Hyppolite - Histoire Et Existence

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B- Histoire I HISTOIRE ET EXISTENCE* INTRODUCTION La phllosophie française a toujours méprisé ou méconnu l'lùs- toioe. Descartes, Malebranche - peut-être faut-il faire une exception pour Pascal - ont pensé en dehoiS de l'histoire. Leur système ne tient pas compte d'une évolution historique, qui serait une véritable évolution, qui mettrait l'histoire dans l'être même et dans le cogito. Nous avons eu de grands hlstorieos - peu de philosophes de l'histoire, du devenir. On pourrait croire que Bergson qui a été notre dernier grand philosophe avant la guerre de X939· a introduit une pensée du devenir. C'est lui qui a dit:« Le temps est invention ou il n'est rien. » C'est lui qui a écrit L'Btlolution çréatrice. On ne * Conférence faite à l'Université d'Upsal, à l'Institut fiançais de Stockholm, d'Oslo et de Copenhague du 3 au15 décembre 1955·

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Hyppolite - Histoire Et Existence

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  • B- Histoire

    I

    HISTOIRE ET EXISTENCE*

    INTRODUCTION

    La phllosophie franaise a toujours mpris ou mconnu l'ls-toi. Descartes, Malebranche - peut-tre faut-il faire une exception pour Pascal - ont pens en dehoiS de l'histoire. Leur systme ne tient pas compte d'une volution historique, qui serait une vritable volution, qui mettrait l'histoire dans l'tre mme et dans le cogito.

    Nous avons eu de grands hlstorieos - peu de philosophes de l'histoire, du devenir. On pourrait croire que Bergson qui a t notre dernier grand philosophe avant la guerre de X939 a introduit une pense du devenir. C'est lui qui a dit: Le temps est invention ou il n'est rien. C'est lui qui a crit L'Btlolution ratrice. On ne

    * Confrence faite l'Universit d'Upsal, l'Institut fianais de Stockholm, d'Oslo et de Copenhague du 3 au15 dcembre 1955

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    trouve pourtant pas de philosophie de l'histoire chez lui, On dirait que seule la vie a une histoire ( tous les vivants se tiennent et cdent la. mme formidable pousse), mais sur l'histoire humaine, Berg-son n'a presque rien dit (Les Jeux sources ne sont pa.s une philosophie de l'histoire humaine, comme L'Bvo1Hiio11 t:f'atrice est une philo-sophie de l'histoire de la vie).

    Un de nos potes qui fut aussi un penseur a exprim toute notre critique de la vision historique du monde dans un de ses ouvrages : Regards Jllf' Je monde actueL

    Par contte, depuis la guerre demi re (celle o nous avons connu l'invasion,la dfaite, la. rsistance), la pense franaise, et bien entendu la. pense philosophique, n'a. cess de se modifier sur la siltlation historitpe de l'homme (1). Le concept des temps nouveaux, celui de l'existence, qui dsigne l'tre mme de l'homme, Ptre de la ralit humaine, par opposition tout autre type d'tre - par exemple l'tre d'une chose ou mme d'un vivant- est troitement li au concept de situation, et donc de situation historique, car toute situation est historique. Mais cette existence ncessairement histo-rique de l'homme permet-elle de penser une totalit plus vaste que chaque existence personnelle, une histoire en gnral?, et cette histoire que nous vivons peut-elle tre dite avoir un sens? Ce sens de l'histoire, de sa relation notre existence, voil le problme dont je voudrais vous parler, en envisageant ce problme dans le cadre de la philosophie franaise daprs guerre. Une remarque avant d'entrer dans un expos qui se voudrait objectif. Il nest peut-tre pas inutile de noter que notre mditation sur l'histoire correspond une priode de notre vie nationale o l'histoire pse lourdement su:r: nous, o nous la subissons comme un destin, lourd de menaces. Chaque Fta.nais sent plus encore peut-tre que chaque homme en gnral que le destin de la France. et donc de chaque Franais, est

    (t) Ou, plus Clalctcmcnt, sur l'homme en situation historique.

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    en cause. Nous ne pouvons plus :r:efu.ser l'histoire parce qu'elle nous tient.

