I. Les oscillations principales d’un système de masses · 9 Bernoulli et Euler ne parlent pas du...

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TRADUCTION DE L’ÉTUDE DE BURKHARDT 13 Première partie La conception de la méthode des développements en séries à destination des problèmes physiques I. Les oscillations principales d’un système de masses § 1. Systèmes avec un nombre fini de degrés de liberté. La résolution de tels problèmes de Mécanique, dans lesquels le mouvement de tous les points du système est déterminé dès qu’on connaît le mouvement d’un seul point - les problèmes à un degré de la liberté comme on les appelle aujourd’hui - a été effectuée pour l’essentiel au cours du 17ème siècle. L’attention des mathématiciens et des physiciens se tourna ensuite vers les problèmes pour lesquels ce n’est pas le cas, c’est-à-dire qui possèdent plus d’un degré de liberté. Toutefois, parmi ces problèmes, on ne s’intéressa dans un premier temps qu’aux cas de mouvements, tous les points du système atteignent simultanément leur position d’équilibre, de sorte qu’on pût parler d’une durée déterminée d’oscillation du système dans son ensemble. On appelle aujourd’hui de tels mouvements, oscillations principales ou oscillations simples du système 1 . La première approche qui me soit connue d’un problème de ce genre se trouve chez Jean I. Bernoulli dans des lettres à son fils Daniel du 11 octobre et 26 décembre 1727 2 . Il s’occupe, en vue de ses recherches sur le problème de la corde vibrante 27 , d’une situation dont ce problème peut être considéré comme un cas limite, à savoir le mouvement dans un plan horizontal d’un fil, lui-même sans masse, tendu par un certain poids, auquel sont attachés n poids identiques placés à distances égales. Il indique, pour un système de ce genre, des oscillations principales possibles et précise qu’il y en a même exactement n différentes ; il donne les formules pour les temps de vibration correspondants dans les cas n =1, 2, 3...6. Et enfin, il déclare posséder une méthode générale, grâce à laquelle il peut aussi résoudre le problème pour de plus grandes valeurs de n. L’année suivante, il communique aussi les valeurs pour n =7 et le type de méthode qu’il utilise 3 : si toutes les masses du système, partant de leur position de départ avec une vitesse initiale nulle, atteignent simultanément leur position d’équi- libre, alors les forces résultantes agissant sur elles doivent se comporter comme les élongations (distances à la position d’équilibre) et elles sont dirigées vers leur po- sition d’équilibre 4 . En effet, les vitesses gagnées au cours du premier moment se 1 Se reporter à. B. E. J. Routh, Dynamik der Systeme starrer Körper, Bd. I, § 460. 2 Petrop. Comm. 2, 1727 [29], p. 200 (op. 3, p. 124). 3 Petrop. Comm. 3, 1728, [32], p. 13 (op. 3, p. 198). 4 Jean Bernoulli ne considère que la cas où chaque point particulier est astreint à

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TRADUCTION DE L’ÉTUDE DE BURKHARDT 13

Première partie

La conception de la méthodedes développements en séries

à destination des problèmes physiques

I. Les oscillations principales d’un système de masses

§ 1. Systèmes avec un nombre fini de degrés de liberté.

La résolution de tels problèmes de Mécanique, dans lesquels le mouvement detous les points du système est déterminé dès qu’on connaît le mouvement d’un seulpoint - les problèmes à un degré de la liberté comme on les appelle aujourd’hui - a étéeffectuée pour l’essentiel au cours du 17ème siècle. L’attention des mathématicienset des physiciens se tourna ensuite vers les problèmes pour lesquels ce n’est pasle cas, c’est-à-dire qui possèdent plus d’un degré de liberté. Toutefois, parmi cesproblèmes, on ne s’intéressa dans un premier temps qu’aux cas de mouvements,où tous les points du système atteignent simultanément leur position d’équilibre, desorte qu’on pût parler d’une durée déterminée d’oscillation du système dans sonensemble. On appelle aujourd’hui de tels mouvements, oscillations principales ouoscillations simples du système1.

La première approche qui me soit connue d’un problème de ce genre se trouvechez Jean I. Bernoulli dans des lettres à son fils Daniel du 11 octobre et 26 décembre17272. Il s’occupe, en vue de ses recherches sur le problème de la corde vibrante27,d’une situation dont ce problème peut être considéré comme un cas limite, à savoirle mouvement dans un plan horizontal d’un fil, lui-même sans masse, tendu parun certain poids, auquel sont attachés n poids identiques placés à distances égales.Il indique, pour un système de ce genre, des oscillations principales possibles etprécise qu’il y en a même exactement n différentes ; il donne les formules pour lestemps de vibration correspondants dans les cas n = 1, 2, 3...6. Et enfin, il déclareposséder une méthode générale, grâce à laquelle il peut aussi résoudre le problèmepour de plus grandes valeurs de n.

L’année suivante, il communique aussi les valeurs pour n = 7 et le type deméthode qu’il utilise3 : si toutes les masses du système, partant de leur position dedépart avec une vitesse initiale nulle, atteignent simultanément leur position d’équi-libre, alors les forces résultantes agissant sur elles doivent se comporter comme lesélongations (distances à la position d’équilibre) et elles sont dirigées vers leur po-

sition d’équilibre4. En effet, les vitesses gagnées au cours du premier moment se

1 Se reporter à. B. E. J. Routh, Dynamik der Systeme starrer Körper, Bd. I, § 460.2 Petrop. Comm. 2, 1727 [29], p. 200 (op. 3, p. 124).3 Petrop. Comm. 3, 1728, [32], p. 13 (op. 3, p. 198).4 Jean Bernoulli ne considère que la cas où chaque point particulier est astreint à

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comportent aussi comme les élongations, donc les chemins parcourus au cours dupremier moment également ; les élongations conservent ainsi pendant le mouvementles mêmes rapports et deviennent nulles en même temps, ce qui était demandé.D’autre part, si la proportionnalité supposée n’avait pas lieu, le point qui seraitsoumis à une force plus grande par raport à sa distance serait alors en avancesur sa position prévue. Dans le cas présent, les positions d’équilibre sont alignées ;comme Jean Bernoulli se limite à des oscillations infiniment petites, il peut identi-fier les élongations aux ordonnées relatives à cette ligne droite. Soient alors (v. lafigure) P1Q1 = y1, P2Q2 = y2, P3Q3 = y3 les ordonnées de trois points consécutifs,si la ligne P1P2 coupe l’ordonnée y3 en R3, alors on a :

(1) P3R3 = (y2 − y1) − (y3 − y2)

P1

P2

R3

Q1 Q2 Q3

y1y2

y3

P3

La tension du fil en P2, donnée par le poids qui tend, est la force résultante

amenant P2 vers Q2 comme P2R3 est à P3R3 ; ici, du fait de la restriction introduite

sur P2R3, la différence entre deux abscisses consécutives Q2Q3 peut être considéréecomme constante. De cette manière, Jean Bernoulli trouve que le quotient

(2)yk+1 − 2yk + yk−1

yk

doit posséder une valeur indépendante de l’indice k. De cette manière, on obte-nait une équation aux différences pour les yk dont la solution générale pouvait êtredéduite des méthodes alors habituelles. Les constantes apparaissant dans cette solu-tion générale peuvent être déterminées conformément aux conditions du problème,en résolvant une équation algébrique auxiliaire du ne degré ; chacune des n racines

parcourir un chemin donné.

TRADUCTION DE L’ÉTUDE DE BURKHARDT 15

de celle-ci donne une des n oscillations principales du système. Mais Jean Bernoullin’examine pas si les racines de cette équation sont alors réelles et distinctes pourchaque valeur de n.

Daniel Bernoulli et Leonhard Euler ont été conduits à un problème analogue àl’occasion de l’observation occasionnelle d’une chaîne suspendue en une extrémité,et oscillant au vent d’avant en arrière. En effet, soient n points pesants attachés à unfil sans masse suspendu en une des ses extrémités ; sous quelles conditions ce systèmeadopte-t-il une oscillation principale ? Daniel Bernoulli donna d’abord la solutionpour n = 2 et n = 3, sans preuve, mais avec une confirmation par des expériences5.Un peu plus tard6, il donna également la preuve sur la base d’un principe général,qui pour l’essentiel est identique au principe publié plus tard par d’Alembert etqui a conservé le nom de ce dernier. Euler traita le cas général d’un n arbitraire àl’aide d’une autre méthode, dans laquelle il n’éliminait pas les tensions du fil, maisles prenaient en compte7. Il découvrit notamment le principe selon lequel, en casd’oscillation principale, l’intersection de chaque morceau de fil particulier (ou deson prolongement imaginaire) avec la verticale du point de suspension ne change

pas de position dans l’espace au cours du temps8.

