lac Saint-Jean, icitte… Le boss ne voulait pas, comme de

raison.” (124)

2. (expr.) boss de gang chef d’équipe

“[…] Il a répondu qu’il avait dans son cœur d’aller au grand lac pour les fêtes et qu’il

irait. Alors le boss l’a laissé faire, par peur de ne le perdre, vu que c’était un homme

capable hors de l’ordinaire, et accoutumé dans le bois…” (124)

Expr., loc. et syntagmes

faire le boss agir comme un maître (GPFC) → faire son boss prendre de faux airs de

supériorité, d’indépendance, vouloir se faire passer pour maître, pour propriétaire, pour

patron, pour un homme riche (GPFC) → big boss, grand boss grand patron # petit boss petit

chef (péj.) (ILQ) → le boss des bécosses celui qui veut tout contrôler, tout dominer (dans une

famille, dans un groupe) (BDLP-Québec).

Mots de la même famille

bosser (vb. trans.) commander, diriger25

(DRFTN) –> bossy (adj) autoritaire (DRFTN)

Rem.

Le terme se rencontre aussi en français de France (FEW 18, 31b, BOSS), écrit comme en

français canadien boss ou bos, mais son usage est limité au registre familier. Les synonymes

les plus fréquents sont : propriétaire et chef. Ces mots se rencontrent également en français

québécois.

Etymol. et hist.

Boss est un emprunt direct à l’anglais sans adaptation phonétique.

A part le roman de Louis Hémon, son sens apparaît également dans d’autres œuvres

littéraires québécoises et dans des articles:

1873 : “Malheureusement, les circonstances étaient contre lui, et Michel juraient [sic]

ses grands dieux qu’ils parleraient au boss et qu’il s’en irait si le voleur n’était pas

chassé.” (Napoléon Légendre, « Le voyageur », dans Album de La Minerve, Montréal,

13 mars, t. 2, 194-196, d’après le Fichier lexical du TLFQ)

25

Le verbe bosser du français de France qui a le sens de “travailler fort” n’est pas un dérivé du nom boss “chef”

comme le verbe inclus dans notre glossaire. En plus, il a une autre origine (il est dérivé du nom bosse + -er). Il a

eu au début une existence limitée aux dialectes régionaux de l’Ouest de la France et avait le sens de “se courber”.

Son sens a évolué vers “se courber sur un travail” et ensuite vers “travailler dur” (TLFi).

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1968 : “Une fois, ma femme était tombée malade d’urgence, fait que l’hôpital a

téléphoné vers deux heures et quart, c’est l’boss qu’a répondu, y vient m’voir, y dit : ta

femme est tombée malade d’urgence… y l’ont rentrée… y dit, voyons donc, énarve-

toé pas avec ça, fait [sic] comme si de rien n’était, continue ton ouvrage, si y a quelque

chose, j’te l’dirai…çé pas n’importe quel boss qu’aurait faite ça…” (Yvon

Deschamps, Monologues, [Montréal], Leméac, 19-20, d’après le Fichier lexical du

TLFQ)

1976 : “Le garçon du boss était parti à la chasse un matin. Y revient à la fin de l’après-

midi : pas une maudite perdrix !” (Bertrand Leblanc, Moi, Ovide Leblanc, j’ai pour

mon dire, [Montréal], Leméac, 218, d’après le Fichier lexical du TLFQ)

A part les deux sens apparentés présents dans le roman de Louis Hémon, le nom boss a

deux autres sens en français québécois qui n’apparaissent pas en français de France :

1. le plus fort, le plus habile individu de la communauté (GPFC)

1992 : “Le vieux Siméon était connu pour avoir de nombreux tours dans son sac […].

Sa malice proverbiale en incita plus d’un à insinuer qu’il avait fait exprès pour se

venger de la rébellion tardive et bien innocente de son fils. Quoi qu’il en soit, pour

Rogatien, l’autorité de son père avait bel et bien brûlé avec la maison.

− Maintenant, c’est moi le boss, annonça-t-il victorieusement à sa femme

Alphonsine.” (Bernadette Renaud, Un homme comme tant d’autres. t. 1. Charles,

Montréal, Libre Expression, 262, d’après le Fichier lexical du TLFQ)

2. bourgeois (GPFC)

1999 : “[…] avec l’aide de quelques échevins, du vieux curé Jodoin, de ses

marguilliers et des boss de la Pulpe, le maire Jack, un homme bien charpenté à l’œil

froid et dur, tenait les citoyens de Murray dans le creux de sa main” (Dominique

Demers, Le pari, Montréal, Québec Amérique, 123, d’après le Fichier lexical du

TLFQ)

Le mot été pris en compte dans la plupart des ouvrages métalexicaux du Québec. Il n’a

pas d’entrée dans la BDLP-Québec, mais ses sens sont largement illustrés par de nombreuses

citations dans le Fichier lexical.

Le mot est attesté pour la première fois en 1870 (LARUE Hubert, «Nos qualités et nos

défauts. I. La langue française en Canada», dans Mélanges historiques, littéraires et

d'économie politique, t. 1, Québec, Garant et Trudel éditeurs, 1870, 16). Boss de gang est

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attesté pour la première fois dans ce genre de discours en 1977 (ROGERS David,

Dictionnaire de la langue québécoise rurale, Montréal, VLB éditeur, 1977, 26, 62) (ILQ).

Bbg.

SPFC, GPFC, 1930 − Brasseur, P., DRFTN, 2001 – BDLP-Québec – Fichier lexical du TLFQ

– ILQ.

BOUCANE (subst. fém.)

fumée quelconque et plus spécialement fumée épaisse ou nauséabonde (Clapin)

“La boucane entrait par la porte en une colonne oblique une fois dans la maison,

soustraite à la poussée du vent, elle enflait et se répandait en nuées ténues.” (74)

Mots de la même famille

boucaner (vb. trans.) 1 dégager, produire de la fumée26

2. (en parlant de la cigarette) fumer,

faire de la fumée (DRFTN) ; se faire boucaner se faire enfumer => boucanerie (subst. fém.)

petite construction extérieure à la maison qui sert à fumer les viandes et les poissons27

(BDLP-

Acadie) => boucanier (subst. masc.) personne qui fume la viande (Bélisle) => boucan (subst.

masc.) sorte de grill pour fumer les viandes et les poissons28

(Dict. québécois d’aujourd.,

Bélisle)

Rem.

Dans le TLFi, boucane est considéré un régionalisme du Canada.

Etymol. et hist.

Boucane est usité dans tout le Canada francophone, en Acadie, à Saint-Pierre et

Miquelon et en Louisiane. Son enregistrement dans certains parlers de France, notamment en

Normandie (FEW, 20, 72b, MOKAEM) pousse à croire que sa présence en français québécois

est due au maintien de la forme et du sens d’un de ces dialectes (DRFTN). Le sens de “fumée”

a été enregistré aussi en Saintonge (FEW).

En ce qui concerne la forme, le nom est un déverbal de boucaner, verbe attesté aussi

dans les parlers de Normandie (DRFTN).

A part le texte écrit par Louis Hémon, le sens principal du mot boucane apparaît dans

plusieurs ouvrages littéraires canadiens et dans les journaux, même à partir du XVIIIe siècle :

26

Le verbe boucaner appartient aussi au français de France au sens de “faire sécher de la viande en fumant”.

Selon DMR, boucaner signifie aussi en français réunionnais “fumer les vignes, les terres et les prés.” 27

Le terme du français de France qui correspond au terme boucanerie est fumoir. Il est connu également en

français québécois, mais il est perçu comme propre au français de France. 28

En créole martiniquais, le mot boucan désigne un grand feu sur lequel on fait cuire les aliments.

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1727 : “[…] on fait de la boucane, c’est-à-dire, un grand feu, que l’on étouffe ensuite

avec des feuilles vertes.” (Paul du Poisson, The Jesuit Relations and Allied

Documents. Travel and Explorations of the Jesuit Missionaries in New France,

Reuben Gold Thwaites, Cleveland, Burrows Brothers Company, t.67, 294, d’après le

Fichier lexical du TLFQ)

1817: “Deux hommes ont été trouvés morts […]. Il paraît qu’ils ont été étouffés par la

boucane. […] ” (Le Canadien, 1 nov. 1817, 84, d’après le Fichier lexical du TLFQ)

1965 : “Les sauvages dansaient quand ils venaient chez nous… Ils ont tous des tentes

en écorce, faites en rond et pointues du haut / Pas de poêle, rien qu’un feu au milieu ;

ils sentaient la boucanne [sic]. C’est inmourable [sic] un sauvage…” (Rolland

Coulombe, « Mémoires d’anciens : Monsieur et Madame Alexis Guay », dans

Saguenayensia : revue de la Société historique du Saguenay, Chicoutimi, t. 7, n° 1,

15-17, d’après le Fichier lexical du TLFQ)

Un autre sens du mot boucane (dérivé du premier) est “fumée de cigarette” (Dict.

québecois d’aujourd.):

2004 : “Depuis toujours, les non-fumeurs ont pris l’habitude d’endurer. Ils se disent

qu’ils n’ont pas le choix, que c’est le prix à payer pour sortir et voir du monde. Ils

passent donc la soirée à se faire souffler de la fumée dans la figure. Leurs vêtements

empestent la boucane. Ils ont mal à la gorge, ils toussent. Mais ils endurent.” (Le

Devoir, Montréal, 10 janvier, A5, d’après le Fichier lexical du TLFQ)

2004 : “On dira ce qu’on voudra, mais il en faut des couilles à un politicien pour dire à

des millions d’Irlandais qu’ils ne pourront plus fumer dans les pubs. Surtout lorsqu’on

connaît leur attachement pour cette vénérable institution gaillarde, lieu de tant

d’affrontements virils sur fond de boucane et d’effluves de Guinness.” (Le Soleil, 1er

avril 2004, A5, d’après le Fichier lexical du TLFQ)

Un autre sens du mot est “vapeur d’eau” (GPFC) :

1992 : “Ils érigeaient aussi une cheminée, longue et étroite, qui dépassait à peine le

toit très élevé de la grange mais largement le futur toit de la scierie.

− Avec ma chute [d’eau], j’avais pas de boucane, pointilla Vanasse.

− Mais avec la vapeur, on va pouvoir scier à la longueur de l’année, père Vanasse,

rappela Charles qui était fier de construire une scierie plus moderne.” (Bernadette

Renaud, Un homme comme tant d’autres, t.1, Montréal, Libre Expression, 251,

d’après le Fichier lexical du TLFQ)

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Le mot boucane est attesté pour la première fois dans une source métalexicale

québécoise en 1831 (BOUCHER-BELLEVILLE Jean-Philippe, Nouvelle grammaire

française, ou l'art de parler et d'écrire correctement, rédigée par les meilleurs grammairiens,

et la dernière édition du dictionnaire de l'Académie française, en deux parties, Montréal,

Presses de Ludger Duvernay, Imprimerie de la Minerve, 1831, 78) (ILQ).

Bbg.

Clapin, 1894 − SPFC, GPFC, 1930 − Brasseur, P., Chauveau, J.-P., SPM, 1990 − Dict.

québécois d’aujourd., 1992 − DMR, 1999 – Brasseur, P., DRFTN , 2001 – BDLP-Acadie –

Fichier lexical du TLFQ – ILQ − TLFi – FEW.

BRÛLÉS (subst. masc. pl.)

partie d’une forêt dévastée par un incendie et où les arbres n’ont plus repoussé ; terrain

brûlé ; brûlis

1. “Dans les brûlés, au flanc des coteaux pierreux, partout où les arbres plus rares

laissaient passer le soleil, le sol avait été jusque là presque uniformément rose, du rose

vif des fleurs qui couvraient les touffes de bois de charme. […]” (65)

2. “− Il s’était écarté… La tempête l’a surpris dans les brûlés, et il s’est arrêté un

jour ; on sait ça à cause que des sauvages ont trouvé l’abri en branches de sapin qu’il

s’était fait, et ils ont vu aussi ses pistes.” (127)

3. “Ils marchaient ensemble sur la neige, les raquettes aux pieds, dans les brûlés qui

couvrent la berge haute de la rivière Péribonka au-dessus de la chute.” (155)

Encycl.

Les incendies sont assez fréquents dans les forêts canadiennes non seulement à cause

de la négligence des humains, mais aussi à cause des conditions atmosphériques et de la

fréquence des foudres. A la suite des incendies, les terrains des forêts se transforment en

brulés. Ceux-ci couvrent donc, autant le sol des anciennes forêts mixtes que la surface des

forêts boréales qui sont, en général, éloignées des zones habitées.

Parfois, sur le sol de l’ancienne forêt on pratique une agriculture itinérante et la

végétation forestière est remplacée par des massifs de bleuets.29

Rem.

29

Ces idées sont un résumé des informations trouvées dans l’Encyclopédie canadienne à l’adresse

http://www.thecanadianencyclopedia.com/index.cfm?PgNm=TCESearch&Params=F1.

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Le sens du mot brûlés présent dans le roman de Louis Hémon n’est pas attesté en

français contemporain de France (TLFi). Pourtant, en France il y a des localités qui sont

appelées : Le Brûlé (en Bretagne), Les Brûlés ou Les Brûlées (localités nivernaises) ce qui

peut pousse à croire que le nom a eu une existence comme nom commun dans certaines aires

dialectales de la France et, en français québécois son origine s’explique par le maintien d’un

sens d’un des parles régionaux de France. Des noms de localités dont le noyau est le mot

brûlés se rencontrent au Canada aussi : Grand-Brûle, Petit-Brûlé, Grand-Pays-Brûlé,Petit-

Pays-Brûle(GPFC).

Etymol. et hist.

Brûlé au sens présent dans le texte de Louis Hémon (FEW 14, 78ab, 79a, USTULARE) s’est

formé par la substantivation au masculin pluriel du participe passé brûlé du verbe brûler. Il

est largement attesté dans les parlers du Canada, généralement au masculin avec cet emploi.

Brûlés doit être mis en relation avec le mot masculin bruleis “partie de forêt incendiée, de

champ dont les herbes ont été brûlées pour améliorer le sol” (en ancien français) et avec burlá

“partie de forêt détruite par un incendie ou défrichée par le feu” (Vaud) (FEW).

Il est attesté en Nouvelle-France depuis 1752 dans le syntagme bois brûlés :

“Après avoir fait environ deux lieues, l'on découvrit, de loin, une maison de face au

cours de la rivière; l'on nous dit que son origine était à un quart de lieue au-dessus, et

qu'il était à propos, crainte de manquer d'eau plus avant, de mettre à terre à la rive

droit vis-à-vis l'habitation de la veuve Gentil, nous y vîmes de près des grains de la

plus grande beauté, et le chemin de là au havre St-Pierre étant frayé, large de 6 à 7

pieds et propre à des charrettes attelées de deux boeufs, on le suivit à pied, il traverse

des bois brûlés dans lesquels est une grande quantité de bleuets qu'on mange en

rafraîchissement, il va aboutir au ruisseau à Comeau où la mer forme une espèce de

barachois qu'on traverse à sec, à marée basse, et à haute mer sur deux pieds et demi

d'eau; cet endroit est réputé le point milieu du chemin d'entre la dite veuve Gentil et le

havre St-Pierre.” (Louis Franquet, «Iles Royale et St-Jean, 1751: voyage du sieur

Franquet», dans Rapport de l'archiviste de la province de Québec pour 1923-1924,

[Québec], 118, d’après le Fichier lexical du TLFQ)

Brûlés au sens illustré dans Maria Chapdelaine apparaît tout seul depuis 1895 :

“Ce qui nous surprit le plus, ce fut de voir la quantité de framboises que les habitants

du Nord descendaient à la ville de St-Jérôme, où quelques commerçants achetaient

toutes celles qui leur étaient apportées. Avant cette époque, on laissait se perdre une

quantité considérable de ces fruits qui viennent avec tant d'abondance dans les terrains

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incultes que le feu a visités. Chose singulière, tandis qu'aux Etats-Unis on cultive la

framboise et qu'elle rapporte jusqu'à $500 piastres l'arpent, on ne profitait pas d'une

abondante récolte que nous offrent spontanément nos brûlés pour la seule peine de les

cueillir. Aujourd'hui c'est un commerce à St-Jérôme comme les bluets (myrtilles) au

Saguenay.” (Benjamin-Antoine Testard de Montigny, La colonisation: le Nord de

Montréal ou la région Labelle, Montréal, C.O. Beauchemin & Fils, Libraires-

Imprimeurs, 74, d’après le Fichier lexical du TLFQ)

1920 : “Et voilà la vérité sur les zones à bleuets du Lac-Saint-Jean. A part cela, on en

trouvera quelques tales, ici et là, dans les brûlés de Coushpagan, de

l’Ashuapmouchouan et de Metabetchouan, mais il reste superflu de dire et d’aller

répéter à tout venant que les bleuets poussent dans les interstices des murs, au Lac-

Saint-Jean.” (Damase Potvin, Le tour du Saguenay : historique, légendaire et

descriptif, Québec, [s. é], 163, d’après le Fichier lexical du TLFQ)

1988 : “Les brûlés fourmillaient généralement de bleuets. Tom savait donc qu’il

faisait toujours plus mauvais dans ce secteur. Les vents étaient plus intenses là qu’à la

Réserve.” (Serge Côté, L’indien. Les trois jours de la nation, Chicoutimi, Editions

JCL, 220, d’après le Fichier lexical du TLFQ)

Le mot est attesté pour la première fois dans une source métalexicale québécoise assez

tard, en 1968 (CORMIER France-Pauline, Les canadianismes et leurs correspondants

anglais…, Université de Montréal, 1968, 44). Bois-Brûlés apparaît pour la première fois

en 1907 (GAGNON Philéas, «La langue parlée au Nord-Ouest canadien», dans BPFC, t.

