Humour et performance en entreprise : une affaire de cultures ?

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1 GRENOBLE ÉCOLE DE MANAGEMENT ÉCOLE SUPERIEURE DE COMMERCE DE GRENOBLE GRAND MÉMOIRE Humour et performance en entreprise : une affaire de cultures ? DE NAS DE TOURRIS, Claire ; TARBÉ DE SAINT HARDOUIN, Blandine ; VAUCLIN, Camille Mémoire dirigé par NÉ, Isabelle, Chargée de cours au département Homme, Organisations et Société à Grenoble École de Management Remis le 30 août 2015 CONFIDENTIEL : OUI NON

Transcript of Humour et performance en entreprise : une affaire de cultures ?

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GRENOBLE ÉCOLE DE MANAGEMENT

ÉCOLE SUPERIEURE DE COMMERCE DE GRENOBLE

GRAND MÉMOIRE

Humour et performance en entreprise : une

affaire de cultures ?

DE NAS DE TOURRIS, Claire ; TARBÉ DE SAINT HARDOUIN,

Blandine ; VAUCLIN, Camille

Mémoire dirigé par NÉ, Isabelle, Chargée de cours au département Homme,

Organisations et Société à Grenoble École de Management

Remis le 30 août 2015

CONFIDENTIEL : OUI

NON

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Grenoble Ecole de Management n’entend donner aucune approbation ni improbation

aux opinions émises dans ce document : celles-ci doivent être considérées comme propres à

leurs auteurs.

Les rédacteurs de ce document certifient qu’ils en sont les seuls auteurs et que toutes les

sources et auteurs utilisés pour sa rédaction ont été cités.

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RÉSUMÉ : Notre recherche s’intéresse l’humour dans le monde du travail, en fonction de

différentes variables et notamment de la culture. Nous analysons le lien entre humour et bien-

être, ses retombées positives sur la performance et la cohésion de groupe. Mais nous étudions

également les risques de l’humour, qui en fonction du contexte ou de son intention peut

diviser, créer des tensions, voire blesser. Dans ce cas, l’humour serait alors contre-performant

et pourrait nuire au climat social de l’entreprise. Se pose la question de la perception de

l’humour, influencée principalement par la personnalité, les valeurs et l’environnement de

l’individu. En outre, nous nous intéressons à la question de la culture : l’impact des codes et

de l’héritage culturel d’un groupe sur son rapport à l’humour. Nous analysons le lien entre

culture d’entreprise et utilisation / acceptation de l’humour en milieu professionnel.

TITLE : Humor and performance at work : a matter of culture ?

ABSTRACT : In this paper we will focus on humor at work, according to various variables and

particularly culture. We will analyze the link between humor and well-being, its positive

effects on the performance and the group cohesion. But we will also study the risks of humor,

which according to its context or its intention can divide, create tensions, and even hurt

people. In this case, humor would be counterproductive and could damage the social climate

of the company. It’s a matter of perception of humor, influenced mainly by the personality,

the values and the environment of the individual. Besides, we will study the question of the

culture: the impact of the codes and the cultural heritage of a group on its relation to humor.

We will analyze the link between corporate culture and use / acceptance of humor at work.

MOTS CLÉS : Humour, Rire, Performance, Bien-être, Bonheur, Culture, International,

Management, Intelligence émotionnelle.

KEYWORDS : Humor, Laugh, Performance, Well-being, Happiness, Culture, International,

Management, Emotional intelligence.

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Nous remercions Isabelle NÉ, notre tutrice, pour sa disponibilité, son écoute et ses

conseils précieux qui nous ont guidées dans notre travail tout au long de l’année.

Merci aux personnes qui ont eu la gentillesse de nous partager leur expérience de

l’humour en milieu professionnel.

Nous remercions particulièrement tous ceux qui nous ont fait rire pendant la réalisation

de ce mémoire, rendant ainsi notre travail plus agréable et plus efficace :

- Charles : « L’humour a sa place partout et tout le temps, sauf quand on est mort. »

- Aude : « Je n’ai pas assez de recul pour répondre à cette question. Même en

reculant ma chaise loin, très loin du bureau. »

- Louis : « I sometimes hide under the desk and wait for my coworker to come back to

the office and move her chair, touch her feet… I wait for colleagues in the hallway

to scare them. We have a team pet - a Chinese cat - that we dress according to

different occasions (birthdays, goodbye parties, etc.). »

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Table des matières

I. INTRODUCTION ...................................................................................................... 8

I - Contexte ............................................................................................................................ 9

II - Enjeux et intérêt de l’étude ........................................................................................... 9

III - Problématique de l’étude ........................................................................................... 11

II. REVUE DE LITTÉRATURE ................................................................................. 14

I - Humour et bien-être ...................................................................................................... 15

A - Humour et bonheur ? .................................................................................................. 17

B - Humour et bien-être en entreprise .............................................................................. 19

C - Humour, cohésion de groupe et identité collective .................................................... 22

II - Humour et autres intentions ....................................................................................... 26

A - L’humour a parfois un caractère offensant ................................................................ 26

B - L’humour comme outil de défense ............................................................................. 28

C - L’humour comme remise en cause de l’autorité ........................................................ 30

III - Humour et contexte .................................................................................................... 32

A - L’humour, une question de perception ....................................................................... 35

B - Humour et culture d’entreprise ................................................................................... 40

C - Humour et influences culturelles ................................................................................ 44

Conclusion de la revue de littérature ................................................................................ 49

III. MÉTHODOLOGIE ............................................................................................... 50

I - Justification de la méthodologie choisie ...................................................................... 51

A - Rappel des objectifs ................................................................................................... 51

B - Présentation de la méthodologie choisie .................................................................... 51

II - Echantillonnage ............................................................................................................ 52

III - Construction de l’outil de collecte ............................................................................. 55

IV - Administration de la collecte ..................................................................................... 56

V - Analyse des résultats .................................................................................................... 56

IV. RÉSULTATS .......................................................................................................... 58

I - Quels sont les avantages d’un environnement ou d’une attitude favorables à

l’humour ? ........................................................................................................................... 61

A - L’humour et le rire améliorent les conditions de travail ............................................ 61

B - L’humour améliore l’efficacité au travail .................................................................. 65

C - L’humour permet de faire passer un message ............................................................ 68

II - En quoi l’humour peut-il être destructeur et dangereux si l’intention est détournée

/ déguisée, ou s’il ne se prête pas au contexte ? ................................................................ 71

6

A - L’humour doit être utilisé avec modération et au bon moment, il ne doit pas être

chronophage ..................................................................................................................... 71

B - Hiérarchie et humour ne font pas toujours bon ménage ............................................. 73

C - L’humour peut exclure ............................................................................................... 75

III - En quoi est-il nécessaire de contextualiser l’humour ? Le facteur culturel a-t-il

une influence sur l’utilisation et la perception de l’humour en entreprise ? ................ 78

A - Des avis partagés sur l’influence de la culture d’entreprise ....................................... 78

B - La question de la personnalité et des perceptions individuelles ................................. 81

C - Cultures individuelles : quelles influences ont-elles sur l’humour ?.......................... 86

V. CONCLUSIONS ...................................................................................................... 93

I - Recommandations managériales .................................................................................. 94

A - Créer un contexte favorable à l’humour, en interne ................................................... 94

B - L’humour à des fins commerciales .......................................................................... 100

C - Conseils pour exercer l’humour ............................................................................... 101

II - Limites de l’étude ....................................................................................................... 104

III - Voie de recherches .................................................................................................... 105

VI. BIBLIOGRAPHIE............................................................................................... 106

VII. ANNEXES .......................................................................................................... 116

7

Table des figures

Figure 1 : Coût global du stress au travail sur une année ............................................... 20

Figure 2: Relations entre les émotions, les comportements et les pensées .................... 23

Figure 3: Pyramide de Maslow (1943) ........................................................................... 24

Figure 4 : Processus de perception (2011) ..................................................................... 34

Figure 5: Influences sur le comportement ...................................................................... 37

Figure 6: Les trois cercles de la culture d'entreprise de Schein (2011) .......................... 40

Figure 7: La construction de la culture d'entreprise ....................................................... 42

Figure 8: Age des sondés ............................................................................................... 52

Figure 9: Genre des sondés ............................................................................................ 53

Figure 10: Catégorie socio-professionnelle des sondés ................................................. 53

Figure 11: Domaine d'expertise des sondés ................................................................... 54

Figure 12: Expérience à l'étranger des sondés ............................................................... 54

Figure 13: Processus de connaissance de l'environnement 1 ......................................... 91

Figure 14: Processus de connaissance de l'environnement 2 ......................................... 91

Figure 15: Exemple de personnalité Process Comm ...................................................... 98

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I. INTRODUCTION

9

I - Contexte

Chaque membre d’une organisation constitue cette dernière et chacun, dans sa

participation pour mener à bien le projet d’entreprise, doit détenir les compétences

professionnelles et personnelles suffisantes et nécessaires à la réalisation du projet

d’entreprise. Nous reviendrons sur les définitions que nous allons retenir dans le cadre de

notre recherche, mais tenons à indiquer dès à présent que dans les compétences relationnelles,

celles qui induisent du « savoir-faire », il devient fréquent de parler des avantages de

l’humour au travail, bien qu’ils soient parfois à prendre avec des pincettes (Autissier &

Bensebaa, 2011, Romero et Cruthirds, 2006). Il s’agira bien pour nous d’avoir un regard plus

spécifique sur cette notion d’humour, pour en visiter les tenants et les aboutissants au travers

des situations managériales que nous pourrons observer durant le temps de notre recherche ;

lesquelles tenteront modestement de faire une étude comparative culturelle, ne serait-ce que

pour suggérer d’ajouter cette variable - à nos yeux essentielle – au modèle de Hofstede sur les

dimensions culturelles sur les rapports au travail.

II - Enjeux et intérêt de l’étude

Les exigences des entreprises s’adaptant aux exigences des marchés, se révèlent être de

plus en plus mobilisatrices et toujours plus contraignantes. Les entreprises doivent y répondre

rapidement et efficacement pour s’assurer leurs bénéfices, garder ou trouver leur place sur le

marché et être sures de perdurer. C’est la réponse financière à la gestion stratégique des

entreprises. De leur côté, les entreprises contemporaines plus proches des valeurs humaines

n’hésitent pas à considérer la variable du bien-être au travail comme devant s’ajouter par

exemple aux cinq forces de Porter. La vision purement financière est peut-être une vision à

trop court terme ; ou bien disons plutôt que c’est la vision « valeurs humaines » qui semble,

sinon complètement utopique, en tout cas trop long terme. En situation de crise, il faut forcer

les tensions, il faut rester sérieux, la tête dans le guidon, on se détendra à la sortie du tunnel.

Et pourtant…avec quel discours rentrons nous du travail ? Celui des difficultés, celui des

tensions, celui des conflits ; et aussi celui de « ces bons moments » où l’on a bien ri et où l’on

s’est senti mieux.

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Le facteur humain est le premier à faire les frais des conséquences des bouleversements

organisationnels dans les entreprises qui peuvent être dépassées par les événements et qui

parfois les conduit à de graves dérives (suicides de 35 salariés chez France Télécom entre

2008 et 2009 par exemple). Les médias se chargent très régulièrement d’en faire le rappel.

C’est justement cette médiatisation qui fait que l’entreprise qui se veut pérenne doit

réellement prendre en compte les valeurs humaines – de façon concrète et donc au-delà des

discours affichés – qui challengent une perception du monde du travail trop « scientifique »

(Taylor, Fayol) dans lequel les sentiments et émotions n’ont pas lieu d’être.

Le mouvement de l’entreprise libérée (Getz, Carney, 2009) fait des adeptes de plus en

plus nombreux dans l’entreprise contemporaine, bien que ce mouvement ait démarré il y a 30

ans. Le bien-être au travail est enfin reconnu comme la valeur sure qui « fait la différence ».

C’est alors la pratique même du management qui est remise en cause ; quelle conception du

management nous faisons nous ? se demandait Mc Gregor (1960), et quels effets sur les

motivations et les compétences en découlent ? Le monde du travail doit-il rester quelque

chose de sérieux avec des contrôleurs et des subordonnés ? Ou bien pourrions-nous, comme

renforcé et exigé par le droit du travail (en France Article L4121-1 du code du Travail 6 mars

2008) songer qu’au travers de la gestion des risques psychosociaux il y a aussi une gestion

stratégique de l’entreprise ?

Selon Achor (2010), les salariés heureux seraient les plus productifs car ce serait le

bonheur qui créerait la performance, le lien entre bonheur et performance résidant dans les

bénéfices procurés par les émotions positives. Ces émotions positives seraient en partie

responsables de notre bien-être au travail. Qu’entendre aussi par bien-être au travail ?

Puisque les théories du management (à partir de l’Ecole des relations Humaines) indiquent

fort à propos que la motivation au travail démarre par la reconnaissance – et qui dit

motivation dit aussi compétences – notre affaire de bien-être au travail touche bien à une

certaine vision des structures managériales qui autorisent ou non l’autonomie, le

développement personnel, l’épanouissement au travail etc… les notions d’équilibre vie

professionnelle/vie personnelle, acceptées dans l’entreprise contemporaine « libérée » (Getz

& Carney, 2013 ; Semler, 2004).

Particulièrement intéressées par la relation entre la performance d’une entreprise et le

bien être des collaborateurs qui la composent et ayant nous-mêmes constaté durant nos stages

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dans divers pays que notre productivité et la qualité de nos résultats dépendaient de notre

motivation et donc des facteurs influençant cette dernière (cadre de travail agréable,

management adapté, ambiance d’équipe…), nous avons choisi de s’interroger sur l’existence

d’une variable qui paraitrait l’une des responsables de l’augmentation de la motivation au

travail : l’humour. De quelle manière l’humour pourrait-il influencer notre disposition à

travailler et comment se manifeste-t-il en entreprise ? Permet-il aux équipes de créer une

véritable dynamique de travail ? Agit-il sur la performance d’une entreprise ? Le concept, à

priori pourtant si simple, ne remporte pas toujours l’adhésion des acteurs dans le monde du

travail, et ce pour différentes raisons que nous allons développer plus loin. Il nous sera

nécessaire de voir ce qu’en fait peut signifier l’humour et ses différentes formes pour en

expliquer les réactions dubitatives.

Alors que les notions d’humour et de travail peuvent paraître incompatibles puisque la

conception traditionnelle du travail s’oppose au loisir (Dunkan et al., 1990 ; Fundacio, 2007)

et que l’humour a toujours été considéré comme une source de subversion et une façon de se

moquer du pouvoir des puissants au point d’en réduire l’influence (Panczuk, 2014), il serait

en fait une ressource clef dans la construction de la cohésion de groupe et l’amélioration de la

communication (Meyer, 1997), il permettrait d’accroître la satisfaction des subordonnés

(Decker, 1987), contribuerait à l’augmentation de la productivité (Avolio et al ., 1999) et

augmenterait la créativité (Brotherton, 1996 ; Achor, 2010).

Dans un premier temps nous développerons la problématique et les questions de

recherches qui s’en suivent, nous ciblerons donc notre sujet en apportant des éléments de

questionnement puis nous tenterons d’apporter des éléments de réponse à l’aide de nombreux

auteurs dans la revue de littérature. Nous présenterons finalement la méthodologie que nous

appliquerons tout au long de cette étude et justifierons son choix.

III - Problématique de l’étude

L’humour, d’un point de vue clinique, a des effets physiologiques reconnus et

favoriserait le « bonheur » des individus. De plus, il génère des émotions positives qui

améliorent la concentration, la mémorisation et l’efficacité (Zand, Spreen & LaValle, 1999).

Selon ces critères, l’humour serait alors favorable à la productivité et à la performance de

l’individu. Pour autant, peut-on se permettre en entreprise certains propos ou certaines

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attitudes au nom de l’humour ? Car si l’humour peut favoriser la cohésion d’équipe (Meyer,

1997), ses bienfaits sur le « climat social » de l’entreprise ne sont pas systématiques et

dépendent de nombreuses variables. En effet, la fonction de l’humour peut être détournée à

des fins personnelles et cachées : moquerie, manipulation, remise en cause de l’autorité… Il

dépend donc en partie de l’intention de la personne, dont le but est de faire rire.

Mais rire de quoi, ou de qui ? Ou bien juste rire pour rire ? On voit déjà ici que la question

n’est pas si simple. D’autre part, sachant l’importance du contexte lorsqu’on parle d’humour,

on peut s’interroger sur l’influence de la culture d’entreprise sur son acceptation et ses

retombées. Ainsi, la structure organisationnelle a-t-elle un impact sur la place et la perception

du rire au travail ? L’humour serait-il une variable de la culture d’entreprise ?

On peut également s’interroger sur l’importance du contexte culturel. Le rire en

entreprise serait-il mieux perçu dans certaines régions du globe ? L’humour serait-il une

variable de la culture d’entreprise ?

Nous tâcherons dans cette étude d’apporter des éléments de réflexion quant au rôle et à

l’influence d’une culture, qu’elle soit nationale ou d’entreprise, sur l’utilisation et la

perception de l’humour.

Dans un premier temps, nous parlerons des bénéfices de l’humour en explorant ses

bienfaits sur la santé et le « bonheur » de l’individu. Nous verrons comment le bien-être

favorise la productivité du salarié mais également la cohésion d’équipe et la performance de

l’organisation.

Question de recherche 1 : Quels sont les avantages d’un environnement ou d’une

attitude favorable à l’humour, au niveau individuel et collectif ?

Une seconde question devra mettre en perspective l’humour par rapport à l’intention de

l’individu qui peut utiliser cet outil pour dénigrer ou déstabiliser un collaborateur ou troubler

l’autorité et l’organisation établie. De même, l’humour peut être malvenu dans certains

contextes.

Question de recherche 2 : En quoi l’humour peut-il être destructeur et « dangereux » si

l’intention est détournée/déguisée ou s’il ne se prête pas au contexte ?

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Il semblerait important par ailleurs de replacer et d’utiliser l’humour dans un contexte

qui s’y prête. Afin de limiter les risques de « maladresses », nous tenterons de comprendre et

d’identifier les contextes « favorables » à l’humour et les variables qui l’influencent autant au

niveau individuel (âge, sexe, personnalité…) que collectif (culture nationale, culture

identitaire, culture d’entreprise…).

Question de recherche 3 : En quoi est-il nécessaire de « contextualiser » l’humour ?

Y a-t-il des environnements plus favorables à l’humour que d’autres ?

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II. REVUE DE LITTÉRATURE

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I - Humour et bien-être

L’humour semble exister depuis toujours : dans la mythologie grecque, Momos, fils de

Nux et dieu de l’Olympe représente sérieusement la moquerie et le sarcasme, qui amènent

tout naturellement le rire. Pendant l’Antiquité, les Romains rient beaucoup entre les beuveries

et les guerres, notamment avec les atellanes, des courtes comédies théâtrales souvent

obscènes. Au Moyen Age, les rois s’entourent de comédiens et bouffons pour divertir leurs

soirées. C’est à cette époque qu’apparaissent les farces, qui mettent en scène de manière

satirique les aventures des puissants face à leurs vassaux. (Tricart, 2015) L’humour semblait

alors déjà utilisé pour dénoncer, critiquer ou simplement dénouer les tensions sociales.

L’histoire nous montre autre chose d’intéressant, qui sans doute explique les différentes

utilisations de l’humour aujourd’hui. Selon Gervais et Wilson (op cit.), l’antiquité Grecque a

donné le nom d’humour aux fluides de l’équilibre de la santé. C’est plus tard que l’on lui a

associé la notion d’humeur, humeur changeante, et la notion d’équilibre ou de déséquilibre

mental, l’humour étant perçu en effet comme un déséquilibre de la personne qui ne se

conforme pas aux normes ! (Né, Dymedjian, op. cit.). Avec Hobbes, l’humoriste n’est ni dans

une zone de confort des premiers hominidés, ni nécessairement dans une zone qui veut

échapper aux normes, il est plutôt dans une zone de protection contre les dangers extérieurs

(autres individus, classes, situations délicates etc…) (Dunkan, 1990).

Pendant plusieurs siècles, des écrivains, médecins et psychologues ont tenté, en vain, de

définir l’humour. Ce n’est qu’en 1771 qu’une première définition est donnée dans l’article «

Humeur » de l’Encyclopedia Britannica (Cahen, 1995): l’humour est alors une double idée de

« fluide » (comme l’humeur) et « d’esprit ». En 1906, le jeune professeur de littérature

Cazamian écrivait un article « Pourquoi nous ne pouvons définir l’humour ». En 1952, il

publiait un ouvrage « The Development of English Humor » dans lequel il renonçait à le

définir.

Toutefois, le terme entre officiellement dans la langue française en 1880 avec une

définition du Petit Robert : « une forme d’esprit qui consiste à présenter la réalité de manière

à en dégager les aspects plaisants et insolites » ou encore « l’action d’exprimer la gaieté par

l’élargissement de l’ouverture de la bouche, accompagné d’expirations saccadées plus ou

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moins bruyantes ». Cette dernière définition nous renseigne sur un élément essentiel de

l’humour : le rire. C’est ainsi qu’on peut distinguer l’humour de l’ironie, qui bien qu’étant une

forme d’esprit, ne provoque pas nécessairement le rire. L’ironie est un « jeu sérieux » (Cahen,

1995), une moquerie sarcastique qui, par l’utilisation d’une antiphrase, dit le contraire de ce

qu'on veut faire comprendre. Ce procédé peut se rapprocher d’une forme d’humour : l’humour

satirique/sarcastique. De façon générale, l’intention de l’humour est d’amuser voire de faire

rire comme le souligne Koestler (1979) : « l’humour, en ses multiples splendeurs, est un type

de stimulation qui tend à provoquer le réflexe du rire ».

L’humour est un élément commun de l’interaction humaine (Romero & Cruthrids,

2006) et fait partie intégrante de notre être social. Nous le mobilisons fréquemment dans nos

relations avec les autres (Autissier & Arnéguy, 2012), outre sa dimension sociale, il n’existe

pas de réel consensus sur la définition de l’humour. Pour mieux déterminer ce concept, nous

proposons la définition suivante : « l’humour est un acte intentionnel produit par une personne

ou un groupe, à destination d’un public qui a conscience de l’intention d’amuser du ou des

auteurs de cet acte » (Cooper 2005, p766). En d’autres termes, l’humour serait l’aptitude à

percevoir, à créer et à exprimer (par des mots ou des gestes) des liens originaux entre des

êtres, des objets ou des idées, liens qui font (sou)rire celui à qui on les communique car il les

comprend et les apprécie (Fortin & Méthot, 2004). Cependant, notons entre parenthèses avec

Martin (2007), que l’humour est aussi issu de situations incongrues, non nécessairement

intentionnelles, et qui simplement surprennent puisqu’elles sortent de ce que Né &

Duymedjian (2014) appellent la grammaire conventionnelle. L’humour (Martin, 2007), peut

provenir de maladresses, de lapsus accidentels, de bizarreries, qui mettent le récepteur en

position d’amusement (Né, Duymedjian, 2014).

