Huntzinger - La Citoyenneté Romaine Impériale Et l’Édit de Caracalla

15
Enseigner la citoyenneté grecque et romaine – 27 mai 2015 La citoyenneté romaine impériale et l’Édit de Caracalla (Hervé Huntzinger) La citoyenneté romaine impériale et l’Édit de Caracalla Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, alors que la France faisant face à des révoltes en Algérie, en Indochine et à Madagascar, les députés de l’Assemblée Constituante de 1946 ont dû réfléchir, en présence d’une vingtaine de délégués des colonies, à la réorganisation de la République et de son empire colonial. Le député de centre-droit, Daniel Boisdon, mentionne alors l’Édit de Caracalla pour rappeler que cet édit de 212, en étendant la citoyenneté à tous les hommes libres de l’Empire, n’a pas entraîné la disparition des civilisations locales. Il a alors été envisagé d’inclure dans la Constitution une loi du 7 mai 1946, qui conférait les « qualités » de citoyens à tous les habitants de l’empire colonial 1 . Aussi surprenant que cela puisse paraître, cela l’est moins qu’en apparence, car ces hommes-là, qui ont pensé la Constitution de 1946, ont pensé à une citoyenneté d’un empire et non à la citoyenneté d’une nation. De quoi parlaient-ils exactement ? L’Édit de Caracalla, aussi appelé Constitution Antonine, désigne un édit promulgué par l’empereur Marcus Aurelius Severus Antoninus, aussi appelé Caracalla, peut-être à la date du 11 juillet 212 de notre ère, et par lequel il confère la citoyenneté romaine à tous les hommes libres de l’Empire et, pour toutes les femmes libres de l’Empire, des droits identiques aux droits des femmes romaines. Une constitution est une ordonnance (c’est le sens du latin constitutio), qui peut prendre plusieurs formes, dont celle de l’édit, formule juridique traditionnelle du préteur et reprise à l’époque impériale par l’empereur pour devenir l’une des principales sources du droit de l’époque impériale. La citoyenneté, quant à elle, est une notion d’une bien plus grande complexité. Ma collègue vous a déjà expliqué l’essence de cette idée dans le monde des cités grecques. Mais il faut bien voir que cette organisation caractérise de façon générale le monde méditerranéen du premier millénaire avant notre ère et même au- delà. Par exemple, ce qu’une vision colonialiste considère parfois comme des tribus gauloises (et on imagine une réalité entre le village d’Astérix et une « tribu » supposée africaine issue d’un film hollywoodien) n’étaient rien d’autre que des ciuitates, c’est-à- dire des « cités », comme ailleurs dans le monde méditerranéen. 1 Jane BURBANK et Frederick COOPER, « Empire, droits et citoyenneté, de 212 à 1946 », Annales. Histoire, Sciences Sociales, 1 juin 2008, 63e année, n o 3, pp. 495-531. 1/15 Mise en perspective de la notion de citoyenneté. La référence à l’Édit de Caracalla en 1946. L’Édit de Caracalla : première présentation.

description

text on roman ctizenship

Transcript of Huntzinger - La Citoyenneté Romaine Impériale Et l’Édit de Caracalla

  • Enseigner la citoyennet grecque et romaine 27 mai 2015

    La citoyennet romaine impriale et ldit de Caracalla (Herv Huntzinger)

    La citoyennet romaine impriale et ldit de Caracalla

    Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, alors que la France faisant face des rvoltes en Algrie, en Indochine et Madagascar, les dputs de lAssemble Constituante de 1946 ont d rflchir, en prsence dune vingtaine de dlgus des colonies, la rorganisation de la Rpublique et de son empire colonial. Le dput de centre-droit, Daniel Boisdon, mentionne alors ldit de Caracalla pour rappeler que cet dit de 212, en tendant la citoyennet tous les hommes libres de lEmpire, na pas entran la disparition des civilisations locales. Il a alors t envisag dinclure dans la Constitution une loi du 7 mai 1946, qui confrait les qualits de citoyens tous les habitants de lempire colonial 1. Aussi surprenant que cela puisse paratre, cela lest moins quen apparence, car ces hommes-l, qui ont pens la Constitution de 1946, ont pens une citoyennet dun empire et non la citoyennet dune nation.

    De quoi parlaient-ils exactement ? Ldit de Caracalla, aussi appel Constitution Antonine, dsigne un dit promulgu par lempereur Marcus Aurelius Severus Antoninus, aussi appel Caracalla, peut-tre la date du 11 juillet 212 de notre re, et par lequel il confre la citoyennet romaine tous les hommes libres de lEmpire et, pour toutes les femmes libres de lEmpire, des droits identiques aux droits des femmes romaines. Une constitution est une ordonnance (cest le sens du latin constitutio), qui peut prendre plusieurs formes, dont celle de ldit, formule juridique traditionnelle du prteur et reprise lpoque impriale par lempereur pour devenir lune des principales sources du droit de lpoque impriale.

    La citoyennet, quant elle, est une notion dune bien plus grande complexit. Ma collgue vous a dj expliqu lessence de cette ide dans le monde des cits grecques. Mais il faut bien voir que cette organisation caractrise de faon gnrale le monde mditerranen du premier millnaire avant notre re et mme au-del. Par exemple, ce quune vision colonialiste considre parfois comme des tribus gauloises (et on imagine une ralit entre le village dAstrix et une tribu suppose africaine issue dun film hollywoodien) ntaient rien dautre que des ciuitates, cest--dire des cits , comme ailleurs dans le monde mditerranen.

    1 Jane BURBANK et Frederick COOPER, Empire, droits et citoyennet, de 212 1946 , Annales. Histoire, Sciences Sociales, 1 juin 2008, 63e anne, no 3, pp. 495-531.

