Husserl et Le Sens Des Choses

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4/6/2014 Contrepoint Philosophique, Philosophie http://www.contrepointphilosophique.ch/Philosophie/Sommaire/Husserl.html 1/19 Husserl. Le sens des choses Par Nicolas Dittmar www.contrepointphilosophique.ch Rubrique Philosophie 19 février 2012 L’objectif de cet article est de retracer la genèse de la phénoménologie transcendantale de Husserl en nous penchant sur ses premiers écrits, la Philosophie de l’arithmétique et les Recherches logiques. Cet angle d’analyse permet d’examiner les problèmes fondamentaux de la phénoménologie, en particulier à travers les concepts mathématiques de nombre et de quantité, ce qui nous conduit dès le départ de poser la question de la subjectivité dans la constitution de toute connaissance et introduit le motif de l’intentionnalité. Ce cadre étant posé, nous pouvons développer la critique centrale du psychologisme dressée par Husserl et analyser les autres concepts fondamentaux de la phénoménologie comme ceux de la réduction, de l’évidence et de l’intuition, qui apparaissent dans l’Idée de la phénoménologie puis dans les Idées directrices. Cet article se veut donc une récapitulation et une synthèse de la méthode phénoménologique et de la dimension transcendantale de la conscience qu’elle permet de mettre au jour. Nous espérons par là contribuer à réhabiliter, non seulement le sensible dans la sphère du logos, mais plus fondamentalement la subjectivité humaine telle qu’elle peut apparaître dans son rôle de constitution du sens et de liberté individuelle. INTRODUCTION La réflexion de Husserl se présente comme une recherche des fondements [1] ultimes de la connaissance, qu’il s’agisse du fondement d’une vérité mathématique, logique, ou éidétique, fondée sur la thèse d’une législation innée de l’entendement, qui garantit le possibilité d’une adequatio rei et intellectus. En ce sens, la philosophie de Husserl vise une reconquête de la rationalité fondée sur la clarté et l’évidence de l’intuition, que le fondateur de la phénoménologie qualifie de principe des principes. La raison devient ainsi, non pas seulement une faculté d’abstraction mais une faculté de retour aux choses conjointe à un « vivre » auquel elle donne sens : c’est le vécu, logique ou perceptif puis intuitif, qui est au centre de l’analyse phénoménologique parce qu’il se comprend comme intentionnalité. L’intentionnalité est le alors pivot de la réflexion husserlienne, car elle est le lieu de ce que R. Barbaras appelle l’a priori de corrélation universelle entre un sujet pensant et le monde. En effet, c’est l’intentionnalité qu’il faut supposer à la racine de tous nos vécus pour les soustraire à la seule analyse empirique et naturaliste : la subjectivité est douée de sens et il convient de pratiquer la réduction phénoménologique pour s’abstraire du monde naturel tout en restant neutre vis à vis du donné – neutralisation de la thèse d’existence ou épochè. En ce sens, le sujet s’ouvre à l’immanence de ses vécus subjectif purs tout en offrant à la conscience la clara et distinta perceptio de l’objet visé à l’extérieur d’elle–même, selon la belle expression husserlienne d’une transcendance dans l’immanence. Si « toute conscience est conscience de quelque chose », elle ne se réalise en tant que subjectivité que dans la rencontre avec cette transcendance du donné, c'est-à-dire l’altérité d’une personne comprise comme

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phénoménologie de Husserl

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    Husserl.

    Le sens des choses

    Par Nicolas Dittmarwww.contrepointphilosophique.ch

    Rubrique Philosophie

    19 fvrier 2012

    Lobjectif de cet article est de retracer la gense de la phnomnologie transcendantale de Husserl en nous

    penchant sur ses premiers crits, la Philosophie de larithmtique et les Recherches logiques. Cet angledanalyse permet dexaminer les problmes fondamentaux de la phnomnologie, en particulier travers lesconcepts mathmatiques de nombre et de quantit, ce qui nous conduit ds le dpart de poser la question de lasubjectivit dans la constitution de toute connaissance et introduit le motif de lintentionnalit.

    Ce cadre tant pos, nous pouvons dvelopper la critique centrale du psychologisme dresse par Husserl etanalyser les autres concepts fondamentaux de la phnomnologie comme ceux de la rduction, de lvidence etde lintuition, qui apparaissent dans lIde de la phnomnologie puis dans les Ides directrices.

    Cet article se veut donc une rcapitulation et une synthse de la mthode phnomnologique et de ladimension transcendantale de la conscience quelle permet de mettre au jour.

    Nous esprons par l contribuer rhabiliter, non seulement le sensible dans la sphre du logos, mais plusfondamentalement la subjectivit humaine telle quelle peut apparatre dans son rle de constitution du sens et delibert individuelle.

    INTRODUCTION

    La rflexion de Husserl se prsente comme une recherche des fondements[1]

    ultimes de la connaissance,

    quil sagisse du fondement dune vrit mathmatique, logique, ou idtique, fonde sur la thse dunelgislation inne de lentendement, qui garantit le possibilit dune adequatio rei et intellectus.

    En ce sens, la philosophie de Husserl vise une reconqute de la rationalit fonde sur la clart et

    lvidence de lintuition, que le fondateur de la phnomnologie qualifie de principe des principes.

    La raison devient ainsi, non pas seulement une facult dabstraction mais une facult de retour aux choses

    conjointe un vivre auquel elle donne sens : cest le vcu, logique ou perceptif puis intuitif, qui est au

    centre de lanalyse phnomnologique parce quil se comprend comme intentionnalit. Lintentionnalit est le

    alors pivot de la rflexion husserlienne, car elle est le lieu de ce que R. Barbaras appelle la priori de

    corrlation universelle entre un sujet pensant et le monde.

    En effet, cest lintentionnalit quil faut supposer la racine de tous nos vcus pour les soustraire laseule analyse empirique et naturaliste : la subjectivit est doue de sens et il convient de pratiquer la rduction

    phnomnologique pour sabstraire du monde naturel tout en restant neutre vis vis du donn neutralisation

    de la thse dexistence ou poch.

    En ce sens, le sujet souvre limmanence de ses vcus subjectif purs tout en offrant la conscience

    la clara et distinta perceptio de lobjet vis lextrieur dellemme, selon la belle expression husserlienne

    dune transcendance dans limmanence.

    Si toute conscience est conscience de quelque chose , elle ne se ralise en tant que subjectivit que

    dans la rencontre avec cette transcendance du donn, c'est--dire laltrit dune personne comprise comme

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    alter ego, et/ou dans la dcouverte dune loi dessence, quelle soit logico-mathmatique, thique ouexistentielle : cette dcouverte revient lentendement, en tant que fond sur lintuition donatrice originaire qui

    permet la constitution dune connaissance authentique possdant une valeur idtique. Cest rcuser le

    dualisme kantien entre phnomne et noumne, puisque lindividu a directement accs aux choses grce une

    vision des essences.

    Nous commencerons par examiner le contexte et lorigine de la notion dintentionnalit travers une

    analyse du concept de nombre comme catgorie logique de la pense, tout en montrant dans quelle mesure

    celle-ci est relie un vcu, c'est--dire mane dune subjectivit qui peut accder aux essences grce

    lintuition catgoriale.

    Dans un second temps, nous analyserons le concept dintentionnalit partir dune critique du

    psychologisme, qui permet de rhabiliter la question de la subjectivit transcendantale sans basculer dans le

    solipsisme, la vrit ntant plus seulement une notion logique ou un nonc mathmatique, mais une questionde sens pour lindividu qui peroit les phnomnes du rel : nous verrons comment cette nouvelle acception

    de la vrit se dessine dans le lieu mme de lvidence.

    Enfin nous examinerons ce qui permet daccder lvidence grce la facult de la lintuition, et au rle

    central que joue la pratique de la rduction phnomnologique poch qui permet de restaurer le sensdes choses et dachever lexploration de lintriorit dans le cadre dune dialectique entre lattitude naturelleet lattitude transcendantale.

    I/ Le concept de nombre

    A Le vcu logique comme origine de lintentionnalit

    Pour comprendre le sens de la phnomnologie, il faut se pencher sur le premier crit de Husserl,laPhilosophie de larithmtique, qui analyse les concepts de nombre, de quantit, de relation ou encore de

    multiplicit. Comme lcrit Husserl, il sagit de commencer par caractriser psychologiquement labstractionqui conduit au concept ( propre) de la quantit et ensuite aux concept de nombre (p.19) : il faut dabord

    remarquer que ce que nous cherchons, de nest pas une dfinition [logique] du concept de quantit, mais unecaractrisation psychologique des phnomnes sur lesquels repose labstraction de ce concept [] Ce quelon peut faire dans de tels cas, cest seulement ceci : montrer les phnomnes concrets partir ou milieu

    desquels ils sont abstraits, et tirer au clair le genre du processus abstractif [2]

    .Le concept de nombre reprsente une quantit et la question est de savoir comment se reprsenter des

    quantits ou des nombres dont la reprsentation propre implique la prsence dans le contenu intuitionn de caractres quasi qualitatifs qui sont immdiatement remarquables et qui sont les indices que nous sommesface une multiplicit ? Par exemple, nous entrons dans une salle pleine de gens , ou bien nous levons les

    yeux vers le ciel toil (p.240) et nous apprhendons aussitt une multiplicit de gens ou dtoiles. Ouencore quil sagisse de la liaison collective entre une range de soldats, un tas de pommes ou une vole

    doiseaux, il faut postuler que le genre abstractif nest possible que par lexistence dune constitutionintrinsque caractristique de phnomnes concrets qui sont apprhends par la conscience.