Nous comprenons par ces définitions que la finalité de l’humour serait de procurer de

l’amusement, de faire rire. Le rire relevant du comique trouve aussi une multitude de

définitions mais nous rejoignons Bergson (1900) lorsqu’il écrit qu’il ne vise pas à enfermer la

fantaisie comique dans une définition et qu’il voit en elle, avant tout, quelque chose de vivant.

Les finalités de l’humour semblent multiples. L’historien Minois (2000) nous dit « nous rions

pour calmer nos peurs, pour nous moquer de soi ou des autres, pour exprimer notre

sympathie, pour renforcer nos liens… ».

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Quoiqu’il en soit, l’humour est un facteur de bien être des individus, tout au moins de

ceux qui en rient (Autissier & Arnéguy, 2012), il provoque le rire qui a des effets

psychologiques et physiologiques positifs, non seulement il réduirait les niveaux d'hormones

de stress, mais diminuerait la dépression et améliorerait l’état d’esprit d’un individu (Zand,

Spreen & LaValle, 1999).

D’ailleurs nous pouvons constater l’apparition de plus en plus fréquente de « clubs de

rire » dans le monde entier. Animé par la conviction que le rire, même forcé ou feint, aurait

des bénéfices, le Dr Daniel Kiefer, créateur du premier Club du Rire en France suite aux

travaux de Madan Kataria (2011), est convaincu que « le bonheur est un état d’esprit et que le

rire contribue efficacement à la joie de vivre et à une meilleure santé ». Il constate que les

enfants rient sans que ce soit forcément la réaction à une blague et a cherché le moyen de

réimplanter cet état d’esprit « enfantin » chez les adultes en inventant le « yoga du rire »

inspiré de Kataria.

Ainsi les avantages de l’humour seraient donc multiples : à court terme il relaxerait

l’esprit rapidement, pratiqué régulièrement il renforce le système immunitaire, à long terme

c’est l’attitude de la personne qui change : on se sent apaisé, les relations s’améliorent et on a

un regard meilleur sur sa vie.

Si l’on remonte d’ailleurs beaucoup plus loin dans le temps, notons que l’humour, chez

les primates, ne se pratiquait en fait que lors de moments où la relaxation était possible,

moments où le groupe était hors de danger, et où la nourriture ne faisait pas défaut. Il

s’agissait, comme aujourd’hui dans certains cas, de possibilités de processus de socialisation

(Gervais & Wilson, 2005, in Martin 2007 ; Né, Duymedjian, 2014). Et dans notre

questionnement sur le bien-être, nous retenons bien l’aspect de socialisation.

A - Humour et bonheur ?

Shakespeare a dit : « Trempez votre esprit à la joie et à la gaité, ce qui empêche mille

tracas et allonge la vie ».

Lorsque nous rions, notre cerveau stimule le système nerveux central et les glandes

endocrines dans la production d’hormones comme les endorphines. Ces hormones du plaisir

apportent bien-être et détente et agissent sur la douleur (Raquin, 1999).

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Un américain, Cousins (2003) a publié un livre dans lequel il raconte comment il a

guéri son arthrite par le rire. Il était atteint d’une forme d’arthrite douloureuse, que la

médecine s’avouait incapable de soulager. Il remarqua que ses douleurs étaient atténuées

après les soirées entre amis où ils avaient l’occasion de rire et décida de faire une « cure de

rire » : livres, films comiques, spectacles lui permettaient de s’offrir chaque jour une bonne

dose de rire. En quelques mois, non seulement il ne souffrait plus mais sa maladie avait

régressé de façon spectaculaire (Dorn, 2009).

De plus, lorsque nous rions, le cœur se met à battre plus vite et les vaisseaux se dilatent,

stimulant le système vasculaire et réduisant ainsi le risque de maladie cardio-vasculaire. Les

contractions de l’abdomen, provoquées par le rire, facilitent la digestion, accélérant la

production de sucs gastriques et d'enzymes. De plus, le rire, qui sollicite une douzaine de

muscles du visage (paupières, lèvres, pommettes, cou...) accélère la circulation au niveau des

capillaires et serait donc bénéfique pour la peau ! (Raquin, 1999).

L’humour qui a l’amusement pour but quand il est intentionnel peut faire rire et le rire

serait libérateur d’émotions positives, principaux indicateurs de bonheur. Les émotions

positives qui engendreraient la joie et le bonheur auraient des bénéfices sociaux et

intellectuels mais aussi des avantages physiques pour les individus (Fredrickson 2001 ;

Lyubomirsky, King & Diener 2005). En effet, les émotions positives permettent la sécrétion

de neurotransmetteurs – sérotonine et dopamine – qui stimulent la partie pensante de notre

cerveau (Achor, 2010). Elles seraient donc un facteur de bonheur à faire fructifier pour se

sentir plus heureux selon l’article The Science Behind the Smile paru dans la Harvard

Business Revue.

Pour Frederickson (2001), les gens qui ont des émotions plus chaleureuses, plus

optimistes, peuvent avoir une meilleure santé physique car ils créent plus de liens sociaux. Le

Dr. Martin Desseilles fait référence à de nombreuses études qui démontrent l’influence de la

vie émotionnelle sur la santé physique : les émotions positives favorisent le bon état corporel

tandis que d’autres – les émotions négatives – peuvent le détruire. Par conséquent il est

nécessaire de réguler ses humeurs ce qui consiste à favoriser les émotions positives en les

cultivant et en les intensifiant, à chercher à diminuer les plus négatives, par le biais de

l’humour par exemple. Pour Desseilles et Grosjean (2014), il ne s’agit pas de maîtriser ses

émotions comme nous avons tendance à le dire ou à l’entendre, il s’agit d’être à l’écoute de

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nos émotions pour savoir quand et comment les utiliser. Nous pourrions alors évoquer

l’utilisation de l’humour pour développer ces fameuses émotions positives et éventuellement

détecter les négatives pour permettre une meilleure utilisation de l’énergie qu’elles puisent sur

le corps (« Pourquoi et comment je réagis face à cette blague ? », « Ais-je vraiment une raison

pour me mettre en colère face à telle autre blague ? », « Quelles sont les choses qui me font

rire/ sourire ? », « Pourquoi cela me rend triste ? Y aurait-il un moyen pour voir les choses

sous un autre angle et transformer cette tristesse en émotion positive ? »). Il nous semble

qu’ici l’humour à son rôle à jouer puisque, comme dit précédemment il permet une prise de

recul face à une situation donnée, un évènement, un échange, une relation. Cette prise de recul

peut éventuellement favoriser le « management » des émotions puisqu’il y aura émergence

d’une réflexion de la personne concernée sur son attitude. Ainsi, puisque l’humour aurait la

vertu de dégager des émotions positives, il serait nécessairement facteur de bien être,

d’ailleurs Seligman et coll (2004) précisent que l’un des processus conduisant au bien être

serait la culture des émotions positives. Ils précisent que ces dernières sont orientées vers le

passé (gratitude et pardon), vers le présent (plaisir et pleine conscience) et vers l’avenir

(espoir et optimisme).

B - Humour et bien-être en entreprise

Le rire grâce aux mouvements du diaphragme, permet une meilleure oxygénation du

sang et ainsi : moins de fatigue, plus d'entrain et de tonus, une amélioration de l'humeur

facilitant la relation familiale et le lien social (Tricart, 2015).

C’est la raison pour laquelle les publicitaires raffolent des slogans humoristiques :

lorsque nous sommes détendus, notre cerveau mémorise plus facilement et plus longtemps ces

informations commerciales. Selon une explication scientifique (Raquin, 1999), cela vient du

fait que l’humour créé une attitude positive qui libère des neurotransmetteurs et crée plus

facilement des synapses.

D’autre part, l’humour et le rire permettent aux tensions physiques de s'évacuer. Les

endorphines et la sérotonine, sécrétées par le système nerveux central et les glandes

endocrines sont des substances relaxantes et seraient ainsi réductrices de stress (Raquin,

1999).

20

Or on sait que le stress nuit considérablement à la performance. D’après différentes

publications du Bureau international du travail, le stress serait à l’origine d’une augmentation

de l’absentéisme dû à la maladie, provoquerait un turnover plus élevé, des départs à la retraite

pour raisons de santé, des baisses de production et de qualité ainsi que des litiges entre les

salariés et leurs employeurs. Entre 50 et 60 % de l’ensemble des journées de travail perdues

en Union Européenne seraient liées plus ou moins directement au stress (ipsecprev.fr).

Le stress au travail représente donc un coût non négligeable. L’INRS (Institut National

de Recherche et de Sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies

professionnelles) a tenté d’évaluer le coût global du stress au travail sur une année. Cette

étude a été menée sur des hommes et des femmes confrontés au stress pendant plus de 50 %

de leur temps de travail. Le coût s’élèverait alors à près de 3 milliards d’euros sur l’année !

Origine des dépenses Coûts estimés (en millions d’€)

Soins en santé près de 200

Absentéisme près de 1300

Cessation d'activité plus de 1200

Décès prématurés près de 280

Total 2997

Figure 1 : Coût global du stress au travail sur une année

(http://www.ipsecprev.fr)

A long terme, le stress est destructeur provoquant le dérèglement de l’organisme. Les

manifestations du stress sont visibles et peuvent altérer le lien social : tension interne,

irritabilité, excès de réactivité, sursaut, hyperactivité stérile, réduction de motivation,

instabilité émotionnelle, troubles du sommeil, perte de confiance en soi et dans les autres etc.

(Trousselard, 2014). On comprend alors qu’il soit source de litige non seulement entre

salariés et employeurs mais aussi au sein d’une même équipe.

Si la résistance au stress varie d’un individu à l’autre, on sait qu’une personne en bonne

santé et ayant une bonne hygiène de vie pourra récupérer plus facilement et rapidement.

21

Comme nous l’avons vu, les émotions positives sont sources de bonheur et sont souvent

stimulées par le rire qui lui-même améliore la résistance de l’organisme au niveau physique :

meilleure tonicité des organes, activation des défenses immunitaires etc. Ainsi, le rire et les

émotions positives permettent non seulement d’évacuer le stress mais aussi d’améliorer sa

résistance et la capacité de récupération du corps face au stress (Trousselard, 2014).

L’humour qui provoque le rire impliquerait donc un effet « bascule » face aux

répercussions négatives du stress sur la santé. Développer un point de vue humoristique sur la

vie et tourner en dérision les problèmes permet de prendre du recul par rapport aux situations

stressantes afin de pouvoir mieux s’y adapter en adoptant un angle de vue différent. Par

conséquent ce nouvel état d’esprit permis par la pratique de l’humour augmente le sentiment

de maîtrise et de bien être face à l’adversité (Fortin, 2004) parce qu’il permet d’avoir un

regard différent sur ses manières de percevoir ou de réagir, ou les deux (Rosenheim, 1974).

D’autre part, l’humour serait une aide à la prise de décision réfléchie et responsable car

il permettrait une meilleure prise de recul face aux situations problématiques et un certain

détachement émotionnel. Selon Raquin (1999) : « Blaguer au sujet des problèmes permet de

trouver plus facilement une solution : après un éclat de rire, on réduit les drames et on prend

de la hauteur pour, au final, voir les choses moins émotionnellement et de façon plus

réfléchie ».

Le concept de bonheur, ayant une relation étroite avec celui du bien-être est

particulièrement étudié aujourd’hui dans le cadre du travail. Yann Trichard, Membre du

Bureau National du Centre des Jeunes Dirigeants en charge des relations extérieures et du

bien-être en entreprise, précise dans l’article de Françoise Keller (2014), « pourquoi

dirigeons-nous des entreprises si ce n’est pour mener à notre échelle des actions susceptibles

de créer un environnement capable de procurer du bien-être à la société ? Car tel est bien le

sens et le but de l’entreprise : permettre à ses parties prenantes de retrouver dans la vision,

dans les produits et services et dans les relations humaines des moyens de satisfaire un besoin

qui les amène à se sentir mieux, plus heureux et plus épanouis.

Le seul moyen pour l’entreprise de parvenir à créer un bien-être réel et ainsi procurer

une expérience nouvelle à ses clients est de s’appuyer sur ses collaborateurs, mis eux-mêmes

dans les conditions permettant leur bien-être » (p. 5). Ajoutons que se sentir d'humeur positive

améliore la capacité de concentration, de structuration et de mémorisation de l'information.

22

Cela accroit la durée et le nombre de connexions neuronales, favorisant la créativité, la

rapidité de pensée et la capacité de résolution de problèmes (Achor, 2010). Ainsi le bonheur

serait un puissant levier de performance (Achor, 2010 ; Keller, 2014). De nombreuses études

ont établi une forte corrélation entre le degré de bonheur des salariés et leur contribution

économique à l'entreprise. Ce phénomène est contagieux notamment au niveau du

management : l'humeur des dirigeants et des managers a un impact direct sur leurs équipes

(Achor, 2010).

C - Humour, cohésion de groupe et identité collective

Selon Marco Sampietro, professeur à l’université Bocconi à Milan, auteur de la thèse

Humor in International Project Teams (2014), développer l’humour au sein de son entreprise

est une opportunité pour le dirigeant de créer une bonne ambiance de travail. Selon lui,

l’humour est favorable à la convivialité et à l’esprit d’équipe, créant ainsi une certaine

homogénéité au sein de l’ensemble du personnel. En effet, ce mode de communication

revalorise les personnalités, au-delà des diplômes ou de la position hiérarchique. (Alliance,

Coaching & Formation, 2013).

D’autre part, un manager sera plus apprécié et respecté s’il utilise l’humour : un sondage paru

dans le magazine l’Entreprise, en février 2011 révèle que « le patron idéal est quelqu’un qui

sait plaisanter avec ses salariés ». Les managers qui utilisent naturellement l’humour seraient

alors perçus comme plus abordables et plus humains. Le manager peut également se servir de

l’humour pour faire passer des messages difficiles. Ce genre d’attitude vise à vivre les

situations plus sereinement, à éviter la frustration ou le conflit (Tricart, 2015).

Ainsi, la finalité de l’entreprise ne se limiterait pas au profit. Selon Frankl (2013), « le sens de

l’individualité se réalise d’abord dans la communauté. Dans cette mesure, la valeur de

l’individu dépend de la communauté. Mais si la communauté elle-même doit avoir un sens,

alors elle ne saurait se passer de l’individualité des individus qui la forment. Le sens de la

communauté se constitue à partir de l’individualité, et le sens de l’individualité à partir de la

communauté ». Il met ainsi en évidence le lien de réciprocité entre les aspirations profondes et

personnelles de l’individu et la finalité poursuivie par l’organisation dont la raison d’être

dépend elle-même du sens recherché par les individus qui la composent. Nous pouvons ici

23

faire le lien avec le besoin d’appartenance (Maslow, 1943) dont nous parlerons plus bas qui

révèle la dimension sociale de l’individu qui a besoin de se sentir accepté par les groupes dans

lesquels il vit.

D’autre part, pour approfondir notre réflexion sur l’importance du groupe, il nous

semble nécessaire de souligner le lien entre les émotions, les pensées et le comportement d’un

individu. Le schéma ci-dessous permet d’avoir une idée de l’influence d’une dimension sur

les deux autres (Strulovici-Kamgang, 2015).

Figure 2: Relations entre les émotions, les comportements et les pensées

(http://www.isk-psy.fr/les-tcc)

Partant du principe que ces trois dimensions sont étroitement liées bien que d’autres

facteurs biologiques puissent rentrer en compte, nous supposons que toute décision de

changement de l’une des dimensions chez un individu entrainera par conséquent le

changement des deux autres dimensions. Par exemple si je décide de modifier un

comportement qui ne me plait pas il me faudra changer une partie de mon mécanisme de

pensées et savoir reconnaitre une émotion qui générerait éventuellement une réaction

excessive de ma part. De la même manière, si je souhaite transformer mes émotions négatives

en émotions positives de façon à changer le rapport que j’ai avec une situation donnée et me

sentir mieux avec moi-même, mon mécanisme de pensées se verra transformé et mes

comportements corrigés.

Par conséquent, toute modification de l’une de ces variables se verra accompagnée de

changements au sein d’un groupe : mon rapport à l’autre et à l’environnement sera différent et

la manière dont je me percevrai et dont les autres me percevront évoluera.

A partir de ce constat et connaissant l’influence de l’humour sur un individu, nous

pouvons affirmer que ce dernier est probablement un outil puissant qui permettrait un

24

changement d’état d’esprit qui donnerait lieu à un éventuel changement d’attitude et

permettrait de se sentir d’humeur positive (par exemple la prise de recul ou un meilleur

contrôle sur une situation donnée) (Morreal, 1991 ; Meyer, 1997 ; Dixon, 1980).

Si l’humour est capable d’opérer des changements d’attitudes chez un individu, il aurait

par conséquent le don de désamorcer des situations conflictuelles, de détendre une

atmosphère, de créer un consensus, d’augmenter l’esprit d’équipe et sa cohésion en faisant

passer une information de manière plus ou moins subtile qui générera le rire, ce dernier étant

fédérateur, provocant notamment un sentiment d’appartenance, sinon à l’entreprise, tout au

moins à l’équipe (Dunkan et al. 1990). On parle d’humour utilisé pour « rendre le travail plus

acceptable » ou « moins ennuyeux » (on note les visions noires de la notion de travail), ou

tout aussi bien pour faire passer des messages qu’il serait, pour les collaborateurs, difficile à

faire accepter. L’humour, (en supposant qu’il soit bien utilisé) peut être le vecteur de

management du changement (Dunkan, op. cit.).

Comme vu précédemment, l’humour participerait à la construction du bonheur. Il

soutient la construction de la cohésion d’un groupe et améliore la communication (Meyer,

1997). Cooper (2008) ajoute que l’utilisation de l’humour dans les organisations influence les

relations hiérarchiques qu’elles soient de type vertical ou horizontal puisqu’il facilite les

échanges.

Ainsi, pour revenir au monde du travail qui nous intéresse dans cette étude, l’humour

favoriserait les relations sociales entre collègues et par conséquent augmenterait le bien-être

au travail (Morreal, 1991). Si nous reprenons la pyramide de Maslow, nous nous situons dans

l’étape 3 du processus de motivation d’un individu: le besoin d’appartenance.

Figure 3: Pyramide de Maslow (1943)

25

Par ailleurs, les différents types d’humour employés au travail permettent de réduire les

différences de statuts dans la hiérarchie d’une organisation (Vinton, 1989) et la grande

utilisation de l’humour par les « superviseurs » a des répercussions sur la satisfaction au

travail des employés (Decker 1987). Ainsi, selon nous, cela nous conduirait à nous situer dans

l’étape 4 (besoin d’estime), voire 5 (besoin de s’accomplir) de la pyramide de Maslow. Par

conséquent, l’humour permettrait d’accroître la motivation des individus, cette chère

motivation nécessaire au bien être des collaborateurs, à la réalisation des objectifs mais aussi

à l’image que renvoie l’entreprise à ses parties prenantes. Ainsi l’humour étant source de

motivation, contribuerait à sa manière à la construction d’un climat social dans l’entreprise.

Enfin, lorsqu’il est bien perçu, l’humour améliorerait la communication entre les

collaborateurs ou avec les clients. Les très bons commerciaux auraient un fort sens de

l’humour (Tricart, 2015). Antoine Riboud, le fondateur de Danone considère même l’humour

comme un « art de la séduction » bien utile dans le cadre de la négociation : « la règle de base

de la négociation est de mettre à l’aise les gens pour les déconcentrer ». L’humour permettrait

alors d’instaurer un climat de détente et de confiance avec son client. Ce procédé porte un

nom aux Etats-Unis, on parle de « l’ice-breaking ». Sous la forme d’une activité, d’une

blague, d’un jeu ou d’une courte vidéo, le speaker d’une conférence ou le commercial lors

d’un premier rendez-vous, cherche à briser la glace face à un public inconnu. Cela permettrait

de détendre l’atmosphère et de mettre à l’aise tout le monde ainsi que d’accélérer la relation

entre les interlocuteurs (Boussuat, Lefebvre, 2015). Le psychothérapeute Bernard Raquin

(1999) confirme : « Présenter les choses avec humour rend moins menaçant et plus

sympathique ».

26

II - Humour et autres intentions

Il est cependant important de préciser que l’humour peut prendre différentes formes,

qu’il n’est pas perçu de la même manière en fonction des individus et que, parfois, il peut ne

pas faire rire. Bien que les individus y adhèrent de façon presque naturelle, il est important de

ne pas en négliger les risques (Autissier & Bensebaa, 2011). Car l’humour n’est pas que

d’ordre intellectuel mais aussi d’ordre affectif : pour rire, il ne suffit pas de comprendre, il

faut « adhérer affectivement » (Cahen, 1995).

Parce qu’« on peut rire de tout mais pas avec n’importe qui » (Desproges), il est

important de définir les limites de l’humour au travail. Ces limites sont remarquables à

plusieurs niveaux selon Autissier & Bensebaa (op. cit.):

L’humour a parfois un caractère offensant,

L’humour concernerait la remise en cause de l’autorité des managers et de leur

crédibilité,

Le manque de contextualisation de l’humour, les différences culturelles, les parcours

des uns et des autres peuvent ainsi conduire à de l’incompréhension entre les

interlocuteurs.

Nous allons revoir ces différentes limites de l’humour, la troisième nous permettra de

développer notre proposition en partie III de cette revue de littérature ainsi qu’une partie de

notre proposition d’étude terrain.

A - L’humour a parfois un caractère offensant

Selon Hobbes (Wiseman, 2009) l’humour serait « la manifestation de l’orgueil, de la

vanité et du mépris des autres ». Ce philosophe considère que l’objectif du rire est de montrer

du doigt. Ses idées s’inscrivent dans le cadre de la théorie de supériorité où le rire serait

associé au mépris : nous rions des faiblesses d'autrui. La théorie de supériorité remonterait en

fait à l'Antiquité. Platon décrit le rire comme étant indigne de l'Homme, alors qu'Aristote

l'associe à la laideur : « La plaisanterie est une injure pleine d’esprit, et cette injure est la

disgrâce d’autrui pour notre propre divertissement ».

27

La théorie du sentiment de supériorité et de dégradation du risible est soutenue par

différents penseurs comme Paul Scudo (Wiseman, 2009) : « Le rire est provoqué par la vue

d’une imperfection dont nous nous croyons exempts; en riant nous manifestons notre

supériorité relative, et nous blessons l’amour-propre des autres. On rit toujours aux dépens de

quelqu’un ».

On peut observer ce phénomène au théâtre avec les pièces de Molière comme L’Avare

ou Le Malade imaginaire qui se moquent des laideurs de l’homme : l'orgueil, la vanité,

l'avarice, l'hypocrisie… Cette théorie met en avant le fait que toutes laideurs physiques,

intellectuelles, morales, sociales chez autrui ou le sujet rieur sont risibles. « Le rieur

exprimerait un plaisir lié à un sentiment soudain de supériorité vis-à-vis de l’objet devenu

risible car dégradé et dévalué. » (Chabanne, 2013).

Selon Tricart (2015), l’humour a plus de chances d’être blessant s’il vise la personnalité

ou l’intimité de l’individu. Un manager qui abuse de ce genre d’humour peut facilement

perdre sa respectabilité.