    1/15

    Mise en perspective de la notion de citoyennet.

    La rfrence ldit de Caracalla en 1946.

    Ldit de Caracalla : premire prsentation.

  • Enseigner la citoyennet grecque et romaine 27 mai 2015

    La citoyennet romaine impriale et ldit de Caracalla (Herv Huntzinger)

    Et cest l quapparat le paradoxe. En faisant de tous les habitants de lEmpire des ciues, Caracalla en fait, du moins sur le papier, les habitants de la cit de Rome. Si une telle chose est possible, cest bien que la citoyennet a chang de nature dans le cadre des structures politiques impriales. De fait, la problmatique de la comprhension de cet acte de lempereur est tout fait identique la problmatique du programme de seconde : savoir linterrogation de la complexit du concept de citoyennet entre la citoyennet civique radicale et dmocratique athnienne, et la citoyennet impriale ouverte, souple et monarchique de lEmpire romain, auxquelles font chos aujourdhui la citoyennet horizontale et thoriquement homogne de ltat-nation, qui, en fait, na jamais rellement exist, et la citoyennet floue et multiple des structures impriales, qui a exist explicitement jusque dans les annes 1960.

    Pour remettre ce questionnement en perspective, on peut comparer la citoyennet diffrencie mais ouverte des constituants de 1946 avec lvolution de loctroi de la citoyennet, cest--dire de la nationalit, franaise ces trente dernires annes, caractrise par la restriction de loctroi de celle-ci, notamment avec les lois Pasqua (1993) et Sarkozy (2006). Le champ de ces possibilits tant souvent rduit par la tendance de lhistoriographie occidentale faire de la ralisation de la nation le but ultime de tout projet humain et donc effacer les nuances dans ce domaine2.

    Le nud de la question est bien l. La notion dempire a t forge Rome (le terme imperium est un vieux terme trusque remploy par les Romains), mais Rome navait sa disposition pour se penser que les outils conceptuels grecs, donc ncessairement la citoyennet. Comprendre ldit de Caracalla consiste donc comprendre comment, dans le feu de laction si je puis dire , en tout cas sans penser consciemment la porte de ces dcisions, le pouvoir romain a utilis les concepts politiques de la cit pour construire le concept dempire, problmatique qui ntait pas trangre aux rpublicains de 1946, ayant grer un empire colonial dans leur refondation institutionnelle.

    1. La citoyennet et lEmpire avant 212

    1.1. La citoyennet romaine lpoque rpublicaine

    Quest-ce que la citoyennet romaine ? Il sagit dun statut personnel par lequel une personne accde au droit civil romain, au droit de voter dans les comices

    2 Gary B. MILES, Roman and Modern Imperialism: A Reassessment , Comparative Studies in Society and History, 1 octobre 1990, vol. 32, no 4, p. 632.

    2/15

    Empire, cit et cration institutionnelle.

    Dfinition de la citoyennet

    traditionnelle.

    Problmatique : citoyennet civique et

    impriale.

  • Enseigner la citoyennet grecque et romaine 27 mai 2015

    La citoyennet romaine impriale et ldit de Caracalla (Herv Huntzinger)

    et au droit daccder aux charges publiques. On parle donc dune qualit de droit personnel qui ouvre laccs une liste de droit. Ces droits pouvaient tre gomtrie variable, puisque lpoque rpublicaine haute Rome confrait parfois la citoyennet romaine des cits allies, mais sine suffragio, sans le droit de voter aux comices. Et de toute faon lpoque impriale la participation aux comices taient devenu totalement dcorative (si elle ne ltait pas dj lpoque rpublicaine). Il reste donc surtout un noyau de droits permettant daccder la protection du ius ciuile, au droit de commercer et dpouser un/une citoyenne et, pour les plus fortuns, daccder aux charges publiques.

    On accdait traditionnellement, lpoque rpublicaine ce statut lorsquon tait n de parents romains, lorsque le pre tait citoyen romain et que la mre appartenait une communaut qui avait obtenu le conubium, cest--dire le droit de mariage ou lorsquon tait n de mre romaine, mme si le pre tait un esclave ou quil tait inconnu. Au dpart, lextension de la citoyennet ne concernait que des individus ou parfois des communauts dans des circonstances particulires, pour des vtrans de larme ou certains municipes.

    En 89 avant J.-C. la loi Claudia Papiria a accord la citoyennet lensemble des hommes libres dItalie de faon massive. Lvnement est dimportance, car il prend acte de la participation massive des Italiens larme romaine (les deux tiers des troupes romaines sont des Italiens qui ne sont pas citoyens). On nomettra pas de penser au parallle de lextension des droits civiques aux femmes et, dans une bien moindre mesure, aux sujets coloniaux aprs la Premire Guerre mondiale. Mais lextension de 89 avant J.-C. na t gagne quaprs une guerre dont la brutalit est souvent omise (300 000 morts en deux ans) et a laiss une marque durable en Italie. Cette loi est surtout, il faut sen rappeler enfin, un prcdent connu qui rduit la singularit de ldit de 212.

    1.2. La citoyennet impriale avant 212

    Durant la priode tardo-rpublicaine et le Haut-Empire, en Afrique, en Gaule, en Espagne, en Asie, la citoyennet romaine tait confre essentiellement des individus des lites locales. Avec les rsidants romains dItalie, ils formaient alors une petite lite, jouissant de la citoyennet et formant le cur de la romanisation des provinces. Mme si Auguste a restreint lextension de ce statut, ses successeurs ont d poursuivre celle-ci, de sorte quil apparat clairement que lintgration des provinces et la romanisation de ses populations est plus une cause quune consquence de lextension de la citoyennet. Dailleurs la citoyennet romaine est toujours confr en rponse une demande, comme le montrent les documents bien connus de Pline le

    3/15

    Extension de la citoyennet et Empire.

