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L’HUMANISTE COMBATTANT CÉGEP RÉGIONAL DE LANAUDIÈRE À JOLIETTE 4 00$ Volume 4 • Numéro 3 • Hiver 2000 Lettres au fils du charpentier et à Lise Payette. Débat : un barrage privé sur la Batiscan? Arts : Plaidoyer pour l’opéra et visite au MAC et au CCA. Philosophie et politique avec Andrée Ferretti, Marc Chabot, Denis Collin, Michel Morin, Henri Lamoureux, Pierre Joncas et James Wilkins. Et la folie du Super Bowl... L’ OUTIL NEST PAS TOUJOURS UN MARTEAU

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L’HUMANISTECOMBATTANT

CÉGEP RÉGIONAL DE LANAUDIÈRE À JOLIETTE400$

Volume 4 • Numéro 3 • Hiver 2000

● Lettres au fils du charpentier et à Lise Payette.

● Débat : un barrage privé sur la Batiscan?

● Arts : Plaidoyer pour l’opéra et visite auMAC et au CCA.

● Philosophie et politique avec Andrée Ferretti, Marc Chabot, Denis Collin, Michel Morin, Henri Lamoureux, Pierre Joncas et James Wilkins.

● Et la folie du Super Bowl...

L’OUTIL N’EST PAS TOUJOURS UN MARTEAU

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20, rue Saint-Charles Sud, Joliette (Québec) J6E 4T1Téléphone: (450) 759-6701 Télécopieur: (450) 759-6576

E-mail: [email protected]

MembreCOOPSCO

Association coopérative étudiantedu Cégep Joliette - De Lanaudière

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L’humanistecombattant

Revue culturelle et politique indépendante,L’humaniste combattantest un organisme àbut non lucratif qui a son siège social auCégep régional de Lanaudière à Joliette.

L’organisme bénéficie d’une donation demonsieur Jean Gauthier, retraité de l’Orga-nisation Mondiale de la Santé, et de monsieurJean Cypihot, O.C.. La revue reçoit aussi uneaide du Programme d’aide aux projets com-munautaires du Syndicat des enseignantes etenseignants du cégep de Joliette, ainsi que duProgramme d’aide à l’action bénévole duGouvernement du Québec.

CONSEIL D'ADMINISTRATION• Yves Champagne • Andrée Ferretti• Robert Corriveau • Paul-Émile Roy

RÉDACTIONDirecteur : Alain Houle

Rédacteur en chef :Louis Cornellier

Secrétaire à la rédaction :André Baril

Adresse :L’Humaniste combattant,20, rue Saint-Charles Sud, Casier postal 1097Joliette, Québec J6E 4T1Tél : 450-759-1661 poste 428 (Alain Houle)

Courriel : [email protected]@parroinfo.net

Anciens numéros :via le site du départementde philosophie du cégep : www.collanaud.qc.ca

PRODUCTIONInfographie et impression :Kiwi CopieDépôt légal :Bibliothèque nationale du Québec

Page couverture : Sylvie LalibertéL’outil n’est pas toujours un marteau

Œuvre vidéo présentée dans le cadre de l’exposition Culbutes-Oeuvre d’impertinence,au Musée d’art contemporain.

4 ••••••••Petite lettre jubilaire au fils de charpentierLouis Cornellier

5 ••••••••Entretien avec Andrée FerrettiAndré Baril

7 ••••••••L’universel et le particulier : la nationDenis Collin

10 ••••Leçon de ténèbres : Anne Hébert (1916-2000)Bernard Pozier

11 ••••Hommage à Jacques LavigneMarc Chabot

13 ••••Une hypocrisie moderneMichel Morin

15 ••••Les collections du CCA : Les chantiers de Phyllis Lambert Alain Houle

16 ••••Pour l’opéraÉric Cornellier

18 ••••Culbutes - oeuvre d’impertinence: Sisyphe artisteAlain Houle

20 ••••DEUX CONTRIBUTIONS AU DÉBAT NATIONALNationalisme affiché et nationalisme de placardPierre Joncas

22 ••••Les conditions gagnantesJames Wilkins

23 ••••Entretien avec Henri LamoureuxAndré Baril

27 ••••Une foi pour le mondeLouis Cornellier

28 ••••De l’athlète comme nouvelle idoleYvan Petitclerc

29 ••••Représentation : sur L’oratorio des visionsde Royds Fuentes-ImbertDominique Corneillier

30 ••••L’élégance théorique de la neigeDominique Corneillier

31 ••••Un barrage privé sur la Batiscan?Rencontre avec Jean Baril et Michel Tessier

33 ••••Lettre à Lise PayetteAndré Baril

SOMMAIRE

Photo : Michel Pétrin

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PETITE LETTRE JUBILAIRE AU FILS DE CHARPENTIER

Tu le sais bien, toi qui as touché du bois, toi quias expérimenté l’implacabilité du réel jusque dansta chair meurtrie, tu le sais bien qu’il n’y aura pasd’oracle, que le matin des magiciens est unesupercherie, que les excités du millénaire ont perdule nord. Tu le sais bien, grand potasseur d’exis-tences concrètes, que les miracles spectaculairessonnent toujours faux, que les solutions à la misèrehumaine ne descendront pas du ciel.

Mais qui le dira aux suppliants, déroutés partant de douleurs, de cris, de larmes? Qui aurale courage d’aller dire à ceux que lavie punit sans raison qu’ils n’ontrien à attendre ici-bas d’une grâcedivine opérant au-dessus de la têtedes hommes et des femmes? Tousceux-là pour qui le réel a le vi-sage de la souffrance per-pétuelle et de l’injustice, peut-on leur enlever, Seigneur, cetespoir de voir la manne célestes’abattre sur eux?

« Tu viens dans la solitude…/Mais chacun de nous est toujours plusseul,/ viens sans cesse, Seigneur!/ Tu viensen Fils de la paix…/ Nous ne savons pas ce qu’estla paix,/ viens sans cesse, Seigneur!/ Tu viens nousconsoler…/ Nous sommes de plus en plus tristes,/viens sans cesse, Seigneur! », écrivait le poèteDavid Maria Turoldo. Il avait raison, et pourtant…

Et pourtant, il faudrait crier que notre liberté apour corollaire obligé ta discrétion voire tonanonymat dans l’histoire. Il faudrait surtout fairecomprendre aux satisfaits, aux paresseux et auxindifférents - ce sont les mêmes - que l’appel à

Dieu des éplorés leur est, d’une certaine manière,adressé. Malgré les chiffres ronds, il n’y aura pasd’oracle, non, et c’est très bien parce que l’inverseferait de nous des irresponsables. Le père RémiParent l’a bien compris, lui qui écrivait récemmentà ton sujet : « Il est sans visage, mais c’est afinque nous prenions notre responsabilité de lui don-ner un visage dans l’histoire. »

C’est cette liberté-là que nous devrions célé-brer, la seule qui donne sens à ton message, la seule

qui donne une valeur au beau mot de respon-sabilité. À l’heure des festivités, il

faut souhaiter que tous entendentcette prière anonyme du 14e siècle: « Christ n’a pas de mains, il n’aque nos mains/ pour faire son travail

aujourd’hui./ Il n’a pas depieds, il n’a que nos pieds,/pour conduire les hommes sur

son chemin.// Christ n’a pas delèvres, il n’a que nos lèvres,/ pour

parler de lui aux hommes./ Il n’a pasd’aide, il n’a que notre aide/ pourmettre les hommes à ses côtés.// Nous

sommes la seule bible que le public litencore./ Nous sommes le dernier message

de Dieu,/ écrit en actes et en paroles… » (cité parRémi Parent dans Foi chrétienne et fierté humaine,éd. Paulines, 1996)

Il n’y aura pas d’oracle, alors, mais peut-être unmiracle : celui de nos visages ouverts et de nosmains tendues. Tu le sais bien, toi.

N.B. Sur le même sujet, mais traité un peu différemment, onpourra consulter, ailleurs dans ce numéro, ma critique du livrede Pierre de Locht intitulée « Une foi pour le monde ».

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Louis Cornellier

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ENTRETIEN AVEC ANDRÉE FERRETTI

Cette femme a plusieurs vies, je vousle jure. Femme engagée à la cause indépen-dantiste dès la première heure, son nationa-lisme ne l’avait pas empêchée d’épouseren 1957 un Italien qui venait à peine dedébarquer à Montréal. Au début desannées soixante, elle a milité avec HubertAquin et Guy Sanche (alias Bobino) auR.I.N, où elle est élue à la vice-présidenceen 1966, avec une très forte majorité desvoix. Cette victoire lui valut quelquessemaines plus tard les foudres de RenéLévesque qui se préparait à fonder leM.S.A. et qui craignait avec raison sonéventuelle opposition à une fusion sanscondition de son parti avec la nouvelle for-mation. À son premier travail, dans unemaison d’édition, son patron s’appelaitGaston Miron. Bientôt, elle allait organiserde grandes manifestations dans les rues deMontréal et côtoyer Gilles Maheu, Jean-Marc Piotte et Gérald Godin à la salle derédaction de la revue Parti pris. En 1970,dans sa cellule de Parthenais, elle litKamouraska, cadeau envoyé par MichelChartrand, de sa propre cellule. Après, elleassistera à tous les spectacles de PaulineJulien et admirera sa magnifique et excep-tionnelle présence en scène. À quaranteans, elle fait des études en philosophie. Elleenseigne à l’École nationale de théâtre.Elle tient pendant plusieurs années lachronique des essais au Devoir et publiedans la page Idées de ce journal plusieursarticles remarqués qui ont donné lieu à desdébats. Elle continue à militer à la base.Elle préfère les assemblées de cuisine à unposte de sous-ministre à la condition fémi-nine que lui a proposé en 1978, uneattachée politique de Lise Payette. En 1995(elle a 60 ans), le résultat serré du référen-dum en défaveur du OUI lui a déchiré lecœur, de même que la prise en main en1996 du PQ par Lucien Bouchard en quielle n’a aucune confiance pour mener àbien le projet souverainiste. Pourtant, ellen’est pas amère tant l’écriture et ses petits-enfants lui procurent de joie et d’espoir.Du reste, il y a longtemps que sa générositél’a immunisée contre la déprime. Elle selève tôt, lit beaucoup, écrit sans cesse. Ellea un manuscrit à la poste et prépare unroman en intégrant la pensée de Spinoza.Andrée Ferretti a plusieurs vies et une

œuvre toujours en chantier. Août 1999, ellea bien voulu nous faire partager ses espoirset ses inquiétudes à l’aube du 21e siècle…

• • •

- Madame Ferretti, commençons par lecommencement : d’où tenez-vouscette ferveur indépendantiste?

C’était au début de la télévision. À cemoment-là , il y avait un seul poste qui dif-fusait douze heures par jours : six heures

en anglais et six heures en français. Mesdeux jeunes sœurs et moi, nous faisions duporte à porte dans notre voisinage pourdemander aux gens d’exiger un posteuniquement en français. J’avais seize oudix-sept ans. Je mentirais en disant que j’é-tais consciente des enjeux, mais je sentaisque au delà de la langue, était menacéenotre manière à nous d’être. Je craignais leseffets de cette intrusion culturelle en cetemps où nous étions si peu sûrs de notreidentité, et par ailleurs si entièrement domi-nés et exploités par la classe dominanteanglaise. Ce fut mon premier acte de mili-tantisme, mais je n’étais pas encoreindépendantiste.

- Il y a donc eu un autre déclencheur…

Je suis devenu indépendantiste unsamedi matin, au cours d’histoire de mon-sieur Maurice Séguin. Je venais d’unefamille illettrée. Je voulais m’instruire. Jeme suis inscrite en tant qu’étudiante libre àl’Université de Montréal. Le samedi matin,Maurice Séguin nous expliquait notre his-toire en disant : «Notre seule façon denous en sortir serait de faire l’indépen-dance du Québec». Et il ajoutait im-médiatement: «Mais c’est impossible».J’avais 20 ans. Pour moi, le mot «impossi-ble», ça n’existait pas et ça n’existed’ailleurs toujours pas.

- Puis, en 1963, vous avez entendu undiscours de Pierre Bourgault…

Lui, il disait que c’était POSSIBLE!Et avec une éloquence qui rendait son pro-pos irréfutable. Je suis devenue membre duR.I.N., le 8 mars 1963. Le soir même, avecMonique Renault, je distribuais le journalL’indépendancedans le quartier St-Henri.Et là, je suis entrée dans des familles cana-diennes-françaises qui vivaient dans uneextrême pauvreté, une pauvreté qu’au-jourd’hui, avec toutes nos lois sociales, onpeut difficilement imaginer. En revenant,nous avons traversé Westmount,. Et là,éclatait l’extrême richesse, une richessearrogante avec tous ses noms anglais. J’aialors compris qu’il n’y aurait pasd’indépendance nationale possible si notrelutte politique n’était pas en même tempsune lutte sociale …

- Et quand avez-vous pris la parolepour la première fois?

C’était au Monument national, j’avaisété invitée par Hubert Aquin, alors prési-dent du R.I.N. pour la région de Montréal.J’étais dans un état de grande anxiété qui aviré à l’angoisse quand j’ai aperçu dansl’auditoire la journaliste Judith Jasmin. Jene me suis jamais rappelé le contenu demon discours, mais le lendemain matin, jelisais avec étonnement dans Le Devoir :«Andrée Ferretti, marxiste». Je vous jureque j’ai cru que c’était une maladie! Jen’avais encore jamais entendu parler de Marx.

André Baril

1992 - Photo:Yves Alavo

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J’avais sans doute exposé ma conception de lalutte pour l’indépendance du Québec, et lesraisons pour la faire. J’avais sans doute affir-mé que notre domination nationale était aussibien une domination économique et socialeque politique et culturelle.

- Pourquoi la lutte nationale reste-t-elle, encore aujourd’hui, la lutte pri-mordiale?

Nous sommes encore à une époquehistorique où la nation, l’État-nation est lecadre principal de l’organisation des peu-ples. Alors je considère que le mouve-ments féministe, le mouvement socialiste,que tous les mouvements qui veulentchanger la société, mènent des luttes par-tielles vouées à l’échec lorsqu’ils ne lesintègrent pas dans la lutte plus globale dela libération nationale. Dans notre monde,on ne peut se passer d’aucun des pouvoirsde législation de l’État national si l’onveut réellement agir sur la société. Dans unavenir plus ou moins lointain, ce sera peut-être différent, mais actuellement, aucunchangement significatif de société n’estpossible sans ce contrôle du pouvoir d’É-tat. D’où pour moi, la primauté absolue dela lutte pour l’indépendance conçuecomme lutte de libération nationale.

- C’est ce qui vous a opposé au RAP,le Rassemblement pour une Alter-native Politique.

Après toutes les expériences (leséchecs) qu’on a vécues depuis la fin desannées ’50, je trouve ridicule, d’une inin-telligence absolue de la situation, que desmilitants, en 1997, en soient encore à dis-socier notre lutte d’émancipation politiqueet notre lutte d’émancipation économiqueet sociale. Je ne comprends pas qu’ils necomprennent pas que la lutte du peuplequébécois pour son indépendance nationaleest le seul fer de lance possible de toutesnos autres luttes, qu’elle peut seule réunirdans un même mouvement les citoyens detoutes conditions qui ont des besoins com-muns, et non seulement particuliers, dechangements profonds de société.

- Et vous n’aimez pas non plus ce quise passe au Parti québécois ni augouvernement …

Je regrette que le Parti québécois aitpris le pouvoir aux dernières élections.

Parce que sous le prétexte fallacieux qu’ilsdoivent gouverner pour tous les citoyens,monsieur Bouchard, ses ministres etdéputés soumettent les membres du parti àleurs propres visées, allant jusqu’à lesfaire renoncer à leurs objectifs fondamen-taux, jusqu’à les faire reculer sur leursprincipes. Dans l’opposition, on se seraitd’abord débarrassé de Lucien Bouchardque sa vanité démesurée aurait amené àdémissionner. Le Parti québécois auraitalors très probablement retrouvé sa raisond’être qui est de tenter de réaliserl’indépendance en mobilisant le peupleavec un programme social-démocrate. Jesuis convaincue que la très grande majoritédes membres de ce Parti veulent encoremener la vraie lutte pour laquelle il a étéfondé. Ce n’est pas le Pérou, mais c’estmieux que ce qu’en fait Lucien Bouchard,

infiniment mieux que les partis de JeanCharest et de Mario Dumont. Dansl’opposition, il aurait pu redevenir leparti de l’espoir pour la majorité desQuébécois et des Québécoises, ancienset nouveaux, vieux et jeunes, syndiquéset chômeurs. Avec la preuve établie parplusieurs mandats de gouvernement dela vanité de la stratégie étapiste, le partirepris en mains par ses membres n’au-rait pu que se radicaliser et peut-êtreainsi devenir le lieu de gravitation desnombreux mouvements sociaux et com-munautaires qui, actuellement, mènentleur lutte chacun dans son petit coin,avec les pauvres résultats qu’on con-naît, qui ne font reculer d’un seul mil-limètre ni la domination nationale nil’exploitation sociale. Je trouve celatriste, très triste.

- Comme vous l’écriviez déjà en 1987dans Renaissance en Paganie, notrecivilisation court pourtant de gravesdangers.

Il y a trois dangers. Le premier, c’estl’uniformisation, le rouleau-compresseurqui aplanit toutes les différences cul-turelles intellectuelles et traditionnelles,jusqu’aux manières de manger, de s’ha-biller, etc. Où que vous alliez, il y a Coca-cola.

- Le second?

Je crois que cette uniformisation me-nace les conditions de la création. Il n’y apas de création possible en dehors de ladifférence. Tous les créateurs ont été desêtres qui, à l’intérieur d’une société don-née, se sont posés comme différence.Chacun rompait avec les traditions etvaleurs particulières de sa culture, aprèss’en être profondément imprégnée et luiredonnait sous une forme nouvelle ce qu’ilen avait retiré. Sans cette possibilité dedémarcation et de réintégration de ce ter-reau particulier, toute différence n’est plusqu’individuelle et favorise plutôt l’imita-tion que la création. De plus, la création,dans tous les domaines de l’activitéhumaine, c’est toujours une réponse parti-culière à des problèmes particuliers. Avecl’uniformisation, tout sera partout égale-ment donné, sans possibilité de savoir d’oùcela vient.

- Ce qui nous amène au troisième danger…

C’est l’anonymat. Dans la sociétéindustrielle, il y avait des bourgeoisiesnationales, incarnées dans des institutionsdirigés par des personnes identifiées qu’ilétait possible de combattre. Avec l’anony-mat des détenteurs actuels du pouvoir, lesentiment d’impuissance de les atteindres’accroît et le goût même de se battre seperd. C’est terrible et terrifiant.

- Pour continuer la lutte, quelle philo-sophie avez-vous adopté?

Je crois que Spinoza sera lephilosophe du 21e siècle parce c’est celuiqui base l’éthique (et non pas la morale)sur l’immanence, c’est-à-dire qu’il negarantit pas le comportement humain parune transcendance à Dieu ou à un pouvoir

«… il est devenu clair pour la conscience

contemporaine que, dans notre monde exposé au

danger mortel de l’uniformisation, tout

geste qui tend à bafouer une culture particulière

porte atteinte à l’intégrité de l’humanité toute entière.»

Andrée Ferretti,Renaissance en Paganie,

éd. De l’Hexagone,1987, p. 52

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quelconque. Son critère d’évaluation n’estpas le Bien et le Mal, mais le bon et lemauvais. Lorsque les humains, dans leurévolution, en arriveront à établir des rap-ports d’intelligence plutôt que des rapportsde forces, ils pourront juger de la valeur dece qui est bon ou mauvais à la joieintérieure qu’ils éprouveront à agir, àpenser, à entrer en relations. Je le dis aprèsd’autres, le 21e siècle sera éthique ou il nesera pas. Dans ce monde où la dominations’exerce clandestinement, où le pouvoir estsans visage et pourtant omniprésent, con-trôlant peuples et individus par ses moyenstechnologiques de communication, seposant en système transcendant toute l’ac-tivité humaine, il faut lutter sur le seul ter-rain qui nous reste, celui, immanent, denotre responsabilité individuelle et collec-tive. Il faut trouver en soi ce qui est bon,ce qui est mauvais et assumer ses choix.Tous les philosophes l’ont écrit, et Spinozamieux que tous les autres : il n’y a pas deliberté sans responsabilité.

- Les catégories culturelles seraientdonc devenues des catégories poli-tiques ?