    Il est toujours un peu arbitraire de vouloir prsenter une sorte de tableau de la philosophie contemporaine; je ngligerai ncessai-rement bien des aspects, et mon choix correspondra-ncessairement une vision un peu particulire des choses. Autant donc indiquer ds le dbut ce qui prside ce choix.

    Le grand mouvement philosophique franc;ais aprs la guerre de 1939 fut le mouvement existentialiste. Je retiens deux noms, ceux de Sartre et de Merleau-Ponty, et c'est d'eux seuls que je par-lerai. Je ne mconnais pas pour autant l'existentialisme ch:r:tien (G. Mncel), le personnalisme (Mounier), les rflexions sur l'histoire d'Aron ou de Marrou, mais je crois que le mouvement existentia-liste est pour la philosophie contemporaine ce que fut Bergson pour la gn:r:ation prcdente. C'est travers eux que je vais tudier mon problme : l'existentialisme franais et l'histoi:r:e.

    Cependant il est remarquable que l'existentialisme ne s'est dfini que par rapport une autre grande philosophie de l'histoixe dont le succs a t aussi grand, le marxisme issu de Hegel, et qu'on ne peut sparer l'existentialisme du marxisme, auquel il s'oppose autant qu'il se lie. C'est par :r:apport au marxisme que la philosophie de l'histoi:r:e de Sartre et celle de Merleau-Ponty se situent, et la dernire polmique entre Sartre (Les commtmiste.r et Ja paix) et Merleau-Ponty (Les avenhlres de la dialtJcti~e) est une polmique propos du maxxi.sme et de son dveloppement dans le monde sous la forme du communisme (t).

    Nous parlerons donc du marxisme comme philosophie de l'his-toire, puis de la position par :r:apport au marxisme de Sartre et de Merleau-Ponty.

    (1) Enoote un &.it historique de la. France: l'aistence d'un fort parti conunu-niste.

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    I. -LE MARXISME

    La gnution de Sartre et de Merleau-Ponty (c'est la. mme que la mie011e et nous avons t condisciples l'Ecole Normale) a vu s'introduire da.ns la philosophie franaise - assez tardivement -l'hglia.nisme et le marxisme. Tandis que je traduisais la Phno-mnologie Je l'esprit, vaste fresque de l'humanit, Kojve donnait une intes:prtation originale de cette uvre de Hegel. Nous venions tardivement un hglianisme qui avait envahi toute l'Europe, sauf la France, mais nous y venions par la PhnommJIDgie tie l'esprit, l'uvre de jeunesse la moins commente, et par les relations possibles de Hegel et de Marx. Il y avait bien eu des socialistes et des commu-nistes en France, mais Hegel et Maa n'taient pas encore entrs dans la philosophie franaise. C'est aujourd'hui chose faite. La discus-sion sur le matxisme et l'hglianisme est Pordre du jour:.

    Je voudrais simplement montrer la. double interprtation du maaisme qui est au centre de la discussion. Hegel, dit-on, gem~it Fe11erba~h. q11i gent~il Marx. Or la philosophie de l'histoire de Hegel met l'histoire la place de Dieu. L'histoire du monde est une thodice, elle est le jugement du monde, et, pu l'histoire, travers l'histoire, la raison absolue se ralise (x).

    Il y avait bien autre chose chez Hegel que cette affirmation som-maire, il y avait toute une thorie de l' alintzh'Dn et des relations interhumaines (maitre et esclave). Il y avait l'ide profonde que l'esprit, Phomme, se trouve alin, tranger soi, dans la nature et la socit et que l'histoire surmonte cette alination, que la rali-sation de la raison absolue est la mme chose que la ralisation de la. libert, la dsalination de l'homme : L'homme est esclave, de la nature, de l'argent, et de l'homme. L'histoire est sa libration

    (1) La ratioaalit n'cdste pas une fois pout toutes dans une s~cture immuable, dlc s'engendre ellc-mmc, elle devient.

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    dialectique; mais tandis que pour Hegel cette libration se fait sur-tout par le savoir, par la pense, le marxisme, par une analyse extr-mement originale de la structure conomique de la vie humaine, montre que cette alination rsulte d'une exploitation de l'homme pa.r l'homme (d'ailleurs un moment favorable au progrs technique de l'humanit, au dveloppement des forces productives}, et que le produit dernier venu de cette exploitation, son rsultat, le proltariat, doit surmonter effectivement l'alination en ralisant ncessair1mmt la socit sans classe, sa propre destruction comme proltariat.