    Lextension de la citoyennet aux allis

    italiens.

    Accession la citoyennet.

  • Enseigner la citoyennet grecque et romaine 27 mai 2015

    La citoyennet romaine impriale et ldit de Caracalla (Herv Huntzinger)

    Jeune sollicitant la citoyennet pour son mdecin gyptien Harpocras. On peut sen convaincre aussi en lisant les documents, plus tardifs de la table de Banasa.

    La citoyennet romaine, la diffrence de la citoyennet grecque, ne signifie pas la participation la vie politique. Ds lorigine seuls quelques Romains contribuaient directement rdiger les lois. Par contre, la citoyennet offre la protection dun systme juridique de rgulation des relations entre les individus. Cest en cela quil faut bien rappeler que la citoyennet romaine a t, durant la plus grande partie de lhistoire prcdent 212, une qualit attractive 3. Trs tt dans son histoire, Rome a utilis cette citoyennet pour intgrer des populations, surtout au moyen des lites, son empire. Il sagissait donc dune citoyennet extensible, sans limites territoriales, ethniques ou religieuses.

    On cite pour illustrer ce point le passage trs connu des Actes des Aptres dans lequel Paul, citoyen de Tarse, citoyen romain et membre du peuple juden (puisquil prtend appartenir la descendance de la tribu de Benjamin), bel exemple de citoyennet multiple. Dans ce passage Paul rclame et obtient le droit de ne pas subir de violence physique, comme cest le cas pour les citoyens romains4.

    Cette vision intgratrice de la citoyennet sappuyait sur un autre facteur. Les Romains nont jamais rellement oubli quils taient les barbares des Grecs. Le concept de barbarie, lorsquil a t rappropri par les Romains, sest modifi en ce sens quil permet la sortie de la barbarie. Dune certaine faon, partir de lpoque impriale, et sous linfluence du modle cosmopolite des philosophes alexandrins, l'koumne entier a vocation devenir romain, et donc sortir de la barbarie pour entrer dans la citoyennet. Les barbares ont vocation devenir romains (et non retourner chez eux!). On comprend mieux, ce moment-l que cette citoyennet est juridique et non politique. Le monde entier aurait vocation, dans cette idologie, vivre la romaine de faon pouvoir tre intgre dans la sphre juridique romaine. Bien sr il ne sagit plus du tout de participer llaboration des lois.

    Les choses se compliquent partir du rgne de Caracalla (211-217), fils de Septime Svre (193-211). Il faut maintenant se pencher sur les sources de ce quon appelle communment ldit de Caracalla.

    3 Claude NICOLET, Le mtier de citoyen dans la Rome rpublicaine , Paris, France, Gallimard, coll. Collection Tel, ISSN 0339-8560 , n 140, 1988, vol. 1/, 543 p. noter que Rome na pas suscit dopposition de type nationaliste : Gary B. MILES, Roman and Modern Imperialism , op. cit.

    4 Actes XXI, 26-XXVI, 32.

    4/15

    Lexemple de Paul de Tarse.

    Les barbares des Grecs.

    Une citoyennet juridique plutt que

    civique.

  • Enseigner la citoyennet grecque et romaine 27 mai 2015

    La citoyennet romaine impriale et ldit de Caracalla (Herv Huntzinger)

    2. Ldit de Caracalla : les difficults du dossier documentaire

    Ce quon appelle ldit de Caracalla, contrairement la plupart des constitutions impriales que nous connaissons, ne nous est pas parvenu par lintermdiaire des compilations tardives de lois romaines, comme le Code Thodosien ou le Corpus Iuris Civilis. Nous nen possdons que des lments indirects et tant le nom d dit de Caracalla , que celui de Constitution Antoninienne , sont des dnominations confres par la tradition historiographiques.

    Deux dossiers permettent davoir des informations. Le premier est constitu par lensemble des sources littraires, pour la plupart postrieures au rgne de Caracalla. Le second est constitu par un unique papyrus trs abim, dont on suppose quil reproduit le texte de ldit et qui porte le doux nom de P. Gissensis 40.

    2.1. Les sources littraires

    Alors quil sagit, selon les manuels, dune des lois les plus importantes de lEmpire romain, presque la seule encore tudie dans les manuels scolaires aujourdhui, elle ne tient, dans la monumentale compilation des opinions des jurisconsultes classiques quune toute petite ligne, sous la plus dun juriste de Septime Svre et de Caracalla, qui a probablement t lun des auteurs principaux de ce texte, Ulpien : Par une constitution de lempereur Antonin [=Caracalla], ceux qui se trouvent dans le monde romain sont faits citoyens romains. 5 Le peu dcho juridique apparat aussi dans le fait quune loi de lempereur Justinien lattribue par erreur Antonin le Pieux6.

    La source littraire principale, et la seule que nous possdions avant 1901, est un passage de lhistorien romain Dion Cassius. Dion Cassius tait un membre illustre de la classe snatoriale, qui a fait carrire dans ladministration au point de devenir consul suffect en 204/205. Trs proche de lempereur Septime Svre, dont il a fait lloge dans ses premiers crits, il est, toutefois, rsolument hostile envers Caracalla, quil dpeint sous les traits dun empereur paranoaque, assassinant sans de scrupule les opposants du Snat. Les historiens du XXe sicle ont, en gnral, suivi ce point de vue, sur lequel des travaux plus rcents appellent la prudence 7, notant mme que Dion Cassius ait pu tre plus hostile envers Caracalla que les autres

    5 Dig. 1, 5, 17 : In orbe romano qui sunt ex constitutione imperatoris Antonini ciues romani effecti sunt . Le texte est issu du livre 22 du commentaire de ldit du prteur.