Un certain nombre de personnes peuvent se souvenir de situations désagréables quand

on a ri à leurs dépens (Autissier & Bensebaa, 2011). Maples (2011) précise que ce qui peut

paraître drôle à une personne peut en fait susciter des émotions négatives à d’autres. Dans

l’article The use of Humor in the Workplace (Romero et Cruthirds, 2006) nous identifions

que l’humour peut être offensif tant sur la forme que sur le fond et, par opposition à ses effets

de cohésion sociale vus plus haut, il peut aussi séparer. Il peut être le témoignage d’un

comportement déviant : le pervers narcissique dont parle Hirigoyen (1998 ; 2012) utilise

volontiers l’humour comme une arme destructrice. D’ailleurs, dans le cadre du harcèlement

moral intentionnel (pas nécessairement de la part d’un pervers narcissique) l’humour de

moquerie sert à isoler une personne, avec pour objectif de la faire craquer et partir.

On parle parfois aussi d’humour négatif qui est défini par l’auteur du site Riskhapiness

comme « toute blague ou quelque chose qui passe pour de l'humour dit au détriment d'un

autre, d’une organisation, d’une entreprise ou tout autre groupe de personnes humaines ».

L’humour négatif peut réduire la satisfaction et l’engagement des employés, il peut parfois

même aller jusqu’à dégrader le climat de travail (Susa, 2002). Lorsque l’humour négatif est

régulièrement utilisé il peut mettre en jeu l’autorité des chefs, engendrer du cynisme entre les

membres de l’organisation mais aussi les éloigner entre eux puisqu’il renforce les différences

28

de pouvoir et de statuts en excluant certains individus et en en offensant d’autres (Tremblay et

al., 2009). Les conséquences se font directement ressentir sur la motivation des employés et la

qualité de leur travail. Connaissant le lien étroit entre le climat de travail et la performance

d’une organisation, nous pouvons avancer que l’utilisation de l’humour négatif peut être

particulièrement nuisible sur le long terme à la pérennité d’une entreprise.

L’humour que l’on qualifie d’agressif peut être utilisé pour victimiser, rabaisser ou

encore dénigrer (Zillman, 1983). Ce style d'humour est compatible avec la théorie de

supériorité qui avance que certaines personnes se sentiraient mieux lorsqu’ils rabaisseraient

les autres puisque cela leur permettrait d'atteindre ou d’avoir l’impression qu'ils ont atteint un

rang ou un statut plus élevé (Frenkel-Brunswick, 1954 ; Pareto, 1980).

Par ailleurs l’humour peut être offensif selon ce qu’il contient. Gaël Brulé (2014), dans

son article « Dominateur, protecteur ou néguentropique ? Lecture transnationale de

l’humour », distingue deux types d’humour offensifs qui touchent aux différences

individuelles : l’humour sexiste/ machiste et l’humour raciste (en référence à l’ethnie donc).

Ils contribuent à leur façon à dénigrer une personne ou un groupe de personnes dans le but de

favoriser un sentiment de supériorité vis-à-vis d’une catégorie d’individus différente de la

sienne (Frenkel-Brunswick, 1954 ; Brulé, 2014).

La maladresse est une autre forme d’humour à caractère offensant ; Cooper (2005)

suggère qu’il faut y apporter du tact car la maladresse arrive vite lorsque l’on utilise l’humour

pour flatter. C’est un bon moyen d’obtenir de la motivation, mais très vite on peut obtenir

l’inverse ; on recherche une complicité mais on peut trouver des réticences, rien que le

soupçon de manipulation…

B - L’humour comme outil de défense

Que l’humour puisse parfois être agressif laisse entrevoir la fonction cathartique et

défensive du rire, qui permet de mettre à distance les affects agressifs et douloureux de par le

pouvoir de distanciation qui lui est propre (Pasqueron de Fommervault, 2012). Les actes

terroristes perpétrés contre le journal satirique Charlie Hebdo en janvier 2015 sont un

excellent exemple pour illustrer le caractère défensif de l’humour : les dessinateurs du journal

prenaient de la distance face aux problèmes de société, caricaturant les tensions sociétales,

29

politiques et religieuses à l’ordre du jour pour les surmonter. Pour l’auteur, il est question ici

du « rire pour ne pas pleurer» qui s’observe dans certaines sociétés en situation de crise

sociale : dans un tel contexte, le rire devient un mécanisme de défense, il est un exutoire.

Selon le DSM IV (American Psychiatric Association, 1995, p. 875), l’humour est

répertorié comme l’un des 31 mécanismes de défense en tant que « processus psychologiques

automatiques qui protègent l’individu de l’anxiété ou de la perception de dangers ou de

facteurs de stress internes ou externes ». Dans cette optique, l’humour y est défini comme

le « mécanisme par lequel le sujet répond aux conflits émotionnels ou aux facteurs de stress

internes ou externes en faisant ressortir les aspects amusants ou ironiques du conflit ou des

facteurs de stress ». Il permettrait de s’adapter de manière optimale aux facteurs de stress.

Martin (2004), insiste sur la valeur ajoutée de l’humour qui permet une prise de distance face

au vécu de circonstances stressantes ; l’humour rend ainsi à l’acteur menacé son sentiment de

prise de recul par rapport à la situation.

L’humour, selon Freud (Chabanne, 2002), est un mécanisme de défense. Il nous permet

l’économie d’une émotion pénible. En d’autres mots, l’humour nous permet de court-circuiter

une douleur psychique. Le rire peut alors être un moyen de détente et de désamorcer les

tensions. La théorie psychophysiologique ou théorie de la décharge (Freud, 1905) explique le

rire par le passage soudain d’un état psychique intense à un autre beaucoup plus « relâché » :

ce contraste brutal provoquerait le rire par un phénomène de « débordement énergétique

bloqué sur le plan psychique et dont le surplus s’écoule par la voie comportementale, facio-

respiratoire du rire ». Le rire permettrait donc de libérer une tension, un surplus d'énergie

psychique mobilisé auparavant et devenu dorénavant inutile. Rire correspondrait alors au

plaisir de « l’épargne de l’effort psychique […] nécessité par l’inhibition ou la répression »

(Chabanne, 2002). Ainsi, le rire permet de se défouler, de relâcher les tensions imposées par

les codes et les conventions. Selon Freud, il implique également une certaine régression, avec

un retour vers l'enfance.

En entreprise, l’humour peut alors être un outil utile et efficace dans les moments de

crise, qui exigent des adaptations, des efforts, des changements voire parfois des sacrifices de

la part des salariés. Selon Tricart (2015), « le rire et l’humour peuvent alors jouer le rôle de

psy réconfortant ; Ils dédramatisent, soulagent les angoisses et fédèrent le personnel,

diminuant le risque de « guéguerres » au sein d’une même équipe ou entre les services ».

30

En s’intéressant à la fonction défensive de l’humour nous pouvons facilement établir

une relation avec le caractère subversif que celui-ci peut avoir et ainsi en conclure que

l’humour serait un outil permettant de remettre l’autorité en cause en évitant, minimisant des

sujets abordés, en remettant en question l’ordre établi en décrédibilisant l’autorité et la

légitimité des détenteurs de pouvoir. C’est bien pourquoi l’humour dans le cadre du travail

peut facilement sembler subversif comme nous allons le développer ci-après.

C - L’humour comme remise en cause de l’autorité

Si l’humour est un mécanisme de défense, il peut également être utilisé pour dénoncer

ou tourner en dérision des problèmes de société par exemple.

Ce procédé n’est pas récent. La commedia dell’arte, qui apparait au XVIe siècle en

Italie se sert de personnages caricaturaux pour représenter avec drôlerie la société qui les

entoure. Le grand Rabelais pousse très loin la satire avec Gargantua. Les ennemis de

l’humanisme sont raillés et discrédités tout au long du roman. Rabelais se sert alors du rire

pour sa double dimension argumentative et critique. Dans un autre registre, Voltaire, entre

1694 et 1778, écrit des pièces (Candide ou Zadig) dans lesquelles l’humour est utilisé pour

décoiffer la société et les monarques (Chabanne, 2002).

C’est principalement au XIXe siècle que la presse satirique se développe, utilisant

l’humour jusqu’à devenir une « arme démocratique face aux bouleversements et à

l’exploitation ouvrière » (Tricart, 2015). L’humour satirique connait son âge d’or au XXe

siècle avec les dessins humoristiques et des journaux comme l’hebdomadaire Le Canard

enchainé. En Mai 68 et dans les années qui suivent, l’aspect contestataire de l’humour est

souligné avec les journaux satiriques Hara-Kiri, Charlie Hebdo et leurs dessinateurs Reiser,

Cabu… Mais dans les années 2000, l’humour semble s’être assagi. Comme le souligne Tricart

(2015), la censure, le poids de l’économie, la peur du lendemain, du chômage…ont

« emmitouflé cet art dans du politiquement correct et dans la fantaisie sage ».

Pour en revenir aux attaques contre le journal satirique Français, il faut se rendre à

l’évidence que l’humour n’a pas uniquement l’amusement ou le rire comme effet. C’est un

fait, les caricatures publiées par l’équipe de ce journal se voulaient moqueuses et

transgressives envers des autorités politiques, religieuses ou sociales sous couvert de la liberté

31

d’expression. Ici l’humour remplissait une fonction libératrice puisqu’il permettait de dénouer

une certaine tension que provoquaient les sujets de société (islamisation, mariage

homosexuel, propos du Pape, déboires des politiques, conflit Israélo-Palestinien, etc.).

L’humour peut donc servir d’exutoire et Bergson (1900, p. 83) d’ajouter que « le rire

châtie certains défauts à peu près comme la maladie châtie certains excès. ». Ainsi, sous le

mode de la dérision, l’humour rend supportable l’insupportable et donne ainsi à l’individu une

supériorité qu’il n’avait pas (Pasqueron de Fommervault, 2012).

Dans l’essai Désobéir par le rire, les auteurs du collectif Les Désobéissants (2010),

stipulent que « (…) si le rire joue un rôle de catharsis permettant l’évacuation de la colère, de

la frustration ou de la souffrance, et donc des pulsions de violences que nous éprouvons dans

certaines circonstances », ce en quoi il désamorce les risques d’affrontements ou de conflits, il

ébranle aussi l’autorité, remet en cause le consensus lénifiant et « ruine en peu de mots, de

gestes ou de symboles les stratégies de communication manipulatrices et coûteuses des

détenteurs du pouvoir». L’idée principale de l’essai est de présenter l’humour comme une

arme politique à forte portée subversive, capable de remettre en question l’ordre établi, mais

aussi d’éroder l’autorité, la crédibilité, voire la légitimité des détenteurs du pouvoir à travers

les abus auxquels ils pourraient se livrer (Savatier, 2010). Il s’agit bien pour certains acteurs

de l’entreprise, non reconnus socialement comme ayant un « statut », de retrouver une identité

par le biais de la moquerie envers les managers. C’est l’humour de résistance, qui génère,

plutôt qu’une dynamique positive pour l’entreprise, une contre-culture qui peut être

dommageable.

32

III - Humour et contexte

Comme tous les modes de communication, l’humour obéit à certains mécanismes et

règles. Les théories intellectualistes (théories du contraste et de l’incongruité), essentiellement

soutenues par Kant et Schopenhauer, expliquent le rire par le caractère incongru de la

situation : l’individu rit par surprise suite à une absurdité ou à une contradiction qu’il

n’attendait pas. Selon Kant, c’est principalement ce changement brutal et ce contraste qui

provoqueraient le rire : le rire serait « une émotion qui résulte du soudain anéantissement de la

tension d'une attente » (Chabanne, 2002).

On peut citer quelques exemples de mécanismes qui provoquent le rire :

- La chute de la phrase est imprévue : on s’attend à quelque chose mais la chute est

toute autre,

- La déformation de la réalité : principe des caricatures par exemple,

- L’exagération : les mimiques de Louis de Funes par exemple,

- Les allusions et quiproquos : humour burlesque ou loufoque,

- La répétition : par exemple dans les films de Charlie Chaplin.

Mais l’humour est toujours à replacer dans un contexte. Comme nous l’avons vu, ses

retombées ne sont pas toujours positives. On peut alors se demander s’il y a des contextes ou

des variables qui influencent et déclenchent le rire « positif » et notamment en entreprise.

Outre l’importance du cadre, on peut également s’interroger sur l’influence du « profil » des

individus : les hommes et les femmes apprécient-ils des blagues différentes ? Les habitants

des différents pays s’amusent-ils des mêmes choses ? Les jeunes rigolent-ils plus ? L’humour

est-il un trait de personnalité ? Notre sens de l’humour change-t-il avec le temps ? Peut-on rire

de tout ?

En 2001, Wiseman, psychologue et prestidigitateur britannique, a eu l’idée folle de

mener un projet de recherche sur la blague la plus drôle du monde, projet soutenu par

l'association britannique pour le progrès des sciences. Il s’agissait d’une étude en ligne, sur un

site internet (le LaughLab, le labo du rire) sur lequel les internautes étaient invités à proposer

leurs blagues mais aussi à noter celles déjà en ligne. Sur son blog, Wiseman explique que les

internautes étaient interrogés sur leur âge, leur sexe et leur origine géographique afin de

déceler d’éventuelles similitudes / préférences entre différentes catégories de gens. Ce projet

33

fit parler de lui dans le monde entier, plus de 40 000 blagues furent publiées et il recueillit

plus de 1,5 million de votes ! Seules les blagues déplacées, qui ne convenaient pas à un public

familial étaient exclues. La notation allait de 1 à 5 : de « pas très drôle » à « très drôle ».

Les résultats des différentes études menées dans le cadre du Laughlab (Wiseman, 2009)

semblent confirmer la théorie de la supériorité : les blagues les mieux notées avaient toutes un

point commun : elles créaient un sentiment de supériorité chez le lecteur. Une étude de 1976

demandait aux gens de décrire des personnages comiques et les adjectifs les plus fréquents

étaient « gros », « difforme », «stupide ». Sur le site du LaughLab, en moyenne 15% des

femmes appréciaient les blagues qui raillaient les femmes contre 50% des hommes. La théorie

de la supériorité se vérifie également au niveau culturel : par exemple les Anglais se moquent

traditionnellement des Irlandais ou les Français des Belges… Selon Wiseman (2009), « Dans

tous les cas, il s’agit de groupes qui tentent de se divertir aux dépens d’un autre ».

Après 5 ans d’étude et de mise en ligne, le LaughLab révélait la blague la plus drôle du

monde, c’est-à-dire la mieux notée par les internautes, jugée à 55% d’entre eux comme

« drôle » :

« Deux chasseurs sont dans les bois quand l’un d’entre eux s’écroule. Il n’a pas l’air

de respirer et ses yeux sont vitreux. L’autre chasseur attrape son téléphone et appelle les

secours : « Mon ami est mort ! Que dois-je faire ? » L’opérateur répond : « Calmez-vous, je

vais vous aider. Tout d’abord, assurez-vous qu’il est bien mort ». Un silence, puis on entend

un coup de feu. Le chasseur dit : « C’est fait. Et maintenant ? »

Wiseman a demandé au psychiatre anglais Gurpal Gosall son analyse. Il a déclaré :

« Elle leur remonte le moral parce que cela leur rappelle qu’il y a toujours quelque part

quelqu’un de plus stupide qu’eux-mêmes. » Nous en revenons une fois de plus à la théorie de

la supériorité.

En général, quand nous définissons un groupe d’individus qui partagent nos vues et

notre sens de l’humour, nous caractérisons les autres comme des « outsiders » ce qui peut

relever de l’offense ou de l’exclusion et constituerait un des dangers de l’humour (Terrion et

Ashforth, 2000). Nous venons de décrire, dans les chapitres précédents, certaines fonctions de

l’humour: sociales – dynamiques de groupe ; individuelles – santé, créativité, concentration,

efficacité ; notions de bien-être au travail et ses répercussions sur la relations clients… Il nous

34

semble que nous devrions plus insister sur la contextualisation, puisque l’humour, lorsqu’il est

intentionnel, tisse les liens ou alors sépare.

D’autre part, il nous semble important de faire un point sur le processus de la

perception puisqu’il fait partie intégrante du mécanisme de communication. Il influence le

comportement de chaque individu (Brunet, 1974) et par conséquent la manière dont est reçu

ou compris l’humour et cela va avoir une répercussion directe sur la réaction d’une personne

face à un type ou une forme d’humour utilisé.

Le processus de perception est un processus d'attribution de sens aux messages reçus et

événements vécus. La perception est influencée par le profil de l’individu (personnalité, âge,

culture…), par son état d’esprit du moment, par son rôle et sa compréhension des

communications antérieures dans un même contexte (Brunet, 1974). Les individus

interprètent leur environnement afin de répondre de manière appropriée mais parfois, la

complexité des milieux peut rendre impossible le traitement de toutes les informations. Ainsi

on a tendance à développer des raccourcis pour traiter cette information ce qui entrainent

parfois des erreurs de perception (The McGraw-Hill Companies, 2011).

The

(McGraw-Hill Companies, 2011, highered.mheducation.com/sites/dl/.../perception.ppt)

Si la perception est l’un des facteurs responsable du comportement d’un individu il

nous semble indispensable que, dans le cadre de l’utilisation de l’humour, il y ait une

contextualisation pour éviter le plus possible une mauvaise interprétation de l’information et

par conséquent des comportements surprenants ou déstabilisants. Bien que la

contextualisation ne suffise pas à la compréhension de l’humour par tous, elle est

probablement un premier pas vers l’interprétation la plus juste possible des informations.

Figure 4 : Processus de perception (2011)

35

A - L’humour, une question de perception

Nous l’avons vu, l’humour n’est pas utilisé et perçu de la même manière par tous les

individus. Notre éducation, nos expériences personnelles, nos croyances, notre personnalité et

de multiples facteurs influencent la manière dont tout un chacun perçoit le monde et réagit

face à l’humour. Selon Priego-Valverde (2003 :15), « chaque individu semble (…) avoir un

seuil de tolérance à ne pas franchir et qui concerne aussi bien les thèmes tournés en dérision

(tout le monde n’apprécie pas l’humour noir ou l’autodérision par exemple), que la fréquence

et les moments où l’humour peut ou non faire son apparition».

Comme nous l’avons dit, l’humour est indissociable du contexte et de la situation dans

laquelle il intervient. Ainsi, on peut s’interroger sur le « qui » en fonction de la personnalité et

de la perception de l’individu. Selon Bougerol (2010, 2011) professeur à l’université Joseph

Fourier de Grenoble, la personnalité permet à l’individu de « sentir, percevoir, penser et agir »

et influencerait donc en grande partie la perception et le comportement de l’individu.

D’ailleurs certains outils de développement personnel comme le Myers Briggs Type

Indicator (1980), ou l’outil de Process Communiation (Kahler, 2010) mettent en évidence ces

différences de perception du monde en fonction du profil de personnalité de l’individu et

encouragent à découvrir les perceptions des autres profils sienne pour comprendre les

mécanismes étrangers aux siens afin de se projeter et de pratiquer la métacommunication pour

de meilleurs rapports aux autres.

La Process Com a été développée dans les années 70 par l’américain Taibi Kahler

Docteur en psychologie. Ses études ont été subventionnées par la NASA pour recruter les

astronautes. Ses travaux ont été récompensés par le prix Eric Berne. Aujourd’hui, plus d’un

million de personnes ont été formées à la Process Com dans le monde.

Ce modèle a pour principal objectif de découvrir et comprendre sa propre personnalité

et celle des autres (Casanova, 2014). C’est un outil utile en termes de management de

communication. Il permet pour chaque profil, de connaitre et comprendre :

- Les besoins fondamentaux de l’individu

- Ses points forts / comportements sous stress (aux premiers et seconds degrés de stress)

- Le mode de perception / canal de communication privilégié

- Ce qui le motive

- Environnent préféré

36

- Styles de management privilégié

Si la personnalité influence la perception de l’individu, elle a par conséquent un impact

sur l’humour qui dépend lui-même de la perception de l’individu.

On peut définir la personnalité comme étant « l’ensemble structuré des dispositions

innées et des dispositions acquises sous l’influence de l’éducation, des interrelations

complexes de l’individu dans son milieu, de ses expériences présentes et passées, de ses

anticipations et de ses projets » (Sillamy, Dictionnaire de Psychologie, 2010). Cette définition

met en évidence l’influence du contexte dans lequel évolue l’individu sur la construction de sa

personnalité. Elle est influencée d’une part par l’hérédité de l’individu (caractéristiques

physiques, sexe) et par son environnement (facteurs culturels, milieu social, facteurs

conjoncturels, expérience…).

La personnalité se construit tout au long de la vie d’un individu, mais, d'après la

psychanalyse, plus particulièrement pendant les onze premières années de la vie. Selon Freud,

les trois instances de la personnalité, le ça, le moi et le surmoi, existeraient dès l’origine. Le

ça correspond aux dispositions héréditaires et à « l’énergie pulsionnelle ». Le surmoi se

constitue par l’intériorisation de tout ce que l’éducation apporte à l’enfant (les interdits, les

valeurs morales et leur hiérarchie). Le « moi » sert de « médiateur » entre le « ça » et le

« surmoi » et adapte la personnalité à la réalité extérieure. (Sillamy, Dictionnaire de

Psychologie, 2010). Mais la personnalité est-elle pour autant prédéterminée et définitive ?

Il existe de nombreuses théories sur les origines, le développement ou la dynamique de

la personnalité. Notons les théories de l’apprentissage ou du conditionnement (Pavlolv,

Watson) qui insistent sur l’évolution de la personnalité en fonction du contexte. Selon eux,

c’est la répétition d’épreuves qui serait à l’origine du processus d’apprentissage de l’individu.

Les individus, une fois l’apprentissage « intégré », répéteraient alors un certain schéma de

comportement dans des situations similaires. (Sillamy, 2010).

On peut considérer l’humour et le fait de rire comme une forme de comportement à part

entière. Alors quel est le lien entre la personnalité et le comportement et potentiellement, la

propension d’un individu à rire ? L’humour est-il un trait de personnalité ?

Le schéma ci-après résume bien les différentes influences qui peuvent s’exercer sur le

comportement : si la point de départ est bien la personnalité, c’est aussi la perception de

37

l’environnement extérieur et la motivation qui vont influencer le comportement et donc le

rire.

Source : Né, I. (2015).Présentation PowerPoint « Personnalités, émotions et comportements

sous stress », cours GEM,

On sait qu’une personne stressée réagit moins bien à l’humour. Car si l’humour est

favorable au bien-être, le bien-être est également indispensable pour faire fonctionner tous ses

neurones et utiliser l’humour. Un corps fatigué, des muscles à l’arrêt altèrent notre efficacité à

faire rire (Tricart, 2015). Etre en bonne santé physique et mentale développe notre écoute à

l’autre et améliore donc notre réceptivité à l’humour.

On peut alors s’interroger sur le lien entre la personnalité et la résistance au stress :

certaines personnalités sont-elles plus sensibles au stress ? Pourquoi certains semblent

parfaitement le gérer tandis que d’autres semblent se laisser envahir et contrôlé par leurs

émotions ? Cela s’explique-t-il par la personnalité ? S’il semble difficile de répondre à ces

questions, on peut néanmoins s’intéresser aux différents comportements de réaction au stress.