En quelque sorte, oui! L’art est lesens ultime de l’aventure humaine. Parson originalité, par sa rupture avec lesformes anciennes d’expression, l’œuvrede création (artistique, littéraire,philosophique, scientifique) donne à voirce qui n’apparaît pas à l’évidence duregard aliéné par la reproduction généra-lisée des objets de pensée comme de con-sommation. D’où il est par essence sub-versif. Oui! je crois profondément quedans notre société contemporaine entière-ment envahie par la technique, la cultureest devenue l’enjeu principal des lutteshumaines. Et voilà pourquoi, bien hum-blement mais passionnément, j’investismon énergie et mon temps à essayerd’écrire de bons romans.■

«Savoir qu’il n’y a pas d’absolu, mais

continuer à lutter sous le déferlement d’un désirimmense et indomptable

de perfection et restertolérante. Savoir la vanité

de l’aventure humaine,mais vouloir mieux que jamais changer la vie,

en traquant le remédiable,plutôt l’inédit que

l’indicible, le fugace et l’imprévu plutôt que

l’impondérable, l’impenséplutôt que l’insaisissable et rester enthousiaste.»(Andrée Ferretti, La vie

partisane, récits, éd.De l’Hexagone, 1990, p. 94

Extrait de La fin du travail et la mondialisa-tion, L’Harmattan, 1997

N.D.L.R. : Tout récemment, nousavons découvert l’excellent livre de DenisCollin, La fin du travail et la mondialisa-tion, (L’Harmattan, 1997). Dans un stylevivant, l’auteur rappelle, en premier lieu,que le travail relève du règne des néces-sités, mais non sans préciser qu’il est laplus sociale des activités nécessaires. A lasuite d’une argumentation fracassante, lelecteur voit la thèse de la fin du travails’effondrer comme un château de cartes.On est alors prêt à entendre la questionpolitique : qui dirige le procès du travail ?En second lieu, Collin montre en quoi lamondialisation est la continuation du capi-talisme, toujours en quête du «travailgratis» et de plus en plus arrogant à l’égarddes peuples et des nations. Avec l’aimableaccord de l’auteur, nous publions ici unextrait de son livre qui porte justement surl’avenir des nations à l’ère de la mondiali-sation. Une occasion d’apprécier l’analyse

critique déployée par ce professeur dephilosophie du lycée Aristide Briandd’Evreux (pour en connaître davantage surl’auteur et ses travaux en cours, nous voussuggérons de visiter son site web :http//perso.wanadoo.fr/denis.collin).

• • •

La mondialisation est un universeluniformisant, un universel qui absorbe laparticularité. C’est ainsi que la mondiali-sation est conçue comme l’extinction pro-gressive des nations qui doivent êtreabsorbées dans des ensembles plus vastes.Nous n’aurions de choix possible quecelui de la manière dont les États-nationsse dissoudront. On trouve cette idée nonseulement chez les libéraux « pur sucre »mais elle est aussi défendue par de nom-breux philosophes et essayistes quicomptent parmi les kantiens contempo-rains. Ainsi Alain Renaut proteste-t-il« contre la conviction selon laquelle lanaissance d’entités « méta-nationales »

menacerait nécessairement d’effritementla conscience démocratique ». Il s’agit,pour lui de défendre un « universalismemaintenu », qu’il conçoit comme la seulealternative à la montée du communau-tarisme et du multiculturalisme. Cette uni-versalisme maintenu « consiste, dans saforme contemporaine, à soutenir que cequi nous constitue comme hommes, c’estmoins l’appartenance à une communautédistincte des autres communautés, fût-cela communauté nationale, que notre irré-ductibilité à toute identité collective ounon, notre capacité à nous affranchir detous les liens qui nous différencient pournous retrouver dans une communauté quin’en constitue plus exactement une ,puisqu’elle ne s’oppose plus à d’autrescommunautés – à savoir la communautéde l’humanité comme telle. » 1 Laphilosophie néokantienne, représentée parRenaut, doit ici prendre ses distances avecle vieux maître. Kant, en effet, a construitcette idée de la « communauté de l’hu-manité comme telle » non comme un fait

L’UNIVERSEL ET LE PARTICULIER :LA QUESTION DE LA NATIONDenis Collin

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empirique ou comme une propositionanthropologique, mais comme un conceptrationnel, découlant de l’idée même de laliberté humaine. C’est pour la même rai-son que l’histoire kantienne doit êtreconçue « selon un plan de la nature quivise à l’unification politique parfaite dansl’espèce humaine ». 2 Cependant, si l’his-toire doit être conçue au « point de vuecosmopolitique », Kant se prononceclairement contre la dissolution des États-nations dans des ensembles suprana-tionaux. Le « projet de paix perpétuelle »de Kant rejette simultanément la paixfondée sur l’équilibre des puissances 3 (levieux « concert des nations ») et la dis-solution des États nationaux. Kant s’enprend assez violemment au « préjugémercantile que les États peuvent s’épouserles uns les autres ». Un État est un troncqui a ses propres racines, dit encore Kant,et ces racines tiennent en contrat socialqui fonde la légitimité de l’État. C’estpourquoi « l’incorporer à un autre Étatcomme une simple greffe, c’est le réduirede personne morale qu’il était à l’étatd’une chose ; ce qui contredit l’idée ducontrat social, sans lequel on ne sauraitconcevoir de droit sur un peuple. » 4

C’est pourquoi le cosmopolitismekantien présuppose une pluralité d’Étatslibres et non une chimérique fusion. Iln’est pas question cependant de renoncerà ordonner raisonnablement les relationsinternationales : les États ne peuvent véri-tablement être libres – d’une libertéraisonnable et non de cette libertédéréglée des « sauvages » – que s’ilss’allient dans une fédération qui « netendrait à aucune domination sur les États,mais uniquement au maintien assuré de laliberté de chaque État particulier, qui par-ticipe à cette association, sans qu’ils aientbesoin de s’assujettir à cet effet commeles hommes à l’état de nature, à la con-trainte légale d’un pouvoir public. » 5

Autrement dit, Kant postule que le sché-ma contractualiste, censé légitimer laconstitution d’un pouvoir légal auquel lescitoyens doivent obéissance, ne doit pasêtre transposé strictement dans l’ordreinternational. Si, sans ordre juridiqueinternational, les États n’ont qu’une liber-té déréglée, semblable à la « liberté »animale de l’homme à l’état de nature,l’ordre juridique interétatique tel que leconçoit Kant n’implique pas la créationd’un État supranational. Cette construc-

tion théorique, subtile, mais dont Kantaffirme qu’elle peut être réalisée, supposedeux grandes catégories de conditions. Lapremière, positive, est que les États parti-cipants à cette fédération construite envue de la paix perpétuelle aient une con-stitution républicaine, c’est-à-dire repré-sentative. La deuxième série de conditionsest que le droit cosmopolitique se limiteau droit des gens, c’est-à-dire aux « con-ditions de l’universelle hospitalité ».

La vertu principale des propositionsde Kant tient à ce qu’elles permettent depenser pratiquement cette « dialectique »

de l’universel et du particulier. La « mon-dialisation », dans l’idéologie contempo-raine, suppose la disparition des particu-larités nationales et pose l’État-nationcomme un archaïsme, « une valeur envoie de disparition » au même titre que letravail. Elle rêve d’une société cosmo-polite, celle du village planétaire ou du« global village », où, comme sur le« WEB » toute frontière et toute distinc-tion nationale sont abolies. Transparenceet fusion : voilà les grandes vertus del’homme mondialisé. Transparent, parcequ’il est un être de communication ;

fusionnel parce que son rapport à l’autreest toujours pensé sur le monde de l’abo-lition de toute séparation, de la négationde toute distance, comme dans le cyber-space. Cette utopie, à bien des égardseffrayante, est évidemment inconsistantecomme toutes les utopies ; on sait bien –les psychanalystes ont beaucoup dechoses à nous dire à ce sujet – que les rela-tions entre les individus ne peuvent jamaisêtre construites durablement sur ces exi-gences absolues de transparence et defusion ; la transparence et la fusion signi-fient la destruction du « soi » et se heur-tent toujours, à un moment ou à un autre àla réaction violente et alors incontrôlée dedéfense vitale de l’individu. L’idée del’abolition des différences entre peuples etentre nations procède de la même utopie.

Comment peut-on concilier théo-riquement et pratiquement l’affirmationde l’universalité humaine en tant querationnelle/raisonnable et la différencia-tion des organisations politiques etsociale ? Rousseau et Kant sont confron-tés à cette même question. La réponse deRousseau montre que sont dénuées defondement les accusations qu’on n’acessé de porter contre lui, selon lesquellessa théorie politique conduirait à sombrerdans l’universel et dans un rationalismedésincarné et si propice à toutes lesdérives dictatoriales. Fondé sur unevolonté rationnelle, le contrat ne peut per-durer qu’avec la manifestation de cettevolonté. Il n’est pas passé une fois pourtoutes, il repose au contraire sur une réaf-firmation permanente de sa validité. Celasupposerait donc des individus idéaux,gouvernés par leur raison – et encore, àcondition que cette raison ne déraisonnepas. Rousseau est bien conscient du pro-blème. C’est pourquoi l’amour de la loi,fondé en raison, doit recevoir le soutiendu sentiment. Le contrat social trouveainsi ses racines, non dans une réunionabstraite d’individus, mais dans la parti-cularité d’un peuple. C’est pourquoil’amour de la loi s’appuie sur l’amour dela patrie, condition de la solidité du con-trat. En effet, « outre les maximes com-munes à tous, chaque Peuple renferme enlui quelque cause qui les ordonne d’unemanière particulière et rend sa législationpropre à lui seul. » 6 Ainsi, pourRousseau, les règles rationnellesgénérales ne valent qu’au travers de tradi-tions historiques singulières.

L’HUMANISTE COMBATTANT • VOLUME 4 • NUMÉRO 3 • HIVER 2000

Défendre la démocratie et la liberté des peuples

suppose donc une défense de la forme

nation, aussi désagréable que cela puisse sembler

à ceux d’entre nous qui ont été éduqués dans l’esprit de « l’internationalisme prolétarien » ou d’une

fraternité sans frontières.L’alternative, c’est renoncer

à toute forme de vie publique accessible au

plus grand nombre, c’est remplacer le gouvernement

des hommes par l’administration des

choses, c’est-à-dire réduire les hommes à l’état de

choses et la liberté au choix de sa marque de céréales

pour le petit déjeuner.

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Les individus ne tiennent pas à lanation par on sait quel préjugé arriéré dontil faudrait se débarrasser. Dans la nation, ily a un processus d’identification qui per-met de se reconnaître et, qu’on le veuilleou non, cette reconnaissance dans uneidentité présuppose la différence. Pourparler encore en termes hégéliens, il y aidentité de l’identité et de la différence.De la même façon que l’individu se cons-titue comme personnalité autonome danssa capacité à prendre conscience de laséparation entre ce qui est soi et ce qui nel’est pas, dans l’intégration de cette limitesi évidente et si énigmatique qu’est cellede notre enveloppe corporelle, de la mêmefaçon un espace politique où les individusaffirment leur liberté ne peut se construirequ’en se délimitant. Pour les hommes, lemonde n’est pas un espace à leur dimen-sion, c’est le « sans limite », ledémesuré, et l’indéterminé ; il ne peutdonc être qu’un chaos dans lequel toutêtre s’abolit. Bien sûr, toutes les formes dela nation ne se valent pas ; la nation saisiede sa pathologie nationaliste est ladestruction de la liberté dont elle devraitêtre la condition. Si on suit « le plan de lanature », on peut même supposer unordre et un progrès dans les divers modesde constitution de la nation. La nation estd’abord le lieu de ceux qui ont quelquechose de commun par la naissance. Onaura alors une nation ethnique ou un peu-ple enraciné dans ses conditionsnaturelles, comme le pensaient les roman-tiques allemands. Mais à la nation eth-nique, on peut opposer la nation politique,fondée sur le contrat ou encore sur ce queRousseau appelle « l’amour de la loi » 7

qui est la forme la plus élevée de penser lavie sociale parce qu’elle se fonde sur laraison.

J’ai montré plus haut que les proposi-tions sur l’affaiblissement inéluctable desÉtats n’étaient le plus souvent que la cou-verture idéologique d’un changement deforme et de fonction des États, le rem-placement d’un système politique quin’existait qu’en se revendiquant de la sou-veraineté populaire par un système poli-tique qui l’exclut. On me dira que la sou-veraineté populaire est une fiction, qu’ellen’est qu’une forme de domination parmid’autres. Sans doute, d’un point de vuegénéral, tous les États, y compris les plusdémocratiques, sont-ils des organes dedomination et, en tant que tels ils sup-

posent que la liberté dont jouissent lescitoyens reste une liberté limitée,atrophiée, bien éloignée dans la pratiquede l’idéal pensé par les philosophes de lagrande époque du rationalisme politique.Mais il serait du dernier des gauchismesde considérer comme indifférent que ladémocratie bafouée en fait soit aussi révo-quée en droit. Le crime et toutes lesformes plus bénignes de l’agressivité deshommes les uns envers les autres sont« éternels » ou, du moins, aussi durablesque l’espèce humaine. Si on en croitFreud, cela ne fait absolument aucundoute. Faut-il pour autant accepter l’assas-sinat comme une manière légale etacceptable de vivre les relations sociales ?Poser la question de cette manière suffitamplement pour montrer l’absurditémanifeste de ce passage du fait au droitqu’on prétend nous faire accepter quand ils’agit renoncer à la souveraineté populaireau nom d’une « incontournable » mon-dialisation.

Défendre la démocratie et la libertédes peuples suppose donc une défense dela forme nation, aussi désagréable quecela puisse sembler à ceux d’entre nousqui ont été éduqués dans l’esprit de« l’internationalisme prolétarien » oud’une fraternité sans frontières.L’alternative, c’est renoncer à toute formede vie publique accessible au plus grandnombre, c’est remplacer le gouvernementdes hommes par l’administration deschoses, c’est-à-dire réduire les hommes àl’état de choses et la liberté au choix de samarque de céréales pour le petit déjeuner.Je sais qu’on pourrait imaginer desformes intermédiaires, qu’on pourraitpenser à un dépassement de la nation, àun stade post-national. Les nations nesont sans doute pas éternelles : elles nais-sent, se développent et meurent ; mais lefait national lui-même me semble éter-nellement indissociable de la constitutionde la société humaine comme sociétépolitique. Quand, pour la première fois,Aristote fonda les bases de la philosophiepolitique, il le fit en désignant la Citécomme l’espace même où la liberté pou-vait se déployer ; or la Cité par définitionest limitée. On peut imaginer la constitu-tion future de quelque chose qui ressem-blera à une nation européenne : encoreque je tienne cette hypothèse pour peuprobable. On peut imaginer que lesorganisations politiques soient liées non

par l’attachement à un territoire, à unelangue ou à une tradition, mais par ce queHabermas 8 nomme « patriotisme consti-tutionnel », mais il faut toujours pourfaire fonctionner une démocratie savoirqui est « dedans » et qui est « dehors »: pour voter, on commence par tenir deslistes électorales qui sont aussi desprincipes d’exclusion. ■

1 Alain Renaut: La nation entre identité etdifférence, Revue « Philosophie politique »n°8, premier semestre 1997. Pages 135 et130

2 Kant: Idée d'une histoire universelle aupoint de vue cosmopolitique,9e proposi-tion.

3 « une paix générale qui durerait en vertu dece qu'on appelle la balance des forces enEurope est une pure chimère, comme lamaison de Swift qui avait été construite parun architecte en si parfait accord avec toutesles lois de l'équilibre qu'elle s'effondra aus-sitôt qu'un moineau vint s'y poser. N (Sur lelieu commun: il se peut que cela soit justeen théorie, mais en pratique cela ne vautpoint, trad. Luc Ferry; Oeuvres tome 3,Gallimard, La Pléiade, page 299.

4 Kant: Projet de paix perpétuelle,Oeuvrestome 3, Pléiade, Gallimard, op. cit. page335 5 ibid. page 348

6 Rousseau:Contrat social

7 «J'aurais voulu vivre et mourir libre, c'est-à-dire tellement soumis aux lois que ni moi nipersonne n'en pût secouer l'honorable joug;ce joug salutaire et doux, que les têtes lesplus fières portent d'autant plus docilementqu'elles sont faites pour n'en porter aucunautre. » (Dédicace du discours sur l'origineet les fondements de l'inégalité parmi leshommes)

8 Pour des raisons compréhensibles et fortlouables, une partie importante de la gaucheallemande a tenté de déconnecter la ques-tion de l'organisation politique de celle l'i-dentité nationale; on connaıt les positionsde Gunther Grass, violemment hostile à laréunification allemande. Habermas, à samanière, a tenté quelque chose allant dansce sens. Mais la réalité historique de lanation a rattrapé la gauche allemande qui aété incapable de jouer un rôle politiquesérieux lors de l'écroulement du mur deBerlin.

L’HUMANISTE COMBATTANT • VOLUME 4 • NUMÉRO 3 • HIVER 2000

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« Tous les beaux visages du mondeEn leur innocence premièreFurent baignés de larmes »

Née à Sainte-Catherine-de-Fossam-bault (maintenant Sainte-Catherine-de-la-Jacques-Cartier) en 1916, AnneHébert a succombé à un cancer des os,à Montréal, en ce mois de janvier 2000.

Nous n’apercevrons donc plus lajolie femme au rire cristallin et ausourire moqueur, apparemment parta-gée entre la hauteur et la noblesse,d’une part, et la réserve et la candeur,d’autre part. Sa beauté tranquille nesemblait pas vouloir laisser prise autemps ; pourtant celui-ci l’emportedéjà vers ailleurs ou nulle part. De cettedestination, bien sûr, nous ne sauronsrien, du moins avant que d’y aller nous-mêmes.

De ce qui a précédé, dans son cas,nous ne saurons guère davantage.Évidemment il s’agit d’une des plusgrandes écrivaines de l’histoire de la lit-térature au Québec et au delà de ce ter-ritoire ; le passé, le présent et l’avenirsont là pour en témoigner. Cette roman-cière, poète et dramaturge compteparmi les plus boursées, les plus encen-sées, les plus primées, les plus admiréesque l’on puisse imaginer. Pourtant, ellen’était pas un personnage public, ni unevedette ; à son propos, on ne sauraittrop raconter d’anecdotes et, sur sa vieprivée, on ne connaît que quelquesvagues rumeurs. Il n’y aurait à peu prèsrien pour écrire une biographie, maisdans le champ littéraire, c’est presqueplus valable : si on en sait bien peu, laplace est grande ouverte à toutes lesmythifications. Et puis, surtout, on peutse concentrer sur la seule chose quicompte vraiment, l’œuvre.

Par ses contradictions multiples,Anne Hébert, a su, de son vivant, con-sciemment ou non, se constituer enmythe ; c’est ce que l’on pourraitretenir de sa personnalité toujours

bifide : on la dit belle et on la voitrarement ; on la dit timide, mais elleest plutôt drôle et pourtant s’affichesérieuse et grave ; elle est certes dis-crète, mais son charisme brûle l’espace; on la voit douce et fragile, mais sestextes sont noirs et violents. Son œuvremultiforme, mais principalementromanesque et poétique, réussit à lafois à être littéraire et populaire, tan-dem plutôt rarissime. Sa poésie, à lafois si concrète et si abstraite, appar-tient, répète-t-on à cette génération dela solitude et de l’introspection, plutôtà cette sainte-trinité qu’elle forme dansnos études littéraires avec cellesd’Alain Grandbois et de son énigma-

tique cousin Saint-Denys Garneau.Pourtant parfois, Anne Hébert se faitbien plus sociale qu’on ne se plaît à lavoir, notamment dans ses deux derniersrecueils.

Si Anne Hébert rédigea des textesradiophoniques pour Radio-Canada etsi elle fut scénariste à l’Office nationaldu Film, on connaît fort peu cette par-tie de son œuvre. Du côté du théâtre,les lecteurs avertis connaissent LeTemps sauvage, La Cageet L’Île de lademoiselle qui n’appartiennent pasvraiment aux classiques de notre dra-maturgie.

Et si l’essai Dialogue sur la tra-duction (avec Frank Scott) est connu

des spécialistes, il n’a certes pas l’im-pact de l’unique recueil de nouvellesLe Torrent qui, lui, est bien représen-tatif de l’univers tourmenté que l’onretrouve dans la poésie et dans lesromans, celui « Des femmes et deshommes / Dans la passion de vivre sur-pris ».

