Hong Kong, patrimoine, activisme et décolonisation (Hong Kong, cultural heritage, activism and...

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Mettre en valeur une pagode et démolir des logements sociaux historiques, détruire un vieux marché pour y bâtir un nouveau centre commercial, ou transformer un bâtiment colonial en un musée de faïence chinoise comme l’a fait le gouvernement hongkongais est, on peut le penser, le produit d’une stratégie dont les déterminants ne sont pas tout entiers économiques et culturels. C’est d’ailleurs parce qu’elle « implique des choix politiques et historiques sur les éléments constitutifs d’une communauté » que, depuis 2006 et le mouvement pour la préservation de l’embarcadère du Star Ferry et du Queen’s Pier (MSQ), la politique de conservation du patrimoine est tellement controversée. Ces derniers événements ont rendu à la mode le terme de « mémoire collective », qui sert désormais d’étalon à toute évaluation de la politique de conservation conduite par l’administration de la SAR. Ils ont aussi été à l’origine du paradoxe qui veut que l’identité de la ville, jusqu’alors communément perçue comme « flottante » , se trouve désormais incarnée par des bâtiments en dur comme, par exemple, l’embarcadère du Star Ferry, les tong lau de Lee Tung Street ou les logements sociaux de Shek Kip Mei, des édifices dont la valeur n’est pourtant pas inscrite dans leur morphologie mais, à l’inverse, intangible, elle-même flottante . Et surtout, parce qu’ils sont supposés avoir révélé l’existence d’une « nouvelle conscience civique (…) davantage soucieuse de la culture, du patrimoine et de l’identité du territoire » , l’on peut s’attendre à ce, qu’à leur suite, l’ « identité » du territoire hongkongais, précisément, soit devenue un critère incontournable pour ceux responsables de la mise en place de la stratégie de préservation du patrimoine hongkongais. C’est justement l’émergence de cette nouvelle conscience civique et cette identité, telle que défendue par les activistes à l'origine des initiatives en faveur du patrimoine et telle que projetée par la politique de préservation du patrimoine du territoire, qu’il s’agira d’étudier. Notre sujet est précis mais il est à replacer dans une perspective plus large ; le patrimoine est un concept intégrateur et l’étudier soulève tout un ensemble de problématiques secondaires. Ainsi, au travers de notre étude, ce qu’il s’agit d’observer est aussi la façon dont se positionne Hong Kong par rapport à sa propre histoire (échelle locale), par rapport à la Chine (échelle nationale) et par rapport au monde (échelle internationale). Autrement dit : Hong Kong est-elle une ville postcoloniale, une ville chinoise, ou une ville mondiale ?

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Institut d’études politiques de Lille Pierre Martin

Hong Kong : patrimoine, activisme et décolonisation

Année universitaire 2008-2009 Sous la direction de : Emmanuel Brunet-Jailly

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Institut d’études politiques de Lille, année 2008-2009

Master Politique internationale et comparée

Hong Kong : patrimoine, activisme et décolonisation

Mémoire soutenu en juillet 2009

Membres du jury : Emmanuel Brunet-Jailly et Jean-Louis Thiébault

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Remerciements

Nos remerciements vont à notre directeur de mémoire, Emmanuel Brunet-Jailly, ainsi

qu’à Jean-Louis Thiébault, pour avoir accepté de participer à notre jury de soutenance.

Nous tenons à adresser des remerciements particuliers à Sebastian Veg pour ses

nombreux commentaires et éclaircissements au sujet du patrimoine et de Hong Kong en

général.

Merci également à David Au Chi-wai, Milk Chan Nga-man, Suki Chau Hei-suen, Fong

Fong, Cyd Ho Sau-lan, Hung Wing-tat, Ronnie Kwok, Lam Oi-wan, Patrick Lau Sau-

shing, Emily Lau Wai-hing, Ambrose Law Yu-hin, Lee Ho-yin, Chantal Martin, Jo Lee

Yee-ting, Fione Lo, Rose Lo Ho-yu, Kevin Parthenay, Howard Shum, Mirana May Szeto,

Tse Ming Ming, Wong Faye, Icarus Wong Ho-yin, Ada Wong Ying-kay et Justy Yeung

Wai-keung pour leur participation à l’élaboration de ce mémoire. Sans oublier Siu Ding :

un grand merci pour les photos.