6, n° 4, 1907 déc., 133) (ILQ).

Bbg.

SPFC, GPFC, 1930 − Brasseur, P., DRFTN, 2001 − Dict. québécois d’aujourd., 1992 – BDLP

-Québec − TLFQ – Fichier lexical – ILQ − TLFi – FEW.

CANADA (subst. masc.)

pays situé en Amérique du Nord qui s’étend d’est en ouest de l’océan Atlantique à l’océan

Pacifique, vers le nord jusqu’à l’océan Arctique et qui a comme voisin au sud les Etats-Unis

“Cela leur avait paru si merveilleux, dans leur étroit logement parisien, cette idée

qu’au Canada ils passeraient presque toutes leurs journées dehors, dans l’air pur d’un

pays neuf, près de grandes forêts. Ils n’avaient pas prévu les mouches noires, ni

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compris tout à fait ce que serait le froid de l’hiver, ni soupçonné les mille duretés

d’une terre impitoyable.” (147)

Mots de la même famille

canadien (subst. masc.) habitant du Canada d’origine française (par opposition à anglais qui

désigne les habitants d’origine britannique (Bélisle)

“Lorsque les Canadiens français parlent d’eux-mêmes, ils disent toujours Canadiens,

sans plus ; et à toutes les autres races qui ont derrière eux peuplé le pays jusqu’au

Pacifique, ils ont gardé pour parler d’elles leurs appellations d’origine : Anglais,

Irlandais, Polonais ou Russes, sans admettre un seul instant que leurs fils, même nés

dans le pays, puissent prétendre aussi au nom de Canadiens. […]“ (73)

=> canadien (adj.)

“Aller à la messe de minuit, c’est l’ambition naturelle et le grand désir de tous les

paysans canadiens, même de ceux qui demeurent le plus loin dans les villages.” (108)

“Les Français, arrivés dans le pays depuis quelques mois seulement, devaient ressentir

une curiosité du même ordre, car ils écoutaient et ne parlaient guère. Samuel

Chapdelaine, qui les rencontrait pour la première fois, se crut autorisé à leur faire subir

un interrogatoire, selon la candide coutume canadienne.” (144)

=> canadianisme (subst. masc.) mentalité, attitude politique des Canadiens (Bélisle)

Encycl.

Canada était utilisé à l’époque de l’arrivée des premiers colons français de façon

générale comme synonyme de Nouvelle-France, terme qui désignait toutes les terres

appartenant à la France. La synonymie entre les deux mots n’est pas parfaite, car le mot

Canada ne s’appliquait à proprement parler qu’à la partie qui couvre les côtes du grand

fleuve et du golfe du Saint-Laurent. Au fur et à mesure que les explorateurs français et les

commerçants de fourrures avancent vers l'ouest et vers le sud, le territoire qu'on appelle le

Canada s'agrandit.30

Etymol. et hist.

Le nom Canada vient du mot huron-iroquois Kanata signifiant “village”,

“agglomération”.31

En Nouvelle-France, il commence d’être attesté depuis 1538 :

“Il y a entre les terres du su et celles du nort envyron trente lieues, et plus de deulx

cens brasses de parfond. Et nous ont lesditz sauvaiges certiffyé estre le chemyn et

30

Ce paragraphe résume les données trouvées dans l’Encyclopédie canadienne à la page

http://www.thecanadianencyclopedia.com/index.cfm?PgNm=TCE&Params=F1ARTF0001216. 31

Cette information se trouve dans l’Encyclopédie canadienne à la page

http://www.thecanadianencyclopedia.com/index.cfm?PgNm=TCE&Params=F1ARTF0001216.

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commancement du grand fleuve de Hochelaga et chemyn de Canada, lequel alloit

tousjours en estroissisant jusques à Canada [...].” (Jacques Cartier, The Voyages of

Jacques Cartier, published from the originals with translations, notes and appendices,

Ottawa, F.A. Acland, 1924, 106, d’après le Fichier lexical du TLFQ)

Canada apparaît pour la première fois dans le discours métalexical en 1851 (MARMIER

X[avier], Lettres sur l'Amérique, t. 1, Paris, A. Bertrand éditeur, 1851, 151) (ILQ).

Bbg.

Bélisle, 1957 – Encyclopédie canadienne – Fichier lexical du TLFQ – ILQ.

CLAIR (adj.)

1. libre (après avoir fini une activité)

“ – […] Les racines n’ont pas pourri dans la terre autant que j’aurais cru. Je calcule

que nous ne serons pas clairs avant trois semaines.“ (61)

2. disponible

“– Je vais travailler tout l’été à deux piastres et demie par jour et je mettrai de l’argent

de côté, certain. […] Au printemps prochain j’aurai plus de cinq cent piastres de

sauvée, claires, et je reviendrai.”

Expr., loc. et syntagmes

être clair de (loc. verb.) être débarrasé de (DRFTN)

Mots de la même famille

clairer (vb. trans.) éclaircir (en parlant du temps) (Bélisle) => clairance (subst. fém.) congé

(Bélisle)

Etymol. et hist.

Clair au sens de “libre (après avoir fini une activité)” est un calque par interférence

sémantique sur l’anglais clear (DRFTN).

Pour le deuxième sens de l’adjectif clair présent dans le roman Maria Chapdelaine, on

peut avancer l’hypothèse d’un héritage de France. La raison de cette hypothèse est l’existence

en moyen français de certains syntagmes comme : argent clair “somme que l’on verse

comptant en prenant une livraison”, chose clere [sic] “argent comptant” (1462), fait cler [sic]

(1462), clers deniers (1467) (FEW).

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Au sens de “disponible”, la première attestation de l’adjectif clair est dans le roman

Maria Chapdelaine. Dans le Fichier lexical du TLFQ, ce sens est attesté chez Claude-Henri

Grignon, mais dix-sept années après la parution de Maria Chapdelaine :

1933 : “Je paierais le père Blanchet, pis il vous resterait un beau cent piasses, clair.”

(Claude-Henri Grignon, Homme, 36, d’après le Fichier lexical du TLFQ)

L’adjectif clair est attesté pour la première fois dans le discours métalexical en 1860

([GINGRAS J.-F.], Recueil des expressions vicieuses et des anglicismes les plus fréquents,

Québec, E.-R. Fréchette (impr.), 1860, 13) (ILQ).

Bbg.

Bélisle, 1957 – Brasseur, P., DRFTN, 2001 – Fichier lexical du TLFQ – ILQ – TLFi −FEW.

CLAIRER (vb. trans., pron.)

éclaircir, dégager, libérer

“[…] Je n’avais que seize ans, mais je bûchais avec les autres pour « clairer » la

ligne, toujours à vingt-cinq milles en avant du fer, et je suis resté quatorze mois sans

avoir une maison.” (68)

Rem.

Le verbe n’existe pas en français de France, ses sens étant désignés par des verbes

synonymes : dégager, éclaircir, libérer, débarrasser, verbes qui se rencontrent également en

français québécois.

Etymol. et hist.

Clairer est attesté dans les parlers régionaux de France, mais pas dans l’Ouest (FEW,

2, 741a, CLARUS). En français canadien, l’usage du verbe s’explique plutôt par une évolution

locale que par la survivance et le maintien d’une forme et d’un sens rencontrés dans les

parlers régionaux de France. La forme clairer serait donc un calque de l’anglais to clear qui a

les mêmes sens que le verbe français ou une évolution phonétique locale (aphérèse) du verbe

éclairer sous l’influence de l’adjectif clair32

(DRFTN).

Le sens de ”dégager” est assez fréquent dans la presse et dans les œuvres littéraires :

1882 : “Je me suis rendu hier chez notre bonne bourgeoise Mame Victorie. En entrant

dans la salle la famille venait souper et la servante commençait à clairer la table.” (Le

Grognard, 28 janv. 2, d’après le Fichier lexical du TLFQ)

32

Clairer est également attesté en créole antillais (Brasseur, DRFTN).

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1885 : “Les termes impropres sont choses communes dans la bouche de tous les

peuples du monde. On en relève chez nous que nous avouons de bonne grâce. Par

exemple : on dira tombe pour remblai ou terrassement ; l’action d’approfondir un

fossé s’exprimer [sic] par le verbe caler ; faire un découvert dans la forêt, c’est

clairer. […]” (Benjamin Sulte, Situation de la langue française au Canada, Montréal,

Imprimerie générale, 16, d’après le Fichier lexical du TLFQ)

1981 : “− Il travaillait comme claireur et comme guide pour les Baptist, poursuivit ma

grand-mère, et quand il n’avait plus rien à clairer dans les hauts, il redescendait au

village.” (Jean Pellerin, Au pays de Pépé moustache, Montréal – Paris, Stanké, 62-63,

d’après le Fichier lexical du TLFQ)

A part le sens présent dans le roman de Louis Hémon, le verbe clairer a d’autres

emplois en français canadien qui sont aussi valables pour le verbe anglais to clear:

1. acquitter (trans.)

1871 : “On pensait qu’il allait nous clairer parce qu’on ne se sentait pas fautif ; on ne

pensait pas que les témoins allaient jaser comme ils ont jasé sous serement [sic].”

(Archives Nationales de Québec [les archives judiciaires], doc. d’env. 1874, 4, d’après

le Fichier lexical du TLFQ)

2. licencier

1933 : “I’dit, sire, i’dit, j’charche d’l’ouvrage. I’dit, mon véritable métier, i’dit, chus

un bûcheron. Si vous avez d’l’ouvrage à me donner dans l’bois…

− Mais, i’dit, tu t’adonnes ben, i’dit, j’viens d’éclairer mes neuf hommes à matin,

là. Pis… i’me faisaient pas d’la bonne ouvrage, j’les ai clairés.” (Luc Lacourcière,

Archives de folklore, oct. 1949, d’après le Fichier lexical du TLFQ)

3. (pron.) se débarrasser de qqch., se libérer de qqch.

1980 : “C’était trop beau, ou trop calme, ou trop plate, choisissez !/// Il était écrit

quelque part dans les prophéties des temps anciens de l’époque des Iroquois ou des

Algonquins que Saint-Gildas ne pouvait se clairer d’une assemblée sans chicane… Et

bien ! argent comptant… et sonnant !” (Réal-Gabriel Bujold, Le p’tit ministre-les-

pommes, [Montréal], Leméac, 172, d’après le Fichier lexical du TLFQ)

Le verbe et ses sens multiples ont été pris en compte dans les ouvrages de lexicographie

canadienne, mais le sens le plus fréquent est celui illustré dans l’œuvre de Louis Hémon.

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Dans le discours métalexical, le mot apparaît depuis 1841 ([MAGUIRE Thomas], Manuel

des difficultés les plus communes de la langue française, adapté au jeune âge et suivi d'un

Recueil de locutions vicieuses, Québec, Fréchette et Cie (impr.), 1841, 145) (ILQ).

Bbg.

Bélisle, 1957 – Brasseur, P., DRFTN, 2001 – Fichier lexical du TLFQ – ILQ – FEW.

COUREUR DE BOIS (subst. masc.)

chasseur et guide de chasse dans les forêts

“Il [François Paradis] apportait à la cueillette son expérience de coureur de bois.”

(81)

Expr., loc. et syntagmes

donner retraite à un coureur de bois héberger secrètement un coureur de bois (BDLP-

Québec)

Mots de la même famille

coureux (subst. masc.) celui qui est agile à la course (GPFC) => courir (vb. trans.)

poursuivre en courant Le chien a couru les vaches (Bélisle)

Encycl.

Le coureur de bois était un aventurier adapté à la vie en forêt possédant un permis qui

l’autorisait à aller dans les territoires amérindiens pour faire le commerce des pelleteries avec

les autochtones, soit pour son propre compte, soit pour celui d'un marchand ou d'une

entreprise avec lesquels il signait un contrat.

Figure héroïque, folklorique de l'histoire canadienne, symbole d'errance,

d'indépendance, de liberté, d'esprit d'aventure et de métissage avec les autochtones, le coureur

de bois est considéré comme un des archétypes traditionnels des Canadiens français.33

Le type traditionnel du coureur de bois est représenté dans le roman Maria

Chapdelaine par François Paradis.

Etymol. et hist.

Coureur de bois (FEW 2, 1570b, I.1.e, CURRERE34

) découle de l’expression courir les

bois (variante de courir dans les bois), attesté au Canada à partir de 1616, surtout en parlant

des Amérindiens. L’emploi transitif du verbe courir est relevé en français depuis le début du

33

Ces deux paragraphes sont un résumé des données trouvées dans la BDLP-Québec, à la Rubrique

encyclopédique. 34

cf. courou de champ “batteur de campagne” (St-Maurice-de-l’Exil) (FEW).

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XIIIe siècle. Le mot coureur de bois s’est appliqué ensuite aux Français qui imitaient les

Amérindiens et qui faisaient de la contrebande avec des pelleteries. Il tient ses connotations

négatives également de l’emploi de coureur au sens de “débauché”, attesté en français depuis

1566 d’après TLFi et au sens de “libertin”, “vagabond”, attesté dans différents parlers du

nord, du centre et de l’ouest de la France, notamment sous la forme coureux. En anglais, le

mot a donné lieu au calque wood(s)-runner. (BDLP-Québec).

Le mot est attesté en Nouvelle-France à partir du XVIIe siècle :

1680 : “[...] il ne se trouve plus aucun coureur de bois dans toute l'étendue de Canada

[...].” (Guy Frégault ; Marcel Trudel, Histoire du Canada par les textes, t.1, (1534-

1854), éd. rev. et augm., Montréal-Paris, Fides, 55, d’après le Fichier lexical du

TLFQ)

Coureur de bois apparaît pour la première fois dans le discours métalexical québécois

en 1882 (Bédard T[héophile]-P[ierre], «A propos du mot 'habitant'», dans Nouvelles Soirées

canadiennes, t. 1, n° 1-2, Québec, 1882 janvier, 42) (ILQ).

La variante coureur des bois est attestée pour la première fois dans le discours

métalexical québécois en 1894 (CHAMBERLAIN A[lexander] F., «The Life and Growth of

Words in the French Dialect of Canada», dans Modern Language Notes, t. 9, n° 3, Baltimore,

1894 mars, 69) (ILQ).

Bbg.

SPFC, GPFC, 1930 – Bélisle, 1957 – BDLP-Québec – Fichier lexical du TLFQ – ILQ – TLFi

– FEW.

DÉJEUNER (subst.masc.)

repas du matin, petit déjeuner, premier repas de la journée

“Une fois le déjeuner du matin pris, tous récitèrent ensemble un chapelet à l’heure de

la messe.” (80)

Expr., loc. et syntagmes

préparer, faire le déjeuner (BDLP-Québec) –> heure du déjeuner (BDLP-Québec)

Mots de la même famille

déjeuner-dîner (vb. intrans.) prendre un déjeuner tardif, par ex. dimanche, à la maison

(BDLP-Québec) => déjeuner-causerie (subst. masc.) conférence ou exposé présenté devant

les convives réunis pour le repas du midi (ou, plus rarement, du matin) (BDLP-Québec)

Rem.

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Dans la langue soignée, au Québec, se rencontre aussi l’expression petit déjeuner.

Toujours dans ce registre de langue, déjeuner peut désigner le second repas de la journée

(BDLP-Québec).

Etymol. et hist.

Le mot et son sens présent dans le roman Maria Chapdelaine est un héritage de

France. Il est attesté depuis 1634, mais seulement à partir de 1970 les lexicographes français

donnent ce mot comme marque de référence au repas de matin. Déjeuner (FEW 3, 95a,

DISJEJUNARE) a commencé de désigner le second repas de la journée dans la première moitié

du XIXe siècle. Cette innovation sémantique originaire de Paris a été conditionnée par

l’évolution des pratiques sociales dans la Capitale. A Paris, l’heure du second repas de la

journée a commencé de connaître un déplacement de plus en plus accentué vers la fin de

l’après-midi et le début de la soirée. “Par ricochet, le premier repas de la journée s’est

dédoublé, donnant lieu à un repas très léger pris au lever, et à un autre, beaucoup plus

substantiel, pris en fin de la matinée“ (DRF). Tout le système de la désignation des repas y

subit à cette époque-là un déplacement qui a eu pour conséquence l’apparition du petit-

déjeuner et l’abandon du mot souper. Cette réorganisation du système ne s’est pas imposée

dans toute la France et encore moins dans les communautés francophones situées à l’extérieur

de la France. Déjeuner au sens de “premier repas de la journée” est courant non seulement au

Canada, mais aussi en Belgique (d’où il est passé au Rwanda) ainsi qu’en Suisse. En France,

il est courant dans les dialectes de nord-ouest, du nord, du nord-est et dans le Midi (DHFQ,

BDLP-Québec, DRF).