    Cest ce sens vis travers lessence du concept du nombre qui fournit la base de la distinction centraleque fait Husserl entre les constituants rels dun vcu et la chose ou le phnomne vis, c'est--dire son

    nome : ce quest un vcu intentionnel, ce qui le caractrise psychologiquement nest pas la mme chose quece quil vise.

    Dans ce cadre, le nombre nest pas une pure abstraction indpendante du tmoignage delexprience , il se rfre une multiplicit qualitative comme lensemble form par les sept collines deRome , qui ne sont ni pur concept, ni des objets de la conscience au sens de la psychologie inductive et

    explicative de la conscience psychologisme mais un acte psychique de relation intentionnelle qui implique

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    un retour au phnomne concret, la chose telle quelle existe dans la perception et lintuition du rel[3]

    :

    Les concepts logiques, en tant quon leur attribue la valeur dunits de pense, doivent tirer leurorigine de lintuition [] Autrement dit, nous ne voulons pas absolument pas nous contenter desimples mots, c'est--dire dune comprhension symbolique des mots, telle que nous lavons toutdabord dans nos rflexions sur le sens des lois tablies en logique pure, concernant des concepts,des jugements, des vrits, etc, avec leurs multiples particularits. Des significations qui ne seraientvivifies que par des intuitions lointaines et imprcises, inauthentiquesne saurait nous satisfaire.

    Nous voulons retourner aux choses elles-mmes [4]

    .

    Lenjeu philosophique qui sannonce ds la Philosophie de larithmtique est donc de rconcilier

    labstraction avec lexistence dune conscience qui utilise le nombre pour se reprsenter les choses elles-mmes, et comprendre leur signification, conformment leur constitution caractristique intrinsque : le

    nombre nest pas une simple quantit, il est une relation ou liaison manant dun acte psychique qui vise unsens, cest un vcu logique. Ce qui est logique et qui relve de lanalytique pure, cest lintuition unitaire totalede la multiplicit :

    dans la multiplicit sensible ne sont prcisment pas contenues la manire de proprits, mais la manire dintuitions partielles spares pour elles-mmes, et cela, elles le sont de telle faon quedans les circonstances donnes elles attirent sur elles un intrt prdominant et unitaire. Cestprcisment pourquoi notre intention lorigine est de chercher construire une reprsentationdensemble qui apprhende chacune de ces intuitions partielles pour elle-mme et qui la contienne

    unitairement avec les autres [5]

    .

    Cest soutenir que par le nombre le phnomne apparat la conscience et acquiert par l-mme son

    caractre idtique, ce qui dfinit le programme de la phnomnologie en tant que psychologie descriptivedes vcus logiques et introduit dj le motif de lintentionnalit.

    Comme le remarque Laurent Joumier, comprendre le sens authentique des concepts ou des procds

    [mathmatiques] que nous utilisons en mettant au jour les oprations subjectives qui les ont produit, tel est

    pour Husserl, ds 1891, la tche principale de la philosophie [6]

    .

    B - Intuition sensible et intuition catgoriale : lintention comme acte de signification

    Si le nombre est une quantit qui comporte des moments figuraux et qui implique un acte de vise de la

    conscience, irrductible un simple contenu logique et doue de sens, elle permet de rhabiliter la fonction dela subjectivit comme constituante par lintermdiaire de lintuition. Cest le contact originel de lesprit avec

    les ralits que recouvre le nombre qui dfinit cette intuition, qui, comme le remarque Lvinas, est

    catgoriale : Dj lide de lintuition catgorialepointe lhorizon puisque la dmarche de collection na

    rien de limmdiat du sensible, nen constitue pas moins laccs originel aux formations artihmtiques [7]

    .

    Cest donc cette corrlation essentielle entre les data sensibles de la perception et laccs lidalit

    logique dont elle dcoule qui est au cur de la problmatique phnomnologique. Husserl dfinit cettecorrlation en employant le concept dintuition catgoriale. Comment le significations de forme catgoriale,

    c'est--dire leves leur pure forme analytique que saisit la nose, peuvent elles se confirmer dans la

    perception, et y trouver leur remplissement adquat ? Husserl nous rpond :

    cela ne signifie rien dautre sinon quelles se rapportent lobjet lui-mme dans sa formation

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    catgoriale ; que lobjet avec ses formes catgoriales nest pas simplement vis comme dans lecas dune fonction purement symbolique des significations, mais quil est mis lui-mme sous nosyeux, prcisment dans ces formes ; en dautres termes : que lobjet nest pas seulement pens,

    mais prcisment intuitionn ou encore peru [8]

    .

    Cest donc dans lintuition catgoriale que se relient les perceptions singulires, cette intuition tantcomprise comme lien psychique qui produit la synthse en tant quintention qui est, comme telle, plus ou

    moins remplie[9]

    . Cest en ce sens que Lvinas dcrit lenjeu de la Philosophie de lArithmtique, qui

    anticipe sur lesIdeen :

    Mais surtout la notion du subjectif implique dans ces analyses [arithmtiques] tranche sur celledu psychologisme de lpoque : la subjectivit nest pas aborde comme uncontenu de laconscience, mais comme une nose qui pense quelque unit objective, qui latteint dans unecertaine mesure ou dans un certain sens. Larithmtique ne se ramne pas un jeu de la causalitpsychologique, mais des units de sens. Elles ne se rapportent au sujet que par leur sens et dansla mesure o le sujet est pense Lintentionnalit de la conscience qui permettra dansles Logische Untersuchungen de comprendre lidal et sa situation par rapport la pense, deconcilier ainsi lunit de lide avec la multiplicit des actes qui la pensent, anime dj, en fait,

    la Philosophie de lArithmtique [10]

    .

    Lintuition catgoriale ne supprime donc pas lintuition sensible dans laquelle un objet se constitue dune

    manire simple et directe, au contraire, avec lintuition catgoriale, cest la sensibilit qui sidalise et devient

    intelligente , fournissant le concept authentique phnomnologique d a priori qui a manqu Kant, comme

    le remarquer justement Emmanuel Housset[11]

    On retrouve cette corrlation dans lintroduction par Husserl

    dune nouvelle dfinition de labstraction, qui respecte lacte spirituel de liaison ou de collection des

    perceptions adquates qui remplissent les intentions de signification.

    Husserl introduit un nouveau concept dabstraction, labstraction idatrice[12]

    , qui permet de penser

    le sens de lintuition catgoriale comprise comme acte complet :

    Labstraction se manifeste sur la base dintuitions primaires et, par l, surgit un caractre dactenouveau, caractre dans lequel apparat une nouvelle espce dobjectivitNaturellement je neveux pas parler ici de labstraction au simple sens de la mise part dun moment dpendantquelconque dans un objet sensible, mais de labstraction idatrice, dans laquelle, au lieu du momentdpendant, cest son ide, son tre gnral, qui devient objet de conscience, qui devient un tre

    donn actuel [13]

    .

    Abstraire nest donc plus dans cette perspective sparer des lments issus de la perception sensibledobjets pour subsumer leurs caractre commun sous lidentit dun concept purement logique, sans lien avec

    la subjectivit, cest rhabiliter le fait psychologique qui ne conditionne pas le phnomne logique par sa

    ralit, mais par le sens qui lanime, fond sur lenchevtrement des vidences intuitives auxquelles elle

    emprunte sons sens complet : toute la critique quannonce la Philosophie de larithmtique partir duconcept de nombre consiste affirmer, comme dans les Recherches logiques, que lobjet de la pense nest

    pas un contenu psychologique que lon pourrait isoler et expliquer selon des lois de causalit, mais quil est

    dj une intention : les contenus de la pense, les sensations par exemple, sont vcues, mais les objets sontidalement prsents dans ces contenus, et cest en ce sens que lon peut parler dintentionnalit qui vise ces

    objets idaux. Cest soutenir, contre le psychologisme, que ce qui est vcu, est distinct de ce qui est pens,

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    comme les Ideen le montreront en distinguant entre les composantes relles du vcu, et ses corrlats objectifs(realen) : lintention comprise comme acte psychique inaugural est ce qui relie la subjectivit aux choses elles-

    mmes.