    6 Nov. 75, 5.7 Caillan DAVENPORT, Cassiu Dio and Caracalla , The Classical Quarterly, dcembre 2012, vol. 62,

    no 2, New Series , p. 796-797.

    5/15

    La difficult du dossier documentaire.

    Peu dcho dans les sources juridiques.

    Dion Cassius : une source hostile

    Caracalla.

  • Enseigner la citoyennet grecque et romaine 27 mai 2015

    La citoyennet romaine impriale et ldit de Caracalla (Herv Huntzinger)

    snateurs, dans les mesure o il na bnfici daucune faveur du pouvoir8.

    cela sajoute un autre problme. Dion Cassius a t conserv en grande partie grce au moine et historien byzantin du XIe sicle Jean Xiphilin. Nanmoins, nous ne possdons souvent plus que l epitome, cest--dire un rsum de son uvre et non plus loriginal.

    2.2. Le papyrus Gissensis

    Les informations de ces sources littraires sont connues de trs longue date. Elles ont toutefois t remise en question par une dcouverte faite en 1901 El-Ashmounein, en Egypte dans lancienne cit dHermopolis Magna. Il sagit dun papyrus en trois colonnes, retranscrivant trois constitutions de lempereur Caracalla et dont la premire rappelle ce que nous savions de ldit de Caracalla. Ce papyrus apparut sur le march des antiquits El-Aschmounein. Il est actuellement conserv dans la collection de papyri de lUniversit de Giessen en Allemagne, do son nom. Il est publi pour la premire fois en 1910 9 et, partir de l, a donn lieu dinnombrables dbats historiographiques.

    Le papyrus lui-mme a t rdig en gypte peu aprs 215. Ldit dit de Caracalla occupe la premire colonne du document, alors que la colonne de droite contient un dcret damnistie et deux mandats impriaux ordonnant lexpulsion des paysans gyptiens dAlexandrie. Il sagit dune copie grecque produite par le bureau spcialis dans la correspondance en grec de la chancellerie impriale de Rome (le bureau ab epistulis graecis ), dont le titulaire tait Aspasios de Ravenne. Le texte est rdig dans un style pompeux et marqu par de nombreux atticismes

    Linterprtation de ce papyrus relativement abim a mis lpreuve lingniosit des chercheurs du XXe sicle, puisque, par exemple, la prsence dun mot la ligne 8, enontos a donn lieu pas moins de 30 interprtations diffrentes. Pour donner quelques dtails, le principal problme de la restitution concerne le nombre de lettres manquantes, sachant que la colonne de droite fait 23 cm de large et quil ne subsiste que 15 cm de la colonne de gauche qui nous intresse ici. Les interprtations varient entre une carence de 18 21 lettres sur la gauche du texte. Je reviendrai dans quelques instant sur le problme dinterprtation principale : sagit-il bien de ldit de Caracalla ?

    8 Meckler, Caracalla the intellectual , 1999.9 Paul Martin MEYER et Ernst KORNEMANN (dirs.), Griechische Papyri im Museum des oberhessischen

    Geschichtsvereins zu Giessen im Verein mit O. Eger, Leipzig, Allemagne, 1910, vol. 3/, p. 25-45.

    6/15

    Pas dautres sources contemporaines.

    Dcouverte du Papyrus Gissensis 40, I.

    Description du Papyrus Gissensis 40, I.

    Difficult dinterprtation.

  • Enseigner la citoyennet grecque et romaine 27 mai 2015

    La citoyennet romaine impriale et ldit de Caracalla (Herv Huntzinger)

    2.3. Les source postrieures ldit

    Un relev complet des sources postrieures ldit serait relativement fastidieux. Cela dit, il est intressant de relever un point qui caractrise la littrature postrieure. Ces sources attribuent lextension de la citoyennet plusieurs empereurs diffrents. Ainsi la Vie dAlexandre Svre , qui est une compilation dat de la fin du IVe sicle et refltant probablement avec une grande mauvaise foi historique les proccupation trs polmiques des milieux snatoriaux romains, attribue celle-ci lempereur Alexandre Svre10. la mme priode, cest--dire dans la seconde moiti du IVe sicle, le premier abrviateur tardif, Aurlius Victor, lattribue Marc Aurle 11. noter aussi que la Novelle de lempereur Justinien mentionne prcdemment lattribue Antonin le Pieux12. Cela invite relativiser lcho de la loi elle-mme, sans pour autant en diminuer la porte.

    3. Quelques difficults dinterprtation

    3.1. La datation de ldit de Caracalla

    Un premier dbat a agit la recherche autour de la date de la rdaction de ldit. Lanne 212, qui est systmatiquement accol lintitul de ldit, nest pas une certitude. Quels sont les lments ? Dune part, il est forcment postrieur lassassinat de Gta. Celui-ci est dat entre dcembre 211 et fvrier 212. Dautre part, il prcde ncessairement lapparition dun grand nombre de citoyens portant le nom gentilice dAurelius, cest--dire celui de Caracalla, dans les documents papyrologiques et pigraphiques vers 214-215. La datation a alors vari entre 212 et 215. Trois hypothses sont avances.

    La premire date ldit par rapport aux deux autres textes du papyrus de Giessen, sachant que le second est dat du 11 juillet 212. Ldit serait donc situer entre fvrier et juillet 212. En 1926, Elias Joseph Bickermann avait dj mis des doutes quant la datation, position immdiatement conteste par Wilhelm Reusch 13, de sorte que le commencement de lanne 212 soit rest la date de rfrence, encore aujourdhui mme dans les ouvrages scientifiques14.