Le test de personnalité Process Comm a identifié un certain nombre de comportements sous

stress pour chaque profil de personnalité (processcommunication.fr).

Figure 5: Influences sur le comportement

38

Dans le cadre de la personnalité et de son influence sur la résistance au stress et

l’humour, on peut s’intéresser au « quotient émotionnel » de l’individu (Mayer & Salovey,

1997 ; Dorn, 2009), à savoir son « habileté à percevoir et à exprimer les émotions, à les

intégrer pour faciliter la pensée, à comprendre et à raisonner avec les émotions, ainsi qu’à

réguler les émotions chez soi et chez les autres ».

Goleman, Baron et Petrides & Furnham considèrent l’intelligence émotionnelle non pas

comme une forme d’intelligence parmi d’autres mais comme un ensemble de traits de

personnalité (Dorn, 2009). Goleman (1995) définit lui-même l’intelligence émotionnelle

comme étant composée de cinq aptitudes : « l’empathie, l’aptitude à se motiver ou à

persévérer dans l’adversité, à maîtriser ses pulsions et à attendre avec patience la satisfaction

de ses désirs, la capacité de conserver une humeur égale et de ne pas se laisser dominer par le

chagrin au point de ne plus pouvoir penser, et la capacité d’espérer ».

Si l’humour permet à l’individu d’affirmer son identité il aurait alors un caractère social

qui a toujours fait consensus car il est conçu comme l’expression d’un état émotionnel de joie,

de supériorité, d’agressivité ou encore d’incongruité (Dunkan et al., 1990 ; Pasqueron de

Fommervault, 2012). Ainsi le rire génère des émotions humaines et ces dernières sont

déclenchées par la perception que nous avons des situations et événements qui nous entourent

- la perception ayant comme fondation nos croyances - (Thibodeau, 2002). Il nous parait donc

évident et nous l’avons tous surement déjà expérimenté, que même au sein d’une famille, la

réaction face à l’utilisation de l’humour ne sera pas la même en fonction des individus.

La famille étant le berceau de la société puisque c’est en son sein que l’on y grandit et

que l’on y expérimente la vie, nous en concluons que les perceptions des individus face à

l’humour seront toujours différentes et multiples et qu’au-delà de nos croyances, elles seront

marquées par notre culture qui, selon le Larousse (2015) se définit comme :

- L’ensemble des phénomènes matériels et idéologiques qui caractérise un groupe

ethnique ou une nation, une civilisation par opposition à un autre groupe ou à une autre

nation,

- Un ensemble de signes dans un groupe social, caractéristiques du comportement de

quelqu’un qui le différencie de quelqu’un appartenant à un autre groupe social.

39

Ainsi on peut se demander si l’âge de l’individu influence sa perception du fait d’un

certain décalage au niveau des expériences vécues. Par exemple un jeune adolescent n’aura

pas vécu les mêmes expériences qu’un quinquagénaire même s’il parait difficile d’analyser et

de généraliser les perceptions des individus en fonction de leur âge. D’ailleurs, on trouve très

peu d’écrits à ce sujet. On sait seulement que certaines dispositions sont favorables au

rire comme par exemple la flexibilité ou la détente pour plus de détachement et d’autodérision

(Tricart, 2015). Cependant, il parait difficile d’affirmer que les adolescents sont plus

« flexibles » que leurs parents (peut-être plus détendus ?). D’autre part, le rire à un aspect

libérateur, il sort des cadres préétablis : en ce sens, on comprend qu’il soit largement utilisé

dans la communication de l’adolescent (Raquin, 1999).

On peut également s’interroger sur l’influence (ou non) du sexe sur la perception de

l’individu et son rapport à l’humour. Dans son ouvrage, Tricart (2015) cite différents auteurs à

ce sujet : La Québécoise Lucie Joubert affirme « l’homme fait des blagues pour séduire la

femme, la femme en rit pour plaire à l’homme et lui indiquer qu’elle est en train d’être

séduite ». L’humour serait alors un mode de séduction implicite avec des codes. Mais il serait

moins bien perçu lorsqu’il viendrait des femmes : « une femme qui se met à user de l’humour

inverse le scénario, prend les commandes et déstabilise l’homme ».

Selon les études menées par le Docteur Wiseman, les hommes racontent plus de

blagues que les femmes. Cette différence a été constatée dans de nombreux pays et s’observe

même chez les enfants. Selon lui, cela peut s’expliquer par le fait que les femmes éviteraient

les blagues par crainte d’une éventuelle connotation sexuelle ou violente. Il donne également

une explication liée au statut social : traditionnellement les femmes ont un statut social moins

élevé et seraient plus habituées à rire des blagues plutôt que d’en raconter. Selon Wiseman

(2009) : « les personnes jouissant d’un statut élevé racontent généralement plus de blagues

que les personnes situées au bas de l’échelle sociale ». Il note toutefois une exception pour

l’autodérision, davantage utilisée par les personnes issues de milieux modestes. Une étude

menée sur des humoristes a montré que 63% des textes de femmes incluaient l’autodérision

contre 12% pour les hommes…

40

B - Humour et culture d’entreprise

Schein (2010) définit la culture d'entreprise comme “un ensemble de prémisses et de

croyances partagées que le groupe a appris au fur et à mesure qu'il a résolu ses problèmes

d'adaptation externe et d'intégration interne, qui a fonctionné suffisamment bien pour qu'il soit

considéré valide, et par conséquent est enseigné aux nouveaux membres comme la manière

appropriée de percevoir, de penser et de ressentir par rapport à ces problèmes”. Il s’agit donc

d’une notion fortement liée à l’histoire de l’entreprise, à ses valeurs, et aux personnalités qui

l’ont façonné. L’auteur distingue trois niveaux d’éléments qui constituent cette culture

d’entreprise:

- les artefacts: tous les aspects visibles qui caractérisent une entreprise, comme

l’habillement, le vocabulaire utilisé, les comportements observables, les blagues, les

mythes fondateurs,

- les valeurs: les stratégies et objectifs diffusés par le management et la direction de

l’entreprise,

- les prémisses: les croyances, elles sont l’essence-même de la culture d’entreprise,

beaucoup plus difficilement observables et jamais remises en cause.

(Delemotte, 2011)

Figure 6: Les trois cercles de la culture d'entreprise de Schein (2011)

41

Selon la deuxième définition de culture du Larousse et regardant le thème de notre

étude, il nous semble cohérent de parler de culture d’entreprise. Comment l’humour

intervient-il dans les entreprises ? Quels avantages tire-t-on de l’utilisation de l’humour en

entreprise ?

Dunkan et al. (1990) notent que la recherche sur l'humour dans les organisations s’est

concentrée sur quatre grandes questions : la cohésion du groupe, la communication dans les

paramètres du groupe, la culture organisationnelle et le leadership, le pouvoir et le statut des

relations. L’analyse indique que l'humour peut favoriser un sentiment de communauté,

comme quand une blague est partagée et peut favoriser l’assimilation et le partage des

apprentissages, comme lorsqu’une blague est utilisé pour tester ou transmettre une

interprétation. En tant que tel, l'humour peut être considéré comme un moyen de créer et de

maintenir l’organisation ou la culture du groupe mais aussi comme un stimulus culturel et un

lubrifiant culturel (Trice & Beyer, 1993).

La mondialisation et le libéralisme qui l’accompagne ont provoqué l’accroissement de

la diversité sur le lieu de travail. Cela peut être non seulement une source de nouvelles idées,

mais aussi une source de conflit (Romero & Cruthirds, 2006) si le changement n’est pas bien

géré, si les processus d’intégration ne sont pas adaptés et inefficaces. Il est bon de pouvoir à

cet instant se rappeler que « le rire est le propre de l’homme » écrivait Rabelais dans

Gargantua et qu’il améliore la flexibilité mentale, favorise la tolérance devant la nouveauté, la

tolérance a l’ambiguïté et au changement, il facilite la pensé divergente comme la créativité à

l’heure de résoudre des problèmes (Morreal, 1991).

Par ailleurs, sur un lieu de travail, les professions étant diverses et variées, nous faisons

face aux travaux interdisciplinaires, eux-mêmes conséquence des équipes multidisciplinaires

(Fortin & Méthot, 2004). La multidisciplinarité juxtapose les savoirs et les actions de

diverses disciplines de façon parallèle ou consécutive, sans vision globale commune ou sans

objectifs partagés (Fortin, 2000a; Guay, 1998; Larivière, 1997).

Comme vu précédemment il semble que l’intervention de la métacommunication dans

le cadre des travaux interdisciplinaire soit nécessaire pour favoriser la compréhension et le

partage d’informations car selon Fortin & Méthot (2004), les membres de l’équipe

interdisciplinaire devront connaître suffisamment l’univers professionnel et culturel d’autrui

pour pouvoir communiquer efficacement, notamment par l’apprentissage d’un langage

42

commun. Ils ajoutent que l’humour peut être utile dans le cadre de cet apprentissage constant

puisqu’il aide à persuader et favorise l’apprentissage.

Dans cette optique, il y a douze ans, Serge Grudzinski, convaincu que l’enthousiasme

est créateur de dynamisme, a monté son propre cabinet d’humour, le « Humour Consulting

Group ». Ce Polytechnicien entend que par le dynamisme généré par l’enthousiasme,

l’entreprise trouve ou retrouve une forte cohésion d’équipe permettant plus aisément la

réalisation d’objectifs. Intervenant dans le cadre de séminaires ou de conventions d’entreprise,

il traite en profondeur et avec humour les problèmes essentiels et spécifiques de chaque

entreprise. Nous pouvons lire sur leur site internet qu’il a été donné « depuis 1993, plus de

600 interventions auprès de plus de 200 sociétés de tous secteurs parmi les plus prestigieuses

d'Europe et d'Amérique du Nord et, chaque fois, le succès est aussi grand qu'unanime ».

Ainsi nous voyons que le rire permet de rassembler, qu’il génère l’enthousiasme et

favorise le dynamisme au sein des équipes.

Si une culture d’entreprise favorable à l’humour instaure une bonne ambiance et booste

la motivation des équipes, on peut se demander comment elle se construit.

Figure 7: La construction de la culture d'entreprise

(Hierle, 2000)

43

On voit sur ce schéma que la personnalité des fondateurs joue un rôle dans la

construction de la culture d’entreprise : selon Hierle (2000) « Lors de la création de

l’entreprise, le créateur est plus qu’un apporteur de capitaux. Il prépare l’avenir de l’entreprise

selon ses connaissances, mais également en fonction de ses croyances, de sa personnalité et de

sa philosophie ».

Mais c’est également la personnalité du salarié qui va influencer sa culture

professionnelle et son adhésion à la culture d’entreprise (et indirectement à la personnalité du

dirigeant). De nombreuses entreprises se sont intéressées à la personnalité dans leur processus

de recrutement, ou dans le cadre du processus d’évaluation. L’objectif étant principalement

d’anticiper le comportement du collaborateur dans telle ou telle situation professionnelle et de

mieux constituer les équipes. Mais cela peut faire référence aux théories implicites de la

personnalité (Bruner et Tagiuri, 1954) : dans un souci permanent de contrôle et de maitrise de

son environnement, l’individu cherche à « évaluer » la personnalité de l’autre. Il cherche à se

faire une idée globale de la personne et tire alors des conclusions, souvent infondées et

erronées. Par exemple, suite à l’observation de tel ou tel trait de caractère, l’être humain est

tenté de déduire la présence ou l’absence d’autres caractéristiques, qu’il va juger

incompatibles avec les premières. Surtout, l’être humain a tendance à déduire certains

comportements à partir de l’idée qu’il se fait de la personnalité de l’autre. Or non seulement la

personnalité ne fait qu’influencer le comportement mais aussi elle est difficilement

perceptible de façon objective par l’autre (Sillamy, 2010). Alors comment définir et mesurer

la personnalité d’un individu en entreprise ?

Parmi les outils de mesure de la personnalité, on trouve les tests de personnalité dont les

plus connus sont le Myers Briggs Type Indicator (MBTI), le 16 Personnality Factors (PF), le

Five Factors, le questionnaire Keirsey ou encore Process Communication (Né, 2015).

Les tests de personnalité les plus utilisés en entreprise sont le MBTI et Process

Communication. Ces deux questionnaires de personnalité se présentent sous la forme de

QCM : le candidat doit choisir la proposition qui correspond le mieux à sa manière de faire,

de penser ou de ressentir les choses dans une situation donnée. Les questions sont donc

souvent posées en fonction d’un contexte précis. (Casanova, 2014).

44

C - Humour et influences culturelles

Il existe une connexion indéniable entre humour et culture: plus une culture est éloignée

de la nôtre, dans le temps et dans l’espace, plus l’humour semblera grossier, étrange, absurde,

ou tout simplement incompréhensible (Apte, 1985). Si on ne comprend pas les blagues des

autres, c’est bien souvent à cause de différences culturelles: il faut saisir les références

auxquelles la personne qui fait de l’humour fait appel, et si ces références ne font pas partie de

notre culture, on ne les connait pas. De plus, différentes cultures n’ont pas le même sens de

l’humour: ce qui est drôle pour un peuple peut être choquant, très gênant voire répugnant pour

un autre peuple (Kuipers, 2015).

Au-delà de la psychologie individuelle, il faut donc prendre en compte le poids de la

psychologie collective. « Chaque individu est influencé par une transmission familiale ou

culturelle " explique Marc-Alain Ouaknin (1998). Selon Hofstede (2009), en dehors de la

différence entre les sexes, les gens ne font pas les mêmes sortes de blagues à travers le

monde. Il existe des différences à la fois dans le processus de l’humour, dans le style de

plaisanterie et dans le contenu. En effet, chaque culture ou nationalité a ses codes, sa culture,

son histoire. « L’humour est parfois dépendant du vécu des peuples, il est donc difficile à

cerner » écrit Dhombres (2007).

Nous pouvons justifier nos propos grâce à l’analyse de Pasqueron de Fommervault (2012),

qui soutient que le rire et l’humour peuvent être considérés comme de véritables facteurs

identitaires, dans la mesure où ils participent à la formation et à la distinction des identités

collectives.

Selon Ouaknin (2012), « l’humour a permis à des millions de Juifs de préserver leur

identité, la blague faisant office de signe de reconnaissance. Mais depuis toujours, la tradition

juive insiste également sur sa valeur pédagogique. Il est recommandé de faire débuter chaque

séance d’étude des textes sacrés par une histoire drôle, car on considère que l’humour ouvre

l’esprit ». L’humour juif tourne beaucoup autour de l’autodérision et rit des contingences

humaines et en particulier de l’homme comme père, époux, travailleur… (Tricart, 2015)

D’après une étude internationale (Sampietro, 2009), chaque pays a un humour bien

particulier qui lui est propre et qui se distingue de celui de ses voisins :

45

L’humour italien, par exemple, est basé sur la moquerie, l’autodérision, et l’utilisation

de jeux de mots. Ils sont friands d’humour à connotation sexuelle, et aiment rire des

différences de genres et de cultures. Ils utilisent aussi beaucoup les expressions du

visage pour faire rire, comme les grimaces (Autissier et Arnéguy, 2012).

L’humour français préfère la moquerie à l’autodérision. Il utilise beaucoup les jeux de

mots et le rire à propos des règles sociales, se rapprochant ainsi de l’humour italien,

sans pour autant être aussi vulgaire et sans s’amuser des différences culturelles. On ne

rit pas des différences hiérarchiques en France (Autissier et Arnéguy, 2012).

Les Allemands préfèrent l’autodérision à la moquerie, ils aiment beaucoup les jeux de

mots. Ils rient des différences entre les niveaux hiérarchiques. Leur humour ne

contient que très peu de connotations sexuelles et de grossièretés (Autissier et

Arnéguy, 2012).

L’humour américain utilise beaucoup l’autodérision et très peu la moquerie, il est fait

de jeux de mots et de blagues sur les différences de niveaux hiérarchiques dans le

travail, comme les Allemands. Ils n’utilisent pas l’humour à connotation sexuelle car

le harcèlement est une de leurs grandes peurs. Ils excellent dans l’utilisation de

l’”opening joke” en début de réunion ou de meeting, peu importe son importance

(Autissier et Arnéguy, 2012). On a vu des présidents américains faire des blagues

devant des centaines de journalistes. Par exemple, Barack Obama se moquant de la

sonnerie d’un téléphone portable qui faisait un bruit de canard en pleine conférence de

presse a dit: “Je ne savais pas qu’il existait des sonneries aussi ridicules!” (Le Journal

de l’info, 2009).

L’humour britannique est complètement basé sur l’autodérision. Il est constitué de

blagues sur les différences culturelles et hiérarchiques, ainsi que de nombreux jeux de

mots (Autissier et Arnéguy, 2012). L’humour anglais est aussi basé sur l’absurde, les

jeux de mots, les gags visuels. Quelques exemples de figures emblématiques de

l’humour anglais : Jérome K. Jérome, Oscar Wilde, les Monty Python, Mr Bean…

46

Mais ce type d’humour ne parvient pas toujours à faire son effet auprès du public

français (Tricart, 2015).

Les Japonais semblent utiliser l’humour bien moins que les autres. Ils n’utilisent

presque pas la moquerie, ils ne rient pas des différences de niveaux hiérarchiques. Il

existe néanmoins, dans certaines entreprises, des salles spéciales où il est permis et de

grimacer et de se moquer devant un portrait de son patron, mais jamais en public

(Autissier et Arnéguy, 2012). Au Japon, le rire est mal vu et particulièrement en

entreprise : une blague n’est acceptée que si l’interlocuteur a été prévenu au préalable

afin d’éviter une incompréhension ou une maladresse qui pourrait s’avérer impolie.

Le rire fait l’objet d’une véritable industrie chez les Québécois où l’on dénombre une

multitude de festivals, d’émissions TV, de talk-shows, d’articles de presse voués au

rire etc. (Tricart, 2015).

Selon Diaz (Tricart, 2015) l’humour africain est rarement réprimé : « quand le rire

arrive, il est toujours le bienvenu, on ne l’empêche pas, on le laisse aller ». Le rire est

franc, spontané, chaleureux et tonitruant. Selon le réalisateur Mahamat Saleh Haroum,

c’est un moyen de se donner du courage.

Pour revenir sur le concept de perception, il nous semble intéressant d’aborder les

erreurs les plus courantes dans le processus d’interprétation des informations. Si les individus

ne font pas les mêmes blagues à travers le monde c’est parce qu’ils n’ont pas grandi au sein

de la même culture et ont un passé propre.

Il existe quatre erreurs de perception majeures (Labbé et al., 2009):

- Les stéréotypes

- L’effet de halo

- La perception sélective

- La projection

47

Le stéréotype est une distorsion très commune en communication. Elle se produit quand

un individu assigne des attributs à un autre individu sur la seule base de l'appartenance de cet

autre dans une catégorie sociale ou démographique particulière.

L’effet de halo, très proche du stéréotype se produit quand un individu généralise sur

une variété d'attributs basée sur la connaissance d'un attribut d'un seul individu. On attribue

donc à des gens des traits de personnalité sur la base d’une seule observation.

Avec la perception sélective « nous filtrons les informations que nous jugeons inutiles

en nous basant sur notre système de valeurs et croyances » (Gohin, 2011).

La projection découle d'une nécessité de protéger son concept de soi–même. Les

individus attribuent à d'autres les caractéristiques ou des sentiments qu'ils possèdent eux-

mêmes.

Exemple : Les français sont arrogants et prétentieux, ils travaillent peu et sont fainéants car

ils ont beaucoup de vacances.

Exemple : Un enfant (jugé) "beau" est perçu par les enseignants comme plus intelligent,

ayant plus de chances de succès à l'école et ayant des parents investis dans ses activités

scolaires comparativement à un enfant (jugé) "laid".

Exemple : Un supporter d’une équipe de football voit plus facilement les fautes de l’équipe

adverse que celles de l’équipe qu’il soutient.

Exemple : Votre chef de service n’est pas de bonne humeur ce matin au moment où vous

arrivez. Vous attribuez cette grise mine au fait d’avoir quitté le bureau hier avec une demi-

heure d’avance, et vous l’entendez mentalement penser : « Tu vas voir, mon vieux, je

t’aurai ». En réalité, votre chef de service venait d’apprendre que le carburateur de sa voiture

devait être changé.

48

Ainsi le processus de perception et les erreurs qui en découlent conditionnent la

manière dont nous allons nous comporter. L’humour est une information qui est traitée par ce

processus de perception et par conséquent peut être interprété par de multiples façons

différentes. A partir de ce constat nous il semble qu’établir des généralités sur la façon dont

est perçu ou utilisé l’humour au sein des différentes cultures ne serait pas pertinent puisque

les généralités conduisent à l’établissement de pensées uniques qui diffèreraient de la réalité.

Pourtant, pour reprendre l’exemple du « Humour Consulting Group », Serge

Grudzinski et son équipe affirment que « la pratique de l’humour est universelle et qu’elle

répond au défi multiculturel ». Chaque réunion internationale est un grand succès qui « bluffe

» les participants : ils n'imaginaient pas possible de faire rire «interculturellement». En effet,

leurs interventions ont la même efficacité dans les réunions internationales en anglais que

dans des contextes franco-français. Nous pourrions alors nous demander comment Grudzinski

s’y prend pour faire l’unanimité dans des séminaires internationaux comprenant parfois plus

de 500 personnes venant d’horizons différents. Existe-t-il un style d’humour entendu et

apprécié par tous ? L’humour est-il compris de la même manière en Chine et en Espagne ou y

a-t-il un type d’humour qui se voudrait universel ? La manière dont est perçu l’humour ne

dépendrait elle pas des caractères et des profils de chacun ?

49

Conclusion de la revue de littérature

Puisque nous avons dorénavant éclairci quelques points pour répondre à nos questions

de recherche initiales nous allons maintenant tenter d’apporter, à partir d’observations terrain,

des éléments de réflexion quant au dernier point abordé dans la revue de littérature à savoir la

question de la contextualisation de l’humour et surtout celle des différences culturelles qui

laisseraient entendre que le rire peut être proprement humain mais n’est pas pour autant

universel (Hofstede, 2009).

Lorsque l’anthropologue américain La Barre (1978) s’interroge sur la question des

émotions, il met en évidence l’étroite corrélation qui lie le biologique et le social. Une même

émotion, telle qu’elle est définie biologiquement, peut en réalité posséder des sens et des

fonctions sociales différentes. Deux individus qui se différencient d’un point de vue social ou

culturel, rient donc différemment. Une même émotion, telle qu’elle est définie

biologiquement, peut posséder des significations et des fonctions sociales différentes

(Pasqueron de Fommervault, 2012).

Cette analyse nous a conduites à nous intéresser à la notion de culture qui est définie

par l’appartenance à un groupe et qui influencent les comportements et les attitudes des

membres du groupe. Il est donc entendu par cette définition que la notion de culture ne se

limite pas à celle d’un pays ou d’une région mais qu’elle existe à d’autres niveaux : dans les

entreprises/ les organisations, dans quelconque groupe d’individus (métiers, société,

politiques, religions…).

La culture est-elle déterminante dans l’utilisation et la compréhension de l’humour ?

Quel rôle occupe l’humour au travers de ces différents niveaux de cultures ? Comment est-il

perçu ? Est-il pertinent de proposer la variable « humour » lorsqu’il s’agit de pallier au

manque de bien être dans les entreprises, quelques soient leur culture ?