    II/ Intention et phnomne : la constitution du vcu

    A La critique du psychologisme

    Le pychologisme est une appellation survenue au dbut du XXme sicle. Il se dfinit par sa prtention

    fixer les rgles de la connaissance, en se substituant la philosophie et la logique : sa mthode est de

    classifier les tats psychologiques en les traitant comme des faits ou donnes de la conscience perception,nonc, calcul, valuation quantitative, rtention oubli etcCette prtention de la psychologie exprimentale

    en plein essor culmine dans ce que Husserl appelle une naturalisation de la conscience ; cette naturalisation

    consiste, je cite, rduire un fait de nature la conscience et toutes ses donnes immanentes

    lintentionnalit, et rduire des faits de nature lesides, donc toutes les normes et tous les idauxabsolus .

    Or cet alignement de la psychologie naissante aux sciences de la nature repose sur une navet, qui

    consiste accueillir la nature comme un donn brut quil sagit dobserver de lextrieur en liminant tous les

    lments subjectifs qui sont associs lanalyse inductive de lexprience que fait le scientifique de ce donn.Cest en ce sens, nous dit Husserl, que la psychologie est empirique, et non pas idtique, car elle ne

    sintresse pas aux vcus de la conscience qui interviennent dans le processus de lanalyse exprimentale :

    elle prsuppose ce quaucun dispositif exprimental ne saurait produire : lanalyse de la conscience elle-mme. Plus, elle a nglig de se demander dans quelle mesure ce qui est psychique, au lieu dtre la

    manifestation dune nature, est, au contraire, dot dune essence qui lui est propre et quil importe danalyser

    rigoureusementLa psychologie na pas valu ce que recle le sens de lexprience psychologique ni

    quelles exigences impose de lui-mme la mthode ltre au sens psychique [14]

    .

    Lenjeu de cette critique du psychologisme est donc dautonomiser la logique en la dpouillant de tout

    naturalisme qui traite les tats psychiques comme des donnes monolithiques et prtend la scientificit de

    ses rsultats : plus, il sagit de contrer la drive que reprsente le scepticisme de lEcole anglaise (Humeprincipalement), qui ne voit dans les rapports logiques que des schmes fictifs et abstraits de relations

    mentales concrtes, interdisant toute gnralisation ou toute investigation du vcu. Comme le remarque

    Husserl au sujet de cette fausse interprtation naturaliste de lempirisme,

    La faute cardinale de largumentation empiriste est didentifier ou de confondre lexigencefondamentale dun retour au choses (Sachen) mmes, avec lexigence de fonder touteconnaissance dans lexprience. En limitant au nom de sa conception naturaliste le domaine deschoses connaissables, il tient pour acquis sans autre examen que lexprience est le seul acte quidonne les choses mmes. Or, les choses ne sont pas purement et simplement les choses de lanaturecest seulement la ralit de la nature que se rapporte cet acte donateur originaire quenous nommons lexprience [] Lexprience directe ne fournit que des cas singuliers et rien degnral : cest pourquoi elle ne suffit pas. Lempirisme ne peut invoquer une vidence idtique : il

    la nie [15]

    .

    Comment alors traiter de ces liaisons idales des concepts et de jugements sans en connatre

    lenchanement naturel et leur mode naturel dapparition nous demande Victor Delbos ?[16]

    Autonomiser la logique par rapport la psychologie est une condition pralable une philosophie

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    comme science rigoureuse, et plus prcisment, la phnomnologie idtique. En effet, si logique traite des

    reprsentations, des concepts, des jugements, des raisonnements et des dmonstrations, il nen reste pas

    moins que ce sont l des phnomnes ou des oprations psychologiques : comment donc les propositions quisy rapportent ne seraient-elles pas psychologiques elles aussi ? De mme lvidence dune proposition vraie,

    la vrit dun jugement en tant quvident est un tat psychique, un sentiment dont on peut dterminer les

    relations causales, c'est--dire les antcdents psychiques.

    On le voit, Husserl cherche restaurer le fondement subjectif de la connaissance pure, c'est--diredlivr de tout prjug naturaliste : la conscience nest pas seulement en tissu ou un ramassis dimpressions et

    de sensations, de jugements et de calculs, elle est doue de sens, elle est productive dides qui sont valides

    par linvestigation idtique, c'est--dire par le principe de lintuition sensible (puis catgoriale) qui nous

    permet, aprs la rduction idtique, de retrouver le vritable sens des phnomnes en tant quils font sens

    pour notre vie.

    Cest dans cette perspective que lon peut parler de vcus logiques, c'est--dire dune logique pure quijustifie le motif transcendantal de la phnomnologie.

    Husserl rflchit prudemment lencontre du psychologisme et du naturalisme en gnral, en

    commenant par restaurer lnigme du monde, qui est objet dtonnement philosophique, contrairement la

    psychologie qui prtend raisonner et formuler des thories sur la ralit quelle accueille navement comme

    donne davance, comme unit spatio-temporelle et psychophysique quil sagirait de dcouper selon des

    relations de causalit, dobserver pour induire les lois qui prsident la production dtats psychiques

    (Husserl compare cette dmarche la statistique !), sans jamais se proccuper de lessence de la conscience,qui renvoie une logique de lintuition des essences et donc la vritable objectivit : lobjectivit est certes

    dordre exprimental mais elle implique une idtique de la conscience pour devenir normative, pour accder

    la vrit selon la dfinition traditionnelle de lesprit la chose ( adequatio rei et intellectus)

    Sur un plan mthodologique et logique (voire mtaphysique, Husserl cherche retrouver lIde au sens

    kantien c'est--dire la priori de la corrlation universelle entre la conscience et les phnomnes), il faut donc

    bien distinguer la psychologie empirique de la psychologie idtique, lune soccupant des faits psychiques,

    lautre soccupant des vcus psychiques dans le flux subjectif de la conscience quil sagit de constituer dansleur sens dtre au monde : prouver un sentiment, produire un jugement sur un tat de choses, se souvenir

    ne sont pas seulement la manifestation dune nature observable en soi, ce sont les donnes dune conscience

    qui est tourne vers la ralit et qui apprhende ou interprte (Auffassung) sur le mode de ltonnement

    (thme platonicien) les choses qui composent cette ralit. Or stonner du monde, le restaurer dans ce quil

    dnigmatique (et non de donn comme dans le psychologisme), nest-ce pas lgitimer la sphre de la

    subjectivit comme champ dimmanence de vcus purs quil sagit dlucider progressivement jusqu la

    production de la vrit comme Ide adquate du monde dans lequel vit, ressent, juge, agit et se souvient

    lhomme ?Nous touchons l la thse de lidalisme transcendantal de Husserl, qui rige la personne sensible en

    sujet absolu (monade).

    Mais retenons que la conscience est fondamentalement chez Husserl cette facult qua lhomme de se

    tourner vers autre chose quelle-mme, laltrit dira-t-il dans ses derniers crits, et de donner du sens ses

    apprhensions : toute conscience est conscience de quelque chose, c'est--dire relie au monde intersubjectif

    et historique.

    B Les concepts dintention et de vcu intentionnel

    Le concept dintention est le pivot de la pense philosophique de Husserl en ce quil permet dtablir la

    relation du sujet, le cogito, son objet le cogitatum. Cette relation originaire est une nigme pour Husserl :

    Sous toutes ses formes, la connaissance est un vcu psychique : une connaissance du sujet connaissant.

    Opposs elles, il y a les objets connus. Or, comment maintenant la connaissance peut-elle sassurer de son

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    accord avec les objets connus, comment peut-elle sortir au-del delle-mme et atteindre avec sret ses

    objets ? La prsence des objets de connaissance dans la connaissance qui, pour la pense naturelle, va de

    soi, devient une nigme [17]

    .

    Les Recherches logiquesmentionnaient dj cet cart entre lobjectivit du contenu de la connaissance

    et le tissu form par la subjectivit des vcus psychiques lis la perception de lobjet : comment faut-il

    comprendre que len soi de lobjectivit parvienne la reprsentation et mme lapprhension dans la

    connaissance, donc finisse pourtant par redevenir subjectif ? . Cest cette interrogation centrale qui nousamne postuler le concept dintention, compris comme lien psychique en lequel sopre la synthse de la

    pense et de lintuition.

    Le concept dintention doit ici tre compris comme moyen de rfuter le psychologisme, en montrant que

    les choses, les vcus qui leurs sont associs, les concepts que nous en dduisons, leurs principes et leurs lois

    sont des objets qui ont une existence idale et quils demeurent ce quils sont quelles que soient les conditions

    subjectives, psychologiques, historiques etc, dans lesquelles nous en prenons connaissance. : par lintention, la

    conscience vise une signification qui est irrductible un contenu psychologique qui serait dtermin estexpliqu par des lois de causalit. Cest cette proprit qu la conscience dtre hors delle-mme qui

    confre lintentionnalit sa dimension constitutive comprise comme lieu dlucidation des fondements de la

    connaissance, et comme rempart contre le scepticisme[18]

    . Comme le remarque Lvinas,

    La signification du mot nest donc pas un rapport entre deux faits psychologiques ni entre deuxobjets dont lun est le signe de lautre mais entre la pense et ce quelle pense. Cest l touteloriginalit de lintention par rapport lassociation Le pensest idalement prsent dans lapense. Cette manire qua pour la pense decontenir idalement autre chose quelle

    constitue lintentionnalit [19]

    .