    10 SHA, Vita Seueri, 1, 2 : ciuitatem omnibus datam.11 Aurelius Victor, De Caesaribus, 16, 2 : data cunctis promiscue ciuitas romana12 Nov. 75, 5.13 Elias BICKERMANN, Ulrich WILCKEN et Eduard NORDEN, Das Edikt des Kaisers Caracalla in P.

    Giss. 40: Inaugural-Dissertation zur Erlangung der Doktorwrde , Berlin, Allemagne, A. Collignon, 1929, 38 p.

    14 Rafael GONZLEZ FERNNDEZ et Santiago FERNNDEZ ARDANAZ, Algunas cuestiones en torno a la promulgacin de la Constitutio Antoniniana , Gerin, 2010, vol. 28, no (1)1, p. 165, n. 27.

    7/15

    Une datation problmatique.

    Hypothse traditionelle : Fvrier-juillet 212.

  • Enseigner la citoyennet grecque et romaine 27 mai 2015

    La citoyennet romaine impriale et ldit de Caracalla (Herv Huntzinger)

    Une seconde possibilit repousse au contraire ldit jusquen 214 15. Ainsi, en 1962, Fergus Millar reprend deux arguments de datation en faveur de 212 pour montrer quils ne sont pas dfinitifs. Dune part, la date sappuie sur le fait que Dion Cassius crit selon une mthode annalistique. Le contexte de la mention de ldit de Caracalla permettrait donc den dduire la date. Or, Fergus Millar montre que Dion Cassius ncrit pas forcment de faon annalistique, mais aussi parfois dans une logique biographique, ce qui est justement le cas pour Caracalla 16. Dautre part, il conteste le fait que lordre des documents du papyrus de Giessen soit chronologique, de sorte quon ne puisse pas dduire la date de 212 daprs la place de ldit dans le document.

    Quelle date alternative propose-t-il alors ? Fergus Millar propose la date alternative de 214. Pour plusieurs raisons. La premire est que le gentilice Aurelius, qui caractrise les individus qui ont obtenu la citoyennet grce lempereur Caracalla, napparat pas dans les papyrus gyptiens avant les derniers mois de 214. Dautre part, dans le livre 52 de Dion Cassius, rdig en 214, un passage dun discours de Mcne, lami dAuguste, semble faire allusion ldit, dune faon tellement anachronique quelle en dit long sur le moment o ce passage aurait t crit.. cela sajoute loccasion que pourrait avoir donn le naufrage en Hellespont auquel a rchapp Caracalla non sans avoir failli perdre la vie.

    Une troisime hypothse place ldit de faon dailleurs fort convaincante mais pas dfinitive, en 213 17. William Seston a propos plutt la date de 213 sur le fondement dun passage de la Vie de Caracalla issue de lHistoire Auguste, une compilation de vies dempereur, la fois tardive et romance avec beaucoup de mauvaise foi 18. Lvnement dclencheur aurait t la maladie de Caracalla en 213. Cette date est confirme par Zeev Rubin19.

    Pour linstant, le consensus reste globalement sur 212, en attendant des lments nouveaux.

    15 Fergus MILLAR, The Date of the Constitutio Antoniniana , The Journal of Egyptian Archaeology , dcembre 1962, vol. 48, pp. 124-131.

    16 Ibid., p. 124-126.17 En janvier pour J. F. GILLIAM, Dura Rosters and the Constitutio Antoniniana , Historia:

    Zeitschrift fr Alte Geschichte, 1 janvier 1965, vol. 14, no 1, pp. 74-92. et lt ou lautomne pour William SESTON, Marius Maximus et la date de la Constitutio Antoniniana , in Mlanges darchologie, dpigraphie et dhistoire offerts Jrome Carcopino, Paris, France, Hachette, 1966, .

    18 SHA, Vita Caracalli , 5, 2-3. Voir William SESTON, Marius Maximus et la date de la Constitutio Antoniniana , op. cit.

    19 Zeev RUBIN, Further to the dating of the Constitutio Antoniniana , Latomus, 1975, XXXIV, pp. 430-436.

    8/15

    Fergus Millar : 214.

    William Seston : 213.

  • Enseigner la citoyennet grecque et romaine 27 mai 2015

    La citoyennet romaine impriale et ldit de Caracalla (Herv Huntzinger)

    3.2. Le papyrus de Giessen reproduit-il la Constitutio antoniniana de la

    littrature ?

    Ds la dcouverte du Papyrus de Giessen, les historiens ont massivement considr que celui-ci portait mot--mot les termes de la constitution antoninienne . Les manuels scolaires se font dailleurs, aujourdhui encore, largement lcho de cette thse. Toutefois ds 1911, Jouguet avait mis en doute ce lien. Il a t repris pas Bickermann, qui a postul que le texte du papyrus est un dcret postrieur de 213 et non le texte original 20. Le dossier a t repris de faon magistrale par Hartmut Wolff en 1976 dans une thse la mode allemande, tout en nuance, dmontre quil est impossible de lier les deux textes et que le papyrus de Giessen ne reproduit probablement pas la Constitution Antonine 21. Le chercheur allemand a entrepris une tude presque millimtrique du papyrus Giessen mme pour valuer et critiquer la restitution traditionnelle des dbuts de ligne manquants.

    Il propose alors plusieurs arguments pour contester le fait quil sagisse bien de ldit attribu par la littrature Caracalla. Tout dabord, le nom de Caracalla nest pas clairement indiqu 22. Les bnficiaires, ensuite, de la loi du papyrus ne sont pas clairement mentionns. Enfin, les termes de la loi, qui rendent grce aux dieux, ne correspondent pas aux termes de Dion Cassius, qui avance le prtexte doffrir un bienfait aux provinciaux, et la raison cynique daugmenter les impts.