50

III. MÉTHODOLOGIE

51

I - Justification de la méthodologie choisie

A - Rappel des objectifs

Notre objectif est de démontrer l’influence de l’humour d’une part sur le bien-être et la

performance de l’individu au travail et d’autre part sur la cohésion de groupe. Nous tâcherons

également de savoir dans quelle mesure le facteur culturel a une influence sur l’utilisation et

la perception de l’humour en entreprise. A l’issue de notre enquête, nous tenterons d’identifier

les variables contextuelles qui sont favorables / défavorables à l’humour et de dégager des

hypothèses sur l’humour en fonction du contexte (personnalité des acteurs / culture nationale /

culture d’entreprise…).

Le corpus académique présente certaines lacunes notamment concernant :

- L’utilisation et la perception de l’humour au sein de contextes culturels différents,

- L’utilisation et la perception de l’humour en fonction des cultures d’entreprises,

- Le caractère indispensable ou non de l’humour dans un groupe de travail.

B - Présentation de la méthodologie choisie

Il nous a semblé pertinent d’utiliser une approche inductive et donc d’explorer le sujet à

l’aide d’une étude qualitative.

Nous avons choisi, selon la méthodologie développée par Aktouf (1987), de mener

notre enquête sous forme d’interviews centrées: des « discussions assez peu structurées mais

centrées sur un sujet précis et bien délimité ». Ce type d’interview permet un degré de liberté

très élevé, aussi bien pour l’intervieweur que pour l’interviewé.

Le concept d’enquête semi-directive (Blanchet et Bulot, 2011) est également intéressant

pour notre recherche : elle « est constituée de questions ouvertes auxquelles l'informateur peut

répondre tout ce qu'il souhaite, lors d'un entretien, l'enquêteur se contentant de le suivre dans

le dialogue (y compris si l'on s'écarte de la question pendant un certain temps) ».

52

II - Echantillonnage

La seule contrainte que nous nous sommes fixées pour l'échantillonnage est d’avoir des

profils variés en termes d’âges, de professions, de secteurs d’entreprises. Étant donné le

caractère qualitatif de notre enquête, nous ne cherchons pas à obtenir un échantillon

représentatif d’une population donnée, mais plutôt à cerner et comprendre, au cas par cas, des

expériences particulières d’utilisation de l’humour en entreprise.

Les interviewés ont été sélectionnés par le biais de plusieurs canaux :

- nos carnets d’adresse professionnels: collègues de stages / d’alternance,

- les réseaux professionnels en ligne (LinkedIn, Viadeo),

- nos cercles privés: amis, famille.

Au total, 33 personnes ont été interrogées. Pour information, nous présentons ici la

répartition de notre échantillon, selon les critères choisis :

30%

30%

40%

Age

Entre 18 et 24 ans

Entre 25 et 39 ans

Entre 40 et 59 ans

Figure 8: Age des sondés

53

Figure 9: Genre des sondés

Figure 10: Catégorie socio-professionnelle des sondés

61%

39%

Genre

Masculin

Féminin

24%

40%

30%

6%

Catégorie socio-professionnelle

Etudiant

Cadre supérieur

Professions

intermédiaires

Chomeur/retraité

54

Figure 11: Domaine d'expertise des sondés

Figure 12: Expérience à l'étranger des sondés

On note que l’échantillon est assez diversifié, nous avons donc respecté notre principale

contrainte.

Pour mettre plus en confiance nos interlocuteurs, nous avons choisi d’anonymiser nos

sujets d’enquête. Nous ne citons donc jamais le nom de leur entreprise, et nous avons arrondi

leurs âges.

6%

15%

3% 6%

9%

12%

49%

Domaine d'expertise

RH

Commercial

Marketing

Finance

Logistique

Ingénieur

Autres

61%

39%

Expérience à l'étranger

Oui

Non

55

III - Construction de l’outil de collecte

Lors du processus de création de la trame de l’interview, nous avons opté pour des

questions ouvertes permettant aux répondants d’exprimer leur point de vue, comme le

conseillent Blanchet et Bulot (2011) dans une enquête semi-directive. Cela nous a permis

d’obtenir des informations sur les expériences vécues des participants. Les points abordés

dans la revue de littérature nous ont servi de trame pour la construction de l’enquête mais

nous avons souhaité tourner nos questions de manière à ce qu’elles n’influencent pas la

réponse de nos interlocuteurs et que ceux-ci n’aient pas l’impression d’avoir répondu « bon »

ou « faux ».

Pour la bonne compréhension des propos de nos interlocuteurs il était nécessaire de

collecter d’abord des informations quantitatives de base à savoir des données concernant le

profil des personnes (âge, catégorie socio-professionnelle, ancienneté dans l’entreprise, etc…)

Puis, dans une première partie nous avons posé diverses questions à propos des facteurs

de bonne ambiance et de l’utilisation du rire dans une équipe. Ensuite nous nous sommes

intéressées aux impacts que l’humour et le rire pouvaient avoir sur le bien-être et la

performance de l’individu ainsi que sur ses relations au travail. Enfin nous avons interrogé

nos interlocuteurs sur les expériences qu’ils avaient vécu au travers de l’utilisation de

l’humour avec des personnes d’autres cultures mais aussi en comparant leurs expériences

professionnelles dans différentes entreprises (culture d’entreprise).

Vous retrouverez le questionnaire dans les annexes, à la fin du rapport.

Pour notre pré-enquête, nous avons choisi d’utiliser la méthode de l’interview

exploratoire (Aktouf, 1987) : nous avons soumis notre interview au préalable à une personne

expérimentée et directement concernée par le problème, pour tester ses réactions et adapter

nos questions.

Nous avons alors défini la durée moyenne de l’interview : 20 minutes. Ce temps nous a

permis d’entrer en profondeur dans la situation de l’interviewé, lui permettant d’approfondir

sa réflexion et ses expériences quant à l’humour.

Nous avons aussi remarqué qu’il était difficile de suivre un plan construit lors de

l’entretien, par conséquent nous avons choisi de laisser notre interlocuteur nous répondre à

56

son gré et développer certains points en toute liberté, même si cela nous éloignait de la trame

choisie.

IV - Administration de la collecte

Nous avons choisi d’administrer les questionnaires oralement (de visu, au téléphone ou

encore sur Skype) pour réussir à avoir une vraie discussion avec nos interlocuteurs.

Selon les conseils d’Aktouf (1987), nous avons pris le soin de bien introduire

l’interview en expliquant le contexte académique de notre mémoire ainsi que nos objectifs de

recherche, d’écouter activement et de reformuler les paroles de l’interviewé, et d’éviter de

formuler les réponses à sa place. Nous avons également choisi de ne pas enregistrer nos

enquêtes, pour donner aux répondants une plus grande liberté de parole vis-à-vis de leur

entreprise.

Les questions ouvertes ont permis à nos interlocuteurs de ne pas avoir à « choisir » une

réponse déjà établie parmi d’autres et d’être spontanés dans leur réflexion. Il est certain

qu’une telle méthode nous amène à obtenir des réponses plus détaillées et précises que si nous

avions administré un questionnaire de type quantitatif.

Nous ne pouvons prétendre tirer de généralités à partir des réponses données par

l’échantillon, celui-ci n’étant pas représentatif, aussi nous avons tenté d’approfondir

l’interview si une piste intéressante se dégageait, poussant l’interviewé à illustrer son point de

vue et à tirer la leçon des expériences citées.

V - Analyse des résultats

Pour analyser les résultats, nous avons choisi d’utiliser la méthode des post-its : nous

avons sélectionné les phrases les plus significatives de nos interviews, et nous les avons

classées par thèmes, avant de les confronter entre elles, et avec le corpus de textes.

57

Bien que nous ayons posé des questions précises dans l’enquête pour établir une ligne

de conduite pour son administration, leur but était principalement d’obtenir un maximum

d’informations de la part de nos interlocuteurs. Nous avions précisé au début de l’enquête que

les réponses devaient être les plus détaillées et exhaustives possibles quitte à sortir du cadre

de la question sans toutefois faire de hors sujet.

Ainsi lorsque nous avons fait le bilan de nos enquêtes nous nous sommes rendu compte

que les questions étaient tellement larges qu’elles n’avaient finalement que très peu

d’importance et permettaient tout simplement de faire parler nos interlocuteurs. Il s’agissait

d’établir une véritable discussion.

Nous avons ensuite appliqué la méthode de l’analyse de contenu qualitative (Aktouf,

1987). Notre but était de repérer « les thèmes, les mots et les concepts présents ou non dans

un contenu ». Leur fréquence avait peu d’importance, nous avons plutôt attaché de

l’importance leur intérêt particulier, à leur nouveauté, afin de dégager non seulement des

tendances globales, mais aussi des opinions inattendues.

58

IV. RÉSULTATS

59

Dans cette partie nous analyserons les résultats obtenus des interviews et nous

établirons un lien avec ce que nous avons développé dans la revue de littérature.

Pour commencer nous aimerions faire un point sur la question de l’importance du

climat social dans les organisations. Si la question de l’humour est abordée aujourd’hui dans

le cadre du travail c’est parce qu’il semblerait qu’elle ait une forte influence sur le bien-être

au travail et, par conséquent, sur le climat social. Nous avions d’ailleurs une question dans

l’enquête en rapport avec le thème de l’ambiance au travail et ce point nous apparaît pertinent

pour justifier le contenu des réponses reçues en rapport avec l’utilisation de l’humour dans le

cadre professionnel.

Nous avons soulevé plusieurs points importants et récurrents dans les réponses quant à

l’importance de l’ambiance au travail. Cette dernière dépendrait de trois éléments :

- Un chef d’équipe / manager fédérateur et compétent,

- Une bonne communication avec des tâches bien définies et bien comprises par

l’ensemble de l’équipe, une bonne définition des rôles, un même niveau

d’information,

- Un objectif commun et donc des problématiques communes.

D’autres variables étaient évoquées par nos interlocuteurs mais elles ne faisaient pas

toutes l’unanimité. Par exemple ils étaient cinq à dire que pour une bonne ambiance d’équipe

il était nécessaire de partager une culture et des valeurs communes mais aussi la même

tranche d’âge et la même formation tandis que trois autres se sont opposés à cette idée en

précisant que ces variables n’influaient pas sur l’ambiance de l’équipe et qu’il s’agissait

surtout de partager un objectif commun.

Il se trouve qu’en approfondissant notre discussion, plusieurs répondants nous ont fait

part du fait que l’utilisation de l’humour était clairement un moyen de contribuer à la bonne

ambiance dans une équipe car il instaure la bonne humeur et permet ainsi le rapprochement

des membres et une meilleure communication.

Suite à ce constat nous avons pu établir des axes de réflexion que nous développerons

dans cette analyse. Nous nous pencherons tout d’abord sur la question des avantages d’un

environnement ou d’une attitude favorables à l’humour dans le milieu professionnel puis nous

60

développerons en quoi l’humour peut être dangereux si l’intention est détournée / déguisée ou

s’il ne se prête pas au contexte et enfin nous verrons en quoi il est nécessaire de contextualiser

l’humour et nous tâcherons de voir si le facteur culturel a une influence sur l’utilisation et la

perception de l’humour en entreprise.

61

I - Quels sont les avantages d’un environnement ou d’une

attitude favorables à l’humour ?

Dans cette première partie nous allons développer trois axes qui ont été abordés par nos

interlocuteurs pour parler des avantages de l’utilisation de l’humour au travail. En premier

lieu nous parlerons des améliorations des conditions de travail que permettent l’humour et le

rire puis nous étudierons en quoi ils améliorent l’efficacité au travail et enfin nous

expliquerons dans quelle mesure l’humour permet de faire passer un message.

A - L’humour et le rire améliorent les conditions de travail

Pouvoir utiliser l’humour et rire au travail semble être un bon moyen de détente pour

nos sondés. Pour Paul, 55 ans : « On utilise l’humour pour marquer une pause, pour illustrer

une situation, ou encore pour détendre l’atmosphère ». Olivier, 50 ans, le rejoint en ajoutant

que l’humour permet de s’opposer au côté sérieux du travail. Pour lui, ça ramène au présent,

au réel.

L’utilisation de l’humour et le rire qui en découle permettraient donc de marquer une

coupure agréable avec le travail. D’ailleurs Laurent, 60 ans, précise que les moments où il rit

au travail sont « de petites récréations pour changer l’ambiance, pour décompresser et

instaurer un bon climat ».

Ainsi le rire permettrait réellement de se sentir bien, de réduire le niveau de stress et

d’améliorer l’état d’esprit d’un individu, le temps de quelques secondes ou quelques minutes.

Il serait alors une sorte d’exutoire et mettrait les personnes de bonne humeur et donc plus

disposées à être actifs sur leur lieu de travail. Prenons l’exemple de Pierre, 55 ans, qui

raconte :

« Ce qui est drôle, c’est quand on fait un truc sérieux : j’aime placer des paroles de

chansons pour détendre l’atmosphère : ça s’envase et ça revient ! (en parlant d’un

chantier sur un port dont l’avancement tarde un peu) ».

Dans cette situation, Pierre tente de prendre du recul ou de faire prendre du recul à ses

interlocuteurs mais aussi de procurer de l’amusement, de faire rire et nous rejoignons Minois

62

(2000) lorsqu’il dit que « nous rions pour calmer nos peurs ». Le mécanisme est simple : il

s’agit de renverser une situation stressante en la tournant en dérision pour pouvoir mieux s’y

adapter en adoptant un angle de vue différent (Fortin, 2004).

Pour Louis, 30 ans : « L’humour et le rire aident à l’intégration et donnent la

température d’une équipe. Au travers du rire on montre qui on est vraiment, ça nous permet

de nous détendre car on passe beaucoup de temps au bureau ». Dans cette situation, Louis

évoque l’importance de l’humour au travers de son caractère social. Keller (2014) rappelait

d’ailleurs que le rôle de toute entreprise était de créer un environnement capable de procurer

du bien être à la société et pour ce faire il était nécessaire que le bien-être soit d’abord présent

dans les entreprises. Les témoignages que nous avons collectés nous permettent d’affirmer

que l’utilisation d’un humour compris et accepté de tous est réellement facteur de bien être car

il mettrait le personnel dans de bonnes dispositions physiques et psychologiques pour la

bonne exécution de leurs tâches.

Il est apparu dans les résultats de l’enquête que l’humour et le rire auraient un rôle

social particulièrement important. Les enquêtés nous ont souvent parlé de la dimension de

partage qui est nécessaire lorsqu’on fait de l’humour et qui permet d’ailleurs de rendre les

choses drôles. Par exemple, Stéphanie, 35 ans, nous confie qu’elle rigole tout le temps au

travail pour apporter sa bonne humeur aux autres, « et ça marche ! ».

La question des émotions lorsqu’on rit et leurs impacts ont aussi été mentionnés dans

les réponses. François, 25 ans, nous a confié que lorsqu’il rit avec ses collègues, il s’investit

émotionnellement avec eux et que, par conséquent, ça rapproche. Il est rejoint par Isabelle, 50

ans, qui avance que le « le rire rapproche et fait sentir une émotion positive » et comme vu

dans la revue de littérature, les émotions positives sont sources de bonheur et sont souvent

stimulées par le rire qui lui-même améliore la résistance de l’organisme au niveau physique.

Pour Cécile, 40 ans, « l’humour soude l’équipe car il rapproche au travers de sa

dimension de partage ». D’ailleurs Philippe, 50 ans, précise que son DG se sert de l’humour

pour être populaire, pour se faire apprécier. Il y a là la question du rôle social de l’humour qui

63

est abordée et Cécile, 40 ans, d’ajouter que l’équipe est une mini-société et qu’elle doit donc

être favorable à la bonne entente et au partage.

Nos propos illustrent parfaitement bien les propos de Sampietro (2009) que nous avons

étudié dans la revue de littérature, à savoir que l’humour est favorable à la convivialité et à

l’esprit d’équipe et qu’il permet de créer une certaine homogénéité dans les équipes et, plus

largement, au sein d’une organisation.

D’ailleurs, pour Aude, 30 ans, « rire permet de détendre l’atmosphère, de créer un univers de

convivialité, de faciliter la communication », Francois, 25 ans ajoute que « le rire apporte la

bonne ambiance, les gens se connaissent mieux et on hésite moins à se dire franchement les

problèmes ».

Paul, 55 ans, nous livre avec humour d’une anecdote qui lui est arrivée au Maroc :

« Une fois j’étais en pleine réunion de négociation. Nos interlocuteurs

devaient prendre une décision d’investissement. En face de nous il y avait des cadres

très bien habillés accompagnés de leurs documents. Tout était très formel, très carré.

On n’était pas dépaysés car le style était très occidental. Au moment de la prise de

décision, est entrée une personne très mal habillée à qui il manquait des dents.

C’était un pauvre monsieur de 70 ans qui parlait avec un accent marocain très

prononcé, il avait vraiment du mal à aligner ses mots. Et j’ai vu les personnes en

face de moi changer d’attitude. Cette personne parlait, parlait et ne s’arrêtait pas

mais elle avait énormément d’humour. Je ne comprenais absolument rien, je ne

savais pas qui était cette personne et mes collègues non plus. La négociation n’était

pas terminée et le processus était donc perturbé ! Il y a eu un moment de flottement.

La discussion commençait à devenir du grand n’importe quoi. Mais ce monsieur

était particulièrement drôle. Au bout d’un quart d’heure il a dit « bon, on signe ! ». Il

se trouve que ce vieux monsieur qui ne payait pas de mine était le PDG de

l’entreprise avec laquelle nous étions en train de négocier. Dans cette entreprise il y

a 4000 employés.

Mon analyse de cette situation peu banale est la suivante : le PDG faisait

confiance à ses équipes. La partie technique de la négociation était réglée, il ne

manquait plus que la partie humaine. Et en un quart d’heure il a fait le test et a

64

donné sa conclusion alors qu’on pensait que c’était perdu. On aurait fait la gueule,

on n’aurait pas ri à ses blagues en restant coincés, on n’aurait probablement jamais

signé. »

Dans cet exemple, le rôle de l’humour était en quelque sorte de mettre à l’épreuve les

capacités humaines de la partie « adverse ». Il met en exergue le fait que la partie technique de

la négociation n’était presque qu’un détail face à l’importance de la dimension sociale et des

conséquences relationnelles qu’engendre la signature d’un contrat. Le côté humain dans une

relation professionnelle est ce qui va permettre ou non la bonne exécution d’un travail entre

les partenaires. Pour reprendre Morreal (1991), l’humour favoriserait les relations sociales

entre collègues – et nous ajoutons entre partenaires sociaux - et par conséquent augmenterait

le bien-être au travail.

Si le rire à une fonction sociale et permet de rapprocher les membres d’une équipe il

génèrerait l’entraide et l’esprit de solidarité et par conséquent augmenterait la motivation.

Nos interlocuteurs se sont pour la plupart accordés à dire que le rire contribuait à

instaurer une ambiance agréable dans une équipe et que cela permettait d’arriver bien plus à

l’aise au travail que s’il n’y avait pas la certitude de l’existence de ces moments conviviaux.

Aude, 30 ans, nous dit que « c’est toujours plus agréable d’aller au travail sachant qu’on va

trouver une ambiance détendue et sympathique ». Elle est rejointe par Romain, 20 ans, et

Matthieu, 25 ans, qui sont heureux de se lever le matin pour aller travailler parce qu’ils savent

qu’ils vont bien rire avec leurs collègues. Jean, 30 ans, d’ajouter que « rire au boulot ça

permet de se détendre, ça joue énormément sur mon humeur ».

Et nous avons collecté encore beaucoup de réponses qui allaient dans ce sens :

Laurent, 60 ans : « Le rire est synonyme de bonne humeur ! On relâche l’effort pour

mieux repartir ensuite »

Marie, 25 ans : « Le rire est pour moi une manifestation du bien-être »

Pour Solenne, 25 ans, « Lorsque l’on rit au travail ça détend, le stress est évacué et ça

donne envie d’aller travailler. En plus ça donne une bonne image de l’entreprise »

65

Romain, 20 ans : « Rire permet d’évacuer le stress »

François, 25 ans : « Je suis content de partir bosser le matin si je sais que je vais bien

m’amuser »

Ainsi, si le rire est un bon moyen de se détendre sur le lieu de travail car il permet

d’instaurer un bon climat de travail grâce à son rôle social et par sa fonction de partage, il a

forcément un impact sur la motivation des membres d’une équipe parce qu’il favorise la

convivialité et à l’esprit d’équipe, créant ainsi une certaine homogénéité au sein de l’ensemble

du personnel comme vu avec Sampietro (2014) dans la première partie de ce mémoire.

B - L’humour améliore l’efficacité au travail

En créant une ambiance de travail agréable, où les salariés se sentent à l’aise, l’humour

permet d’augmenter leur efficacité et leur performance. Comme le dit Francois, 25 ans, il

semble que les gens joyeux soient plus efficaces, et nous allons étudier dans cette sous-partie

quelles en seraient les raisons.

Premièrement, nous observons, à travers les réponses de nos interviewés, que l’humour

permet de se détendre, d’évacuer les tensions, et favorise ainsi la concentration lorsqu’on se

remet au travail. Il est vécu ici comme un temps de pause, en dehors du travail.

Iris, 25 ans : « Après avoir ri au travail, je suis plus efficace, plus détendue, plus apte

à me reconcentrer, plus motivée »

Antoine, 25 ans : « Après une bonne séance de rire, on travaille vraiment de manière

efficace »

Elodie, 30 ans : « L’humour est un bon remède au stress et à la pression »

Claire, 25 ans : « Ça sert à aérer le cerveau, à se détendre, on se remet au boulot plus

motivés après »

Cécile, 40 ans : « Ça permet de relâcher les tensions, je me sens plus efficace après

avoir ri »

66

Alexandre, 30 ans : « Quand on se remet au boulot [après avoir rigolé], on est plus

détendus donc plus efficaces »

Lucas, 25 ans : « Après un fou rire, je me sens bien, détendu, heureux, en confiance,

j’ai un meilleur retour au travail »

On voit ici que l’humour a une influence très positive sur l’état physique des

personnes : il permet une meilleure gestion du stress, il est considéré comme une vraie

coupure par rapport au travail, un moment de détente pure. Il permet de redonner de la

motivation, et donc d’augmenter la performance de celui qui a ri, quand il retourne travailler.

Cette fonction de l’humour est également développée par Chapus-Gilbert (2009) : l’humour et

le rire permettent aux tensions physiques de s'évacuer, ce qui entraine donc la détente du

corps, et plus de bien-être.

Deuxièmement, l’humour accélère la cohésion d’équipe, le partage et l’entraide.

Béatrice, 50 ans, évoque la notion d’entraide : selon elle, l’humour crée de la cohésion

d’équipe, qui pousse les salariés à s’aider les uns les autres, ce qui augmente l’efficacité

globale de l’équipe. En effet, comme le dit Philippe, 50 ans, le rire est « communicatif », donc

« fédérateur » : « Tu embarques plus facilement les autres avec un rire qu’avec des pleurs ».