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A Lam Pang de Mei Foo

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Sommaire

MÉTHODOLOGIE DE LA RECHERCHE............................................................................................29

Liste des abréviations et des acronymes utilisés

- AA : Antiquities Authority (Autorité du patrimoine)- AAB : Antiquities Advisory Board (Conseil consultatif des antiquités)- ACP : Architectural Conservation Programme (Programme de conservation architecturale)- AMO : Antiquities and Monuments Office (Bureau de antiquités et des monuments)- DB : Development Bureau (Bureau du développement)- HAB : Home Affairs Bureau (Bureau des affaires intérieures)- MSQ : Mouvement pour la préservation de l’embarcadère du Star Ferry et du Queen’s Pier- SAR : Special Administrative Region (Région Administrative Spéciale)- SARS : Severe and Acute Respiratory Syndrome (Syndrome Respiratoire Aigu Sévère) - UNESCO : United Nations Educational Scientific and Cultural Organization (Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture)- URA : Urban Renewal Authority (Services du renouvellement urbain)- URS : Urban Renewal Strategy (Stratégie du renouvellement urbain)

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Introduction

Certains la comparent à « un nénuphar ayant rompu ses racines »1 ; d’autres insistent sur

l’héritage d’un passé qui ne lui a jamais appartenu et évoquent son avenir incertain2 pour

faire de la « contingence » sa principale caractéristique3. Il est vrai qu’à première vue,

Hong Kong semble être une erreur historique. A l’issue de la première guerre sino-

britannique (1839-42), c’est bien en s’emparant des îles Zhoushan4, situées à quelques

encablures des côtes du Zhejiang, que la Couronne britannique souhaite punir la Chine.

L’île de Hong Kong, « rocher stérile et quasiment dépeuplé »5, ne l’intéresse pas. Mais

Charles Eliott, le négociateur britannique, juge hasardeux d’éparpiller encore un peu plus

la communauté britannique en Orient en ouvrant un nouveau port ; préférant consolider

Canton comme avant-poste du capitalisme en Chine, c’est donc l’île de Hong Kong qu’il

1 Henry Gérard, « L’année du Cochon, à la recherche d’une mémoire collective », Chroniques Hongkongaises, Editions ZOE, 2008, p. 265.2 La Déclaration conjointe (Joint Declaration) du 19 décembre 1984, qui prévoyait les modalités de la rétrocession du 1er juillet 1997, promettait dans son Annexe 1 de préserver le système légal, économique et social de la Région administrative spéciale durant 50 ans à compter de la date fatidique, posant les bases du principe « un pays, deux systèmes ». Néanmoins, évidemment, personne ne sait ce qu’il se produira le 30 juin 2047 passé.3 Abbas Ackbar, Hong Kong, Culture and the Politics of Disappearance, Public Worlds, Volume 2, Minneapolis, University of Minnesota Press, 1997.4 Zhoushan est aussi la ville ancestrale de Tung Chee-hwa (en mandarin : Deng Jianhua), le premier chef de l’exécutif de la Région administrative spéciale.5 « A barren rock with hardly a house upon it », telle est la fameuse formule utilisée par Lord Palmerston, ministre des affaires étrangères britanniques lors de la signature du traité de Chuenpi, pour décrire l’île de Hong Kong, alors peuplée d’environ 5 000 âmes.

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soutire à l’Empire céleste par le traité provisoire de Chuenpi, signé à l’automne 1840. Il

est remercié sitôt la nouvelle parvenue à Londres, mais le traité de Nankin du 29 août

1842 entérine l’occupation de l’île, qui devient une colonie de la Couronne...6 L’Empire

britannique profite ensuite de la seconde guerre de l’opium pour étendre sa souveraineté à

la péninsule de Kowloon (convention de Tientsin de 1858, convention de Pékin de 1860)

avant qu’en 1898, avec le second Traité de Pékin, les Nouveaux territoires ne lui soient

cédés par un bail de 99 ans. Les frontières hongkongaises ne bougeront alors plus (voir le

plan du territoire, en annexe 1). Néanmoins, en signant ce bail, la Grande-Bretagne se

fixe un « rendez-vous avec la Chine »7 et condamne sa colonie à vivre sous l’empire de la

précarité, « sur un temps qui ne lui appartient pas et sur des lieux d’emprunt »8.