    Il faut noter que ce travail a t salu trs positivement par les chercheurs, mais que ladhsion cette thse caractristique de lhypercritique allemande reste modre23.

    3.3. Les dditices

    Le papyrus de Giessen, si tant est quil reprend ldit, a suscit un problme particulier, car il exclut du dispositif un groupe de personnes appels les dditices . On a pu remarquer, dune part, ds les annes 1930 que les sources textuelles attribuent systmatiquement lextension de la citoyennet tous, sans mention de groupe exclu 24. Cette contradiction est justement lun des arguments de Hartmut

    20 Elias BICKERMANN, Ulrich WILCKEN et Eduard NORDEN, Das Edikt des Kaisers Caracalla in P. Giss. 40, op. cit.

    21 Hartmut WOLFF, Die Constitutio Antoniniana und Papyrus Gissensis 40 I, Wolff, 1976, 308 p.22 James H. OLIVER, Review , The American Journal of Philology , 1 octobre 1978, vol. 99, no 3, pp.

    403-408 rappelle toutefois que les deux autres dit du papyrus sont de Caracalla.23 Voir la recension critique de J. H. Oliver (note prcdente).24 Notamment Kunkel et Miller. Voir Herbert W. BENARIO, The Dediticii of the Constitutio

    Antoniniana , Transactions and Proceedings of the American Philological Association , 1 janvier 1954, vol. 85, p. 188-189.

    9/15

    Identit du papyrus et de la constitution.

  • Enseigner la citoyennet grecque et romaine 27 mai 2015

    La citoyennet romaine impriale et ldit de Caracalla (Herv Huntzinger)

    Wolff pour prouver que le papyrus nest pas une copie exacte de la loi de Caracalla.

    Qui sont ces dditices ? On a propos deux hypothses principales. La premire est quil sagit de barbares vaincus qui se sont donns , en dautre terme qui ont fait une procdure appele la deditio (do le nom de dditices). Le problme est que ce terme dsigne un statut transitoire. Il ny aurait donc pas une catgorie dfinitivement exclue. Si lon adhre une datation en 213/214 ou peut imaginer quil sagit de barbares fraichement vaincus et en cours dinstallation, que leur caractre dennemis rcents ne permet pas dintgrer immdiatement. Une seconde hypothse postule quil sagit dune catgorie peu connue desclaves mal affranchis, quune loi dAuguste, la lex Aelia Sentia confine, parce quil ne sont pas rellement affranchis, dans un statut de semi-libert, dont la principale caractristique est quils meurent esclaves pour ne pas bnficier des rgles de succession des citoyens25.

    3.4. Et aprs 212 ?

    Ldit de Caracalla sest appliqu au moment de sa promulgation (en 212, 213 ou 214), mais quen est-il de ceux qui sont entrs dans lEmpire aprs ? La question a rarement t pose et jamais vraiment rsolue26.

    Tout ce quon peut dire, cest quaprs 212, dans les mesures lgales les citoyens ne sont plus opposs de faon exclusive aux prgrins. Laccs la citoyennet existe encore aprs 212, mais il sagit en fait desclaves qui deviennent citoyens (aprs un passage plus ou moins long dans le statut daffranchi). Dailleurs Sidoine Apollinaire, au Ve sicle de notre re crit justement que du monde entier cest uniquement dans cet tat ( ciuitas) que seuls les esclaves et les barbares sont des prgrins27 . Dune certaine faon, aprs 212, les seuls prgrins qui existent encore dans lEmpire sont les barbares qui viennent dau-del des frontires. Dune certaine faon la porosit entre les deux termes est double sens : prgrins et barbares deviennent des termes presque synonymes. Mais restent-ils prgrins lorsquils sinstallent dans lEmpire ?

    Ralph Mathisen a donc rcemment propos que la Constitution Antonine sapplique de faon perptuelle28. Son opinion ne fait pas lunanimit, mais il prsente deux arguments, mon sens, plutt convaincants. Dune part, il ny a aucune trace de

    25 Herbert W. BENARIO, The Dediticii of the Constitutio Antoniniana , Transactions and Proceedings of the American Philological Association, 1 janvier 1954, vol. 85, pp. 188-196.

    26 By Ralph W. MATHISEN, Peregrini, Barbari, and Cives Romani: Concepts of Citizenship and the Legal Identity of Barbarians in the Later Roman Empire , The American Historical Review , 1 octobre 2006, vol. 111, no 4, p. 1018.

    27 Sidoine Apollinaire, Epistulae, I, 6, 2.28 By Ralph W. MATHISEN, Peregrini, Barbari, and Cives Romani , op. cit. Voir aussi Modran.

    10/15

  • Enseigner la citoyennet grecque et romaine 27 mai 2015

    La citoyennet romaine impriale et ldit de Caracalla (Herv Huntzinger)

    citoyennet confr dautres qu danciens esclaves aprs 212. Dautre part, on voit des barbares participer activement la vie civique de Rome ou des cits provinciales.

    2.5. La primaut du droit romain ?

    Un dbat a oppos ceux qui pensaient que la concession gnrale de la citoyennet romaine effaait de facto les droits locaux dorigine prgrine au profit du seul droit romain 29. Lorigine allemande du dbat lui a donn le titre de la discussion entre le Reichsrecht et le Volksrecht. Dautres au contraire ont dfendu, notamment en prenant appui sur la table de Banasa, la persistance dune double citoyennet aprs 21230. Ltat actuel de la recherche navigue vue autour de la position mdiane dun maintien des coutumes locales sous rserve dune primaut du droit officiel31.