    Lintention, ou lintentionnalit est un vcu qui a ses lois propres et qui permet la conscience de

    rencontrer lobjet de connaissance, de le saisir la fois dans sa singularit et dans son idalit mathmatique :

    elle dcoule dune interrogation ontologique sur la priori de la corrlation entre ltre et la chose, et sur la

    recherche des conditions de validit de cette corrlation. Comme le souligne Husserl dans La Philosophie

    comme science rigoureuse :

    Comment lexprience, comprise comme conscience, est-elle en mesure de donner ou derencontrer un objet ? Comment le jeu dune conscience commande par la logique delexprience doit-il procder pour noncer des jugements objectivement valables, valables pour des

    choses dont lexistence est indpendante de tels jugements ? [20]

    .

    Pour comprendre comment le sujet atteint la chose et lui donne signification, il faut commencer par dfinir

    les trois acceptions distingues par Husserl donnes au terme de conscience, et qui fondent la

    phnomnologie comme science descriptive des vcus intentionnels : Conscience comme ensemble descomposantes phnomnologiques relles (reelle) du moi empirique, c'est--dire comme tissu des vcus

    psychiques dans lunit du flux des vcus. Conscience comme perception interne des vcus psychiques

    propres. Conscience comme dsignation globale pour toute sorte dactes psychiques, ou de vcus

    intentionnels [21]

    .

    Le but de la phnomnologie est donc de dlimiter le concept dacte psychique quant son essence

    phnomnologique, c'est--dire de telle sorte que toute relation avec lexistence empirique relle (reale)

    (avec des hommes ou des animaux de la nature) soit exclue : le vcu au sens psychologique descriptif

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    (phnomnologie empirique) devient alors un vcu au sens de la phnomnologie pure [22]

    .

    Cette premire dtermination du concept de vcu intentionnel renvoie ce que Husserl nommera dansles Ides directrices la nose, comprise comme idtique descriptive des purs vcus : les actes notiques

    sont donc ce qui informe une matire passive (les vcus psychiques, par exemple la sensation de couleur, la

    perception dune maison), ce qui donne sens au contenus de sensation et dapprhension en y introduisant

    lintentionnalit seconde acception de la conscience voque plus haut.

    La perception, comme toute vise intentionnelle, nest donc pas la simple prsence dun contenu

    psychique, cest aussi un acte dapprhension (Auffassung) (ou dinterprtation ou daperception) de ce

    contenu : cest par cet acte intentionnel que le vcu acquiert sa relation lobjet :

    Les sensations tout comme les actes qui les apprhendent, ou les aperoivent, sont en ce casvcues, mais elles napparaissent pas objectivement ; elles ne sont pas vues, entendues, ni peruespar un sens quelconque. Les objets, par contre, apparaissent, sont perus, mais ils ne sont pas

    vcus [23]

    .

    Lintention de signification devient donc objective[24]

    par lapprhension (Auffassung) de lobjet

    intentionnel : cest un acte de donation de sens, une nose qui atteint lobjet dans son sens idal et logique, et

    grce auquel nous possdons une conscience didentit (la bote que perois peut changer de couleur et de

    position mais cest la mme bote qui demeure perue).

    Tel sera le sens de la dfinition de lacte objectivant donne par Husserl dans la Recherche VI : les actes

    objectivants sont des actes qui comportent en eux-mmes une relation intentionnelle un objet, une

    matire intentionnelle , comme les perceptions et les jugements, ce qui nest pas le cas du dsir ou du

    souhait, qui bien quils soient des vcus intentionnels, impliquent une reprsentation de lobjet dsir ou

    souhait et se comprennent alors comme actes fonds[25]

    .

    Lintentionnalit est comme le remarque Emmanuel Housset un domaine de recherche apriorique qui

    dtermine les conditions de lapparatre de lobjet : par le vcu intentionnel, la conscience opre une synthse

    didentification : au lieu de penser seulement le merle senvole , je vois le merle senvoler : la proposition

    formelle culmine dans la plnitude de la vise intentionnelle, c'est--dire dans un acte dintuition originaire.

    Cette identification relve dune connaissance idtique qui porte sur la coordination lgale rciproquedes droulements rels (reell) du vcu aux objectits qui en eux apparaissent. Cest en ce sens que

    lintentionnalit est lorigine de la constitution du phnomne, et rhabilit le rapport direct et intellectuel la

    chose, en surmontant le solipsisme cartsien. Comme le remarque Patocka,

    Lintentionnalit se rvlant la racine de la manifestation, de lapparition de lobjet, il devientpossible de suivre la gense, la constitution de lobjet, car celui-ci nest pas simplement donn,maisdifi dans lactivit intentionnelle. Rsultat insouponn, cela ouvre une perspectiveentirement nouvelle. Lintentionnalit nous apparat comme un processus actif dont nous ne nousdoutons pas dans lexprience courante o nous nous contentons de rsultats nus, toujours djachevs et en quelque sorte fixs. Lintentionnalit se dirigeant par essence sur un objet, nesarrtant pas normalement auprs du vcu, il sensuit tout fait logiquement une tendance denotre vcu saveugler son propre gard, oublier de se voir comme il est, voire souvent dans lefait quil est. Si nous voulons vivre dans les choses et auprs des choses, nous ne pouvons nouspermettre de vivre lintrieur de nous-mmes et de nous comprendre nous-mmes []Lintentionnalit est le lien unifiant qui fait que lexprience de la conscience nest pas un ramassisdimpressions et autres phnomnes, mais un processus unitaire, dou de sens []Lintentionnalit, telle que Husserl la thmatise, fait apparatre comme trait essentiel lorientationnotique Les intentions ne se trouvent pas la surface de la vie consciente, exposes au regardcomme des dcors sur une scne.les faits dcrits ont dabord d tre prpars ( la manire

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    dune prparation pour le microscope), dpouills par la comprhension du caractre objectivant delintention, pour que lobjet lui-mme puisse devenir le guide du dvoilement des accomplissements

    subjectifs impliqus, dissimuls dans lobscurit, de plus en plus latents et lointains [26]

    .

    Cest en ce sens que la phnomnologie entend parvenir lunit objective sur le sol des phnomnes

    eux-mmes, dans et par la spontanit de la pense qui parvient nanmoins des rsultats objectifs :

    lintentionnalit nous ouvre ainsi une rflexion transcendantale, o le monde devient horizon, une Ide qui

    gt linfini ou encore une Ide au sens kantien , une structure de la subjectivit transcendantale[27]

    , ce qui

    renvoie la troisime acception du concept de conscience voqu plus haut.

    C Evidence et vrit : vers la rduction phnomnologique

    Lvidence est le critre ultime de la vrit. Elle est ce en quoi apparat lobjet en chair et en os, est

    donn-en-personne. Cest un mode didentification adquate par laquelle sopre la concordance entre

    lintention et son objet intentionnel : la vrit est, en tant que corrlat dun acte identifiant,un tat de

    choses et, en tant que corrlat dune identification par concidence, une identit : la pleine concordance

    entre le vis et le donn comme tel. Cette concordance est vcue dans lvidence, en tant que lvidence

    est la ralisation actuelle de lidentification adquate [28]

    .

    Quil sagisse de lvidence dun objet idal ou de celle dun objet rel comme une chose matrielle,

    cest toujours, de faon analogue, la constitution dune identit travers une multiplicit de vcus pouvant sy

    rapporter qui se ralise. Lvidence est conscience didentit, constitution dun identique par-del la

    multiplicit des vcus.

    Lvidence peut ainsi tre caractrise, non comme une illumination immdiate, mais comme une

    intentionnalit vivante, une vise qui saccomplit de manire plus ou moins conforme son but. En ce sens,lvidence est un concept qui sinscrit dans une critique transcendantale de la connaissance : lvidence est

    une mthode grce laquelle les concepts fondamentaux de lanalytique sont engendrs

    originellement [29]

    . En ce sens lvidence a priori des principes logiques renvoie lvidence premire de

    lexprience.

    Mais il ne sagit pas dune vidence nave, qui serait exempte de la contribution de la subjectivit dans la

    mise en prsence de lobjet vis intentionnellement ; cette vidence est logique et comporte un lien originaire

    de fondation avec lexprience du monde, quil soit historique ou gntique, quil faut faire apparatre par une

    srie d examens rducteurs [30]

    . Le thme de la rduction transcendantale sannonce ici comme

    condition dune analytique formelle qui identifie le jugement comme unit de sens, mais fait abstraction de sa

    vrit et de son rapport aux choses.