En Nouvelle-France il est attesté à partir du XVIIe siècle :

1635 : “Pour ne m'éloigner davantage de mon chemin, si tost qu'il est jour chacun se

prepare pour déloger, on commence [...] par le déjeuner, s'il y a dequoy; car par fois

on part sans desjeuner, on poursuit sans disner et on se couche sans souper [...].” (Paul

Le Jeune, The Jesuit Relations and Allied Documents. Travels and Explorations of the

Jesuit Missionaries in New France, ed. by Reuben Gold Thwaites, Cleveland,

Burrows Brothers Company, t. 7, 110, d’après le Fichier lexical du TLFQ)

A part le sens présent dans l’œuvre de Louis Hémon, le mot a aussi le sens de “repas

de noces faisant suite à un mariage célébré dans la matinée” :

1874 : “Le lundi suivant ils étaient mariés, et au déjeuner qui suivit la messe

nuptiale, Jean me disait joyeusement : - Sans l'amour, vois-tu, Henri, la vie n'est rien.”

(Faucher de Saint-Maurice, À la brunante, 157, d’après BDLP-Québec, déjeuner –

Citations)

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Déjeuner est employé aussi comme verbe intransitif exprimant l’action de prendre le

repas du matin, le premier repas de la journée :

1788 : “Ceux qui souhaiteront loger chez lui, y trouveront des bons lits, et s'ils jugent

à-propos de déjeuner avant de partir le matin, ils auront s'ils le desirent, du Thé, du

Caffé ou du Chocolat.” (La Gazette de Québec, 10 juillet, 3, d’après BDLP-Québec,

déjeuner – Citations)

Le verbe se rencontre au Canada, à Terre-Neuve et en Louisiane (DRFTN).

Déjeuner est un exemple classique de maintien d’un archaïsme en périphérie. Ce n’est

que depuis le début des années 1970 que la lexicographie française donne cet emploi comme

marqué. Le mot possède encore le sens de “premier repas de la journée” dans de nombreuses

zones de la France : En Normandie, en Lorraine, dans le Haut-Jura, dans la Côte-d’Or, l’Ain,

le Rhône, l’Isère, ça et là dans le Midi, dans les régions rurales. Il est également courant en

Belgique (d’où il est passé au Rwanda) et dans toute l’Amérique francophone. Aucun

dictionnaire français ne rend bien compte de l’extension géographique du mot (DSR).

Le verbe déjeuner apparaît pour la première fois dans le discours métalexical

québécois en 1841 ([MAGUIRE Thomas], Manuel des difficultés les plus communes de la

langue française, adapté au jeune âge et suivi d'un Recueil de locutions vicieuses, Québec,

Fréchette et Cie (impr.), 1841, 321). Le nom déjeuner apparaît pour la première fois en 1904

(Rivard-Laglanderie A., «Compte rendu de l'Atlas linguistique de la France de J. Gilliéron et

E. Edmont», dans BPFC, t. 3, n° 2, 1904 oct., 67) (ILQ).

Bbg.

Brasseur, P., DRFTN, 2001 – DRF, 2001 – DSR, 2004 – BDLP-Québec – Fichier lexical du

TLFQ – ILQ – TLFi – FEW.

DÉPAREILLÉ (adj.)

sans comparaison, exceptionnel

“– Alors je prenais ma hache et je m’en allais dans le bois, et je fessais si fort sur les

bouleaux que je faisais sauter des morceaux gros comme le poignet, en me disant que

c’était une femme dépareillée que j’avais là. […]” (200)

Expr., loc. et syntagmes

sans dépareillé sans comparaison (GPFC)

Etymol. et hist.

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Le sens de l’adjectif dépareillé présent chez Louis Hémon est spécifique pour la

variété québécoise. Il est enregistré dans le TLFi avec la mention “région. (Centre et

Canada)”.

Le mot commence d’être attesté en français québécois à partir de la première moitié

du XIXe siècle :

1918 : “Donc, il est huit heures du soir à la grande horloge de chêne brun. Assis

devant le poêle à fourneau qui se dresse au beau mitan de la place, le Père Louis

Robichaud du Petit Village fume tranquillement sa pipe avec Joseph qui a depuis

longtemps [sic] faire son train. La maman achève de laver sa vaisselle pendant que

Marie-Louise qui est alerte et dépareillée voyage assidûment de l'armoire au salon,

du salon à l'armoire, sans doute pour quelques mystérieux préparatifs.” (Paul-Emile

Lavallée, Les premiers coups d'ailes, Montréal, Les Clers de Saint-Viateur, 1, d’après

le Fichier lexical du TLFQ)

Dépareillé a en français de France le sens principal “qui est séparé d’un ou de plusieurs

autres objets avec lesquels il formait un ensemble assorti”, sens qui est enregistré aussi dans le

Dict. québécois d’aujourd. et dans le TLFi:

“un volume dépareillé de Racine” (MICHELET, Peuple, 1846, 107, d’après TLFi).

Le mot apparaît pour la première fois dans le discours métalexical québécois en 1880

(DUNN Oscar, Glossaire franco-canadien et vocabulaire de locutions vicieuses usitées au

Canada, Québec, Imprimerie A. Côté et Cie, 1880, 59) (ILQ).

Bbg.

SPFC, GPFC, 1930 – Fichier lexical du TLFQ – ILQ – TLFi.

DÎNER (subst.masc., vb. intrans.)

1. (subst.masc.) repas de midi, déjeuner

“A midi Maria sortit sur le seuil et annonça par un long cri que le dîner était prêt.”

(57)

2. (vb. intrans.) prendre le repas de midi

“On va dîner d’abord, eh ? fit-il, bonhomme.” (137)

Mots de la même famille

dîner-causerie (subst.masc.) conférence ou exposé présenté devant des convives réunis pour

le repas du soir (ou, plus rarement, du midi) (BDLP-Québec) –> dînette (subst. fém.) partie

d’une cuisine ou petite pièce spécialement aménagée avec un comptoir ou une petite table et

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quelques sièges pour prendre des repas simples ; coin-repas (BDLP-Québec) –> dîneur

(subst. masc.) personne qui prend part à un dîner avec d’autres ; personne qui mange le midi

dans un lieu public (restaurant, cafétéria) (BDLP-Québec)

Etymol. et hist.

Comme le substantif déjeuner, dîner (FEW 3, 94b, 95a, DISJEJUNARE) est un héritage

de France. L’emploi de dîner en parlant du repas du midi est attesté depuis le Moyen Âge en

français. Dans l’usage de Paris, l’heure des repas s’est graduellement déplacée et, par

conséquent, le mot dîner a commencé de désigner le repas du soir. (BDLP-Québec)

Le sens de “repas de midi“ est attesté en Nouvelle-France depuis le XVIIIe siècle :

1738: “Nous fimes un bon feu, autant pour nous secher que pour aprêter le dîner.

Nicolas avoit déja mis la chaudière sur le feu avec un peu de farine, dont il vouloit

faire une bouillie ou plutôt une Sagamité, car il commençoit aussi à s'y mettre des

pois & du lard, lorsque le sauvage Abenakis leur dit, que le deux canadiens nous

avoient vû échouer & qu'ils ne venoient que de disparoître.” (Claude Le Beau,

Avantures du Sr. C. Le Beau, avocat en parlement, ou Voyage curieux et nouveau

parmi les Sauvages de l'Amérique septentrionale, Yorkshire - New York - The

Hague, S. R. Publishers Limited - Johnson Reprint Corporation - Mouton & Co.

N.V., 1966, 132, d’après le Fichier lexical du TLFQ)

Le verbe au sens de “prendre le repas de midi” est attesté en Nouvelle-France à partir

de la première moitié du XVIIe siècle :

1609: “Et cependant que nous voguions par le milieu du port, voici que Membertou,

le plus grand sagamos des Souriquois, vint au fort français [...] crier comme un

homme insensé, disant en son langage : «Quoi! vous vous amusez ici à dîner (il était

environ midi), et ne voyez point un grand navire qui vient ici [...].” (Marc Lescarbot,

Histoire des Canadiens-français, 1608-1880: origine, histoire, religion, guerres,

découvertes, colonisation, costumes, vie domestique, sociale et politique,

développement, avenir, Montréal, Éditions Élysée, t. 1, 1977, 62, d’après le Fichier

lexical du TLFQ)

Le mot est un archaïsme largement maintenu dans plusieurs pays francophones :

Suisse, Belgique (d’où il est passé au Zaïre et au Rwanda) et dans toute l’Amérique

francophone. En France, il se rencontre dans les régions suivantes : Nord, Normandie,

Bretagne, Lorraine, Alsace, Champagne, Bourgogne, Franche-Comté, Ain, Isère, Lyonnais,

Auvergne, Midi. Aucun dictionnaire français ne rend bien compte de l’extension diatopique

du mot (DSR).

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Le nom dîner est attesté dans le discours métalexical depuis 1908 (ROULLAUD

Henri, Rectification du vocabulaire, Montréal, A. Bouesnel éditeur, 1908, 11). Le verbe dîner

apparaît pour la première fois dans le discours métalexical québécois en 1841 (MAGUIRE

Thomas, Manuel des difficultés les plus communes de la langue française, adapté au jeune

âge et suivi d'un Recueil de locutions vicieuses, Québec, Fréchette et Cie (impr.), 1841, 35)

(ILQ).

Bbg.

Bélisle, 1957 – Brasseur, P., DRFTN, 2001 – DRF, 2001 – DSR, 2004 – BDLP-Québec et

Louisiane – Fichier lexical du TLFQ – ILQ – TLFi – FEW.

DRAVE (subst. fém.)

transport des billots de bois par flottage

1. “− La drave, marche-t-elle bien ? demanda Esdras. As-tu des nouvelles de là-bas ?”

(67)

2. “Les chantiers, la drave, ce sont les deux chapitres principaux de la grande industrie

du bois, qui pour les hommes de la province de Québec est plus importante encore que

celle de la terre.” (67)

3. “− […] Et je pense bien que c’était Zotique que j’aimais le mieux ; mais il est parti

faire la drave sur la rivière Saint-Maurice; il ne devait pas revenir avant l’été; alors

Roméo m’a demandé et j’ai répondu oui.” (92)

− (par méton.) le chantier où l’on pratique la drave

1. “− […] Mais un homme seul se nourrit sans grande dépense, et puis, votre frère,

Egide va revenir de la drave avec deux-trois cent piastres pour le mois. […]” (67)

Expr., loc. et syntagmes

faire la drave (loc. verb.) pratiquer le métier de la drave (Fichier lexical de TLFQ)

Mots de la même fam.

draver (vb. trans.) faire flotter des troncs d'arbres sur un cours d'eau pour les acheminer

jusqu'à leur destination (Fichier lexical de TLFQ)

Encycl.

La drave, occupation très répandue dans le nord de l’Amérique vers le début du XXe

siècle, consistait à diriger les billes jusqu’à la scierie ou à l’usine. A la fin de la saison, au

printemps, les bûcherons se faisaient “draveurs”. Munis d’une graffe, ils dirigeaient les troncs,

prévenaient les embâcles ou les défaisaient à la dynamite.

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Le flottage du bois a cessé depuis le milieu des années ‘80 afin de protéger

l’environnement car il était une menace pour certaines espèces animales (poissons) de même

que pour la flore aquatique.35

La vie des bûcherons, qui devenaient des draveurs après l’abattage des arbres, est

comparée par Louis Caron dans son livre La tuque et le béret à la vie des moines. Isolés dans

leurs forêts pendant les longs mois de l’hiver, logés dans des camps dépourvus d’installations

sanitaires, mal nourris, ils exerçaient le métier dangereux de la drave quand ils devaient

surveiller le flottage des billes sur les rivières.

Etymol. et hist.

Le mot drave est un déverbal du verbe draver, qui est un emprunt direct à l’angl. to

drive “conduire les billes sur les rivières”.

Il est attesté depuis la deuxième moitié du XIXe siècle, période où l’occupation

désignée par le terme était très fréquente au nord de l’Amérique :

1890 : “- Avez-vous offert quelque chose à l'autre veuve, Mme Leblanc?

- Oui, Monsieur, je lui ai offert cinquante piastres.

- A peu près dans le même temps?

- C'est une secousse après [...] Le témoin est contremaître de la drave

et quatre de ses ouvriers se sont noyés.” (Archives Nationales de Québec, Cour

d’appel de Québec, Artabasca, 15, d’après le Fichier lexical du TLFQ)

1914 : “[...] s'il lui faut parfois employer un mot anglais, il le francise, et de

meeting il fait «mitaine», de climber «clameur», de drive «drave», de peppermint

«papermane», de pouding «poutine» [...].” (Adjutor Rivard, Etudes sur les parlers

de France au Canada, Québec, 55, d’après le Fichier lexical du TLFQ)

1937 : “Que l'auteur de Menaud emploie couramment des beaux mots du pays de

Québec, tels que «drave», «draveur», «bleuetière», «abatis», «corps-morts»,

«portage», «boucane», «poudrerie» et combien d'autres, nous devons l'en féliciter.

Mais là surtout, où il honore le génie de la langue, c'est lorsqu'il utilise des

vocables ou des expressions essentiellement de France, qui existent encore au

Canada français et que seul un écrivain de talent et de goût pouvait nous offrir.

Jugez : «collets de chasse», «tissure», «on venait de cuire», «chemins balisés»,

«icitte», «veilleux», «bourdignons», «une perdrix se mit à battre», «avoir des

mottons dans la gorge», «l'embruni», «mangeaille», «crique», «seillon», (pour

35

Ces informations sont un résumé des idées trouvées dans l’Encyclopédie canadienne à la page

http://www.thecanadianencyclopedia.com/index.cfm?PgNm=TCE&Params=f1ARTf0008014.

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sillon), «escousse», «talle», «la belle défaite qu'il se donne», «faire un ravaud» et

peut-être une vingtaine d'autres plus beaux encore.” (Valdombre, Les pamphlets de

Valdombre, Ste-Adèle, Claude-Henri Grignon, 392-393, d’après le Fichier lexical

du TLFQ)

1963 : “Les compagnies de bois ont à peu près toujours été anglaises. La piastre

étant anglaise, le langage fut anglais. D'où les canadianismes d'origine anglaise :

drave, cantouque, boume, couque, dam, raffmanne, etc.” (Godin, Ecrits et parlés

I : 1. Culture, Montréal, Editions de l’Hexagone-Gérald Godin, 31, d’après le

Fichier lexical du TLFQ)

1970 : ”Le commerce du bois prenant chaque année plus d'importance, le transport

de l'outillage, des vivres et des chevaux, fit abandonner les barges dites de drave.

On ne les utilisa que pour le flottage des billes. Le chaland, embarcation d'une plus

forte capacité, fit alors son apparition. [/] Les chalands d'un tonnage de vingt mille

livres, construits presque exclusivement aux Piles, mesuraient cinquante pieds de

long par neuf pieds de large. Ils étaient rectangulaires, l'avant et la poupe

légèrement relevés et taillés en biseau. Certains possédaient à la poupe une cabine

rudimentaire ou tout simplement un toit de toile soutenu par des poteaux.”

(Normand Lafleur, La drave en Mauricie des origines à nos jours : histoire et

traditions, Trois-Rivières, Editions du Bien public, 85-86, d’après le Fichier

lexical du TLFQ)

1979 : “Au 19e siècle, l’exploitation de la forêt donnera lieu à deux industries

différentes : à celle du bois de pièce et à celle du bois scié. Dans le premier cas, les

pièces de bois étaient taillées en forêt, puis descendues (à la drave) jusqu’à la

Grande-Rivière. Là, on construisait des «cages» ou «rafts», immenses trains de

pièces de bois que l’on faisait flotter jusqu’au port de Québec. C’étaient les

«raftsmen» qui, s’aidant de perches, de voiles et plus tard de remorqueurs à

vapeur, étaient chargés d’accomplir cette tâche.” (Robert Choquette, Villages et

visages de l’Ontario français, Toronto-Montréal, Office de la télécommunication

éducative de l’Ontario-Editions Fides, 9, d’après le Fichier lexical du TLFQ)

A part du sens du mot présent dans le texte de Louis Hémon, la drave désigne aussi, par

métonymie, la période pendant laquelle on pratique ce métier :

1936 : “Et comme il n'y a pas de bordels ni de cafés de nuit à Sainte-Catherine, pour la

bonne raison que la plupart des filles fourrent pour le seul plaisir, je remets mes vacances

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à ma rentrée en ville, après la drave, au printemps prochain.” (Hector de Saint-Denys

Garneau, Lettres à ses amis, Montréal, Editions HMH, 190, d’après le Fichier lexical du

TLFQ).