    La question est trs technique et nest pas sans lien avec une autre hypothse selon laquelle la citoyennet confre par ldit de Caracalla serait la citoyennet latine, cest--dire une forme simplifie, uniquement juridique de citoyennet, et non la citoyennet romaine complte.

    4. Les raison de lextension de la citoyennet

    4.1. Lhypothse cynique

    La premire hypothse dinterprtation est fournie par le premier historien avoir voqu la question, savoir Dion Cassius lui-mme. Selon lui, la principale motivation de Caracalla tait daugmenter le nombre des contribuables qui devaient payer la taxe de succession ( vicesima hereditatum , le vingtime des hritages ) et la taxe sur lmancipation des esclaves ( vicesima manumissionum , le vingtime des affranchissements ), que seuls payaient les citoyens. Il ne sagit pas de limpt en gnral, puisque les provinciaux payaient aussi une taxe. Cette hypothse a connu un succs certain dans lhistoriographie et a notamment t taye du point de vue scientifique par le clbre historien russo-amricain de lconomie, Michel Rostovtzeff.

    Une autre variante de lhypothse cynique consiste dire que lempereur souhaitait, par ce geste, faire oublier quil avait fait assassiner son frre Gta et linfluent prfet du prtoire Papinien.

    29 Mitteis la suite dAranjo-Ruiz.30 Schnbauer.31 Joseph MLZE-MODRZEJEWSKI, La rgle de droit dans lgypte romaine (tat des questions et

    perspectives de recherches) , in Proc. of the XIIth Internat. Congr. of Papyrology, 1970, p. 347.

    11/15

    La primaut du droit romain.

    Lhypothse cynique.

  • Enseigner la citoyennet grecque et romaine 27 mai 2015

    La citoyennet romaine impriale et ldit de Caracalla (Herv Huntzinger)

    4.2. Lhypothse dcliniste

    La seconde hypothse, que jvoque, a aussi t nonc assez prcocement, notamment par ceux qui ont repris le cadre dcliniste de l Histoire de la dcadence et de la chute de l'Empire romain rdig en 1776 par le philosophe des Lumires britannique Edward Gibbon. Cette hypothse, formule notamment en 1923 par John B. Bury, History of the Later Roman Empire (chap. IX), dfend lide que lextension de la citoyennet a t motive par la volont de rgnrer le recrutement de la lgion romaine, uniquement compose de citoyens. Deux points doivent tout de suite tre relevs pour modrer cette hypothse. Le premier consiste rappeler que dans larme tardive lessentiel des troupes est compose par les auxiliaires et que limportance de la lgion en tant que telle est secondaire. Le second consiste rappeler le contexte dans lequel crit Bury, cest--dire juste aprs la Premire Guerre mondiale, durant laquelle les Anglais et les Franais ont largement fait appel aux troupes coloniales. Comme je lavais indiqu prcdemment, la question de lextension de la citoyennet dans les Empire coloniaux suite au recours aux troupes coloniales, tait dans lair du temps.

    Lhypothse dcliniste existe aussi lenvers. tant donn que le service dans les troupes auxiliaires, et non la lgion rserves aux seuls citoyens, permettaient justement dobtenir la citoyennet, la Constitution Antonine aurait assch le recrutement des auxiliaires et caus le dclin de larme romaine. Rien ne vient corroborer ces assertions qui sont simplement des expression de lhypothse du dclin de lEmpire romain. On voit bien quon tourne en rond.

    4.3. Lhypothse cosmopolite

    La troisime hypothse est loin dtre admise par tous, mais ne doit pas tre nglige. Il sagit de lhypothse de la citoyennet universelle et de lide que lextension de la citoyennet sappuie sur des motifs politiques et philosophiques et non simplement fiscaux ou militaires 32. De fait, si lon considre le contexte imprial du dbut du IIIe sicle, il faut bien constater quavec Septime Svre, on passe une dynastie non plus italo-centre, mais une dynastie dorigine provinciale (et notamment syrienne pour Julia Domna, la mre de Caracalla). De fait, la citoyennet romaine est bien plus rare en Orient quen Occident. Ds lors les Svres sont sensibles aux revendication dun milieu o beaucoup de membres de llite cherchent encore accder la citoyennet.

    32 Tony HONOR, Ulpian: pioneer of human rights , Oxford, Royaume-Uni, Oxford University Press, 2002, p. 84.

    12/15

    Rgnrer le recrutement de larme romaine.

    Lhypothse cosmopolite.

  • Enseigner la citoyennet grecque et romaine 27 mai 2015

    La citoyennet romaine impriale et ldit de Caracalla (Herv Huntzinger)

    De plus, le prcdent dAlexandre le Grand et lide orientale dune monarchie cosmopolite ne sont pas absents du projet politique de Caracalla et des membres de son conseil, notamment le juriste Ulpien.

    Dans ce cadre Hartmut Wolff a bien montr que le concept dune citoyennet universelle nest pas incongru 33 et sappuie sur limage dAlexandre telle quelle est transmise dans les Moralia de Plutarque, selon lequel Alexandre a fait de lkoumne la patrie commune de tous ( Moralia 329C). Dailleurs, dans un autre passage Dion Cassius fait parler Mcne, lami dAuguste, pour voquer de faon certes anachronique, une vision de Rome comme l asty dont le monde serait la chra. Rome serait comme le centre urbain dune cit, dont le territoire serait lkoumne. LEmpire est une polis lchelle du monde. Pour alimenter cette vue, il convient donc de donner la politeia tous. Cette vision cosmopolite (remarquez ltymologie du mot) est justement caractristique de la seconde sophistique en vogue dans la seconde moiti du IIe sicle et imprgne bien dautres auteurs, comme Alius Aristide, qui a crit un loge de Rome sur ce principe34.