La constatation, faite grâce à ces deux problèmes, de l’existence d’un certainnombre d’oscillations principales correspondant au nombre des degrés de liberté duproblème9, a été ensuite confirmée par D. Bernoulli et Euler par quelques autresproblèmes spécifiques. Ainsi, D. Bernoulli traite-t-il également des petites oscilla-tions d’un disque, plongé dans un liquide, qui tourne autour d’un axe vertical, etqui peut aussi monter et descendre dans la direction de la pesanteur10. Il s’intéresseen outre au cas d’une baguette pesante, attachée par une extrémité à un fil11 ; etEuler traite le problème, qui lui a été posé par D. Bernoulli, d’un pendule dont lasuspension est équipée avec une charnière12.

Toutes ces recherches ont en commun de se limiter à la détermination desoscillations principales. Si les forces dépendent uniquement des coordonnées, et non

5 Petrop. Comm. 6, 1732/33 [38], p.108.6 ib. 7 1734/35 [40], p.162.7 ib. 8 1736 [41], p.31.8 ib. § 13, p. 38.9 Bernoulli et Euler ne parlent pas du nombre des degrés de liberté, mais du nombre

des points de masse du système ; dans les cas qu’ils examinent dans un premier temps, cesdeux nombres sont identiques, exception faite de celui mentionné à la note 10, pour lequelles degrés de liberté sont évidents. Ces deux nombres n’ont été distingués par Euler quelongtemps après, à l’occasion de son étude des vibrations d’une corde, non limitées à unplan.

10 Petrop. Comm. 11, 1739, [50], p. 100.11 ib. 12, 1740 [50], p. 100, § 5.12 ib. 13, 1741/43 [50], p. 124. Par la suite, D. Bernoulli et Euler ont abordé encore

beaucoup de problèmes particuliers de ce type, mais il n’y a pas lieu de s’étendre ici surdes détails, une fois que le principe général a été découvert.

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des vitesses ou explicitement du temps, ces oscillations simples sont harmoniques,c’est-à-dire que les élongations des différents points peuvent être exprimées par laformule :

(3) yν = fν cosαt, (ν = 1, 2, 3, ...)

dans laquelle fν peut certes changer d’un point à un autre, mais représente unfacteur indépendant du temps, lorsque le temps de vibration de tous les points dusystème est le même :

(4) T =2π

α

Pour ce que j’en sais, le théorème d’existence des oscillations principales estformulé la première fois de façon explicite et générale par Daniel Bernoulli13. Pour-tant, même chez lui, il n’est pas encore question d’examiner sous quelles conditionsles racines des équations auxiliaires considérées sont toutes réelles et distinctes.

En revanche, la possibilité de composer n’importe quel mouvement du système(infiniment petit) à partir de ses oscillations principales (« principe de superpo-

sition ») était abordée par D. Bernoulli14 comme par Euler dans leurs premièresétudes. Ils avaient été conduits à ce constat en premier lieu par la considération d’unfait déjà connu depuis longtemps des musiciens et des théoriciens de la musique,à savoir que, dans le son des instruments musicaux, à côté de la note de base etsimultanément, on peut distinguer des « harmoniques »15 ; et c’est semble-t-il mêmeD. Bernoulli le premier16 qui, à l’occasion du § 3 de son examen du problème de lalame vibrante, s’est aperçu du lien entre ce fait et la question évoquée auparavant.

Du reste, la préférence exclusive pour les oscillations principales dans les pre-miers temps a aussi été encouragée par un malentendu - certes évident - : commeTaylor25, D. Bernoulli17 exprime encore aussi de façon répétée que les mouvementsd’oscillation plus composés doivent très vite tendre vers de tels « status unifor-mis ». C’est vrai physiquement jusqu’à un certain point, mais seulement dans lamesure où interviennent des influences dissipatrices d’énergie comme le frottement,la résistance à l’air, etc. On ne peut pas tirer de conclusions quant à la nature dessolutions des équations différentielles, alors que celles-ci sont établies sans prendreen compte l’influence de tels facteurs.

Du reste, le théorème d’existence des oscillations principales, tout comme leprincipe de superposition, ont trouvé leur justification mathématique générale dansla théorie d’Euler de l’intégration d’une équation différentielle linéaire de n’importequel ordre 18 et dans le traitement analogue proposé par d’Alembert pour ces sys-

13 Petrop. Comm. 12, 1740 [50], p. 98, § 3.14 Se reporter à la propre déclaration de D. Bernoulli, Berl. Hist. 1753 [55], p. 189 et J.

des sçavans 1758, p. 158.15 En 1726, Rameau avait déjà fondé toute sa théorie de la musique sur ce fait ; cf par

ex. B. Rausenberger, Geschichte der Physik.16 « cum neutra oscillatio neutram officiat », Petrop. Comm. 13, 1741/43 [51], p. 173, §

8.17 ib. 11, 1739 [50], p. 109, § 14 ; 12, 1740 [50], p. 98, § 2.18 Berol. Misc. 7, 1743, p. 193.

TRADUCTION DE L’ÉTUDE DE BURKHARDT 17

tèmes d’équations 19.

§ 2. Passage à la limite de systèmes de points discretsaux systèmes continus.

A partir des recherches évoquées dans le § 1 concernant les oscillations des sys-tèmes se composant d’un nombre fini de masses ponctuelles discrètes, D. Bernoulliet Euler sont parvenus à l’étude des oscillations de systèmes continus élastiques ouflexibles, en regardant ceux-ci comme composés d’un nombre très grand ou infinide points de ce type. Pour apprécier justement ces études du point de vue leurépoque, on doit toujours se rappeler que, pour les mathématiciens du 18ème siècle- exception faite de Varignon, Nicolas I Bernoulli et d’Alembert -, les difficultésque nous lions à la notion de passage à la limite n’existaient absolument pas. Ilsconsidèraient alors comme évident qu’un théorème valable pour chaque valeur finied’un nombre apparaissant dans son énoncé, devait conserver sa signification et savalidité si on faisait croître n indéfiniment. Très souvent, ils ne distinguent donc pass’ils parlent de valeurs « très grandes » ou « infiniment grandes » d’un tel nombre,s’ils prétendent que leurs résultats ont une certaine précision limitée, ou une pré-cision qui peut être augmentée à volonté ; ils utilisent aussi bien des différences etdes différentielles, des sommes et des signes d’intégration, indistinctement les unsà côté des autres et/ou les uns pour les autres20.

Pour les problèmes qui nous intéressent ici, la conclusion du fini à l’infini peutêtre entreprise de deux manières, soit sur la formule finale ultime ou bien dès lamise en équation. C’est la première qu’a utilisé aussitôt Daniel Bernoulli pour lefil de pendule chargé de n poids6 21 ; il trouve ainsi que les oscillations principalesd’une chaîne homogène, pesante et suspendue par une de ses extrémités s’exprimentpar une équation de la forme

(1) y = cos(t

T)f(x)

dans laquelle x désigne l’abscisse d’un point de la chaîne, comptée à partir del’extrémité libre, et y représente l’amplitude au temps t. On a

(2) f(x) = 1 − x

a+ (

x

2!a)2 − (

x

3!a)3 + − + ...,

soit la fonction cylindrique qui est désignée aujourd’hui par J0(2

r

x

a), et qui fait

ainsi ici sa première apparition ; a doit être déterminé tel que

19 Berl. Hist. 4, 1748 [50], p. 283, n̊ 42.20 La distinction devenue aujourd’hui habituelle entre les signes d et ∆,

R

et Σ sembled’abord avoir été fixée dans le calcul différentiel d’Euler (1755) (voir M. Cantor, Geschichtedes Mathematik, 3, p. 725) et même alors elle n’est pas encore immédiatement acceptéecomme générale.

21 Petrop. Comm. 6, 1732/33 [38], p. 116, n̊ 16. Voir également p. 119, n̊ 21 une indica-tion sur les relations du problème avec celui de la corde vibrante et p. 120, n̊ 25 un aperçudu problème de la chaîne d’épaisseur inégale.

18 TRADUCTION DE L’ÉTUDE DE BURKHARDT

(3) f(l) = 0

où l représente la longueur de la chaîne ; à partir de a, on détermine ensuite T . D.Bernoulli conclut des résultats trouvés précédemment pour des valeurs de n finiesque l’équation (3) possède une infinité de racines a0, a1, a2, a3..., et que la racine ak

correspond à une oscillation principale, lors de laquelle la chaîne a en commun avecla verticale au point de suspension k autres points (points de jonctions) disposésrégulièrement en plus de ce dernier.