Puisque, pour beaucoup, Hong Kong naît avec l’arrivée des Britanniques, chaque instant

de sa courte histoire semble porter le signe de cette contingence. En tant qu’« entrepôt

economy » au début des années 1950, Hong Kong, bâtit en effet sa fortune sur sa

proximité avec la Chine communiste, pour laquelle elle constitue un point d’accès

privilégié – une faille dans le « mur de bambou » qu’a dressé la Guerre Froide autour du

continent. Les marchandises ne font alors qu’y transiter - et les hommes également. Ilot

de confort et de stabilité9, Hong Kong accueille entre 1949 et 1955 plusieurs centaines de

milliers de Chinois fuyant les troubles de la mère patrie10 . Cette main d’œuvre

travailleuse, flexible, opportuniste et bon marché – et, surtout, peu exigeante quant à la

protection sociale et aux droits qui lui sont accordés – est récompensée par un pécule qui

6 Voir: Tsang Steve, A Modern History of Hong Kong, Hong Kong, Hong Kong University Press, 2004, p. 12.7 Ibid., p. 41.8 Borrowed Place, Borrowed Time est le titre du célèbre livre que le journaliste anglais Richard Hughes a dédié à Hong Kong. Dans son préambule, l’auteur déclare avoir emprunté l’expression à l’écrivaine hongkongaise Han Suyin. Hughes Richard, Borrowed Place Borrowed Time, Hong Kong and its many faces, second edition, André Deutsch, 1976.9 Bien que la stabilité ait toujours été l’objectif primordial de l’administration coloniale, Hong Kong n’est pas totalement épargnée par la Révolution culturelle. A partir de mai 1967 jusqu'à la fin de l’année, la violence maoïste gagne la ville (plusieurs milliers de bombes sont notamment posées). Bilan : 51 morts et 1 172 blessées. Voir : Tsang Steve, op. cit., 2004, pp. 183-190. Cette période de trouble, creuset de l’identité hongkongaise pour certains, est évoquée pudiquement comme « la Confrontation » par les habitants de la ville.10 En 1961, seulement 67% de la main d’œuvre hongkongaise était déjà sur place avant 1949. Voir  : Tsang Steve, op. cit., 2004, p. 167. Et en 1966, malgré les restrictions portées à l’immigration par le Restriction Act de 1955, Hong Kong comptait 1,7 million de réfugiés, pour 3 millions de résidents. Voir : Liu William T., “Chinese Value Orientations in Hong Kong”, Sociological Analysis, Vol. 27, No. 2, pp. 53-66, été 1966, p. 56.

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lui permet de repartir vers de nouveaux horizons. Ville-étape, Hong Kong l’est d’ailleurs

restée: beaucoup de ses citoyens se sont durablement installés à l’étranger - en Grande

Bretagne, au Canada ou en Australie par exemple - et détiennent un passeport de leur

pays d’accueil11. Et l’immigration illégale, la contrebande (de voitures et de DVD aussi

bien que d’arbres magiques…12), l’intégration de la ville dans les flux financiers13,

commerciaux14 et dans ceux de l’information sont encore d’autres éléments dans lesquels

les frontières de Hong Kong se fondent jusqu'à disparaître, participant à la dévaluation de

toute « idée physique de l’espace et du temps »15.

Si l’on souscrit à un tel compte-rendu de l’histoire hongkongaise, l’on ne sera guère

surpris d’entendre parler de l’apathie politique des Hongkongais - effet secondaire de

la « mentalité de réfugiés » que l’histoire leur a léguée -, ou de lire les conclusions de

Lau, selon lesquelles ceux qui se présentent comme Hongkongais sont aussi les plus

prompts à quitter le territoire16. Mais force est de reconnaître que le bref récit de l’histoire

hongkongaise que nous venons de présenter est problématique : comme tend à le montrer

l’historiographie récente, dire que Hong Kong était un village de pêcheurs insignifiant

avant l’arrivée des Britanniques et que c’est la coopération de la population locale avec

l’administration coloniale qui a fait du territoire ce qu’il est aujourd’hui, les deux moitiés

d’une telle affirmation sont malhonnêtes17. Si la période coloniale de Hong Kong est un

moment crucial de son histoire, Hong Kong n’est pas pour autant pas une création ex-