    Cest cette rduction ou mise hors circuit de la thse dexistence qui rend possible le regard idtique,

    c'est--dire lvidence comme voir apodictique qui se ralise pleinement dans lintuition des essences.

    Comme le remarque Emmanuel Housset, il est ainsi manifeste quavec lvidence Husserl refuse de sentenir lide dune vrit propositionnelle pour donner accs une vrit proprement phnomnologique.

    Tout jugement vrai se fonde sur une vrit qui se donne dans lvidencela vrit logique est en cela

    reconduite une vrit ontologique, c'est--dire ltre-donn de la chose dans la vrification

    vidente [31]

    .

    La raison est donc le processus mme damener lvidence comme accomplissement dun vcu, dans

    la plnitude de ladquation entre lintention et son objet vis : tel est le sens de la

    subjectivit transcendantale, qui en se fondant sur lvidence, est la pntration mme du vrai :

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    Lvidence nest pas un je ne sait quel sentiment intellectuel- il est la pntration mme du vrai.Le miracle de la clart est le miracle de la pense. La relation entre objet et sujet nest pas unesimple prsence de lun lautre, mais la comprhension de lun par lautre, lintellection ; et cetteintellection cest lvidence. La thorie de lintentionnalit chez Husserl, rattache si troitement sa thorie de lvidence, consiste en fin de compte identifier esprit et intellection, et intellection etlumire [] La lumire de lvidence est le seul lien avec ltre qui nous pose en tant quorigine

    de ltre, c'est--dire en tant que libert [32]

    .

    Lvidence amne ainsi renouveler le concept de reprsentation, en ce sens que lintentionnalit quisaccomplit en elle nest pas simplement un jeu psychologique qui doit reflter en nous aussi fidlement que

    possible un objet extrieur, mais se comprend comme donation de sens et ouverture de la subjectivit

    lexistence de cet objet mme. Cest le sens dans lequel lobjet est atteint et, par consquent, dans lequel il

    est pos comme existant que lanalyse phnomnologique cherche dcouvrir.

    III/ Intuition et rduction phnomnologique

    A - Lintuition comme facult du retour aux choses

    Lintuition renvoie chez Husserl la facult de connatre les phnomnes par la vue, qui sont donns dans

    lvidence. La comprhension de lintuition sinscrit dans le cadre dune opposition philosophique entre dun

    ct, un naturalisme empiriste et positiviste voyant dans la seule exprience sensible la source de toute vrit

    et de lautre un idalisme qui tente de fonder la connaissance a priori sur une conception absurde de

    lvidence comme sentiment[33]

    .

    Or, lintuition doit tre reconnue comme un voir immdiat de lessence des choses, cest en elle

    quapparat le phnomne, que ce soit lintuition de lindividu empirique, celle des essences de choses, celle

    des essences-limites des mathmatiques, ou encore celle des ides rgulatrices au sens kantien. Lintuition a

    pour fonction universelle de donner la prsence du phnomne comme vcu intentionnel dans le cadre de la

    plus stricte immanence, et devient une nose sous cette forme idtique : elle est ce sur quoi le regard de la

    rflexion peut se diriger pour en reconstituer la dimension et limplication subjectives de la corrlation du sujet

    avec le phnomne[34]

    peru ou vis. Comme le remarque Ricoeur, cest lintuition soit sous sa forme

    sensible, soit sous sa forme idtique ou catgoriale, qui lgitime le sens du monde et celui de la logique au

    sens le plus large de ce mot (Grammaire pure, logique formelle et mathesis universalis, etc.). Lidalisme

    transcendantal est tel que lintuition ny est pas renie mais fonde [35]

    .

    Do la formulation du principe des principes de la phnomnologie :

    Toute intuition donatrice originaire est une source de droit pour la connaissance ; tout ce quisoffre nous dans lintuition de faon originaire doit tre simplement reu pour ce quil se

    donne, mais sans non plus outrepasser les limites dans lesquelles il se donne [36]

    .

    Ainsi lintuition marque lultime lgitimation de toute croyance, quelle soit mathmatique, logique,

    perceptive, etc., et la rduction loin de ruiner lintuition en exalte au contraire le caractre primitif et originaire.

    Comme le souligne P. Ricoeur,

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    lintuitionnisme de base de lpistmologie husserlienne nest pas ruin par la phnomnologietranscendantale ; au contraire, Husserl ne cessera dapprofondir sa philosophie de la perception ausens le plus large dune philosophie du voir [] je crois que lon comprendrait Husserl si lonarrivait comprendre que la constitution du monde cest non une lgislation formelle mais la donationmme du voir par le sujet transcendantal. On pourrait dire alors que dans la thse du monde je vois

    sans savoir que je donne [37]

    .

    Ds lide de la phnomnologie, Husserl parle de cette primaut de lintuition dans le procs de

    connaissance : Lanalyse est chaque pas analyse de lessence et tude des tats-de- choses gnriques

    qui sont susceptibles dtre constitus dans le cadre de lintuition immdiate. Toute la recherche est donc une

    recherche aprioriquela phnomnologie procde en lucidant par une vue, en dterminant le sens et

    en distinguant le sens [38]

    .Ne pas outrepasser les limites dans lesquelles un phnomne apparat lintuition revient mettre hors

    jeu la vise transcendante qui est entrelace avec la vue, mettre hors jeu, ce qui nest quune prtendue

    possession dune donne par une rflexion surajoute : il convient de laisser apparatre le phnomne tel quil

    est vis par la conscience, tel quil peut tre vu et saisi au sens le plus strict, en le dpouillant de toute

    interprtation naturaliste.

    Comme le remarque Patocka,

    Cest cet intuitionnisme renouvel qui, au dbut du sicle, amne les jeunes philosophes unenouvelle mthode philosophique dsigne...comme phnomnologique. A une poque qui ne jureque par lexprience comme source de toute science, ce revirement signifie une modalit nouvellede la transformation de la philosophie en science, tche qui domine toute la philosophie moderne,depuis Descartes jusqu Kant, Comte et Bolzano, dterminant aussi, en tant quidal, les grands

    systmes spculatifs comme celui de Hegel [39]

    .

    B Rduction et constitution

    La thse de la rduction phnomnologique est expose dans lIde de la phnomnologie sous levocable de rduction gnosologique , et se dfinit demble contre toute drive naturaliste : il est

    ncessaire dtre en garde contre la confusion fondamentale entre lephnomne pur au sens de la

    phnomnologie et le phnomne psychologique, objet de la psychologie comme science de la nature [40]

    .La perception et dune faon gnrale la cogitatio ou lapprhension est un fait psychologique qui

    apparat comme une donne dans lespace-temps objectif, et qui est pour Husserl le sens mme dun

    phnomne compris comme transcendant : le phnomne entendu en ce sens tombe sous la loi laquellenous devons nous soumettre dans la critique de la connaissance, sous celle de lpoch lgard de tout ce

    qui est transcendant...ce nest que par une rduction, que nous allons dailleurs appeler dj rduction

    phnomnologique, que jobtiens une donne absolue, qui noffre plus rien dune transcendance [41]

    :

    Ainsi tout vcu psychique correspond, sur la voie de la rduction phnomnologique, unphnomne pur, qui rvle son essence immanente comme une donne absolue. Touteposition dun tre non immanent, dun tre non contenu dans le phnomne, quoique vis en lui

    est mise hors circuit, c'est--dire suspendue [42]

    .

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    La rduction phnomnologique ne nie pas le donn comme contenu de la conscience, elle le biffe pouraccder la donne absolue immanente de lexprience pure du phnomne vis par la conscience : ce

    sont prcisment de telles donnes absolues dont nous parlons alors ; mme si celles-ci se rapportentintentionnellement un tre objectif, cese rapporter est une sorte de caractreen elles, pendant que rien nest

    prjug concernant lexistence ou la non-existence de cet tre [43]

    .

    Ainsi la rduction nous fait accder la prsence absolue et indubitable du phnomne dans lvidencede la cogitatio : une science des phnomnes absolus, entendus commecogitationes, est la premire chose

    dont ayons besoin [44]

    .Si le monde demeure une nigme comme transcendance, nous pouvons nanmoins comprendre comment

    la perception peut atteindre ce qui est immanent, le vcu psychique en lui-mme, lUr-impression, sous formede perception rduite. La rduction phnomnologique ne perd pas le monde auquel la conscience se

    rapporte, car elle est intentionnelle, et cest parce que la conscience est intentionnalit quil est possibledeffectuer la rduction sans perdre ce qui est rduit. Lintentionnalit est ce qui rend possible lpoch elle-mme : percevoir cette pipe sur la table, cest non pas avoir une reproduction en miniature de cette

    pipe dans lesprit comme le pensait lassociationnisme, mais viser lobjet pipe lui-mme. La rduction, enmettant hors circuit la doxa naturelle (position spontane de lexistence de lobjet) rvle lobjet en tant que

    vis, ou phnomne, la pipe nest plus alors quun vis--vis(Gegenstand) et ma conscience le fondementradical et absolu qui est la source de la signification, cest dire de la constitution de lobjectit dans le cadre

    dune phnomnologie transcendantale confrant validit aux phnomnes rduits :

    On voit donc quon peut parler avec Husserl dune inclusion du monde dans la conscience,puisque la conscience nest pas seulement le ple Je (nose) de lintentionnalit , mais aussi le plecela (nome) ; mais il faudra toujours prciser que cette inclusion nest pas relle (la pipe est dansla chambre) mais intentionnelle (le phnomne pipe est ma conscience)Cest parce quelinclusion est intentionnelle quil est possible de fonder le transcendant danslimmanent sans le

    dgrader [45]

    .

