Husson & Barsoc - Les Rouages Du Capital

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    L e s r o u a g e s

    d u c a p i t a l is m e

    C h r i s t i a n B a r s o c

    E l m e n t s d a n a l y s e

    c on o m i q u e m a r x is t e

    L a B r c h e

    TABLE DES MATIERE S

    Introduction

    Chapitre1

    La va leur et lexploitat ion

    Chapitre 2

    Laccumulation du capital

    Chapitre 3

    Les fluctuat ions conomiques

    Chapitre 4

    Limpr ialisme et lconomie mondia le

    Chapitre 5

    Lalterna tive socialiste : lments pour un dbat

    Petit guide de lecture

    NB. Ce document correspond peu de choses prs au textede la brochure pa rue en 1994 et aujourdhui puise.

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    INTRODUCTION

    Le tablea u que pr sente a ujourdhui lconomie mondiale a de qu oi inciter la rflexionet la rvolte : ingalits croissantes et chmage de masse dans les pays capitalistesdvelopps, surexploitation des travailleurs et misre de la majorit de la populationdans le Tiers Monde, baisse massive de la production et pauprisation de largessecteurs de la population dans les pays de lEst a uxquels un avenir ra dieux taitpourtant pr omis aprs la chute du m ur de Berlin.

    La r alit actuelle du capitalisme t riomphant, ce sont donc ces monstrueux par adoxes :plus de trois millions de chmeurs officiellement dcompts en France, des jeunesrduit s aux emplois prcaires, alors que la du re du t rava il est bloque, et que lonrepousse au contr aire lge de la retr aite. Alors que des centa ines de millions de genssouffrent de la faim dans le Tiers Monde, la politique agricole de lEurope veut rduireles surfaces cultives. Alors que le Sida fait des ravages, on dcouvre (Le Monde du 6mai 1994) que la logique conomique conduit certains gants mondia ux de lindu strie

    pharm aceutique abandonn er la recherche dun va ccin contre le Sid a .

    La logique conomique, le grand mot est lch ! La litt ratur e conomique et le discoursdominant tenden t de plus en plus exclure lconomie du dbat dm ocrat ique (au nomdes contr aint es ) et dnoncer comme rverie san s intrt , voire nuisible, la moindrecritique portant sur la logique et les finalits du systme. Pour les conomistes qui

    tiennent le devant de la scne, ce monde est le seul possible.

    Fa ce cela, on peut se sent ir dsar m. Ds que lon sort de chez soi, le mar chmondial nous guette : Corens et J aponais sont en em buscade. Au nom de ce nouveau pril jaune , nous devrions serrer les rangs avec les patrons et les politiciens etaccepter, en disant merci, la baisse des salaires et la dgradation des conditions de vieet demploi. Dans le mme tem ps, ne craignan t pas les acrobat ies intellectuelles, lathorie dominan te explique que lhar monie nat de la libert conomique : que lesmarchandises circulent, que les prix et les salaires fluctuent sans contrainte et lesmeilleurs pr oduits seront fabriqus, tandis que le chmage disparatra. Les m mes ontdcrt que nous vivons au-dessus de nos moyens et quil nous faudrait choisir, parexemple ent re lemploi et la protect ion sociale.

    Pour rsister aux implications proprement ractionnaires de ces discours no-libraux,il faut aller au -del de lappa rent e raison conomique, et chercher comprendr e.

    Comprendre quels sont les ressorts essentiels de cette machine qui nous broie,comprendre vers quels rivages nous mne cette drive de fin de sicle.

    Nous sommes convaincus que les outils du marxisme sont plus que jamais utiles cetra vail de rflexion critique su r le monde qui nous ent oure. La th orie conomique naen effet rien dune science unifie, et la dmarche de Marx, consistant faire lacritique de lconomie politique de son temps (cest le sous-titre du Capital ), restedactua lit. Elle a t poursuivie et enr ichie jusqu notr e poque par les conomistesqui ne sont rsigns ni au capitalism e ni la dnat ura tion de lobjectif dune a utr esocit par les dictat ures burea ucrat ique de lEst.La mt hode mar xiste, parce quelle en dvoile la ralit profonde, permet de saisir lesgrandes tendances du capitalisme contemporain. Ce marxisme dont nous nousrclamons ne sau rait d onc tre un dogme intan gible dont il sagirait de prserver lapuret , puisque cest au contr aire un out il qui doit servir, pour la connaissan ce, et

    laction.

    Le projet de ce petit ouvrage est de prsen ter les lment s fondam enta ux de lana lysemarxiste autour de cinq questions-cls qui correspondent peu prs au dcoupage deschapitres :

    * Do vient la valeur des m archa ndises et le profit ?

    * Commen t se repr oduit lconomie capitalist e ?

    * Pourqu oi les crises conomiques ?

    * Comment fonctionne lconomie capitaliste internationale ?

    * Commen t pourr ait fonctionner un e conomie socialiste ?

    Ces questions se situent des niveaux thoriques diffrents, ce qui explique que leschapitres aur ont des tonalits plus ou m oins abstr aites. Les rponses apportes ne sontpas figes : elles sont ici exprimes de manire synthtique, elles conservent la marquedes dbats qui ont parcouru la tradition marxiste, elles cherchent offrir uneintroduction actualise. Enfin, bien des questions ne sont videmment pas traites,comme la situa tion spcifique des femmes dans lconomie capitaliste, ou les a pports delcologie la critique du systme. Dautres, en particulier le dbat sur le socialisme,prennent u n tour plus problmatique.

    Ces limites correspondent la ta ille de louvrage et son objet : mettr e la dispositionde chacun, sous une forme que nous esprons accessible et non dogmatique, leslment s fondamen tau x de lana lyse conomique mar xiste.

    Christ ian Bar soc est le nom de plume dun collectif de travail au quel ont part icip, danslordre des cha pitres dont ils taien t resp onsables : Albert Martin , Michel Dupont,Henri Wilno, Maxime Durand et Catherine Sama ry.

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    C h a p i t r e 1

    La va l eu r e t l exp l o i t a t i on

    Loeuvre mat resse de Mar x,Le Capital , se prsente comme une critique de lconomiepolitique : il sagit la fois de prsenter une analyse globale du capitalisme, et dedvoiler les mcanismes de lexploitation, mais a ussi dtablir qu e le capitalisme est unmode de production contradictoire destin ce titre tre dpass.

    Pour men er bien cett e dmonstra tion, il choisit de commen cer par lana lyse de lamar chandise, parce que cest la ma nire vidente de satt aquer ltude ducapitalisme : La richesse des socits dans lesquelles rgne le mode de productioncapitaliste sannonce comm e une immense accumu lation de m archandises . Lanalyse

    de la marchandise, forme lmentaire de cette richesse, sera par consquent le point de

    dpart d e nos recherches. 1

    Mais ltude de la m archandise et de la valeur constitue la pice matresse qui permetde comprendr e la spcificit de lexploitation capit aliste. Lexploitation n est pa s en effetune invention du capitalisme, mais elle y revt des formes nouvelles, et ses mcanismesy sont beaucoup plus opaques. Le salari passe en effet tout son temps de travail dansla mme entreprise : toutes les heures para issent payes, et aucune ne semble fourniegratuitement au patron. Le salaire apparat aux yeux des salaris comme larmu nra tion du tra vail effectu, ou, en daut res term es, le prix de leur tra vail. Lesalaire et le profit appar aissent comme des catgories quasi nat urelles, et il nest pas

    vident de discerner la r alit de lexploita tion derrire la belle symtr ie entre pr ofit ducapital et sa laire du t ravail. La t horie, en loccurren ce la thorie de la valeur, a ici pourfonction de dvoiler lessence des choses, derrire leu r ap paren ce.

    Enfin, puisque les marchan dises sont le produit du travail, tudier la ma rchandise etleur valeur conduit sinter roger sur la faon dont une socit organise le trava il detous ses membres, le travail social, pour subvenir ses besoins. Chaque socit rsoutce problme de rpartition du travail humain sa manire. Le capitalisme possdequant lui un mcanisme rgulateur qui agit de man ire inconsciente mais nanmoinsrelle, que Marx ap pelle la lo i de la valeur . Dans la socit capita liste, cest la valeurqui organise la rpartition du travail social, et qui par la mme, rgule la production.

    Marx dit du capitalisme quil est un systme de production o la rgle ne fait loi quepar le jeu aveugle des irrgularits qui, en moyenne, se com pensent, se paralysent et se

    dtruisent mu tuellement. Etudier la valeur per met de comprendr e la fois pourqu oi lecapitalisme peut fonctionner dans la dure, et pourquoi ses contradictions lexposent des crises priodiques.

    I . LA THEORIE DE LA VALEUR

    Notre objectif sera ici de retra cer le raisonnement qui permet dtablir un lien entresalaire et profit dune part , travail pay et t ravail non pay (surtravail) dautr e part.Cette dmarche est entreprise par Marx ds le premier chapitre du Capital, o ilmontre que les prix sont fondamentalement dtermins par la valeur des marchandisesdont la substance est le travail abstrait.

    1 Karl Marx, Le Capital, Livre I, chapitre 1. Compte tenu de la multiplicit des ditions, nous ne

    donnerons pas ici de rfrence pour les citations du Livre I du Capi tal. Voir le "petit guide de lecture"

    qui figure la fin de l'ouvrage.

    1. Valeur d usage e t valeur

    La m archand ise est dabord un objet extrieur, une chose qui par ses propritssatisfait d es besoins hu m ains d e nim porte quel espce. Que ces besoins aient pour

    origine lestomac ou la fan taisie, leur nat ure ne change rien laffaire . Chaquemarchandise est donc utile car elle satisfait un besoin hum ain par ticulier. On dit que lamarchandise a une valeur dusa ge. Chaque marchandise satisfaisant un besoindiffrent , lutilit de chaqu e mar chandise perm et donc de les distinguer les unes desautres. Il convient au pralable de prciser que, par marchandise, il faut comprendre

    un bien ou un service reproductible, produit du travail hum ain, et destin tre vendusur u n ma rch, ce qui exclut pa r exemple les oeuvres dart .

    Ces marchandises distinctes sont vendues et achetes. Cest donc quelles possdenttoutes quelque chose en commun, faute de quoi il serait impossible de les comparer etdonc de les changer. Cette substance commune cest la valeur . Cest une substancesocia le qui nexiste que si deux individus entr ent en relation pour acheter et vendre.Quelle est son origine ? Voil la premire nigme quil sagit de rsoudre. Tout celapara t vident, puisque ces chan ges ont lieu tous les jours, dans la vie coura nte ! Maiscela ne peut fonctionner qu certa ines conditions, que la thorie a pour objet de mett reen lumire : autrem ent dit elle sintresse plus a u pourquoi quau comment .