    Je viens de dire : en ralisant ncessairement -et j'ai fait allu-sion une double interprtation possible du marxisme. Cette double interprtation rsulte d'un commentaire du mot ncessairement.

    L'histoire, que Hegel assimilait Dieu, ralise-t-elle ncessai-rement, en se servant du proltariat, la rvolution qui mettra fin !"alination? Ou bien cette ncessit, ce destin absolu qui serait l'histoire, est-elle susceptible d'alination?, fait-elle une part la libert humaine ?, le projet de libration peut-il chouer, et l'his-toire, imprvisible, conduire autre chose qu' cette libmtion mme ? Cette question sc pose nous depuis que Ma:cc: est mort, et que le mamsme s'est ralis sous la forme de la rvolution russe par exemple et ne s'est pas ralis, comme Ma:cc: l'avait d'abord prvu, dans les grands pays de !>Occident ou de l'Amrique, dans les pays les plus industrialiss. Comment faut-il interprter le schma ow:xiste de l'histoire ? :

    1) Ncessit objective - dialectique de la. nature (Engels), puis de l'histoire; .z) Ncessit subjective. conscience de classe du proltariat s'clairant et s'levant pour promouvoir une socit nouvelle. Dans le second cas l'chec est possible, enfin tout projet qui substituerait au proltariat une bureaucratie, une caste qui ne l'clairerait pas, qui ne tiendrait pas compte du proltariat propre-ment pa.tler, ne serait plus dans la stricte ligne du marxisme. On voit l'importance de ce problme dans le monde actuel. On pourrait

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    le formuler philosophiquement ainsi : la dialectique est-elle objeo-tive (socialisme dit scientifique) ou est-dle objective - subjective par l'importance de la prise de conscience et la possibilit mme de l'chec - d'une histoire non prvue?

    Une femme de notre gnration, Simone Weil, a an2lys avec une extraordina.h:e profondeur ces diffi.Clllts et mme ces contradic-tions du marxisme. Son uvre, crite avant la. guerre, vient seule-ment de para.ttre. Dans Opprmion et libert, Simone Weil montrait qu'il y avait la fois chez Maa: une affirmation thique gnreuse ( I ), et une analyse rigoureuse de la structure sociale et conomique, mais que l'une ne rejoignait pas l'autre(~). C'est u.n postulat que l'volu-tion de la structure sociale -et, par exemple, la disparition d'un certain capitalisme, - conduirait ncessairement la. libration de l'homme. L'oppression pourrait ne pas dispata.J."tre avec le capita-lisme (3).

    En face de ce marxisme, repens en F:ra.nce notre poque, le mouvement existentialiste est apparu comme une philosophie de la. libert (et non d'une ncessit inluctable des lois de l'histoire), mais une philosophie de la libert de l'homme, engag dans l'his-toire, en situation historique, ayant 11n ptZss et se projetant ver.r t'atJenir, }i a'(lll/riS hOIJI1111.10 Ct constituant avec eux une hi.rtDirB (4). Cet

    (t) La mission du proltariat, l'exigence de sa libration. (z) n y a COtJ.tradiction vidente. clatante enue la m~thode d'analyse de

    Mau et ses cotJ.clusions. (5) Le pouvoir, pa.t dfinition, ne constitue qu"un moyen, ou pour miel.lX

    dire, poss6der Ull pouvoir, cela consiste simplement possder des moye:ns d'action qui depassent la force si restreinte dont un individu dispose par luimme. Mais le pouvoir se prend pour fin. La coume au pouvcr, la lutte pour le pou~ voir engendrent fatalement l'oppression.

    (4) Les rapports humains se font choses, s'alinent. Nous les rcuprons a px s les avoir perdus.

    A mesure que les intrts pen;onncls s'autonomisent en inttts de classe, la conduite personnelle de l'individu sc rifie, s'aline ncessairement, et du ~mc coup subsiste sans lui comme une force indpendante.