En français de France, le mot synonyme de drave est flottage. Il se rencontre

également en français québécois, mais on préfère quand-même le terme drave.

Dans le discours métalexical québécois, le mot apparaît depuis 1880 (CARON

N[apoléon] (abbé), Petit vocabulaire à l'usage des Canadiens-français, contenant les mots

dont il faut répandre l'usage, et signalant les barbarismes qu'il faut éviter, pour bien parler

notre langue, Trois-Rivières, Journal des Trois-Rivières (impr.), 1880, 24, 58) (ILQ).

Bbg.

Dict. québécois d’aujourd., 1992 − Brasseur, P., DRFTN, 2001 – Fichier lexical du TLFQ –

ILQ – TLFi.

DRAVEUR (subst. masc.)

ouvrier qui travaille à la drave

“Et à tous les coudes de rivières, à toutes les chutes, partout où les innombrables billots

bloquent et s’amoncellent, il faut encore le concours des draveurs forts et adroits,

habitués à la besogne périlleuse, pour courir sur les troncs demi-submergés. […]” (68)

Etymol. et hist.

Le mot est un dérivé du verbe draver “faire la drave”, ou un emprunt avec adaptation

morphologique du mot anglais driver, de même sens.

Il se rencontre dans les œuvres littéraires du début du XXe siècle :

1937 : “Cela s'intitule: Menaud, maître-draveur, et l'auteur s'appelle Savard. [...]

L'intrigue rappelle (mais sans aucune imitation) La Brière. C'est un bonhomme,

coureur de bois, «maître-draveur», qui est indigné de voir le patrimoine ancestral,

grâce à la lâcheté de la race, être dilapidé par les étrangers” (Hector Saint-Denys

Garneau, Lettres à ses amis, Montréal, Editions HMH, 292-293, d’après le Fichier

lexical du TLFQ)

1971 : “Au printemps, les lacs «calent» et la fonte des neiges grossit les cours

d'eau. C'est l'époque de la «drave» ou de la descente du bois sur les ruisseaux et les

rivières. Les bûcherons se font «draveurs». Le métier de «draveur» est périlleux ;

il exige des qualités d'endurance physique et d'agilité peu communes.” (Jean

Hamelin, Roby, Yves, Histoire économique du Québec, 1851-1896, Montréal,

Fides, 215-216, d’après le Fichier lexical du TLFQ)

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1973 : “L'enquête orale que nous avons menée auprès des coureurs de bois dans les

régions de l'Outaouais, de la Mauricie et de Charlevoix nous a permis de relever la

permanence de ces techniques et, grâce aux imprimés, de les comparer, à

l'occasion, à celles du 17e siècle. [...] Comme le chasseur du 19

e et 20

e siècle fut

aussi, à l'occasion, un bûcheron et un draveur, nous avons décrit les moeurs, la vie

et le travail du forestier.” (Normand Lafleur, La vie traditionnelle du coureur de

bois aux XIXe siècle et XX

e siècle, [Montréal], Leméac, 69, d’après le Fichier

lexical du TLFQ)

Dans le discours métalexical québécois, le mot est attesté depuis 1880 (Petit vocabulaire à

l'usage des Canadiens-français, contenant les mots dont il faut répandre l'usage, et signalant

les barbarismes qu'il faut éviter, pour bien parler notre langue, Trois-Rivières, Journal des

Trois-Rivières (impr.), 1880, 24, 58) (ILQ).

Bbg.

Dict. québécois d’aujourd., 1992 − Fichier lexical du TLFQ – ILQ − TLFi.

FLEUR (subst. fém.)

farine

“Le lundi matin on ouvrait une poche de fleur et on se faisait des crêpes.”36

(69)

Rem.

En France, le sens courant du substantif fleur est la “partie la plus belle d’une

chose”(TLFi).

Etymol. et hist.

Fleur au sens de “farine” est un héritage des parlers de France qui, en français

québécois, commence d’être attesté à partir du XVIIIe siècle :

1789 : “pour 6 quarts de fleur à 6 piastres, 216 [livres]” (AUQ, oct. 1789, 325,

d’après le Fichier lexical du TLFQ)

Le mot est attesté dans les parlers du Québec et de l’Acadie ainsi qu’en Louisiane. Les

dictionnaires français (TLF 8, 974b) considèrent comme un régionalisme du Canada cet

emploi d’origine bas-normande qui s’étend dans l’ouest de la France jusqu’à la côte nord de la

Bretagne (FEW 3, 632a, II.2, FLOS).

36

Dans les passages narratifs, l’auteur emploie le mot farine : “ […] des sacs de farine furent rangés dans un

coin de la maison […]. ” (102)

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Le mot apparaît pour la première fois dans le discours métalexical québécois dans les

contextes suivantes : fleur d’avoine – 1979 (DORION Jacques, Les écoles de rang au

Québec, Montréal, Les éditions de l'Homme, 1979, 419), fleur de farine – 1876 (DUNN

Oscar, Dix ans de journalisme. Mélanges, Montréal, Duvernay frères et Dansereau éditeurs,

1876, 267) et fleur de farine de maïs – 1902 (Anonyme, «Fautes à corriger», dans L'Union

des Cantons de l'Est, Arthabaska (Québec), 1902, 11 avril, 1) (ILQ).

Bbg.

Bélisle, 1957 – Fichier lexical du TLFQ – ILQ – TLFi.

FOREMAN (subst. masc.)

contremaître, chef d’équipe, chef d’atelier, chef de chantier, agent de maîtrise, boss

1. “Et qui va être « foreman » à trois piastres par jour ? C’est le bonhomme

Laliberté…” (14)

2. “Et à l’automne je suis sûr de trouver une « job » comme foreman dans un chantier,

avec de grosses gages.” (85)

3. “− […] Vous avez peut-être eu connaissance qu’il [François Paradis] était

« foreman » dans un chantier en haut de la Tuque, sur la rivière Vermillon.” (124)

Etymol. et hist.

Foreman est un emprunt direct au mot anglais qui a la même forme et le même sens.

Il est inconnu en français de France (FEW 18, 64b, I, FOREMAN) où son sens est

exprimé par l’un des termes : chef, contremaître, agent de maîtrise, noms qui sont en usage

aussi au Canada.

Il apparaît dans les œuvres littéraires et dans les articles des journaux québécois assez

fréquemment :

1873 : “− Avez-vous un bourgeois ?

− Pas encore, mais il paraît que l’ouvrage ne manque pas.

− C’est égal ; c’est toujours mieux d’avoir son homme d’avance. Voulez-vous

travailler pour mon boss ? Un homme propre ; […] ça n’est pas trop dur au pauvre

monde, et ça paye comme un anglais. Tel que vous me voyez, je suis un de ses

foreman.” (Napoléon Légendre, « Le voyageur », dans Album de la Minerve,

Montréal, 13 mars, t. 2, 180, d’après le Fichier lexical du TLFQ)

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1899 :“Je watchais surtout deux véreux de sauvages qu’avaient l’air de manigancer

queuque [sic] frime avec not’ foreman.” (La Presse, 23 déc., 2, d’après le Fichier

lexical du TLFQ)

1953 : “A la fin du dîner, aujourd’hui, le foreman a annoncé que les portageux

arriveraient cette semaine […].” (Pierre Dupin, Anciens chantiers du Saint-

Maurice, Trois-Rivières, Editions du Bien public, 108, d’après le Fichier lexical du

TLFQ)

1962 : “Mon père était foreman pour les vieux Price. Il a resté quasiment rien qu’à

Laterrièrre. Il avait deux frères / Raphael et Célestin. Raphaël était marié à une

Morin” (Léo Potvin (coll.), « Mémoires d’un ancien : Pierre Desbiens », dans

Saguenayensia : revue de la Société historique de Saguenay, Chicoutimi, t. 4, n° 6,

125, d’après le Fichier lexical du TLFQ)

Le terme a été pris en compte par la lexicographie québécoise, mais son interprétation

ne pose pas de problèmes spéciaux. C’est pourquoi les articles qui lui sont consacrés dans les

dictionnaires sont assez courts.

Dans le discours métalexical, le mot apparaît depuis 1818 («[sans titre]», dans

L'Aurore, Montréal, 1818 18 avril, 62, 63) (ILQ).

Bbg.

Ditchy, J. K., Les Acadiens louisianais…, 1932 −Bélisle, 1957 − Fichier lexical du TLFQ –

ILQ – TLFi – Ø FEW.

GAGES (subst. fém. pl.)

somme que l’on verse mensuellement ou annuellement pour payer les services d’un

domestique ou d’un ouvrier, salaire

1. “− […] Je gagne de bonnes « gages » là où je suis; je me plais bien.” (71)

2. “− […] La culture ne payait pas comme à cette heure, les prix étaient bas, on

entendait parler de grosses gages qui se gagnaient là-bas [aux Etats-Unis] dans les

manufactures, et tous les ans c’étaient des familles et des familles qui vendaient

leur terre presque pour rien et qui partaient du Canada.” (72)

3. “− Accordeur de pianos, répéta à son tour Samuel Chapdelaine, pénétrant

lentement le sens des mots. Et c’est-il un bon métier ça ? Gagnez-vous de bonnes

gages ?” (145)

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4. “− […] Mais je vous aime, Maria ; je gagne de bonnes gages et je ne prends pas

un coup jamais.” (157)

Expr., loc. et syntagmes

travailler à gages (loc. adv.) être payé à l’heure (DRFTN) → travailleur à gages (loc. nom.)

ouvrier salarié (Fichier lexical du TLFQ, exemple 66) → de bonnes / grosses gages # de

maigres gages (Fichier lexical du TLFQ, exemple 54)

Mots de la même famille

engager37

(vb. trans.) 1. embaucher, recruter, prendre à gages, attacher à son service par un

contrat de travail 2. lier une personne ou son existence par une promesse de fidélité

concernant sa vie sentimentale ou spirituelle, promettre en mariage, fiancer => engagé (adj.)

indiquant le statut de salarié et de subalterne ex. : voyageur engagé (BDLP-Québec)

Rem.

Gages est un nom féminin au Canada alors qu’en français de France il est masculin

(DRFTN).

Etymol. et hist.

En français québécois, la présence du mot s’explique par le maintien de sa forme et de son

sens du français de France (FEW 17, 441b, I., *WADDI), cf. néerl. Wedde, a. all. wetti “gages,

amende”, all. Wette “pari”. Il n’est pas exclu que le lat. vas, vadis “caution” ait pu participer

à la naissance du mot (TLFi).

Gages au sens de “salaire”, “appointement” se rencontre sous diverses formes dans

plusieurs régions dialectales : Dauphiné (gajos), Givet (gâdjes), Haut-Maine (gaige “salaire

annuel d’un domestique”) etc. (FEW).

Il est attesté en Nouvelle-France depuis le XVIIe siècle car il exprime une notion de la vie

courante :

1614 : “ La malheur a voulu que ceste année n'a ressemblé à l'an passé pour le regard de la

pelleterie. Je n'ay peu faire que trois cens septante-sept castors, que je vous envoye avec

cinquante-deux peaux d'orignac. Je vous envoye un mémoire par lequel verrez ce qui

appartient de castors pour le voyage passé et pour celuy-cy; ensemble, ce qui est à moy,

dont vous disposerez. J'ay faict mettre ce que j'ay peu de bois dans le navire. Je vous

envoye les quittances des gages des hommes qui ont hyverné à l'habitation avec moy,

lesquels j'ay payez ou rendus contens, ou peu s'en faut; ensemble, un mémoire pour rendre

compte aux Pères jésuites pour le voyage passé.” (Anonyme, Monumenta Novae Franciae

37

Ce sens est enregistré dans TLFi comme étant spécifique au français québécois.

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T. 1 La première mission d'Acadie (1602-1616), Roma-Québec, Monumenta Historica

Societatis Jesu, Les Presses de l'Université Laval, 372, d’après le Fichier lexical du

TLFQ)

1645 : “Le 17 fut receu a nostre Service chrestiennant à trente escus de gages par an [...].”

(Jérôme Lalemant, Le journal des Jésuites, Québec, Léger Brousseau imprimeur-éditeur,

1871, 7, d’après le Fichier lexical du TLFQ)

1885 : “Les gages pour Québec sont de £ 35 [livres] par mois, avances ordinaires.” (La

Presse, 4 mai, 1, d’après le Fichier lexical du TLFQ)

Dans le discours métalexical québécois, le mot apparaît depuis 1841 ([MAGUIRE

Thomas], Manuel des difficultés les plus communes de la langue française, adapté au jeune

âge et suivi d’un Recueil de locutions vicieuses, Québec, Fréchette et Cie (impr.), 1841, 153)

(ILQ).

Bbg.

Dict. québécois d’aujourd., 1992 − Brasseur, P., DRFTN, 2001 − Ø DRF, 2001 – Fichier

lexical du TLFQ – ILQ – TLFi – FEW.

HABITANT (subst. masc.)

cultivateur, fermier, propriétaire, paysan

“– Il n’a pas envie de garder la terre et de se mettre habitant ? interrogea le père

Chapdelaine.38

(71)

Expr., loc. et syntagmes

beurre d’habitant (loc. nom.) beurre fabriquée à la ferme, artisanalement (BDLP-Québec)

–> pain d’habitant (loc. nom.) pain de confection artisanale, fait à la maison (BDLP-

Québec) –> faire l’habitant agir avec mesquinerie (Clapin)

Mots de la même famille

s’habiter (vb. pron.) s’installer (DRFTN)

Rem.

Le mot habitant est archi-connu en français colonial et s’est perpétué dans les îles et

en français d’Amérique.

Etymol. et hist.

38

Dans les passages narratifs, Hémon emploie le mot cultivateur : “ […] [il] n’avait quitté la campagne que

pour faire ses études de médecine à Québec, parmi d’autres garçons semblables à lui pour la plupart, petit-fils

sinon fils de cultivateurs, qui avaient tous gardé des manières frustes de villageois et le lent parler héréditaire.”

(180)

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Le nom est un héritage de France inventorié dans le TLFi comme “régionalisme” au

sens de “paysan”, “cultivateur”39

Ce sens était attesté dans le français du XVIIe siècle. Il est

attesté en Nouvelle-France à partir du XVIIe siècle :

1665 : “[...] le tempérament que l'on y pourroit apporter seroit, par exemple, qu'un

habitant qui auroit une concession pour 500 arpens de terre dont il n'auroit défriché

que 50 arpens, en abbandonneroit cent arpens au nouveau François qui viendroit

s'habituer au pays; à quoy s'il s'opposoit, on pourroit mesme le menacer de luy oster

toutes celles qu'il n'auroit pas encore mises en culture, et effectivement en cas de

besoin, il sera expédié une déclaration pour estre enregistrée aud. Conel Souverain

de Québec, portant que lesd. habitans seront obligez de défricher toutes les terres qui

leur ont esté concédées [...].” (Jean Talon, «Correspondance échangée entre la cour

de France et l'intendant Talon pendant ses deux administrations dans la Nouvelle-

France», dans Rapport de l'archiviste de la province de Québec pour 1930-1931,

[Québec], Rédempti Paradis, 1931, 8, d’après le Fichier lexical du TLFQ)

Sylva Clapin affirme dans son dictionnaire qu’une explication très intéressante du mot

habitant est donnée par les chasseurs d’animaux à fourrures. Ceux-ci disent qu’un animal

devient habitant lorsqu’il tend à se fixer dans un certain endroit et quand il manifeste un

retour à des habitudes relativement régulières. Il s’agit ici d’un sens secondaire du mot

habitant.

Habitant se dit également dans les zones acadiennes et en Louisiane (BDLP-Louisiane).

Dans la zone de l’Océan Indien et dans les Caraïbes, on emploie la variante zhabitant

(BDLP-Louisiane et Réunion). En Suisse, le mot habitant désigne une personne simple, qui a

le droit de résider dans une commune moyennant bon comportement et payement d’une taxe

(FEW).

Le mot apparaît pour la première fois dans le discours métalexical québécois en 1818

(Anonyme, «Un solitaire, n° 3», dans L'Aurore, Montréal, 1818, 5 déc., 2) (ILQ).

Bbg.

Clapin, 1894 – Bélisle, 1957 – Brasseur, P., DRFTN, 2001 – Ø DRF, 2001– BDLP-Québec,

Louisiane et Réunion – Fichier lexical du TLFQ – ILQ – TLFi − FEW.

39

FEW 4, 369a, I.1.a, HABITARE.

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HEURE (subst. masc.)

(dans la loc. adv. à cette heure) maintenant, de nos jours (par rapport à un moment passé)

“Maria est bien capable et pour le reste aussi […]. Elle n’est plus une petite fille à

cette heure.”40

(172)

Expr., loc. et syntagmes

heures de bureau (loc. nom.) période pendant laquelle un médecin, un avocat est disponible

pour recevoir des patients (BDLP-Québec)

Etymol. et hist.