    Ainsi la phnomnologie est elle-mme une rponse la question : comment peut-il y avoir un objet ensoi pour moi, une transcendance dans limmanence ? Patocka remarque ce propos que lide de la

    constitution signifie au fond que la transcendance de lautodonation est conciliable avec limmanencerelle (reell) de lessence du vcu et peut sous ce rapport tre dclare elle aussi uneespce dimmanence,

    une transcendance dans limmanence [46]

    .Le sens du monde est alors constitu comme sens que je donne au monde en tant que subjectivit

    transcendantale : tel est le sens de lidalisme transcendantal soutenu par Husserl :

    Ce dont il faut se rendre compte en premier lieu, cest que le problme radical doit au contraireporter sur le rapport entre la connaissance et lobjet, mais au sens rduit, c'est--dire quil estquestion, non pas de la connaissance humaine mais de la connaissance en gnral, sans que syjoigne aucune position existentielle qui la rapporte soit au moi empirique soit un monde rel []Son champ, avons-nous dit galement est l a priori dans le cadre de labsolue prsence-en-

    personne [47]

    .

    C - La rduction idtique

    La rduction phnomnologique est un acte de libert du sujet transcendantal, qui permet daccder

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    limmanence des vcus purs de la conscicnce : elle permet de se librer de la navet de lattitudenaturelle et de se dcouvrir comme subjectivit constituant le monde.

    Mais lpoch ne devient constituante dans le cadre dune critique de la connaissance et de la

    rflexion sur ses fondements que sur le plan idtique : la phnomnologie se veut une science idtiquedes vcus purs, par opposition aux sciences empiriques qui analysent des contenus de conscience en les

    traitant comme des faits observables et lies entre eux selon des lois dductives (psychologisme) :

    la phnomnologie pure ou transcendantale ne sera pas rige en science portant sur desfaits, mais portant sur des essences( en science idtique) ; une telle science vise tabliruniquement des connaissances dessence, etnullement des faits. La rduction correspondante quiconduit du phnomne psychologique lessence pure, ou si on se place au point de vue de lapense qui porte le jugement de la gnralit de fait ou gnralit empirique, la gnralit

    dessence, est larduction idtique [48]

    .

    Le terme idtique renvoie la notion dessence, leidos, quil sagit prcisment dlucider parla nose, qui informe le vcu originaire et permet dlucider intuitivement la conscience rationnelle : la

    rduction idtique permet daccder aux essences des choses donnes dans lintuition donatriceoriginaire, c'est--dire dans lintuition sensible, et lve le donn sa signification logique. Elle rend

    possible lintuition des essences qui vient remplir les significations logiques de manire analogue celledont la perception remplit dordinaire les significations vides portant sur les choses.

    Comme le remarque Paul Ricoeur,

    Il ne faut pas oublier en effet que la rduction transcendantale qui restitue le sens de laconscience en gnral ne peut tre pratique sans la rduction idtique qui fixe les significationstelles que percevoir, entendre, voir, imaginer, dcider, agir etc. comprises sur un petit nombredexemples. La crainte de platoniser sur les essences ne doit pas nous faire manquer la tche deconstituer des objets phnomnologiques, en entendant par l les contenus idaux capables deremplir les intentions signifiantes multiples et variables que le langage met en uvre toutes les foisque nous disons je veux, je dsire, je regrette, ou que nous comprenons une situation, un

    comportement comme signifiant vouloir, dsir, regret [49]

    .

    La rduction idtique ouvre donc la possibilit dune constitution de la connaissance, elle est la

    condition dune phnomnologie transcendantale :

    Il est clair que le problme de la constitution signifie uniquement ceci : il est possible dembrasserpar lintuition et de saisir thoriquement les sries rgles dapparence qui convergentncessairement dans lunit dune chose qui apparatces sries peuvent tre analyses etdcrites selon leur originalit idtique, et la fonction de corrlation, conforme aux rgles, entre lachose dtermine qui apparat, prise comme unit, et le divers infini mais dtermin des

    apparences, peut tre soumise une pleine vidence et ainsi dpouille de tout mystre [50]

    .

    Lenjeu que comporte lexigence de la validit dune science idtique par rapport au naturalisme estde montrer que le secteur de l a priori ne se limite nullement au logico-mathmatique : il faut aussi

    constituer une psychologie rationnelle, une thique apriorique, fonde sur ce qui est positif pour dpasserlaporie de lempirisme sceptique : Si par positivisme on entend leffort, absolument libre de prjug,

    pour fonder toutes les sciences sur ce qui est positif, c'est--dire susceptible dtre saisi de faon

    originaire, cest nous qui sommes les vritables positivistes [51]

    .

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    D Croyance et ralit : de lattitude naturelle lattitude transcendantale

    Lattitude naturelle se caractrise par une croyance en la ralit du monde : elle est adhsion nave

    lexistence de ce monde, sans sinterroger sur le rle de la subjectivit dans ce quelle prtend vivre au seinde cette attitude. Jugements, souhaits, dsirs, souvenirs sont des faits de nature ou des contenus deconscience qui dfinissent la vie courante des individus, sans que ceux-ci sinterrogent sur le sens de ces

    contenus, par exemple de leurs volitions : je veux quelque chose sans minterroger sur le voulu comme tel,dans ce quil a de proprement intentionnel. Je ne minterroge pas sur ma vise, sur ce quelle est cense

    atteindre comme but, c'est--dire dans sa relation au monde comme tant transcendant. Lattitude naturelleest une vie tisse de rencontres et de sentiments qui toutes prsupposent lexistence du monde, ce que

    Husserl caractrise comme un dogmatisme. Ce que jprouve, par exemple travers un sentiment, est-ce unvcu qui vise une chose donne dans la perception, par exemple un arbre ensoleill, vision qui me procure duplaisir, ou bien est-ce que ma vise dpasse la stricte immanence de ce sentiment au-del de la chose

    perue ? Cest la question du sens que je donne au phnomne qui doit tre objet dinterrogation et fonder larecherche transcendantale.

    Pourtant, dans lattitude naturelle, larbre ensoleill demeure peru sans que je me demande ce qui dansma subjectivit me relie lui dans lprouv du sentiment : larbre existe pour lui-mme sans que je me pose

    la question du vcu intentionnel qui me relie lexprience de son apparition dans ma perception : le mondenest pas questionn, il est nest plus sujet dtonnement, il est une donne naturelle indpendante.

    Dans lattitude naturelle, le monde ne contient pas seulement des choses ou des vivants. Il contient

    galement des uvres, des valeurs, des biens. Il contient enfin des environnements idaux, corrlats dactesde connaissance. : par exemple, les nombres sont l pour moi, tels que je les rencontre dans lacte de

    numration.Cette attitude naturelle se comprend donc comme une position dexistence o le sujet de la croyance est

    intgr lobjet de la croyance au monde : cest un naturalisme, une forme dontologie raliste qui procdedun accomplissement, dune thmatisation de la thse naturelle. Comme le remarque R. Barbaras, ladcouverte du monde comme ralit me faisant vis--vis est convertie, traduite en position mtaphysique du

    monde comme ralit absolue, reposant en elle-mme [52]

    .

    La thse du monde est donc en de de toute prise de position thorique, de toute interrogation sur lesens du monde et de mon existence en son sein travers mes vcus intentionnels : elle est une croyance. En

    ce sens, le monde parat rel au sens de lattitude naturelle parce quil signore comme constitu et laprtention la vrit de cette ralit est une mconnaissance, une navet.

    Comme le remarque Paul Ricoeur, Cest plutt une opration qui simmisce dans lintuition et dans lacroyance et rend le sujet captif de ce voir et de ce croire, au point quil somet lui-mme dans la position

    ontique de ceci ou de cela [53]

    .Cest en ce sens que la rduction consiste en toute rigueur mettre au jourla dimension de croyance dans saproduction subjective. Comme le remarque Fink, lpoch nest pas

    linvalidation dune croyance dj reconnue comme croyance, mais lauthentique dcouverte de la croyance

    au monde, la dcouverte du monde comme dogme transcendantal [54]

    .La rduction de la thse naturelle sera alors une reconduction au sens tymologique : re-ducere.