11 La majorité de 3 500 000 détenteurs du passeport « British National Overseas » résidaient dans la RAS en 2008. S’y ajoutent 220 000 citoyens canadiens vivant à Hong Kong, et 30 000 citoyens hongkongais possédant un passeport australien. Voir: « Hong Kong Citizenship, Thou shalt have no other », The Economist, 5 juin 2008.12 Sur le trafic d’arbres « magiques », voir : Henry Gérard, op. cit., « Les voleurs d’arbres », p. 258.13 En 2008 encore, l’économie hongkongaise a été désignée comme étant la moins entravée du monde par le Fraser Institute. Pour l’édition 2008 du classement de l’Institut, voir : http://www.fraserinstitute.org/researchandpublications/publications/6194.aspx (consulté pour la dernière fois le 13 octobre 2008). Un classement similaire réalisé par la Heritage Foundation place également Hong Kong en tête de liste depuis de nombreuses années.14 En 1996, soit un an avant la rétrocession, Hong Kong était la huitième puissance commerciale mondiale, devant la République populaire de Chine. Voir : Mengin Françoise, Trajectoires chinoises, Taiwan, Hong Kong et Pékin, CERI Recherches internationales, Karthala, 1998, p. 7. Mathews Gordon, Ma Kit-wai Eric et Tai-lok Lui, op. cit., p. 9.15 Abbas Ackbar, op. cit., p. 69.16 Lau Siu-kai, « Hongkongese or Chinese, the problem of identity on the eve of the resumption of Chinese sovereignty over HK », in S. K. Lau (éd.), Social Development and Political Change in Hong Kong, Hong Kong Chinese University Press, 2000.17 Faure David (éd.), Hong Kong, A Reader in Social History, Hong Kong, Oxford University Press, 2003.

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nihilo de la Couronne britannique18, flottant parmi les nuages comme la ville de Xi Xi19.

Et la domination persistante de cette « histoire officielle », dix ans après la rétrocession,

empêche toujours Hong Kong de faire face à son passé colonial20. Peut-être peut-on

même suggérer qu'un tel récit de l’histoire du territoire est le principal responsable du

manque d’estime et d’intérêt dans lequel le gouvernement tient le patrimoine

hongkongais, et tout particulièrement le patrimoine bâti. Car si Hong Kong, « lieu de

transition »21 par excellence, est si peu clairement « définie dans l’espace »22, il est en

effet vain de rechercher quelques indices du passé et de l’identité hongkongais dans les

bâtiments – objets tangibles s’il en est – de la ville. C’est d’ailleurs avec la plus grande

parcimonie du monde que le gouvernement hongkongais a, depuis le début des années

1970, tenté de préserver certains des édifices de la ville.

Quelle identité hongkongaise ?

L’émergence tardive du processus de localisation – par lequel nous entendons la prise

de conscience, au niveau communautaire, d’une trajectoire historique et politique

spécifique à Hong Kong - et les modalités de son émergence expliquent en partie la

préséance dont jouit aujourd’hui encore le discours historique officiel. La question de

l'identité hongkongaise a bien été abordée dans l’immédiat après Seconde Guerre

18 « Hong Kong est à tous égards un exemple frappant de ce que l’entreprise européenne est capable de faire » écrivait Charles Elliott dans son livre, Letters from the Far East, publié au début du siècle dernier.Voir l’introduction de T. L Tsim a Tsim T. L et Luk H. K. Bernard (éds.), The Other Hong Kong Report 1989, Hong Kong, The Chinese University Press, 1989. Une telle vue, qui est avant tout celle du colonisateur, a paradoxalement beaucoup de points communs avec le discours tenu sur Hong Kong par certains théoriciens critiques, et par les organes officiels – on le verra plus tard.19 Xi Xi, Marvels of a Floating City and other stories, Hong Kong, Chinese University of Hong Kong, 1997.20 Une telle histoire est rarement formulée en discours systématiques et continus ; elle se compose de pièces et de morceaux. Néanmoins, Tsang Steve, op. cit., 2004 ou Welsh Frank, A History of Hong Kong, London, Harper Collins, 1997 fournissent deux bons exemples de ce type d’histoire. Et si, de la même façon, de tels récits historiques ne sauraient être localisés dans un type défini d’institutions, les grandes lignes de leur trame historique sont généralement reprises par les sites internet et fascicules publiés par les départements gouvernementaux (Development Bureau, Home Affairs Bureau, Leisure and Cultural Services Department etc.) amenés à évoquer l’histoire du territoire.21 Guttierez Laurent et Portefaix Valérie, Mapping Hong Kong, Map Office, Hong Kong, 2000, p. 137. Sans surprise, ces deux auteurs estiment ainsi que le remplacement de ce qu’ils appellent «  vieilles cellules inadaptées » aux temps nouveaux par de nouvelles, plus compétitives, modifie en permanence l’image de la ville mais jamais son identité.22 Choay Françoise, Pour une anthropologie de l’espace, Seuil, 2006, p. 41.