    Pour Marx, le fait dtre le produit du travail hu main est cette caractristique communeaux marchandises qui rend possible lchange. Marx se situe de ce point de vue dans la

    continuit de ce que lon appellera plus tard lconomie classique, et dont lesreprsentants les plus connus sont Adam Smith (1726-1790) et David Ricardo (1772-1823). Mais Marx (1818-1883) va passer au crible de la critique les apports les plusdcisifs de ces aut eurs, en pa rticulier en ce qui concerne la valeur-travail, de manire refondre leurs concepts et rsoudre un certa in nombre dincohrences thoriques.

    Il faut notamment prciser de quel type de travail on parle. La premire notion introduire est celle de t em p s d e t r av a i l so c i a l em en t n ce ssa i r e , qui consiste ngliger les performa nces individuelles pour sintr esser au t emps de tra vail dpensen moyenne par un travailleur. On doit aussi tenir compte du degr de qualification dutravail et distinguer le travail simple (le moins qualifi) du travail co m p lex e (letravail le plus qualifi).

    La seconde grande distinction porte sur la tran smission et la cration de valeur. Il fauten effet distinguer le t r av a i l v iv an t directement dpens par les travailleurs un

    moment donn, et le t ravail pass, dit encore t ravai l mor t , qui est crista llis, incorpordans les matires premires et les machines.

    Ces prcisions sont utiles, mais encore insuffisantes pour garantir la commensurabilitdes diffrents t ravaux. La mesure de la quant it dun t ravail donn ne pose pas deproblme particulier ; comme le dit Marx, la quantit de travail elle-mme a pourmesure sa du re dans le temps, et le temps de travail possde nouveau sa mesure dans

    des part ies du t emps telles que lheure, le jour etc. . Mais il faut, en plus, que cettemesur e de la quant it de tra vail dpense au cours de lactivit individuelle puisse trerapporte un e notion de tr avail en gnral. Marx appelle t ravai l concret le travailen ta nt quactivit technique de production spcifique donna nt na issance tel ou telobjet utile. Ce travail concret qui correspond la production dune marchandiseconsidre comme valeur dusage. De mme qu e chaque valeur dusage est pa rticulireet se distingue des autres, les travaux concrets sont par nature htrognes et se

    distinguent qualitativement les uns des autr es.

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    Quelle est lopration qui permet de faire ab s t r ac t i o n des caractristiques concrtesdes diffrentes formes de tr avail ? Cela ne peut se faire par rfrence une quan titdfinie de manire physiologique, par exemple en calories, car une telle convention nepourrait en effet correspondre a ux part icularits du mode de production capitaliste qui,par lchange, fait abstr action, aussi, de ces caractr istiques purem ent ph ysiques. Cequi permet de dfinir le t ravai l abstra i t , cest la socialisation du travail par lchangesur le march.

    Cest toute loriginalit de lanalyse de Marx qui introduit ici une rupture avec sesprdcesseurs : lhomognit du travail ne provient pas de la nature mais de lasocit, elle est le rsultat dun rapport social, historiquement dat. Dans une socitcapitalist e, cest le mar ch qui remplit la fonction de mise en rapport d es tra vauxconcret s : lgalisation sociale de deux dpenses de tra vail pr ives saccomplit parlinter mdiaire de lchange de deux ma rchan dises qui entrent en socit comme ledit Marx.

    Ce phn omne social nest pa s organis pa rtir de rgles, de codifications :Lgalisation nest pas le fruit dactes individ uels de producteurs m archand s, mesuran tet galisant leurs tra vaux pr alablement lchange, grce quelque uni t de mesur e. Ilserait faux d e penser quil y a galisation ava nt lchange, des diffrents trav aux, par

    comparaison avec une unit de mesure donne, puis seulement change sur cette base,

    cest--dire proportionnellement d es quantit s de travail qui seraient pralablem ent

    mesures et galises. 2

    Dans le cours de lchange, le march ta blira dan s quelle proportion des mar chandisesayan t la mme valeur, doivent schanger. Supposons que trois heures de travailreprsentent la moyenne ncessaire la production dun pa ntalon pour un tat donndes techniques, et quil faut u ne moyenne de neuf heures de tra vail pour produire unpaire de basket s, en supposant un n iveau de qualification gal. Lgalisat ion par lemarch consistera tablir une quivalence entre trois pantalons pour une paire debasket s de sorte que, indirectement , une heur e de travail consacre la production dunpant alon schangera bien contr e une heur e de travail consacre la production dunepaire de baskets.

    Cette discussion permet de faire appa rat re les particularit s dune socit capitalist e.Les relations que nouent les producteurs indpendants entr e eux ne stablissent quepar linter mdiaire du mar ch, sous la forme dachat s et de ventes. Cest donc le marchqui cre un lien social, ou dit autrement un r ap p o r t so c i a l entre les producteurs

    privs. Ce rapport social prend une forme objective, lchange de marchandises. On ditque le r apport social est chosifi , ou encore rifi : le rapport entr e les h ommes semat rialise sous la forme dun rap port entr e les choses, les marchan dises. Cestpourquoi, pour reprendre lexpression dAdam Smith, il peut apparatre comme lersultat de pr ocessus natur els, actionns par une main invisible .

    Cest aussi lchange et lgalisation des marchandises quil opre, qui transforme letravail priv en t ravail social. Ce nest que dan s la m esure o les produits des tra vauxprivs trouvent a cqureur s en schangea nt sur le march quils font la preu ve de leurutilit pour la socit et se transforment en travail social. En mme temps que lemarch transforme le travail priv en travail social, il transforme donc le travailconcret en t ravail abst rait . Ce processus dabstr action ne se ralise pas dan s le monde

    2 Jacques Valier, Une critique de l'conomie politique , Franois Maspero, 1982, p.49.

    des ides, mais est ralis concrtem ent par le march, par linter mdiaire de lchangedes marchandises.

    En r sum, l a su b s t an ce d e l a v a l eu r e s t u n t r av a i l d p o u i ll d e se s f or m esco n c r t e s e t so c i a l em en t g a l i s p a r l e m a r ch . Un t e l t r av a i l , c a r ac t r i s t i q u e

    d u cap i t a l i sm e , e s t ap p e l t r av a i l ab s t r a i t . La valeur est lexpression ma trielle,sous forme de marchandises, de ce travail abstrait. Le travail abstrait est unesubstance sociale, qui nexiste pas en dehors des rapports sociaux que les producteursnouent sur le march, et qui sexprime dans la valeur des ma rchandises. La valeur a

    donc une double dimension : une dimension quant itative, la grandeur de la valeur, quiexprime le temps de travail ncessaire en moyenne pour produire une marchandisedans un e socit donne. Et une dimension qualitative, en tant que rapport social deproduction qui r evt la forme dun objet.

    2. Form e de valeur , valeur dchan ge e t monn aie

    Marx intr oduit ensuite une nouvelle distinction, entre valeur et valeur dchan ge : Le quelque chose de comm un qu i se montre da ns le rapport dchange ou dans lavaleur dchange des ma rchand ises est par consquent leur val eur . La valeur cestlessence commu ne de tout es les mar chandises et la valeur dchange, cest le ra pport, laproportion dans laquelle schangent les marcha ndises, et qui permet dexprimer lavaleur.

    Lorsque lon prend isolment une marchandise, il est impossible den tudier la valeur.Comme le dit Marx on peut tourner et retourner volont une marchandise prise

    part ; en t ant quobjet de v aleur, elle reste insaisissable . La valeur reste cache etnapparat que lorsque la marchandise schange contre une au tre dan s une certaineproportion, la valeur dchan ge. Il en est ainsi, insiste Ma rx, parce que les valeurs desma rchandis es nont quune ralit purement sociale (...) qui ne peut sexprim er que dans

    les transactions sociales, dans les rapports des m archandi ses les unes avec les autres .

    La valeur dchange est donc bien la forme dappa r i t ion de la valeur et il sagit ldune dimension q u a l i t a t i v e. Mais la difficult tient ce que cette dimensionqualita tive se double videmmen t dune dimen sion quant itat ive : la valeur dunemarchandise apparat, lorsquelle schange avec une autre, sous la forme duneproportion, dun rapport dchange. Cette distinction entre lessence, la valeur, etlappa rence, la valeur dchange est importa nte lorsquil sagit dexpliquer lorigine de la

    m o n n a i e.

    Marx va en effet dmontrer que toutes les marchandises expriment leur valeur dansune marchandise particulire, largent, qui se subdivise en quantit de monnaie. Lavaleur dchan ge devient monna ie, et la monnaie est la forme dappar ition de la valeursur le mar ch. Dit au trement, la monnaie permet la valeur de sexprimer sous laforme de la valeur dchange. Les marchandises ne schangent donc jamaisdirectement entre elles mais toujours directement et immdiatement avec la monnaie.

    Comme la substance de la valeur est le travail abstrait, il en dcoule que le travailabstr ait sobjective dans la m onnaie. Le trava il abstra it ne se dfinit donc passeulemen t en opposition au tra vail concret : le mode dexistence du tra vail abstra it estla monnaie. Cette an alyse de Marx distinguan t la valeur de sa forme dappar ition, lavaleur dchan ge, est utile pour compren dre pourquoi nous percevons autrem ent la

    ralit.

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    Comme toutes les mar chandises schangent contr e de la monnaie, tout se passe commesi la monnaie et les prix incarnaient n a tu r e l l em en t la valeur. Marx souligne ainsi quela marchandise choisie pour servir de monnaie ne parat point devenir argent parceque les autres m archandises exprim ent en elle rciproquement leurs valeurs ; tout au

    contraire, ces dernires paraissent exprimer en elles leurs valeurs parce quelle est

    argent. Largent et son expression en prix acquirent une authenticit sociale si fortequils sau ton omisent .

    Avec laut onomisation de la forme argent , la dimension qualita tive de la valeurdchange sestompe au profit de la seule dimension quant itat ive : la ma rcha ndise Avaut t ant dargent, et largent est la valeur. Par consquent, la tenda nce spontane seradatt ribuer aux objets, et en loccurr ence largent , des pouvoirs quils nont pas, commecelui d t r e la valeur en ce qui concerne la monnaie. Attribuer aux objets des pouvoirssurn atu rels, cest les tr ansformer en ftiches. Le rle de ces ftiches est de dissimu ler lefait que largent est une forme de la valeur, que la valeur est dtermine par le t ravailabstr ait, cest dire du t rava il en gnral dpens dan s des conditions sociales tr spar ticulires, celles du capita lisme. Pour cette ra ison, lan alyse du ftichisme joue unrle fondamental3. Cest elle qui permet dexpliquer que dans la socit capitaliste,lexploita tion est camoufle, que lEta t app ara t comme au dess us des classes sociales etnon pas comme le rgisseur de la plus-value.