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    existentialisme devait intetprter subjectivement le marxisme. Il tait attir pat lui, il ne pouvait pas cependant adhrer pleinement une philosophie de la ncessit historique; il tait attir pat lui, ca:c le mouvement existentialiste tait de gauche, antithologique; il pensait, comme Marx, que les hommes font leur histoi:ce, tandis qu'ils n'ont pas fait la nature; mais il rencontrait le problme de l'chec possible de l'histoire, des impasses historiques, de l'adhsion . un patti qui prtendait se donne:c comme le seul interprte valable de l'histoire.

    C'est dans le cad:ce de oe problme que se situe le dveloppement de la pense existentialiste franaise, celle de Sattre et de Merlea.u~ Ponty qui, fondateurs communs de la revue Les Temps modernes, viennent aujourd'hui de s'opposer l'un l'autre sur cette question mme de l'histoire. Et cette scission n'est pas sans donner une vitalit nouvelle l'existentialisme. Hegel disait que c'est un signe de vie quand un gtand parti se divise. Le conflit sur l'histoire au sein de l'existentialisme est le signe de la vitalit et de l'importance de ce mouvement de pense.

    II. - L'EXISTENTIALISMB FRANAIS ET L'HISTOIRE

    z) Position tOfll11'/111ze Je SIZI'tre et Je MerleatrPonly. -Sartre a crit L'Btre et le Nant en 1943 -et ce fut le grand livre de notre gn~ ration. Les admirables analyses de l'angoisse devant la. libert, du regard d'autrui sur nous, de notre existence toujours libre et toujours en situation nous dominent; elles ont eu toute leur influence par les uvres littn.ites de Sartre. L4 1141Jsie, les nouvelles (Le m~~r). le roman : Les chemins la libert, les pices de thtre emin, des Mo111:hes Nekras soj, en passant pat Le Diable et le bon DieN et HNis-clo.r, aussi bien que Lu main.r sales.

    Sartre est philosophe, crivain, essayiste et moraliste. Sa patti~ cipa.tion la vie politique franaise est directe; il n'adhre pas au

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    communisme, mais il suit le communisme aussi loin qu'il peut, et justifie dans Les Temps modernes cette adhsion (qu'on peut dire malgr tout distance). Tel est le sens de la srie d'articles Les commrmistes et la paix; il prpare un grand livre sur l'homme qui doit contenir toute sa philosophie politique ct historique, mais qui n'a pas encore vu le jour parce qu'il est peut-tre irralisable, et que certaines contradictions de l'attitude de Sartre sont insolubles.

    L'uvre de Merleau-Ponty apparalt beaucoup plus comme l'uvre d'un uoiversitail:e de grande classe. La StructNre dM compor-tement et la Phnomnologie Je la perception sont des thses de doctorat. Le problme de l'histoire a intress Merleau-Ponty; et c'est. une mditation sur ces problmes que nous offre son recueil d'articles 'Hllmrmisme et terreur ou son dernier livre : Les aventNre.r dl la Jialec-li(jlle qui repreanent certains de ses cours au Collge de F.rance.

    Le conftit entte Sartre et Merleau-Ponty qui vient de se produire succde une doctrine commune, et pourtant dans le caractre des hommes, comme dans le dtail de leurs penses, on pouvait entrevoir: ds le dbut les germes de leur opposition.

    Nous avons dj dit que le concept commun, celui d'existence, dsigne l'tre mme de l'homme. Il ne s'agit plus d'un homme qui se saisit abstraitement comme cogito, mais d'un homme qui se saisit temporellement, ~un homme qui, en surgissant au monde, fait e.n mme temps surgir le monde pour lui; je suis au monde, et ce monde est pour: moi, je suis aussi un pass que j'ai . tre, pat rapport un avenir que je projette d'tre. Enfin, si je suis pour-moi, par le regard de l'autre, je sais aussi que j'existe pour les autres; je me sens. domin par ce regard de l'autre qui me fixe dans l'tre, et pour viter cette domination je tente de le dominer mon tour.

    Car l'existence, pour Sartre, est essentiellement libert, une libert laquelle je suis condamn (je ne peux pas renoncer tre libre), mais cette libert n'est pas contradictoire ma situation, ma place dans le monde, 1 mon corps ; elle les fait apparaltre au contraire.