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Mondiale, déclenchant même une controverse quant à la sinité des résidents de la colonie

et à leur degré de loyauté à la mère patrie23. L'on peut également penser qu’il était dans

l’intérêt des Britanniques de « minimiser le lien entre Hong Kong et la Chine, afin de

légitimer leur domination, et de minimiser celui entre Hong Kong et la Grande-Bretagne

de peur que les Hongkongais en réclament un jour la citoyenneté »24. Pourtant, jamais ne

fut mise en place de politique visant activement à instiller chez les Hongkongais le

sentiment d’une appartenance locale. Aussi est-ce par opposition au régime colonial que

cette identité s’est forgée, au cours des turbulentes années 1960.

Au début des années 1960, l’idée d’une communauté hongkongaise spécifique paraît

bien improbable : si les Cantonnais sont largement majoritaires, Hong Kong est aussi le

lieu de résidence de nationalités diverses arrivées des quatre coins de la Chine et, bien

qu’il soit courant pour certains clans – dans les Nouveaux territoires en particulier – de se

reconnaître des liens de parenté, il n’existe ni filiation ni lignage qui unisse les

Hongkongais25. A l’inverse, les lignages existant participent souvent à rattacher les

citoyens hongkongais à certaines communautés de la Chine continentale. Quant au

cantonnais comme idiome, il n’est pas spécifique à Hong Kong mais est parlé dans la

province du Guangdong tout entier. Et à Hong Kong, il est même parfois réduit au statut

de lingua franca puisque dans l’intimité du foyer familial, bien souvent, c’est le dialecte

d’origine que l'on privilégie26. Ajoutons pour finir que la société hongkongaise de

l’époque, comme celle d’aujourd’hui d'ailleurs, est traversée par de nombreux clivages

23 A l’inverse de McDougall et Young - entre autres - qui voyaient la création d’une identité locale comme le moyen le plus sûr d’épargner à Hong Kong les troubles du continent, qui venait de tomber sous la férule de Mao, Alexander Grantham (gouverneur de Hong Kong de 1947 à 1958) considérait que le meilleur moyen de maintenir l’ordre dans la colonie était de nouer des relations cordiales avec Pékin et alla jusqu'à recommander que l’on transfère Hong Kong du Colonial Office au Foreign Office. Voir : Tsang Steve, Governing Hong Kong, Administrative Officers from the Nineteenth Century to the Handover to China, 1862-1997, Hong Kong, Hong Kong University Press, 2007, p. 62.24 Mathews Gordon, Ma Kit-wai Eric et Tai-lok Lui, op. cit., p. 9.25 Johnson Elizabeth, Recording a Rich Heritage: Research on Hong Kong’s “New Territories”, Hong Kong Heritage Museum, 2000.26 Notons que la situation est en réalité plus compliquée puisque le cantonnais n’est pas la seule lingua franca du territoire. Certains des premiers habitants de Tsuen Wan, par exemple, parlaient Hoklo avant de s’établir dans les Nouveaux territoires hongkongais, à partir du 18ème siècle. D’autres parlaient le dialecte du Fujian (et d’autres encore, venant du Guangdong, le Cantonnais). Mais les travailleurs terriens étant alors majoritairement Hakka et les écoles locales enseignant presque toutes dans cette langue (ce fut le cas jusqu'à la Seconde Guerre Mondiale), ils apprirent donc le Hakka et non le Cantonnais. Voir: Johnson Elizabeth, Recording a Rich Heritage: Research on Hong Kong’s “New Territories” , Hong Kong Heritage Museum, 2000, p. 92.