Il permet l’efficacité car il génère une équipe soudée qui travaille ensemble avec des objectifs

communs.

C’est également ce que soutient Dunkan (1990) quand il explique que l’humour crée un

certain esprit d’équipe car il génère un consensus et un sentiment d’appartenance par le rire.

Ainsi, une meilleure cohésion se dessine, sinon dans l’entreprise, tout au moins dans l’équipe.

Troisièmement, l’humour est aussi un moyen de favoriser la communication dans une

équipe, comme le montre Meyer (1997). Comme nous l’avons vu, la communication au sein

d’une équipe est essentielle pour la performance de celle-ci, donc l’humour permet

d’augmenter cette performance, comme le disent certains de nos interviewés :

67

Rémi, 25 ans : « L’humour aide à la communication et par conséquent permet d’être

plus productif »

Paul, 55 ans : « L’humour pousse les personnes à communiquer, et permet une super

communication »

De plus, communiquer peut permettre de débloquer certaines situations, pour lesquelles

l’humour n’est pas forcément la solution à laquelle on pense habituellement. Mais Romain, 20

ans, nous explique que dans son entreprise, « on résout les problèmes dans l’humour », et ça

marche.

Observons également l’exemple de Paul, 55 ans :

« Une fois, j’ai résolu un conflit entre deux clients en leur demandant une faveur :

chacun devait raconter une blague à l’autre. Ça prend trois minutes et c’est

incroyable comment ça détruit l’atmosphère plombée : l’humour ouvre la relation et

donne un côté humain. Ça marche souvent quand quelqu’un se méfie de l’autre ».

On voit bien ici à quel point l’humour rétablit la communication dans une relation qui

était bloquée ou abimée, agissant comme un « ice breaking » (Tricart, 2015). De son coté,

Antoine, 25 ans, « ose plus facilement poser des questions » dans un environnement où

l’humour existe, ce qui augmente nécessairement la productivité de son travail car il bénéficie

des conseils de ses collègues.

Quatrièmement, l’humour permettrait aussi de développer une certaine créativité,

principalement lors de réunions. Par exemple, Jean, 30 ans, nous raconte : « En comparant

mes expériences, je réalise que les réunions dans lesquelles l’humour était utilisé étaient

souvent plus efficaces et productives que les autres ». Il estime que « dans les réunions, c’est

une bonne manière de générer des idées ».

Pierre, 55 ans, nous donne un bon exemple de ce type de réunions dans son entreprise :

« À la fin d‘une réunion, des gens me disent : ‘mais on a rien dit lors de la réunion, on

n’a pas arrêté de rire’. Je leur réponds : ‘mais vous croyez que la réunion a été

68

inefficace ?’ Ils répondent : ‘non on a eu plein d’idées, et finalement on a réussi à

faire entre 50 et 100 millions d’économies’. On se lâche, on dit des conneries, qui

finalement permettent de générer des idées. »

L’humour est donc un bon moyen de stimuler la créativité de son équipe, lorsqu’on leur

demande de trouver de nouvelles idées, comme lors d’un brainstorming par exemple. Pierre

ajoute que si l’idée n’est pas retenue il n’y a pas de frustration contrairement à une personne

qui exprime l’idée de manière sérieuse.

C - L’humour permet de faire passer un message

De nombreux interviewés ont évoqué l’humour comme un moyen de faire passer des

messages. C’est ce que nous disent Stéphanie, 35 ans : « L’humour sert à faire passer un

message » et Alexis, 25 ans : « C’est un bon moyen de faire passer des messages ». Certes,

comme toutes les formes de discours, l’humour contient le plus souvent un message. Utiliser

un discours humoristique dans une réunion, pour faire un rapport, dans un mail, peut

permettre de faire mieux passer le message, car celui-ci sera plus marquant, il se différenciera

des autres, et sera probablement mieux reçu par son récepteur, et donc mieux retenu.

Mais le plus souvent, l’humour est évoqué comme un moyen de faire passer un

message bien particulier : une critique, un reproche, une mauvaise nouvelle, etc :

Laurent, 60 ans : « L’humour permet de faire passer un message délicat »

Aude, 30 ans : « Grâce au rire, il est parfois plus facile de faire passer un message

délicat »

Pierre, 55 ans : « L’humour est une manière de faire passer des réprimandes plutôt

que d’attaquer quelqu’un en face. On peut par exemple prendre en dérision la

manière dont quelqu’un s’est comporté, pour lui faire comprendre que ce n’était pas

adapté »

69

Selon eux, véhiculer ce type de messages avec humour est une bonne solution, car

l’humour est considéré comme une forme discours indirect. En effet, l’humour est constitué

de jeux de mots, d’images, de sous-entendus, qui permettent de ne pas dire directement ce

qu’on pense, mais de l’exprimer de manière détournée.

Philippe, 50 ans : « L’humour est un moyen de faire passer des messages, notamment

pour les gens timides qui n’osent pas s’exprimer directement. J’utilise moi-même cette

forme de communication car c’est moins direct »

Lucas, 25 ans : « L’humour permet d’éviter d’être trop direct, il est donc moins violent

qu’un discours franc »

Ici, l’humour est décrit comme une façon de faire un reproche sans pour autant blesser

la personne en face, sans la brusquer. On comprend que cette forme de discours soit plus

appréciée qu’une critique directe, à la fois pour celui qui la formule, et pour celui qui la reçoit.

Alexis, 25 ans, nous confie en effet : « Ça ne me dérange pas forcément qu’on utilise

l’humour avec moi pour faire passer une critique ». Cécile, 40 ans est d’accord avec lui : « Je

préfère qu’on utilise l’humour avec moi pour me critiquer, plutôt que l’on me dise les choses

directement ».

Dunkan (1990) reprend cette idée, mais va encore plus loin en parlant d’humour comme

d’un vecteur de management du changement. Il affirme aussi qu’il a un rôle de transmission

de messages difficiles à accepter pour les collaborateurs, ce qui favorise donc le changement.

Ainsi, nous avons vu que l’humour sert à faire passer des messages plus facilement, et

le plus souvent il s’agit de messages négatifs. Ces messages sont atténués par l’humour, car

celui-ci est une forme de discours plus légère, et donc moins violente pour l’interlocuteur qui

reçoit un reproche.

Si l’utilisation de l’humour permet de rendre un climat de travail plus sain en

améliorant la communication et en mettant les sujets dans de bonnes dispositions grâce à une

meilleure cohésion d’équipe, il nous semble important et nécessaire de préciser que l’humour

70

a ses limites et qu’il peut aussi tout à fait nuire à une bonne ambiance jusqu’à être dangereux

et parfois destructeur surtout dans le cadre professionnel.

71

II - En quoi l’humour peut-il être destructeur et

dangereux si l’intention est détournée / déguisée, ou

s’il ne se prête pas au contexte ?

Dans cette partie nous allons vous présenter les résultats et témoignages que nous avons

collecté auprès de nos répondants qui stipulent que l’humour doit être manié adroitement pour

éviter des conséquences parfois dommageables qui pourraient avoir un impact sur

l’organisation d’une entreprise ou d’une équipe ou sur les différentes sensibilités.

A - L’humour doit être utilisé avec modération et au bon moment, il ne

doit pas être chronophage

Dans les constats qu’ont pu faire les sujets de l’enquête à propos des impacts négatifs

de l’humour utilisé dans le cadre professionnel, il se trouve que trois points importants

ressortaient :

- L’humour doit être utilisé au bon moment,

- Après avoir ri, il est parfois difficile de se remettre au travail,

- L’humour entraine une perte de concentration qui, si elle s’éternise, devient

chronophage.

Plusieurs sondés s’accordent à dire que l’humour peut ne pas toujours être le bienvenu

au travail s’il est utilisé au mauvais moment. Pour Paul, 55 ans et chef d’entreprise, il faut

éviter toute déconcentration lorsqu’une tâche urgente doit être réalisée. Si l’on est dans le

« rush », l’humour n’aura pas sa place car le temps consacré au rire dans cette situation-là ne

fera qu’augmenter le stress perçu par les personnes qui doivent finaliser une tâche dont la

deadline est proche.

Par ailleurs d’autre sondés stipulent qu’il faut faire attention à l’humeur de la personne

que nous avons en face de nous si nous souhaitons faire un peu d’esprit : si la personne est de

mauvaise humeur, elle pourrait éventuellement mal réagir à une blague ou une réflexion

humoristique auxquelles elle aurait bien réagit si elle avait été de bonne humeur.

72

Alexandre, 30 ans : « Un jour, j’avais un client au téléphone. Le boute-en-train de

service passe derrière moi et commence à me faire des chatouilles, à tirer ma chaise,

à raconter des blagues : ça fait rigoler tout le monde autour, mais c’est mauvais pour

le contrat »

François, 25 ans : « Il faut savoir rire au bon moment. Tous les moments ne sont pas

bien choisis »

Olivier, 50 ans : « Il faut faire attention au moment, aux personnes, au contexte quand

on utilise l’humour »

Marie, 25 ans : « Il faut sentir les moments où on peut se laisser aller »

Par opposition aux remarques faites dans la première partie de l’analyse, l’utilisation de

l’humour peut être, pour certains, néfaste pour leur retour à la concentration. Ils disent se

sentir moins en phase avec leur travail et ne plus avoir envie de se remettre à leurs tâches.

Marie, 25 ans, et Francois, 25 ans, s’accordent à dire qu’« après avoir bien ri ou ri trop

longtemps il est difficile de se remettre à bosser ». De même :

Pauline, 25 ans : « Il faut faire attention à ne pas se disperser trop longtemps, sinon il

est difficile de se remettre au travail »

Cécile, 40 ans : « J’ai parfois du mal à me reconcentrer après avoir ri »

Par conséquent si l’humour est utilisé au mauvais moment et s’il ne permet pas à tous

de se remettre correctement au travail, son utilisation génère une perte d’efficacité et donc de

temps. Le temps passé à rire serait donc du temps perdu pour l’avancement des tâches

professionnelles.

Antoine, 25 ans : « Parfois on s’amuse bien au travail et on peut s’amuser tellement

qu’on ne travaille plus du tout »

Bénédicte, 50 ans : « Il faut savoir rester sérieux, certains en oublient de bosser »

Édouard, 50 ans : « Quand ça va trop loin on peut perdre du temps »

François, 25 ans : « Ca consomme du temps pendant lequel on ne bosse pas »

Jean, 30 ans : « Quand tes collègues passent leur temps à blaguer et que tu ne peux

plus te concentrer, le travail n’avance plus »

73

B - Hiérarchie et humour ne font pas toujours bon ménage

Alors que nous avons mis en avant dans la première partie les bienfaits que l’humour

pouvait avoir sur le plan relationnel, il semblerait que son utilisation dans un contexte

hiérarchisé en entreprise ne soit pas approuvée par tous. Matthieu, 25 ans, nous raconte que

« c’est compliqué de rigoler avec un supérieur car il peut avoir des choses à te reprocher. Il

faut être sûr d’avoir de bons rapports avec la personne pour avoir l’audace de faire des

blagues ». Il est certain que l’humour s’oppose à la vision sérieuse du travail et pour ne pas

risquer de se faire mal voir auprès de ses supérieurs certains employés éviteront d’utiliser

l’humour avec ceux-ci de peur de provoquer une réaction inattendue qui feraient souffrir les

relations établies.

Claire, 25 ans : « On ne rigole pas avec ma chef, on ose moins, tout le monde a peur

d’elle »

Iris, 25 ans : « Si la structure de l’entreprise est très hiérarchisée et rigide il y aura

plus de barrières à la communication et donc moins d’humour »

Bénédicte, 50 ans : « Avec notre cadre on ne rigole pas. Les relations sont

compliquées et il a beaucoup d’autorité sur nous »

A l’inverse, François, 25 ans, considère que « tu peux rigoler avec ton chef mais ça ne

fera pas de lui ton copain ». C’est une question de respect de l’autorité qui est mise en

exergue dans cet exemple. Il s’agit de garder une certaine proximité avec les supérieurs

hiérarchiques sans non plus exagérer la relation. On peut penser ici à la phrase « le travail

c’est le travail, la vie privée c’est la vie privée ». Il est question ici de ne pas mélanger les

environnements pour garder une certaine liberté dans chacun d’eux. Vincent, 50 ans, illustre

ces propos en donnant un exemple : il est directeur général d’une entreprise et très copain

avec le directeur commercial alors que ce dernier n’est pas particulièrement compétent : il ne

peut pas le licencier.

Un tout autre exemple avec Claire, 25 ans, qui avance qu’elle ne peut pas faire de

l’humour avec quelqu’un qui occupe un poste hiérarchiquement inferieur au sien. Dans cette

situation, Claire se rend compte qu’il existe une certaine tension sociale au sein de son

74

entreprise liée à une différence particulièrement marquée entre les catégories socio-

professionnelles. La peur de ne pas comprendre ou de ne pas se faire comprendre, due aux

parcours personnels variés de chacun, la différence des métiers exercés, la stigmatisation des

postes dans l’administration sont des raisons pour lesquelles il peut être difficile d’utiliser

l’humour avec des personnes appartenant à une équipe dont le cœur de métier est bien

différent du notre parce qu’il semble très facile de heurter les sensibilités.

Beaucoup de sondés nous ont aussi parlé du rire subversif : pour échapper

collectivement à un comportement ou une attitude d’un supérieur jugée négative par ses

subordonnés, pour prendre du recul face à une situation désagréable qui serait le résultat d’un

management peu apprécié ou encore pour se moquer du pouvoir et de l’autorité (Panczuk,

2014), l’humour dit de subversion semble être un outil de défense facilement adopté par les

employés. Mais si Yves, 50 ans, cautionne le fait que ça rapproche les membres d’une équipe,

il affirme aussi que c’est malsain car peu constructif. Isabelle, 50 ans, ajoute que l’humour

subversif permet aux membres de son équipe de se sentir plus unis et que, par conséquent, la

hiérarchie sent qu’elle les maitrise moins. C’est l’humour de résistance dont parle Savatier

(2010) qui peut générer une contre-culture dommageable pour l’organisation parce qu’il

ébranle l’autorité mais qui, dans le même temps sert d’exutoire et rend supportable

l’insupportable (Pasqueron de Fommervault, 2012).

Rémi, 25 ans : « On utilise le rire sarcastique avec mes collègues pour se moquer de

notre patron »

Yves, 50 ans : « il y a souvent de la moquerie pour parler de l’organisation de

l’entreprise »

Olivier, 50 ans : « Dans mon équipe, on utilise beaucoup l’humour subversif pour

dédramatiser une situation dérangeante créée par la hiérarchie. Ca nous rassemble

autour d’une problématique commune, à savoir l’attitude ou le comportement d’un

chef »

Nous parlions plus haut des réprimandes qui peuvent être faites à l’aide de l’humour,

c’est un moyen de contourner une confrontation peu agréable en formulant des choses

différemment de manière à faire passer un message un peu dur sans heurter l’interlocuteur

75

(Dunkan et al., 1990). Cette utilisation de l’humour ne serait pourtant pas appréciée par tous.

Béatrice, 50 ans, nous dit que c’est très facile d’utiliser l’humour pour faire passer des

messages mais que cela peut être dangereux si il y a intention de manipulation derrière. Elle

ajoute qu’elle n’utilise donc pas cette forme d’humour et qu’elle préfère dire les choses

franchement et directement pour que le message soit bien compris. Pour Solenne, 25 ans, si

l’humour sert à faire passer des messages, il faut que cela se fasse en privé et non en public

pour éviter que la personne concernée se sente mal à l’aise face aux autres membres de son

équipe. Jean, 30 ans, considère que l’utilisation de l’humour pour faire passer des réprimandes

est une bonne manière d’attaquer l’autre : cela permet de détourner la diplomatie sans se faire

prendre.

C - L’humour peut exclure

Nous avons vu dans la première grande partie la fonction de cohésion que remplit

l’humour au sein d’une équipe comme le dit Meyer (1997) et les bénéfices qui en découlent,

mais il est important de préciser que ce n’est pas le cas lorsque c’est un humour négatif qui est

utilisé ou encore un humour mal placé. Pour Paul, 55 ans, l’humour mal placé peut plomber

l’ambiance d’équipe et freiner les motivations. Par conséquent, le travail en pâtit et les

résultats sont nettement moins bons. Par ailleurs, si l’humour rapproche il peut par la même

occasion exclure s’il n’est pas partagé, s’il est utilisé pour dénigrer ou se moquer. On retrouve

la notion d’« outsider » évoquée par Terrion et Ashforth (2000).

Plusieurs de nos sondés nous ont fait part des conséquences néfastes de l’humour

négatif : Iris, 25 ans, évite de l’utiliser parce qu’elle a peur de blesser quelqu’un, Claire, 25

ans, précise que l’humour tranchant et l’humour noir peuvent être destructeurs parce qu’ils

révèlent souvent de manière brutale une vérité qui blesse. Quant à Georges, 30 ans, il n’utilise

clairement pas l’humour au travail, pour lui cela reste une activité exercée à l’extérieur car

« on ne maîtrise jamais ses conséquences » et nous avions d’ailleurs cité Maples (2011) dans

la première partie de ce mémoire qui disait que ce qui peut paraître drôle à une personne peut

en fait susciter des émotions négatives à d’autres.

Pour reprendre l’idée d’Autissier & Bensebaa (2011) que nous avons développée dans

la revue de littérature, un certain nombre de personnes peuvent se souvenir de situations

76

désagréables quand on a ri à leurs dépens. Par conséquent Aude, 30 ans, met l’accent sur

l’importance de la dimension de partage de l’humour et du rire pour que son influence soit

positive et pour ne pas risquer d’exclure un membre.

Matthieu, 25 ans, nous dit que « parfois on se moque mais uniquement sur des

partenaires, des clients, des gens qui ne sont pas présents physiquement ». Dans cette

situation les partenaires ou clients en question sont en quelque sorte déjà « exclus » puisqu’ils

n’exercent pas dans l’entreprise de Matthieu. Il n’y a donc pas de conséquences néfastes à ces

moqueries puisqu’elles n’arrivent pas aux oreilles des concernés.

Dans l’entreprise de Claire, 25 ans, « l’humour entre les équipes est difficile. L’autre

équipe du couloir se sent inférieure à la nôtre et par conséquent les rapports ne sont pas

sains car il y a une sorte de méfiance ». Elle explique par la suite que le style d’humour utilisé

dans son équipe n’est absolument pas le même que celui utilisé dans l’autre équipe et que par

conséquent, la dimension de partage du rire ne se fait qu’au sein même des équipes. Ainsi

l’exclusion est bien présente, bien que non intentionnelle. Elle serait probablement liée à la

différence des tâches, à l’histoire commune de chaque équipe, aux profils de ses membres ou

encore à bien d’autres variables relationnelles.

Pour illustrer concrètement ce danger de l’exclusion, voici un exemple fictif :

Nathalie, 40 ans, en poste depuis 3 ans dans une entreprise de 40 salariés ne

se sent pas à l’aise au sein de son équipe dont les membres ont un comportement

pervers à son égard. Un jour, ils se moquent ouvertement d’elle en déguisant leur

moquerie derrière de l’humour et un autre jour ils arrivent devant elle la bouche en

cœur en adoptant un comportement bienveillant pour lui demander d’effectuer un

travail supplémentaire. Nathalie, bonne poire, accepte généralement ce travail

supplémentaire parce qu’il lui a été demandé gentiment et elle veut bien faire. Mais

les moqueries continuent et elle se sent de moins en moins heureuse dans cette

équipe.

Dans cet exemple, il s’agit clairement de manipulation : un membre n’est pas accepté

tel qu’il est dans une équipe et on le lui fait clairement comprendre, par contre lorsqu’on a

besoin de lui on n’hésite pas à faire appel à ses services et, pour être certain que la personne

77

accepte, on rattrape comme on peut son comportement malveillant en mettant tout

simplement les formes correctes et en sur-jouant un comportement opposé, mielleux, faux.

Si l’utilisation de l’humour peut être dangereuse pour les raisons évoquées ci-dessus, il

convient d’approfondir la question du contexte culturel, abordée dans la revue de littérature.

Selon nous, le contexte culturel est une variable à prendre en compte pour justifier les

différentes utilisations de l’humour mais aussi l’importance de la question de la perception

qui influe de toute évidence sur la compréhension de l’humour.

78

III - En quoi est-il nécessaire de contextualiser l’humour ?

Le facteur culturel a-t-il une influence sur

l’utilisation et la perception de l’humour en

entreprise ?

Dans cette partie nous avons choisi d’aborder les questions d’ordre culturel ainsi que

celle de de la personnalité qui, d’après les réponses de nos interlocuteurs semblent être des

facteurs influençant (ou non) la perception de l’humour en entreprise. En premier lieu nous

évoquerons les avis partagés que nous avons reçus concernant l’influence de la culture

d’entreprise sur l’humour puis nous ferons un point sur la question de la personnalité et de la

perception et pour finir nous parlerons de la fonction qu’occupe la culture en général lorsqu’il

s’agit d’utiliser l’humour.

A - Des avis partagés sur l’influence de la culture d’entreprise

L’impact de la culture d’entreprise, telle que définie par Schein (2010) dans la revue de

littérature, sur l’utilisation et la perception de l’humour, semble être un point de divergence

majeur parmi les sujets de notre enquête. Nous verrons d’abord que certains affirment que la

culture d’entreprise est primordiale dans ce domaine. Puis nous montrerons que d’autres

pensent qu’elle ne joue aucun rôle particulier et que tout dépend des personnes avec qui on

travaille.

D’après les réponses données par certains sujets de notre enquête, il semble indéniable

que la culture d’entreprise joue un rôle dans l’utilisation et la perception de l’humour. En

effet, « l’humour est un élément qui peut faire complètement partie de la culture d’entreprise.

Le style d’humour est aussi propre à la culture d’entreprise », nous dit Paul, 55 ans. Ou

encore : « La culture d’entreprise a une influence, c’est obligatoire », affirme Philippe, 50

ans. En effet, la définition de la culture d’entreprise de Schein (2010) inclut les blagues dans

le premier niveau de la culture d’entreprise : les artefacts. Il s’agit d’un des éléments

facilement observables qui composent la culture d’une entreprise.

79

Que la culture d’entreprise soit propice ou non à l’humour, elle influence la façon dont

les gens vont utiliser et percevoir l’humour dans le cadre du travail. Nous en avons de

nombreux exemples dans les expériences de nos sujets d’enquête.

Matthieu, 25 ans, définit la culture de son entreprise comme une culture « très friendly

et décontractée ». Il continue en expliquant ses relations avec ses managers :

« Je rigole avec mon N+1 et mon N+2, on se tutoie, on se tape dans le dos, ils me

proposent d’aller boire un coup. Mon N+2 est super drôle, il raconte des conneries

sur sa femme devant tout le monde. Après une soirée en boite, mon N+1 a fait tourner

une photo de moi où j’avais une sale tête, on a bien rigolé. » Il explique également

que cette culture d’entreprise est portée par des éléments très concrets tels que les

moyens de communication internes et l’aménagement de l’espace : « On a un réseau

social interne donc on se parle naturellement comme des amis même si on ne se

connaît pas. Le design des bureaux est très travaillé, l’espace de pause est au milieu

de l’open space. »

Cet exemple nous montre bien que les éléments concrets liés à une culture d’entreprise

spécifique ont un impact sur l’utilisation de l’humour. Par ailleurs, au niveau de la perception

de l’humour, il semble que les personnes travaillant dans une culture d’entreprise favorable à

l’humour soient plus aptes à rigoler de bon cœur à une petite moquerie dirigée contre eux,

comme le montre l’exemple de la photo.