La locution adverbiale à cette heure présente dans le texte de Louis Hémon a aussi les

formes graphiques asteur et astheure41

(BDLP-Acadie et Louisiane). Elle est un héritage de

France qui se rencontre encore dans les régions suivantes : Yvelines, Nord, Pas-de-Calais,

Picardie, Normandie, Indre-et-Loire, Bretagne, Mayenne, Sarthe, Maine-et-Loire, Eure-et-

Loire, Loire-et-Cher, Champagne, Ardennes, Lorraine (DRF).

En français Nouvelle-France, elle est attestée à partir du XVIIe siècle :

1639 : “Nous avons tous ressenti le mal de la mer ; mais cela n'est rien : Nous

sommes à cette heure dans une aussi bonne disposition que si nous étions dans notre

Monastère.“ (Marie Guyart, Marie de l'Incarnation Ursuline (1599-1672):

correspondance, nouv. éd. par Dom Guy Oury, Solesmes, Abbaye Saint-Pierre, 1971,

86, d’après le Fichier lexical du TLFQ)

Dans le discours métalexical, à cette heure est attestée depuis 1879 (BIBAUD

[Maximilien], Le mémorial des vicissitudes et des progrès de la langue française en Canada,

Montréal, J.-B. Byette, 1879, 4) (ILQ).

Bbg.

Bélisle, 1957 – DRF, 2001 – BDLP-Québec, Acadie et Louisiane – Fichier lexical du TLFQ –

ILQ – TLFi – FEW.

40

Dans les passages narratifs, Hémon emploi l’adverbe maintenant : “Ils auraient su dire tout cela avec chaleur

quelques mois plus tôt….Maintenant ils ne pouvaient guère qu’esquisser une moue évasive.” (147) 41

Asteure / steur est enregistré depuis le moyen français et est largement répandu dans les parlers d’oïl (FEW 4,

468ab, I.2.α, HORA). Il est considéré comme populaire, vieilli ou régional (TLF 9, 813b) ou encore vieilli ou

rural. Il est bien attesté au Canada, Louisiane aussi bien que dans les créoles français. Steure, par aphèrese, a

également été noté à l’Ile-du-Prince-Edouard (DRFTN).

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JOB (subst. fém. et masc.)

travail, tâche (souvent difficile)

“- Et à l’automne je suis sûr de trouver une job comme foreman dans un chantier, avec

de grosses gages.” (85)

Rem.

En français de France, le mot job est toujours masculin (TLFi).

Mots de la même famille

jobbable (adj.) qu’on peut entreprendre à forfait (GPFC) => jobbage (subst. masc.) action de

jobber (GPFC) => jobber (vb. trans., intrans.) 1. entreprendre un ouvrage à forfait ; 2. faire

négligemment un ouvrage (GPFC) => jobbeur (subst. masc.) 1. celui qui entreprend un

ouvrage à forfait ; 2. spéculateur qui achète en gros des marchandises pour les revendre aux

détaillants ; 3. ouvrier à la tâche ; 4.ouvrier typographique employé aux ouvrages de ville

(GPFC)

Etymol. et hist.

Job [djOb] est un emprunt direct au mot anglais de même forme, prononcé

[djAb], avec adaptation phonétique ([A] > [O]).

Job au sens présent dans le roman Maria Chapdelaine est attesté dans le Fichier

lexical depuis 1912 :

“C'est ben de valeur, une si belle «job» à l'année, pas de temps de perte!” (La Presse,

2 nov. 1912, 4)

A part le sens présent dans le roman de Louis Hémon, job peut avoir aussi les sens

suivants :

1. entreprise, affaire

obtenir une bonne job “obtenir une bonne entreprise” (GPFC);

frapper une job “trouver une affaire” (GPFC);

2. forfait

travailler à la job “travailler à forfait ou à la pièce” (GPFC);

3. occasion, solde de marchandises

vendre des jobs “faire une vente en solde” (GPFC);

4. entreprise véreuse, tripotage42

monter une job “monter une entreprise véreuse”(GPFC).

42

Ces sens ne figurent pas dans le TLFi.

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Le mot entre aussi dans la structure de la locution adverbiale à la job “sans soin” :

Cet ouvrage ne vaut rien, c’est fait à la job. (GPFC).

Le mot job apparaît pour la première fois dans le discours métalexical québécois en 1860

([GINGRAS J.-F.], Recueil des expressions vicieuses et des anglicismes les plus fréquents,

Québec, E.-R. Fréchette (impr.), 1860, 22) (ILQ).

Bbg.

SPFC, GPFC, 1930 – Bélisle, 1957 – Fichier lexical du TLFQ – ILQ – TLFi – Ø FEW.

MISÈRE (subst. fém.)

1. difficulté, peine

1. “Mais il n’a fait que rire d’eux et leur dire qu’il était accoutumé dans le bois, qu’un

peu de misère ne lui faisait pas peur, parce qu’il était décidé d’aller en haut du lac

pour les fêtes.” (125)

2. “− […] j’en connais qui se sont mis à pleurer quand on leur a dit qu’ils pouvaient

s’en retourner chez eux, parce qu’ils pensaient qu’ils allaient trouver tout le monde

mort, tant ça leur avait paru long. Ça c’était de la misère.” (68)

3. “Dans les villes on se moque de ces choses-là ; mais ici vous n’avez pas la défense

contre elles et elles vous font mal ; sans compter les grands froids, les mauvais

chemins […]. C’est de la misère, de la misère, de la misère du commencement à la

fin.”(151)

4. “ Mais il n’a fait que rire d’eux et leur dire qu’il était accoutumé dans le bois, qu’un

peu de misère ne lui faisait pas peur, parce qu’il était décidé d’aller en haut du lac

pour les fêtes, et que là où les sauvages passaient lui passerait bien.”(125)

2. avoir de la misère avoir de la peine

1. “−A cinq hommes, dit Eutrope, on fait gros de terre en peu de temps. Mais quand

on travaille seul comme moi, sans cheval pour traîner les grosses pièces, ça n’est guère

d’avance et on a de la misère.“ (67)

2. “−J’ai eu des nouvelles par Ferdinand Larouche, un garçon de Thadée Larouche de

Honfleur, qui est revenu de la Tuque le mois dernier. Il a dit que ça [la drave] allait

bien ; les hommes n’avaient pas trop de misère.” (67)

3. “− De la misère, s’exclama Légaré avec mépris. Les jeunes d’à présent ne savent

pas ce que c’est que d’avoir de la misère.” (68)

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4. “[…] Plusieurs familles de sauvages étaient déjà descendues à Sainte-Anne de

Chicoutimi et on n’a pas pu les voir ; et pour finir, ils ont chaviré un des canots à la

descente en sautant un rapide et nous avons eu de la misère à repêcher les pelleteries

sans compter qu’un « boss » a manqué de se noyer, celui qui avait eu des fièvres.” (76)

5. “− […] Voyez-vous, quand un garçon a passé six mois dans le bois à travailler fort

et à avoir de la misère et jamais de plaisir, et qu’il arrive à la Tuque ou à Jonquière

avec toute la paye de l’hiver dans sa poche, c’est quasiment toujours que la tête lui

tourne un peu.” (83)

6. “ Là où les arbres sont pas mal drus on ne sent pas le vent. Je te dis qu’Esdras et Da’

Bé n’ont pas de misère.” (105)

7. “− […] Qu’il n’ait pas de misère dans le bois …” (105)

Rem.

Les sens communs du nom misère en français québécois et en français de France

sont: (1) état d’extrême pauvreté et (2) ensemble de gens qui vivent dans la misère (TLFi).

L’expression avoir de la misère à est caractéristique pour le Québec. En français de

France on exprime respectivement le même sens par les expressions : avoir de la peine, avoir

de la difficulté, avoir du mal à etc.

Etymol et hist.

L’emploi du mot misère pour “peine”, “difficulté” est une particularité du français

québécois par rapport au français de France. Le sens se rencontre aussi dans certains dialectes

de l’ouest de la France43

, ce qui nous donnerait la possibilité d’interpréter son évolution au

Canada comme étant due au maintien d’un sens d’un parler régional de France.

Le même sens existe en créole de Guadeloupe, en Louisiane et à Terre-Neuve44

.

Misère (FEW 6/2, 169ab, MISERIA) entre aussi dans la structure chercher misère à

qqn “faire des misères à qqn”, qui est caractéristique pour la Belgique francophone (TLFi).

A part le roman Maria Chapdelaine qui offre déjà beaucoup de contextes illustratifs,

l’expression apparaît aussi chez d’autres écrivains canadiens à partir du XVIIIe siècle :

1752 : “Je luy donné tous les Ecclaircissements qui dependoient de moy, après quoy

nous nous separames. J’arrivé apres avoir Eu bien de la misere à Montreal le [il

manque cette partie]45

et j’arrivé le [il manque cette partie]46

à Québec, ou jay Eu

l’honneur de faire ma Reverence tres humble à Monsieur le Marquis DuQuesne et de

43

v Patrice Brasseur, DRFTN et FEW (avoir de la misère “avoir de la peine à faire qqch.” est attesté à Jonne). 44

v. Patrice Brasseur, DRFTN. 45

La notice appartient aux auteurs du Fichier lexical. 46

v. la notice antérieure.

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luy remettre le présent journal signé le Gardeur de St. Pierre. [sic]” (Jacques

Repentigny, « Mémoire ou journal sommaire du voyage de Jacques Repentigny

Legardeur de Saint Pierre […] chargé de la découverte de la Mer de L’Ouest », dans

Rapport sur les archives canadiennes, 1886, Ottawa, Imprimerie Maclean, CLVI−

CLVXIII, 1887, d’après le Fichier lexical du TLFQ)

1934 : “Dans ce temps-là on mangeait du pain fait avec de la farine de grain qui avait

gelé. C’était des petits pains de 7 pouces ; c’était collant, on avait toutes les misères à

le manger. On en a eu de la misère ! Malgré tout c’était bon avec tout ça ; on

ramassait des bleuets, des fraises et des framboises, on faisait la chasse ; il fallait dire

qu’on était bien.” (Victor Tremblay, Saguenayensia : revue de la Société historique du

Saguenay, 1959, Chicoutimi, Société historique du Saguenay, d’après le Fichier

lexical du TLFQ)

1962 : “Une fois, il y en avait un qui avait de la misère et qui jurait. Je pars pour lui

aider ; je revire de bord et m’en reviens, puis je retourne.” (V. Tremblay

(collecteur), « Mémoires d’un vieillard : Alex Gagnon », dans Saguenayensia : revue

de la Société historique de Saguenay, Chicoutimi, t. 4, n° 1, 18-19, d’après le Fichier

lexical du TLFQ)

1989 : “Est-ce que les mouches ont des soucis comme nous ? s’interrogeait l’enfant.

Est-ce qu’elles ont parfois de la misère à dormir ?” (Yves Beauchemin, Juliette

Pomerleau, Montréal, Editions Québec/Amérique, 656, d’après le Fichier lexical du

TLFQ)

A part les deux expressions qui apparaissent dans notre corpus à analyser, misère

représente le noyau de deux autres expressions assez fréquentes en français québécois qui

apparaissent aussi en français de France (TLFi) :

− faire des misères47

“causer de la peine, du tourment” :

1895 : “− Or dans cette entrevue vous l’avez informé que vous alliez lui faire des

misères ?

− Il me dit qu’il était magané, je venais de donner au collecteur, M. Adam,

l’action, c’était malaisé de ne pas déclarer mon intention, j’ai dit que j’allais le

poursuivre.” (Archives Nationales du Québec, 6 février, 9, d’après le Fichier lexical

du TLFQ)

47

Cette expression appartient au registre familier.

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1962 : “C’était un vrai bel homme. Il les ont rejoints à La Malbaie ou à la Baie

Saint-Paul. Quand il l’a ramenée il leur a dit que, puisqu’ils voulaient faire des

misères, ils pouvaient la garder sans crainte, qu’elle était encore fille. Mais ils les

laissèrent se marier. C’est là que j’ai été marraine.” (Catherine Villeneuve −

collectrice, « Mémoires d’une ancienne Madame Ligori Bergeron », dans

Saguenayensia : revue de la Société historique du Saguenay, Chicoutimi, t. 4, n° 2,

32-34, d’après le Fichier lexical du TLFQ)

−manger de la misère “subir des épreuves, avoir du mal à se tirer d’affaires” :

1932 : “Les temps sont trop durs. Ça veut pas dire qu’un homme courageux, qu’a

pas peur de travailler, pourrait pas réchapper sa vie. Non ; ça veut pas dire ça ! Il y

a toutes sortes de colons. Les uns réussissent où d’autres font rien de bon. […] En

tout cas, j’aimerais mieux en arracher un peu, indépendant sur mes lots, qu’être

sans travail à Montréal et manger de la misère.” (Harry Bernard, Dolorès,

Montréal, Editions Albert Lévesque, 223, d’après le Fichier lexical du TLFQ)

1994 : “J’ai de quoi être fier, j’en ai mangé de la misère, à tout bout de champ

dérangé, torturé, par les ouvriers des portes et châssis. Ils travaillent à l’heure et il

manquait toujours une bricole.” (Réjean Ducharme, Va savoir, Paris, Gallimard,

80, d’après le Fichier lexical du TLFQ)

L’expression avoir de la misère fait pour la première fois l’objet d’un commentaire

métalexical au Québec en 1880 (GINGRAS J.-F., Manuel des expressions vicieuses les plus

fréquentes, 3e édition, Ottawa, Imprimerie MacLean, Roger et Cie, 1880, 35) (ILQ).

Bbg.

SPFC, GPFC, 1930 − Ditchy, J.K., Les Acadiens louisianais…, 1932 − Naud, Chantal, Dict.

des rég. du fr. parlé des Iles- de- la-Madeleine, 1999 − Brasseur, P., DRFTN, 2001 – Fichier

lexical du TLFQ– ILQ − TLFi −FEW.

MOCASSIN (subst. masc.)

chaussure plate, de marche ou de sport, en peau très souple (souvent en daim ou en

maroquin), cousue sur le dessus, imitée de celle des Indiens de l’Amérique du Nord :

“Des jeunes gens du village, très élégants dans leurs pelisses à col de loutre, parlaient

avec déférence au vieux Nazaire Larouche, un grand homme gris aux larges épaules

osseuses, qui n’avait rien changé pour la messe à sa tenue de tous les jours ; vêtement

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de mouton, culottes rapiécées et gros bas de laine grise dans des mocassins en peau

d’orignal.” (12)

“ […] sa mère cousait des lacets neufs à de vieux mocassins en peau d’orignal.” (111)

Rem.

En général, la forme ayant le sens présent dans le roman Maria Chapdelaine est

employée au pluriel (mocassins). Le mot est enregistré aussi dans le TLFi, mais par référence

à des contextes québécois (la citation qui doit illustrer le terme est extraite du roman Maria

Chapdelaine, la première attestation est enregistré dans Hist. de la Nouvelle France de M.

Lescarbot, t. 4, chap.6 ds KÖNIG,147). Dans le même dictionnaire on fait la précision que,

chez Chateaubriand (Atala, éd. A. Weil, 1950 [1801], 63), on rencontre aussi la variante

féminine mocassine.

Encycl.

Le mocassin communément appelé soulier mou autrefois au Québec est la chaussure

d’hiver par excellence, surtout pour le marcheur à la raquette. Il possède trois précieuses

qualités : la souplesse, la légèreté et la chaleur. Depuis quelques temps on le fabrique à

l’épreuve de l’eau, ce qui mérite qu’on lui attribue le quatrième qualificatif d’imperméable.48

Etymol. et hist.

Mocassin49

est un emprunt à l’algonquien makasin / mokissin / mockisin, / mekesen

(makisin, v. Joseph E. Guinard) par l’intermédiaire de l’anglais mocassin (TLFi).

Dans le Fichier lexical, le mot est attesté depuis 1861:

“ Quand je m'approchai de sa cabane il [le chef maléchite] était debout en pein air :

sa grande et belle stature se dessinait dans le ciel bleu, sur le rebord du coteau

qu'occupait le campement; sa noble tête était nue à la brise et sa longue chevelure,

encore noire, malgré son âge, flottait avec majesté sur ses larges épaules : il portait

un ample capot de drap bleu, noué sous la gorge avec des larges agrafes d'argent

tant aimées des Sauvages : ses jambes, encore solides alors, étaient enveloppées de

mitasses blanches et noires, tombant avec une grâce sévère sur ses mocassins

brodés.” (Joseph-Charles Taché, «Trois légendes de mon pays ou l'Évangile

ignoré, l'Évangile prêché, l'Évangile accepté», dans Les Soirées canadiennes,

Québec, t. 1, 22) ;

48

Ces informations sont un résumé de la rubrique consacré au mot mocassin dans le livre de Joseph E. Guinard,

Les noms indiens de mon pays, Montréal, Rayonnement, [1960]. 49

FEW, 20, 73a, MOCKASIN.