Anne Hébert a commencé à publierdes poèmes dans des revues et journauxen 1939 et donnera son dernier recueilen 1997. Entre ces deux dates,LesSonges en équilibre(un titre qui nesaurait renier sa parenté avec Saint-Denys Garneau),Le Tombeau des rois,Mystère de la parole, Le jour n’a d’é-gal que la nuitet Poèmes pour la maingauche : quelques recueils forgeanttoutefois une parole incontournabledans l’ensemble de la poésie franco-phone où « Son œil creux luit / Commeun puits / Dans les ténèbres » ! Quantà l’œuvre romanesque, elle comptenombre d’incontournables parmi lestitres suivants :Les Chambres de bois,Kamouraska, Les Enfants du Sabbat,Héloïse, Les Fous de Bassan, Le pre-mier jardin, L’Enfant chargé de songes,Aurélien, Clara, Mademoiselle et leLieutenant anglais, Est-ce que je tedérange ?et Un habit de lumière; etl’on pourrait dire à sa suite pour la con-tinuité du monde «Soufflez-moi desmots transparents / Dans les tempscotonneux d’aujourd’hui ».

Et dans les tourments obscurs ettorrentueux de l’âme humaine que seplut à poétiser Anne Hébert, toujoursémerge une étoile ou une étincelle,comme un quelconque espoir malgrétout ; ainsi à la toute fin du toutdernier livre : « Quelqu’un de sacré.Que je ne connais pas encore, me pré-pare en secret, au milieu des vagues etdes frissons gris, un habit de lumièrepour quand je serai arrivé(e) parmi lesmorts. ». Heureux morts, pauvres mor-tels ! ■

«LEÇON DE TÉNÈBRES» :ANNE HÉBERT (1916-2000)Bernard Pozier

Et dans les tourments obscurs et torrentueux de l’âme humaine que

se plut à poétiser Anne Hébert, toujours émerge une étoile ou une étincelle, comme un quelconque espoir

malgré tout ; ainsi à la toute fin du tout

dernier livre …

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Tout est extérieur : rien n’est possédé1

Devenir philosophe. Vivre du désir d’ex-ister comme penseur. Écrire. Publier. Avancerlentement dans le labyrinthe de la connais-sance. Vouloir rencontrer son âme. Effleurerl’essentiel. Lire et relire les enseignementsd’un Socrate nous invitant à la responsabilité.Faire fi des richesses et de la gloire. Douter ets’inquiéter.

Devenir philosophe. Discrètement.Lancer ses idées dans le monde. Dans le siend’abord. Dans quelques revues aujourd’huidisparues. Maintenir son attention sur unobjectif simple : la vie intellectuelle ne vautque si l’on a le souci de quitter l’extériorité etl’imitation. Se posséder, c’est s’approcher desoi, de sa propre parole, d’une originalité.Toute pensée est unique lorsqu’elle cesse devivre par la parole de l’autre. Venir au mondepour un philosophe, c’est toujours offrir sonmonde. Offrir le plus trouble de soi et parfoisle plus simple de soi.

Nous nous sommes universalisés. Noussommes devenus personnels aussi. Notrepudeur s’est assoupie et nous utilisons, pourécrire, nos expériences intimes et locales ;nous sommes devenus charnels, complexes etlucides 2.

Jacques Lavigne n’est peut-être pasdevenu le philosophe qu’il aurait voulu être.Sa carrière universitaire fut interrompue aumilieu des années 50 pour des raisons quidemeurent encore mystérieuses. L’inquiétudehumaine 3, cette œuvre majeure dans l’his-toire de la philosophie québécoise, est paruechez Aubier en 1953, et il nous faudra atten-dre jusqu’en 1971 avant de lire un nouvelessai de Jacques Lavigne 4. Dix-huit annéesséparent les deux œuvres, mais il n’endemeure pas moins que Jacques Lavigne aurapendant ce temps influencé et encouragé descentaines d’élèves à écrire, penser et publier.Hubert Aquin, Georges Leroux et JeanLarose en furent.

Un jour, le fait apparaît clair et limpide,le penseur comprend qu’il ne sera penseurqu’en se rencontrant, qu’en cessant de com-

menter, de répéter, de coller autour de sa mai-gre pensée les idées des autres. Ce travail devenir jusqu’à soi est probablement le plusaffolant, le plus déstabilisant aussi. Aprèstout, qui en ce monde veut d’un nouveauphilosophe ? Pourquoi devrait-on accueillirun nouveau penseur alors que nous n’en finis-sons jamais d’essayer de comprendre lesanciens ? N’est-ce pas pure prétention de seprésenter comme philosophe aujourd’hui ?

On devient poète en écrivant despoèmes. On devient romancier en écrivantdes romans. L’œuvre apparaît lentementsur des feuilles blanches. Les autrespoètes, les autres romanciers n’existentplus. Une parole, la propre parole du poèteou du romancier doit naître. Sans cela iln’y aura ni poème, ni roman.

En philosophie, la feuille blanche nejoue pas exactement le même rôle. Lephilosophe naît rarement de l’effacement dela philosophie. Il cite, commente, paraphrase,critique et traîne avec lui toute son histoire.Immense fardeau. Poids terrible du passé etdes idées. Le philosophe ne s’invente pasdans la légèreté 5, d’où l’effort parfois surhu-main pour s’échapper ou s’envoler.

Il suffit de penser à Nietzsche pour s’enrendre compte. Combien de crachats sur lemonde et la pensée pour que Zarathoustratrouve sa niche dans le monde et les idées ?S’arracher au passé pour un philosophe estune entreprise complexe et probablementtoujours quelque peu ratée.

Mais dès que nous commençons d’en-seigner, de penser, d’écrire et d’être des intel-

lectuels nous abandonnons notre âme. Etpourtant c’est par elle seulement que nousréussirons à nous donner une vie de l’espritqui ne sera plus un artifice 6.

L’inquiétude humaine de JacquesLavigne est un texte fondateur comme l’étaitRefus globalde Paul-Émile Borduas. Aveccet essai naît « la vie de l’esprit », une paroleet une pensée.

À la limite, nous pourrions écrire : peuimporte même le contenu de l’œuvre, peuimporte notre accord et notre désaccord surce qui est dit, dans cet essai, de l’être, dumonde, de l’art, de la société, de Dieu, de lascience ou de la métaphysique.

La philosophie ici devient possible parcequ’un intellectuel du nom de JacquesLavigne a refusé « d’abandonner son âme »aux autres philosophies. Ce qui n’exclut pasdes influences, mais dans L’inquiétudehumaine, l’histoire de la philosophie est auservice d’un philosophe et non le contraire.

Il y aurait d’ailleurs toute une réflexion àproduire sur la question de l’inquiétude.Notre première œuvre philosophique a pourthème l’inquiétude.

C’est en effet par l’inquiétude que noussommes comme placés au-dessus du temps etdu devenir et forcés d’en demander le sens.C’est le premier signe, dans le relatif et letemporel, de la présence en nous de l’éternitéet de l’absolu 7.

Donc, prendre acte de cette inquiétude.D’abord pour soi, comme être particulier,comme humain parmi les humains. Du por-teur d’eau au porteur de sens.

Homme inquiet issu d’un peuple inquiet.Rien n’est acquis. Jamais. Ni le peuple, nil’homme. Ni les idées, ni l’âme. Hommeinquiet dans son universalité même, dans sonpouvoir d’accéder à cette universalité.

Nos maîtres et le pays ne peuvent pren-dre un tel risque. Ils ne peuvent point risquerd’entretenir une vie de discours et de paresse.

HOMMAGE À JACQUES LAVIGNE(1919-1999)Marc Chabot

L’inquiétude humaine de Jacques Lavigne est

un texte fondateur comme l’était Refus global de

Paul-Émile Borduas. Avec cet essai naît « la vie de l’esprit », une parole et

une pensée.

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Ils sont sûrs du pire médecin, du pire avocat,du pire épicier qui donneront au moins unepilule, une parole, un pot d’olives. Vous pou-vez travailler toute votre vie et ne leurapporter que vos yeux usés et votre cœur mal-heureux. Il faut donc risquer seul la vie devotre âme… 8

Risquer son âme en 1953, c’était écrireun livre. La pilule est depuis longtempsdigérée, la parole est morte et le pot d’olivesest vendu. Mais il nous reste L’inquiétudehumaine, une nourriture pour l’âme. Lesmots risqués d’un philosophe dont noussommes bien loin d’avoir saisi toute l’impor-tance dans notre culture.

Une cinquantaine d’années nous sépa-rent de l’essai de Jacques Lavigne, de cetessai complexe qui mettait la philosophiequébécoise au monde.

Acte fondateur. Texte fondateur. Qu’est-ce à dire ? Quelque chose commence quenous ne pourrons plus arrêter : la philosophieen Amérique francophone.

Que nous ne le sachions pas, que nousne voulions pas le savoir, c’est une autre his-toire. Que Jacques Lavigne manque delecteurs et de lectrices n’y change rien.L’œuvre est là. L’œuvre est datée. Elle finirabien par faire sens.■

Beauport, août 1999

Repères biographiques

(tirés de l’ouvrage collectif dirigé par JacquesBeaudry, Autour de Jacques Lavigne,philosophe. Histoire de la vie intellectuelle d’unphilosophe québécois de 1935 à aujourd’hui,Trois-Rivières, Éditions du Bien Public, 1985)1919 : Naissance de Jacques Lavigne.

Il étudiera au Collège Jean-deBrébeuf où, dès ses BellesLettres, il s’intéresse à laphilosophie.

1944 : Licence en philosophie àl’Université de Montréal.

1945 : Il enseigne la philosophie aux collèges Marguerite d’Youville,Brébeuf, Loyola et à l’Universitéde Montréal.

1948-1951 : Il a été directeur des publications au Petit journal.

1952 : Doctorat sur l’inquiétudehumaine. Mention « summa cumlaude ».

1953 : Professeur titulaire à la Facultédes sciences sociales. Il entre-prend des recherches sur les rap-ports entre la psychanalyse et laphilosophie.Parution de son essai L’inquiétudehumaine.

1954 : Il obtient une bourse de laFondation Rockefeller pour lapréparation d’une étude, « LaFigure du monde », présentéedans le cadre des symposiums del’année jubilaire du CollègeBrébeuf.

1956 : Un article dans Le Devoir,« Notre vie intellectuelle est-elleauthentique ? ».

1959 : Il doit quitter l’Université deMontréal qui ne reconnaît pas lavaleur de ses recherches, à partirdes méthodes expérimentales de

la psychanalyse, sur le contenusymbolique du discoursphilosophique.Il devient titulaire de PhilosophieI au Collège Jean-de-Brébeuf etrégent de tout l’enseignementphilosophique de cette institution.

1961 : Il doit quitter le collège qui aadopté, face à ses recherches, lamême conduite que l’université.Suivront quatre années de chô-mage forcé.

1965 : Il enseigne au Collège deValleyfield.

1971 : Parution de L’objectivité, ses conditions instinctuelles et affectives.

1987 : Parution de Philosophie et psy-chothérapie, essai de justificationexpérimentale de la validité et dela nécessité de l’activitéphilosophique.

1999 : Mort de Jacques Lavigne.

1 Jacques Lavigne, « Notre vie intellectuelleest-elle authentique ? » (1956), dans l'essai deJacques Beaudry,Autour de Jacques Lavigne,philosophe. Histoire de la vie intellectuelled'un philosophe québécois de 1935 à aujour-d'hui, Trois-Rivières, Éditions du BienPublic, 1985, p. 95.

2 Ibid., p. 99.3 Paris, Aubier, Éditions Montaigne, 1953, 230

pages.4 L'objectivité ses conditions instinctuelles et

affechves, Montréal, Leméac, 1971, 256pages.

5 Je ne veux pas laisser entendre que le poèteou le romancier s'invente dans la légèreté. 6Jacques Lavigne, « Notre vie intellectuelleest-elle authentique ? » (1956), dans Beaudry,op. cit., p. 100.

7 L'inquiétude humaine,p. 25.8 Jacques Lavigne, « À un jeune penseur: les

exigences du métier de philosophe », dansBeaudry, op. Cit., p. 89.

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Extrait d’un ouvrage à paraître,Créer un monde.

Comment nier qu’un vide se soitouvert au cœur même de la civilisationcomme en chacun, un sentiment de non-coïncidence avec ce qui est, ce qui seprésente comme déjà là, légué par la tradi-tion? Un bris dans la chaîne de transmis-sion des valeurs, une interruption dans lacontinuité de la tradition. Comme si lepassé n’était plus le passé... n’avait plusrien à nous livrer et que nous nous trou-vions voués à recommencer... comme àzéro. Certes, on ne recommence jamais àzéro, le «comme» est ici essentiel : ilindique que tout ce à quoi le passé nousdonne accès nécessite d’être réévalué. Lamanière traditionnelle d’évaluer, la hiérar-chie qu’elle constituait ne sauraient plusaller de soi dans un monde où ce n’est plusle groupe, le collectif, qui est premier,mais l’individu. Telle est la révolution laplus radicale à laquelle la culture nous pré-pare depuis au moins le 17ème siècle,depuis le geste inaugural de Descartes quiosa se poser, affirmer l’autonomie de sapensée par rapport à la tradition.Descartes pensait seul, par lui-même, c’esten lui-même plutôt que dans la tradition etles autorités (religieuse et philosophique)qu’il cherchait la source de la pensée et desidées qui lui venaient. S’il parvenait àDieu, ce n’était plus par l’intermédiaire dela tradition et des autorités, mais immé-diatement, de l’intérieur de lui-même.Peut-être faut-il y voir l’équivalent, sur leplan philosophique et dans le contexte dela culture française, du geste fondateur dela Réforme: s’en remettre à sa conscienceplutôt qu’aux autorités, accéder à Dieu del’intérieur de soi plutôt qu’en passant parles autorités. C’est là que prit naissancecette Révolution dans le rapport de l’éva-luation à ce qui la fonde. Un pas plusavant que Descartes et la Réforme, nous nesavons même plus si Dieu existe, inca-pables que nous sommes de nous enremettre à une preuve dûment argumentée.Une confiance sans faille en la Raison lerendait encore possible à Descartes, la cer-titude qu’au cœur de la pensée, en sonfondement, s’impose une Lumière qui nelaisse aucun doute. Cette confiance en la

Lumière qui s’impose, à son éclat, à sontriomphe, fonde la certitude de Descartes.Cependant, l’effort de raisonnement et dedémonstration auquel il se livre a aujour-d’hui quelque chose de forcé. Derrière ceteffort, l’acharnement à prouver, ne décèle-t-on pas aujourd’hui comme une compul-sion... celle d’en finir avec, une fois pourtoutes, l’hésitation, le doute? L’édificeparaît trop bien construit pour qu’on n’ysoupçonne quelque lézarde, quelque pré-carité qui le menacerait à tout momentd’effondrement. Comment pourrais-je mesentir assuréde mon rapport à la pensée,

de ce que ce rapport à la pensée me mettehors de tout doute en relation avec uneLumière qui dissipe toute obscurité?

Bien sûr, Descartes prétendait, peut-être par prudence ou par ruse, tenir lamorale à l’écart de sa mise en doute toutcomme de sa découverte. C’est dans lepur domaine de la connaissance qu’il pré-tendait parvenir à la certitude, laissantbizarrement aux approximations de l’ex-périence et de la tradition le soin de nousguider dans l’existence. Prudence? Sainecontradiction qui préserve le champ de laliberté, d’une certaine indétermination del’expérience, tout en s’assurant d’unprincipe certain dans le domaine de la con-

naissance des choses extérieures?Difficile de répondre, sauf que, peu après,Spinoza, muni de la Lumière de la décou-verte cartésienne, n’hésitera pas à la faireresplendir dans le domaine de la conduitehumaine, se désintéressant même totale-ment des problèmes de physique ou demathématique. C’est dans le domaineéthique exclusivement que Spinoza ferajouer toutes les implications de la décou-verte cartésienne. Mais comment ne l’au-rait-on pas fait? Si une Lumière peut ainsis’imposer du fond de soi-même, commentn’en userait-on pas pour la conduite de savie et la réserverait-on à la connaissancede phénomènes qui nous restentextérieurs? Comment justifier au seinmême de l’expérience de l’être connais-sant une telle séparation entre la gouvernede son existence et la compréhension dumonde dans lequel il vit? Commentserais-je lucide dans un domaine etcesserais-je de l’être dans un autre qui metouche encore de plus près? Certes, s’ilme touche de plus près, la difficulté s’entrouve accrue, mais n’est-ce pas alors lecaractère proprement subversif de larecherche en soi-mêmedu fondement de lamorale qui ressort, de ce qu’il y a de sub-versif surtout à affirmer que, chacun étantdescendu en lui-même et ayant fait l’effortd’une réflexion rigoureuse, il pourradécouvrir une direction qui, si elle n’estpas hors de tout doute, s’approche dumoins du maximum de certitude qu’onpuisse atteindre? Dès lors, posant telgeste, affirmant telle pensée ou telleparole, je pourrais être justifié de penserque je ne me trompe pas, que c’est bien làce qu’il fautque je fasse ou dise.

Mais la terre a tremblé... depuis quenous savons que «Dieu est mort», selonla parole de Zarathoustra-Nietzsche.Toutefois, le savons-nous? Ou nesommes-nous pas comme tous ceux-là surla place publique qui n’entendent rien, semoquent de celui qui le leur crie, ou deceux qui, tels Oreste et Électre, désormaissans père ni mère, appellent une autre loi?À ceux-là, qu’est-il proposé d’autre que laquête du bien-être dans l’ignoranceabsolue de toute autre exigence? Si l’indi-vidu, du cœur de ce qui le rend singulier,

UNE HYPOCRISIE MODERNEMichel Morin

Dans quel monde vivons-nous en effet,sinon un monde dans

lequel, d’une part, on exalte la Raison scientifique,

c’est-à-dire la puissance del’homme dans le domaine de la connaissance de lanature, et d’autre part, la

nécessité de se conformer aux valeurs morales les plus traditionnelles dont le creuset indépassable serait la famille qui ne

devrait jamais rester très loin de l’Église

(quelle qu’elle soit)?

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peut découvrir une direction, en d’autresmots, une raison, comment pourrait-onexiger de lui qu’il se conforme à desvaleurs morales, du simple fait qu’elles luiseraient léguées par la Tradition? S’il estconstitutif de ce qu’on appelle laModernité de mettre en question laTradition comme Référence et Autorité enscience, comment pourrait-elle continuerde l’être dans le domaine de la conduite del’existence? Exaltant le pouvoir de con-naissance de l’homme dans le domaine dessciences de la nature, au nom de quoipourrait-on demander à la même personneà laquelle on s’adresse de se plier à l’au-torité dans le domaine des moeurs et deson comportement? Nous voilà iciramenés à la contradiction de la démarchecartésienne et obligés de constater quecette contradiction dessine étrangement laconfiguration du problème qui se pose à lacivilisation occidentale, dans son étatprésent.

Dans quel monde vivons-nous eneffet, sinon un monde dans lequel, d’unepart, on exalte la Raison scientifique,c’est-à-dire la puissance de l’homme dansle domaine de la connaissance de la nature,et d’autre part, la nécessité de se con-former aux valeurs morales les plus tradi-tionnelles dont le creuset indépassableserait la famille qui ne devrait jamais restertrès loin de l’Église (quelle qu’elle soit)?Les mêmes (politiciens, hommes d’af-faires, journalistes, etc.) qui se font leschantres du scientisme et de l’industriali-sation à outrance, exaltent la famille, lesvaleurs dont elle serait porteuse et seréfèrent à la Tradition fondatrice de toutemorale avec un trémolo dans la voix.Pourtant, le développement scientifiqueavec ses implications industrielle et tech-nique, d’une part, affirme la puissance del’intelligence et de la capacité de com-préhension de l’homme, c’est-à-dire del’individu qui cherche, expérimente etdécouvre des lois; d’autre part, contribue àdissoudre les communautés traditionnelleset à faire éclater les familles, en organisantle travail de telle sorte qu’il extraie l’indi-vidu de toute communauté d’apparte-nance. Dès lors, comment ceux-là mêmesqui se font les agents et promoteurs d’unetelle entreprise peuvent-ils, du même souf-fle, comme c’est souvent le cas, promou-voir le respect des valeurs traditionnelleset défendre la famille comme creuset deces valeurs? Bref, on est amené à cons-

tater que la prudence cartésienne avec lacontradiction théorique et pratique qu’elleimplique, conduit à une forme tout à faitparticulière et moderne d’hypocrisie.