A l’inverse, certains affirment qu’une culture d’entreprise trop sérieuse ou stressante va

créer une ambiance sans humour, ou avec une utilisation de l’humour limitée à certaines

personnes ou à certaines interactions. François, 25 ans, explique que « la hiérarchie marquée

fait qu’on ne peut pas rire. Ma chef rigolait souvent avec des collègues de son niveau

hiérarchique, mais avec moi, impossible ». De même, Isabelle, 50 ans : « La culture de mon

entreprise a complètement changé depuis qu’on nous parle de fusion, et on est passés d’un

humour bienveillant à un humour subversif ». Il existe donc des cultures d’entreprise dans

lesquelles l’humour ne peut pas être utilisé dans toutes les situations, ou n’est pas toujours

80

bien perçu. Ce n’est pas forcément une mauvaise chose, puisque certaines personnes préfèrent

travailler dans un environnement sans humour. Cela nous prouve simplement que la culture

d’entreprise a bien un impact sur l’utilisation et la perception de l’humour en entreprise, qu’il

soit positif ou négatif.

En résumé, comme le dit Solenne, 25 ans : « L’identité de l’entreprise te permet d’être

plus ou moins détendu », et donc de plus ou moins utiliser l’humour et le percevoir, ou non,

de façon bienveillante.

Cependant, notre enquête nous montre aussi la position inverse : beaucoup de

personnes, n’ayant pas connu de telles expériences, estiment que la culture d’entreprise

n’influe pas (ou peu) sur l’utilisation et la perception de l’humour.

Yves, 50 ans : « Je n’ai jamais connu de culture d’entreprise qui favorise l’humour »

Charles, 25 ans : « On voit de tout dans une même entreprise »

Alexandre, 30 ans : « Dans mon entreprise, il y a des branches où ils ont l’air de se

marrer alors que chez nous ce n’est pas drôle »

En creusant un peu le sujet, on découvre qu’ils évoquent tous, plus ou moins de la

même manière, la personnalité des collègues avec qui ils travaillent, comme facteur

d’influence sur l’utilisation et la perception de l’humour. Charles, 25 ans, affirme que « ça

dépend des gens, pas tant de la culture d’entreprise. La culture d’entreprise définit la façon

dont les choses sont faites, mais n’intervient pas dans la relation entre les gens ». De même,

Rémi, 25 ans, dit que « le facteur important, c’est davantage la personnalité des gens que la

culture d’entreprise » et Alexandre, 30 ans, qu’« une entreprise, c’est censé être sérieux, donc

l’humour ne dépend que des collègues », ainsi que Francois, 25 ans : « Ca dépend plus des

personnes avec qui tu travailles que de l’identité de l’entreprise ».

Toutes ces personnes ont eu des expériences professionnelles très variées, mais elles

sont d’accord sur le fait qu’il faut davantage prendre en compte la personnalité des gens que

la culture globale de l’entreprise pour étudier le phénomène de l’humour.

81

Au-delà de la culture d’entreprise, qui a son importance, il semble que la personnalité

des collègues soit aussi un facteur déterminant de l’utilisation et de la perception de l’humour.

Comment alors gérer la relation à l’autre dans l’humour ? Comment utiliser l’humour sans

danger dans l’entreprise ? Comment savoir si tel ou tel environnement est favorable à

l’humour ?

B - La question de la personnalité et des perceptions individuelles

On observe dans les interviews qu’il est très souvent évoqué l’importance du face-à-

face dans l’humour : Qui est la personne en face de moi ? Quelle est sa personnalité ? D’où

vient-elle ? Quel âge a-t-elle ? etc…

L’idée est d’utiliser l’humour au bon moment et avec les bonnes personnes, afin de ne

pas créer de situation gênante, improductive, voire dangereuse. Pour cela, les sujets de

l’enquête évoquent le plus souvent les « acteurs qu’on a en face de soi », comme le dit

Antoine, 25 ans. Alexis, 25 ans, pense que « l’humour, c’est le truc le plus personnel du

monde : tout le monde ne rit pas de la même chose », et Marie, 25 ans, et Olivier, 50 ans, que

« tout dépend de la personne que tu as en face de toi ».

Paul, 55 ans, exprime très clairement la solution qu’il a trouvée, dans cette phrase :

« Avant de faire de l’humour, il faut absolument que je connaisse la personne en face de

moi ». Cela signifie que l’utilisation de l’humour est à adapter « au cas par cas », comme le

dit Iris, 25 ans.

La personnalité des collègues qui nous entourent a donc un rôle très important à jouer

dans l’utilisation et la perception de l’humour. Untel pourra mal prendre une blague qui lui est

faite, alors qu’un autre rira de bon cœur à la même blague. Le danger est d’adresser la

mauvaise blague à la mauvaise personne, et ainsi de créer l’effet inverse de celui qui était

recherché.

82

Nous évoquons ici la notion de personnalité au sens défini par Sillamy (2010), c’est-à-

dire « l’ensemble structuré des dispositions innées et des dispositions acquises sous

l’influence de l’éducation, des interrelations complexes de l’individu dans son milieu, de ses

expériences présentes et passées, de ses anticipations et de ses projets ». La personnalité est

donc définie, chez un individu, par le contexte qui l’entoure, dans le temps et dans l’espace.

C’est la connaissance de cette personnalité qui améliorera la connaissance de l’autre qui est

recherchée dans le cadre de l’utilisation et de la perception de l’humour.

Il s’agit d’un double besoin de connaissance de l’autre : d’une part celui qui fait de

l’humour doit connaitre celui à qui il s’adresse, mais d’autre part (et ce sens-là semble moins

évident), celui qui écoute la blague doit connaitre celui qui la fait pour être en mesure de la

comprendre.

On peut par exemple évoquer l’exemple donné par Béatrice, 50 ans :

Son assistant faisait très souvent des blagues racistes à une personne d’origine

africaine dans l’équipe, en prenant par exemple un accent africain pour parler, ou en

évoquant sa différence de couleur de peau. Il était le seul à en rire car cela choquait

tous les autres membres de l’équipe, qui n’osaient pas vraiment lui dire d’arrêter.

Mais un jour, ils ont tous découvert que l’assistant était lui-même marié à une femme

antillaise, et donc que ce genre d’humour faisait partie de son quotidien et n’avait

rien d’offensant, de son point de vue. A partir de ce jour, ils ont tous mieux accepté

son humour, en particulier la personne d’origine africaine, et l’atmosphère s’est

détendue.

Maples (2011) écrit que ce qui peut paraître drôle à une personne peut en fait susciter

des émotions négatives à d’autres. C’est bien ce qu’on observe dans cet exemple : l’humour

raciste fait rire l’assistant, mais la personne visée ne trouve pas cela drôle, elle se sent même

plutôt insultée. Quant aux autres, ils sont choqués par cet humour. Nous pouvons cependant

aller plus loin et affirmer que la connaissance de l’autre permet d’adapter son utilisation et sa

perception de la blague. L’assistant aurait pu éviter cet humour s’il avait su que la personne

d’origine africaine n’appréciait pas cela, et cette dernière aurait pu apprécier la blague si elle

83

avait su que l’assistant avait une femme antillaise, car elle aurait compris que cet humour

représentait pour lui une sorte de boutade sympathique, mais pas raciste.

Tout est une question de subjectivité et de perception. Chacun de nous a une

personnalité différente, due à son passé, son identité, son caractère, son âge, sa vie privée,

etc… et perçoit donc les discours qui lui sont adressés de manière personnelle, comme à

travers un filtre, qu’il est difficile de décrypter. L’humour demande une constante adaptation à

l’autre, pour toucher juste et obtenir l’effet souhaité.

On peut par exemple évoquer la différence homme/femme, comme trait de personnalité

principal, car elle a été citée par plusieurs de nos sujets d’enquête :

Iris, 25 ans : « Je rigole plus avec les hommes : ils sont moins sur la défensive, moins

dans le contrôle »

Bénédicte, 50 ans : « Je travaille dans un milieu très féminin, mais depuis quelques

temps nous avons accueilli deux hommes dans l’équipe et ça a beaucoup détendu

l’atmosphère : l’ambiance est plus cool, plus positive, il y a moins de critiques »

Alexandre, 30 ans : « Je travaille dans un univers très masculin [seulement 1 femme

pour 28 hommes], donc tout est sujet à rire de manière un peu sale, entre hommes

quoi »

Antoine, 25 ans : « J’ai une équipe masculine, on peut être un peu machos, ou faire

des blagues déplacées »

Il semble que l’humour soit différent en fonction du sexe des personnes concernées. Les

hommes interrogés évoquent l’existence d’un humour typiquement masculin, caractérisé par

des blagues machos ou « en dessous de la ceinture », alors que les femmes affirment que ce

qui serait plutôt féminin serait la critique, le fait d’être sur la défensive ou de vouloir contrôler

son environnement, deux attitudes qui s’opposent à la présence de l’humour. D’après nos

sujets d’enquête, la présence d’hommes dans une équipe amènerait plus de légèreté, et plus

d’humour.

84

Cette vision de l’humour en fonction du genre des individus n’est pas partagée par

Lucie Joubert (Tricart, 2015) qui décrit l’humour entre un homme et une femme comme un

mode implicite de séduction. Néanmoins, l’idée que l’humour d’un homme est généralement

mieux perçu que celui d’une femme (Tricart, 2015) rejoint notre analyse. Mais ce n’est pas

pour les mêmes raisons, car aucun de nos sujets d’enquête n’évoque la notion de séduction.

Plus généralement, connaitre la personne que l’on a en face de soi revient aussi à

connaitre ses valeurs, à savoir si oui ou non on partage les mêmes références, sur lesquelles

on pourrait éventuellement blaguer. Comme le dit Béatrice, 50 ans : « L’humour marche si on

a des références communes, il faut les mêmes clés de compréhension ».

Par exemple, Elodie, 30 ans, évoque la difficulté qu’elle a à travailler avec des

personnes qui n’ont pas le même métier qu’elle :

« Quand tu travailles avec des gens qui n’exercent pas dans la même branche que toi,

tu fais beaucoup plus attention, car on ne comprend pas les choses de la même

manière, on ne vit pas la même chose. L’homogénéité du groupe est importante ».

Selon elle, un groupe est plus efficace et plus apte à bien rigoler lorsqu’il est homogène,

c’est-à-dire qu’il a des éléments en commun comme la formation académique et le métier, par

exemple. Cet élément donne un cadre de références communes car il apprend à réfléchir de la

même manière, à faire appel aux mêmes techniques professionnelles, à utiliser le même

vocabulaire, etc.

Ce problème est aussi soulevé par de nombreux chercheurs dans des travaux sur la

multidisciplinarité des équipes, de plus en plus courante et importante à l’heure actuelle. Ces

équipes manquent souvent d’objectifs communs et de vision globale, car elles ont tendance à

juxtaposer leurs savoirs et leurs actions, au lieu de les entremêler et d’en tirer des conclusions

communes (Fortin, 2000; Guay, 1998; Larivière, 1997). Il semble qu’elles ne sachent pas

comment se créer des objectifs communs, car chacun se sent trop différent des autres,

incompris en quelque sorte. L’humour pourrait être un facteur liant, mais d’après l’expérience

d’Élodie, il est plutôt à éviter ou à utiliser avec précaution, pour éviter de faire des erreurs. Au

85

contraire, Fortin & Méthot (2004) préconisent fortement l’utilisation de l’humour pour

favoriser l’apprentissage d’un langage commun, entre personnes de métiers différents.

Pour arriver à un stade de connaissance de l’autre suffisant pour pouvoir utiliser

l’humour de manière adaptée et obtenir l’effet désiré, il semble que l’ancienneté dans

l’entreprise soit une bonne solution. En effet, Stéphanie, 40 ans, nous explique : « Vue mon

ancienneté [14 ans], je sais comment parler aux gens, les travailler en fonction de leur

profil ». Elle connait son entourage de travail, elle sait donc parler à chacun en fonction de sa

personnalité et ainsi obtenir ce qu’elle souhaite d’eux.

Malgré tout, un contre-exemple très parlant nous est donné par Pierre, 55 ans, qui n’a

aucune ancienneté dans son entreprise et qui occupe un poste à responsabilités : « Je viens

d’arriver pour occuper un nouveau poste dans une entreprise qui est en faillite. J’utilise

beaucoup l’humour pour créer des relations avec mes nouveaux collègues. Mais un

médiateur m’a dit que mon humour était perçu par les employés comme une manière de leur

cacher quelque chose ». Son humour n’atteint donc pas le but recherché, principalement parce

que ses collègues ne le connaissent pas (il est là depuis trop peu de temps) et donc se méfient

de lui.

On peut alors se demander comment il serait possible d’utiliser l’humour avec des

personnes étrangères ou à l’étranger. En effet, travailler avec des étrangers est très courant

dans certaines entreprises, et fait même partie du quotidien de beaucoup de nos sujets

d’enquête. Mais il semblerait que deux personnes de nationalités ou de cultures différentes

aient encore moins de références communes que deux personnes de la même nationalité ou de

la même culture, puisqu’elles ont toujours vécu dans des environnements différents. Quels

sont alors les risques ? Dans quelle mesure l’humour peut-il fonctionner ? En quoi l’humour

peut-il aussi être un facilitateur ?

86

C - Cultures individuelles : quelles influences ont-elles sur l’humour ?

La première difficulté rencontrée par les personnes qui veulent faire de l’humour dans

un environnement multiculturel est la barrière de la langue. Beaucoup de nos sujets d’enquête

ont relevé cet obstacle et nous parlent des conséquences que cela a sur les relations avec des

étrangers :

Philippe, 50 ans : « Il y a la barrière de la langue avec les étrangers, du coup

l’humour devient plus gestuel, pas très élaboré »

Iris, 25 ans : « La barrière de la langue entraine moins de spontanéité, l’humour

nécessite plus de réflexion »

Matthieu, 25 ans : « C’est plus simple de se marrer avec des gens qui parlent la même

langue »

L’humour étant une forme de communication qui passe souvent par le discours, et qui

n’est pas direct (double sens, jeux de mots, sous-entendus), il est difficile de l’utiliser pour

communiquer avec des étrangers. Ou alors, comme l’expliquent Philippe et Iris, cela nécessite

une simplification du discours pour y ajouter une gestuelle, ou plus de réflexion pour

déchiffrer le message.

Charles, 25 ans, nous donne un exemple d’une situation où l’humour est utilisé entre

étrangers :

« Pour les blagues, la langue est une barrière. Si l’interlocuteur ne la maîtrise pas

assez pour saisir la blague, il demandera de répéter, sur un ton parfois très (trop)

formel, croyant avoir raté une information cruciale. Et du coup la blague, au lieu de

détendre l’atmosphère et de renforcer la fluidité de la relation, déconcentre plutôt le

pauvre type qui essaye de comprendre ce qui se dit dans telle langue qu’il ne parle pas

(et qui se rend compte par-là que décidément il galère). Contre-productif, du coup ».

87

Cet exemple nous montre bien qu’une blague, même simple, peut avoir un effet

contraire à celui recherché si elle est utilisée avec un étranger, tout simplement car les deux

personnes ne parlent pas la même langue.

Néanmoins, les différences culturelles, peuvent aussi être un sujet d’humour qui

rapproche facilement des personnes de cultures très différentes qui doivent travailler ensemble

sur un même projet. Comme le dit Yves, 50 ans : « On rigole souvent des petits défauts de

telle ou telle nationalité, de l’accent de quelqu’un par exemple ». L’humour crée de la

cohésion malgré les différences culturelles, et même grâce aux différences, car on rigole sur

des stéréotypes que tout le monde connait, et pense vérifier dans ses collègues étrangers.

Pourtant, les différences culturelles sont aussi, et le plus souvent, un sujet

d’incompréhension. Rémi, 25 ans, nous dit par exemple : « J’ai l’impression que les

Américains rigolent pour rien ». Ou encore Stéphanie, 35 ans : « Les Allemands n’ont pas le

même sens du mot, on prend des pincettes quand on fait de l’humour » et Olivier, 50 ans :

« Avec les Allemands de l’Est, c’est compliqué, c’est difficile de les faire rire ».

Béatrice, 50 ans, nous racontait une anecdote pour illustrer l’incompréhension de

l’humour dans la confrontation des cultures :

Elle avait rencontré récemment de très bons amis japonais, à qui elle avait demandé

de raconter les blagues qu’ils se faisaient au bureau. Elle nous a avoué n’avoir pas

compris du tout ce qui pouvait être drôle dans ce qu’ils ont raconté. Elle n’a été ni

surprise, ni choquée, elle nous exprimait juste sa profonde incompréhension, comme si

elle n’avait trouvé aucun élément, dans l’humour japonais, auquel se raccrocher pour

faire un lien avec notre humour français, alors que ces Japonais étaient pourtant de

bons amis, donc ils arrivaient à partager sur beaucoup d’autres sujets.

L’humour serait donc un espace de communication où les différentes cultures ne se

rejoignent pas forcément. Certaines ont des éléments en commun, d’autres n’en ont aucun.

Cela est probablement dû à l’éloignement géographique, et à l’histoire des peuples, qui se

88

construisent avec plus ou moins de liens entre eux. L’humour lui-même peut-être un facteur

de construction d’une culture, selon Pasqueron de Fommervault (2012), et c’est ainsi, entre

autres, que les cultures se distinguent les unes des autres. C’est pourquoi l’humour français et

l’humour japonais sont si éloignés l’un de l’autre (Autissier et Arnéguy, 2012). C’est ce que

développe également Hofstede (2009) dans ses recherches : en fonction des cultures,

l’humour a des processus différents, des styles de plaisanterie différents, et des contenus

différents. Ce sont toutes ces différences qui peuvent créer l’incompréhension.

Les cultures différentes ont aussi des codes différents quant à l’humour. En Allemagne,

par exemple, nous raconte Francois, 25 ans, en comparant ses expériences professionnelles

allemandes et françaises, « l’humour a lieu en dehors du cadre du travail, mais avec les

collègues, car on n’hésite pas à sortir entre collègues le soir, alors qu’en France, on rigole

au boulot mais on ne se voit pas en dehors le soir ». Les temps privilégiés consacrés à

l’humour ne sont pas les mêmes dans tous les pays.

Cependant, au-delà de l’incompréhension et des habitudes culturelles, il semble que

l’humour puisse aussi être un terrain extrêmement dangereux dans les relations

professionnelles multiculturelles. Créer de l’incompréhension ou de la gêne peut réellement

être fatal à la signature d’un contrat, comme nous le disent certains sujets d’enquête :

Yves, 50 ans : « L’humour est forcément très culturel donc ça peut ne pas marcher du

tout [avec des étrangers] »

Béatrice, 50 ans : « Ne pas manier l’humour à l’étranger. Ne jamais essayer, ça tombe

toujours à plat, ça peut blesser. Tu perds un contrat ! »

Cette opinion, largement partagée par nos interviewés, est contestée par Serge

Grudzinski et son entreprise Humour Consulting Group. Selon lui, « la pratique de l’humour

est universelle et elle répond au défi multiculturel ». Cette position est d’autant plus

intéressante et intrigante qu’elle est unique en son genre et qu’elle s’oppose totalement à notre

analyse. Serge Grudzinski semble avoir trouvé la voie d’un humour qui fait l’unanimité, dans

des réunions internationales réunissant des personnes de tous les horizons. Il réussit par-là à

89

rassembler des profils extrêmement variés autour d’un objectif commun. Cette performance

reste une énigme à notre niveau…

L’expérience de Béatrice, 50 ans, dont la vision est radicalement opposée à celle de

Serge Grudzinski, est justement très parlante dans ce domaine. Bien qu’un peu particulière,

elle peut nous aider à mieux saisir les enjeux de l’utilisation de l’humour à l’étranger. Béatrice

nous raconte qu’elle a travaillé pour un hôpital à Kaboul, en Afghanistan, pour lequel elle

s’occupait des approvisionnements en matériel médical, dans le cadre d’une ONG.

« En Afghanistan, c’est un pays en guerre et en plus un pays musulman, donc j’évite

l’humour à tout prix. Tu peux te faire tuer si tu dis un mot de travers, surtout si tu es

une femme ».

L’enjeu est ici est vraiment majeur, même si les conséquences d’un humour mal placé

ne sont pas toujours aussi extrêmes, cela nous permet de comprendre à quel point le contexte

a une importance cruciale, et en particulier le contexte culturel.

Lorsque le contexte, qu’il soit culturel ou non, est particulièrement difficile (postes à

responsabilités dans une grande entreprise, travail médical où la vie des personnes est en jeu,

contexte de guerre, etc) il semblerait donc que l’humour n’ait pas sa place, à première vue, car

le sérieux prédomine. Mais, paradoxalement, nous avons découvert que c’est dans ce type de

contexte que l’humour est très présent et qu’il joue un rôle d’exutoire et d’évacuation du

stress, indispensable à la poursuite du travail. Béatrice nous confie par exemple qu’en

Afghanistan, « on rit seulement entre collègues français, quand les Afghans ne sont pas là,

pour décompresser ». Bénédicte, 50 ans, qui travaille dans le milieu hospitalier, nous raconte

aussi qu’elle a énormément besoin de rigoler dans son travail, sinon ce serait trop triste et trop

stressant : chaque jour, des patients meurent, souffrent ou connaissent des complications

difficiles à gérer. C’est dans ces contextes que l’humour, malgré le paradoxe apparent, a un

rôle primordial à jouer. C’est aussi ce que démontre Pasqueron de Fommervault (2012)

lorsqu’il parle du rire comme un outil de distanciation qui permet de « rire pour ne pas

pleurer ».

90

Pour résumer, nous pouvons citer Paul, 55 ans : « Pour comprendre l’humour utilisé

dans une culture différente de la sienne, il faut énormément de connaissance des rapports

sociaux et de l’ouverture d’esprit ». Les qualités d’ouverture d’esprit, d’attention à l’autre,

d’adaptation au contexte et de délicatesse sont en effet indispensables à toutes les relations

professionnelles, mais particulièrement pour ceux qui veulent utiliser l’humour pour

communiquer, et pour ceux qui veulent comprendre l’humour qui leur est adressé.

Nous pouvons conclure que les clefs pour une bonne utilisation et une bonne perception

de l’humour sont multiples. Il est certain que l’humour doit être contextualisé, il doit être émis

et reçu en prenant en compte l’environnement, à plusieurs échelles.

On peut définir deux processus :

- Soit la culture d’entreprise prédomine : elle favorise ou non l’humour, mais elle a une

influence forte sur son utilisation et sa perception. Ensuite, on doit attacher de

l’importance à la culture individuelle de notre interlocuteur, et enfin à sa personnalité.

91

Figure 13: Processus de connaissance de l'environnement 1

- Soit la culture individuelle de l’individu prédomine, en particulier à l’étranger, ou

quand on travaille avec des étrangers. On regarde ensuite la culture de l’entreprise

dans laquelle on se trouve, et enfin la personnalité de notre interlocuteur.