    II. LEXPLOITATION CAPITALISTE

    Le capital se prsent e initialemen t sous forme mont aire, sous forme dargen t. Mais lui seul, largent nest pa s du capita l. Largent ne devient du capital que lorsquil enfante de la valeur . Une certaine somme dargen t est ava nce et investie dans laproduction, et au bout du compte le capitaliste r etire un e somme dargent plus leve :le capital cest donc de la valeu r qui sauto-valorise. On dboucha a lors sur u ne nouvellenigm e : do provient cette capacit faire du pr ofit ?

    1. Le cycle du cap i ta l

    Reprenons avec un peu plus de dtail les diffrentes mtamorphoses que subit le capitalau cours de son processus dauto-valorisation. Le schma ci-dessous rsume cesdiffrentes tapes du cycle du capital.

    A ---> M (MP, FT) --->[ P ]---> M+ --->[ R ]---> A+

    Au dpart du cycle, il y a une certaine somme dargent, A, avec laquelle le capitalisteachte les marchandises ncessaires la production, savoir des moyens de productionMP (matires premires, nergie, produits semi-finis, etc.) et de la force de travail FT,ce qui constitue un capital productif dont la valeur est gale M. Vient ensuite la phasede la production proprement dite [P] dont le produit se matrialise sous forme de

    3 Voir ce sujet la section 4 du chapitre 1 du Livre I du Capital sur "le caractre ftiche de la

    marchandise et son secret", qui clt le premier chapitre et en constitue le point d 'orgue. Pour une

    excellente an alyse de la thorie du ftichisme de Marx, voir Isa ac Roubine, Essais sur la thorie de la

    valeur de Marx, Livres "Critique de l'conomie politique", Franois Maspero, 1978, et, pour une

    application de cette thorie l 'analyse de l 'Etat, Pierre Salama et Gilberto Mathias, L'Etat

    surdvelopp, La Dcouverte, 1983.

    nouvelles marchandises dont la valeur a augment, passant de M M+. Mais il fautencore que ces marchandises passent avec succs lpreuve de la ral isa t ion [R],aut remen t dit quelles soient vendues contre un e somme dargent A+ quivalent e leurnouvelle grandeur .

    A chacune de ces tapes, le capital change de forme. Au dpart, cest du capi ta l -a r g e n t , qui se transforme en cap i t a l m a r ch an d i se s avec lachat de moyens deproduction et la force de travail. Ceux-ci permettent la production de nouvellesmarchandises qui, leur tour, se tra nsforment en capital ar gent. La boucle est boucle :

    dans la r alit, le circuit est aliment en continu a u sein dune mme entreprise, maisles sommes avances par le capitaliste suivent toutes ce cycle lmentaire. Etlimportant est que ce processus permet au capital de se mettre en valeur : la sommedargen t A+ qui reflue avec la vente du produit est plus gra nde que la mise initia le. Ladiffrence en tre les deux, cest le pr ofit.2. La th or ie de la p lus-value

    Le profit na rien de n atu rel. Il constit ue au contr aire lune des quest ions les plusimportantes que la thorie conomique ait rsoudre : il faut comprendre ce qui permetlexistence mme d e ce profit, ne pa s se contenter de constater quil existe, aller au -deldes apparences.

    La pr emire explication possible serait celle dun vol systma tique qu i inter viendraitau momen t de lchange, aut remen t dit dan s ce que Marx appelle la sp h r e d e l ac ircu la t ion . Il faudrait imaginer que le capitaliste gruge systmatiquement ses

    fournisseurs, ses clients et ses salaris au m oment de lachat et de la vente desdiffrentes marchandises. Marx rejette cette explication, pour des raisons videntesdun simple point de vue logique : dans lchange, lun peut gagner ce que lautre perd ;ma is ce ne peut tre quune redistribu tion de la plu s-value au sein de la classe du capital

    [qui] na rien voir avec la dterm ination d e la valeur proprement dite. 4

    Il faut donc trouver une autre explication, qui va apparatre plus clairement si onabandonne le point de vue du capital individuel pour considrer la socit dans sonensemble et examiner comment se rpartit la dpense globale de travail. Celle-ci peutse dcomposer en deux parties : la premire est le t r av a i l n ce ssa i r e, ncessaire en cesens quil correspond la production des mar chandises que les salar is vont eux-mmesconsommer. La seconde reprsente le su r t r av a i l , cest--dire la dpense de travail quiva au-del, et dont le produit peut tre qualifi de su r p r o d u i t .

    Lexistence dun sur produit social est donc relativement sim ple interpr ter au niveau

    de la socit prise comme un tout : il signifie que les producteurs travaillent pluslongtemps que ce qui est ncessaire leur simple subsista nce. Lappa rition dun sur plusest donc bien antrieure au capitalisme : dj, lpoque du fodalisme, le serftravaillait une partie de la semaine sur sa parcelle et une autre partie sur le domainedu seigneur. La sparation entre travail ncessaire et surtravail tait ainsimatrialise, puisquil y avait dun ct le travail consacr par le serf produire sesmoyens de consommation et, de lautr e, le tra vail supplmentaire fourni grat uitementau seigneur.

    Avec le capitalisme, cette sparation physique immdiate disparat, en raison de ladivision du travail : les salaris ne travaillent pas directement leur propresubsistance comme le faisait le serf en cultivant son lopin de terre. Mais silorganisation sociale se transforme, la formation dun surproduit obit des principes

    4 Marx , Fondem ents de la critique de l'conomie politique , Ed. Anthropos, 1967, tome 1, p.394.

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    similaires : la plus-value , que chaque capitaliste sapproprie sous forme de profit, estla forme que prend le surproduit dans une socit capitaliste fonde sur lexplo i ta t iondes salaris.

    Pour comprendre comment cela fonctionne, il faut imaginer une gigantesquecomptabilit en temps de travail au niveau de la socit. Supposons que la dpense detra vail social ait t de H heu res de tr avail : cest la m esure de la valeur n ouvelle - ondirait a ujourdhui valeur ajoute - au cours de la priode considre. Faisonsabstraction du fait que les salaris travaillent chacun pour un patron priv et

    imaginons que la socit ne constitue quune seule entr eprise. On constate a lors quunepartie des salaris est occupe produire les biens de consommation ncessaire lasubsista nce de lensemble des salar is, tandis que daut res produisent des biensdestins dautres usa ges, par exemple des machines qui serviront investir. Si letravail des premiers est gal h heures de travail, celui des autres, soit H-h heures detravail, reprsente le surtr avail, autrement dit la plus-value. Les choses ne sont pas surle fond plus compliques que dan s le cas du fodalisme, mais elles nappa ra issentclairement quau niveau de la socit. Chaque salar i ne passe videmment pas unepart ie de son temps t ravailler pour lui, et laut re pour le pat ron ; mais si lonconsidre les sa laris da ns leur ensemble, cest bien cela qui se pa sse. La ncessit de cedtour par ce point de vue global dcoule de la nature du rapport salarial : le salari neproduit pas sa propre subsistance mais reoit un salaire qui va lui servir ensuite acheter des ma rchandises produites par dautr es salaris.

    On peut ma intenant revenir la valeur dune ma rchandise donne et examinercomment elle se dcompose. Une premire fraction de cette valeur globale correspondau cap i t a l co n s t an t que Marx appelle ainsi parce que sa valeur ne se m odifie pas dan sle cycle du capital. Cette catgorie recouvre lusure des machines et les matirespremires et produits semi-finis ncessaires la production que les capitalistessachtent les un s aux a utres. Dans cet change, encore une fois, ne peut natre aucunprofit. La valeur de cette fraction du capital reste donc la mme tout au long duprocessus de production, elle se transmet et sincorpore celle des marchandisesproduites.

    La v a leu r n o u v e l le cre est quivalente la dpense de travail vivant. Elle sedcompose son tour en deux parties : le capi ta l var iab le correspond lachat de laforce de tr avail, et lexcdent constitue la plus-value . On voit donc quil existe un lientroit entre t horie de la valeur et thorie du profit. La th orie de la valeur dit que lavaleur dune ma rchan dise correspond au tr avail ncessaire sa production, et la

    thorie de la plus-value tablit que le profit est la part de travail fourni par les salaris,au-del de ce qui est ncessaire la pr oduction des marcha ndises quils consommen t.

    3 . L a m ar ch an d i se co m m e f o r ce d e t r av a i l

    Lexploitation capitaliste nest donc rien dautre que la possibilit pour le capitaliste desappr oprier le surtr avail de ses salaris sous forme de plus-value, cette dern irentant finalement que du travail non pay. Lexistence de lexploitation renvoie donc u n r ap p o r t so c i a l part iculier, qui est lappropria tion prive des moyens de production,et le fait que les salaris proposent leur tr avail en change dun sala ire. On pourraitimaginer dautres formes de rpart ition du surplus : il y en a eu dautres (la ren te, sousle fodalisme), et il y en au ra dautr es.

    La condition centr ale dexistence de ce rapp ort social, cest donc que les sala ris venden tleur force de travail en change dun salaire. Cest ici que Marx introduit unedistinction importante ent re t r av a i l et force de t ravai l . Ce que le capitaliste a chte cenest pas en effet du tra vail en gnr al, ma is la capa cit de disposer du salar idura nt sa journe de tr avail. Et ce quil lui paie, cest encore aut re chose : non paslintgralit du produit du tra vail effectu pa r le salari - car dans ce cas le profitdisparatrait - mais le prix de la force de tra vail. Cette dernire appa rat donc commeune m archandise dun type trs particulier : en lachetan t et en la consommant , onpeut gagn er de largent , et rent abiliser son capital ! Ce qui fait dire Ma rx que la

    valeur dusage de la force de travail, cest sa capacit crer de la valeur. Le profit dechaque capit aliste t ire en effet sa source de la diffrence qui existe entr e ce quil paiecomme salaire et ce que lui rapporte la vente des mar chandises produites par le salari.Cette diffrence, on la vu, r envoie lexistence, au niveau de la socit, dun surpr oduit.