Cette dernière n’est donc plus àchercher comme autrefois dans la contra-diction entre les valeurs héritées de la reli-gion et celles réellement suivies par l’indi-vidu, mais plutôt dans la contradictionentre la valorisation de la Raison dans unchamp et son exclusion dans un autre,étant entendu sans doute que le «libre exa-men» protestant a débouché non sur unevéritable autonomie morale mais sur unenouvelle forme de conformisme. Cettenouvelle modalité d’hypocrisie repose endernière instance sur le maintien de

«valeurs périmées», pour reprendre la for-mule de Heidegger, parallèlement à l’ef-fort moderne de rationalisation et d’indus-trialisation. C’est ce que, pratiquement,veut dire la non-reconnaissance de la«mort de Dieu» à notre époque, ou, si l’onpréfère, le règne du «comme si», bienillustré par ces «derniers hommes» évo-qués par Nietzsche, qui «clignent del’oeil», fatigués à la seule pensée d’avoir àévaluer par eux-mêmes. «Nous avonsinventé le bonheur», disent-ils, c’est-à-direla vie humaine enfin sans effort, avec pourtout horizon le bien-être, l’enrichissementcollectif et l’assoupissement dans le loisirorganisé. Certes, nous savons bien (aufond) que la vie humaine ne peut se vivresans évaluer à chaque instant, sans estimer,

peser, juger le moindre geste, la moindreparole : l’homme, celui qui évalue, écrivaitNietzsche. Nous savons bien, en con-séquence, qu’elle ne peut se vivre sans un«système de valeurs» ou de Référence.Hors la Référence, l’Étalon, commentjuger? Si, cependant, notre étalon réel està vrai dire inavouable (au regard de ce que«fut», de ce qu’est l’homme), nepréférerons-nous pas nous faire croireainsi qu’à «nos enfants» que nous évalu-ons «comme avant», que la Référence estrestée la même, qu’il n’y a pas en con-séquence discontinuité, encore moins rup-ture? Le «Père» régnerait encore et, aveclui, la Loi. Nous ne l’aurions jamais tuémais continuerionsd’y croire. Mais com-ment «nos enfants» croiraient-ils ceux quileur parlent ainsi, alors qu’ils les voientagir, les entendent parler et les observentchaque jour jugeant, estimant, évaluant?Que peuvent-ils retenir de ce qui vautpoureux? L’incitation incessante à «réussirdans la vie», à se trouver «un bon travail»,à «gagner de l’argent», à pouvoir «sepayer» tel bien matériel, l’importanceaccordée au «paraître», de manièregénérale l’horizon du «bien-être» souventappelé «bonheur» comme seul horizon,n’est-ce pas ce qui risque de s’imposercomme «valeurs»? Dès lors, comment ces«enfants» croiraient-ils à la Référence tra-ditionnelle, idéale ou religieuse? Nevoient-ils pas tous les jours ce qu’est lavraieRéférence? Comment ne seraient-ilspas amenés à penser que l’autre Référencen’est qu’une façade que l’on maintientpour ne pas avouer... le vide, ou, si l’onveut, la vraie Référence? Mais en quoiserait-elle donc inavouable sinon sansdoute, comme nous le suggérions, en cequ’elle serait en deçà de ce qui fitlongtemps la dignité de l’homme... dans lepassé : le rapport à un au-delà, l’obligationde l’effort, c’est-à-dire d’un certain «sacri-fice» pour donner valeur à...; le refusexprimé par l’homme à travers religions,philosophies, morales de consentir à ceque son destin se réduise à reproduirel’existence, à se reproduire, fût-ce avectoujours plus de confort et de bien-être?«Effort», «sacrifice» doivent ici être enten-dus hors de toute connotation a priorireligieuse, en leur sens propre. Comme«évaluer» implique élire, choisir, préférer,en vertu d’un «désir» ou d’une «tensionvers...» autre chose, au-delà de soi, dans lesens d’un dépassement (de soi et de ce quiest déjà là, «donné»), comment cela n’im-

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pliquerait-il pas de renoncer à ce qui estd’accès plus facile et paraît immédiate-ment plus plaisant? Chacun sent, s’il ne lesait pas d’un savoir thétique, que là setrouve la «grandeur» ou l’éminence del’homme : l’être qui ne se satisfait pas dece qui est «donné», qui se distingue del’animal en ce qu’il est toujours porté audelà, ailleurs, vers un horizon qui se pro-file bien au-dessus de lui. Dès lors, com-ment avouer que l’on a, en pratique, renon-cé à poursuivre un tel au-delà, qu’à forcede démissions et de lâchetés accumulées, àla faveur de la «fatigue» ou d’un sourddésespoir, en a consenti à se satisfaire dubien-être comme «horizon» et à appelercela «bonheur»? Aussi préfère-t-on faire«comme si» et continuer à se référer àl’échelle traditionnelle de valeurs, sanspourtant y croire.

Il y a tout avantage à nous dissimulerla réalité de notre situation morale, parcequ’autrement l’implication serait immé-

diate : si «Dieu est mort», nous sommes enpanne et en mal de Référence, la viehumaine est menacée de ne plus avoir desens. Aucun sens n’étant plus d’embléegaranti, il incombe à chacun, de l’intérieurde lui-même et par lui-même, de se mettreen quête d’une manière nouvelle de donnerun sens à son existence en lui conférantune valeur aussi élevée qu’elle put l’êtredans le passé. «Dieu est mort» impliqueune nécessité et une urgence, comme si,désormais, chacun se trouvait un peu dansla situation de Descartes au 17ème siècle,voué à chercher en lui-même et par lui-même la source, la Lumière, la raison,mais sans se dissimuler que l’existenceentière s’en trouvera saisie et non seule-ment sa part cognitive. Qui sait si, descen-dant au fond de soi, la Lumière de ce quis’est appelé «Dieu» ne brillera pas à nou-veau pour celui qui aura cherché honnête-ment ? Ne faut-il pas, paradoxalement,commencer par admettre la «mort deDieu», c’est-à-dire d’une certaine manière

d’évaluer transmise par l’Histoire à descommunautés organiques, pour devenircapable d’une redécouverte de «Dieu»,entendu en un sens inédit ? Si «Dieu» est,renonçant pour l’instant à tenter de définirce que nous appellerions ainsi, pourquoine logerait-il pas au cœur de ce qui est,dans l’obscurité intime de l’être, plutôt quepré-ordonnant de l’extérieur et de loinl’être de ce qui est ? Le Dieu qui domineet dirige s’adressait à des communautés.À partir du moment où apparaît l’individu,le sujet qui cherche et pense par lui-même,«Dieu» n’est plus transmis ni hérité, iln’est plus déjà là tel un garant de ce qui estet de ma propre existence, mais fait l’objetd’une découverte par chacun au cœurmême du plus précaire et du plus singulier.Loin de supprimer cette précarité, il larend plus sensible que jamais. C’est lafinitude qui advient à elle-même et à sonpropre dépassement. La fragilité deschoses et des êtres rendue à la pure mer-veille de leur apparaître. ■

S‘il se trouve un endroit à Montréalqui maintient vivante la tradition huma-niste de la réflexion, de la découverte et dela mémoire du patrimoine bâti, c’est bienle Centre Canadien d’Architecture.

À une époque où certains affirmentsans vergogne que le mécénat est uneapproche de la culture en voie de dispari-tion, l’existence même du CCA en cons-titue un sérieux démenti. Fondé par PhyllisLambert qui y a consacré temps et argent,le CCA figurait, dès son ouverture en1989, au premier rang des établissementsd’envergure internationale dévolus à l’étu-de, à la promotion de l’architecture et à sesrapports avec l’environnement.

Depuis plus de trente ans, l’idée d’untel Centre faisait son chemin dans la têtede Madame Lambert. Elle s’affairait déjà àconstituer, avec rigueur et passion, des col-lections de nature à doter son projet d’unfonds d’œuvres et d’objets divers. Celui-ci

comprend aujourd’hui plus de 500, 000artefacts.

La présente exposition,En chantier :les collections du CCA, 1989-1999offreune sélection de 350 pièces parmi lesacquisitions des dix dernières années:estampes, dessins, photos, livres rares,manuscrits, jouets et maquettes datant duXVe siècle à nos jours, «qui démontrentcomment l’architecture a été imaginée,conçue, observée et perçue de l’ère deGutenberg à l’ère électronique.»

LE PROCHE ET LE LOINTAINSi l’architecture occidentale s’avère

être le principal champ d’étudesexploré, les mondes lointains -Inde,Égypte, Mexique, Japon...- ne sontpourtant pas oubliés. Après tout, lephilosophe Voltaire pouvait déjàaffirmer au XVIIIe siècle : «Tout nousvient des bords du Gange.» Visionqu’allait confirmer, au XIXe siècle, la

découverte du sanscrit, à la source deslangues indo-européennes.

Or, le XIXe siècle est aussi celui del’industrialisation et de l’urbanisationmassive. L’invention de la photographie vapermettre la constitution de vastes réper-toires de ce qui était appelé à disparaître aunom du progrès...

En plus, l’esprit de l’humanismerenaissant se trouve évoqué par la présenced’un ouvrage rarissime: un traité deVitruve De architectura, datant de 1511 etrelié aux études de géométrie d’Euclide età un écrit de Dürer sur le même sujet.

Un certain nombre de documentsexposés sont restés au stade de projet - par-fois fort heureusement...- ainsi les plans deCharles de Wailly visant à transformer lePanthéon de Paris vers 1797 en remplaçantnotamment le dôme par une pyramide. Onvoulait ainsi gommer l’origine religieuse

LES COLLECTIONS DU CENTRE CANADIEN D’ARCHITECTURE :LES CHANTIERS DE PHYLLIS LAMBERTAlain Houle

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du bâtiment en rappelant la conquêtefrançaise de l’Égypte.

L’HÉRITAGE DU XX e SIÈCLEL’héritage du XXe siècle y est aussi par-

ticulièrement bien documenté. On y voitnotamment un important corpus de docu-ments sur l’avant-garde russe - le mouve-ment constructiviste - et la période stali-nienne qui a suivi.

L’œuvre des principaux architectes y estprésente, que l’on songe au Corbusier, àFrank Lloyd Wright et à Mies van der Rohe;Madame Lambert est présentement à con-cevoir une exposition sur l’œuvre de cedernier en Amérique.

De même, on retrouve des travaux deCedric Price, John Hejduk et Peter D.Eisenman, visionnaires et protagonistes d’unrenouveau du discours et des pratiques archi-tecturales.

L’ART ET L’ARCHITECTURELes rapports entre l’art et l’architecture

offrent un champ d’études particulièrementriche. Plus connus comme sculpteurs, LaszloMoholy-Nagy et Alexandre Rodtchenkocomptent également au rang des premiersphotographes modernistes à jeter un regardnovateur sur le passé et le bâti architectural.

Ainsi, Moholy-Nagy photographieNotre-Dame de Paris avec le parti prisde démontrer la modernité de la struc-ture gothique anticipant en quelquesorte la structure d’acier du gratte-ciel.

Le peintre Fernand Léger, concep-teur de nombreuses murales et partisand’un art intégré à l’architecture estreprésenté par un projet de villa conçuen collaboration avec l’architecte AndréBruyère qui illustre bien sa vision d’unepeinture à l’échelle du paysage.

LOCALEMENT...Le Québec n’est pas en reste avec

des documents d’architectes tels ErnestCormier et Roger d’Astous. Ce dernierétudia notamment auprès de LloydWright. Certains découvriront avec sur-prise la maquette d’un projet de l’archi-tecte Van Ginkel pour la tenue d’uneexposition universelle à Montréaldatant de 1962. Conçu sous le thèmeinitial de L’Homme dans la ville, le pro-jet avait pour mérite de revitaliser lecentre-ville et le secteur de PointeSaint-Charles. Si Terre des Hommes futle succès que l’on sait, on doit mal-heureusement constater qu’encore unefois, l’éphémère l’emporta sur ledurable.

UN REGARD CRITIQUEPlusieurs architectes et artistes ont jeté

un regard critique sur l’environnement bâti,ce dont l’exposition Chantiers rend ample-ment compte. Parmi ceux-ci, la palme del’audace revient à Gaetano Pesce qui en1976 conçut un projet pour la bibliothèquedu schah d’Iran; projet qui au moyen demétaphores visuelles dénonçait le caractèreoppressif du régime.

Melvin Charney et son Dictionnairevisueloppose l’idéal humaniste classique àla pratique fonctionnaliste courante. D’autresencore questionnent la notion de territoire etde propriété. Geoffrey James, dans la sériede photos Running Fence se penche sur lazone frontière entre le Mexique et les États-Unis. Tadashi Kawamata et Gordon Matta-Clark explorent la notion de ruines. EnfinJohn Gossage photographie le Berlin d’aprèsla chute du mur et fait voir l’apparition denouvelles barrières...

On en conclura d’après l’exposé de cequi précède que l’exposition du CCA cons-titue un vaste chantier propre à faire travaillerla matière grise et l’imaginaire... ■

CENTRE CANADIEN D’ARCHITECTURE, JUSQU’AU 30 AVRIL.

POUR L’OPÉRAL’Opéra mérite-t-il d’être hissé au rang

des grandes formes artistiques qui, par leursmérites intrinsèques, éclairent et guident ladestinée humaine ? À cette vaste question,certains répondent oui avec un enthousiasmeet une ferveur de prosélytes. D’autres, et ilssont nombreux, n’estiment guère ce genremusical. À leurs yeux, l’opéra n’est rien deplus qu’un divertissement mondain et pom-peux appartenant à une époque révolue.

Les détracteurs de l’opéra ont en partieraison. Dans les milieux très selectde l’artlyrique, le goût immodéré du luxe et de ladistinction a trop souvent dénaturé et cor-rompu les œuvres les plus belles et les plussincères. Mais, est-ce là une raison suf-fisante pour rejeter du revers de la main, sansun procès plus approfondi, une forme artis-

tique originale et irremplaçable ? Depuisquatre siècles, les plus grands compositeursont écrit des œuvres lyriques. Cet immenserépertoire ne constitue-t-il pas une richesseinestimable ? Tant d’efforts déployés méri-tent, me semble-t-il, qu’on s’attarde quelquepeu pour essayer de comprendre et d’évaluerla valeur de cet héritage.

Il faut cependant savoir que l’art savant– et l’opéra se range dans cette catégorie - nedevient accessible au profane que par le biaisd’un médiateur. On ne peut emprunter seulles chemins qui mènent à l’appréciation et àla connaissance des formes artistiquessupérieures. Car ce dont il s’agit, c’est, àproprement parler, d’une initiation. Or,l’essence même de toute connaissance initia-tique se situe au cœur d’une expérience

partagée ; autrui est un passage obligé.

En ce qui a trait à la découverte del’opéra, le père basilien Owen Lee, pro-fesseur émérite du St. Michael’s College del’Université de Toronto, est très certainementun excellent médiateur et un initiateur remar-quable. Pour s’en convaincre, il suffit de lireson magnifique ouvrage intitulé Une saisonà l’opéra (Éditions Fides, 1999, traduit del’anglais par Jean Chapdelaine Gagnon).

Dans Une saison à l’opéra,Owen Leese propose d’approfondir «la compréhensionde quelques-uns des événements marquantsde l’évolution d’une splendide forme artis-tique, née de l’esprit d’Orphée» (p. 10). Pource faire, il a choisi d’analyser et de com-menter, d’une façon personnelle, 23 œuvres

Éric Cornellier

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majeures du répertoire lyrique s’étalant surprès de quatre siècles de création. Lesœuvres choisies sont représentatives de ceque pourrait être le programme d’une saisondans une maison d’opéra. C’est ce qui justi-fie le titre du livre.

Partant du principe qu’«à l’origine dechaque forme d’art du spectacle, se trouve unmythe», l’auteur en déduit que «le mythe àl’origine de l’opéra est sûrement celuid’Orphée» (p. 13). L’histoire tragiqued’Orphée a été racontée par Virgile (LesGéorgiques) et Ovide (Les Métamorphoses).

Orphée, aède mythique originaire deThrace, possédait un don merveilleux. Par lamagie de son chant, il apprivoisait les fauves,ensorcelait les dieux et les mortels et réussis-sait même à émouvoir les êtres inanimés.Son épouse, la gracieuse nymphe Eurydice,fut mordue par un serpent et elle en mourut.Déchiré par la douleur insupportable d’avoirperdu sa bien-aimée, Orphée entreprit d’allercharmer les divinités infernales afin d’ar-racher son Eurydice au pouvoir des Enfers.Il obtint la permission de la ramener à la vie,mais les dieux infernaux lui firent promettrede ne pas la regarder avant d’avoir regagné laterre. Sur le point de franchir les portes desEnfers, craignant que son épouse se fûtégarée, Orphée se retourna ; aussitôt,Eurydice s’enfonça pour toujours dans leroyaume d’Hadès.

D’une manière fort convaincante, OwenLee soutient que le mythe d’Orphée a jouéun rôle primordial dans la naissance et l’évo-lution de l’opéra. Il distingue quatre étapesbiens définies : «l’Orfeo (1480) du Politiena été le premier drame musical laïqueeuropéen ; l’Euridice(1600) de Peri, la plusancienne expérimentation à l’opéra qui aitsurvécu ; l’Orfeo (1607) de Monteverdi,l’œuvre qui a introduit les plus importantestraditions dans l’écriture de l’opéra et, aprèsun siècle et demi d’excès, l’Orphée etEurydice(1762) de Gluck, celle qui amorçala réforme du genre et lui donna la formequ’il a gardée depuis » (p. 25).

Si la partition de la première de ces qua-tre œuvres n’a pas survécu, il est aujourd’huiloisible d’entendre les trois suivantes.L’audition successive de ces trois œuvresphares est une formidable expérience pourquiconque se passionne pour l’évolution et lacristallisation des formes musicales propresà l’opéra.

À l’instar de l’ensemble des formesartistiques (je pense ici en particulier à lapeinture et à la littérature), l’opéra a connuau 20e siècle une remise en question radicale.Owen Lee rappelle que dans les années1970, le compositeur allemand Hans WernerHenze «estimait l’opéra dépassé». De soncôté, le brillant compositeur français PierreBoulez «lançait un appel pour qu’on fîtsauter tous les théâtres lyriques» (p. 303).Cependant, il n’en demeure pas moins quenotre siècle a vu naître des œuvres d’unegrande force expressive.

Selon Owen Lee, trois grandes ten-dances se sont dessinées au 20e siècle : ledodécaphonisme, la tendance psychanaly-tique et la mise en valeur des grandscourants intellectuels et littéraires contem-porains. Les deux premières tendances

seraient, en quelque sorte, un prolonge-ment logique des possibilités explorées parWagner dans son illustre chef-d’œuvre,Tristan und Isolde (1865). Quant à latroisième tendance, l’auteur n’en retracepas explicitement les origines, mais il neserait certes pas inconvenant de supposerque les compositeurs du 20e siècle ontressenti, plus que jamais auparavant, lebesoin de participer aux grandes interroga-tions contemporaines. Pour illustrer cha-cune de ces tendances, l’auteur suggèredes œuvres.

Moses und Aron(1930) de Schönberg,Lulu (1937) et Wozzeck(1925) de Berg s’ins-crivent dans la tendance dodécaphonique. Ilest aujourd’hui admis que ces trois opérasdemeureront des témoignages révélateursdes dérives morales et psychologiques qui

ont accablé l’homme du 20e siècle.Toutefois, Owen Lee souligne avec justesseque «le dodécaphonisme de Berg et deSchönberg, cérébral, âpre [et] fastidieux pourl’oreille», n’a pas réussi à remplacer «les tra-ditions musicales moins intellectualistes dupassé» (p. 299).

La tendance psychanalytique a donnélieu à une étonnante production d’œuvres.Dans son livre, Owen Lee en énumère ungrand nombre. Prenant le risque de passersous silence des œuvres essentielles, je mepermets d’en citer quelques-unes :Lechâteau de Barbe-Bleue(1918) de Bartok,L’ange de feu(1955) de Prokofiev et PeterGrimes(1945) de Britten. Il ne faudrait pasnon plus oublier Ariadne auf Naxos (1912)de Richard Strauss. Pour Owen Lee, cetteœuvre, écrite sur un livret d’Hugo vonHofmannsthal, est «l’opéra le plus importantet, de bien des points de vue, le meilleur dece siècle» (p. 306).