Figure 14: Processus de connaissance de l'environnement 2

Ces trois niveaux de culture ont tous les trois leur importance et méritent qu’on y

attache de la valeur, si on souhaite que l’humour utilisé ait l’effet escompté. Mais en fonction

des situations et des types d’humour, on doit leur accorder plus ou moins d’importance, et

savoir lesquels privilégier. On doit effectuer un arbitrage entre culture d’entreprise et culture

Personnalité

Culture individuelle (nationalité, valeurs, expériences pasées,

éducation, vie privée,...)

Culture d'entreprise

Personnalité

Culture d'entreprise

Culture individuelle (nationalité, valeurs, expériences pasées,

éducation, vie privée,...)

92

individuelle, en fonction du contexte, mais connaitre la personnalité de son interlocuteur, pour

deviner au mieux sa perception des choses, est indispensable dans n’importe quelle situation,

pour ne pas blesser, choquer, ou gêner.

93

V. CONCLUSIONS

94

I - Recommandations managériales

A - Créer un contexte favorable à l’humour, en interne

Humour et communication interne

Nous l’avons vu, l’humour facilite la communication au sein d’une équipe : il permet

entre autre des échanges plus spontanés, plus détendus, plus fluides. Mais à l’inverse : le

mode de communication utilisé peut avoir une influence sur l’humour : les modes de

communication asynchrones comme les e-mails ne permettent pas d’utiliser le même humour

qu’une conversation par téléphone par exemple. Ce décalage entre l’envoi, la réception et la

réponse ne permet pas l’échange spontané mais peut favoriser une forme d’humour plus

réfléchie. Mais l’e-mail laisse une trace écrite qui peut potentiellement être redirigée ou mal

interprétée, du fait que la personne n’ait pu saisir l'expression du visage ou le ton de son

interlocuteur. Ainsi, nous recommandons aux collaborateurs de privilégier les modes de

communication synchrones, limitant les risques de malentendu / quiproquo. Pour les relations

à distance : préférer le téléphone ou le système interne de messagerie instantanée. Si c’est

possible, préférer le téléphone à la messagerie instantanée : nous pensons que la voix permet

de « personnaliser » et « humaniser » la communication. Et pour les relations de proximité :

toujours privilégier la relation directe, in visu. Pour des personnes de différents services par

exemple, ne pas hésiter au moment de la pause, à passer une tête dans le bureau d’à côté pour

échanger quelques blagues et renforcer la relation. Selon Guy Barrier (2014), la

communication non verbale représente environ 90 % de notre communication : expressions

faciales, postures, mouvements du corps et tonalité de la voix… sont autant d’indicateurs à ne

pas négliger dans l’utilisation de l’humour. Nous développerons cet aspect en dernière partie.

De façon générale, afin de faciliter la communication interne, nous conseillons à

l’entreprise de mettre en place un système de messagerie instantanée et un réseau social

interne. La messagerie instantanée permet d’ajouter aux conversations des smileys, souvent

assez drôles et « funs », propices à l’humour. Le réseau social interne permet quant à lui de

partager des photos / blagues / anecdotes plus personnels avec des collègues, qu’on ne connait

95

pas forcément très bien. C’est là le grand avantage d’un réseau social interne d’entreprise : on

peut plaisanter et interagir avec les collaborateurs qui réagissent à nos publications, plutôt que

d’entretenir une conversation en one-to-one avec quelqu’un qu’on connait mais qui ne sera

pas forcément réceptif à notre humour. Parmi les réseaux sociaux d’entreprise, on peut citer

Yammer (Microsoft).

Humour et aménagement de l’espace de travail

L’aménagement de l’espace est un critère important à prendre en compte : comme nous

l’avons vu dans le témoignage de Matthieu, un espace de pause a été créé au milieu de l’open

space afin de permettre aux collaborateurs de voir et rejoindre leurs collègues en pause, s’ils

le souhaitent. Cet espace a été insonorisé afin d’empêcher toute nuisance sonore et pour

permettre aux collaborateurs de rigoler en toute liberté. Nous conseillons aux entreprises de

consacrer une pièce ou un endroit défini à la détente et aux pauses informelles, avec par

exemple une machine à café, un baby-foot, des plantes vertes... En organisant l’espace de

cette manière, l’entreprise donne son « accord » voire incite les collaborateurs à se détendre et

à plaisanter.

Instaurer une culture d’entreprise favorable à l’humour

Nous l’avons vu, la plupart de nos interviewés estiment que la culture d’entreprise

déteint sur l’ambiance générale et la propension à l’humour des salariés. Une ambiance

détendue et un climat de confiance vont permettre aux collaborateurs de « se lâcher » et d’être

plus spontanés, condition essentielle de l’humour.

Instaurer une ambiance détendue

Toutes les entreprises subissent des pressions du fait de la complexité de leur

environnement (fournisseurs, clients, concurrents…), mais l’ambiance ne doit pas être pour

autant tendue. Nous estimons que c’est le rôle des managers, dont l’influence sur la culture

d’entreprise est réelle, d’instaurer un climat détendu, par le biais de l’humour notamment.

Comme nous l’avons vu, l’humour est un outil efficace et intelligent en contexte de crise : il

permet de prendre du recul, de décharger le stress et les tensions et de prévenir les conflits.

96

Ainsi, en tant que manager, n’hésitez pas, grâce à l’humour, à dédramatiser toutes situations

qui pourraient être mal vécues des collaborateurs (réorganisation, vague de licenciements…).

Attention toutefois à la forme : sur ce genre de sujet délicat, l’humour doit être un minimum

réfléchi et pensé dans son contexte.

Instaurer un climat de confiance

Comme nous l’avons vu, l’humour n’est efficace que si le collaborateur adhère

affectivement. Ainsi, le manager doit faire preuve d’exemplarité et avoir une attitude

irréprochable vis-à-vis de son équipe, pour pouvoir utiliser l’humour. Et lorsqu’il l’utilise, il

doit être vigilant à garder une attitude correcte : pas de blague humiliante ou dégradante, pas

d’humour « gras », « salace » ou « noir », qui sont généralement mal reçus. Le risque qu’il

soit déconsidéré à cause d’une blague mal placée est bien réel : cela pourrait entacher

considérablement sa légitimité et sa respectabilité et nuire à l’efficacité de l’organisation

établie.

Par ailleurs, l’entreprise doit faire preuve de transparence et de pédagogie, expliquant et

justifiant ses choix aux collaborateurs (stratégie, plan opérationnel). Dans un tel contexte, il

est rare que l’humour soit mal reçu. Cela, en plus d’instaurer une relation de confiance,

permettra d’impliquer et motiver davantage les collaborateurs.

Intégration des nouvelles recrues

Afin de permettre une meilleure adhésion à la culture et à l’humour en entreprise, nous

conseillons au service recrutement de soigner tout particulièrement l’intégration des nouveaux

collaborateurs. Comme le relèvent certains sujets de notre enquête, les « nouveaux » prennent

rarement part aux blagues de l’équipe, ils sont trop occupés à tenter de s’adapter, à

comprendre le fonctionnement et les mécanismes de l’entreprise, de leur service ou de leur

poste. Ainsi, prendre le temps d’accompagner l’intégration du salarié semble primordial :

programmes de formation, présentation à l’ensemble des salariés, faire preuve de pédagogie

etc. seront d’autant plus de raisons pour le salarié d’être reconnaissant et motivé. En prenant

le temps de lui expliquer le fonctionnement de l’entreprise, les axes stratégiques de

l’entreprise, le cœur de l’activité, etc., le salarié sera moins préoccupé par ce nouveau

97

contexte. Cela lui permettra d’aborder les choses plus sereinement, d’être moins méfiant vis-

à-vis de cet environnement, subitement moins inconnu. Se sentant à l’aise plus rapidement, il

pourra prendre part à l’humour en équipe dès le début de son expérience. L’entreprise a alors

plus de chance d’avoir un salarié motivé et fidélisé. Cette attention particulière portée aux

nouvelles recrues peut aussi être un bon moyen d’éviter le turnover.

Humour, personnalité et cohésion d’équipe

Nous l’avons vu, l’humour dépend de la perception de l’individu, elle-même influencée

par sa personnalité. Ainsi, nous conseillons au manager de penser intelligemment la

constitution de ses équipes, en fonction, bien sûr, des compétences de chacun, mais également

au niveau de la complémentarité des profils de personnalité. Nous nous intéresserons ici

brièvement aux 6 profils de personnalité Process Communication.

D'après la Process Communication, la personnalité de chaque individu se compose des

6 profils de personnalité, à différents degrés (Collignon, 2010) :

- Le Travaillomane : logique, responsable, organisé

- Le Persévérant : engagé, observateur, consciencieux

- Le Rebelle : spontané, créatif, ludique

- Le Promoteur : adaptable, persuasif, charmeur

- L’Empathique : chaleureux, compatissant, sensible

- Le Rêveur : réfléchi, imaginatif, calme

Process Comm se présente sous la forme d’une pyramide avec 6 étages : l’ordre des

différents profils (ou étages) varie d’une personne à l’autre, il y a 720 combinaisons possibles.

A la base de la pyramide, le profil « base » c’est-à-dire « les besoins psychologiques les

plus profonds de l’individu, sa façon d'être au monde » (Collignon, 2010). C’est aussi par

cette base que quelqu’un entend (Breitwiller et al., 2014), c’est-à-dire perçoit son

environnement, ce qu’on lui dit. La base ne change pas au cours de la vie, contrairement aux

« phases » qui peuvent (ou non) évoluer dans le temps. La phase détermine « les besoins

psychologiques immédiats, les motivations, les sources de stress et leurs manifestations »

98

(Collignon, 2010). Si les besoins psychologiques de la base ou de la phase de l’individu ne

sont pas nourris, il manifeste des comportements sous stress (au premier ou second degré de

stress). A l’inverse s’ils sont nourris, l’individu exprime son plein potentiel en manifestant les

points forts de sa base et/ou de sa phase.

Voici un exemple de Profil Process Comm, pour mieux comprendre le système de

pyramide et l’imbrication de la base et des phases, évoqués plus haut :

Figure 15: Exemple de personnalité Process Comm

(Chidharom, 2014)

Dans le cadre de l’humour, on peut s’intéresser à la complémentarité et à l’interaction

des profils entre eux. Il est plus difficile de communiquer avec un profil totalement opposé au

sien, c’est-à-dire dont la base est notre dernier étage de personnalité. Cela nous demandera

plus d’énergie et d’effort pour nous adapter. Car si chaque profil a des besoins, des points

forts et comportements sous stress différents, la personnalité influence également le mode de

perception et donc le canal de communication ou le style de management privilégié de

l’individu, de même que son environnent favori. Ainsi, des personnes ayant changé de phase

plusieurs fois dans leur vie (c’est-à-dire monté d’un étage dans leur pyramide), seront plus à

mêmes de s’adapter avec un grand nombre de personnes car ils auront connu à un moment

donné, les mêmes besoins / aptitudes / points faibles et auront acquis le canal de

99

communication correspondant. A l’inverse, un profil « base phase » (n’ayant jamais évolué

dans sa pyramide de personnalité), aura souvent plus de difficulté à comprendre les besoins

des profils opposés et à adapter sa communication et son comportement.

Nous conseillons donc dans la mesure du possible, de nommer des managers ayant

changé de phases plusieurs fois. Ils seront plus à même de comprendre et motiver leurs

équipes, quel que soit le profil des individus qui la composent. L’entreprise, dans la mesure

du possible, finance alors le coût du passage du test Process Comm pour ses managers. Sinon,

nous conseillons de faire appel à un organisme de formation qui pourra former le top et

middle management à cet outil, relativement simple à comprendre, et très ludique. Cela leur

permettra d’identifier plus facilement les différents profils et ainsi, de mieux constituer leurs

équipes. Dans certains cas, il est facile de reconnaitre un profil : par exemple les profils « base

phase », sont souvent facilement reconnaissables avec une personnalité relativement

caricaturale : des comportements sous stress plus intenses et visibles, des besoins flagrants…

Dans le cadre de l’humour, il semble que le profil « Rebelle » soit particulièrement

sensible à l’humour. Selon Jean-Luc Monsempes (2015) : « Rayonnant, enthousiaste, c’est

une personne qui aime les contacts, le travail en groupe dans une atmosphère stimulante et

ludique. Il vit l’instant présent et aime jouer et plaisanter ». Ainsi les profils « Rebelle »

(surtout en base phase) sont des boutes-en-train, ils mettent l’ambiance et ont le sens de la

répartie. Mais le « Travaillomane », si son étage rebelle est éloigné, peut ne pas être réceptif à

son humour et le considérer comme un fauteur de trouble indésirable en milieu professionnel.

En effet, un de ses comportements sous stress est la volonté de tout contrôler, et le sur-

perfectionnisme : dans ces moments-là, il n’acceptera aucune raison de se disperser et pourra

faire preuve d’intolérance face à toute source de distraction, considérée comme néfaste à sa

concentration. Dans l’idéal, nous préconisons le passage et la formation Process Comm à

l’ensemble des employés. Cela leur permettra de mieux se comprendre, de changer son regard

sur l’autre, d’être plus tolérant et de mieux communiquer. C’est également un outil de

développement personnel : chacun, en apprenant à mieux se connaitre, peut ainsi veiller à

nourrir ses besoins et à identifier ses comportements sous stress lorsqu’ils surviennent.

100

D’autre part, nous recommandons à l’entreprise d’organiser du team building et des

sorties informelles afin de permettre aux employés de se côtoyer dans un contexte différent du

milieu professionnel et ainsi de mieux se connaitre. L’entreprise est un lieu de vie dans lequel

les salariés peuvent répondre à leur besoin de lien social et ainsi, s’épanouir personnellement.

Ce genre d’évènements internes participe à la construction de la culture d’entreprise, par la

création de souvenirs communs. Le team building favorise un climat social détendu et propice

à l’amusement, surtout lorsque l’activité est ludique : paintball, laser quest, karting… Dans un

tel contexte, les salariés sont bien sûr amenés à rire avec leurs collègues. Cela améliore la

cohésion de groupe, c’est également un facteur de motivation.

B - L’humour à des fins commerciales

L’humour est également favorable au business au niveau externe : il peut permettre

entre autre, de renforcer la relation avec les clients, les actionnaires, les fournisseurs et

différents partenaires.

L’humour comme « ice-breaking » et arme de séduction

Nous recommandons particulièrement l’usage de l’humour avec les clients et donc au

niveau de l’équipe commerciale. Le métier de commercial implique en grande partie l’aspect

relationnel. Selon Christophe Tricart (2015), « on se laisse plus facilement piéger par les

boutades d’un professionnel enthousiaste ». L’humour permet de s’attirer la sympathie du

client ce qui va influencer son choix et l’inciter à donner une suite favorable au contrat. En

démarrant un premier rendez-vous par une blague, le commercial brise la glace et crée un

climat de détente et de confiance. Nous conseillons donc aux commerciaux d’arriver détendu

en rendez-vous et d’user de l’humour, en bonne intelligence.

Un point de vigilance toutefois dans le cadre de négociation interculturelles, surtout si

le commercial est chez le client (à l’étranger) : se renseigner / se former au préalable sur

l’humour local et ses codes pour éviter tout malaise.

101

L’humour dans la publicité

Nous conseillons aux entreprises d’utiliser l’humour dans le cadre de la publicité : spots

radio, publicités à la TV etc. Comme nous l’avons vu, l’humour favorise la mémorisation et

les slogans les plus drôles pourront ainsi marquer le client potentiel. Selon Christophe Tricart

(2015), « les dix spots préférés des Français sont martelés sur le ton de la plaisanterie ! ».

L’humour comme outil de recrutement

L’humour peut également être un excellent argument pour l’entreprise et pour le

candidat ! Dans le cadre du recrutement : certaines entreprises n’hésitent pas dans leurs offres

d’emploi à mentionner le sens de l’humour parmi les points appréciés. A compétences égales,

le candidat le plus détendu et souriant a plus de chance d’être sélectionné (Tricart, 2015). De

la même façon, nous pensons qu’un candidat retenu dans deux sociétés équivalentes aura

souvent tendance à privilégier celle dont l’environnement de travail est propice à l’humour.

Nous conseillons donc aux entreprises de mettre en avant une ambiance et une culture

d’entreprise « fun » et détendue, par exemple par le biais d’une vidéo humoristique, pour

attirer les meilleurs candidats, en particulier les jeunes.

C - Conseils pour exercer l’humour

Si certaines personnes (les profils Process Comm « Rebelle » par exemple), sont drôles

de façon plus innée et évidente que les autres, rien n’est perdu ! Nous vous donnons ici

quelques exercices pratiques pour développer votre capacité à faire rire vos collègues / clients

/ partenaires…

Détente et bien-être

Avant un rendez-vous ou une journée de travail, nous conseillons de pratiquer une

petite détente corporelle : exercices de respiration, activité sportive, temps de repos (lecture,

musique, méditation…). Pratiqué de façon régulière, cette bonne habitude permet de mieux

lâcher prise, d’être plus détendu et donc plus inspiré en matière d’humour. Soigner son

hygiène de vie : alimentation, sommeil… est également important. Une meilleure santé et un

102

plus grand bien-être vous attireront la confiance et la sympathie de votre interlocuteur, qui

sera plus réceptif à vos blagues. Nous déconseillons également aux collaborateurs d’user de

l’humour lorsqu’ils sont trop fatigués : il y a plus de risques que la boutade tombe à plat

(Tricart, 2015).

Lancer un signal

En présence d’inconnus, nous conseillons aux collaborateurs de lancer un signal à leur

interlocuteur pour leur faire comprendre qu’ils sont en train de faire de l’humour. Par

exemple, par une mimique, un sourire ou une voix décalée.

Travailler sa voix

Comme nous l’avons dit, la communication non verbale est essentielle : notre posture,

nos gestes, nos expressions de visage ou encore le ton de notre voix peuvent se mettre au

service (ou au détriment) de notre capacité à provoquer le rire. Ces indicateurs et tout

particulièrement la voix, traduisent notre niveau de détente / anxiété, ou encore notre niveau

de confiance vis-à-vis de notre interlocuteur. Un des exercices conseillés dans le cadre de

l’humour est le travail de sa voix : nous conseillons de l’échauffer avant les rendez-vous

importants par exemple, afin qu’elle soit plus agréable. Participer à une chorale ou prendre

rendez-vous chez l’orthophoniste peut également aider.

Privilégier l’humour positif

Surtout lorsque nous ne connaissons pas bien nos interlocuteurs, bannir l’humour négatif

(noir, salace…). Éviter de se servir de l’humour pour dévaloriser l’autre en général.

Utiliser l’humour avec parcimonie

Il s’agit de trouver le bon équilibre entre pas assez et trop d’humour. Il ne faut pas importuner

son entourage, ni être trop sérieux. Tout dépend du contexte professionnel et de

l’environnement. Il faut observer et faire preuve de discernement.

103

Prendre des risques mesurés

L’humour implique parfois de sortir de sa zone de confort et de prendre le risque de faire une

boutade qui tombe à plat. Dans ce cas, il ne faut pas culpabiliser, vos interlocuteurs ne seront

pas toujours réceptifs à votre sens de l’humour. Il faut oser prendre des risques…mesurés.

104

II - Limites de l’étude

Cette recherche rassemble des domaines variés et complexes comme la psychologie, le

management, et toutes les questions liées à la culture. Il semblait difficile d’identifier les

contextes-types favorables à l’humour. Le contexte dépend de nombreuses variables qu’il

n’est, par ailleurs, pas toujours facile d’identifier et surtout de manière exhaustive. La

complexité de nos domaines de recherche, tous centrés autour de l’humain, nous empêche

donc de livrer un diagnostic sur l’humour, que ce soit au niveau de la perception de l’individu

(en fonction de sa personnalité, âge, sexe ou de sa culture) ou au niveau collectif, en fonction

de la culture d’entreprise ou de la culture d’un pays. Une étude quantitative comme celle

réalisée par le Docteur Wiseman avec le LaughLab pourrait permettre de dégager des

tendances plus concrètes. Toutefois, notre recherche s’appuie davantage sur des expériences

et témoignages personnels. Ainsi, nous ne pouvons que donner quelques conseils au manager,

une sorte de boite à outils lui permettant de comparer la situation dans laquelle il se trouve

avec les expériences citées dans notre recherche. Et, en identifiant les variables communes

aux deux contextes, adapter son utilisation de l’humour, en bonne intelligence.

105

III - Voie de recherches

Même s’il semble difficile de faire des généralités quand il s’agit de psychologie

humaine, l’humour reste un concept encore peu exploré et théorisé. Nous pensons que seule

une étude quantitative de grande ampleur et réalisée sur la durée (minimum 5 ans) peut

permettre de valider certaines hypothèses quant à l’humour. Il convient ensuite de faire une

étude qualitative sur chacune de ces tendances, de façon indépendante puis mise en

interaction avec les autres variables.

Une autre étude intéressante pourrait être l’histoire de l’humour au travers des siècles :

en réalisant une étude comparative entre les différentes grandes périodes de l’humanité, avec

un focus sur le XXe siècle, par exemple en comparant l’humour sur 10 générations. Cette

étude pourrait dégager les similitudes au travers des âges et conforter certaines grandes

hypothèses. Elle permettrait également de mieux comprendre l’influence de l’inconscient

collectif sur le rapport à l’humour des différents groupes aujourd’hui (cultures de pays,

cultures d’entreprise).

106

VI. BIBLIOGRAPHIE

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116

VII. ANNEXES

117

Objectif de l’enquête

Notre objectif, à travers ce questionnaire est de démontrer d’une part l’influence de

l’humour sur la cohésion d’un groupe et, d’autre part, d’essayer d’identifier si le facteur

culturel a une influence sur l’utilisation et la perception de l’humour en entreprise.

Présentation générale de la personne

- Nom, prénom :

- Age :

- Sexe :

- Catégorie socio-professionnelle :

- Profession et statut précis :

- Ancienneté dans l’entreprise :

- Domaine d’expertise :

- Postes précédemment occupés (si c’est pertinent) :

- Expérience professionnelle à l’international (ou simplement des contacts

professionnels à l’étranger) :

Interview sur l’humour au travail

Les questions ci-dessous visent à orienter le discours dans la direction souhaitée si

besoin, elles sont données à titre d’exemple uniquement.

I. Le rire au travail

a) Selon vous, qu’est ce qui permet à une équipe d’être soudée ?

b) quelle est l’influence de l’ambiance de l’équipe sur votre travail ?

c) Riez-vous au travail ? Si oui : Sous quelle forme ? Avec qui ? A quel sujet ?

II. L’impact du rire

a) Le rire a-t-il un impact sur vos relations avec les autres ? Sur votre humeur ? Votre

motivation ? Votre efficacité ?

b) Considérez-vous que l’humour puisse avoir des conséquences négatives sur le travail ?

III. Humour et culture

a) Avez-vous une expérience de travail avec des étrangers (en France ou à

l’international) ? Si oui : que pouvez-vous dire sur l’humour avec les étrangers ?

b) Avez-vous noté une influence de la culture d’entreprise sur l’humour ?