§ 3. Détermination directe des oscillations principalesd’un système continu par des équations différentielles.

Les problèmes de la corde vibrante et de la lamelle vibrante.

Contrairement à la procédure décrite dans le § 2, on opère maintenant la tran-sition d’un système de points discret à un système continu, dans le cas particulierà une dimension dès la mise en équation. Ainsi, on obtient, au lieu d’un systèmed’équations différentielles ordinaires de la forme :

(1)d2yk

dt2= f(yk+1, yk, yk−1),

une équation différentielle partielle :

(2)∂2y

∂t2= F (y,

∂y

∂x,∂2y

∂x2),

en posant :

(3) yk = yk−1 + ∆yk−1, yk+1 = yk−1 + 2∆yk−1 + ∆2yk−1

et en passant ensuite des différences aux différentielles. On remplace ainsi le systèmed’équations algébriques provenant des valeurs initiales de y, lorsqu’une oscillationprincipale se produit, et/ou les équations différentielles qui se substituent à celles-cipar une équation différentielle ordinaire pour la figure initiale. On obtient égalementcette équation, si on pose dans (2) afin d’avoir une oscillation principale :

(4) y = Y cosαt

(voir §1, équation (3)) et qu’on exige que, pour la satisfaire, Y ne dépend que dex et pas de t. Enfin, les conditions diverses dans lesquelles les deux extrémitésdu système se trouvent, doivent être prises en considération et exprimées par deséquations particulières (conditions aux limites).

Brook Taylor avait déjà traité le problème de la corde vibrante de la manièreque nous venons de spécifier22, et il avait trouvé qu’une courbe peut représenterles oscillations d’une telle corde, si, en tous les points sauf deux, les rayons decourbure se comportent comme les ordonnées. Introduisant l’hypothèse (égalementconservée par ses successeurs) selon laquelle toutes les ordonnées sont très petites

et les tangentes peu inclinées par rapport à l’axe des abscisses23, il exprime cette

22 Lond. Trans. 28, 1713 [14], p. 26 et pour l’essentiel aussi dans le methodus incremen-torum, Lond. 1715 et 1717, p. 88.

23 Il ne faut pas chercher chez Taylor la conscience que la seconde hypothèse ne découlepas tout simplement la première. Euler est le premier à mettre formellement ce point enavant (Taur. Misc. 32, 1762/65 [66], p. 1).

TRADUCTION DE L’ÉTUDE DE BURKHARDT 19

propriété grâce à l’équation différentielle qui s’écrit avec le formalisme aujourd’huien vigueur :

(5) y′′ = −n2y.

La multiplication par 2y′ et l’intégration lui donnent :

(6) y′2 = c2 − n2y2,

et une seconde intégration montre que l’ordonnée y sera proportionnelle au sinusd’un arc proportionnel à l’abscisse. Taylor n’écrit pas l’équation de la courbe ex-plicitement24 et il n’en vient donc pas davantage à se poser la question de savoir siles constantes d’intégration intervenant dans la solution peuvent être déterminéesd’une ou plusieurs manières, pour que toutes les conditions soient satisfaites. Bienplus, il ne parle que du cas le plus simple, dans lequel y ne s’annule qu’aux deuxextrémités de la corde, c’est-à-dire du cas où la corde donne sa note fondamentale ;pour ce cas, il détermine le temps de vibration. Il ne se contente en effet pas decroire que la forme de la corde, même quand elle est quelconque au début du mou-vement, doit toujours tendre à se rapprocher au cours du temps de celle qu’il atrouvée, il essaie même de le prouver25.

J. Hermann parvient au même résultat que Taylor par un autre chemin et avecdes hypothèses partiellement différentes26. En revanche, Jean I. Bernoulli reproduitpour l’essentiel le travail de Taylor27. Il appelle « socia trochoidis » la courbe forméepar la corde ; c’était effectivement le nom usuel de la sinusoïde à cette époque. Cesdeux auteurs ne recherchent pas non plus si la corde peut vibrer de plus d’unemanière. C’est chez Daniel Bernoulli que j’ai trouvé la première allusion au faitque c’était effectivement le cas. En lien avec son examen du problème de la chaînesuspendue par une de ses extrémités21, il attire l’attention sur les relations analoguesdans le problème de la corde vibrante28, et en particulier sur le fait que danscertaines circonstances un petit cavalier de papier positionné de manière adéquatene sera pas éjecté par les oscillations. En revanche, L. Euler parle alors encoreexclusivement de la note de fondamentale29.

De la même manière, Daniel Bernoulli ramène le problème des oscillationsprincipales d’une chaîne suspendue en une extrémité à l’intégration de l’équationdifférentielle ordinaire30 :

24 Il n’était alors pas encore habituel d’utiliser sin comme un symbole fonctionnel.25 Son argumentation est approximativement comme si on voulait conclure que le pen-

dule devrait en fin de compte atteindre l’état de repos, parce que, en toutes autres positions,des forces s’exercent sur lui. Il n’est pas question ici de frottements, etc.

26 Acta erud. 1716, p. 370.27 Petrop. Comm. 3, 1728 [32], p. 24 (op. 3, p. 209) ; et se trouve également déjà dans

Petrop. Comm. 2, 1727 [29], p. 201 (op. 3, p. 125), mais sans preuve.28 Petrop. Comm. 6, 1732/33 [38], p. 119, n̊ 21 ; consulter aussi 11, 1739 [50], p. 109, §

14.29 ib. 7, 1734/35 [40], p. 120, § 45.30 ib. p. 170, n̊ 7.

20 TRADUCTION DE L’ÉTUDE DE BURKHARDT

(7) ay′ + axy′′ = −y

et il montre que celle-ci est satisfaite par la série qu’il a trouvée § 2 (2). De son

côté, L. Euler ne fait pas que traiter cette équation différentielle31, il établit égale-ment déjà l’équation plus générale, dont dépendent les oscillations principales d’unechaîne d’épaisseur inégale32.

De même, Euler ramène le problème, qui lui a été posé par D. Bernoulli33,concernant la détermination des oscillations principales d’une lamelle élastiqueayant une extrémité fixe et l’autre libre à l’équation différentielle (du quatrièmeordre) :

(8) yIV = cy

et il intègre celle-ci grâce à une série infinie34. Il ne détermine d’abord par uneprocédure d’approximation primitive que la plus petite racine de l’équation dontles racines sont les nombres d’oscillations. Mais il revient sur la question une annéeplus tard35, pose l’équation évoquée sous la forme :

(9) eξ =−1 ± sin ξ

cos ξ

et montre qu’elle a une infinité de solutions36 et comment on peut les trouver grâceà un procédé d’approximation rapidement convergent. Il traite également le casd’une lamelle libre en ses deux extrémités37, celui où elle est disposée de façonmobile en ses deux extrémités38 et celui où elle est fixée par ses deux côtés39. Surce sujet, D. Bernoulli a également publié un peu plus tard sa manière voir qui est,pour l’essentiel, conforme à celle d’Euler, ainsi que les résultats de ses expériences

31 ib. 8, 1736 [41], p. 40, § 16.32 ib. p. 43, § 21.33 Lettre d’octobre 1735 (correspondance mathématique et physique de quelques géo-

mètres du 18ème siècle, ed. P. H. Fuss, St. Petersb. 1843, 2, p. 429). Le projet de réponsed’Euler à celle-ci, opera postuma, St. Petersb. 1862, 2, p. 126.

34 Petrop. Comm. 7, 1734/35 [40], p. 115, § 36.35 Methodus inveniendi lineas curvas maximi minimive proprietate gaudentes, Laus. et

Genevae 1744, additamentum I, n̊ 63 p. 282.36 ib. n̊ 71, p. 287.37 ib. n̊ 80, p. 295. Une méprise commise ici, sur laquelle D. Bernoulli attira son attention

(lettres de septembre 1743 à août 1744, corresp.33 2 p. 536, 541, 550, 553, 564), fut rectifiéepar Euler, N. Acta erud. 1746, p. 92.

38 n̊ 90, p. 305.39 n̊ 94, p. 308.

TRADUCTION DE L’ÉTUDE DE BURKHARDT 21

confirmant la théorie40.