    Mais le prix de la marchandise force de travail, en loccurrence le salaire, a nanmoinsceci en commun a vec le prix de nimporte quelle m archa ndise, quil reprsen te la valeu rdes marchan dises ncessaires sa reproduction. Cest une autr e man ire dexprimer lathorie de la plus-value : les salaris travaillent H heures de travail, mais lesmarchandises qui assurent leur subsistance reprsentent h heures de travail. Ladiffrence ent re H et h , cest la plus-value qu i nappa rat sous cette forme, que dans lamesure o la force de travail est institue comme marchandise par le capitalisme. Cettevolont de pr senter la force de travail comme une ma rchandise semblable aux autr esadmet cert aines limites dont la plus importa nte est videmmen t qu la diffrence dune

    mar chandise quelconque la force de tra vail nest pas directem ent produite da ns uneusine capita liste ! Il y a eu au ssi des critiques a bsurdes r eprochant Ma rx dassimilerlhomme un e marcha ndise, comme si ctait l une preu ve de perversion matria liste !Plus srieusement, la spcificit de la force de travail rside dans le mode dedterminat ion de sa valeur.

    la reproduction de la force de tra vail nest pas st rictemen t dter mine par d es exigencesphysiologiques mais constitue elle-mme un rapport social. Avec le progrs de lasocit, la condition de vie des salaris tend samliorer long terme. Cest que lesalaire ne se ram ne pas au minimum vital : il incorpore la satisfaction de besoins quisont, un moment donn, considrs comme socialement ncessaires. Cette dfinitionvarie donc au gr des lutt es de classe qui permett ent dlever le salaire et donc demodifier, si lon veut, les normes de production de cette mar chandise pa rticulire.Certains ont donc propos de rejeter le concept de force de travail comme marchandiseet de renvoyer la dtermination du salaire une simple cl de partage du revenu,

    rsultant de la lutt e des classes. Cela conduit en ralit une complication inut ile parrapport la thorie de la valeur : un moment donn, le salaire obit des normesassez tr oites et la valeur de la force de travail est tr oitement dt ermin e, comme cestle cas pour une marchandise quelconque.

    La conception de la force de travail comme marchandise a en outre le mritedintroduire une distinction importante entre plus-value abso lue et plus-valuer e l a t i v e . Il y a en effet deux moyens daugm enter la plus-value sa ns toucher a u pouvoirdachat des sala ris. La premire consiste allonger la dure du tr avail : pour un m mecapital variable, la plus-value augmente. Mais il y a un moyen aussi efficace et plus progressiste qui consiste abaisser la valeur de la force de travail grce au x gains deproductivit raliss dans la production des biens de consommation. Cest ce que Marxappelle la plus-value relative, et ce mcanisme joue un rle essentiel dans lecapitalisme contemporain.

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    de profit. Que le march sanctionne ou non le fait que tel capitaliste individuelsapproprie un taux de profit suprieur la moyenne rsulte en fin de compte dunrapport de forces qui peut t re constamment remis en cause. Mais ce qui est dcisif,cest que, dan s tous les cas la loi de la valeur continue jouer da ns tout e sa rigueu r :certains capitalistes peuvent gagner, et dautr es perdre, mais t ous ensemble ne peuventobtenir une plus-value totale suprieure celle qui est dtermine un moment donnpar les conditions dexploitation.

    La thorie marxiste de la valeur se distingue donc radicalement des thories

    bourgeoises : dans un cas, la plus-value est un e grandeur donne, dont la rpar titiontend se faire de ma nire proportionnelle au x diffrents capita ux ; dans laut re, cestune gran deur qui semble rsulter de laddition des revenus de chaque capitaliste. Cetteprsent ation rest e ainsi calque sur lidologie sponta ne du capita liste individuel, sursa vision du monde. Mais elle conduit des difficults dont la thorie de lin tr tfourn it un exemple tr s actuel. Pour Mar x, lintr t est un e fraction de la plus-valueque sappr oprie le capital ban caire sur la base des prt s quil fait au x capita listesindustriels : le taux dintrt est en un sens indtermin, il rsulte des rapports de forceentr e ces deux fractions du capita l, et on peut sim plement dir e quil ne peut excder laplus-value puisquil ne reprsente au fond quun mode de rpartition de celle-ci. Pourles thories bourgeoises, lintr t est u ne forme de revenu qui se ra joute aux au tres, cequi conduit a ujourdhui o les ta ux dintrt ont att eint des niveaux tr s levs, u nevision des choses o chaque capitalist e aur ait en s omme le choix dinvestir son ar gent productivement ou de le jouer en Bourse. Cette conception est superficielle, et, pour

    un marxiste, cela saute aux yeux : si tous les capitalistes plaaient leur argent laBourse, il ny aurait t out simplement plu s aucune production de marchan dises et doncde plus-value, si bien que la source des revenus financiers serait du mme coup tarie.Cet exemple m ontre bien , encore une fois, ce qui distin gue lconomie critique de ce queMarx ap pelait lconomie vulgaire : cett e dernir e se conten te - avec plus ou moins demauvaise foi, cest un autre problme - de dcrire le monde de lconomie tel quilappara t ses yeux merveills.

    3 . L e d b a t su r l a t r an s f o r m a t io n

    On a galement mis en cause la cohrence logique des quations de Marx, qui seraientbancales. Pour aller lessentiel dune contr overse trs formaliste, les moyens deproduction et la force de travail (C et V) seraient exprims en valeurs, et latransformation ne concernerait que la production finale, qui serait elle seule valorisesous forme de pr ix. En poussant cette critique jusqu au bout , on dbouche sur u n

    systme dquat ions qui, appa remm ent, suffisent dterm iner les prix de production etle taux de profit, indpendamment donc de toute thorie de la valeur. Si cette critiquetait vraiment fonde, une bonne partie de la construction marxiste seraitprofondment remise en cause, et il restera it peu de choses de la thorie de la valeur.

    Les quations utilises ont cependan t une part icularit bizarr e, puisquelles supposentque les prix des moyens de production (produits une priode antrieure) sont lesmmes que les produits de la priode courante. Cette hypothse est irrecevable car ellerevient ra isonner da ns une situ ation dtat stationnaire o les prix sont dter minsune bonne fois pour toutes, ce qui est contradictoire avec la nature expansive ducapitalisme. Si on abandonne cette hypothse, le modle laisse indtermin le taux deprofit et sa prtention fournir une t horie du profit sans pa sser par la valeur est doncbattue en brche.

    La critique de cette critique permet de montrer comment la difficult, dailleurssignale par Marx, peut tre leve ds lors que lon raisonne partir dune successionde priodes, comme lexpose Ern est Man del : En d autres term es, les inputs des cyclesde production courants sont d es donnes , que lon connat au dbut de ce cycle, et elles

    ne peuven t avo ir deffet en retour su r la perquation des tau x de profit dan s les

    diffrentes branches d e production au cours de ce cycle. Il suffit de supp oser quelles sont

    dj calcules en prix de production et non en valeurs, mais que ces prix de production

    rsultent de la perquation des taux de profit durant le cycle de production prcdent,

    pour que dispa raisse toute incohrence. 6

    4. Lof fre e t la dema nde

    Le prix individuel dune ma rchan dise doit tre distingu du p rix de production obtenuen appliquant le taux de profit moyen au cot total. La premire diffrence dcoule desobstacles de tout ordre qui sopposent une perquation absolue des profits. Mais ilexiste une seconde raison de dviation qui rsult e du jeu de loffre et de la deman de : court terme, le prix varie en fonction de la pression relative de la demande. Mais cettedterm inat ion, insiste Mar x, ne vient quaprs la loi de la valeur : cest celle-ci qui r endcompte de la formation du prix du production autour duquel fluctue le p r ix d em a r c h . Cette rela tivisat ion est tout fait dcisive, car elle soppose la thorie ditemarginaliste ou n o-classique, qui explique la valeur par lutilit ma rginale att ache la consommat ion dun bien. Sans entrer en dtail dan s la critique de cette thorie qui

    est au jourdhui la th orie domina nte, on peut dire que son dfaut essent iel est dtredpourvue de toute thorie du profit, et de se borner modliser laide duneformu lation ma thm atique la vision de ce que Marx appelait lconomie vulgaire. Danscette thorie, le salaire est le prix du travail et le profit la rmunration du capital,chacun de ses facteurs de production jouant un rle symtrique et pouvant sesubstituer lun lautr e.

    La valeur dusage ne doit pas pour aut ant dispara tre de lana lyse : certes , comme on lamontr , ce nest pas elle qui dter mine la valeu r dune ma rchan dise, ni nen constitu e lasubstance. Cependant, pour que la valeur soit ralise, il faut bien que la m archandisesoit vendue, et donc quelle soit utile lacheteur, autrement dit quelle ait une valeurdusage corresponda nt ltat de la dema nde sociale. Ceci nest pa s gara nti lavan ce,et il serait tout fait erron doublier cette dialectique entr e valeur et valeur dusage :elle joue un r le cl dans ltud e de la reproduction du capit al et des crises.

    IV. LA VALEUR DUSAGE DE LA THE ORIE

    1 . L e cap i t a l e s t u n r ap p o r t so c ia l

    Nous avons dit plus haut que la thorie sintresse au pourquoi des choses. Il y a de cepoint de vue deux gran des questions qui se posent demble qui veut comprendr e lefonctionnemen t du capitalisme : quest-ce qui permet au x marcha ndises, qui sont desobjets diffrents, de schanger ? Pourquoi leur production permet-elle de dgager unprofit ?

    Les rponses fourn ies par lana lyse marxist e combinent deu x niveaux. A un niveaupurement technique, la thorie offre une rponse cohrente aux questions poses, et

    6 Ernest Mandel , Introduction l 'dition en a nglais du Capital , Penguin Books, 1981.

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    permet a insi de rsoudre ce que nous avons appel plus ha ut les nigmes du capital.Premire nigme : les marchandises schangent en fonction de leur valeur, cest--direde la quan tit de t ravail social que leur production a ncessit. Deuxime nigme :lexistence mme du profit provient de la diffrence entre la valeur cre pa r la force detravail et ce qua cot cette force de travail. Ces deux rponses sont de plus cohrentesent re elles : la thorie de la valeur et celle de la plus-value ont besoin lune de laut re.

    Mais il existe toujours dans lanalyse mar xiste un second niveau, celui de la critique delconomie politique, qui consiste montrer que le capital est un rapport social.

    Autrement dit, la mise en oeuvre de catgories aussi videntes que les marchandises,les prix, le profit, renvoie fondamentalement lexistence de rapports sociauxspcifiques, qui dfinissent un m o d e d e p r o d u c t io n . Lessentiel de la thorie ma rxisterside dans cette double fonction : expliquer commen t cela mar che, et montrer que celana pas toujours fonctionn ainsi et donc, que cela pourrait fonctionner autrement. Apartir de ces fondements thoriques, on peut alors construire une thorie de ladynamique du capital, qui part de ses dterminat ions les plus abstraites pour aller versses dterminations les plus concrtes.

    2 . L e cap i t a l e s t u n r ap p o r t so c ia l co n t r ad i c to i r e

    Par sa mthode mme, la thorie marxiste conduit, ds le dpart, souligner lecaractre co n t r ad i c to i r e du mode de production capitaliste. Les catgories delconomie capit aliste ont en effet u ne double face : dun ct, elles pa raisse nt

    naturelles, voire ternelles. Mais en les dcortiquant pour voir ce quil y a derrire cesvidences, on voit immdiatement apparatre un certain nombre de contradictions. Laplus centrale est videmment celle qui oppose les salaris aux capitalistes : la lutte pourle salaire est une lutte permanente pour le partage de la valeur nouvelle. Le tauxdexploitat ion, qui mesure ce parta ge, dsigne un r apport conomique, mais aussi unrapport minemment social, qui est dune certaine m anire le baromtre de la lutte desclasses. La thorie de lexploitation marxiste est ainsi le fondement dune thorie de lasocit o les classes sociales sont dfinies par leur position dans les rapports deproduction : dun ct, les capitalistes qui possdent les moyens de production, delautre les proltaires qui nont dautre moyen de gagner leur vie que vendre leur forcede travail.