    Reconduction dune ngativit au sein de ce qui se donne comme positif, et partant, dune nouvelle positivit,

    transcendantale, comme envers de cette ngativit.La problmatique de la croyance exprime bien lenjeu de ce tournant transcendantal : le propre de la

    croyance est de signorer comme telle et donc de sapparatre comme dcouverte ou reconnaissance delobjet pos par la croyance.

    Comme le remarque R. Barbaras,

    Il ne sagit pas pour Husserl de modaliser ou de nier la certitude du monde, c'est--dire sa ralit.

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    Il nest donc pas question de briser notre lien originaire et irrductible avec le monde. Mais,neutralisant la thse du monde, Husserl fait paratre prcisment ce lien comme tel, c'est--direlappartenance du monde la subjectivitIl sagit par cette mise en suspens de la thse naturelle,de convertir sa dimension ontique en dimension constitueon dcouvre que ce qui sous-tend la

    croyance au monde nest pas ltre rel, mais ltre-subjectif de la thse [55]

    .

    La rduction permet alors de convertir la relation ontique de la conscience et du monde (relation entre

    deux tants intra-mondains) caractristique de lattitude naturelle, en sa signification authentique, savoir en

    relation de constitution transcendantale : tel est le sens de lidtique de la conscience. Il sagit de rhabiliterle vcu de conscience (je perois, jimagine, je sens, je dsire, je veux etc.,) en sinterrogeant sur le ple

    nomatique, c'est--dire de se demander par exemple comment le peru comme tel peut renvoyer laconscience tout en lui faisant vis--vis, comment laltrit de lobjet est conciliable avec son appartenance la

    conscience, c'est--dire comment se ralise lintentionnalit. Comme le remarque P. Ricoeur,

    Cest avec le thme de lintentionnalit que la phnomnologie transcendantale se prcise en tantque philosophie du sens : lexclusion du monde ne supprime pas la relation au monde maisprcisment la fait surgir comme dpassement de lego vers un sens quil porte en lui.Rciproquement, cest la rduction transcendantale qui interprte lintentionnalit comme visedun sens et non comme quelque contact avec un dehors absolu [] cest aussi et principalement

    rflchir sur le cogitatum du cogito, sur le monde en soi, sur le nome du monde [56]

    .

    CONCLUSION De lattitude naturelle lattitude transcendantale, il y a lenjeu dune reconqute du sens, car la raison

    est plus quune seule critique de la connaissance, elle est aussi la tche dunifier toutes les activitssignifiantes : spculatives, thiques, esthtiques etc. Elle couvre tout le champ de la culture dont elle est le

    projet indivis. Ainsi la raison prend un accent existentiel tout en fondant une philosophie rflexive djacheve sur le plan de lintriorit. En radicalisant le projet cartsien, la phnomnologie se sent responsable

    de lhomme moderne et capable de le gurir dans le cadre dune tlologie de lHistoire. Comme le remarqueHusserl,

    Cest pourquoi la crise de la philosophie signifie la crise des sciences modernes qui sont lesrameaux du tronc philosophique universel : crise dabord latente, mais de plus en plus apparente,qui affecte lhomme europen dans sa capacit globale de donner un sens sa vie culturelle, dans

    son existence globale [57]

    .

    La reconqute du sens implique, comme nous lavons vu, la neutralisation de la croyance en la thse dumonde, par lpoch universelle, qui permet de retrouver la sphre de notre intriorit, de nos sentiments, de

    nos jugements, de nos dsirs etc.., en les considrant dans la plus stricte immanence de lexpriencetranscendantale, c'est--dire tels quils peuvent se rapporter lvidence apodictique du cogito dans son

    rapport sa cogitatio, c'est--dire lapprhension (Aufassung) du monde, compose de la hyl (datasensibles, sensations) et informe par la nose ( acte de la pense phnomnologiquement rduite).

    Citons encore Ricoeur en reprenant lexemple du sentiment pour bien comprendre la dialectique de

    lattitude naturelle et de lattitude transcendantale, de la croyance et de la ralit :

    le sentiment par exemple lamour, la haine est sans aucun doute intentionnel ; il est un sentir

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    quelque chose : laimable, le hassable. Mais cest une intentionnalit bien trange : elle vise desqualits sentiessur les choses ou sur les personnes : mais en mme temps, elle rvle la maniredont le moi est intimement affect...C est l lautre face de cette remarquable exprience :intentionnel le sentiment nest pas objectif ; il nest pas travers par une intention positionnelle, parune croyance ontique ; il ne soppose pas une chose qui est ; il ne signifie pas, par le moyen desqualits quil vise, ltant de la chose ; il ne croit pas ltre de ce quil vise. Non. Mais sur la

    chose et par le moyen du aimable et du hassable il manifeste mon tre-affect-ainsi [58]

    .

    Se laisser affect par le monde sans faire intervenir le jugement de lattitude naturelle revient se situerdans lvidence du sentiment, vidence dun monde donn aprs la rduction, qui renvoie la libert du sujettranscendantal : cest le rsidu de lpoch, c'est--dire une rgion non affect par la thse dexistence.

    Comme le remarque Lvinas, Car la sciencene peut renoncer lvidence, car elle procdeoriginellement du souci qua lhomme de constituer librement son existence. Lvidence et la raison sont avant

    tout la manifestation mme de la libert. Husserl rappelle la signification que leur attribuait lantiquit : le savoirtait une manire dtre libre, de naccepter pour rgle que le raisonnable, c'est--dire rien dtranger

    soi [59]

    .

    Nicolas Dittmar

    www.contrepointphilosophique.chRubrique Philosophie

    19 fvrier 2012

    [1] Comme le remarque Paul Ricoeur, si le problme de Husserl est celui du fondement, sa marche est une radicalisation

    progressive de la question mme du fondement. Dabord, premire approximation, le fondement dune vrit logique oumathmatique, cest son essence ; mais en seconde approximation, lessence se rvle comme sens vis, par consquentcomme phnomne pour lvidence , A lcole de la phnomnologie, Vrin, 2004, p. 165. Tel est le sens du lien troit quirvle toujours chez Husserl le souci darticuler logique formelle et logique transcendantale, dans le cadre dune critique dela connaissance fonde sur llucidation de la priori de la corrlation universelle entre le vcu intentionnel et la chose, entrela nose (pense) et son nome (objet intentionnel).[2]

    HUSSERL, Philosophie de larithmtique, PUF, 1972, p. 25 ; p. 145.[3]

    Aucun concept ne peut tre pens sans fondation sur une intuition concrte. Ainsi, mme lorsque nous nousreprsentons le concept gnral de quantit, nous avons toujours dans la conscience lintuition de nimporte quellequantit concrte dans laquelle nous abstrayons le concept gnral , PA, op. cit., p. 96.[4]

    HUSERL, Recherches logiques, Tome II, 1, p. 6.[5]

    HUSSERL, PA, op. cit., p. 239.[6]

    JOUMIER (L.), Lire Husserl, Ellipses, 2007, p. 58.[7]

    LEVINAS, En dcouvrant lexistence avec Husserl et Heidegger, Vrin, 2006, p. 16.[8]

    HUSSERL, Recherches logiques, PUF, Tome 3, 2003, p. 175.[9]

    Husserl insiste sur troite dpendance du sensible et du catgorial dans la constitution dune intention de signification : Nous avons qualifi de sensibles les actes dintuition simple, de catgoriaux les actes fonds qui nous ramnentimmdiatement ou mdiatement la sensibilit. Il est cependant important de distinguer, lintrieur de la sphre des actescatgoriaux, entre actes purement catgoriaux, actes de lentendement pur et actes mixtes, mls de sensibilit. Il est dansla nature mme de la chose quen dernire analyse tout ce qui est catgorial repose sur une intuition sensible, bien plus,quune intuition catgoriale, donc une vision vidente de lentendement, une pense au sens le plus lev, qui ne serait pas

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    fonde dans la sensibilit, est une absurdit , in, Recherches logiques, T. 3,op. cit., p. 220.[10]

    LEVINAS, En dcouvrant lexistence avec Husserl et Heidegger, op. cit., p. 16.[11]

    HOUUSET (E.), Husserl et lnigme du monde, Seuil, Points/Essais, 2000, p. 120.[12]

    HUSSERL revient dans Lide de la phnomnologie sur la dimension heuristique de ce concept dabstraction : Unechose semble cependant nous aider : labstraction par idation. Elle nous fournit , comme objets dune intellection vidente,des gnralits, des species, des essences ; et par l nous venons de prononcer, semble-t-il, le mot qui nous apporte lesalut : nous cherchons en effet une clart intuitive sur lessence de la connaissance. La connaissance fait partie de lasphre descogitationes, nous avons donc lever intuitivement les objectivits gnrales de cette sphre la conscience-du-gnral, et une doctrine de lessence de la connaissance devient possible , in Lide de la phnomnologie, PUF,Epimthe, 2006, p. 109.[13]