II. La polémique à proposdu problème des cordes vibrantes

§ 4. Le traitement du problème par d’Alembert

Comme nous l’avons déjà mentionné28 29, on trouve certes chez D. Bernoulliet Euler à cette époque des allusions répétées au problème de la corde vibranterelativement plus simple comparativement à celui que nous venons de discuter.Mais c’est J. le Rond d’Alembert qui a le premier entrepris une nouvelle étudeplus approfondie de cette question41. Son objectif annoncé est de prouver que leproblème de la forme que prend une corde vibrante admet une infinité de solutionsautres que la « compagne de la cycloïde ». A partir de l’équation aux différences deJean Bernoulli (§ 1, (2)), il extrait l’équation différentielle partielle42 :

(1)∂2y

∂t2=∂2y

∂x2

en utilisant la méthode évoquée en § 3. A l’aide des identités :

(2) d∂y

∂x=∂2y

∂x2dx+

∂2y

∂x∂tdt

d∂y

∂t=

∂2y

∂x∂tdx+

∂2y

∂t2dt,

il en déduit que :

(3) d(∂y

∂t+∂y

∂x) = (

∂2y

∂t2+

∂2y

∂x∂t)(dt+ dx),

d(∂y

∂t− ∂y

∂x) = (

∂2y

∂t2− ∂2y

∂x∂t)(dt− dx);

et il tire immédiatement de ces égalités la conclusion que∂y

∂t+∂y

∂xdoit être une

fonction Φ de t + x seulement, et que∂y

∂t− ∂y

∂xdoit être une fonction ∆ de t− x.

De cette façon, il obtient :

(4) dy =∂y

∂tdt+

∂y

∂xdx =

1

2Φ(t + x)d(t+ x) +

1

2∆(t− x)d(t− x)

(5) y = Ψ(t+ x) + Γ(t− x)

40 Petrop. Comm. 13, 1741/43 [51], p. 105 et 161. Consulter ses lettres de janvier 1741à février 1743, corresp.33 2, p. 467, 478, 518.

41 Berl. Hist. 1747 [49], p. 214.42 Euler a le premier introduit une désignation systématique des quotients différentiels

partiels47 ; d’Alembert se tire d’affaire par une périphrase.

22 TRADUCTION DE L’ÉTUDE DE BURKHARDT

D’Alembert appelle en outre cette solution « la solution générale que nous

venons de trouver »43 ; on voit cependant, d’après le contexte, qu’il ne veut pasdésigner ainsi « la solution générale » dans le sens technique actuel de ce terme. Ilveut seulement dire qu’on trouve ainsi une infinité de solutions. Pour montrer cela,il se contente d’abord de poursuivre son examen du cas spécifique (qu’il conçoitd’ailleurs lui-même comme spécifique) pour lequel y = 0 lorsque t = 0, c’est-à-diredu cas où la corde part de sa position de repos. Alors on doit avoir :

(6) Ψ(x) − Γ(−x) = 0

En outre, si les abscisses x = 0 et x = l correspondent aux extrémités de la corde, ondoit avoir y = 0 pour x = 0 et x = l, quel que soit t. La première de ces conditionsentraîne :

(7) Ψ(t) + Γ(t) = 0

et cette équation prise avec (6) montre que Ψ(x) et Γ(x) = −Ψ(x) doivent être desfonctions paires de leur argument. La seconde condition exige :

Ψ(t+ l) + Γ(t− l) = 0

ou si on remplace t par t+ l et qu’on considère le résultat ainsi obtenu :

(8) Ψ(t+ 2l) = Ψ(l),

c’est-à-dire que la fonction Ψ doit correspondre à ce qu’on appelle aujourd’huiune fonction périodique de période 2l. Pour terminer, d’Alembert explique alors,encore en détail, comment on peut justement obtenir un nombre illimité de fonctionspériodiques paires du fait qu’on conçoit les abscisses des points comme des fonctionsd’une longueur d’arc ou d’une portion d’aire d’une courbe fermée symétrique.

Dans un second mémoire joint directement au premier44, d’Alembert décritd’abord en détail la construction de la courbe y = Ψ(t+ x) − Ψ(x− t) à partir dela courbe y = Ψ(x). Il se tourne ensuite vers l’hypothèse plus générale dans laquelleon peut choisir arbitrairement non seulement l’ordonnée initiale, y = Σ(x), mais

également la vitesse initiale∂y

∂t= σ(x) de chaque point de la corde45. Dans ce cas,

les équations (7) et (8) doivent avoir lieu en même temps ; en revanche, à la placede l’équation (6), on a les deux suivantes :

(9) Ψ(x) − Ψ(−x) = Σ(x)

et

Ψ′(x) − Ψ′(−x) = σ(x)

ou encore :

(10) Ψ(x) + Ψ(−x) =

Z

σ(x)dx

(9) et (10) permettent d’obtenir la valeur de Ψ(x) et Ψ(−x) pour 0 ≤ x ≤ l, c’est-à-dire la valeur de Ψ(x) pour −l ≤ x ≤ l. L’équation (8) sert ensuite à déterminer la

43 Berl. Hist. 1747 [49], p. 219.44 p. 220.45 n̊ 23, p. 230. L’indication de Riemann, souvent répétée après lui, selon laquelle c’est

Euler qui a le premier traité ce cas, doit reposer à cet endroit sur une omission.

TRADUCTION DE L’ÉTUDE DE BURKHARDT 23

valeur de Ψ pour des valeurs de l’argument se trouvant à l’extérieur de cet intervalle.La tâche est ainsi accomplie.

Suit encore une section « remarques » ; parmi celles-ci, mentionnons la 7e46,dans laquelle d’Alembert indique qu’on peut exactement de la même façon traiterdes oscillations longitudinales.

§ 5. Le traitement du problème par Euler

Peu après d’Alembert, Euler s’attaquait au problème à son tour47. Il expliquelui-même48 que sa solution n’est pas pour l’essentiel différente de celle de d’Alem-bert, mais qu’il apporte« quelques observations assez intéressantes dans l’applica-tion des formules générales ». En premier lieu, il dérive l’équation différentielle duproblème d’une manière plus détaillée que d’Alembert ne l’avait fait. Ensuite, ilrevendique avec insistance d’avoir trouvé la solution générale49 . Il considère les or-données de départ comme choisies arbitrairement. Il ne parle absolument pas desvitesses de départ , mais il traite ensuite les fonctions f(x) et φ(x) (c’est-à-direles fonctions nommées Ψ(x) et Γ(−x) par d’Alembert) comme si elles étaient évi-demment identiques, ce qui est seulement juste si les vitesses initiales sont toutesnulles50. Il montre également d’une part, comment la courbe :

(1) y =1

2f(x+ t) +

1

2f(x− t),

réprésentant sous cette hypothèse la figure de la corde à l’instant t peut être déduitede la figure initiale :

(2) y = f(x)

à partir de constructions géométriques simples51. Il souligne aussi - et, autant queje sache, il est le premier - que la durée d’oscillation de la corde est indépendante dela figure initiale, si on exclut les cas exceptionnels dans lesquels, à cause de relationsde symétrie particulières, cette figure se reproduit déjà après une partie aliquote dela durée d’oscillation valable pour le cas général52.

46 p. 248.47 Français : Berl. Hist. 1748 [50], p. 69 ; latin : N. Acta Erud. 1749, p. 512. Je cite la

première version.48 n̊ 4, p. 71.49 n̊ 16, p. 76. « afin que la figure initiale de la corde puisse être réglée arbitrairement,

la solution doit avoir la plus grande étendue. »50 Il semble presque que cette erreur repose sur une faute d’orthographe : au n̊ 20, p.

79, on a encore φ, et subitement au n̊ 22, p. 80, il devient f .51 n̊ 22, p. 80 : « ayant donc décrit une semblable courbe anguiforme, soit régulière conte-

nue dans une certaine équation, soit irrégulière ou méchanique, son appliquée [ordonnée]quelconque fournira les fonctions dont nous avons besoin ».

52 n̊ . 27, p. 82.

24 TRADUCTION DE L’ÉTUDE DE BURKHARDT

Après cet exposé, on pourrait avoir l’impression que les solutions de d’Alem-bert et d’Euler ne diffèrent que sur des points d’importance secondaire. Ce n’estcependant le cas qu’en apparence ; car ils utilisent certes les mêmes mots, mais leurassocient des représentations différentes. Sur un point particulier, ils font le mêmeusage d’un terme : par « équation », ils entendent tous deux une relation entre deuxquantités analytiques (sans éprouver à cet égard le besoin de fixer préisément quelssignes opératoires intervenant dans la formation d’une telle expression devraientêtre permis). Et ils n’ont pas non plus le moindre doute sur le fait que deux expres-sions qui coïncident sur un intervalle donné des variables doivent aussi coïncideren dehors de cet intervalle. Mais, ils se différencient dans l’utilisation qu’ils font dumot fonction : lorsque d’Alembert l’emploie et écrit y = f(x), il pense seulement àune expression analytique de ce type ; en revanche Euler pense à une courbe donnéearbitrairement (graphiquement).