Le rapprochement qui s’est opéré au 20e

siècle entre les compositeurs d’opéra et lesécrivains a été à l’origine d’une abondantemoisson. Sans qu’il s’agisse nécessairementd’une collaboration directe entre composi-teurs et écrivains, la production lyrique afortement subi l’influence des œuvres lit-téraires contemporaines. Owen Lee en fait lapreuve en dressant «une liste des écrivainséminents et des opéras remarquables de cesiècle» (p. 302). En voici quelques exemples: Bernanos et Poulenc,Le dialogue des car-mélites (1957) ; Brecht et Weill,Mahagonny(1930) ; Cocteau et Stravinsky,Oedipus Rex(1927); Colette et Ravel,L’enfant et les sor-tilèges (1925) ; Maeterlink et Debussy,Pelléas et Mélisande(1902) ; Wilde etStrauss,Salomé(1905) ; etc.

Depuis déjà quatre siècles, l’opéra a suémouvoir et enthousiasmer un nombre tou-jours croissant d’amateurs. Certes, cetteforme artistique n’a pas toujours été à lahauteur des plus nobles espérances ; lesvaines acrobaties vocales ont trop souventrabaissé l’opéra au niveau d’un divertisse-ment prétentieux et inutile. Néanmoins, ceserait une erreur de s’en tenir à cette tristeconstatation. Car le répertoire lyrique four-mille de chefs-d’œuvre qui, par la forceexpressive du théâtre marié au chant,éclairent le sens de la vie. ■

Une saison à l’opéra, Owen Lee, Éditions Fides,1999, 343 pages.

Dans les milieux très select de l’art lyrique, le

goût immodéré du luxe et de la distinction a trop

souvent dénaturé et corrompu les œuvres les

plus belles et les plussincères. Mais, est-ce là

une raison suffisante pourrejeter du revers de la main,

sans un procès plus approfondi, une forme

artistique originale et irremplaçable ?

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Le passage du millénaire fut l’ob-jet de maintes appréhensions qui serévélèrent non fondées. Il n’endemeure pas moins que la chute dumarxisme et le triomphe de la démo-cratie libérale soumise aux impératifsde l’économie de marché laissentprésager un avenir où les luttessociales prendront une nouvelle con-figuration.

Quelles sont les attitudes possi-bles que peuvent adopter les artistesface à la dernière donne? L’expositionCulbutes - Œuvre d’impertinenceprésentée au Musée d’art contempo-rain nous offre quelques 35 proposi-tions émanant de 23 artistes québé-cois, canadiens et étrangers.

Par-delà la diversité des propos etdes formes retenues, on retrouve uneattitude commune à tous, soit l’hu-mour qui se décline sous les modes duludique, de l’ironie, voire du cynisme.

DE L’IRONIEComme on le sait, le concept

d’ironie est aussi vieux que l’huma-nité puisqu’il se retrouve aux originesde la philosophie, tout particulière-ment dans les débats opposant lessophistes à Socrate. Avec ce dernier,l’ironie interroge en dissimulant cequ’elle sait pour prendre l’homme dela rue dans les filets du langage.L’ironie resurgit avec les Lumières,notamment chez Voltaire, pour êtreensuite reprise par les romantiquesallemands.

Dans le champ des arts visuels,l’ironie s’affiche comme l’une desfigures marquantes de la modernité.Dada, Marcel Duchamp et les diversesavant-gardes qui se sont succédées seréclament de cet héritage corrosif.Tous partagent la conception adorni-enne d’un art qui n’a pas comme fonc-tion de réconcilier les contradictionsmais bien de les faire accéder à laparole.

CULBUTES ET IMPERTINENCEPourquoi ce vocable de Culbutes

coiffant l’exposition? Comme on leverra plus loin, la référence au mythede Sisyphe illustrant le caractèreabsurde de la condition humaine sem-ble quasi-omniprésente dans la plu-part des œuvres exposées.

Mais en quoi ou par rapport à quoices œuvres seraient-elles impertinentes,l’impertinence étant «ce qui ne convientpas» ? Les commissaires de l’exposi-tion, Paulette Gagnon et Sandra Grant

Marchand, considèrent que les piècesretenues relèveraient d’une approche«qui défie les codes esthétiques issusdes avant-gardes et le plus souventesquive les théories postmodernistesfondamentales de l’heure.» (Catalogue,p. 8) Les visiteurs se poseront-ils laquestion de la pertinence des œuvres ?Quoi qu’il en soit, ce n’est pas le lieupour discuter d’un tel problème.Penchons-nous plutôt sur ce qui sedonne à voir : les œuvres.

LES ŒUVRESL’humour prend une coloration

sociale chez certains dénonçant l’alié-nation qu’entraînent les valeurs de lasociété de consommation. On peutinclure dans cette catégorie le man-nequin surdimensionné de CharlesRay parodiant les canons stéréotypésde la mode, création qui accueille lesvisiteurs à l’entrée de l’exposition. Siles Chiens de prairie high techd’Andrea Zittel - à l’intérieurdesquels on peut pénétrer - possèdentun caractère ludique irrésistible, ilsn’en dénoncent pas moins la prise encharge de l’individu par un environ-nement étouffant.

Il en va de même de l’installationgigantesque de Kim Adams,Breughel-Bosch Bus,conçue comme «une sortede parc à thème sur le désastre del’ère post-industrielle.» (Cat., p. 24)Malgré la charge féroce, certainsesprits cyniques s’exclameront :«Joyeux désastre!»

La pièce de Nina Saunders, uneimmense sphère blanche capitonnéequi s’inscrit dans une démarchedénonçant «l’aspect dysfonctionnelde l’environnement familial», mesemble d’une efficacité douteuse si onignore le projet de l’artiste en ce sens.Le visiteur non prévenu pourraitprendre l’œuvre pour une parodie deballe de golf relevant du Pop Art. Àmoins qu’il ne s’agisse de la versionpostmoderne du rocher de Sisyphe...

Par contre, l’installation de FélixGonzalez-Torres, un tas de bonbonsmulticolores disposés dans un coin,prend tout son sens lorsqu’on apprendqu’il s’agit de l’évocation d’un amimort du sida. Le poids total des bon-bons, 79 kg, correspond à celui dudéfunt avant son dépérissement. Levisiteur est convié à prendre un bon-bon et ce, jusqu’à disparition com-plète de l’œuvre. Troublant. Comme ilest écrit : l’artiste «insuffle au voca-bulaire formel hérité de l’art minimalet conceptuel une charge émotionnelle

CULBUTES - OEUVRE D’IMPERTINENCE :SISYPHE ARTISTEAlain Houle

Martin Kippenberger - Sans titreCourtoisie : MAC

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étrangère au fondement même de cesidiomes plastiques.» (p. 37)

Martin Kippenberger a fait dulampadaire un objet emblématique desa production, par allusion auxlanternes ornant la devanture desmaisons closes. Le lampadaire iciprésenté est curieusement recourbévers le bas. La dimension cyniquel’emporte et on sent rôder l’ombre deDiogène qui, muni d’une lanterne, enplein jour sur la place publique, disaitchercher un homme. Nous sommes iciinvités à chercher le sens...

L’imposante installation d’Ilya etEmilia Kabakov We were in Kyotonous permet de vivre un «processusmental», une expérience quasi-onirique. Nous sommes amenés à cir-culer à l’intérieur d’une vaste struc-ture en bois, comme si nous étions surla passerelle d’un jardin zen. Soudain,un nuage de confettis s’abat sur nous,simulant une pluie de bourgeons decerisiers.

Autre pièce d’envergure, l’im-mense assemblage de lits formant unmouvement spiralé de RobertTherrien nous induit à une visiononirique du réel. Le lit devient sup-port matériel au ruban du rêve.

C’est dans une catégorie à partqu’il faut mettre l’installation dusculpteur Jean-Pierre Gauthier et dubatteur Mirko Sabatini visant à con-sidérer le son en tant que matériausculptural. Une batterie, munie d’undispositif de circuits électroniques,produit des séquences mélodiques

selon les déambulations du visiteur.Fascinant.

CÔTÉ PEINTURELa peinture n’a pas la cote en art

actuel, seul le travail de trois artistesa à voir avec ce médium. Et encore, lapremière pièce est une installation deTony Oursler mais qui renouvelleavec ingéniosité le genre de la vani-tas. On ne se lasse pas de contemplerle jeu des ombres qui nous plongedans une sombre méditation.

Dans sa peinture, Sylvain P.Cousineau se moque des mythesamoureux. Notamment son Saint-Valentin (avec mille-pattes) ferasourire les cœurs brisés. Quant àSanto de Luca, dans des tableaux trèsléchés, il amalgame parodie sur lamatière et symbolisme religieux.

VIDÉOSPar contre, l’exposition comprend

une douzaine de productions vidéo.Dans la majorité des cas, il s’agit d’unscénario ou d’un récit plus ou moinscomplexe à l’intérieur duquel l’artisteperforme afin d’illustrer le caractèreabsurde de l’existence et questionnantnotre rapport à l’art.

Alors que pour Serge Comte, trèspince-sans-rire, «l’art c’est dutralala», pour Philippe Parreno, l’artest conçu plus sérieusement «commeun espace de liberté (...) un espace quin’est pas achevé» ; ce à quoi son com-parse Pierre Joseph ajoute : une «zonedu possible».

Alain Benoit dans Le paysage tout

terrain emprunte à la forme du car-naval pour illustrer la condition del’artiste «pelleteur de nuages» et deson nuage-sculpture. Contrairementau caractère laconique de la plupartdes œuvres, on a ici affaire à unartiste qui a beaucoup de choses àdire. Étourdissant.

Peter Land, Roman Signer etRodney Graham démontrent chacun àleur façon le caractère répétitif del’activité de Sisyphe-artiste : une his-toire sans fin...

Manon Labrecque élabore égale-ment des propos allant dans ce sens.L’ironie qu’elle manifeste portejusque sur son propre travail alorsqu’elle se livre à une mise en abymedélirante de son exploration cor-porelle de l’espace. Désopilant.

Dans L’outil n’est pas toujours unmarteau, Sylvie Laliberté se trans-forme candidement en fée des étoiles.Munie de sa baguette magique, elletente de réinventer la vie, de refaire lemonde. Ce qui n’est pas facile, con-viendra-t-on avec elle, mais demeure,pour l’essentiel, le projet de l’artactuel... ■

MUSÉE D’ART CONTEMPORAIN,JUSQU’AU 23 AVRIL.

ABONNEZ-VOUS

L’HUMANISTECOMBATTANT

à

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Dans «Le mythe du fédéralisme renou-velé est mort» (Le Devoir ,18 octobre1999) où il se «propos[ait] de mettre enrelief […] le fait ignoré que les deuxgrands courants nationalistes[“ethno-cul-turel” et “civique”] du Canada sont nés auQuébec», le professeur Max Nemni affir-mait que «la victoire du nationalismecivique […] qui a mené à l’égalité descitoyens, l’égalité des deux langues offi-cielles, et le “French Power”à Ottawa amis fin au mythe du“pacte entre deux peu-ples fondateurs” qui nourrissait ladynamique politique déclenchée en 1962avec le slogan“Maître chez nous”».

Les docteurs de la loi ergoteront sansdoute longtemps encore pour établir s’il yeut, ou non, un pacte entre deux peuplesfondateurs en 1867. Les esprits moins éprisde légalisme, mais renseignés surl’Histoire, ont compris depuis longtempsque sans le concours de deux peuples, à l’o-rigine minuscules, la fédération canadiennen’eût jamais vu le jour cette année-là. Ilssavent qu’il y eut d’abord une communautéde quelque 60 000 âmes de souchefrançaise, enracinées pour la plupart dans lavallée du Saint-Laurent, que le Traité deParis de 1763 cédait à la Couronne britan-nique; ils savent aussi que sans leur refus, ladécennie suivante dans la guerre d’indépen-dance américaine, de se ranger aux côtésdes treize colonies qui les y avaient con-viées, la consolidation de l’emprise duRoyaume-Uni sur la portion septentrionalede l’Amérique du Nord ne se fût jamaisréalisée. Grâce à la fidélité de cet embryonde nation à la Couronne, représentée sur

place par Murray puis par Carleton, près dedix mille Loyalistes purent se réfugier dansla province de Québec (dont le territoires’étendait alors jusqu’au lac Nipissing àl’ouest), trente mille autres trouvant asiledans la Nouvelle-Écosse et les provinces duNouveau-Brunswick et du Cap-Breton.N’eût été de la loyauté de ces Canadiens,ainsi qu’ils s’appelaient, le continent aunord du Mexique serait devenu entièrementétats-unien.

En 1791, le parlement britannique divi-sait en deux la province de Québec: le Haut-Canada à l’ouest, peuplé de Loyalistes, et leBas-Canada à l’est, comptant quelque 140000 Canadiens et 20 000 nouveaux venus,Loyalistes et immigrants du Royaume-Unisurtout. Au Bas-Canada furent maintenus lacoutume de Paris et le régime seigneurial,tous deux hérités du régime français et offi-cialisés en 1774 par l’Acte de Québec.L’ Acte constitutionnelde 1791 dotait aussichaque nouvelle province de sa proprelégislature.

Lorsqu’éclata la guerre de 1812, lesCanadiens prouvèrent de nouveau leurfidélité: le gouverneur Prevost les rallia sanspeine à la défense du territoire menacé. Enrecrutant des miliciens en grand nombre, etrapidement, ses officiers réunirent desbataillons qui se distinguèrent dans le feu del’action. L’Assemblée législative, elle,s’empressa de voter les crédits nécessaires.Même réaction dans le Haut-Canada.L’évocation des exploits de Salaberry et deses Voltigeurs à Châteauguay, et le rappelde l’héroïsme de Brock, fauché à

Queenston Heights, et de ses soldats, suf-firont: si les uns ou les autres avaient failli àla tâche, le continent au nord du Mexiqueserait devenu, je le répète, entièrementétats-unien.

Pacte ou non, donc, le Canada n’exis-terait pas aujourd’hui sans le concours dedeux peuples, l’un formé de descendants decolons français débarqués sur les rives duSaint-Laurent à partir de 1608, l’autre deLoyalistes et d’immigrants des îles britan-niques venus dans la seconde moitié du dix-huitième siècle. Si le pacte est un mythe, lespeuples fondateurs, eux, ne le sont pas.

Dans son rapport de 1839, LordDurham prit prétexte des troubles de 1837-38 dans les deux Canadas pour en recom-mander la fusion et l’assimilation de lanation (c’était son expression) canadienne-française dans «cette grande race qui, avantlongtemps, doit dominer l’ensemble ducontinent américain.» Les conditions del’union imposée par Londres étaientiniques: pour une population de 60 p.c.supérieure à celle du Haut-Canada, le Bas-Canada recevait le même nombre de fau-teuils à l’Assemblée législative commune etdevenait solidairement responsable de ladette de 1 200 000 £ de son voisin, alors quela sienne n’était que de 95 000 £.

Quand l’équilibre démographique futrenversé à la faveur d’une immigrationintense en provenance surtout des îles bri-tanniques, les élus Haut-Canadiens s’agi-tèrent pour obtenir la représentation propor-tionnelle refusée aux Bas-Canadiens en

DEUX CONTRIBUTIONS AU DÉBAT NATIONAL

NATIONALISME AFFICHÉ ETNATIONALISME DE PLACARDPierre Joncas

N.D.L.R. : Pierre Joncas, un ancien de Cité libre, réévalue la figure des peuples fondateurs en revisitantl’histoire. James Wilkins, militant indépendantiste de longue date, dénonce un PQ qu’il dit léthargique etinvite à la mobilisation. Deux points de vue; des conclusions différentes. Les textes ne se répondent pas, ne vontpas dans le même sens, mais L’humaniste combattantn’a pas peur de la diversité. Fédéralisme critique ouindépendantisme militant?

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1840. Pour sortir de l’impasse, ceux-ci con-sentirent à une fédération avec les provincesmaritimes où le Canada-Uni serait divisé endeux provinces, l’Ontario et le Québec. Onpromit aux Canadiens français une «nou-velle nationalité» et on leur fit miroiter unpays où ils seraient partout chez eux.

En 1870, la loi créant le Manitoba ledotait d’un régime linguistique calqué surcelui établi au Québec par la Loi constitu-tionnelle de 1867. En 1890, toutefois, lalégislature manitobaine supprimait l’usagedu français dans ses débats, dans la légis-lation et devant les tribunaux. Le françaisdevait disparaître aussi des écolespubliques mais, en 1897, il devint offi-ciellement toléré, au même titre que l’alle-mand ou l’ukrainien, comme langue d’en-seignement avec l’anglais dans les écolesdites bilingues. En 1916, cette tolérancefut abolie. En 1912 en Ontario, leRèglement 17 avait fait de l’anglais laseule langue d’enseignement après latroisième année, et limité l’étude dufrançais à une heure par jour. La situationn’était pas plus encourageante dans lesautres provinces anglaises. Au fil des ans ily eut de modestes adoucissements, maisrien de plus. Au Québec, en revanche, oùen général les Canadiens français assu-raient une main-d’œuvre bon marché à desemployeurs de langue anglaise (la main-d’œuvre anglophone étant, dans l’ensem-ble, beaucoup mieux rémunérée), le statutde l’anglais à la législature, dans la légis-lation et devant les tribunaux, ainsi qu’àtous les niveaux d’enseignement, estdemeuré identique à celui du français etn’a jamais été sérieusement contesté avantla Révolution tranquille.

Faut-il s’étonner que tant deCanadiens français, sachant qu’ils ne pour-raient s’établir ailleurs au pays qu’au prixde leur identité linguistique, et sentant leuravenir au Québec compromis par une puis-sante minorité de langue anglaise, aientchoisi – certains à regret, d’autres sansétats d’âme – un nationalisme leur promet-tant, chez eux , une dignité et uneprospérité accrues? Et l’affichage de cenationalisme, si «ethnique» soit-il, le rend-il plus répréhensible que celui de placard,tout «civique» puisse-t-il se prétendre, pra-tiqué discrètement mais efficacement dansles autres provinces au profit des seulsanglophones, toutes origines ethniquesconfondues?

Rien n’indique que le premier ministreTrudeau ait tenté d’exploiter le processus derapatriement de 1981-1982 pour gagner lesautres provinces à l’amendement, recom-mandé par la Commission Laurendeau-Dunton, de l’article 133 de la Loi constitu-tionnelle , amendement qui eût soumisl’Ontario et le Nouveau-Brunswick aux exi-gences linguistiques imposées au Québecdepuis 1867 et les eût étendues, éventuelle-ment, à toute province dont la populationfrancophone atteindrait ou dépasserait 10p.c., ou qui déciderait d’y adhérer. (Ceci dit,

la Loi reconnaissant l’égalité des deux com-munautés linguistiques officielles auNouveau-Brunswickfut adoptée en 1981,et l’essentiel de ses dispositions futenchâssé dans la Charte canadienne en1993.)

Le professeur Nemni fixe à l’électionprovinciale de l’automne 1962 l’amorce dela dynamique politique du nationalismemilitant au Québec. Il eût pu remonter aumoins à la grève des réalisateurs de Radio-

Canada de l’hiver 1958-59. Jusqu’alorsceux-ci, de même que les journalistes etartistes œuvrant sous leur direction, étaientd’autant mieux disposés envers Ottawa quela société fédérale était la seule à pouvoirleur assurer un emploi: Maurice Duplessisétait toujours en selle à Québec et, vu sonmépris pour la culture et sa propension aupatronage, il réservait le pingre mécénat deson gouvernement aux intellectuels etartistes susceptibles de lui rendre service.C’est dans ce contexte que les réalisateurs,désireux de se syndiquer, se butèrent aurefus acharné des hautes instances deRadio-Canada et à la réticence du gou-vernement à intervenir dans un conflit quis’éternisait. Le soixante-sixième jour, lejournaliste-vedette René Lévesque fit unesortie remarquée contre la direction de laSociété, le premier ministre Diefenbaker, etles ministres directement concernés, MM.Nowlan et Starr: la gestion minable de lagrève, par un gouvernement issu d’unestratégie électorale (conçue par GordonChurchill) de renonciation éventuelle auxsoixante-cinq sièges du Québec, avait éveil-lé un vif nationalisme dans les milieuxinfluents des médias où, auparavant, il eûtpassé pour déplacé, voire absurde. Il ne fautdonc pas chercher dans le slogan «Maîtrechez nous» l’amorce de la dynamique poli-tique du nationalisme militant: elle avait étémise en marche à Ottawa par un gouverne-ment mal renseigné, mal conseillé, et indif-férent.