    HUSSERL, Recherches, logiques, Tome 3, op. cit., p. 196.[14]

    HUSSERL, La philosophie comme science rigoureuse, PUF, 1989, pp. 33 & 40.[15]

    HUSSERL, Ides directrices pour une phnomnologie, Gallimard, 1950, p. 65 ; p. 68[16]

    DELBOS (V.), Husserl. Sa critique du psychologisme et sa conception dune logique pure . Revue de mtaphysique

    et de morale, XIXe anne, n5, sept-oct 1911, pp. 685-698.[17]

    HUSSERL, Lide de la phnomnologie[18]

    Comme le remarque Lvinas, Husserl ne reproche pas seulement au nominalisme de se perdre dans laveugle jeu delassociation o le mot devient un simple son verbal, mais de mconnatre la conscience sui generis qui vise ou atteintlidal comme tel Dans ce sens, les objets idaux existent vritablement. Ce quon pourrait appeler le ralisme platoniciende Husserl, rsulte ainsi de la rflexion sur lintention qui vise lobjet idal. Il a une base phnomnologique , inEndcouvrant lexistence avec Husserl et Heidegger, Vrin, 2006, p. 28.[19]

    LEVINAS, En dcouvrant lexistence avec Husserl et Heidegger, Vrin, 2004, p. 32. Ce qui confre leur signification auxexpressions, ce sont des actes spcifiques que Husserl appelle intentions de signification . Ces actes visent des objetspar lintermdiaire de significations qui sont en elles-mmes des units objectives dpourvues de tout caractre psychique.Comme le remarque Emmanuel Housset, la signification de ma phrase, le jugement que jnonce, ce ne sont pas lesvcus qui chaque fois accompagnent mes expressions et qui sont chaque fois diffrents, mais ce sont des objets idaux quidemeurent identiques quel que soit celui qui les signifie , in Lire Husserl, Ellipses, 2007, p. 67. Une signification est doncpour Husserl lunit idale embrassant des intentions de signification qui lui correspondent. Apprhender la significationen son sens logique, comme unit idale, cest accomplir une abstraction partir du vcu de signification, analogue labstraction du rouge partir dun objet rouge que nous percevons.[20]

    HUSSERL, La philosophie comme science rigoureuse, PUF, Epimthe, 2005, p. 27.[21]

    HUSSERL, Recherches logiques, Tome 2, PUF, Epimthe, 1972, p. 145.[22]

    Ibid, pp. 146-147.[23]

    HUSSERL, Recherches logiques, Tome 2, V, 14, p. 188. Je ne vois pas des sensations de couleurs mais des objetscolors, je nentends pas des sensations auditives mais la chanson de la cantatrice , p. 176., ou encore dans le mmesens de cette distinction entre le contenu psychique et lobjet vis, des actes difrents peuvent percevoir la mme choseet cependant ressentir des choses tout fait diffrentes , p. 184.[24]

    Comme le remarque Patocka, la conscience retient les impressions mais, animant ces impressions de ses intentionsojbjectives, elle ne sarrte pas auprs delles, les traversant plutt pour atteindre lobjet et ses proprits. Lanimation ouapprhension, linterprtation des impressions, est ce qui fait que lobjet -individuel ou idal, fait singulier ou gnralit-nous apparat , Introduction la phnomnologie de Husserl, Grenoble, Jrme Millon, 1992, p. 87.[25]

    Il est ncessaire en ce sens dtablir une distinction entre la qualit dun acte et sa matire : Tout vcu intentionnelou bien est un acte objectivant ou bien a un tel acte pour base , c'est--dire renferme ncessairement, dans ce derniercas, commepartie composante, un acte objectivant dont la matire totale est en mme temps, et cela dune manireindividuellement identique, SA matire totale , Husserl, Recherches logiques, op. cit, p 41, p. 308. La qualit quant elle peut dsigner une pure reprsentation, comme les actes de croyance, de souhait ou de souvenir. Par exemple, je peuxpartager le mme souvenir de la soire dhier avec un ami, en ce cas, la matire de lacte de reprsentation est la mme (lasoire dhier), mais la qualit de ce souvenir peut varier et diffrer selon les vcus psychiques qui lui sont associs. Ouencore il peut arriver que deux vcus intentionnels aient la mme matire mais une qualit diffrente, par exemple lorsquediffrentes personnes croient, souhaitent, mettent en doute, etc. la mme chose . Renaud Barbaras tire les consquencesde cet nouvelle dtermination de lacte objectivant dans la dfinition de lintentionnalit : Cette analyse signifie donc que

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    la conception husserlienne de lintentionnalit est de type intellectualiste, en ce quelle est caractrise par un primat durapport thorique, du rapport de connaissance. La ralit, comme ce qui est vis dans tout acte intentionnel, c'est--direlautre de la conscience, ne peut tre atteinte que sur la base dune conscience thorique, c'est--dire dune objectivation :le monde se donne nous dans lattitude dsintresse et dsaffecte de la connnaissance, du voir thorique [] Il nya pas de dsir ou, de rjouissant qui ne soit dabord connu. Bref la prsence se constitue dans un acte objectivant, et cestsur le fondement de cet acte que les autres actes peuvent se rapporter quelque chose, tre intentionnels. Il ny a pas deprsence du dsir comme tel, la prsence du dsir se confond avec ce qui, en lui, est reprsent , in Introduction laphilosophie de Husserl, La Transparence, 2004, p. 76.[26]

    Patocka, Introduction la phnomnologie de Husserl, op. cit., p. 88 ; p 86 ; p 90.[27]

    Husserl met nanmoins une rserve lgard de Kant concernant la totalit et la synthse des phnomnes dans unetotalit : Kant ne sest jamais clairement rendu compte de ce quon entend par caractres propres de l idation pureou par apprhension adquate des essences conceptuelles et de la validit gnrale des lois dessence, que, par consquent,le concept authentique phnomnologique de la priori lui a manqu. Aussi na-t-il jamais pu faire sien le seul but possibledune critique scientifique rigoureuse de la raison , savoir de rechercher les lois dessence pures qui rgissent les actes entant quevcus intentionnels selon tous leurs modes, de donation de sens objectivante et de constitution remplissante del tre vrai , in Recherches logiques, Tome 3, op. cit., p. 243.[28]

    Ibid, 39, p. 151.[29]

    HUSSERL, Logique formelle et logique transcendantale, 70b.[30]

    Ibid, 85, p. ?[31]

    HOUSSET (E.), Husserl et lnigme du monde, op. cit., pp. 105-106.[32]

    LEVINAS, En dcouvrant lexistence avec Husserl et Heidegger, op. cit., pp. 35-36.[33]

    Cf. Husserl, Ideen 21 ; 145[34]

    Husserl distingue en effet trois concepts de phnomne : .[35]

    RICOEUR, Prface Ides directirces., op. cit., pp. XXVI-XXVII.[36]

    HUSSERL, Ides directrices, 24.[37]

    RICOEUR, [38]

    HUSSERL, Lide de la phnomnologie, op. cit., p. 83.[39]

    PATOCKA, Quest-ce que la phnomnologie, Grenoble, Jrme Million, 2002, p. 133.[40]

    HUSSERL, Lide de la phnomnologie, op. cit., p. 68.[41]

    Ibid.[42]

    Ibid., p. 69.[43]

    HUSSERL, Lide de la phnomnologie, op. cit., pp. 69-70.[44]

    Ibid., p. 72.[45]

    LYOTARD, La phnomnologie, PUF, Que sais-je, 2004, p. 29.[46]

    PATOCKA, Introduction la phnomnologie de Husserl, op. cit., p. 130.[47]

    HUSSERL, Lide de la phnomnologie, op. cit., p. 102 ; p. 111.[48]

    HUSSERL, Ides directrices pour une phnomnologie, Gallimard, 1950, p. 7.[49]

    RICOEUR, A lcole de la phnomnologie, Vrin, 2004, pp. 68-69.[50]

    HUSSERL, Ides directrices pour une phnomnologie, op. cit., p. 507.[51]

    HUSSERL, Ides directrices, 20.[52]

    BARBARAS (R.), Introduction la philosophie de Husserl, op. cit., p. 90.[53]

    RICOEUR, A lcole de la phnomnologie, op. cit., p. 228.[54]

    FINK (E.), De la phnomnologie, p. 135.

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    [55] BARBARAS (R.), Introduction la philosophie de Husserl, op. cit., pp. 96-97.

    [56] RICOEUR, A lcole de la phnomnologie, op. cit., p. 202.

    [57] HUSSERL, Krisis, 5.

    [58] RICOEUR, A lcole de la phnomnologie, op. cit., p. 317.

    [59] LEVINAS, En dcouvrant lexistence avec Husserl et Heidegger, op. cit., p. 62.