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rendant plus compliquée encore la formation d’une identité commune : aux fossés entre

riches et pauvres, Communistes et Nationalistes, natifs et migrants se superpose celui

séparant urbains et ruraux. A cet égard, certains auteurs vont jusqu'à affirmer que

l’établissement de la souveraineté britannique dans les Nouveaux territoires n’a consisté

qu’en un « changement de dirigeants étrangers (i.e. les Mandchous de la dynastie des

Qing) pour d’autres dirigeants étrangers »27. Si la résistance rencontrée par les

Britanniques lors de leur conquête des Nouveaux territoires y est certainement pour

quelque chose, toujours est-il que c’est intentionnellement que James Stewart Lockhart

s’est appuyé sur le système d’organisation alors existant lors du déploiement de l’appareil

administratif britannique dans les Nouveaux territoires dont il était responsable, au

lendemain de la prise de pouvoir des lieux par Londres28. Souhaitant concéder à ces

derniers un large degré d’autonomie, il est même allé jusqu’à proposer la mise en place

d’un « commissaire » des Nouveaux territoires, subordonné au gouverneur de Hong

Kong mais dans une très large mesure indépendant de ce dernier29. Son projet a échoué

mais le legs de cette politique est encore perceptible dans les années 1960, autorisant

James Hayes à parler d’une « grande différence » séparant la partie urbanisée de Hong

Kong des Nouveaux territoires, alors encore relativement préservés de l’influence du

colonisateur30.

Pourtant, dès 1966, William T. Liu observe que les orientations de la jeune génération

hongkongaise à l’égard du temps, du rapport entre l’homme et la nature et des relations

interpersonnelles diffèrent de celles de leurs ainés nés de l’autre côté de la frontière 31.

27 Tsang Steve, op. cit., 2007, p. 33.28 Hase Patrick H., The Six-day War of 1899, Hong Kong in the Age of Imperialism, Hong Kong University Press, 2008.29 Tsang Steve, op. cit., 2007, p. 33. A noter qu’au niveau culturel, les Nouveaux territoires sont régis par un règlement spécifique, la New Territories Ordinance, qui garantit la survie de ses traditions. Ce règlement (dont le maintien est désormais garanti par l’article 40 de la Basic Law) a d’ailleurs fait l’objet d’une controverse importante quand, en mars 1994, Christine Loh, alors députée, a entrepris de la réformer afin de la mettre à jour avec les temps moderne, notamment pour qu'il soit permis aux femmes des Nouveaux territoires d’hériter des terres de leurs pères (comme les fils en avaient le droit). Sur le sujet, voir : Chan Ching Selina, « Politicizing Tradition : The Identity of Indigenous Inhabitants in Hong Kong », Ethnology, Vol. 37, No. 1, hiver 1998, pp. 39-54.30 Hayes James, The Great Difference, Hong Kong’s New Territories and its People, 1898-2004, University of Washington Press, 2006. En réalité, mais la chose n’est guère surprenante, l’expression est empruntée à Lockhart.31 Liu William T., “Chinese Value Orientations in Hong Kong”, Sociological Analysis, Vol. 27, No. 2, pp. 53-66, été 1966.

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L’exposition à la culture occidentale et l’adaptation des résidents de la colonie à un

contexte social contrastant avec celui du continent semblent avoir mis en action des

processus d’hybridation identitaire et William Liu note les conquêtes de l’individualisme

(recherche accrue de l’autonomie par rapport à la lignée familiale) et du matérialisme

(accent mis sur la richesse et non plus sur les études comme critère d’ascension sociale)

sur les mentalités chinoises. En 1966, les habitants de Hong Kong possèdent aussi un

mode de vie spécifique, décrit de manière saisissante par Hugh Baker dans « Life in the

Cities: The Emergence of Hong Kong Man ». Et il ne fait nul doute que le cadre de vie

urbain et moderne, l’hybridation linguistique (dans la plupart des institutions du

secondaire, l’éducation se fait en anglais) et culturelle (le culte des ancêtres – associée à

la continuité filiale et au terroir - n’est pas l’unique religion à Hong Kong ou la plupart

des cultes sont beaucoup plus flexibles) et, surtout, l’incertitude constante dans laquelle

se meuvent les habitants hongkongais, et qui force leur pragmatisme, sont autant de

facteurs ayant contribué à l 'émergence d’une mentalité particulière32.