Quant au French Power, porté au pou-voir à Ottawa avec la «victoire» du«nationalisme civique», il s’empressa dejeter aux orties l’idée des deux peuplesfondateurs, pourtant clairement inscritedans le mandat de la Commission royalesur le bilinguisme et le biculturalisme.Ironie révélatrice, c’est sa capitulation, leprintemps de 1976, aux contrôleurs de l’airet pilotes de ligne unilingues anglophones,dont le chantage mettait en péril la sécuritédu public voyageur, qui assura l’électiondu premier gouvernement du PartiQuébécois. Ce French Power tant vanté arécidivé et récidivera. Le gouvernementBouchard se soucie donc bien inutilementde réunir les conditions gagnantes d’unréférendum. Qu’il patiente et s’emploie àgouverner sagement: de gaffes en bourdes,de Plans B en occasions ratées, Ottawa,Alliance Québec et le Parti Égalité finirontensemble par les lui présenter sur unplateau d’argent.■

Faut-il s’étonner que tant de Canadiens français,sachant qu’ils ne pourraient

s’établir ailleurs au pays qu’au prix de leur identité

linguistique, et sentant leuravenir au Québec compromis

par une puissante minorité de langue anglaise, aientchoisi – certains à regret,

d’autres sans états d’âme – un nationalisme leur

promettant, chez eux , une dignité et une prospérité

accrues? Et l’affichage de ce nationalisme, si

«ethnique» soit-il, le rend-ilplus répréhensible que celui

de placard, tout «civique» puisse-t-il se prétendre,

pratiqué discrètement mais efficacement dans les autres

provinces au profit des seuls anglophones, toutes

origines ethniques confondues?

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LES CONDITIONS GAGNANTES

Les conditions gagnantes vous con-naissez? Eux non plus! Pour le moment,elles se définissent comme un groupe-ment de particules qui, par leur froideurexcessive et une fois toutes réunies, per-mettent de patiner sur un terrain quidevient malheureusement de plus en plusabstrait. Ce terrain de plus en plusabstrait, c’est la souveraineté du Québec.

Quelle supercherie que ces sondagessur les résultats décroissants d’appuis àla souveraineté alors qu’on n’en parlemême pas! Quelle insignifiance de leuraccorder la moindre crédibilité.

Aucune actualisation argumentairede l’objectif ultime. Aucun plan d’ac-tion et aucune stratégie sur le terrain desindécis et sur celui de l’ennemi objectifpour combler cette minuscule différenced’octobre 1995. Aucune volonté percep-tible de reprendre le momentum. Letemps venu, nous aurons sans doutedroit à une stratégie de dernière minutede popularité passagère, juste assez pourpasser le cap du jour J. Comme sil’indépendance politique du peuple fran-cophone d’Amérique ne méritait pasplus de profondeur, n’exigeait pas plusd’élévation dans le discours, de couragedans l’action.

La marche d’un peuple vers salibération politique doit paraître évi-dente, afin que chaque individu se senteconcerné. Elle doit s’inscrire dans unestratégie perceptible par le peuple,placée bien au-delà des impératifsimmédiats du pouvoir et des partis.

Compter sur les Stéphane Dion, lesReed Scowen ou les Howard Galganovn’est pas suffisant. Compter sur lesdéconvenues des batailles fédérales-provinciales ne l’est plus depuislongtemps. Se fier sur le changementdémographique pour rendre la victoireinévitable est débilitant, sinon débile.C’est par un leadership et des actionsconcrètes que le peuple se laissera con-vaincre. C’est en lui montrant constam-ment, dans chaque dossier, les barrièresqui l’empêchent d’aller plus loin qu’il

comprendra la nécessité des change-ments. C’est en lui donnant le goût dusuccès et une confiance inébranlable enlui-même qu’il s’engagera.

Pour un peuple qui aspire à se gou-verner pleinement, rien n’est moins ras-surant que de voir la débandade adminis-trative et financière d’Emploi-Québec.Après tant de batailles menées conjoin-tement par tous les Partis du Québecpour rapatrier du fédéral une partie de sajuridiction en cette matière, voilà quecelui actuellement au pouvoir réussit àen faire un fiasco! Pourtant, c’était là undossier où les résultats devaient êtreconcluants.

Un autre organisme gouvernemen-tal avec qui le simple citoyen a parfoismaille à partir est le Ministère duRevenu du Québec. Qualifié d’inhumainpar ceux qui ont à le combattre et d’i-naccessible par ceux qui ont à le contac-ter, on le confie sans remords à un avo-cat ou autre intellectuel bien intentionnéau lieu d’en remettre les rênes à un fis-caliste chevronné qui ne se laissera pas“empissetter’’ par l’establishment bu-reaucrate en place. Il est notoire, depuisdes décennies, dans le milieu des

affaires, qu’on aime mieux transigeravec Revenu Canada. Pourquoi ne pasenfin donner le coup de barre qui s’im-pose dans ce Ministère, probablement leplus présent dans la vie de tous lescitoyens.

Et que dire du stagnant Ministèredes Affaires Municipales, pauvre arbitredes politicailleries et magouilles declochers d’un territoire déjà tropmorcelé par une multitudes de cantons,de villes et de villages et de toutes lesadministrations et conventions collec-tives s’y rattachant. À quand une poli-tique de fusion beaucoup plus incitativepour enfin passer à autre chose. À quandun grand Montréal fort et compétitifavec les grandes villes du monde. LesMontréalais et les Québécois méritentmieux que le lancement de ballons poli-tiques, après autant d’études et de dis-cussions sur les problèmes structurels deleur métropole. On peut également sedemander pourquoi la SociétéImmobilière du Québec ne réussit mêmepas à finaliser l’octroi des contrats à l’a-grandissement de notre Palais desCongrès de Montréal?

Il y aurait enfin plusieurs autres con-stats à faire qui tous démontreraient quece n’est pas la faute du fédéral si nospoliticiens québécois sont incapables deporter leurs culottes devant les résis-tances normales face à des changementspressants et nécessaires. Tous convien-nent que les coupures du fédéral ontdéstabilisé notre marge de manœuvre,notamment en Santé et en Éducation. Iln’en demeure pas moins que beaucoupde nos problèmes relèvent d’un manquede saine gestion et non seulement degoussets vides.

Tant que les citoyens n’auront pas laperception que nous sommes en mesurede gouverner efficacement à l’intérieurde nos propres champs de juridiction, ilserait très naïf de penser qu’ils auront laconfiance nécessaire pour faire le grandsaut avec ferveur. Mieux que l’atteintedu déficit zéro, parce que plus fonda-mentale, faire naître cette confiance

James A. Wilkins

Tant que les citoyens n’auront pas la perception

que nous sommes en mesure de gouverner

efficacement à l’intérieur de nos propres champs

de juridiction, il serait très naïf de penser qu’ils auront

la confiance nécessaire pour faire le grand saut avec ferveur. Mieux que l’atteinte du déficit zéro,

parce que plus fondamentale, faire naître cette confiance serait la

véritable condition gagnante.

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serait la véritable condition gagnante.

Mais qui nous propose aujourd’huiun grand projet collectif, de l’envergurede ceux qui nous ont fait relever l’é-chine, tels la création de Hydro-Québec,la tenue d’Expo 67, la construction desbarrages de la Manicouagan et de la BaieJames? Les déboires du stade de 1976nous ont –ils traumatisés à ce point?

Pourquoi avoir attendu 51 ans pourpenser à coller un hymne national ànotre drapeau? Pourquoi avoir attenduaussi longtemps pour mettre au pro-gramme des cours obligatoires d’histoiredu Québec au niveau secondaire?Pourquoi attendre les résultats positifsd’un prochain référendum pour se don-ner une Constitution à notre image et ne

pas soumettre immédiatement au peupleun projet constitutionnel dans l’éventu-alité d’un Québec souverain? La subs-tance vous connaissez?

Pourquoi ne pas publiciser la créa-tion d’un fonds permanent en fiduciepour la promotion de l’indépendancenationale capable de ramasser lessouscriptions, les dons successoraux etautres? Le Parti Québécois a-t-il peur deperdre son hégémonie sur la causeindépendantiste?

Quand nous voulons convaincre, ilfaut être nous-mêmes convaincus et êtreconséquents dans chacun de ses gestes.Le sentiment du citoyen face au pays àbâtir doit reposer sur des bases pro-fondes et non sur des perceptions aussi

volatiles que les modes du temps.Comme le disait si bien PierrePéladeau, la plus grande partie de larécession est dans la tête des gens. Pourma part, je crois sincèrement qu’il en estde même pour la morosité évidente dumouvement indépendantiste. Dès que lepeuple aura retrouvé confiance en lui-même et dans la capacité de ses institu-tions, il franchira enfin le pas néces-saire, celui qui manque pour pouvoirs’assumer pleinement. Pour l’amener àcette détermination, il faut que le dis-cours et que les attitudes changent. Ilfaut l’audace de parler franc, d’agir enconséquence et de s’en donner lesmoyens. ■

Lac Brome, octobre [email protected]

Au sein de la société québécoise,Henri Lamoureux exprime un point devue révolutionnaire. Il n’y a pas, chezlui, de paradis à restaurer ou à instaur-er : il y a d’abord et avant tout un soucide dialogue avec ceux et celles quipartagent une certaine éthique de l’en-gagement social, une éthique qui a unevisée politique, clairement dirigée con-tre la société de consommation et con-tre toutes les formes d’oppression.Mais le message de l’écrivain et dumilitant ne doit pas s’entendre commeun refus de la société; il nous lance aucontraire un véritable défi : «L’enjeude l’engagement social, c’est deredonner sa place au citoyen, d’établirsa prééminence à titre de bâtisseur desociété, d’affirmer sa souveraineté afinqu’il puisse assumer sa responsabil-ité.» Autrement dit, nous ne sortironsdu corporatisme qui mine notre collec-tivité et du cynisme qui consume nosindividualités qu’en participant davan-tage aux nombreuses réalisations de lasociété civile québécoise.

- Aujourd’hui, tout le monde parle

de l’éthique : éthique de la santé,éthique procédurale, éthique dubien, etc. Vous parlez, HenriLamoureux, de l’éthique de l’en-gagement.. D’abord, qu’entendez-vous par l’éthique?

En y référant constamment pourdésigner des démarches douteuses, quis’apparentent bien plus à des entrepris-es de légitimation a posteriori d’acti-vités juridiques, politiques ou commer-ciales qu’à une démarche éthique, oncontribue effectivement à une banalisa-tion, à une trivialisation de l’éthique.Il ne faut pas oublier que l’éthique sequalifie par un questionnement radical,sans complaisance, sur la cohérence del’agir humain. L’éthique se déploiedans le cadre du rapport dialectiquevaleurs-idéologies-normes. La démar-che éthique est un questionnement.Elle est aussi un engagement. L’é-thicien porte un jugement et il enassume la responsabilité. J’ajouteraisqu’il doit s’engager personnellement etse sentir concerné par ce que lui révèleson analyse du réel. Enfin, contraire-

ment au moraliste qui sanctionne lebien et le mal, l’éthicien ne sanctionnerien a priori, il est un explorateur dusens. Je pense que l’éthicien doit êtreun libre-penseur.

Cela dit, il y a un certain nombrede valeurs auxquelles nous adhéronsindividuellement et collectivement.Ces valeurs, auxquelles tout le mondesouscrit, forment la base de notreéthique collective. Ces valeurs: lajustice, la liberté, l’équité, l’égalité, lerespect de la personne, fondent leschartes dites des droits et libertés.L’éthique est donc une constructionhumaine et sa fonction essentielle estd’assurer la survie de l’espèce. Parexemple, pensons au respect de la vie :« Tu ne tueras point ». On retrouvecet impératif dans toutes les religionset chez tous les peuples. Si nousn’avions pas inventé le tabou dumeurtre, nous aurions sans douterejoint bien d’autres espèces dans lapoubelle de l’histoire. Cela dit, letabou du meurtre souffre de très nom-breuses exceptions notamment le droit

ENTRETIEN AVEC HENRI LAMOUREUXAndré Baril

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de tuer à la guerre et l’imposition de lapeine de mort. Ce qui m’amène à direque nos valeurs ne pèseront jamais quele poids de leur normalisation, de leuractualisation. Tous les hommescroient à l’amour et pourtant ils sontnombreux ceux qui battent leurfemme.... Tous les politiciens jurent lamain sur le cœur qu’ils sont les plusgrands défenseurs de la démocratie.Pourtant ne sommes-nous pas dirigéspar des despotes qui manipulent l’opi-nion publique pour arriver à leurs fins ?

- Ce qui vous intéresse, c’estl’actualisation des valeurs…

Oui. Dans Le citoyen responsable,j’avais écrit que l’éthique est l’art deconjuguer les valeurs au quotidien. Cequi m’intéresse, ce n’est pas tant lacodification des valeurs que leur nor-malisation. C’est pourquoi en ce quime concerne, le principal avatar del’éthique, c’est nécessairement laresponsabilité puisqu’à mon avis,l’éthique ne prend de sens que par sonincarnation dans la pratique. Je parled’incarnation, je pourrais aussi direréincarnation puisque, à partir d’uncorpus axiologique relativement stable,l’éthique se transforme continuelle-ment. Nos valeurs se renormalisent, seréactualisent au fil des générations etau gré de l’apparition de nouveaux fil-tres idéologiques. Ainsi, au nom de laliberté, nous avons aboli l’esclavage. Ila fallu pour cela reconnaître l’égalitédes êtres humains. Qui pourrait nierque la démocratie, vue à partir dusocialisme, du néolibéralisme, de l’is-lamisme ou du fascisme, prendra uneforme fort différente? En d’autres ter-mes, nos valeurs de références pren-nent du sens en fonction de leur nor-malisation et cette normalisation s’ef-fectue à partir d’une interprétationidéologique. C’est le danger del’idéologie. Et c’est ce qui fait queJean Charest, chef du parti libéral, n’apas de l’organisation des soins de santéla même vision que Marie Pelchat,coordonnatrice de la coalition contre laprivatisation.

- Et l’éthique de l’engagement?

L’engagement est une formemajeure de la responsabilité. C’est

l’action des gens qui, parce qu’ils ontdéveloppé un certain niveau de con-science, sont capables d’aller au delàde leur nombril. L’engagement desindividus peut prendre différentesformes, toutes fort valables. Il y a cellede cette femme anonyme de soixante-dix huit ans qui, virage ambulatoire etdésinstitutionnalisation oblige, s’oc-cupe de son fils malade à la maison etaussi, en même temps, d’une voisine encentre d’hébergement atteinte de lamaladie d’Alzheimer. Il y a l’engage-ment des militantes féministes quiorganisent la Marche mondiale desfemmes. Au Québec il y a des dizaineset des dizaines de milliers de nosconcitoyennes et de nos concitoyensqui se dévouent de cette manière pour

notre mieux-vivre collectif. Et cetengagement ne doit pas être confonduavec, par exemple, celui du carriéristepolitique ou de l’opportuniste dontl’engagement partisan est l’intrantd’une récompense attendue.

L’engagement dont je parle, c’estcelui qui conduit à une expression desens, nous fait sortir de cette espèce deschizophrénie éthique où d’un côté,l’individu, protégé par les chartes,réclame le respect de son droit, et del’autre, ce fait évident qu’étant membred’une communauté de citoyennes et decitoyens, nous avons non seulement laresponsabilité d’exiger pour l’autre cedroit que nous réclamons pour nous-mêmes, mais aussi celle de nous assu-rer qu’il sera en mesure de le faire va-

loir. Je pense notamment au droit à lajustice dont sont privées tant de per-sonnes qui n’ont pas les moyens de sepayer un avocat, ou au droit à l’égalitéen matière de soins de santé qui estbafoué par l’établissement systéma-tique et sournois d’un système à deuxvitesses sous l’oeil très pharisien de laministre et des ses technocrates.

- Au sujet de cette cohérence, vousdénoncez farouchement notremanière de vivre comme si nousétions dans une société d’abon-dance, alors que nous vivonsdans un monde de rareté.

Ce n’est qu’une simple question debon sens. On vit sur une petite planète.On est un certain nombre à en partagerles ressources, à peu près 6 milliardsaujourd’hui, 12 milliards danscinquante ans. Plus on consomme defer ou de pétrole, moins il en reste.Nous vivons donc dans un monde derareté. Or, si l’on continue à vivre selonla logique productiviste, tout le mondeva vouloir vivre comme les Américains,les Québécois et les Canadiens; ce quiest impossible puisque notre mode devie est tributaire de l’exploitation dugrand nombre par une minorité dontnous faisons partie. Chaque Terrien nepeut posséder une auto, un bungalow,un chalet dans l’nord, une motoneige,et ainsi de suite. On en arrive à unelutte pour l’utilisation des ressources.L’échec de l’OMC, en plus d’être celuid’une structure aussi antidémocratiqueque le Vatican, est largement relié àcette incapacité de partager correcte-ment les ressources. Il nous faut doncenvisager un changement radical dansle sens d’une nouvelle économie de l’u-tilisation des ressources naturelles enfonction d’une élévation de la qualitéde la vie de la majorité présentementexploitée. Tout cela dans une perspec-tive de développement durable. Groscontrat !

- En sommes-nous encore capa-bles?

Sauf face à la mort, nous pouvonstout. Nous pouvons arriver, par uneffort de conscience, à un certainrenoncement. Au sens moderne, lerenoncement n’est pas une renoncia-

«Tout être humain doit être traité comme une fin

en soi. C’est le sens même de la dignité des personnes.

C’est aussi ce qui rend siodieux et dangereux

certains discours politiciens qui établissent

des degrés de dignité humaine associés, par

exemple, au fait de détenir un emploi ou non.»

(Le citoyen responsable,VLB éditeur, 1996, p 66)

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tion. Il ne s’agit pas de se transformeren ascètes ou de développer une fruga-lité coupable. Je dois dire que je nesuis pas un adepte du renoncement auplaisir, bien au contraire. Et certainesdes « œuvres de Satan », comme lescurés disaient quand j’étais petit, mesemblent aujourd’hui plutôt agréables.Il ne s’agit pas de renoncer au plaisirde vivre et à la qualité de la vie, maisd’être capable de se détacher de cer-tains biens parfaitement inutiles dont lafonction essentielle relève, entresautres, de l’économie des signes. EnAmérique et en Europe, la propriétédes objets est la mesure de notre iden-tité. Un enfant qui ne possède pas labonne marque de souliers de course estmarginalisé. Un avocat qui conduit une« minoune » est sûrement un mauvaisavocat. Le cellulaire est devenu ungreffon du cerveau et un emmerdementuniversel. Et pourtant... Les parentsqui ne vont pas en voyage ou conser-vent leur vieille bagnole afin d’aiderleurs enfants à poursuivre leurs études,c’est du renoncement. Ces personnesqui s’adonnent à la simplicité volon-taire renoncent volontairement à unmode de vie aliénant et oppressif auprofit d’une qualité de vie plus réelle.Et il doit bien y avoir d’autres loisirsque les deux bières du 5 à 7 de notrebar favori. Qui a raison, celle ou celuiqui se plaint continuellement de tra-vailler 70-80 heures par semaine pourfaire plus d’argent ou avoir l’illusiond’être important; ou celui qui décide depasser plus de temps avec sa conjointeet ses enfants quitte à aller moins sou-vent au restaurant. Pour ma part,quand je suis en train de pêcher la trui-te par un bel avant-midi de mai dans letorrent qui déboule de la montagne enface de chez-moi, je ne me sens pasplus important qu’un autre, maisheureux de vivre et de dialoguer avecmon environnement naturel. Je nechangerais pas de place avec qui que cesoit.

Si le renoncement individuel estune chose facile à comprendre quandon constate le comportement de beau-coup de parents envers leurs enfants, ildevrait être tout aussi facile de saisir lanature de nos obligations de peupleenvers les autres peuples. Au Québec,par exemple, nous possédons de l’eau

potable en quantité, or il y des gens quin’ont pas d’eau. Faudrait-il leur envendre? Doit-on flairer la bonneaffaire ? L’eau est, avec l’air, un bienabsolument essentiel à la vie. N’endéplaise au pharmacien et hommed’affaires Coutu, ce serait à mon avisinacceptable, ce serait de l’exploita-tion. Voilà un jugement éthique. L’idéede renoncement, il faut aussi l’actualis-er dans nos rapports entre sociétés, carje pense qu’elle est essentielle nonseulement à la paix mais aussi, pour lasurvie de l’espèce.