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    Sartre peut crire : On voit plus clairement ici le lien inextricable de libert et de facticit dans la situation puisque, san.s la facticit, la libert n'existeit pas comme pouvait de nantisation et de choix, et que, sans la libert, la facticit ne serait pas dcouverte et n'aurait mme aucun sens. De mme mon pass ne s'cTaiJ:e pour moi comme pass, comme inmdiable qu' la lueur d'un projet futur. Pour que le futur soit ralisable, il faut que le pass soit irr-mdiable (1).

    (1) L'action historique ne sc rfre pas il. une situation objective dont die serait l'dier ou la consquence, mais elle dvoile cette situation objective :i h lumim d'ua projet tout entier suspendu h libert. . Nous avons affaire ici un cas particulier de l't:rc-dans-lo-mondc : de mme

    que c'est le surgissement du pour-soi qui fait qu'il y ait un monde, de meme c'est ici son tre mme, en mt que cet tre est pur projet vus une .6n, qui fait qu'ily ait une c:c::t'tllinc struc:tw:e objective du monde qui mrite le nom de motif il. la lueur de cette fin [par exemple, le projet rvolutionnaire de Marx). Le pour-soi est donc conscience tk cc motif. Mais cette conscience positionnelle du motif est par principe conscience non thtique de soi comme projet ven une .6n. En ce sens elle est mobile, c'cst-~dire qu'elle s'p:rouvc non thtiqucmcnt comme projet plus ou moins ipre, plus ou moins passionn vers une fin dans le moment meme o elle se constitue comme conscience rviante de l'organisation du monde en motifs.

    Ccpcncbnt, la conduite n'est pas une suite d'-coups .ir.tionnc:ls, car il y a un projet fondamental qui l'enveloppe, au-del duquel on ne peut junais :rcmooter, comme le postulat d'Euclide. A partir de l, aucune intclpttation ne peut tre tente, car elle supposerait implicitemCilt l'tre-dans-le-monde du pour-soi, comme toutes les dmocsttations qu'Oc. a tentes du postUlat d'Euclide supposcnt implici-tement l'adoption de cc postulat. >) '

    Similitude avec: le P:reudismc . - influence de la. psychanalyse. sur Sartre ; (( n s'agit, en effet, de dgager les significations impliques par un acte -par toul acte - ct de passer de l des significations plus :riches ct plllS profondes jusqu' ce qu'on rencontre la signication qui n'implique plus aucune autte signi-fication ct qui ne renvoie qu' elle-mme. Cette dialectique. remontante est pzati:-quc spontanment par la plupart des gens, on peut mme constater que dans la connaissance de soi-mme ou dans celle d'autrui, une comprhension spontane est donne de la hirarchie des intezprt:ations. Un geste renvoie une Wtltrm-rebtJ~mg ct nous le sentons. Mais personne n'a tent de dgager systmatiquement les signijica.tions impliques par un acte. Une seule cole est partie de la mme ~denee originelle que nous, c'est l'cole fteudicnne. Pow: Freud, comme pour nous, un

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    En apparence Merleau-Ponty reprenait presque son compte les analyses de Sartre dans le livre Phnonnologie ek la perception. Dans les chapitres sur la temporalit du cogito et sur la libert, il amorait cependant une attitude diffrente en reliant toujours ma libert une situation dj donne, une histoire dj commence. Le monde ambiant, mon monde, me prsente toujours un rtain sens probable que je peux ou non raliser; il y a une lecture de sens qui est la perception mme et sans laquelle la libert ne senit pas concevable. Chez Sartre il y a une philosophie de l'instant (x) et d'une libert qui peut toujours recommencer, refuser, reprendre tout l'origine (une libert que Descartes accordait Dieu); chez Merleau-Ponty la libert est moins rupture que continuation, dcision sur l'ambiguit d'un sens, mais d'un sens dj amorc, dj commenc. Si Bergson parlait dj d'une libert qui tait tantt discontinuit (c'est--dire rupture), tantt continuit, on pourrait dire que Sartre va dans le sens de la discontinuit (au moins toujours possible), tandis que Merleau-Ponty va dans le sens de la continuit, mais d'une continuit qui n'est pas ncessairement donne et claire seulement rtrospetivement en dissipant sa propre ambigut.