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1885 : “En hiver, elle se chaussait d'un mocassin noir, en été d'un soulier que

Cendrillon eut eu de la peine à mettre.” (André-Napoléon Montpetit, «Chefs hurons:

Odilonroasti-Odasio-Athatuistrari», dans La Presse, Montréal, t. I, n° 235, 3, d’après

le Fichier lexical du TLFQ)

1967 :“Autre contribution du fleuve [Saint-Laurent] : la peau d'anguille en guise de

ruban pour nouer la chevelure sur la nuque, à la mode d'alors. Sans contact avec les

Esquimaux, ils [les Canadiens] en ignoraient les incomparables bottes en peau de

loup-marin d'une étanchéité remarquable, mais ils chaussèrent le mocassin algique en

peau de cerf (chevreuil au Canada) ou d'orignal, qui fournissaient aussi la babiche, une

lanière aux usages divers.” (Jacques Rousseau, «Pour une esquisse biogéographique

du Saint-Laurent», dans Cahiers de géographie de Québec, Québec, t. 11, n° 23, 181-

241, d’après le Fichier lexical du TLFQ)

Le mot apparaît dans le discours métalexical québécois depuis 1879 (BIBAUD

[Maximilien], Le mémorial des vicissitudes et des progrès de la langue française en Canada,

Montréal, J.-B. Byette, 1879, 56) (ILQ).

Bbg.

Bélisle,1957 – Joseph E. Guinard, Les noms indiens… – Dict. québécois d’aujourd., 1992 −

Brasseur, P., DRFTN, 2001 – Fichier lexical du TLFQ – ILQ – TLFi.

OUVRAGE (subst. masc., fém.)

travail, au sens général d’activité humaine en vue d’obtenir quelque chose

“ A quatre hommes bons sur la hache et qui n’ont pas peur de l’ouvrage, ça marche

vite, même dans le bois dur.” (39)

Rem.

L’emploi au féminin, bien représenté dans les parlers dialectaux de France, est

aujourd’hui populaire ou plaisant en français de France (DRFTN, Bélisle).

Etymol. et hist.

Ouvrage est un héritage de France (FEW 7, 362a, OPERA) qui se rencontre aussi en :

Anjou, Berry, Nivernais, Normandie, Orléanais, Picardie et en Suisse (GPFC).

En Nouvelle-France, il est attesté dans les corpus littéraires à partir du XVIIe siècle :

1663 : “Ce liberal Sauvage protecteur des François, ne cessoit de se loüer des presens

qu'on luy avoit faits, entr'autres, d'un beau colier de pourceline travaillé par les mains

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des Meres Ursulines, avec des gentillesses, & des ornemens qui agreent, & qui

ravissent ces peuples; sur tout, quand on leur dit, que c'estoit l'ouvrage de celles qui

n'ont pas eu peur de passer la mer, pour eux, & pour l'instruction de leurs petites

filles, qu'elles attendent à Kebec quand ils les voudront envoyer: que s'ils veulent y

aller eux mesmes, ils y trouveront encor d'autres filles saintes (c'est ainsi qu'ils

nomment les Religieuses) qui les recevront en leurs maladies dans un grand Hospital

basty pour eux, & leur rendront les mesmes services, que les Hospitalieres de

Montreal ont rendu tout fraischement à quelques uns de leur nation.“ (Jérôme

Lalemant, The Jesuit Relations and Allied Documents. Travels and Explorations of

the Jesuit Missionaries in New France, ed. Reuben Gold Thwaites, Cleveland,

Burrows Brothers Company, t. 47, 1899, d’après le Fichier lexical du TLFQ)

Le mot apparaît pour la première fois dans le discours métalexical en 1841

([MAGUIRE Thomas], Manuel des difficultés les plus communes de la langue française,

adapté au jeune âge et suivi d'un Recueil de locutions vicieuses, Québec, Fréchette et Cie

(impr.), 1841, 153) (ILQ).

Bbg.

Bélisle, 1957 – Brasseur, P., DRFTN, 2001– Fichier lexical du TLFQ – ILQ – TLFi – FEW.

PIASTRE (subst. fém.)

dollar canadien ou américain

1. “Un « foreman » à trois piastres par jour ? c’est le bonhomme Laliberté…” (14)

2. “Vingt-cinq cents ! cria un jeune homme par dérision.

− Cinquante cents !

− Une piastre.

− Ne fais pas le fou, Jean. Ta femme ne te laissera pas payer une piastre pour ce

cochon-là.

Jean s’obstina.

−Une piastre. Je ne m’en dédis pas.” (15)

3. “C'est-à-dire que pour un salaire de vingt piastres par mois il s’attelait chaque jour

de quatre heures du matin à neuf heures du soir à toute besogne à faire. […]” (55)

4. “[…] Mais un homme seul se nourrit sans grande dépense, et puis votre frère Egide

va revenir de la drave avec deux, trois cents piastres pour le moins, en temps pour les

foins et la moisson.” (67)

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5. “ − […] Je vais travailler toute l’été à deux piastres et demie par jour et je mettrai

de l’argent de côté, certain.” (83)

6. “− Et à l’automne je suis sûr de trouver une « job » comme foreman dans un

chantier, avec de grosses gages. Au printemps prochain j’aurai plus de cent piastres

de sauvée, claires, et je reviendrai.” (84)

7. “ − […] L’hiver d’après je monterai aux chantiers avec un cheval et je reviendrai au

printemps avec pas moins de deux cents piastres dans ma poche, clair. Alors, si vous

aviez bien voulu m’attendre, ça serait le temps…” (163)

Expr., loc. et syntagmes

faire la piastre (loc. verb.) gagner beaucoup d’argent, faire un bon profit (BDLP-Québec) →

ça vaut 100 piastres (loc. verb.) cela en vaut la peine (BDLP-Québec) → c’est avec des

sous, des cents qu’on fait des piastres (proverbe) en accumulant de petites choses on en bâtit

des grandes, on s’enrichit (BDLP-Québec) → cent, dix cents dans la piastre (loc. adv.) cent,

dix pour cent de la valeur estimée (BDLP-Québec) → payer, donner cent, mille piastres

pour voir qqn, pour faire qqch. (loc. verb.) tenir absolument à voir qqn, à faire qqch.

(BDLP-Québec) → ne pas manquer qqch. pour cent piastres (loc. verb.) ne pas manquer

qqch. pour rien au monde (BDLP-Québec) → question à cent piastres (loc. nom.) question

dont la réponse est difficile, impossible à trouver (BDLP-Québec) → mot à une piastre et

quart (loc. nom.) mot savant, trop recherché (BDLP-Québec) → comme un cheval de

quatre piastres (loc. adv.) (en parlant de qqn) comme un vieux canasson (BDLP-Québec) →

avoir les yeux grands comme des piastres (loc. verb.) avoir les yeux grands ouverts

(d’étonnement, d’admiration, etc.) (BDLP-Québec) → pour une poignée de piastres (loc.

prép.) pour pas cher (BDLP-Québec) → être à la piastre (loc. verb.) être à l’argent

(québécisme), être très économe (BDLP-Québec) → faire la piastre (fam.) se faire de

l’argent, gagner beaucoup d’argent (BDLP-Québec) → faire la piastre (loc. verb.) se faire de

l’argent, gagner beaucoup d’argent, à gagner (BDLP-Québec) → avoir les yeux en signe de

piastre (loc. verb.) ne penser qu’à l’argent, ne voir que l’argent, le gain possible (BDLP-

Québec) → avoir un signe de piastre à la place du cœur (loc. verb.) faire passer l’argent

avant ses sentiments, avant les considérations humaines (BDLP-Québec) → question de sous

et de piastres (loc. nom.) question d’argent (BDLP-Québec)

Mots de la même famille

baise-la-piastre (subst. masc., adj.) (fam.) (personne) avare, qui fait passer l’argent avant

d’autres considérations (BDLP-Québec)

Rem.

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La variante graphique piasse est très fréquente au Canada (Dict. québécois

d’aujourd.).

Encycl.

Au XVIIe siècle, la piastre espagnole circule un peu partout en Europe et en Amérique

du Nord. On la retrouve aussi en Nouvelle-France, en dépit des réticences des autorités.

La piastre y valait environ quatre livres françaises. À la suite de la Conquête, la piastre

se fixe au taux de cinq chelins (shillings), ou six livres françaises, soit 120 anciens sous, après

quelques années de fluctuation.

Dans la première moitié du XIXe siècle, la piastre tient généralement lieu de monnaie

de compte dans les transactions, mais il y a de moins en moins de pièces d'argent pour

représenter cette unité monétaire. L'utilisation de la monnaie de papier émise par les banques

(et même par des particuliers) est de plus en plus courante.

C'est à partir de 1851 que les autorités tentent d'introduire par législation un système

monétaire décimal calqué sur le modèle du dollar américain, d'où les premières attestations de

piastre au sens de “unité monétaire divisée en cent centins”.

Par l'Acte concernant le cours monétaire qui entre en vigueur en 1858, l'ancien

système britannique (louis, chelin et denier) continuera d'avoir cours parallèlement au

nouveau système décimal (piastre, centin et millin) dans le Haut et le Bas-Canada. Le

symbole $ apparaît dans les documents en français pour représenter la piastre dans les années

1850 (au départ souvent utilisé en plus du mot piastre écrit en toutes lettres), mais il était déjà

couramment employé pour l'équivalent anglais dollar qui référait tantôt à la piastre

espagnole, tantôt au dollar américain, comme en font foi les billets de l'époque.

Le mot piastre prend donc à cette époque une valeur officielle (désignation de l'unité

monétaire canadienne), s'ajoutant aux divers emplois que le mot connaissait.

On l'utilisait déjà jusque là en effet non seulement pour parler de la monnaie

espagnole, mais aussi en parlant de pièces d'argent de valeur équivalente frappées en

Angleterre et en France.50

Etymol. et hist.

Le mot piastre (FEW 3, 223a, III. 2, EMPLASTRUM) est attesté en France depuis 1595.

Il est relevé dans les dictionnaires français depuis Cotgrave 1611 et, de façon plus précise,

50

Ces paragraphes résument les idées de la rubrique encyclopédique du mot piastre de la BDLP-Québec.

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depuis Trévoux 1771 (“monnoie d'argent qui vaut un écu [...]. Il y a des piastres [...] que l'on

appelle piastres du Pérou ; d'autres [...] piastres Mexicaines”)51

.

Dans le Fichier lexical, le mot piastre apparaît depuis 1700 :

“pour une piastre que ie [sic] Luy ay donnée au Saut a la puce... 4 [livres].” (Archives

du Petit Séminaire de Québec, Québec, 715)

A part le sens présent dans le roman Maria Chapdelaine, piastre a encore les acceptions

suivantes :

1. pièce d'argent frappée en Espagne, puis dans les colonies espagnoles d'Amérique (Mexique,

Pérou, etc.), qui a cours au Canada dès le XVIIe siècle et qui, sous le Régime anglais, vaut

généralement 120 anciens sous (BDLP-Québec):

1681 : [...] il a été apporté en ce pays quantité de monnoies étrangères comme réaux,

piastres et autres de toutes façons, qui sont pour la plupart légères [ne pesant pas leur

poids d'or ou d'argent], ce qui cause une très grande perte à ceux qui sont obligés d'en

recevoir, pourquoi les marchands les refusent [...], attendu le pressant besoin que les

réaux et piastres, et même toute monnoie étrangère tant d'or que d'argent, soient prises

aux poids selon leur prix [...] et que les dits réaux ou piastres du poids de vingt-un

deniers trébuchant, soient pris en ce pays pour trois livres, dix-neuf sols un denier [...].

(Décret du Conseil supérieur, cité dans A. Shortt (éd.), Documents relatifs à la

monnaie, au change et aux finances du Canada sous le Régime français, t. 1, 1925,

50, d’après le Fichier lexical du TLFQ)

2. pièce d'argent frappée en Angleterre (par ex. la couronne) ou en France (par ex. l'écu), de

même valeur environ que la piastre espagnole (BDLP-Québec) :

1865 : “Il y avait cinquante louis [« livres anglaises »] en or ; c'étaient des pièces d'or

de $5 [dollars américains] ; il a remarqué qu'il y avait des aigles sur ces pièces. Il y

avait aussi dans cette boîte dix à onze piastres françaises. Il y avait cent quarante

piastres en trente sous, en rouleaux de $10. Il y avait aussi $150 en argent monnayé, de

diverses descriptions ; cette somme n'était pas en rouleau, mais avait été mise pêle-

mêle dans la boîte.” (Montréal, dans Procès de Barreau, 18, d’après le Fichier lexical

du TLFQ)

3. (du milieu du XVIIIe siècle jusqu'au début du XIX

e) mesure de poids pour des objets en

argent (vases précieux, couverts, ustensiles de cuisine), prenant la pièce de monnaie comme

référence (BDLP-Québec) :

51

Ces paragraphes résument les informations trouvées dans la rubrique étymologique du mot piastre de la

BDLP-Québec.

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1810 : “Un petit vase aussi d'argent fait en forme d'une petite écuelle à oreilles pour

recevoir les quêtes faites dans l'Eglise a couté huit piastres et a pesé cinq piastres et

deux chelins.” (L'Islet, ANQQ, fonds J. Panet, 2 janvier, 9, d’après le Fichier lexical

du TLFQ)

4. argent (par extension du sens premier), montant indéterminé d’argent (BDLP-Québec) :

1866 : “L'erreur de mon huissier me coûta quelques piastres que je ne regrettai guère ;

j'avais ri pour mon argent, et mes amis en avaient profité.” (Ph. Aubert de Gaspé,

Mémoires, 330, d’après le Fichier lexical du TLFQ)

Le mot a été pris en compte par les ouvrages de lexicographie québécoise. La BDLP-

Québec lui consacre un vaste article. Dans le discours métalexical, il est attesté depuis 1841

(MAGUIRE Thomas, Manuel des difficultés les plus communes de la langue française,

adapté au jeune âge et suivi d'un Recueil de locutions vicieuses, Québec, Fréchette et Cie

(impr.), 1841, 63) ( ILQ).

Bbg.

Dict. québécois d’aujourd., 1992 – BDLP-Québec – Fichier lexical du TLFQ – ILQ − TLFi.

PLACE (subst.fém.)

localité, bourg, ville

“C’est drôle […] comme chacun a du mal à se contenter. En voilà trois qui ont quitté

leurs places et qui sont venus de loin […].” (159)

Expr., loc. et syntagmes

à des places (région. Canada) par endroits, à certains endroits (TLFi) => prendre place (loc.

verb.) se passer, arriver (BDLP-Louisiane) => ne pas avoir de place (loc. verb.) être déplacé,

malvenu (BDLP-Louisiane)

Mots de la même famille

nulle-place (loc. adv.) nulle part (BDLP-Louisiane)

Etymol. et hist.

Le nom place (FEW 9, 37ab, 38a, I, PLATEA) au sens illustré dans le roman Maria

Chapdelaine est attesté en Nouvelle-France depuis le XVIe siècle :

1538 : “Et tout incontinent revyndrent plusieurs [femmes] qui apporterent chacune une

natte carree en façon de tapisserie et les estandirent sus la terre au meilleu de ladite

place et nous firent mectre sus icelles. Apres esquelles choses fut apporté par neuf ou

dix hommes le roy et seigneur du pays qu'ilz appellent en leur langue agouhanna

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lequel estoit assiz sus une grande peau de serf et le vindrent poser dedans ladite place

sus lesdites nattes aupres du cappitaine en faisant signe que c'estoit leur seigneur.

Cestuy agouhanna estoit de l'aige d'envyron cinquante ans et n'estoit poinct mieulx

acoustré que les aultres fors qu'il avoyent alentout de sa teste une maniere de liziere

rouge pour sa couronne faicte de poil d'herisson et estoit celluy seigneur tout percluz

et malade de ses membres.” (Jacques Cartier, Relations, éd. critique par Michel

Bideaux, Montréal, Les Presses de l'Université de Montréal, 1986, 155, d’après le

Fichier lexical du TLFQ).

Le fait que le sens présent chez Louis Hémon est attesté dans le Fichier lexical depuis

1538 démontre qu’il est un anglicisme de maintien qui s’est maintenu dans la variété

québécoise grâce aussi au mot anglais place”. Cette opinion est renforcée par l’existence du

mot en moyen français (place “terrain où se trouvait une maison”) et dans quelques régions :

Aveyron (place “métairie”), Percy (place “ensemble des bâtiments d’une ferme”), Pont-

Audemer-Eure (place “ensemble d’une propriété”) (FEW).

A part le sens de Maria Chapdelaine, place a aussi les acceptions suivantes :

1. propriété, terrain (maison, ferme)” :

1949 : “Paul a acheté une place auras [sic] Pont-Breaux.” (E.T. Voorhies, A glossary

of variants from Standard French in St. Martin's Parish, Louisiana followed by some

of the folklore of the parish, d’après BDLP-Louisiane);

2. plancher (BDLP-Louisiane) ;

3. pièce, chambre52

(BDLP-Louisiane) ;

1932: “Son logement est composé de trois places.” (J. Ditchy, Les Acadiens

louisianais et leur parler, 166, d’après BDLP-Louisiane)

En français de France, place a plusieurs acceptions qui se rencontrent aussi au Québec :

1. emploi rétribué (souvent modeste, notamment en parlant du personnel de maison), poste,

situation, travail, job

“Ce n'est pas une place pour vous, Maria. Le pays est trop dur, et le travail est dur

aussi: on se fait mourir rien que pour gagner son pain. Là-bas, dans les

manufactures, (...) vous auriez vite fait de gagner quasiment autant que moi...”