§ 6. La polémique entre d’Alembert et Euler.

Cette opposition n’atteignit sa pleine acuité que lorsque la polémique naissanteobligea les deux hommes à affiner leurs idées sous forme de concepts et à les formu-ler avec des mots. Dans un supplément à son mémoire, d’Alembert éleva en effetbientôt une objection contre la façon de voir d’Euler53. Partant de la représenta-tion qu’il attache au mot fonction, il explique : « on ne peut ce me semble exprimeranalytiquement y d’une manière plus générale qu’en la supposant une fonction det et de x. Mais dans cette supposition on ne trouve la solution du problème quepour les cas où les différentes figures de la corde vibrante peuvent être renferméesdans une seule et même équation. »54 De là il arrive à la conclusion suivante : lasolution trouvée par lui et par Euler n’a de sens que si la fonction donnée y = f(x)est une fonction périodique.

Euler a alors répondu peu après dans un écrit, qui était essentiellement dirigécontre le mémoire de D. Bernoulli dont il est question au § 755. Il demande d’abordà d’Alembert d’indiquer quelle est donc la solution dans les cas où celui-ci exclut lasienne. Ensuite, il donne un nouvel exposé de sa solution56, laquelle n’est cependantpas exempte d’inexactitudes dans les détails57. Plus important, il déclare avec toutel’insistance possible58 : « cette construction a toujours lieu, de quelque nature que

53 Berl. Hist. 1750 [52], p. 355. D’Alembert tenta de faire insérer dans les publicationsde l’Académie de Berlin, la simple explication de la fausseté des résultats d’Euler, maisil se heurta à l’opposition du président Maupertuis (Lettre d’Euler à Lagrange d’octobre1759, Euler, opera postuma, St. Petersb. 1862, 1 p. 558 et oeuvres de Lagrange 14, p. 163).

54 n̊ 2, p. 358.55 Berl. Hist. 1753 [55], n̊ 12, p. 202.56 n̊ 15, p. 203.

57 n̊ 25, p. 210 la déduction de∂y

∂x:

∂y

∂t= const. à partir de

∂2y

∂x2:

∂2y

∂t2= const. ; nr.

31, p. 214 la conclusion de l’identité des fonctions Φ et Ψ.58 n̊ 36, p. 217.

TRADUCTION DE L’ÉTUDE DE BURKHARDT 25

soit la figure initiale proposée de la courbe, et il ne s’agit ici que de la portion ABD ;laquelle quand elle-même auroit d’autres continuations de part et d’autre en vertude sa nature, elles n’entrent en aucune considération. » Et 59 : « Les différentesparties semblables de cette courbe [d’une courbe composée d’arcs de cercle] ne sont

donc liées entre elles par aucun loi de continuité60, et ce n’est que par la descriptionqu’elles sont jointes ensemble ... La seule considération du trait de la courbe suffità nous faire connoître le mouvement de la corde sans l’assujettir au calcul. »

La réplique de d’Alembert ne parut que quelques années après61. Il présented’abord une nouvelle fois sa manière de concevoir la solution62 et signale à Euler, àcette occasion, les inexactitudes que nous avons mentionnées plus haut. En outre,il élève une objection, effectivement importante quant aux principes et touchantun point qui, même ultérieurement, n’a pas toujours trouvé l’attention appropriée :l’équation différentielle (1) du § 4 ne peut être en effet satisfaite pleinement, au sens

strict, qu’aux points de la courbe pour lesquels∂2y

∂x2a vraiment une valeur détermi-

née, donc où la courbe a un rayon de courbure déterminé63. En particulier elle exige

qu’aux points fixes extrêmes de la courbe, pour lesquels∂2y

∂t2ne peut avoir d’autre

valeur que 0, on ait aussi∂2y

∂x2= 0, donc que le rayon de courbure soit infiniment

grand. Comme « véritable raison métaphysique » de cela, qui doive être évidentemême pour des lecteurs non mathématiciens, d’Alembert indique la particularité

qu’aux points, où∂2y

∂x2n’existe pas64, la force accélératrice n’est pas déterminée de

façon univoque par le problème. Ainsi déclare-t-il tout à fait impossible de résoudrele problème dans de tels cas : « le mouvement de la corde ne peut être soumis à au-cun calcul, ni représenté par aucune construction » ; « la nature arrête le calcul ». Ala question d’Euler, lui demandant comment le mouvement de la corde a alors lieudans ces cas, il répond : « c’est à la physique de se charger du reste »65. Il n’admetpas l’objection selon laquelle de telles irrégularités ne pourraient avoir lieu qu’endes portions infiniment petites de la courbe et n’auraient donc aucune influence surle résultat d’ensemble. - D’autres analyses de d’Alembert reposent sur l’hypothèsetacite que deux expressions analytiques devraient coïncider pour toutes les valeurs

59 n̊ 37, p. 217.60 Au mot « continuité », on n’associait pas alors les mêmes idées qu’aujourd’hui, mais

celles que nous associons maintenant au mot « prolongement analytique ».61 Opuscules mathématiques, 1, Paris 1761, p. 1.62 § 5, p. 14.63 D’Alembert explique même (§7, p. 17) que la courbure doit varier partout continû-

ment. En effet, un quotient différentiel, quand il existe vraiment en chaque point d’unintervalle, ne peut avoir de discontinuité de première espèce (U. Dini, teoria delle funzionireali, Pisa, 1878 [en allemand : Leipzig 1892], § 31, 78).

64 Il dit (§11, p. 22) : « en ceux-ci, le rayon de courbure a deux valeurs différentes ».65 §23, p. 40.

26 TRADUCTION DE L’ÉTUDE DE BURKHARDT

d’une variable x apparaissant chez elles, dès que cette coïncidence a lieu dans unintervalle quelconque66.

Euler ne fut pas convaincu par ces présentations de d’Alembert. Sans vrai-ment continuer la polémique, il revient encore de façon répétée sur cet objet67 etinsiste à chaque fois avec grande fermeté sur le fait que, dans cette « novum analy-seos genus » (la théorie des équations différentielles partielles) il est indispensabled’admettre des « functiones mixtas vel irregulares ». En fait ces mémoires répétésd’Euler n’apportent pas grand chose de nouveau ; notons seulement que, commen-tant sa théorie, il déduit de ses formules68 la propagation d’une vibration limitée àune partie de la corde et sa réflexion sur les extrémités. D. Bernoulli se demandaitpourquoi le tremblement initial se propage des deux côtés et pourquoi, une fois for-mée, l’onde conserve son sens de progression jusqu’à ce qu’elle heurte un obstacle ;Euler a d’abord eu des doutes sur cet aspect, mais les a bientôt élucidés69.

D’autre part, d’Alembert reste ferme sur ses conceptions ; il répète lui aussiencore plus souvent son argumentation70, sans apporter rien d’essentiellement nou-veau. Différentes lettres d’Euler, dont il publie des fragments71, ne peuvent pasdavantage le convaincre. Notons seulement que d’Alembert considère comme uni-versellement accepté72, le fait que la solution est impossible dans le cas où il y a

66 § 15, p. 29 ff. On doit mentionner à ce sujet la question suivante (§ 17, p. 33) : sion permettait de telles fonctions, comme le voudrait Euler, cela ne renverserait-il pas lapreuve généralement acceptée de la quadrature indéterminée du cercle ? En effet, la preuvealors courante (arc sin aurait une infinité de déterminations et par suite ne serait pas unefonction algébrique ; cf. J.F. Montucla, histoire des mathématiques, 2de éd., 4, Paris, 1802,p. 634) nécessitait un complément dans cette direction ; d’Alembert a remarqué lui-mêmeultérieurement (opusc. math. 4, Paris 1768, p. 67) que la façon de conclure correspondanteconduisait pour la cycloïde à un résultat faux. - Ensuite § 21, p. 37 : Euler lui a imputéqu’il ne tiendrait la solution pour possible que si la figure initiale était représentée par unesérie de sinus [une méprise de d’Alembert] ; ce qui ne lui convient pas. Cela ne serait vraique si on pouvait prouver que toute fonction périodique peut être représentée par une sériede sinus, « ce qui me paraît impossible ».

67 Taur. Misc. 32, 1762/65 [66], p. 1 ; Berl. Hist. 1765 [67], p. 307 ; Petrop. N. Comm.17, 1772 [73], p. 381 ; Petrop. Acta 17792 [1783], p. 116.