    2.) L'opposition.- On pressent que Sartre, en donnant une grande place la situation historique, est au fond un moraliste qui ne croit pas l'histoire (comme totalit faire), tandis que Merleau-Ponty part d'une histoire, mme si elle n'est pas ncessaire : Le choix que nous faisons de notre vie a toujours lieu sur la base d'un -certain

    acte ne saurait se bOmer lui-m:me : il t=voic immdiatement . des structtues plus profondes. Et la psycb.anal.yse est b. mthode qui permet d'expliciter ces struc-tures. Fteud se &rmnde comme nous : . quelles conditions est-il possible que telle pe= ait accompli telle action pa.rticulite? Et il refuse comme nous d'iDterpreter l'action par le moment antcdent, c'est--dite de CO!ltcvoir un dterminisme psychique horizontal

    (I) Le problme de i'inst(JJit: Pourtant l'instant n'est pas une vaine invention des philosophes.

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    donn. Ma libert peut dtourner ma vie de son sens spontan. mais par une srie de glissements, en l'pousant d'abord, et non par s.ucune cration absolue. Toutes les explications de ma. conduite par mon pass~ mon temprament, mon milieu sont donc vraies condition qu'on les considre non comme des apports sparables, mais comme des mouvements de mon tre total dont il m'est loisible d'expliciter le sens dans diJfrentes dh:ections, sans qu'on puisse jamais dire si c'est moi qui leur donne leur sens, ou si je le reois d'eux (x).

    Une doctrine commune : il n'y a pas de regard ternel ou intem-porel, de ()giJD absolu; mais tandis que la libert du pour-soi, chez Sartre, de l'existence, se joue dans l'instant, dans un projet toujours rvisable, la libert que je suis, pour Merleau-Ponty, s'enracine dans une histoire, dont elle dvoile ct cre le .tms. Dans les deux cas cet existentialisme ne peut adhrer un marxisme scienti-fique qui mettta.it le ressort du dveloppement historique bors des prises de l'homme, dans une volution inluctable dont le proltariat prenchai.t seulement conscience. C'est pourquoi Sartre a condamn l'objectivisme marxiste autant que Merleau-Ponty; ils ont condamn une histoire qui serait Dieu, pour revenir une histoire bien plus ambigu qui est celle des hommes et qui n'est pas toute faite.

    Ma,is partir de l il y a divergence. Il aurait pu sembler que Merleau-Ponty s'approcherait davants.ge du .tXWXisme par sa concep-tion de la continuit qui fait une trame de 1 'histoire, et en introduisant la conscience de classe du proltariat (z.), que Sartre s'en loig.nit

    (I) A propos de l'histoire, MEIU&.u-PoNTY crit, dll15 Lu lliiiJI/IInS ile la ii~; lulip : n y a moins un sens dam l'histoire qu'une Um:lation du non~ens.

    (z) Quand le sujet sc reconnalt dans l'histoire ct reconnait l'histois:e CD. lui-mme, il ne domine pas le Tout comme le philosophe hglien, mais il est engag dans une tche de totalisation. Il n'y a qu'un savoi1' qui est le savoi1' de notre monde en devenir, ct ce dcvcnit englobe le savoir lui-mme. Mais c'est le savoir qui nous l'apprend.

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    davantage par sa thse que nous sommes toujours libres, maintenant ou jamais, et que la question est davantage de nous engager h tt n~~~~t:, que de constituer un avenir, continuant en l'clain.nt une histoU:e passe.

    En fait l'inverse s'est produit. Dans son article: Lu r:ommm~i.rtes et la paix, Sartre en vient j usti6er le proltariat ( 1) comme conscience, par le seul parti et la ncessit, si Fon veut que le proltariat existe, de suivre le par#. Cette adhsion de la libert est pour ainsi dire hors de l'histoire.