(Maria Chapdelaine, 1916, 181)

2. partie d’espace qu’on occupe ou qu’on peut occuper, endroit, lieu :

“place libre”, “place vacante” ;

52

Ce sens se rencontre aussi en Belgique (TLFi).

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“prendre beaucoup / peu de place” ;

3. lieu où une personne se trouve

“demeurer, rester à la même place” ;

4. emplacement aménagé, destiné à une fonction particulière

“voiture à quatre places” ;

5. emplacement, siège réservé dans un lieu public tel qu’une salle de spectacle, un stade ou

dans un moyen de transport en commun

“place d’avion” ;

6. rôle assigné à quelqu'un ou à quelque chose dans un ensemble hiérarchisé ou structuré

“la première, la dernière place” ;

7. situation, position ou disposition de quelque chose ou de quelqu'un par rapport à un

ensemble

“une place pour chaque chose et chaque chose à sa place” ;

8. rang obtenu par un étudiant, un élève, dans un classement à une composition, à une

épreuve, à un concours ou par un concurrent dans une compétition sportive

“lutter pour garder sa place” ;

9. (dans une ville, une agglomération ou un village) lieu public consistant en un espace plus

ou moins large, découvert et le plus souvent entouré de bâtiments publics, où aboutissent

plusieurs rues ou avenues et où ont lieu souvent des activités commerciales, festives ou

publiques

“place municipale”, “place de l’église”, “place du marché”53

;

Le mot place apparaît pour la première fois dans le discours métalexical québécois en

1872 (Anonyme, «Mots et tournures à éviter», dans Journal de l'instruction publique, t. 16, n°

10-11, Québec, 1872 oct.-nov., 144) (ILQ).

Bbg.

Bélisle, 1957 – BDLP-Louisiane – Fichier lexical du TLFQ – ILQ – TLFi – FEW.

QUÉBEC (subst. masc.)

1. la ville de Québec

53

Ces acceptions du nom place ont été reproduites conformément au TLFi.

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“[…] aux murs le portrait du pape Pie X, une gravure représentant la Sainte-Famille,

une planche en couleurs où voisinaient les traîneaux et les moulins à battre d’un

fabricant de Québec. […]” (138)

2. la province francophone de Canada ayant comme capitale la ville de Québec

1. “Un froid vif descendait du ciel gris sur la terre blanche et le vent brûlait la peau,

car c’était février, ce qui, au pays de Québec54

veut dire deux pleins mois d’hiver

encore.” (141)

2. “[Les Français récemment venus au Canada pour travailler] employaient des

expressions et des tournures de phrases que l’on n’entend point au pays de Québec55

,

même dans les villes, et qui aux hommes simples assemblés là paraissaient

recherchées et pleines de raffinement.” (145)

Expressions, loc. et syntagmes

se faire passer un québec se duper (Bélisle)

Mots de la même famille

québecois (adj. et subst. masc) 1. de la ville de Québec 2. de la province de Québec 3. (subst.

masc.) variété de français en usage au Québec, le français québécois (Dict. québécois

d’aujourd.) => québécisme (Dict. québécois d’aujourd.) (subst. masc.) fait de langue (forme,

sens, locution, tournure, prononciation) propre au français de Québec, canadianisme (Dict.

québécois d’aujourd.) => québécitude (subst. fém.) ensemble de caractères, des manières, de

pensées propres aux Québécois (Dict. québécois d’aujourd.) => québécité (subst. fém.)

ensemble de traits propres aux Québécois (Dict. québécois d’aujourd.)

Rem.

La distinction entre les deux sens du nom se fait par la marque grammaticale de

l’article (cf. Québec “la capitale” et le Québec “la province”).

Encycl.

Le Québec est le seul ensemble géopolitique de l’Amérique du Nord où la langue

française est majoritaire.

Québec est le nom d’une province canadienne, d’un comté et d’une ville fondée en

1608 par Champlain, la plus ancienne du Canada.56

54

Le syntagme le pays de Québec est un particularisme de Louis Hémon, car il n’existe pas dans l’usage

québécois. 55

A voir la notice précédente. 56

Joseph E. Guinard, Les noms indiens de mon pays, Montréal, Rayonnement, 1960.

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Jusqu’à la Proclamation royale de 1763, le mot Québec est utilisé exclusivement pour

désigner la ville. Les premiers qui ont appliqué le nom à l’ensemble de la province ont été les

Britanniques.57

Autrefois on disait “le Bas-Canada”, puis auparavant, la Nouvelle-France.

Etymol. et hist.

Le nom propre Québec est un amérindianisme. Il provient du nom algonquin Kebek “là

où le fleuve se rétrécit”.

Le sens de “rétrécissement”, “détroit” peut être retrouvé dans la plupart des langues

indiennes. Les Iroquois appellent Québec Tekiatontarikon “deux montagnes qui se

rejoignent” ; les Micmacs Gépeg “rétrécissement“, “détroit”, les Algonquins Wabitikweiang

“au rétréci de la rivière”. Seuls les Tête-de-Boule appellent Québec Kapawin

“débarcadaire”.58

Il est attesté au début dans les documents des missionnaires jésuites :

1627 : “Sa Majesté donnera à perpétuité aux dits cent associés, leurs hoirs et ayans cause,

en toute propriété, justice et seigneurie, le fort et habitation de Québec, avec tout le dit

pays de la Nouvelle-France, dite Canada [...].” (Édits, ordonnances royaux, déclarations

et arrêts du conseil d'état du Roi concernant le Canada, Québec, E.R. Fréchette, 1854, 7,

d’après le Fichier lexical du TLFQ)

1703 : “Ébauche D'un projet pour enlever Kebec et plaisance; avec une briefve

description de ces deux places; et le recensement des habitans de Canada comme aussi

celuy des sauvages qui demeurent aux environs des trois villes françoises [celles de

Québec, Montréal et Trois-Rivières].” (Louis-Armand de Lom d’Arce de Lahontan,

Nouveaux documents de Lahontan sur le Canada et Terre-Neuve, 1940, édités avec

introduction par Gustave Lanctôt, Ottawa, J. O. Patenaude, 38, d’après le Fichier lexical

du TLFQ)

1790 : “Les habitants de Montréal qualifièrent ceux de Québec de moutons; ces derniers

ont effectivement le caractère plus doux et moins orgueilleux, ils appellent par

représailles les Montréalais loups; qualification assez juste parce qu'ils ne fréquentent que

les Sauvages et les bois.” (Jean Carmine Bonnefons, La civilisation traditionnelle de

l'«habitant» aux 17e et 18

e siècles: fonds matériel, 2

e éd. rev., Montréal, Fides, 1973, 49,

d’après le Fichier lexical du TLFQ)

57

Ces idées sont un résumé des données trouvées dans L’Encyclopédie canadienne à la page

http://www.thecanadianencyclopedia.com/index.cfm?PgNm=TCE&Params=F1ARTF0006591. 58

Joseph E. Guinard, op. cit.

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1859 : “Le mot Québec prononcé Ouabec dans la langue algonquine, dit M. Stanislas

Vassal, signifie détroit. Ce monsieur, né d'une mère abénaquise, parle plusieurs dialectes

des indigènes, au milieu desquels il a passé la plus grande partie de sa vie, et il nous

assure que ce mot est purement sauvage. M. Malo, missionnaire en 1843 chez les tribus

du golfe Saint-Laurent, nous a assuré pareillement que le mot Kibec dans l'idiôme

micmac a la même signification. Ce monsieur n'a aucun doute que le nom de notre

ancienne capitale ne soit d'origine sauvage. Le sens propre du mot est fermé, obstrué.”

(François-Xavier Garneau, Histoire du Canada depuis sa découverte jusqu'à nos jours, t.

1, 3e éd. rev. et corr., Québec, P. Lamoureux (impr.), 52, d’après le Fichier lexical du

TLFQ)

1861 : “Suivant M. Richer Laflèche, ancien missionnaire, Stadaconé, dans la langue des

Sauteurs signifie une aile. La pointe de Québec ressemble par sa forme à une aile

d'oiseau. Quant au mot Kebbek, il n'y a pas à douter qu'il soit d'origine algonquine.

Champlain et Lescarbot le disent expressément; le premier le répète jusqu'à deux fois.

Dans les différents dialectes algonquins, Kepak ou Kebbek signifie rétrécissement d'une

rivère. «Québec» dit M. Richer Laflèche, «veut dire, chez les Cris, c'est bouché. Il vient

de Kepak, temps indéfini du verbe Kipao.» [/] Voici ce qu'écrivait à ce sujet, M. Jean-

Marie Bellanger, ancien missionnaire, un des hommes de notre temps qui ont le mieux

connu la langue des Micmacs. «Kébek, en micmac, veut dire rétrécissement des eaux

formé par deux langues ou pointes de terre qui se croisent. Dans les premiers temps que

j'étais dans les missions, je descendais de Ristigouche à Carleton; les deux sauvages qui

me menaient en canot, répétant souvent le mot Kébek, je leur demandai s'ils se

préparaient à aller bientôt à Québec. Ils me répondirent : Non; regarde les deux pointes et

l'eau qui est resserrée en dedans : on appelle cela Kébek en notre langue.» [/] En

présence d'affirmations si positives et si bien fondées, il est inutile de réfuter les traditions

populaires qui attribuent le nom de Québec au cri de surprise d'un matelot normand: Quel

bec! c'est-à-dire, Quel cap! L'on doit aussi laisser de côté les longues dissertations de M.

Hawkins, pour prouver que les De La Pole, comtes de Suffolk portaient, au quinzième

siècle, le titre de seigneurs de Québec. M. Hawkins a depuis reconnu qu'il s'était trompé

et que les De La Pole étaient seigneurs, non de Québec, mais de Brequebec en

Normandie.” (Antoine-Jean-Baptiste Ferland, Cours d'histoire du Canada. Première

partie, 1534-1663, Québec, Augustin Côté Éditeur-Imprimeur, 90, d’après le Fichier

lexical du TLFQ)

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Dans le discours métalexical québécois, le mot est attesté depuis 1842 (Anonyme,

«Etudes grammaticales», dans L'Encyclopédie canadienne, journal littéraire et scientifique, t.

1, n° 3, Montréal, 1842 mai, 102) (ILQ).

Bbg.

Bélisle, 1957 − Joseph E. Guinard, Les noms indiens…, 1960 − Dict. québécois d’aujourd.,

1992 − Brasseur, P., DRFTN, 2001 – Fichier lexical du TLFQ – ILQ − TLFi.

RAISON (subst. masc.)

(dans la loc. adv. comme de raison) il va sans dire, il va de soi, naturellement

“ – J’étais bien certain que tu viendrais veiller.

– Comme de raison… Je n’aurais pas laissé passer le jour de l’an sans venir.” (123)

Expr., loc. et syntagmes

avoir des raisons avec qqn avoir une altercation avec qqn (GPFC)

Mots de la même famille

raisonneux (subst. masc.) qqn qui réplique incessament (Clapin) => raisonner (vb. trans.)

chercher à faire entendre raison à qqn (Clapin) => raisons (subst. fém. pl.) querelle, injures

(Clapin)

Rem.

En français de France, comme de raison (FEW 10, 108a, I. 2. b. β. a’, RATIO). a le

sens de “comme il est raisonnable de le faire”(GPFC). Le sens présent dans le texte de Louis

Hémon est exprimé en France par la loc. adv. par raison (FEW).

Etymol. et hist.

L’expression est un héritage de France. En français québécois elle se rencontre à partir

de la deuxième moitié du XIXe siècle :

1863 : “Le 12, je visitai les établissements de pêche de l'île de Bonaventure, dont les

pêcheurs avaient récolté une abondante moisson dans les eaux avoisinantes jusqu'au

commencement de juillet; après cette époque, la boitte était devenue d'une extrême

rareté, et la pêche de la morue s'en était sentie, comme de raison; cependant, la

morue n'avait pas cessé d'affluer près des côtes pour cela, et depuis quelques jours que

l'encornet avait fait son apparition près des rivages, il s'était fait d'excellentes journées

de pêche.” (Pierre-Etienne Fortin, Rapports annuels de Pierre Fortin, Ecr., magistrat,

commandant l'expédition pour la protection des pêcheries dans le golfe St Laurent

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pendant les saisons de 1861 et 1862, Québec, Hunter, Rose et Lemieux (impr.), 1863,

12, d’après le Fichier lexical du TLFQ)

Le mot apparaît pour la première fois dans le discours métalexical québécois en 1894

(CLAPIN Sylva, Dictionnaire canadien-français ou lexique-glossaire des mots, expressions

et locutions ne se trouvant pas dans les dictionnaires courants et dont l'usage appartient

surtout aux Canadiens-français ..., Montréal-Boston, C. O. Beauchemin et fils-Sylva Clapin,

1894, 269, 87) (ILQ).

Bbg.

Clapin, 1894 – SPFC, GPFC, 1930 – Ø DMR, 1999 – Bélisle, 1957 – Fichier lexical du TLFQ

– ILQ – TLFi– FEW.

RÈGNE (subst. masc.)

vie, existence

1. “[…] C’est peut-être péché de le dire ; mais tout mon «règne», j’aurai du regret que

ton père ait eu le goût de mouver si souvent et de pousser plus loin et toujours plus

loin dans le bois, au lieu de prendre une terre dans une des vieilles paroisses.” (32)

2. “Travailler dans les chantiers, faire la chasse, gagner un peu d’argent de temps en

temps à servir de guide […] ça, c’est mon plaisir, mais gratter toujours le même

morceau de terre d’année en année et rester là, je n’aurais jamais pu faire ça tout mon

«règne», il m’aurait semblé être attaché comme un animal à un pieu.” (46)

3. “− Vous faire geler les membres l’hiver, vous faire manger par les mouches l’été,

vivre dans une tente sur la neige ou dans un camp plein de trous par où le vent passe,

vous aimez mieux cela que de faire toute votre règne tranquillement sur une belle

terre, là où il y a des magasins et des maisons.” (47)

4. “Au milieu du monde qui ne parle que l’anglais, j’aurais été malheureuse tout mon

règne.” (73)

5. “ − […] Seulement pensez à ce que je vous ai dit. Je reviendrai, Maria. C’est un

grand voyage, et qui coûte cher, mais je reviendrai. Et si vous pensez assez, vous

verrez qu’il n’y a pas un garçon dans le pays avec lequel vous pourriez faire un règne

comme vous ferez avec moi. […] (159-160)

6. “Quand une fille ne sent pas ou ne sent plus la grande force mystérieuse qui la

pousse vers un garçon différent des autres, qu’est-ce qui doit la guider ? Qu’est-ce

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qu’elle doit chercher dans le mariage ? Avoir une belle vie, assurément, faire un règne

heureux.” (168)

Rem.

Le sens du mot règne présent dans le roman Maria Chapdelaine est enregistré dans le

TLFi comme régionalisme spécifique au français québécois.

Expr., loc. et syntagmes

faire son règne (loc. verb.) faire son temps, arriver au bout de l’usure (Bélisle, GPFC).

Etymol. et hist.

L’origine de la forme doit être cherchée dans le mot latin regnum “souveraineté”,

“royaume”, “autorité royale”, dérivé de rex, regis “roi” (TLFi, FEW 10, 216a).

Règne au sens de “vie”, “existence” est présent dans le FEW seulement dans le contexte

passer un bon règne “avoir une existence heureuse, tranquille” (St-Paul – Haute-Savoie,

Thonon, Evian).

Le sens du mot présent dans le roman de Louis Hémon est attesté dans d’autres ouvrages

littéraires depuis le XVIIe siècle :

1632 : “Pour les maringoins, c'est l'importunité mesme. On ne sçauroit travailler,

notamment à l'air, pendant leur règne, si on n'a de la fumée auprès soy pour les chasser. Il

y a des personnes qui sont contraintes de se mettre au lit venans des bois, tant ils sont

offensez. J'en ay veu qui avoient le col, les joues, tout le visage si enflé qu'on ne leur

voyoit plus les yeux. Ils mettent un homme tout en sang quand ils l'abordent. Ils font la

guerre aux uns plus qu'aux autres. Ils m'ont traité jusques icy assez doucement. Je n'enfle

point quand ils me piquent, ce qui n'arrive qu'à fort peu de personnes, si on y est

accoustumé. Si le païs estoit essarté et habité, ces bestioles ne s'y trouveroient point. Car

dèsja il s'en trouve fort peu au fort de Kébec, à cause qu'on couppe les bois voisins.” (Paul

Le Jeune (éd.), Monumenta Novae Franciae t. 2 Etablissement à Québec (1616-1634),

Rome - Québec, Monumenta Historica Societatis Jesu - Les Presses de l'Université Laval,

308, d’après le Fichier lexical du TLFQ)

A part cela, le nom a encore trois sens qui peuvent être rencontrés aussi en français de

France :

1. période pendant laquelle un monarque est le chef de l’Etat

1798 : “Un Bill [...] qui révoque un acte passé dans la trente sixième année du règne de la

présente Majesté, et qui appointe de nouveaux commissaires [...].” (La Gazette de Québec,

12 avril 1798, 3, d’après le Fichier lexical du TLFQ)

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2. groupe d’êtres présentant des principes, des caractères communs

1897 : “A part les chiens et les animaux sauvages, tout le règne animal leur est [aux

enfants du Labrador] à peu près inconnu. Tous les oiseaux, indistinctement, sont pour eux

des "gibiers" (Victor Alphonse Huard, Labrador et Anticosti, Journal de voyage, histoire,

topographie, pêcheurs canadiens et acadiens, Indiens montagnais, Montréal, C.-O.