Mais 1966, ce sont surtout les émeutes du Star Ferry, à partir desquelles la politique

hongkongaise commence à s’émanciper du cadre continental pour se localiser. Initiées le

4 avril 1966 par une grève de la faim de So Sau-Chung, jeune homme de 27 ans (faisant

donc partie de la première génération née à Hong Kong) et d’origine modeste s’étant

élevé contre l’augmentation du prix du ticket de première classe du Star Ferry, la navette

qui permet alors de traverser le port de Victoria pour passer de Kowloon à l’île de Hong

Kong, ou vice versa, les deux jours d’émeutes entrainent l’arrestation de 905 personnes,

âgées pour la plupart entre 16 et 20 ans. La majorité des révoltés ne possède pas le profil

social de personnes voyageant en première classe et l’augmentation du ticket (de 5

centimes) n’affecte donc probablement pas véritablement son niveau de vie ; ce

qu’expriment ces manifestations est en fait un malaise général, un sentiment de

frustration et d’inconfort à l’égard de l’administration coloniale33. Mais la riposte de

celle-ci ne tarde pas ; elle prend la forme de ce qu’Ambrose King a appelé l’ « absorption

administrative de la politique » : cooptation des leaders locaux et transformation des

32 Baker Hugh D. R., “Life in the Cities: The Emergence of Hong Kong Man”, The China Quarterly, No. 95, pp. 469-479, septembre 1983.33 Voir: Tsang Steve, op. cit., 2004, p. 188. Notons au passage que ces manifestations sont sans lien direct avec la “Confrontation”, qui explose l’année suivante.

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doléances de la population et de ses rancœurs en simples demandes factuelles et non-

idéologiques font du véritable enjeu l'efficacité de l’administration34. Ainsi, alors que la

crise des années 1960 plonge ses racines dans le défi lancé par la population locale à

l’administration, elle aboutit à générer des attentes particulières envers cette dernière, et

donc à renforcer le lien entre la population et le régime local, autrefois presque sans

contact35. Il n’est donc pas si surprenant d’observer que, lors de « la Confrontation »

intervenue l’année suivante, la société hongkongaise choisit finalement de ne pas suivre

les sympathisants maoïstes et de se ranger du côté du gouvernement colonial36.

Encore latente, l’identité hongkongaise qui émerge dans les années 1960 se cristallise en

réaction aux menaces du dehors : les boat people vietnamiens et les immigrants du

continent, venus s’installer à Hong Kong par vagues massives37. Les sentiments des

résidents du territoire à l’égard de ces nouveaux arrivants balancent alors entre

indifférence et hostilité : les immigrés chinois, en particulier, ne sont plus désormais

perçus par la population locale comme de lointains cousins suivant ses traces, ils sont

devenus des étrangers que l’on méprise ouvertement. On les appelle « Ah Chan », du

nom du plouc impoli, maladroit et malhonnête qu'une série télévisée de l’époque a rendu

populaire et qui est censé représenter le continental lambda38. Dans le même temps, dans

les médias – qui abandonnent le mandarin et l’anglais pour le cantonnais -, l’on se met à

parler de « Hongkongais »39 et une culture populaire locale – distincte de celle du sud de

34 A ce sujet, voir la célèbre thèse d’Ambrose Yeo-Chi King: “Administrative Absorption of Politics in Hong Kong: Emphasis on the Grass Roots Level”, pp. 69-92 in Sing Ming (éd.), Hong Kong Government and Politics, Oxford University Press, 2003. L’article original date de 1974.35 La tentative de combler le fossé entre l’administration et ses administrés a aussi pris la forme de réformes concrètes. Suite aux émeutes, le Secrétariat aux affaires chinoises s’est vu transformé en Secrétariat aux affaires intérieures alors qu'a été introduit le City District Office Scheme. Notons néanmoins au sujet de ce dernier que la nécessité de représentants de l’administration susceptibles de pouvoir servir de relais entre l’homme de la rue et le gouvernement avait déjà été mise en avant par le gouverneur David Trench lors de son entrée en fonction, en 1964. Les bouleversements de 1966 et 1967 ont donc simplement servi de catalyseur. Tsang Steve, op. cit., 2007, p. 78.36 Il est également vrai que la crémation du journaliste Lam Bun et le terrorisme employé par les sympathisants maoïstes à partir de la mi-juillet 1967 ont quelque peu forcé la décision de la population. Heaton William, “Maoist Revolutionary Strategy and Modern Colonialism: The Cultural Revolution in Hong Kong”, Asian Survey, Vol. 10, No. 9, septembre 1970, pp. 840-857, pp. 851-852.37 En raison de l’ouverture graduelle de la Chine à partir du troisième plenum du XIème congrès du Parti communiste, ce sont 400 000 Chinois qui sont parvenus à Hong Kong entre 1978 et 1980. Census and Statistics Department, 1982.38 Mathews Gordon, Ma Kit-wai Eric et Tai-lok Lui, op. cit., p. 35-37.39 Jacquet Raphaël, “Du réfugié au citoyen - Comment peut-on être hongkongais?”, Perspectives chinoises, numéro 41, Mai-Juin 2007, pp. 22-33, p. 25. A noter que le mouvement visant à donner au