68 Taur. Misc. 32, n̊ 47, p. 25 une courte allusion ; Berl. Hist. 1765 p. 307 un mémoiredétaillé et avec tout l’essentiel, même s’il n’est peut-être pas vrai dans tous ses détails.Ensuite, ib. p. 355 application à la théorie de l’écho (pour une vibration momentanéed’une seule particule déjà chez Lagrange, Taur. Misc. 1, 1759, n̊ 59 (oeuvr. 1, p. 133 etchez Euler, Berl. Hist. 1759 [66], n̊ 25, p. 198), de même que la différence des rapportsentre bouts ouvert et fermé d’une flûte. Dans Petrop. N. Comm. 17, 1772 [73], n̊ 20, p. 401aussi, Euler revient une nouvelle fois sur cette question.

69 Berl. Hist. 1759 [66], n̊ 31, p. 201 ; 1765 [67], n̊ 23, p. 319 ; n̊ 27, p. 353. Voir sa lettreà Lagrange d’octobre 1759, oeuvres de Lagrange 14, p. 164.

70 Opusc. math., Paris 1768. 4, p. 134 ; 5, p. 138.71 4, p. 146, de janvier, et p. 162 de décembre 1763.72 « de l’aveu de tous les géomètres », 5, p. 141.

TRADUCTION DE L’ÉTUDE DE BURKHARDT 27

des angles dans la figure initiale.

Si, du point de vue de l’analyse d’aujourd’hui, on doit prononcer un jugementsur l’ensemble de ces débats entre d’Alembert et Euler, on ne peut donner entiè-rement raison ni entièrement tort à aucun des deux. On devra rejeter l’exigenceformulée par d’Alembert de limiter l’application de l’analyse, voire le mot et leconcept de fonction, à des fonctions indéfiniment différentiables73, et la considérercomme une tentative de prescrire arbitrairement des lois au développement de lascience ; mais d’autre part on ne pourra non plus suivre la légèreté, pour ne pasdire l’insouciance, avec laquelle Euler applique le calcul différentiel et intégral à desfonctions totalement arbitraires.

§ 7. Le fondement de la méthode des développements en sériepar Daniel Bernoulli

Daniel Bernoulli traite tout autrement qu’Euler et d’Alembert le problème descordes vibrantes74. Il aborda la question avec des connaissances acquises antérieu-rement dans d’autres problèmes (cf. § 2 et 3) et avec son expérience acoustique75, ilne pouvait donc pas lui échapper qu’une corde doit aussi être en état de donner uneinfinité de vibrations principales76. En fait, dans l’équation d’une telle oscillation,

y = sinmx,

trouvée par Taylor, on ne peut satisfaire aux conditions : y = 0 lorsque x = 0 etx = π, pour m = 1 sans y satisfaire aussi pour toute valeur entière de m 77. Mais D.Bernoulli ne se contenta pas de reconnaître ce fait, il en conclut aussi, à partir desrésultats obtenus par l’examen des systèmes de points discrets (§ 1), qu’on pouvaitdécomposer par superposition le mouvement le plus général possible de la corde àpartir de ces vibrations principales, en d’autres termes que la loi du mouvementd’une corde était représentée en général par une équation de la forme78 :

y = α sin x cos t+ β sin 2x+ cos 2t+ γ sin 3x cos 3t+ ...

73 ou, ce qui est la même chose pour lui, à des fonctions analytiques (développables ensérie de Taylor).

74 Berl. Hist. 1753 [55], p. 147. Cf. aussi les indications données déjà ci-dessus note (28).75 Cf. ses lettres à Euler de mars 1739, novembre 1740 et janvier 1741, corresp. 33 2, p.

456, 464, 467. Sur la genèse de son mémoire, cf. sa lettre d’octobre 1753, p. 651.76 Berl. Hist. 1753 [55], n̊ 2, p. 148.77 Je ne peux expliquer comment il en vient à attribuer ce théorème à Taylor22.78 Berl. Hist. 1753 [55], n̊ 17, p. 160, n̊ 23, p. 165. On doit reconstituer l’équation à partir

de ces différents endroits ; elle ne se trouve explicitement nulle part chez D. Bernoulli. ChezEuler, Berl. Hist. 1748 [50], n̊ 30, p. 84, elle figure comme exemple : « l’équation suivantefournit une courbe requise » [« une » et non « la » courbe].

28 TRADUCTION DE L’ÉTUDE DE BURKHARDT

(les vitesses initiales étant supposées nulles). Il exprime alors sa conviction quetoutes les solutions trouvées par d’Alembert et Euler doivent être renfermées danscette forme79.

Une suite directe de son mémoire80 contient des développements plus détaillés,dans lequel il précise d’abord, comme son père2 l’avait déjà fait, les oscillationsd’une corde, elle-même sans poids mais chargée de n poids, puis il fait croître nvers l’infini. Il traite en détail le cas n = 2 et montre que, dans ce cas, deux vi-brations principales sont possibles, dont les périodes peuvent être commensurablesou incommensurables selon les distances des poids aux extrémités et entre eux.Ensuite, il continue ainsi81 : « pour peu qu’on ait fait attention à notre méthodeon aura vu que notre théorie s’étend à tel nombre de corps9 qu’on se propose »,mais il se contente de quelques éclaircissements pour n = 3, pour arriver aussitôt àl’affirmation générale82 : « Ce que je viens de dire, je ne crains pas de l’étendre jus-qu’à tous les petits mouvements réciproques83 qui peuvent se faire dans la Nature,pourvu que ces petits mouvements réciproques soyent entretenus par une causepermanente. Car tout corps qu’on écarte un peu de son point de repos tendra versce point avec une force proportionelle à la petite distance depuis le point de repos.... Toutes ces vibrations simples et particulières ne s’entre-empêcheront point. »

Ainsi était trouvé en effet un principe fondamental de toute la physique mathé-matique, ayant à voir avec les vibrations ; D. Bernoulli pouvait réclamer pour lui lemérite, non seulement d’avoir exprimé le premier ce principe, mais aussi d’avoir enmême temps reconnu sa grande portée84.

§8. Débats sur l’interprétation de Daniel Bernoulli

Les fondements mathématiques du principe étaient moins bien constitués ; D.Bernoulli ne tente pas une seule fois de démontrer la vérité de ses conceptionspour un nombre n arbitraire, ni de séparer les cas où apparaissent des fonctionstrigonométriques de ceux où l’on a affaire à des fonctions exponentielles ; il n’a pasnon plus examiné plus précisément le passage à n = ∞. Il était donc inévitableque des objections s’élèvent bientôt de diverses parts ; cela vint d’abord d’Euler,qui fit imprimer sa critique dans une annexe immédiatement jointe au mémoire deBernoulli85 . Il reconnaît l’exactitude et l’importance physiques des considérationsde Bernoulli, mais il a des doutes mathématiques. D’abord il déclare qu’appliquerle concept de superposition à des termes en nombre infini est une manière très

79 Berl. Hist. 1753 [55], n̊ 10, p. 155, n̊ 13, p. 157.80 p. 173.81 n̊ 10, p. 183.82 n̊ 13, p. 187.83 c’est-à-dire une oscillation en va-et-vient. Le mot était alors employé souvent en ce

sens.84 « cette nouvelle vérité de la physique méchanique », n̊ 18, p. 195.85 Berl. Hist. 1753 [55], p. 196.

TRADUCTION DE L’ÉTUDE DE BURKHARDT 29

impropre de s’exprimer ; par exemple l’équation86

(1) y =sin x

1 − 2α cos x+ α2

donnerait une représentation beaucoup plus simple de la courbe en question que ledéveloppement en série

(2) y =∞

X

n=1

αn−1 sinnx.

« Mais il y a plus »87 : des formules de Bernoulli on tire [ce que celui-ci n’apas fait] que toute fonction arbitraire d’une variable x peut être représentée sous laforme d’une série progressive des sinus des multiples entiers de x. Euler considèrececi comme totalement exclu88 : une fonction représentée par une telle série seraitpaire et périodique ; donc si la fonction en question n’a pas ces propriétés, on ne peutpas arriver à la développer selon une telle série. Ici aussi, on voit qu’Euler appuieencore sa conclusion sur une proposition considérée comme allant totalement desoi, à savoir qu’une égalité vraie dans un intervalle donné entre deux expressionsanalytiques doit être vraie en général89. De là il déclare que la solution de Bernoulliest seulement particulière ; il l’avait déjà donnée lui-même antérieurement commesolution particulière78.