Beauchemin & Fils, 489, d’après le Fichier lexical du TLFQ)

Le mot apparaît dans le discours métalexical québécois depuis 1888 (BUIES A[rthur],

Anglicismes et canadianismes, Québec, Typographie de C. Darveau, 1888, 91) (ILQ).

Bbg.

Dict. québécois d’aujourd., 1992 − Ø DMR, 1999 − Brasseur, P., DRFTN, 2001 – Ø DRF,

2001− Fichier lexical du TLFQ – ILQ − TLFi − FEW.

ROUGH (adj. et adv.)

costaud

“− […] Vous avez connu son père : c’était un homme «rough», et qui prenait un coup

souvent, mais juste, et de bonne mémoire pour les services de même.” (49)

“A vivre tout le temps avec des hommes «rough» dans le bois ou sur les rivières, on

s’accoutume à ça.” (83)

Expr, loc. et syntagmes

rough and tough (expr.) puissant, costaud (Dict. québécois d’aujourd.)

Etymol. et hist.

Le mot est un emprunt direct à l’anglais nord-américain.

A part le sens présent dans le roman de Louis Hémon, rough a encore l’acception “qui

présente des inégalités (surfaces, sols)” (Dict. québécois d’aujourd.) :

1977 : “On allait à l'église avec nos parents. On n'avait pas de ch'mins; c'était trop

«rough» pour se servir des chevaux. On allait à pied. Tout l'monde du rang, y avait même

du monde de six milles de chez nous, qui prenaient la «track» pis y'venaient à l'église, pas

tous les dimanches, mais à tous les deux dimanches.” (René Brodeur, Robert Choquette,

Villages et visages de l'Ontario français, Toronto − Montréal, Office de la

télécommunication éducative de l'Ontario - Éditions Fides, 1979, 38, d’après le Fichier

lexical du TLFQ)

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En français de France, rough en tant que nom a le sens de “partie de parcours non

entretenue“, par opposition à green “espace gazonné, tondu et roulé, aménagé autour de

chaque trou” (TLFi).

Le mot apparaît dans le discours métalexical depuis 1881 (MANSEAU J.-A.,

Dictionnaire des locutions vicieuses du Canada avec leur correction, suivi d'un Dictionnaire

canadien, Québec, J.-A. Langlais libraire-éditeur, 1881, III) (ILQ).

Bbg.

Dict. québécois d’aujourd., 1992 – Fichier lexical du TLFQ – ILQ − TLFi − Ø FEW.

SACRER (vb. intrans., trans.)

jurer

“Et c’est vrai aussi que je sacrais un peu. A vivre tout le temps avec les hommes

rough dans le bois ou sur les rivières, on s’accoutume avec ça.” (83)

Rem.

Ce sens du verbe sacrer existe aussi en français de France, mais il est considéré vieilli

(TLFi).

Mots de la même famille

sacreur (subst. masc.) celui qui sacre, qui jure, qui blasphème (Bélisle) –> sacréyé (interj.)

sacré dieu (exprime la surprise) (Bélisle) –> sacrant (adj.) “fâcheux”, “désagréable”59

Etymol. et hist.

Le verbe sacrer60

est un héritage de France dont la forme doit être mise en relation

avec le lat. sacrare “consacrer à une divinité”. Sacrer, qui avait le sens initial de “conférer à

quelqu'un, quelque chose un caractère solennel, une consécration officielle”, a commencé

d’être employé aussi pour désigner le fait de proférer des jurons, probablement à cause de

l’attraction exercée par sacre “brigand, homme sans foi ni loi” (TLFi).

Le sens de “jurer”, “blasphemer”, “faire des imprecations” se rencontre en France avec

des variations graphiques dans les regions suivantes: Mons (saker), Nantes (sacrer), Thônes

(sacrâ “dire des jurons, des imprécations”), Béarn (segrá) etc. (FEW).

Le verbe sacrer est attesté pour la première fois en français québécois en 1888 :

“Le défaut des femmes était de médire, de sacrer, de se chicaner entre elles, de se

crier des sottises d'une porte à l'autre. Le défaut des hommes était de blasphémer et de

59

Ce sens est inventorié dans le FEW comme un mot spécifique au français de Canada. 60

FEW, 11, 39a, 1.b.α, SACRARE.

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tenir de mauvais discours.” (Napoléon Caron, Deux voyages sur le Saint-Maurice,

Sillery, Septentrion, 2000, 263, d’après le Fichier lexical du TLFQ)

A part le sens présent dans Maria Chapdelaine, sacrer a aussi d’autres acceptions en

français québécois :

1. mettre avec quelque promptitude (un vêtement)

Il a eu juste le temps de lui sacrer sa robe de chambre sur le dos. (GPFC) ;

2. mettre, faire mettre (en prison)

Si je te reprends à venir casser des pommes, je te ferai sacrer en prison. (GPFC) ;

3. jeter, pousser avec violence, faire tomber, laisser tomber

Fais attention, tu vas sacrer la lampe à terre. (GPFC) ;

4. faire

Qu’est-ce qu’il est allé sacrer là ? (GPFC) ;

5. jeter, mettre, placer, diriger (avec quelque idée de violence ou de rapidité)

Le vent l’a sacré à la côte. (GPFC) ;

6. pousser (un cri)

Il lui a sacré un cri. (GPFC) ;

7. faire peur

Je lui ai sacré une peur, il ne reviendra pas de sitôt. (GPFC)61

.

Dans le discours métalexical, le mot apparaît pour la première fois en 1894 (CLAPIN

Sylva, Dictionnaire canadien-français ou lexique-glossaire des mots, expressions et locutions

ne se trouvant pas dans les dictionnaires courants et dont l'usage appartient surtout aux

Canadiens-français ..., Montréal-Boston, C. O. Beauchemin et fils-Sylva Clapin, 1894, 312)

(ILQ).

Bbg.

SPFC, GPFC, 1930 – Bélisle, 1957 – Fichier lexical du TLFQ – ILQ – TLFi – FEW.

SIAU (subst. masc.)

“Le lundi matin […] on se faisait des crêpes plein un siau.”62

(69)

Expr., loc. et syntagmes

mouiller à siaux pleuvoir à verse (Clapin) –> aller sur le siau (fig.) aller paître (GPFC)

61

Ces sens sont spécifiques au français québécois et ne se retrouvent pas dans TLFi, sauf le troisième qui est

enregistré avec la mention région. (Canada). 62

Dans le discours narratif, Hémon emploie seau : “remplir un seau en une heure” (80).

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Rem.

Au Canada, siau désignait d’habitude un vaisseau en bois. Les vaisseaux de zinc ou

d’un autre métal étaient désignés par le mot chaudière. En France, le nom désigne d’habitude

un vaisseau ordinairement en bois ou de zinc qui sert à puiser et porter de l’eau (Bélisle).

Etymol. et hist.

La variante siau (11, 661a, I, SITELLUS) est un héritage des parlers de France qui se

rencontre dans toutes les régions atlantiques et au centre de la France ainsi qu’en Suisse

romande (GPFC).

Le mot commence d’être attesté depuis 1723 :

“Ils [les Arkansas] ont une maniere de guerir leurs malades qui est assez particuliere.

Il y a environ un an qu’ils furent presque tous affligés de la petite vérolle (mal inconnu

parmys les Sauvages auparavant que les François fussent chez eux). Leurs medecins

qui sont jongleurs commençoient par s’aprocher du malade en faisant des hurlements

horribles et des contorsions epouvantables qu’ils continüe pendant une heure en

conjurant le mauvais esprit de se retirer, au bout de ce temps ils font une aspersion sur

le malade de cinq ou six siaux d’eau qui estoit presque de la glace (car s’estoit dans

l’hyver). Apres quoy ils chassent l’esprit avec des imprecations et en faisant comme

s’ils le tenoient. Ils le mette dehors de la cabane, c’est par ou finit leur maniere de

guerir qu’ils réitere tous les jours deux foys jusqu’a ce que le malade soit ou mort ou

guery. S’il en revient, le jongleur autrement le medecin est fort estimé et bien payé,

mais sy au contraire il meurt, le medecin n’a rien mais au contraire il pert beaucoup de

l’estime que l’on avoit de luy.” (Bernard Diron D’Artaguiette, Journal de Vaugine de

Nuisement (ca 1765): un témoignage sur la Louisiane du XVIIIe siècle, éd. critique par

Steve Canac-Marquis et Pierre Rézeau, [Québec], Les Presses de l'Université Laval,

2005, d’après le Fichier lexical du TLFQ)

Dans le discours métalexical, le mot apparaît pour la première fois en 1842 (Anonyme,

«Locutions vicieuses», dans Le Fantasque, Québec, 1842, 12 mai, 2) (ILQ).

Bbg.

Clapin, 1894 – SPFC, GPFC, 1930 – Bélisle, 1957 – Fichier lexical du TLFQ – ILQ – TLFi.

VOYAGE (subst. masc.)

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déplacement, généralement répétitif, sur de courtes distances, qu'un particulier ou un

spécialiste effectue pour transporter, livrer, voiturer quelque chose d'un endroit à un autre ;

va-et-vient, aller-retour, allée et venue, navette

“Le père Chapdelaine fit un dernier voyage à l’étable et rentra en courant disant que

le froid augmentait.”63

(118)

Rem.

Le sens présent dans le roman Maria Chapdelaine est enregistré dans le TLFi aussi,

mais il est illustré par une citation tirée de l’oœuvre Le Survenant de Germaine Guèvremont,

une romancière québécoise, citation qui rappelle le contexte de Maria Chapdelaine (Cent

voyages par jour, de la maison à l'étable et aux bâtiments ne parvenaient pas à tromper son

ennui) (Guèvremont, Survenant, 1945, 271). En français de France, voyage a aussi le sens de

“parcours effectué sur une courte distance” comme au Québec, mais, en réalité, la courte

distance est assimilée souvent à un déplacement au loin (“Aucun voisin n'ayant pu ou voulu

faire pour elle cette course, elle avait entrepris, elle, ce voyage horrible, de sa mansarde au

boulanger.” (Maupassant, Contes et nouv., t. 2, Mis. hum., 1886, 647) (TLFi).

Expr., loc. et syntagmes

bureau de voyages (loc. nom.) agence de voyage (BDLP-Québec)

Mots de la même famille

voyagement (subst. masc.) allés et venues (Bélisle) => voyager (vb. trans.) se transporter ou

être transporté (Bélisle)

Etymol. et hist.

Le sens du nom voyage64

présent dans le texte de Louis Hémon n’est enregistré dans

aucune citation du Fichier lexical et non plus dans des ouvrages métalexicaux québécois de

référence comme étant différent de l’acception courante de “déplacement à un lieu plus

éloigné”(Ø GPFC, Ø Dict. québécois d’aujourd.). Pourtant, nous croyons qu’il doit être mis

en relation avec quelques termes qui ont en France une existence dialectale : viages “allées et

venues successives d’un lieu à un autre lieu rapproché” (Normandie), “allées et venues qu’on

fait pour transporter quelque chose” (Agen), viager “faire de nombreuses allées et venues

inutiles” (Normandie) (FEW).

63

Louis Hémon emploie aussi le nom voyage dans son sens qui est plus fréquent en français général

(“déplacement à un lieu plus éloigné”) : “- As-tu fait un bon voyage, François ?” (75) 64

FEW 14, 382ab, I. 2. b. α, VIATICUM.

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Au sens de “déplacement à un lieu plus éloigné”, voyage est attesté Nouvelle-France

depuis le XVIe siècle :

1536 : “Auxs environ d'icelles illes y a de grandes marees qui portent comme suest et

norouaist. Je presume mielx que aultrement à ce que j'ai veu qu'il luy aict aulcun

passaige entre la Terre Neuffve et la Terre des Bretons. Sy ainsi estoict se seroict une

grande abreviacion tant pour le temps que pour le chemyn si se treuve parfection en

ce voyage. A quatre lieues de ladite ille il luy a ung beau cap que nommames Cap du

Daulphin pour ce que c'est le commancement des bonnes terres.” (Jacques Cartier,

Relations, éd. critique par Michel Bideaux, Montréal, Les Presses de l'Université de

Montréal, 1986, 105-106 (relation du premier voyage fait au Canada en 1534),

d’après le fichier lexical du TLFQ)

Par métonymie, le nom voyage a le sens de “contenu de la charge (le plus souvent du foin

ou du bois)” :

1977 : “J'ai 'té avec Louis charcher un vouyâge [sic] de prusses pour faire un abrique

à la porte de dârrière [de la maison].” (F. Thibodeau, Dans note temps avec Marc et

Philippe, 89 d’après BDLP-Acadie)

Le sens de “déplacement servant à transporter des choses et parfois des personnes” se

rencontre dans les régions suivantes : Nouveau-Brunswick, Nouvelle-Ecosse, Île-du-Prince

Edouard, Îles-de-la-Madeleine, le sud de la Gaspésie et Basse-Côte-Nord. (BDLP-Acadie) et à

Terre-Neuve (sauf la côte ouest) (Cormier).

Le mot voyage apparaît pour la première fois dans le discours métalexical québécois en

1841 (MAGUIRE Thomas], Manuel des difficultés les plus communes de la langue française,

adapté au jeune âge et suivi d'un Recueil de locutions vicieuses, Québec, Fréchette et Cie

(impr.), 1841, 171). Pour la locution verbale faire un voyage, le ILQ n’offre qu’une seule

source : BERGERON, Bertrand, Le franco-canadien, [s.l.], 1973, 41) (ILQ).

Bbg.

SPFC, GPFC, 1930 – Bélisle, 1957 – Brasseur, P., Chauveau, J.-P., SPM, 1990 – Cormier,

1993 – BDLP-Acadie – Fichier lexical du TLFQ – ILQ – TLFi.

WENDIGO (subst. masc.)

esprit puissant chez les Amérindiens

“ [Les Indiens] avaient fui les missionnaires et les marchands étaient accroupis autour

d’un feu de cyprès sec, devant leurs tentes, et promenaient leurs regards sur un monde

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encore rempli pour eux comme aux premiers jours de puissances occultes,

mystérieuses : le Wendigo géant qui défend qu’on chasse sur son territoire ; les

philtres malfaisants ou guérisseurs que savent préparer avec des feuilles et des racines

les vieux hommes pleins d’expérience ; toute la gamme des charmes et des magies.”

(79)

Encycl.

Un wendigo est un esprit qui, selon les Algonquins, s'empare des personnes

vulnérables et les pousse à adopter divers attitudes antisociales, dont la plus frappante est le

cannibalisme. Le plus grand risque survient lorsqu'on est isolé dans les bois durant une longue

période de temps.65

Les Algonquins se servaient du mot windigo pour empêcher les enfants de pleurer, de

faire un tapage ou de désobéir en les menaçant de ce vilain esprit. (Joseph E. Guinard, Les

noms indiens de mon pays, Montréal, Rayonnement, 1960).

Etymol. et hist.

Le mot est un amérindianisme qui provient du mot algonquin Witikow (Joseph E.

Guinard, Les noms indiens de mon pays, Montréal, Rayonnement, 1960).

Wendigo est attesté pour la première fois chez Louis Hémon. La citation tirée du

roman Maria Chapdelaine est, d’ailleurs, la seule citation consacrée à ce nom dans le Fichier

lexical du TLFQ.

Le mot est attesté pour la première fois dans le discours métalexical en 1894 (CLAPIN

Sylva, Dictionnaire canadien-français ou lexique-glossaire des mots, expressions et locutions

ne se trouvant pas dans les dictionnaires courants et dont l'usage appartient surtout aux

Canadiens-français ..., Montréal-Boston, C. O. Beauchemin et fils-Sylva Clapin, 1894, 337)

(ILQ).

Bbg.

Ø SPFC, GPFC, 1930 – Ø Bélisle, 1957 – Joseph E. Guinard, Les noms indiens…, [1960] – Ø

Dict. québécois d’aujourd. – Ø Brasseur, P., DRFTN, 2001 – Fichier lexical du TLFQ – ILQ –

Ø TLFi – Ø FEW.

65

Ce paragraphe résume les données trouvées dans l’Encyclopédie canadienne à l’adresse

http://www.thecanadianencyclopedia.com/index.cfm?PgNm=TCE&Params=f1ARTf0008635.

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l’original de 1894).

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(Encyclopédie canadienne en ligne)

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