    Merleau-Pooty constate au contraire l'chec des efforts faits pour constituer une vritable conscience de classe autonome chez les p:roltaU:es. Il montre les efforts d'un Lukcs pour d1inir, loin de tout objectivisme, tte conscience d'une classe qui doit faire dis-paraltre les classes et constate l'chec de sa tentative (Lukacs est oblig de se renier lui-mme}. Devant ces checs de la. dialectique historique telle que Marx l'avait prvue, Merleau-Ponty en vient se demander, comme Simone Weil, si une rvision du marxisme dans le sens d'une nouvelle philosophie de l'histoi:r:e ne s'impose pas, si, en restant de gauche, on ne peut pas chapper au dilemme : communisme ou capitalisme (z). Je retombe ici dans l'histoire quo-tidienne, dans cette emprise de l'histoire sur nous par laquelle je dfinissais-l'histoire actuelle de la France. Sartre croit au Front popu-laire, Merleau-Ponty une nouvelle gauche qui, sans exclure les communistes, accepte de les juger, refuse de s'en temettre une

    ("r) Qa'est-ce que le prolta.ria.t, pour Sartre ? C'est le regard du plus dfavo-ris. Aicsi, par leur seule prsence silencieuse[ ... ), par leur regard, ces hommes appuaisscnt tout :l coup comme une socit dans une soci&, provoquent des troubles tu Patadis et font clater l'Humanisme; ils c:ontra.ignent une prise: de: conscicnc:c tvolutionnaitc.

    (z.) Metlcau-Ponty, lucidit intellectuelle, analyse de l'histoire par une rflexion intellectuelle.

    Sartre, intaition fulgurante d'une certaine situation historique dms l'imm-diat (Lu &tJI/IIIItmitiiJI cJ la paix, La bot

  • HISTOIRE

    action rvolutionnaire qui est aujourd'hui secrte, invrifiable et justement, parce qu'elle veut recrer l'histoire, greve de charges qui nont jamais t values.

    III. - CoNCLUSION

    Je voudnis m'arrter cette retombe dans l'histoire et dans la. politique, mais il tait ncessaire de montrer comment Pexisten-tia.lisme franais - sans pour autant tre marxiste - a t conduit deux prises de position aussi concrtement divergentes que celles de Sartre et de Merleau-Ponty aujourd'hui : front populaire ou nou-velle gauche. Ces prises de position sont d'ailleurs elles-mmes his-toriques, elles sont domines par une certaine situation, et plus pr~ cisment une certaine situation franaise, l'intrieur et l"extrieur.

    Mais mon dessein tait d'ordre philosophique et je voudrais insistet en terminant sur ces deux points plus proprement phi-losophiques.

    I) La diffrence entre Sartte et Medeau-Ponty est une diffrence dans la. conception mme de la libert, et de la relation de la libert l'histoire humaine. Ce qui domine la pense de Sartre, c'est moins l'aven.it humain que la. libert personnelle d'un pour-soi qui a se dcider da11s une situation historique concrte. Cette dcision, par sa totalit, par son caractre de commencement absolu, chappe presque l'histoire. Derrire l'existentialisme de Sartre, il y a peut-tre un cartsia.nisme qui a toutefois mis l'homme la. place de Dieu. Sartre est un moraliste qui prend position - et cette position est :radicale (1). Merleau-Ponty nous aide davantage penser la. conti-nuit d'une histoire, o notre libert se mle inextricablement au donn, mais sa rBexion objective sur les conditions de l'histoi:~:e l'loigne plus qu'il ne le croit de l'engagement vritable.

    (r) Elle appamt pa.tfois plus profonde et rooms lie U1le rflexion objective.

    Hyppolite - "Histoire et existence" (1955)_Page_1Hyppolite - "Histoire et existence" (1955)_Page_2_1LHyppolite - "Histoire et existence" (1955)_Page_2_2RHyppolite - "Histoire et existence" (1955)_Page_3_1LHyppolite - "Histoire et existence" (1955)_Page_3_2RHyppolite - "Histoire et existence" (1955)_Page_4_1LHyppolite - "Histoire et existence" (1955)_Page_4_2RHyppolite - "Histoire et existence" (1955)_Page_5_1LHyppolite - "Histoire et existence" (1955)_Page_5_2RHyppolite - "Histoire et existence" (1955)_Page_6_1LHyppolite - "Histoire et existence" (1955)_Page_6_2RHyppolite - "Histoire et existence" (1955)_Page_7_1LHyppolite - "Histoire et existence" (1955)_Page_7_2R