D. Bernoulli répondit dans une auto-annonce de son mémoire90 : « la courberésultante renfermera une infinité de quantités arbitraires, desquelles on pourra seservir pour faire passer la courbe finale par tant de points donnés de position qu’onveut, et pour identifier par-là cette courbe avec la courbe proposée avec tel degré deprécision qu’on veut ... Ma méthode est générale et exacte, tant qu’il n’est questionque de quantités finies. »Il se replie donc sur une position avant le passage à la

limite91. Mais, poursuit-il, si on veut prendre en compte des quantités infinimentpetites, alors la solution d’Euler n’est pas non plus vraie sans exception, par exemple

86 n̊ 4, p. 197. Il a eu connaissance de la formule de recherches antérieures dans un autredomaine.

87 n̊ 5, p. 198.88 n̊ 9, p. 200.89 Ceci est d’autant plus remarquable qu’il avait reconnu lui-même et analysé encore une

fois dans ce mémoire56, précisément, que, dans sa solution du problème, on devait prendresous le signe f(x + t), pour des valeurs de x + t en dehors de l’intervalle d’origine, non pasle prolongement analytique, mais une répétition périodique du morceau de fonction donnéau départ.

90 Journal des sçavans, mars 1758, p. 157-165 (sous forme d’une lettre à Clairaut).91 Sa prise de position est encore plus incisive Par. Hist. 1762 [64], p. 442 : « on se

contente de dire que ma méthode reste en défaut lorsque mes éléments infiniment petitssont absolument nuls. C’est par une pareille métaphysique qu’on soutient aujourd’hui que

nx ·x

nn’est pas = xx dans le cas où n est absolument nul. Comme les êtres physiques ne

sauroient être composés de parties absolument nulles, je ne vois aucune réalité dans cesobjections ; je ne la vois pas même pour la géométrie abstraite. »

30 TRADUCTION DE L’ÉTUDE DE BURKHARDT

elle ne l’est pas si la courbure aux points extrémaux de la corde n’est pas nulle92.

Euler revient plus tard encore une fois sur le débat, à l’occasion de sa recherchesur la propagation et la réflexion des vibrations partielles68 . Il déclare qu’il est« sans doute très-difficile, pour ne pas dire impossible » de déterminer dans ce casles coefficients du développement de Bernoulli93 .

Le débat fut plus animé entre D. Bernoulli et d’Alembert, car il existait déjàentre eux des rapports tendus en raison de divergences d’opinion antérieures94.D’Alembert l’ouvrit aussitôt par une méprise, attribuant à D. Bernoulli l’affirma-tion que tous les points de la corde ne parcouraient pas les vibrations dans lemême temps95. Dans une présentation plus détaillée de ses objections, et accom-pagnée de développements mathématiques, il se déclare d’accord avec l’argumen-tation d’Euler87 96 ; il va même encore plus loin que celui-ci dans la mesure où ilne considère pas non plus comme possible de représenter toute fonction périodique[analytique] par une série de sinus66. Il critique la conclusion de Bernoulli du fini

à l’infini97 - ce que celui-ci, comme nous l’avons vu91, n’avait pas du tout fait - ; ilaffirme qu’une courbe représentable par une série de sinus devrait avoir partout unecourbure continue98 ; il n’est pas satisfait par la coïncidence d’un nombre arbitrairede points de deux courbes (celle à représenter et celle représentée par une série de

sinus)99 ; et il conclut par la prophétie suivante100 : si on devait un jour réussir àdémontrer la possibilité de représenter une fonction périodique arbitraire par unesérie de sinus, on devrait pour cela emprunter son chemin43, c’est-à-dire représenterles fonctions périodiques comme réciproques des fonctions qui indiquent commentl’arc d’une courbe fermée dépend de l’abscisse de son point extrême.

92 Voir aussi une lettre non datée, indiquée par les éditeurs comme écrite « entre 1754 et1766 », de D. Bernoulli à Euler (corr. 2, p. 655). On peut y remarquer que, dans le texte,Bernoulli désigne la proposition, soulignée typographiquement, par « votre [c’est-à-dired’Euler] beau théorème ».

93 Berl. Hist. 1765 [67], n̊ 10, p. 312.94 Cf. les lettres de D. Bernoulli à Euler des années 1745-50, corr.33 2, p. 577, 585, 591,

594, 603, 612, 621, 646, en particulier la caractérisation suivante (de janvier 1750, p. 650) :« Je considère monsieur d’Alembert comme un grand mathématicien in abstractis ; maisquand il fait une incursion in mathesin applicatam, alors toute estime cesse chez moi ...et il serait souvent meilleur pour la realem physicam qu’il n’y ait pas de mathématiquedans le monde. » V. d’autre part les lettres de d’Alembert à Lagrange de mars 1765 et juin1769, oeuvres de Lagrange 13, p. 33 et 135.

95 Encyclopédie art. fondamental. (J’avais seulement à ma disposition l’édition genevoisede 1777, où il se trouve t. 14, p. 849).

96 Opuscules mathématiques I, Paris 1761, § 24, p. 42.97 p. 45.98 p. 46.99 p. 47.

100 qui, il est vrai, n’a pas été réalisée dans le cours du développement ultérieur.

TRADUCTION DE L’ÉTUDE DE BURKHARDT 31

De façon annexe, d’Alembert fait encore remarquer101 à ce sujet que le trai-tement du problème par D. Bernoulli avec un nombre fini de degrés de libertérésulte de sa théorie [celle de d’Alembert]des systèmes d’équations différentielles à

coefficients constants19.

Entre temps se déroule encore une discussion sur une question d’importancesecondaire102 : à savoir, en quel sens peut-on dire que la durée de vibration d’unecorde est indépendante de la figure initiale52. Aujourd’hui on dirait : la périodequi vaut en général est aussi une période dans chaque cas particulier, seulementelle n’est pas toujours une période primitive. - d’Alembert veut aussi par exemplequ’une équation de la forme :

y = a sin x cos t+ b sin 3x cos 3t

ne soit valable comme équation d’une vibration composée, que si chaque point dela corde passe plus d’une fois pendant le temps π par la position d’équilibre, cequi n’est sûrement pas le cas pour103 a > 27b. Il va même si loin104 qu’il combatjusqu’à la justesse physique des conceptions de D. Bernoulli, invoquant le fait que,pour des vibrations composées, les temps ne sont pas toujours égaux entre deuxpassages consécutifs par la position d’équilibre.

Plus tard, d’Alembert est encore revenu de façon répétée105 sur la théorie de D.Bernoulli, sans qu’on puisse cependant dire qu’il ait atteint une vision plus claire dela question discutée. On ne pourra peut-être pas affirmer plus que ceci : au cours decette discussion, pour le lecteur d’aujourd’hui, il apparaît de plus en plus clair, quecela repose sur l’opposition de principe entre la conception physique de D. Bernoulliet celle de d’Alembert, qui cherche consciemment, sans toujours y parvenir, à arith-métiser les concepts. D. Bernoulli a aussi très bien senti cette contradiction94 ; en

101 p. 48, 51.102 p. 49, 58.103 p. 62.104 p. 61.105 Ainsi opusc. 4, Paris 1768, p. 153 (d’après l’indication de la p. 156, l’appendice était

déjà rédigé en 1762 ; il n’apporte en fait rien de neuf) ; p. 175, où il insiste sur la différenceentre la valeur d’une fonction de x pour x absolument nul et pour x très petit (c’est-à-dire avec la terminologie actuelle entre f(0) et limx=0 f(x)) et où il ajoute quelquesdiscussions « métaphysiques » sur les « atômes infiniment petits, mais non absolumentnuls » ; p. 200, où il élève une protestation de principe contre le fondement physique dethéorèmes mathématiques ; plus loin 5 (ib. eod.) p. 144, où il doute de la possibilité (« ilne me paroît pas possible ») d’exprimer les lois de la propagation du son par des formulesanalytiques. Ensuite sous forme de lettres à Lagrange de l’année 1769, Berl. Hist. 19, 1763[70], p. 235-254, où il répète encore une fois (p. 239, 240) : les vibrations d’une corde sontsimples et non composées ; on ne peut pas expliquer les harmoniques par la théorie de D.Bernoulli ; la série trigonométrique n’admet pas d’angles ni de pics ; on n’a pas le droitd’émousser de tels angles et pics, contrairement à ce que proposait Euler. (On ne trouvepas ces lettres dans la correspondance entre d’Alembert et Euler ; il en est de même pourcelles correspondant à la note (168).)

32 TRADUCTION DE L’ÉTUDE DE BURKHARDT

revanche, d’Alembert n’en a pas toujours été conscient, sinon sa polémique n’auraitpu se perdre dans autant de particularités d’importance secondaire.