    Les capitalistes eux-mmes ne sont pas unifis : la concurrence capitaliste met enoeuvre une autre forme de lutte conomique qui oppose entre eux les dtenteurs decapitau x. Chacun dentre eu x a de ce point de vu e un double objectif : dun ct, payer le

    moins de salaires possible, et sur ce point ils sont tous daccord, mais aussi, drainer laplus grande partie possible de plus-value globale. La tendance la perquation rsultede ces actions multiples, mais chaque capitaliste cherche tous les jours lenfreindre.Cela na pas que des consquences nfastes, puisque lun des moyens dy arriver estdamliorer ses performances afin dobtenir un profit suprieur, ce qui confre aucapitalisme son efficacit quan t au dveloppement des forces productives.

    Cette absence de coordination consciente de laction des capitaux individuels a toujoursfait ladmir at ion des dfenseur s du capitalisme qu i y voit le meilleur des systmes.Pourtant , mme les schmas lmentaires prsents plus ha ut font dores et djapparatre la possibilit des crises, puisque rien ne garantit automatiquement et apriori la ralisation de la valeur, autrement dit la vente des marchandises.

    3. Le cap i ta l est un ra ppor t socia l dpassa b le

    La monte du chmage a conduit pa rler de crise de la valeur-tra vail. Ce nest passeulement un jeu de mots. Le capitalisme contemporain illustre en effet par faitement lacontra diction la plus fondamentale que Ma rx discernait entre le dveloppement desforces product ives et les r ap p o r t s d e p r o d u c t io n . On peut dire en effet que lesdifficults du capitalisme contemporain proviennent du fait quil a dune certainemanire trop bien russi : il a dvelopp un tel point la capacit productive de nossocits, que son mode de calcul conomique, fond sur le temps de travail devient

    inada pt et conduit des rgressions sociales absurdes. Cest tr s prcisment cequexpliquait Marx dans un texte clbre qui fournira une excellente conclusion cepremier chapitre :

    Ds que le travail, sous sa form e imm diate, a cess dtre la source principale de larichesse, le temps d e travail cesse et d oit cesser dtre sa m esure, et la valeur dchange

    cesse donc aussi d tre la mesure de la valeur d usage. Le surtrava il des grandes m asses

    a cess dtre la condition d u d veloppemen t de la richesse gnrale. (...) Il ne sagit plu s

    ds lors de rduire en gnral le travail de la socit au min im um . Or, cette rduction

    suppose que les indiv idus reoivent un e formation art istique, scientifique, etc. grce au

    temps libr et aux m oyens crs au bnfice de tous. (...) Le capital est un e contra dictionen procs : dune part, il pousse la rduction du temps de travail un minimum, et

    dautre part i l pose le temp s de travail comm e la seule source et la seule mesure de la

    richesse. Il dimi nue donc le temps de travail sous sa form e ncessaire pour laccrotre

    sous sa f orme de su rtravail. (...) Dune par t, il veille toutes les forces de la science et dela nat ure ains i que celles de la coopration et de la circulati on sociales afin de rendre la

    cration de la richesse indpendan te (relativement ) du tem ps de travail u tilis pour elle. Dautre part, il prtend mesurer les gigantesques forces sociales ainsi cres daprs

    ltalon du t emps d e travail, et les enserrer dans d es limites troites, ncessaires au

    maintien, en tant que valeur, de la valeur dj produite. Les forces productives et les

    rapp orts sociau x - simples faces diffrentes du d veloppement d e lindividu social -

    apparaissent uniquement au Capital comme des moyens pour produire partir de sabase trique. Mais, en fait, ce sont les conditions matrielles, capables de faire clater

    cette base. 7

    7Fondem ents de la critique de l'conomie politique , tome 2, p.222.

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    C h a p i t r e 2

    L a c c u m u l a t i o n d u c a p i t a l

    Ce chapitre vise rendre compte, en prenant comm e fil directeur laccumulati on ducapital, la fois dun certain n ombre dacquis de la thorie marxist e sur le

    fonctionnement d u capitalism e (fluctuations et crises seront trait es dans le chapitre III)

    et de certains aspects concrets de ce fonctionnement.

    I . LA SPE CIFICITE DU CAPITALISME MODERNE

    1. La formule gnra le du cap i ta l

    Marx rsu me la formule gnra le du capital de la faon suivante : A--M--A : au dpar test largent (A) avec lequel le capitaliste acquiert des marchandises (M), il cde ensuiteces mar chandises contre de largent (A). Mais A est plu s gran d que A, sinon loprat ionserait sa ns intr t pour le capita liste : do vient cette diffrence entre largent investiau dpar t et celui reu finalement ?

    Dans le capitalisme commercial, lcart entre A et A sexplique par la capacit dungociant tirer partie de la raret de certains biens (commerce des pices ou de la soieentr e lOrient et lEur ope au Moyen-Age) ou bien t romper ses fournisseu rs et ses

    clients. Le pillage peut galement contribuer augmenter les profits. Mais cela ne crepas de valeur nouvelle : les gains des uns sont compenss par les pertes des autres. Ceslments n e jouent quun r le secondaire dan s le capitalisme modern e qui se dveloppeau XIX sicle avec la grande industrie. Ici, le profit nat du fonctionnement normal dusystme et il y a cration de valeur nouvelle au cours du processus.

    Avec A (largen t), le capita liste acht e en fait deux sortes d e mar chandises :* des moyens de production (machines, matires premires et nergie) : la valeur decelle-ci est incorpore sans tre accrue aux marchandises produites. Cette incorporationest immdiate au fur et mesure de leur utilisation pour lnergie et les matirespremires. Elle dpend de leur usur e pour les ma chines.* la force de tr avail. Celle-ci possde (cf. chapit re I) une pr oprit par ticulire : elle creune valeur suprieure ce quelle a cot a u capitaliste. La valeur du produit du travail(ce qui rsulte de la dure moyenne de travail du salari, mettons 8 heures, est

    suprieure) est plus leve que la valeur du salaire peru par le travailleur : la plus-value est a pproprie par le capit aliste et elle lorigine du profit qui est le revenu descapitalistes comme classe et qui est pa rtage selon des modalits que nous envisageronsci-dessous.

    2. Lessence d u ca p i ta l isme

    Marx ne rechercha lessence du capitalism e ni dan s un esprit dentreprise, ni dan slutilisa tion de m onnaie pour le finan cement dun ensemble de tra nsactions dont lobjet

    serait la ralisation dun gain, mais dans un mode de production spcifique. Par mode

    de production, il entendait n on seulement u n certain tat de la technique -quil dsigna

    sous le nom d e forces productives- mais encore la man ire dont les moyens de production

    taient appropris, et les relations sociales qui stablissaient entre les hom mes d u fait d e

    leur relation avec le procs de production. Ain si le capitalism e ntait pas seulem ent unsystme de production pour le march -un systme de production marchande, comme le

    nomm ait Marx- m ais surtout un systme dans lequel la force de travail tait elle-mmedevenue une marchandise , acquise et vendu e sur le m arch comm e toute autre objetdchange ... La seule existence du comm erce et d es prts m ontaires et la prsence duneclasse spcialise de marchan ds et de finan ciers -m me si ce sont d es homm es

    extrmement fortuns- ne suffit pas constitu er la socit capitaliste. L existence

    dhomm es manian t des capitaux extrmement im portants -quelle que soit leur capacit

    de thsaurisati on- ne suffit pas : leur capital d oit tre employ associer le travail la

    cration de plus -value dan s la p roduction. Cette longue citation emprunte lconomiste marxiste anglais Maurice Dobb (8) rsume mieux que nous naurions su le

    faire nous mmes ce quest la conception marxiste du capit alisme.

    Il est important de rappeler cette spcificit du capitalisme cache derrire les rouagesapparents du systme (Marx qualifie dans le Capital la fabrication de la plus-valuede grand secret de la socit moderne , Chap.6, Livre I, Tome I). Non seulement pourclairer les racines du capitalisme mais aussi, nous ne faisons ici que signaler leproblme, pour guider lana lyse de certaines r alits prs entes comme celle des pays delEst aprs lcroulement des socits bureaucratiques.

    II . LACCUMULATION DU CAPITAL ET LA CONCURRENCE

    1. Quest-ce que laccu mu lation ?

    Le fait que la production capitaliste repose sur le salariat fait quil ny a pas de limitephysique pour un e entr eprise lchelle de sa production : si il y a une dem ande pourses produits, elle peut toujours embaucher des salaris supplmentaires et pour lesemployer agrandir ses installations, acheter des machines. Le profit capitaliste est alorsutilis deux fins : la satisfaction des besoins de consommation des capitalistes,lacquisition de moyens de production et de forces de travail supplm enta ires. Cet acha tde moyens de production et de force de travail supplmentaires constituelaccumulation capitaliste.

    Lorganisation de lconomie et de la socit capitalistes fournit la possibilit delaccumulation : chaque cycle de production cre une valeur supplmentaire (onconsidre ici lvolution des entreprises da ns leur ensem ble, des entr eprises capitalist esparticulires peuvent trs bien stagner ou pricliter), de larges secteurs de lapopulation dpenden t pour dune emba uche leur sur vie. Mais en fait, laccumulat ionnest pas seulement possible, elle est ncessaire. Chaque capitaliste est contraint

    daccumuler pour su rvivre.

    2. Accumulat ion e t concur ren ce cap i ta l is te

    La premire raison est la concurrence des autres capitalistes. En effet, lefonctionnement du capitalisme nest pas seulement explicable par loppositionfondamentale entre les capitalistes comme classe et les travailleurs, il est aussi modelpar la lutte entre capitalistes. Le rapport entre travailleurs et capitalistes rgle lesconditions de cration de la plus-value. La lutte entre capitalistes est une lut te pour larpartition de la plus-value cre par le travail des salaris dans laquelle chaquecapitalist e essaie de conserver sa part du profit, voire de laccrotre. La valeur cre parles travailleurs dune entreprise nest pas forcment au terme dun cycle de productionet dchange appr oprie par les capitalistes possesseurs de cette ent reprise. Pour

    (8) Maurice Dobb "Etudes sur le dveloppement du capitalisme", p.18, Franois Maspro, 1971

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    schmat iser le problme, nous nous limiterons au cas dentr eprises produisant unmme bien, de lacier par exemple. Le prix dun a cier de qualit donne est unique m aisles entreprises productrices sont diffrentes : elles peuvent avoir besoin de plus oumoins de matire premire dnergie ou de main doeuvre pour produire la mmequan tit dacier, elles utilisent des ma chines plus ou moins coteuses.