- Un autre problème de notresociété est l’apparition d’une«industrie de la misère».Comment expliquez-vous cephénomène?

Dans l’ensemble de la société, il ya eu un glissement clientéliste. On acessé de considérer la personne commeun être global et complexe pour ne voirqu’un problème particulier : handicapévisuel, malade mental, victime d’unemaladie particulière, femme battue,héroïnomane, sidéen, membre d’ungroupe social dit « à risque » ouopprimé. Je note que le traitement dece que l ’on nomme d’ai l leurs ces« clientèles » particulières se fait deplus en plus selon une logique demarché : ce que j’appelle le marché desproblèmes sociaux ou, le marché de lamisère humaine. Dans cette perspec-tive, les problèmes qui sont causés parl’action humaine, par exemple, le taba-gisme, la violence envers les femmes, la

pauvreté, plutôt qu’être abordés sousl’angle du changement structurel oucomportemental, le sont sous celui dela gestion. Tout se passe comme si onadmettait le caractère inéluctable deces problèmes et notre impuissance àles juguler. Cette impuissance estdésolante. Comme si on se disait :« cessons de croire qu’il est possiblede changer le monde ; ce monde estfini, nous sommes arrivés au terme del’histoire ». Et elle l’est d’autant quetrop souvent elle n’exprime dans lefond qu’une lecture économiste desproblèmes sociaux. Au pire, elletémoignera de cette faiblesse de la con-science qui nous fait voir dans l’inac-ceptable, voire dans l’insupportable,une occasion de créer des jobs et defaire des bénéfices. C’est de l’éco-nomie « hard core ». On crée un ser-vice, on va chercher de l’argent et l’ongère le problème en question, sanségard aux autres dimensions de la per-sonne. Sans égard à ses causes. On nes’adresse plus à des personnes, mais àdes clients. Les groupes communau-taires autonomes sont, comme le mou-vement syndical et d’autres mouve-ments sociaux, pris au piège de ceclientélisme qui se confond avec la per-spective corporatiste.

- Comment contrer cela, quellevaleur devrions-nous adopter?

La valeur fondamentale, pour moi,c’est l’égale dignité des personnes.L’égale dignité des personnes signifieque tu ne réclames rien pour toi qui nedoit aussi s’appliquer aux autres. Dansnos rapports humains, cela veut direque l’on reconnaît à l’autre une sagesseéquivalente à la sienne. Cela signifieque la douleur ressentie par une per-sonne pauvre est aussi dure à supporterque celle ressentie par un riche. Cettenotion d’équivalence est centrale, carelle fonde le principe essentiel à ladémocratie selon lequel « ce qui estinégal en fait doit le devenir en droit ».L’Autre incarne le reflet le plus justede que l’on est soi-même. Et puis, lerapport à l’autre, c’est quelque chosede transcendant. L’égale dignité despersonnes est un absolu. C’est un a pri-ori pour qui veut créer les conditionsd’une véritable réciprocité : chacunprend l’engagement de contribuer à la

«A mon avis, le débat sur l’appauvrissement ne peut

se résumer au credo productiviste du salut par l’emploi et à celui du droit

acquis à une consommationdébridée; il doit

impérativement remettre en question notre mode

de consommation» (Les dérives de la

démocratie, VLB éditeur,1999, p. 45)

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réalisation de l’autre.

Il y a plein de Québécois etQuébécoises qui font de la coopérationinternationale sur ce principe. Quandils reviennent du Burkina Faso ou de laBolivie, il nous disent qu’ils ont ren-contré des gens fantastiques, des gensintéressants; ils parlent ainsi des gensqu’ils ont connus comme de leurségaux. Je trouve cela extraordinaire. Etil y en a aussi qui font de la coopéra-tion nationale et qui découvrent que lespersonnes vivant en milieuxpopulaires peuvent aussi êtredes gens absolument remar-quables.

- Allons maintenant sur lascène politique. Il y abeaucoup de morosité, onsemble vivre une certainedésaffection au sein desgroupes progressistes…

Il y a eu, dans les annéesantérieures, une peine d’amourentre le PQ et le mouvementsyndical et communautaire. Ily a eu les coupures et desreniements. En déchirant desententes et en diminuant lessalaires, le gouvernementpéquiste se retournait contreceux et celles qui forment labase même de ce parti auxprétentions social-démocrates.En plus, il y a eu les deuxdéfaites référendaires. Cer-tains militants ont tourné ledos à la population en se disant :«vous n’avez pas voulu denotre projet social, alors onretire nos marrons du feu».Cela dit, malgré la morosité etun certain corporatisme, laconscience sociale est toujoursprésente dans la société civile québé-coise. Je pense qu’au delà de nos râle-ments et de nos ras-le-bol, noussommes capables de faire la part deschoses. Quoique parfois, je me mets àdouter quand j’entends des personneslier leur appui à la souveraineté à uneréponse de l’État favorable à leursrevendications. Ce corporatisme là estun poison vif et il faut nous en méfier.Cependant, il me semble que, de façongénérale, la société civile québécoise

est l’expression majeure de notre viedémocratique. Elle est aussi le lieu parexcellence d’affirmation de notre spé-cificité à titre de peuple.

- C’est-à-dire?

La société civile québécoise, quiprend la forme de multiples mouve-ments sociaux, structurés notammentdans le mouvement syndical, le mouve-ment coopératif, le mouvement desfemmes, et une constellation d’orga-

nismes communautaires autonomes, adéveloppé un véritable rapport de sou-veraineté-association avec ses équiva-lents dans le monde, plus particulière-ment avec la société civile canadienne.Les groupes agissent de manièreautonome, souveraine. La plus belleillustration, et le journaliste MichelVastel en parlait récemment comme s’ilvenait de découvrir le monde, c’est lamarche mondiale organisée par laFédération des femmes du Québec.

Cette marche réunira plus de 150 pays,plus 3000 organisations à travers lemonde. Quand la Fédération desfemmes du Québec a discuté du projetavec le mouvement canadien desfemmes, ce fut sur une base souveraine.Et le mouvement canadien des femmesà reconnu l’autorité de la FFQ sur l’or-ganisation de cet important événementpuisque c’est cette organisation qui ena eu l’idée. Contrairement à l’ineffableSheila Copps, les féministes canadien-nes n’ont pas exigé des féministes

québécoises qu’elles s’étamp-ent un unifolié dans le frontpour avoir droit au respect.Entre groupes, syndicats ouassociations, la différence cul-turelle Québec-Canada-Nations autochtones est accep-tée, comme on le voit égale-ment dans le rapport de collab-oration entre l’Union desécrivains du Québec et leWriter’s Union du Canada..Tout cela pour dire que les dif-férents groupes sociaux viventune souveraineté par rapport àleurs pendants canadiens, maisdéveloppent avec eux des rap-ports de complicité lorsque lesintérêts communs sont en jeu.

- Ce modèle a-t-il des inci-dences politiques?

Je suis toujours étonné de voirque nos politiciens ne parlentpas de ce qui se passe dans lasociété civile, des échanges quiont lieu entre les groupes soci-aux à travers le Canada. Selonmoi, on ne peut pas penser à unmodèle de souveraineté dansl’absolu. Or il y a une intelli-gence civile qui a pris acte de ladifférence culturelle. Alors

pourquoi ne pas transposer ce modèle surle plan politique? Si j’avais à expliquermon indépendantisme, c’est à partir de cemodèle de la société civile que je leferais. Des sociétés qui vivent har-monieusement leur différence et quitraduisent cette harmonie dans leurs insti-tutions politiques. Il me semble que celan’est pas très compliqué quand on n’a pasd’autres intérêts à défendre que le biencommun. Et j’entrevois de la mêmemanière des rapports fructueux et égali-

Photo: Josée Lambert

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UNE FOI POUR LE MONDE

Critique sévère de l’Église-Institution etde ses positions bétonnées surtout en matièrede morale sexuelle, le prêtre belge Pierre deLocht nous livre, avec La foi décantée(Desclée de Brouwer, 1998), une réflexion sai-sissante, à la fois forte et accessible, qui abor-de de front la troublante question de l’incarna-tion du message évangélique dans le monde.Présentées sous la forme du témoignage argu-menté, les positions de Pierre de Locht s’ins-crivent dans la mouvance moderniste de laréflexion théologique actuelle. La transcen-dance y conserve tous ses droits et sesgrandeurs, mais elle se pense désormais à par-tir d’une subjectivité assumée et revendiquantson entière autonomie.

Affirmant se livrer à un « profond déca-page » de sa foi ancienne, plus institutionnelleet conforme à une normativité externe, cethéologien moraliste, ainsi qu’il tient à seprésenter lui-même, en vient à prôner « unefoi personnalisée », intégrant le doute en sonsein, et enfin dégagée de ses relais magiquesdéresponsabilisants : « Si Dieu parle, c’est àtravers mes semblables, dans une interpella-tion très incarnée qui me situe davantage dansle relatif, le relationnel, et dès lors dans la liber-té responsable. Il ne faut pas quitter le quoti-dien, s’isoler quelque peu pour entendre lesappels d’En Haut; il faut au contraire s’yplonger davantage, s’incarner dans toute l’é-paisseur de la condition humaine. »

Inévitablement, ce processus de décanta-tion entraîne « une démythification progres-sive du rôle de l’autorité religieuse » puisquecelle-ci, souvent plus attachée à défendre lapureté doctrinale d’un Credo officiel qu’àstimuler une adhésion plus intime à une foisubjective mais véritable, n’arrive plus à satis-faire une authentique quête de Dieu.

Non conformiste, courageux, résolumenttourné vers les seuls éclats de la transcendanceaccessibles à notre conscience, c’est-à-dire lesautres qui vivent avec nous, Pierre de Lochtadmet que l’athéisme l’habite « comme unequestion vitale », plaide en faveur d’un dia-logue ouvert avec les tenants d’autresapproches, chrétiennes ou non, et il prend lepari de faire sienne l’exigence moderne parexcellence affirmant que « tout part de nous ».Adhère-t-il alors au relativisme? Non, mais

à une conception relationnelle de la transcen-dance saisie et incarnée dans l’ouverture auxautres plutôt que donnée et à recevoir par l’en-tremise d’un Esprit invoqué : « C’est l’hu-main en quête de Dieu qui nous interpelle.Nous ne savons pas qui est Dieu. Mais noussavons ce que peut être « l’homme » enrecherche de sens et de transcendance. Danscette perspective, le mode de vie et le messagede Jésus de Nazareth constituent un fermentextraordinaire. »

La transition moderne - à laquelle la foichrétienne n’échappe pas -, qui entraîne le pas-sage de la soumission aux règles établies vers

un ordre moral qui nécessite une cohérenceinterne de la subjectivité, ne délégitime pas lesinstitutions, mais elle relativise leur omnipo-tence normative. L’imposition ex cathedra,désormais, prend des allures de diktatsirrecevables; ce sera le dialogue, qui n’est pasla compromission, ou le discrédit.

Afin d’illustrer les défis lancés à l’Églisepar un tel état de fait, Pierre de Locht abordeles questions de la sexualité et de la fidélité enguise d’exemples. Au sujet de la première, ilsouligne que l’heure est venue de réfléchir àson sens intrinsèque, à ses significationsvitales, au-delà des interdits historiques qui ont

tenu lieu, affirme-t-il en exagérant un peu, deseul discours chrétien officiel en cette matière.La procréation ne résume pas tout, étant enten-du que « la sexualité est foncièrement mar-quée par la recherche d’un face-à-face tendantà l’égalité dans la différence ».

En ce qui a trait à la fidélité, de Locht yreconnaît une exigence capitale (qui touche àplus que la seule dimension conjugale), mais ilen propose une définition élargie que luiinspire son souci de la réalité vécue : « Êtrefidèle, c’est continuer à avoir foi dans l’autre,quoi qu’il arrive. Fidélité qui peut conduire àreconnaître que le vivre ensemble est devenuimpossible, mutuellement destructeur. »

Ensuite, dans des chapitres francs quireconnaissent leur part d’incertitude, le théolo-gien se fait très critique à l’égard de l’Église-Institution qu’il accuse de travailler à l’élimi-nation des interprétations plurielles. Du mêmeélan, il remet en cause la « distinctiontranchée entre clercs et laïcs, affirmant mêmeque « les cadres de l’Église officielle ne sontpas le relais obligé entre Dieu et nous », etl’exigence du célibat des ministres de l’Église,sans fondement dans la Bible, écrit-il, et causede bien des dérèglements du fait de son carac-tère obligé.

Polémique sans gratuité, porté par unesincérité de tous les instants,La foi décantéeébranle par sa justesse de ton et sa capacité àaller à l’essentiel sans détour. Vibrant appellancé en faveur d’une inculturation réelle de lafoi catholique au monde moderne, témoignagede confiance livré aux chrétiens chercheurs desens de la base, cet essai, qui transforme l’in-quiétude en tremplin pour la vie engagée dansle monde concret en quête de transcendance,nous convie à une marche vers la dignité :« Devenir libre, ce n’est pas rejeter ce qu’onm’a imposé; c’est, à travers un tri personnel,agir de moins en moins parce qu’on me l’ainculqué, parce qu’il faut, mais parce que je leperçois comme valable. » Nous sommes notrepropre pays de mission. Ensemble.■

La foi décantéePierre de LochtÉd. Desclée de Brouwer1998, 194 pages

Louis Cornellier

La transition moderne - à laquelle la foi chrétienne

n’échappe pas -, qui entraîne le passage de la

soumission aux règles établies vers un ordre

moral qui nécessite unecohérence interne de la

subjectivité, ne délégitime pas les institutions, mais ellerelativise leur omnipotence

normative. L’imposition ex cathedra, désormais,

prend des allures de diktatsirrecevables; ce sera le

dialogue, qui n’est pas la compromission, ou le

discrédit.

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Le Super Bowl est sans contreditl’un des événements les plus populairesdes États-Unis. Malgré une popularitécroissante du basketball, et un regaind’intérêt marqué pour le baseball lorsde la dernière saison, le footballdemeure encore le sport préféré desAméricains. Quant au Super Bowl, iln’a cessé depuis sa première édition degagner en popularité. La raison en esten partie que, contrairement au hockey,au tennis, ou au baseball, le public duSuper Bowl regroupe un très grandsnombre d’individus n’étant ni des mor-dus ni même des connaisseurs. Moi lepremier. Bref un peu tout le monderegarde le Super Bowl, mais pour unefoule de raisons différentes. Il faut dansce cas parler d’un évènement au «crossculture appeal» par excellence. Onregardera, tantôt par partisanerieacharnée, tantôt de façon plus ou moinsdésintéressée, tantôt avec l’oeil avisédu spécialiste de marketing attentif auxmoindres nouvelles tendances. Car par-ler du Super Bowl, c’est aussi parler dela rampe de lancement par excellencepour les publicitaires et/ou leurs nou-veaux produits. C’est là que MichaelJackson y a fait ses débuts pour Pepsidans le passé. Idem pour les premièresmanifestations les plus remarquées dudésormais célèbre clown RonaldMcDonald’s. Mais c’est aussi pourcette année une compagnie qui a accep-té de payer 2,5 millions de dollars pour30 secondes de pub.

Pratiquement au tout début duSuper Bowl, le célèbre entraîneurVince Lombardi s’insurgeait de ce quela société semblait n’en avoir que pourles perdants et les gens sans aucuneconfiance en eux. Les États-Unisétaient alors en pleine guerre duVietnam. Devant cette situation,Lombardi appelait au retour des ga-gnants, à la bonne vieille célébration dela loi du plus fort. Ces propos trou-vèrent un écho immédiat dans de largesparties de la population. L’engouementpour le football et, par extension, son

point culminant le Super Bowl, venaitde trouver son premier élan.

Il y a quelques années encore, ledésintérêt envers le football était quasiunanime parmi les «intellectuels» d’iciet d’ailleurs. Certes, Marguerite Durass’était essayé à l’éloge du football (ver-sion ballon rond) lors d’un bref entre-tien, mais le tout n’eut pas vraiment desuite.

Aujourd’hui, le football trouve aucontraire auprès de la plus célèbreintellectuelle américaine du moment,Camille Paglia, son plus ardentdéfenseur. De l’équipe comme véhiculede la tradition du «male bounding»datant des plus lointains rituels dechasse de la préhistoire, jusqu’auxnotions d’auto-sacrifice et de subordi-nation comme fondements de certainesdes plus grandes avancées de l’histoirehumaine. Le tout assorti d’une pointe àl’endroit de certaines journalistessportives, puérilement incommodées àla vue de gars un peu trop bandés dansles vestiaires..

Il faut dire que si le sport présenteun bon potentiel de «cross over

appeal», ses principales vedettes onttoujours incarné pour leur part l’im-age du»cross over...sex appeal»! Déjail y a quelques années, durant le règnedes Bears de Chicago, la discothèquePalladium de Manhattan avait organ-isé un immense party en l’honneur deson quart arrière vedette JimMcMahon. C’était au moment oùAndy Warhol affirmait : «Les athlètesvont devenir les nouvelles starsmédiatiques- plus intelligents et plusbeaux que les vedettes de cinéma,plus populaires encore que lesvedettes de rock». Certains jours,c’est à se demander si nous n’ensommes pas exactement là.

Car il y a bien plus que le simpleengouement saisonnier lors de la pé-riode précédent le Super Bowl.L’obsession de l’athlète s’est étendueà toutes les sphères d’activitéssportives.

Les Michael Jordan, Sammy Sosa,Mark McGwire ou Pavel Bure semblentatteindre des sommets d’admiration etde reconnaissance inégalés. Non seule-ment sont-ils adulés de la part des gens,mais ils se prêtent de plus avec uneaisance grandissante au jeu du sexappeal.

Évidemment, quand on sait qu’êtreathlète professionnel aujourd’hui çaveut souvent dire être jeune, grand, bâtiet riche, pas difficile de comprendreleur succès auprès des poupounes.

Le journal La Presse«déshabille»le gardien du Canadien José Théodore,des joueurs de la Ligue Nationale deFootball posent pour des calendriersaux photos aguichantes et cinq joueursdes Expos font du karaoke sur «MachoMan» des Village People à l’émissionLa Fureur... C’est Andy Warhol quiserait content. ■

DE L’ATHLÈTE COMMENOUVELLE IDOLEYvan Peticlerc

Pratiquement au tout début du Super Bowl, le célèbreentraîneur Vince Lombardi s’insurgeait de ce que la

société semblait n’en avoir que pour les perdants et les gens sans aucune confiance en eux. Les

États-Unis étaient alors enpleine guerre du Vietnam.

Devant cette situation,Lombardi appelait au retour

des gagnants, à la bonnevieille célébration de la loi

du plus fort.

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REPRÉSENTATION : SUR L’ORATORIO DES VISIONS DEROYDS FUENTES-IMBERT

Royds Fuentes-Imbert, jeune auteurquébécois d’origine cubaine, place enexergue de L’oratorio des visionsunecitation de Merab Mamardachvli disantque « le théâtre est toujours le théâtredu Théâtre ». Le vertige ainsi mis enplace annonce la problématique à l’œu-vre dans la trilogie de Fuentes ; problé-matique qui trouve son aboutissementdans la dernière pièce du recueil :Ledernier Faust.

Alors que le Deus ex machina deFontaine obscure : drame liturgiquepour moines masquésse présente ànous sans visage (« Non, tu n’es pasmort, moine, c’est que je n’ai pas devisage » (p.35), que Rachel, l’actricede Wagner, une autre histoire d’amourà Harlem,chante, allégorique, l’avène-ment de la musique comme un masquesur la nuit du siècle où « N’importe quipeut se masquer comme un travesti. »(p.46), le Faust de Fuentes se joue de lareprésentation au cœur même de cettereprésentation pour marquer d’unefaçon fantomatique sa présence problé-matique au centre de son effritementsilencieux.