    4.4. Une dmonstration de pit

    cette hypothse sajoute un lment religieux complmentaire. Paul Petit, dans son Histoire gnrale de lEmpire romain , en 1974, suggre une hypothse qui sappuie simplement sur les premires lignes du papyrus de Giessen, selon laquelle Caracalla aurait agit par pit religieuse 35. nouveau lexemple dAlexandre a son importance, puisquon lit, toujours dans les Moralia de Plutarque que par lui, Bactres et le Caucase ont vnr les dieux des hellnes (Moralia 328D). Une telle conception nest dailleurs pas exclusive de la prcdente (ni de la premire dailleurs).

    Conclusion : quelle est la porte de ldit de Caracalla ?

    Un piphnomne ?

    Une chose est certaine, lamnsie de la postrit quant lattribution de cette loi lempereur Caracalla plaide en faveur dun piphnomne ou, plutt, dune loi

    33 Wolff mentionne aussi le projet de mariage avec la fille du roi parthe et le retour des exils, dont le modle a aussi t Alexandre le Grand.

    34 Voir lloge de Rome dAlius Aristide.35 Paul PETIT, Histoire gnrale de lEmpire romain: (161-284) , Paris, France, d. du Seuil, DL 1978,

    1978, p. 72. Lide est dfendue et largie par une tude du contexte religieux et culturel du dbut du IIIe sicle par et Kostas BURASELIS, : Constitutio Antoniniana , , Grce, . , 1989Athna: Akadma Athnn. Kntron Erens ts Ellniks Archaittos, 1989, 224 p.

    13/15

    Augmenter le culte des dieux romains.

  • Enseigner la citoyennet grecque et romaine 27 mai 2015

    La citoyennet romaine impriale et ldit de Caracalla (Herv Huntzinger)

    de circonstance. Les arguments cyniques doivent forcment tre entendus. Mais on peut penser la suppression de lesclavage au Brsil, qui, dans la forme, na t quune mesure de circonstance prise par

    Ds lors, une option historique a t de minimiser lampleur des consquences de cette dcision ; lide tant que la gnralisation de la citoyennet romaine quivaut en quelque sorte sa disparition. Plus prcisment, la ligne de partage entre citoyens romains et prgrins (ou provinciaux) serait tombe en dsutude. De fait, au IIIe sicle de notre re, la protection de ce statut est devenue totalement secondaire par rapport une autre ligne de partage de la socit romaine, qui distingue les privilgis (honestiores) des autres ( humiliores)36. Au nombre des premiers, on peut compter les membres de la classe snatoriale, questre, les dcurions des cits et les vtrans. De fait, le droit romain, tel quil apparat dans le Digeste, multiplie partir de la fin du IIe sicle les distinctions de peines entre ces deux groupes (avec parfois quelques variantes dans les dnomination), sans pour autant clairement les dfinir.

    On ne sera pas surpris, ds lors, de la concomitance de cette extension gnrale de la citoyennet avec le moment o apparat une ligne de partage fonde sur la fortune et lhonorabilit, qui, nouveau, exclut les habitants pauvres de lEmpire dune protection complte de la loi, tout en les intgrants massivement dans lapplication de celle-ci. Et on en verra lironie, en considrant le fait suivant. Alors que linterdiction des chtiments corporels tait prcisment lapanage des citoyens, la nouvelle distinction introduit une systme pnal double qui permet les chtiments corporels infligs aux humiliores, fussent-ils des citoyens romains. La citoyennet de Paul de Tarse ne laurait pas forcment protg des svices corporels au IIIe sicle !

    Une rvolution juridique tout de mme ?

    Cest peut-tre sur luniversalit de lapplication de la loi (et non luniverselle protection de la caste des citoyens) que se joue lenjeu de cette loi, qui, pour avoir pu tre promulgue dans des circonstance contingentes, nen a pas moins eu un impact fondamental, car le principal effet de cette loi est de faire entrer la quasi-totalit des individus dans lorbite du droit civil romain et supprimant la ncessit pour les juristes de jongler avec plusieurs systmes juridiques. Et justement, la loi a t formule dans le milieu des jurisconsultes classiques, tel Ulpien, dont larrire-plan philosophique consistait justement faire entrer lhumanit entire dans une seule cit rgie par un droit uniformis.

    36 Geoffrey Ernest Maurice DE SAINTE CROIX, The Class struggle in the ancient Greek world: from the Archaic age to the Arab conquests, London, Royaume-Uni, Duckworth, 1981, p. 529-530.

    14/15

  • Enseigner la citoyennet grecque et romaine 27 mai 2015

    La citoyennet romaine impriale et ldit de Caracalla (Herv Huntzinger)

    De fait, on ne peut nier qu partir de ldit on voit augmenter substantiellement le nombre de personnes bnficiant des avantages du droit romain ou subissant sa rigueur. Ce qui a, dailleurs, induit une augmentation du nombre des rescrits impriaux37. Plus que lextension dun privilge qui nen nest plus rellement un, il sagit dune extension, tout fait conforme lesprit imprial, voire imprialiste, de laire dapplication du systme juridique romain. Que cette mutation intervienne non plus dans un contexte dexpansion militaire, plus enclin maintenir les diffrences de statut, mais dans un contexte de stabilisation territoriale, nest pas une surprise. Limprialisme change de forme et, dfaut dtre militaire, devient juridique.

    37 John MATTHEWS, Roman Law and Roman History , in A companion to the Roman Empire , Malden, MA, Blackwell Pub., 2006, p. 488.

    15/15