    Si le profit total de la br anche acier se r par tissa it en tr e ces en trep risesproportionnellement au nombre de salaris de chacune occupe, chaque patron (si lestaux de plus-value sont identiques) bnficierait de la plus-value quil a russi

    extra ire. Pour cela, il faudrait que chaque en trepr ise vende lacier quelle a produit savaleur individuelle quelle que soit celle-ci (soit c+v+pl, cf. chapitr e I), son ta ux de profitserait gal pl/c+v et il y aurait auta nt de pr ix de lacier et de ta ux de profit quedentreprises produisant dans des conditions diffrentes. En fait, lexistence dun prixde vente un ique de lacier correspond au fait qu e la valeur dun produit dpen d desconditions moyennes de p roduction.

    Il y a donc un taux de profit moyen qui dpend de la plus value totale produite dans labranche (PL) et de la valeur totale de capital mis en oeuvre dans la production (C+V)par toutes les entreprises de la branche. Le prix unique a pour consquence que lesentreprises qui produisent de lacier dans les conditions moyennes de productionreoivent le tau x de profit moyen ; par contr e, les moins performa ntes r trocdent un epart ie de leur plus-value et reoivent moins que le taux de profit moyen ; la situat ionest inverse pour les plus performantes : elles reoivent plus que le taux de profit moyenet bnficient dune pa rtie de la plus-value des prcdentes (9). En gnral, cesdiffrences de performance tiennent des diffrences de mcanisation entreentr eprises, mais elles peuvent galement t enir daut res facteurs comme lintensit dutravail.

    La concurr ence entre capita listes met chacun dentre eux devant u n choix : crotre enaccumulant du capital ou finir par disparatre. A travers la concurrence capitaliste,simpose la loi de la valeur cest--dire le fait que le march rejette les producteursincapables de suivre lvolution des conditions moyennes d e production.

    3 . La co n cen t r a t i o n cap i t a l i s t e

    La forme sous laquelle se manifeste la concurrence capitaliste est diffrente selon lespoques ou selon les secteurs de la production. Le capitalisme de la plus grande partiedu XIX sicle tait un capitalisme de libre concurrence : dans chaque branche, il y

    avait un nombre relativement gran d de producteurs et, dans la plupart des branches,lentr e de nouveaux producteur s tait r elativemen t facile. Ce nest plus le casaujourdhui : le capitalisme a vu apparatr e des ent reprises gantes (couramm entqualifies de monopoles ) et il est souvent difficile pour un nouveau producteur desimplan ter. Cett e concentr ation est le produit de la concurren ce elle-mme : chaquecapitaliste cherche grandir au dtriment des au tres. Dans cette lutte, les entreprisesles plus fortes liminent, absorbent ou prennent le contrle des entreprises les plusfaibles. La concentration ne signifie pas toujours la disparition juridique de lentreprisesoumise : elle peut rester formellement indpendante mais le pouvoir rel sur son

    (9) L'expos ci-dessus est trs schma tique : il vise prsent er le mcanisme de parta ge du "gteau"

    entre entreprises capitalistes de la mme branche. Le "prix" de l 'acier utilis dans le raisonnement

    est en toute rigueur le "prix de production". Ce concept et son rapport a vec le prix de march ont t

    abords dans le chapitre I.

    avenir lui chappe (10). La concentration capitaliste est dans son essence la runion dedivers capita ux dans un mme contrle. Elle est mar que par lintern ationalisa tion ducapital et une imbrication de plus en plus troite du capital bancaire et du capitalindustriel.

    La concentration signifie que les pouvoirs conomiques sont de plus en plus lapanagedune minorit dont les intrts t endent se dtacher des Eta ts nat ionaux (lecomportement des firmes multinationales et surtout des groupes financiersinternationaux illustre cette tendance) (voir encadr). Cette concentration du pouvoir

    nest pas contra dictoire avec une dispers ion de la proprit juridique des entr eprisesent re des m illions dactionna ires. Le capitalism e populaire nest quune fiction : lepetit a ctionnaire n a en fait que le droit de toucher un dividende (dont le montan t estfix par les dirigean ts de lentr eprise) et de vendre ses actions. La dt ention dactions deson entrep rise par u n sala ri ne la jama is empch de se faire licencier. En fait, lecontr le dune socit est possible avec une min orit du capital (20%, par fois moins).

    Les mult ina t ionales e t leur pays dor ig ine

    La question du lien ent re les entreprises mu ltinationales et leur pays dorigine estune qu estion complexe : dans qu elle mesure les mult inat ionales amr icaines , allem an des , fran aises ou suiss es sont-elles dpendantes des Et ats danslesquelles elles ont pris naissance et dfendent-elles les intrts imprialistes

    particuliers de ces Eta ts ? Il ny a sans doute au stade a ctuel de linternat ionalisationdu capital de rponse gnrale cette question. On peut toutefois avancer troislments de r ponse (sur ce sujet, voir aussi le chapit re IV sur limprialisme) :* il nexiste pas de solidarit globale entre les firmes multinationales quelles que soitleur origine plus forte que la concurrence entre elles et les liens avec leurs paysdorigine. Cela nexclut pas des intrts partiels communs et des actions coordonnespour les faire prvaloir.* la prgnance du lien avec lEtat dorigine dpend de limportance de celui-ci : unemultin ationale suisse (Nestl, par exemple) ou n erlandaise (Unilever) est plusdtache de sa base de dpart quune m ultinationale am ricaine ou japonaise.* la finance est plus internationalise que les autres activits. Plus la composantefinancire dun groupe mu ltina tionale est importa nte, plus il est probable que sonactivit sera indpendante des intrts immdiats de son Et at dorigine.

    Dans de t elles structures, la concurrence entre ent reprises prend un visage diffrent.Des ententes explicites ou tacites entre entreprises peuvent supprimer pour des duresplus ou moins longues la concurrence par les prix : la concurrence passe alors par ladiffrenciation (apparente ou relle) des produits, leur image mise en valeur par lapublicit, etc. Certaines entreprises particulirement importantes peuvent plus oumoins contrler le march du produit quelle fabrique. Mais lobservation montre quecette situ at ion nann ihile pas la longue le jeu de la concurren ce.

    Soulignons pour conclure que cette concurrence ne signifie pas, contrairement aux idesdominantes, une meilleure satisfaction du consommateur. La concurrence peut portersur a utr e chose quune a mlioration de la qualit r elle du produit : la comptition

    (10) Pour un rsum des diffrents aspects de la concentration captaliste, voir Ja cques Gouverneur

    "Les fondements de l 'conomie capitaliste. Introduction l 'analyse marxiste du capitalisme

    contemporain", L'Har matt an/Contradictions, 1994.

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    entre firmes automobiles ne nous rapproche pas de la mise en place de modlessatisfaisa nts la fois sur le plan de la scurit, de lcologie et du prix. Sur un a utr eplan, la concurrence entre cole prive et cole publique ne profite qu une minoritsociale.

    Le fonctionnement du capitalisme montre donc quotidiennement que sur la base delexpropriation des travailleurs du produit et de la matrise de leur activit ne peutsdifier une dmocratie ni des petits actionnaires, ni des consommateurs, ni bien surdes citoyens.

    4. Accumulat ion , innovat ion tech nologique e t lu t te d es c lasses

    Laccumula tion capitalist e nest pas u ne croissance extensive, une reproduction lident ique o le capita liste se conten tera it dachet er plus de machin es ou/etdembaucher plus de salaris. Le capitaliste doit se tenir lafft des procdstechniques nouveaux pour abaisser ses cots en matire premires, en nergie etsurtout en force de travail en augmentant la quantit produite au cours de chaqueheur e de travail, cest--dire la productivit. A travers la concurrence entr e capitalistesindividuels, se matrialise la tendance profonde de la production capitaliste : cettetendance la croissance et au dveloppement sans limite de la production en fonctiondu seul critre du profit.

    Linnovation technologique laquelle donne lieu laccumulat ion nest pa s indpenda ntede la lutt e des classes dun double point de vue :1. ladoption de certain es innovations ou tra nsformations du pr ocessus de production oude la gestion constitue des rponses des capitalistes aux rsistances des travailleurs.Cest t rs n et da ns laut omobile (11). Ainsi, la mise au point du t aylorisme dans les U SAde la fin du XIX sicle na pas seulement un objectif de hausse de la productivit : ilsagit au ssi de permett re au pa trona t de se passer des ouvriers les plus qualifisorganiss syndicalement et de permettre lemploi sans formation professionnelle denouveaux ouvriers venus des campagnes ou immigrs sans tradition syndicale. Demme, en France, un certain nombre de transformations dans la gestion de la maindoeuvre dans les a nnes 70 et 80 (groupes autonomes, dveloppement de lintr im, etc.)sont la rponse du pat ronat aux grves-bouchons des OS de laut omobile.2. De faon gnra le, quand face un problme, diverses solutions ser aient possible, lepat ronat choisit spontanm ent celle qui permet daccentuer la division des trava illeursen catgories diffrentes et de renforcer la subordination de la majorit.

    Lvolution des outils et de lorganisation du travail nest pas un processus neutre quidcoulerait du dveloppement des techniques. Elle participe de la logique gnrale delaccumula tion capitaliste qui, en dernire inst ance, est la reproduction du rapportsocial su r lequel est fond la socit bourgeoise.

    III . COMMENT SE R EP RODUIT LECONOMIE CAPITALISTE ?

    LES SCHEMAS DE REP RODUCTION

    Pour continuer exister, le capitaliste individuel doit donc accumuler. En agissant dela sorte, il ne fait que se soumettre la logique immanente du systme. Une questionimportante est celle de la possibilit de la reproduction de ce systme de priode enpriode : quelles conditions est-elle possible ?

    (11) Christian du Tertre "Technologie, flexibilit, emploi", L'Harmattan, 1989.

    1. Les deu x secteur s de l conomie

    Toute socit, pour pouvoir se reproduire, doit fournir ses membres des biens deconsomma tion. Les biens de consomma tion doivent tr e fabriqus (12). La socit doitdonc galement produire les outils, les machines, les matires pr emires ncessaires la production de biens de consommation : il faut quelle produise des biens deproduction. Il est clair que, dans de nombreux cas, selon lusage qui en est fait, unmme bien peut constit uer soit un bien de pr oduction soit un bien de consommat ion :ainsi, llectricit peut tr e utilise soit pour clairer un a ppart ement soit pour

    actionner une machine. En dpit de cette remarque, il est lgitime de reprsenter lefonctionnement dune conomie en distinguan t deux secteurs fondam enta ux : le secteu rqui fabrique des biens de production (secteur I) et celui qui fabrique des biens deconsommation (secteur II). Dautant qu cette distinction, correspond la polarisationsociale de la socit capitaliste : les travailleurs nachtent pour lessentiel que desbiens de consommation (13), les capitalistes sont les possesseurs des grands moyens deproduction.