« Au commencement était lethéâtre, nous y sommes comme dansune substance. » L’action, qui déjàétait déjà là, prend ici des alluresd’oiseau de proie pour s’abattre sur lesacteurs qui, « faisant les grimacesexagérées d’un mime qui aime le tango», jouent une dernière fois pour le spec-tateur la surprise et l’indifférenced’habiter une représentation impossibledans un monde ne renvoyant qu’à lui-même dans son craquement spectacu-laire. Spectateur de lui-même, le Faustici mis en scène ouvre une béance aucœur de son discours pour signifierdans une « mélancolie clownesque » ledrame de l’acteur jouant un théâtre déjàaccompli dans l’actuel incessant d’unereprésentation se donnant pour le réel :

«Ici repose le plus sacré des comédiens; le dernier, à vrai dire : spectateur desoi-même. (Silence soutenu.) Cherscitoyens, tragiques, vénérables frères del’Ordre des comédiens. J’ai fréquentéSocrate, Descartes, Nietzsche, Artaud,Tchekhov…Je viens d’outre-tombe.Par mon visage, vous me croirez fou, etma destinée sera celle de vos existencesthéâtrales, l’expiation de vos imagesnourries au bestiaire de vos cœurs. Ah!Mes chers citoyens, j’aurais pu vousapporter la révélation définitive et lesecret de la composition des substances

comme l’amour et la foi. Maintenant,c’est trop tard. Chers citoyens, je nesuis plus Faust! Je suis le Chevalier deParis qui prend cette rose et, commeRainer Maria Rilke, tout doucement, jeme pique (il se pique d’une façon trèsthéâtrale), je l’offre à une amie etmeurs. Faust s’écroule, mort.» (p.72).

Dans cette substance théâtrale quiseule reste une fois le théâtre représen-té comme présence réelle d’unereprésentation se déconstruisant dans lemouvement incessant des gestes théâ-traux, il est tout à fait normal que lespectateur soit sacrifié sur la scène pourmarquer dans la violence la fragmenta-tion impossible de son esprit spectacu-

laire : «Dans ce sanctuaire reposent lescendres d’un spectateur sacrifié pourma troupe au service de la représenta-tion. Ô martyr obscur qui a transgressél’univers des existences théâtrales !(…) J’ai peur qu’après la fin de monrôle, quand je rentrerai chez moi, moncorps, mes yeux, tout mon être ne sesouviennent plus de moi. J’ai peur dene plus jamais revenir.» (p.64).

L’abîme qui s’ouvre pour Faustdans ce jeu de la représentation prendrafin dans un mouvement incessant deretour sur soi et de silence imaginé oùles mots de son discours organiserontun texte spectral pour le réel où s’in-vente la scène pour des spectateurs sansvisage. Faust quitte le spectacle sansdire au revoir à personne, seulement àson ombre qui marchait derrière lui. Ilaffirme : « Comme mon fantôme étaitmuet, un monsieur me l’a volé. »(p.74).■

L’oratorio des visions est publié aux Éditions Élaeis dans la collection Masqued’or, 1999.

Dominique Corneillier

Spectateur de lui-même,le Faust ici mis en scène

ouvre une béance au cœur de son discours pour

signifier dans une « mélancolie clownesque » le drame de l’acteur jouant un théâtre déjà accompli dans l’actuel incessant d’une représentation se donnant pour le réel…

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1)J’ai composé plusieurs poèmes sur des pistes de dansesLa plupart ont des images à la place des yeuxC’est selonL’éclaboussure et l’attenteQui faisaient d’une directionUn point dans la musique

2)Rougir dans le repos des meubles en feuÀ l’invention du gazDans l’écrin des filles

3)Un certain chiffre débalance le calculLe scinde en deuxNous oblige à recommencerL’économie des choses est là Comme l’ivoire aux détours des yeux

3)Avant le retour dans la neigeEt tes mains en estampes de glaise sur les fruitsAvant la parousie du détestable et la liberté des frangesTon veston occupe toute la placeEt l’on dit qu’il nous faudrait des hémisphères renversésPour qu’arrivent à renaître la faune et la floreSelon une géométrie d’inflation

4)Les gens du nord quand ils s’embêtentEt s’éprouvent à l’envers d’eux-mêmesSont comme toiSont comme nousDans les villes que nous avons pour faire avecDes sciences qui s’élancent aux quatre mursAux désordres proportionnels des choses

L’ÉLÉGANCE THÉORIQUEDE LA NEIGEDominique Corneillier

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UN BARRAGE PRIVÉ SUR LABATISCAN? PRISE 1 RENCONTRE AVEC DEUX OPPOSANTS : JEAN BARIL ET MICHEL TESSIER

N.D.L.R. Depuis l’automne dernier,vous avez sans doute suivi comme nous,à la télé, dans les journaux, à la radio oupar le biais du site Internet de la coali-tion Eau secours,la bataille qui opposeles Amis de la Batiscan(en Mauricie), àla compagnie Boralex, une entreprise quise spécialise dans la construction depetits barrages privés sur les rivières duQuébec. En septembre 1999, Boralexavait la voie libre, mais suite à de multi-ples oppositions, rencontres et pétitions,le ministère de l’environnement a rééva-lué le dossier. Résultat? Il a révoqué lepermis qu’il avait antérieurementoctroyé! En janvier dernier, la filiale deCascades a contesté la décision du mi-nistère. Dans les prochaines semaines, leTribunal administratif devra donc enten-dre les parties et donner son jugement.Comme l’objet de cette décision neportera que sur des aspects techniques,la question politique reste entière : lapopulation est-elle pour ou contre laconstruction de centrales hydroélec-triques privées sur les rivières duQuébec? Pour Michel Tessier,agronome, «il est grand temps que legouvernement énonce sa philosophiedu développement ». Pour Jean Baril,consultant, «il faut dénoncer lesnationalistes qui ne protègent pas leurterritoire ». Ces deux opposants sontnatifs de St-Narcisse, l’une des troismunicipalités qui étaient, jusqu’à peu,les principales responsables du dé-veloppement récréo-touristique du Parcde la rivière Batiscan… Pour compren-dre pourquoi et comment nous ensommes arrivés là, c’est donc dans cespetites municipalités qu’il faut com-mencer l’enquête…

- Le Parc de la Batiscan, créationdes municipalités de St-Narcisse,de Ste-Geneviève et de St-Stanislas, avait une vocationrécréo-touristique. Alors comment

expliquez-vous le changement devocation? Et pourquoi les gens dela région en sont-ils arrivés à louerune partie d’un parc public à unecompagnie privée spécialisée dansla construction de barrages?

Michel : C’est une question dephilosophie du développement. Pour desactivités de plein air, des sentiers pédes-tres, des aires de camping ou du canotkayak, on va privilégier les accès à larivière, la préservation du caractèresauvage, etc. Et on peut alors adminis-trer avec des moyens financiers modes-tes. Mais l’actuel projet d’un complexede 12 chalets, d’un centre multiservices,de restauration, autrement dit la grosseaffaire, exige des investissementsimpensables pour des petites municipali-tés aux prises avec des compressionsbudgétaires. Alors, on brade un siteexceptionnel, on laisse aux mains d’uneentreprise privée le contrôle sur 2,3 kmde la rivière afin d’avoir l’argent pourdévelopper le parc! Pour certains élusmunicipaux, le projet d’un barrage privéarrive donc à point. Mais on a déjà vumieux comme stratégie de développe-ment écotouristique! Cela ressembleétrangement à du chantage : «qui a lesmoyens de rejeter un projet de 16 mil-lions de dollars?», disent les promoteurs.

Jean : Et pour comprendrepourquoi nous en sommes là, il faut serappeler que la construction d’un bar-rage par une compagnie privée n’étaittout simplement pas possible avant1991. La politique des petites centrales,ce sont les libéraux. A l’époque, le PQétait dans l’opposition. Il criait au scan-dale. La commission d’enquête Doyonavait notamment montré que le Québecperdait des millions de dollars dans cetteaventure, car Hydro-Québec avaitl’obligation d’acheter l’électricité despetites centrales à un prix fixe quis’avérait être supérieur au prix de vente!

Aujourd’hui, le gouvernement péquisteest au pouvoir, mais il n’a pas changécette politique. Au contraire.Présentement, n’importe quelle chute,sur n’importe quelle rivière, peutintéresser les promoteurs. On est aussien retard sur l’aménagement des parcs,des réserves fauniques, des sites récréo-touristiques. Pendant ce temps,l’actuelle direction Parc de la Batiscann’a qu’une idée en tête : le développe-ment passe par la construction d’un bar-rage, même si cela signifie la destruc-tion partielle de ce qui constitue le cen-tre d’intérêt de ce secteur, les chutes àMurphy et la chute des Ailes.

- Il y a pourtant d’autres choix pos-sibles…

Michel : Nous avons rencontré desmembres du conseil d’administrationpour leur offrir notre aide, pourrechercher ensemble des façons de met-tre en valeur le potentiel du Parc. Ce futune fin de non-recevoir. Ils nous ontclairement dit qu’ils étaient liés,attachés par contrat légal à la compagnieBoralex. Le moindre faux pas, le moin-dre doute exprimé publiquement concer-nant le barrage et aussitôt un avocat deBoralex leur tombe dessus.

Jean : Aujourd’hui, un promoteurpeut développer un projet privé sur unsite public, mais le citoyen n’a pas accèsà la moindre information. Nous voulionsavoir des documents par le biais de la loide l’accès à l’information. On n’a pas eul’information. Si le projet avait été réa-lisé par Hydro-Québec, on aurait euaccès aux documents. Nous ignorons s’ily a eu des études d’impact. Concernantla sécurité publique, on ne sait rien nonplus. Pourtant, suite aux inondationsdans la région du Lac St-Jean, le rapportNicolet avait pointé certaines lacunesdans la gestion des petits barrages. Pas

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un maire n’a abordé cette question. Maisà notre assemblée publique tenue à l’au-tomne dernier à St-Stanislas, c’est unagriculteur qui a pris la parole en pre-mier. Il a tout de suite vu les dégâtsqu’une hausse de niveau d’eau dequelques mètres pouvait causer sur sesterres!

- Vous n’avez donc obtenu aucundocument de la corporation à butnon lucratif créée par les municipa-lités pour gérer, au nom descitoyens des municipalités, le Parcde la Batiscan? C’est bizarre…

Michel : Au début, les municipa-lités ont créé une corporation à but nonlucratif, la Corporation du Parc de larivière Batiscan. C’est un corporationouverte au public. Mais en 1993, cer-tains membres du conseil d’administra-tion ont créé une nouvelle entité, leComplexe écotouristique de la Batis-canie inc.

Jean : C’est cette corporation qui apris le contrôle des lieux avant de lescéder à deux autres entreprises, Hydro-Batiscan (gérée par quelques notables) etBoralex (la filiale de Cascades). Onpasse du public au privé sans que celaparaisse. Et à la fin, les maires n’ont plusgrand-chose à dire…

Michel : Du point de vue environ-nemental, il y a aussi des questions àposer : perte d’habitat pour les poissons,déboisement de sections de rive pour laconstruction de route, dégagement d’es-paces pour les lignes de transport del’électricité, débit d’eau en dessous du

seuil minimum de protection des habi-tats. Tout ça sans qu’aucune étude de cesimpacts sur l’environnement ne soitdéposée. Le certificat d’autorisationétait tellement faible que sous la pres-sion de la population et de spécialistes,le ministre Bégin a très exceptionnelle-ment exigé la révocation de cette autori-sation.

- C’est pour toutes ces raisons quevous avez alerté l’opinion publique.Et vos révélations ont ébranlé biendes gens…

Michel : En août, une cinquantainede personnes se sont rencontrées lorsd’un « pique-nique » de protestation et,sous l’impulsion d’Anne-MarieLafontaine, le regroupement Les Amisde la Batiscan prenait forme.Rapidement, nous avons organisé uneassemblée publique qui a réuni plus de200 personnes et nous avons obtenu prèsde 4000 signatures sur notre pétition.Les médias locaux ont beaucoup couvertce débat. On a aussi parlé de la Batiscandans Le Devoir, La Presse, Le Soleil,TVA, Télé-Québec…. Alors oui, on aébranlé bien du monde et on a eul’oreille attentive de membres des troisconseils municipaux et du député de larégion…

Jean : Maintenant, le débat doitdevenir national. C’est pourquoi nousavons le soutien de la coalition Eau se-cours. Car même si Boralex perdait sacause contre le ministère de l’environ-nement, les droits hydrauliques luiappartiennent jusqu’en 2005. Il y a, auQuébec, 400 sites jugés propices à la

construction de mini-centrales. Le har-nachement systématique de toutes lespetites chutes du Québec est-ilsouhaitable? J’ai bien aimé la manièredont l’éditorialiste du Nouvelliste, Jean-Marc Beaudoin, a posé le problème :«la transformation des dernières petiteschutes, en particulier celles situées dansla vallée du Saint-Laurent, donc plusaccessibles aux populations, est-elle unchoix de société valable à long terme?»(16 octobre, 1999)

- Vous avez gagné la première manche.Quels sont maintenant vos objectifs?

Michel : Nos énergies vont aller àformer une coalition des individus et desgroupes qui tiennent à conserver la voca-tion première du Parc de la Batiscan. Carc’est de ça qu’il s’agit : nous assistons àun véritable détournement de vocationd’un site exceptionnel et accessible, den-rée de plus en plus rare. Dans 100 ans,de quoi serons- nous le plus fiers : d’unbarrage de ciment placé en travers d’unerivière, ayant asséché et inondé deuxchutes, ou de la préservation d’un joyauenvironnemental au cœur de laMauricie?

Jean : Et surtout, il ne faut pas per-dre de vue qu’il ne s’agit que d’une pre-mière manche : le Tribunal administratifest un terrain que les avocats Boralexvont utiliser à plein. De notre côté, nousavons encore bien des questions à poseraux élus municipaux et aux membres dugouvernement péquiste. Nous conti-nuerons à démontrer qu’un projethydroélectrique est la plus mauvaise dessolutions pour l’avenir d’un parc!■

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LETTRE À LISE PAYETTE

Madame Payette, jusqu’à toutrécemment, vous étiez de deux com-bats : pour l’indépendance du Québecet pour l’égalité des femmes. Depuisquelques temps, à la radio, à la télé,dans vos conférences et dans lesrevues féminines, vous vous réclamezsurtout d’un seul, celui de l’égalitédes femmes. Serions-nous donc à lacroisée des chemins? Faudrait-il y lireun adieu à l’indépendance?

Pourtant, vous étiez là, en1976, aux côtés de René Lévesque,membre à part entière d’une équipeextraordinaire en quête d’un Québecmoderne. La transparence du finance-ment des partis politiques, la défensedu fait français en Amérique, laréforme du code civil, l’assurance-auto collective, etc., c’est le résultatde tous vos efforts rassemblés.

Vous étiez une femme du peupleet la porte-parole des femmes, mais àla suite d’une belle provocation, il yeut une tempête politique. «Le mou-vement des Yvettes» a agi comme unraz-de-marée. Rien ne vous a alors étéépargné, vous êtes devenue l’ennemiede certains groupes féminins.

Comment un tel renversement a-t-il seulement été possible, commentexpliquer une telle méprise? Cettequestion a sans cesse été reprise, maisdans des mots et des contextes dif-férents, par Jean Larose en 1987, parHélène Pedneault en 1995 et parJacques Fournier encore tout récem-ment. Oserons-nous poursuivre cequestionnement ?

Auparavant, je voudrais rappeler,madame Payette, une autre de vosactions en faveur de l’indépendance.Suite aux départs des grands capi-taines, de René Lévesque et de FélixLeclerc, à la fin des années 80, vousêtes allée à la rencontre du jeuneauteur-compositeur, Michel Rivard,pour lui demander s’il allait reprendrele flambeau. Vous étiez là, en face delui, dans cette balançoire, sur le bord

du fleuve St-Laurent. Mémorable ren-contre, émouvant dialogue, raremoment de télévérité, pourrait-ondire. Vous vous en souvenez encore, jeprésume, surtout que cette rencontre adû vous déchirer le cœur à nouveau,car le chansonnier n’avait pas vrai-ment répondu à votre appel, préférantse définir en fonction d’une «scèneinternationale» comme il le disaitalors. L’auteur du Phoque en Alaskase ravisera plus tard, suite notammentà l’échec de Meech, composant unebelle chanson avec et pour «unelangue aux accents d’Amérique» (for-mule qui prêterait, par ailleurs, à debelles interprétations).

Presque trahie, presque abandon-née, vous avez pourtant trouvé la

force de renaître : femme de lettres,femme de cœur. Aujourd’hui, un nou-veau dialogue vous anime, celui quevous avez avec votre petite-fille,Flavie, comme vous l’avez si bienraconté dans Le chemin de l’égalité(Fides, 1996). Lors de votre passage àl’émission de Pierre Maisonneuve(RDI, le 28 décembre 1999), vousavez ajouté : je veux que Flavie soit«la principale gardienne de son éga-lité». Ce nouveau dialogue contientévidemment une grande charge poli-tique.

Par contre, l’automne dernier,dans une entrevue accordée à Stéphan

Bureau (Le Point, à la SRC), vousavez repris une idée que l’on a déjàentendue, mais qui a rarement étédiscutée. Vous avez dit : «la cultureest portée par les femmes». Mais dequelle culture vouliez-vous parler ? Etsi votre affirmation est vraie, quellesen sont les incidences politiques ?

Cela nous ramène à notre premiersujet, le sujet tabou de notre société :la culture, la question nationale et lesfemmes. Pour en discuter, partonsd’une donnée incontestable. Dans leurouvrage savant, Bernier, Lemieux etPinard ont patiemment compilé lessondages des dernières décennies. Ilest intéressant de constater l’écartentre le vote des femmes et celui deshommes, une constante historique quise serait encore confirmée lors duréférendum de 1995 : «l’écart entreles hommes et les femmes fut assezprononcé; après répartition des indé-cis au prorata, le OUI chez lesfemmes était en moyenne de 9%inférieur au OUI chez les hommes»(Un combat inachevé, Presses del’Université du Québec, 1997, p.295).

Comment expliquer ce constantécart? Mettre la faute sur la conditionéconomique des femmes m’apparaîtêtre une explication trop facile, unemanière de balayer la question sous letapis. Je propose plutôt de regarder ducôté de la fragile identité culturelledes Canadiens français et de se rap-peler en même temps que l’humain sedéfinit à la fois par ressemblance etpar opposition (ou continuité et rup-ture).

Oui, dans bien des foyers commedans plusieurs cercles culturels, mal-gré les façades modernes, règneencore l’ancienne et vénérable culturede survivance, celle des Canadiensfrançais, leur plus lointain repère his-torique, leur mémoire centenaire.Aussi, madame Payette, quand vousdites que les femmes ont porté la cul-ture, il faudrait en préciser le sens et

André Baril

L’automne dernier, dans une entrevue accordée à

Stéphan Bureau (Le Point,à la SRC), vous avez repris

une idée que l’on a déjà entendue, mais qui a

rarement été discutée.Vous avez dit : «la culture

est portée par les femmes».Mais de quelle culture vouliez-vous parler?

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surtout en voir les incidences poli-tiques, car la culture de survivance,dont nos mères et nos grands-mèresfurent, avec le clergé, les principalesgardiennes, a une finalité très précise :la conservation de l’identité cana-dienne-française. Cette conservationrepose sur un jeu de contrastes : sinotre langue nous donne un statutparticulier en Amérique, notre appar-tenance canadienne nous préserveaussi d’une trop grande ressemblanceavec la France, et ce dernier point, ilne faudrait surtout pas l’oublier!

Être distinct de tous les autres etne ressembler qu’à soi-même, telleserait donc la structure de toute quêteidentitaire. Pour les Canadiensfrançais, cela peut conduire à la risi-

ble revendication d’«un Québec fortdans un Canada uni», selon le célèbremot d’Yvon Deschamps. Et voilàaussi pourquoi les Canadiens françaissont leur propre ennemi quand il s’a-git d’arpenter le chemin de l’indépen-dance. Surtout qu’il n’est pas biend’en parler (autre moment marquantde notre télé : suite à une question deDenise Bombardier qui lui demandaitd’expliquer notre «attachement auCanada», je me rappelle très bienl’embarras du flamboyant PierreBourgault ; pour une rare fois, il nesavait que dire…).

Madame Payette, votre entrée enpolitique a grandement contribué à lamarche moderne québécoise. Contrevents et marées, vous avez amené des

réformes dont nous tirons aujourd’huitous les bénéfices. Malheureusement,les fantômes du passé – qui avaient sibien épaulé nos ancêtres au cours dela longue période de survivance – sesont retournés contre ce qui aurait étéune décisive avancée moderne. Lesnaufrageurs ont ensuite fait le reste.Qu’importe, il y aura d’autres occa-sions (mais face à l’avenir, il ne fautrien exclure, ni l’indépendance, nil’émergence de leaders canadienscapables de négocier sérieusementavec le Québec, pas même notre tran-quille disparition…). Et pour tout ceque vous avez accompli et ce que vousincarnez, madame Payette, vous avezmon estime et ma gratitude.■

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