Du reste, D. Bernoulli a publié aussi plus tard, une nouvelle fois, un exposécohérent de sa façon de voir106. Il commence par déclarer : « non haesito principium,de quo hic sermo est ... inter utilissima referre theoremata physico-mechanica ».Ensuite il rapporte107 qu’il a laissé en attente le problème de la corde d’épaisseurvariable, que pour ce problème on montrerait laquelle des différentes méthodesappliquées à une corde d’épaisseur partout égale aurait la plus grande portée ; « atvero intra eosdem, sua quisque methodo usus, substitimus cancellos ». Il fait encoreremarquer que sa théorie est confirmée par le fait qu’on entend des harmoniques108,de même qu’il montre le comportement de systèmes avec un nombre fini n de degrésde liberté109. La conclusion pour n = ∞ ne fait pour lui aucun doute110 ; et ilcroit que toutes les difficultés élevées contre lui à propos de différences d’opinionspeuvent se ramener à l’utilisation de grandeurs infinies dans les mathématiquesappliquées111. De plus, il passe sous silence que les mathématiques s’intéressentaux questions sous-jacentes pour elles-mêmes, et que ses formulations ne sont passatisfaisantes à cet égard.

§ 9. Recherche d’Euler sur la propagation du son dans l’air.

Le problème de la propagation du son dans l’air, ou plus précisément dansune « fibre d’air » rectiligne est lié de près au problème des cordes vibrantes. Ceproblème, ou celui analogue des vibrations de la lumière dans l’éther, avait déjà étéattaqué plusieurs fois, avec plus ou moins de succès, par Newton, Jean II Bernoulli,d’Alembert, etc. Dès 1746, Euler avait non seulement décrit qualitativement, defaçon pertinente, la manière dont une perturbation naissant à un endroit se propagedans une telle fibre, la concevant comme composée d’un nombre infini de petitesparties élastiques contiguës112 ; mais il avait aussi introduit hypothétiquement desvibrations harmoniques simples et montrées par lui « huiusmodi motum subsistereposse ». Dès ce moment, sur la base de ces hypothèses, il avait également montrépar le calcul que la vitesse de propagation était indépendante de l’élasticité et dela densité113.

106 Petrop. N. Comm. 19, 1774 [75], p. 239.107 p. 240.108 pour les cordes, n̊ 2, p. 242 ; pour les carillons, n̊ 3, p. 243.109 n̊ 4, p. 246.110 n̊ 11, p. 248. « problema nostrum plane determinatum, quotcunque fuerint corpora ;

ergo quidni determinatum erit, si numerus corporum censeatur infinitus ? »111 p. 241 : « tolle modo omnem de infinito amphiboliam... et omnem inter nos tolles

controversiam ».112 Nova theoria lucis et colorum, § 28 (opuscula varii argumenti 1, Berol. 1746, p. 184).113 § 34, p. 188. - La non concordance du calcul et de l’observation dans l’air a causé

à Euler et à ses successeurs de nombreux casse-tête et provoqué de multiples doutes sur

TRADUCTION DE L’ÉTUDE DE BURKHARDT 33

A peu près à la même époque que ses premières recherches sur les cordesvibrantes47, Euler tente aussi de traiter mathématiquement ces mises en équa-tions114. Il considère d’abord le mouvement d’une particule douée de masse, qui estattachée à deux points fixes par des liens élastiques et ne peut osciller en avant eten arrière que dans la ligne de liaison de ces points. Comme il se restreint ici aussi àla considération de vibrations infiniment petites, il peut supposer la force agissantesur la particule comme directement proportionnelle à l’écart à sa position d’équi-libre et en conclure que cela conduit à des vibrations harmoniques simples. Soientensuite deux points matériels mobiles B, C attachés par trois liens élastiques AB,BC, CD entre eux et avec deux points fixes A, D, de façon qu’à l’équilibre les troisécarts AB, BC, CD soit égaux entre eux, alors Euler trouve115 que le mouvementle plus général de B et de C se compose de deux vibrations principales, dont les

périodes sont dans le rapport de 1 à√

3, et que par suite l’un ou l’autre point aalternativement la plus grande vitesse116. Il traite encore de la même façon le casde trois tels points mobiles ; à partir des résultats isolés ainsi trouvés, il parvientalors par une heureuse induction, à en déduire le théorème selon lequel, pour cesm− 1 points, les nombres de vibrations des m− 1 vibrations principales possiblessont dans le même rapport que les valeurs :

(1) cosπ

2m, cos

2m, ..... cos

(m− 1)π

2m.

Pour démontrer ce théorème, il exprime le problème par un système d’équationsdifférentielles117 :

(2)d2xµ

dt2= xµ+1 − 2xµ + xµ−1, (µ = 1, 2, ...m − 1)

dans lequel xµ désigne l’écart du µ-ème point à partir de sa position d’équilibre. Ilpose alors :

(3) xµ = αµ cos 2pt

où αµ doit être indépendant du temps, et obtient pour déterminer ces grandeursαµ le système d’équations :

(4) −4p2αµ = αµ+1 − 2αµ + αµ−1, (µ = 1, 2, ...m − 1)

Ce système d’équations et la condition α0 = 0 sont satisfaits quand on pose :

(5) p = sinφ, αµ = U sin 2µφ

et comme on doit avoir aussi αm, alors il suit φ =νπ

2m, C.D.F.D.118

l’exactitude des hypothèses à la base des calculs. Elle fut élucidée plus tard par la consi-dération des relations thermodynamiques.

114 Petrop. N. Comm. 1, 1747/48 [50], p. 67.115 § 8, p. 71.116 § 16, p. 77.117 § 32, p. 86.118 On doit faire attention, en comparant les valeurs indiquées sous (1), à ce que :

sinνπ

2m= cos

(m − ν)π

2m.

34 TRADUCTION DE L’ÉTUDE DE BURKHARDT

Euler traite encore diverses conditions initiales119 ; ensuite il essaie de procéderau passage à la limite pour m = ∞120, mais renonce finalement à ce projet121.

D’Alembert a lui aussi proposé un tel passage à la limite122 , mais ne l’a pasmené à bien.

§ 10. Le premier mémoire de Lagrange

Tandis que les mathématiciens les plus éminents de l’époque débattaient surles questions des principes de l’analyse auxquelles le problème des cordes vibranteset les problèmes apparentés les avaient conduits, un auteur encore tout jeune etinconnu entreprit de contourner la difficulté en déployant la plus grande habi-leté algébrico-analytique dans la manipulation de formules compliquées123. Ses re-cherches se réfèrent d’abord au problème examiné au § 9. Sur la base des travaux ded’Alembert19, il remplace le système d’équation du § 9, (2) par le système d’équa-tions du premier ordre :

(1) dyµ = uµdtduµ = (yµ+1 − 2yµ + yµ−1), (µ = 1, 2, ...m − 1)

et demande ensuite, afin de déterminer ainsi les multiplicateurs Mµ, Nµ, R, quel’équation résultant de ce système

(2)m−1X

µ=1

(Mµduµ +Nµdyµ) =m−1X

µ=1

(Nµuµ +Mµ(yµ+1 − 2yµ + yµ−1))dt

soit de la forme :

(3) dz = Rzdt.

119 Il traite notamment le cas (§ 45, p. 96) où tous les écarts initiaux sans exception ettoutes les vitesses initiales sont nuls pour les premières particules ; de plus, conformémentau point de départ de ses recherches, le maximum de sa vitesse est atteint pour la dernièreparticule, son point de repère étant dirigé vers la détermination du temps qui s’écoule dansce cas.

120 § 48, p. 98.121 § 56, p. 103 : « inventio numeri, quo celeritas propagationis pulsuum ... definitur,

maxime est ardua, neque sine insigni amplificatione doctrinae serierum exspectari potest. »- Plus tard (Petrop. N. Comm. 9, 1762/63 [64], n̊ 49, p. 244), Euler reprend ses tentatives,

et remplace non seulement sinνπ

mpar

νπ

m, mais aussi

sin νπx

2mpar

νπx

2m, tandis que ν admet

aussi des valeurs qui sont de même ordre de grandeur que m. Par suite, son résultat n’estexact que pour le morceau de la fibre d’air proche d’une extrémité.

122 Berl. Hist. 1747 [49], n̊ 44, p. 247 ; 1750 [52], n̊ 3, p. 359.123 Taur. Misc. 1, 1759 (oeuvr. 1, p. 37). Concernant la connaissance par Lagrange des

traités d’Euler parus à Petersburg, nous avons son propre témoignage dans sa lettre à Eulerde juillet (1754 ?), oeuvr. 14, p. 138 ; mais justement, celui examiné au § 9 semble lui avoiréchappé (cf. la conclusion du n̊ 33, p. 97).