    Dans les conomies traditionnelles, chaque producteur dtermine lensemble des biensqui lui sont ncessaires et les fabrique seul, dapr s ses besoins ou les achte aupr sdun ou deux a rtisa ns. Cest le cas par exemple des agricult eurs jusqu un e poquerelativement rcente. Par contre, le capitalisme moderne se caractrise par une divisiondu tra vail de plus en plus pousse qui prsente deux aspects : lappa rition de bra nchesde production spcialise, linter dpenda nce croissante ent re ces branches distin ctes. Lafourniture dun produit quelconque (des chaussettes, par exemple) suppose que lusinequi les produit reoit des mat ires prem ires, des machin es, de lnergie et donc que lesproducteurs de ces biens aient eux-mmes reus aupa ravant tout ce qui tait ncessaire leur activit, etc., etc.

    Plus gnralement pour que la production se droule normalement, il faut que laproduction dune priode se prsente sous forme dune quantits dfinies de valeursdusage : celles ncessaires pour la priode suivante. Dans lexemple des chaussettes,ces valeurs dusage sont des quantits de coton, de laine, dnergie, etc. Certes dessubstitutions sont possibles dans le processus de fabrication mais de faon limite : onne peut pas changer inst anta nment le type dnergie ncessaire pour faire fonctionnerune machine, on peut ne fabriquer que des chaussettes en coton si la laine manquemais elles risquent de ne pas correspondre la deman de, etc. (14).

    2. La repr oduct ion

    Dans le pa ragraphe prcdent, nous a vons ra isonn en valeurs dusage, mais, en fait, lemoteur de la dynamique du capitalisme, ce sont des valeurs dchange. Cest en ta nt qu evaleurs dchange que les valeurs dusage sont produites : de faon gnrale, peuimporte un capitaliste de produire des chaussettes, des bombes ou des automobilespourvu que ces mar chandises soient vendues et la plus-value r alises.

    (12) Les dveloppements qui su ivent sont largement emprunts "Elments de thorie conomique

    marxiste", Cahiers "Rouge", documents de formation communiste, n1, Franois Maspro, 1968.

    (13) La comptabilit nationale (qui vise reprsenter sous une forme chiffre l'activit conomique

    de la Fra nce, elle est labore par l 'INSEE) parle d'investissement des mna ges propos de l 'achat

    d'un logement : cette classification est conomiquement discutable pour les logements a chets pour

    tre habits.

    (14) On peut noter en passant que ce problme constitue une des difficults les plus grandes

    auxquelles s'est heur te la planification de l 'ex-URSS.

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    Aux quilibres entre quantits de valeurs dusage dont nous avons parl, doivent doncse superposer des quilibres entr e les valeurs dchange correspondant es.

    Il est possible de prsenter les schmas de reproduction de la manire suivante (on faitlhypothse que les biens produit au cours dune pr iode, une anne pa r exemple, nesont utiliss quau cours de la priode suivant e : les biens pr oduits en 1994 ne ser aientainsi u tiliss quen 1995) :a/ La valeur de la production du secteur I (biens de production) est gale : C1 + V1 +

    PL1* C1 : fraction de la valeur du capital fixe (machines) transmise la valeur desmarchandises produites augmente de la valeur totale des matires premires et delnergie ut ilise. Cette quan tit est calcule pour lensemble du secteu r I.* V1 : Somme des salaires pays aux pays aux salaris du secteur I.* PL1 : masse totale de plus-value extraite dans le secteur I.b/ La valeur de la pr oduction du secteur II (biens de consommation) est ga le : C2 + V2+ PL2. Les termes C2, V2, PL2 ont la mme signification que ci-dessus sauf quilsapplique au secteur II.

    c/ Les tra vailleurs nachtent que des biens de consommation et on fait abst raction deleur pargne. Leur demande de biens de consommation est gale V1 + V2.

    d/ Les capitalistes remplacent leurs machines uses et leurs matires premires etparta gent leur r evenu (la plus-value) : ils en utilisent une proportion A laccumulation. Leur demande de biens de consommation est donc gale (1-A)(Pl1+Pl2). La part consacre laccumulation A(PL1+PL2) se dcompose en Ac(PL1+PL2) (achat de biens de production) et Av(PL1+PL2) (recrutement de maindoeuvre supplmentaire qui gnrera u ne deman de supplmentaire de biens deconsommation).

    e/ La condition dquilibre pour le secteur I correspond lgalit de loffre et de lademan de en biens de production soit : C1 + V1 + PL1 = C1 + C2 + Ac(PL1+PL2).ce qui quivau t : V1 + PL1 = C2 + Ac(PL1+PL2).et : V1 + (1-Ac).PL1 = C2 + Ac.PL 2

    f/ La condition dquilibre pour le secteur I correspond lgalit de loffre et de lademan de en biens de consommat ion soit : C2 + V2 + PL2 = V1 + V2+ (1-A)(PL1+PL2) +Av(PL1+PL2).

    ce qui qu ivaut : C2 + P L2 = V1 + (1-A)(PL1+PL 2) + Av(PL1+PL2).et : C2 + Ac.PL2 = V1 + (1-Ac).PL1

    On aboutit donc la mme galit (lordre des term es na au cune importa nce). Lacondition dquilibre peut donc snoncer de la man ire suivant e : la dema nde t otale debiens de production cre par la production de biens de consommation doit donc tregale la demande totale de biens de consommation cre par la production de biens deproduction. En reprenant la formulation de P. Salama et Tran HaiHac : Lconom ie esten quilibre lorsque la production de biens de biens de production suscite une demande

    de biens de consomm ation gale la demand e de biens de production suscite par laproduction de biens de consomm ation. (15)

    (15) Pierre Salama et Tran HaiHac "Introduction l 'conomie de Marx", Repres ,La Dcouverte,

    1992.

    C h a p i t r e 3

    Les f l uc t ua t i ons conom i ques

    Parmi les points dvelopps dans les chapitres prcdents, trois sont essentiels lapproche des fluctuat ions de la croissance conomiqu e :

    * la production capitaliste est un e production de marchand ises ;

    * lvolution du t aux d e profit constitu e une variable essentielle de la marche de

    lconomie ;

    * les schmas de reproduction m ontrent linstabilit in hrente la m arche de lconomie

    capitaliste mais constituent galement une dmonstration de la possibilit temporairedune croissance quilibre tant entendu quaucun mcanism e conomiqu e ne conduit

    spontanm ent au respect aux respects d es proportionnalits n cessaires une croissance

    stable.

    I . LA P OSSIBILITE GE NERALE DE S CRISE S ECONOMIQUE S : LESTHEOR IES ECONOMIQUES FACE AUX CRISES.

    Les crises prcapita listes ont un car actr e logique : une mauva ise rcolte (due auxintempries ou une guerre) empche la vie conomique de se poursuivre comme laccoutume. La misre se rpand dans les campagnes et parfois les difficultsstendent a ux activits urbaines qui en dpendent. La crise est clairement at tribuable

    la sous-production de biens, de valeu rs dusage.

    Cr ise e t cr ise : quelque s lment s de vocabulair e

    Le mot crise est ut ilis dans plusieur s sens diffrent s et on rencontre les ter mes decycles conomiques et dondes longues. Il est donc ncessaire de prciser levocabulaire employ. Les notions seront dveloppes et expliques dans la suite dutexte.Lconomie capitaliste ne pr ogresse pas rguliremen t un t aux de croissanceuniforme. Bien au contraire, la croissance est plus ou moins rapide (avec mme desphases de diminution de la production). Il existe donc des cycles courts de quelquesannes qui sont tra ditionnellement tu dis en distinguant quatr e phases : la reprise,le boom, la crise (le retournement), la dpression (ou le ralentissement). Ces quatrephases ser ont tu dies ci-dessous mais il convient demble de noter qu e la c r i se es tla phase o le cycle se retourne vers le bas. Bien que le mot cycle prsentelinconvnient de suggrer une pr iodicit rgulire a nalogue celle qui se rencontreen physique, il sera u tilis dans le texte.Par ailleurs, on a pu faire appar atr e des mouvements pluri-dcennau x de lconomiequi voient se succder une phase expansive et une phase de moindre croissance,chacune delles tant entrecoupes par des cycles courts. Pour qualifier cesmouvements, on utilisera da ns ce texte le ter me d o n d e lo n g u e . Ce choix sera

    justifi ci-dessous.Enfin, le mot C r i se est couramment utilis pour dsigner la situation delconomie mondiale depuis le dbut des an nes 70 mar que par le ra lentissemen t dela croissance et le dveloppement dun chmage de ma sse. Pour rduir e le risque deconfusion avec la c r i s e des cycles courts, on utilisera une majuscule dans ce secondsens du terme (C r i se).

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    Inversement, dans le droulement des crises capitalistes, les entreprises se plaignent dene pouvoir couler leur production, mais la surproduction peut coexister avec unesituation de chmage et de non-satisfaction des besoins lmentaires de larges secteursde la population. Les crises capitalistes ont donc dans une certa ine mesure u n caractre absurde .

    1 . Po u r q u o i p eu t - il y av o i r su r p r o d u c t io n ?

    La possibilit de la su rprodu ction est loin dtr e vidente. Selon la loi des dbouchs ,coura mmen t at tribue lconomiste franais du dbut d u 19 sicle, Jea n-Baptist eSay, loffre cre sa propre d ema nd e : toute production de marchandises est dans lemme t emps distribution de revenus capable dabsorber les mar chandises produites.Dans le processus dcrit par Say deux points sont essentiels :

    * lquilibre ent re offre et dem and e : la cra tion dun pr oduit dune va leur de 100 F ran csdonne lieu la distribution de 100 Francs de revenus (qui se dcomposent par exempleen 50 Francs de salaire, 40 Francs de paiement des fournisseurs, 10 Francs pour le chefdentreprise). Il en rsulte limpossibilit dune surproduction gnralise, seuls sontpossibles des problmes sectoriels et tem poraires.

    * les produits schangent contre des produits. J.-B. Say crit en effet Largent ne faitquun office passager dans ce double change ; et les changes t ermin s, il se trouve

    toujours quon a pay des produi ts avec des produ its (J.-B. S ay, Tra it dconomiepolitique (1803) , cit dan s Histoire des penses conomiques, les fondat eurs ,Sirey 1988). Largen t ne joue quun rle totalemen t secondaire da ns le processus.

    Dan s Le Capital (livre I, tome I pages 121-122, Editions Sociales), Marx crit iquedurement la loi de Say : Rien de plus niais que le dogme daprs lequel la circulationim plique n cessairement lquilibre des achat s et des ventes. . Marx souligne ladiffrence ent re le troc (change direct, san s monnaie) et lconomie monta ire : dans lepremier cas, il y a simultanit des oprations ( personne ne peut aliner son produitsans que simultanment une autre personne aline le sien ), dans le se cond, la situat ionest totalement diffrente (Aprs avoir vendu, je ne suis forc dacheter ni au m me lieu,ni au m me temps, ni de la m me personne laquelle jai vendu ). Par ailleurs, lerecours la monn aie nest pa s neut re : une fois une oprat ion dchan ge effectu e, Lacheteur a la ma rchandise, le vendeur a largent, cest d ire une m archandise d oue

    dune forme qui l a rend toujours bienvenue au m arch, quelque moment qu elle yapparaisse : il y a donc possibilit dun dcalage t emporel. Cela ren d la crise possible : Si la scission entr e la vente et lachat saccentue, leur liaison int im e saffirm e - par une

    crise .

    Dans la suite de ce texte, Marx souligne les contradictions que recle la marchandisesdans la production capitaliste : valeur dusage/ valeur dchange, tra vail priv/ travailsocial, travail concret/ travail abstrait. Ce sont ces contradictions qui impliquent lapossibilit des crises. Il souligne galement la diffrences entre lchange immdiat deproduits, la circulation de marchandises et la production de marchandises. Lasu r p r o d u c t io n n e s t en r g l e g n r a l e p a s u n e su r p r o d u c t io n d e p r o d u i t s m a i su n e su r p r o d u c t io n d e m ar ch an d i se s .

    La distinction entr e produit et marchandise est particulirement importante pourcomprendre la possibilit et les caractristiques gnrales des crises capitalistes.

    Lorsque, durant la crise de 1929, on brlait le caf dans les locomotives au Brsil oulaissait les rcoltes pourrir dans les champs aux Etats-Unis, cela ne signifiait pas quetous les besoins taient satisfaits. De mme, la rcession de 1992-1993 en France a tmar que par u ne surproduction dans le btimen t Pa ris avec un stock de logementsquivalan t plus dune a nne de vente a lors que le nombre de mal-logs ne cessedaugmenter.

    Ce type de situation renvoie au fait que le capitalisme ne vise pas la fabrication de produits en fonction des besoins sociaux constats mais celle de marchandises

    en fonction de la demande solvable (celle des gens qui peuvent payer et ainsi permettrede raliser le profit jug ncessaire par le capitaliste). Cette logique estparticulirement vidente en priode de crise mais elle fonctionne en perm anence etoriente la production vers les secteurs qui permettent le mieux de satisfaire la rgledu profit maximum quelles quen soient les consquences du point de vue de lasatisfaction des besoins sociaux, la qualit des produits, la sant et lenvironnemen t.Pour ne pr endre quun exemple, dans le domaine mdical, pourquoi la mdecineprventive est-elle de plus en plus nglige en France au profit de la mdecine curativesinon parce que la seconde permet au secteur pharmaceutique la ralisation de profitsconsquen ts et est plu s cohren te avec une conception librale de la mdecine ?

    2. Limpor t ance de la cr i t ique d e la lo i de Say

    On pourrait estimer inutile les dveloppements consacrs la critique des thses deJean-Baptiste Say : aprs tout, la vie elle-mme sest charge den dmontrer lecaractre erron : il y a eu des crises de surproduction. En fait, la question demeuredactu alit.

    En effet, la th orie conomique au jourdhui domina nte (la t horie no-classique) est un ethorie de lquilibre selon laquelle lconomie de march contient des mcanismesdaut o-rgulat ion qui assurent le ret our une situ at ion dquilibre si, pour un e raisonou pour une autr e, des excdents ou des pnur ies sont apparues. Ce r quilibrage seralise aux mouvements de prix. Ainsi, le salaire tant considr comme le prix de laforce de travail, sil peut sajuster librement, cest--dire sil nexiste pas de salaireminimum et si le pouvoir des syndicats est limit, le chmage est suppos disparatrehormis les cas de chmeurs volonta ires cest--dire de gens qu i refusent le sa laire qu ileur est propos.

    Dans ce cadre thorique, la crise ne peut venir du fonctionnement du march. Troislment s peuvent cependa nt t re lorigine des crises (16) :* les imperfections du march, cest--dire les carts par rapport au modle idal ;une pa rtie de ces carts sont invitables (imperfection de linformation des agent s,temps ncessaire leur adaptat ion au chan gement) mais peuvent tr e limits par uneaction approprie ; cependant lessentiel des imperfections est suppos provenir de rigidits institutionnelles (trop grand pouvoir des syndicats, existence dun salaireminimum).* une politique inadquate de lEta t qui pert urbe les mcanism es conomiques.* des mutations exognes au march comme le choc ptrolier de 1973 voire, pourcertains conomistes, la runification allemande comme cause de la rcession de 1992.

    (16) C. Barrre, G. Kebabjian, O. Weinstein, "Lire la crise", P.U.F., 1983.

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    Des modifications technologiques pourraient galement figurer dans cette dernirecatgorie (17).

    Des modles rcents sophistiqus visent combiner ces diffrents lment s : dveloppspar des conomistes amricains depuis la fin des annes 60, ils forment la thorie descycles rels : celle-ci privilgie les chocs technologiques (qui influencent la productivitet les prix relatifs des facteurs de production). Cette thorie affirme que les cycles (etdonc les variations de lactivit et de lemploi) constituent la rponse optimale delconomie aux modifications de son environnem ent et que toute t enta tive (de la part de

    lEtat) de stabiliser lconomie a un impact ngatif. A propos de la thorie des cyclesrels, un conomiste franais crivait rcemment : Le lecteur .... stonnera sans douteque des conomistes aient consacr autant de temps construire des modles

    sophistiqus pour expliquer qu e les fluctuations d e lemploi au cours du cycle sont

    pleinement volontaires et que ce que certains considrent comm e le malheur d eschmeurs, n est en fait que le reflet de leur got pour les loisirs. (18).

    En fa it la thorie des cycles rels constit ue actu ellement le dveloppement le plu savan c de ldifice no-classique en m at ire dexplication des fluctua tions conomiques.Elle est significative de son acharnement trouver des facteurs extrieurs aufonctionnement du capitalisme pour expliquer les crises et la permanence du chmage.Cest un e des manifesta tions les plus claires de son caractr e apologtique.

    3 . la t h o r i e k ey n s i en n e

    Pour montrer la spcificit de la conception marxiste des fluctuations et des crisesconomiques, il nest pas in utile dexposer quelques lments d e laut re gran de varian tede la thorie conomique officielle : la thorie keynsienne. Lconomiste anglais JohnMaynard Keynes dveloppe sa pense dans lentre-deux-guerres dans un contextemarqu par t rois lments :* une situation conomique instable : crise dans la pr iode suivant la guerr e de 1914-1918, crise de 1929 qui durer a jusqu la Deuxime Guerr e Mondiale.* la crainte du socialisme de la part de tous les possdants.* une phase nouvelle de lhistoire du capitalisme : celui-ci a dsormais pntr etsoumis lensemble de lconomie aux Etats-Unis et en Europe occidentale. Au XIXsicle, de larges secteurs de lconomie et de la socit chappaient lemprise directede lorganisation capitaliste de lconomie : la production capitaliste pouvait donctrouver une partie important de ses dbouchs en dehors de sa sphre directe de

    domination : chez les riches (parm i lesquels larist ocrat ie foncire), les rurau x, les petitscommer ants et a rtisa ns. Sy ajouta ient les terr itoires conquis dan s le cadre delexpansion impria liste. Limporta nce de cet environnement n on-capita liste dan s lesdbouchs de la production capitaliste avait t souligne par Rosa Luxemburg.Dsormais, le capitalisme dpend largemen t de ses dbouchs int erne s : outrelinvestissemen t, il sagit de la deman de des capita listes et des salar is qui constitu ent

    (17) Outre ces tr ois lments essentiels, il convient de signaler la thorie montaire dveloppe dans

    les annes 30 par l 'conomiste d'origine autrichienne Hayek qui explique le cycle par le

    comportement des banques et le dveloppement trop important du crdit dans les phases

    d'expansion conomique. Hayek donne ainsi une explication du cycle qui, sur certains points, met

    l 'accent sur de vrais problmes mais, en bon libral, sa conclusion est que les crises sont d 'autant

    plus accentues que l 'Etat intervient dans l 'conomie et empche les automatismes de fonctionner.

    cf. Barrre, Kebadjian, Weinstein.

    (18) Pierre-Alain Muet in "Les cycles conomiques" sous la direction de J.-P. Fitoussi et Ph. Sigogne,

    Rfrences/OFCE, Presses de la Fondation Nat ionale des Sciences Politiques, 1994.

    dsormais la majeur e partie de la population. Cela signifie que les salaires, silscontin uent d tre un cot pour cha que capitaliste individuel, deviennent un dbouchessentiel pour les capitalistes dans leur ensemble.

    Dans un tel contexte, Keynes va se dmarquer des conceptions dominantesantrieures : il critique la loi de Say et dmontre que des quilibres de sous-emploi sontpossibles lorsque la demande est insuffisante : dans de telles situations, la baisse dessalaires non seulement ne rduit pas le chmage mais accentue la dpressionconomique.

    Pour Keynes , la cause des crises provient dune rectification la baisse des objectifs deschefs dentreprise en fonction de leurs anticipations : la baisse de linvestissement serpercut e sur la production et les revenus. Les apports de Keynes ltude de certa insmcanism es conomiques ne sont pa s minces mais, pour lui, la crise na aucun efonctionnalit par rapport au capitalisme. Cest la faiblesse essentielle de son analysedu cycle conomique. La principale conclusion de Keynes est la ncessit delinter vention de lEta t pour rgu lariser lvolution conomique et suppler a ux carencesdes mcanismes du march.

    II . LES CYCLES COURTS

    Ces cycles ont t t udis par les conomistes ds le 19 sicle : cett e poque, ilsreviennent rgulirement peu prs tous les dix ans. Ds le Manifeste communiste (1848), Marx et Engels notent leur retour priodique.

    1. le droulem ent du cycle .

    a / l a r ep r i se . Lconomie vient de conna tre un e phase de fonctionnem ent a u ralen ti.Les capacits de production sont limites (des entreprises en faillite ont d fermer etpeu dinvestissements ont t raliss) et le chmage est important (ce qui perm etdexercer une pression efficace sur les salaires). Le taux de profit des entreprisessurvivantes se redresse progressivement. Les industriels ont liquid leurs stocks : ilsuffit que la demande en biens de consommation se ranime un peu (voire arrte dedcliner) pour quun processus de reprise de la production du secteur II se dclenche.Au dpart, la demande peut souvent tre satisfaite sans investissement majeur et lessalair es sont bas : le taux de profit augment e. Lallongement des hora ires de tra vail etlembauche de salaris supplmentaires se traduisent pa r une augmentat ion des

    revenus des salar is et engendrent des effets mu ltiplicateur s (le surcrot de r