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la Chine, à laquelle elle fut longtemps liée - apparaît, avec pour piliers principaux le

cinéma (notamment le cinéma des Hui Brothers) et la chanson40. Les Hongkongais sont

donc déjà bien des êtres « sui generis » au moment ou est annoncée le retour prochain à

la Chine41. Mais 1984 et la signature de la Déclaration Conjointe (Joint Declaration),

marque encore une étape supplémentaire. La « prise de conscience accrue de sa sinité de

la part de la population locale » générée par l’événement a constitué une aubaine pour les

centres de recherche de l’université de Hong Kong et de l’université chinoise et de

l’université baptiste, qui, depuis lors, n’ont cessé d’enquêter auprès des résidents de la

Région Administrative Spéciale (Special Administrative Region, SAR) afin de savoir

s’ils se sentent « plutôt Hongkongais » ou « plutôt Chinois »42. Mais, si leurs chiffres

témoignent d’une grande stabilité des allégeances, ils ne renseignent en rien sur ce que

signifie « être Hongkongais »43. Or, le retour du territoire à la Chine a ajouté une

composante politique à l’identité hongkongaise44. Bien que teintée d’une certaine forme

de patriotisme puisqu’elle s’est cristallisée par identification aux activistes du mouvement

pour la démocratie en Chine, autour des manifestations de 1989, une sensibilité

démocratique s’est développée, qui a participé à détacher encore davantage Hong Kong

de la Chine continentale45. C’est aussi elle qui a fait de l’identité hongkongaise un

élément potentiellement subversif : comme l’a déclaré un responsables politique pro-

Chinois le statut de langue officielle (chose acquise en 1974) sera une nouvelle étape importante dans la formation de l’identité hongkongaise.40 Gordon Mathews, Eric Kit-wai Ma et Tai-lok Lui, op. cit., p. 35-37.41 Baker Hugh D.R., “Life in the Cities: The Emergence of Hong Kong Man”, The China Quarterly, no. 95, pp. 469-479, 1983, p. 479.42 Chan Ming K., « Hong Kong : Colonial Legacy, Transformation, and Challenge », Annals of the American Academy of Political and Social Science, Vol. 547, The Future of Hong Kong, pp. 11-23, septembre 1996, p. 11.43 Un sondage réalisé les 26 et 27 août 1997 montre 59,7% des citoyens interrogés se définissant comme « Hongkongais » ou « Hongkongais de Chine » et 38,7% se disant « Chinois » ou « Chinois de Hong Kong » ; le même sondage, réalisé du 6 au 12 décembre 2006 montrait des taux de 54,3% et 44,4% respectivement. Voir : Béja Jean-Philippe, « L’avènement d’une culture politique démocratique », Perspectives chinoises 2007/2, pp. 4-12, p. 5.44 Chan Ming K., art. cit., p. 17.45 Le 21 mai 1989, plus d’un million de manifestants (soit un habitant sur cinq) sont descendus dans les rues afin de s’opposer à la décision prise par Deng Xiaoping, Li Peng et Yang Shangkun d’instaurer la loi martiale dans la capitale chinoise, arguant du fait que « le présent de Pékin est l’avenir de Hong Kong ». Béja Jean-Philippe, art. cit., p. 6. Ces manifestations massives, organisées par la Hong Kong Alliance in Support of the Patriotic Democratic Movement in China, ont été reconduites avec autant de succès les deux dimanches suivants. Cheng Y. S. Joseph, “The democracy movement in Hong Kong”, International Affairs, Vol. 65, No. 3, été 1989, pp. 443-462, p. 459.

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Pékin, « Hong Kong ne sera pas prête pour le suffrage universel avant 2022 car ses

habitants n’ont pas bien compris ce qu’est l’identité nationale »46.

S’il est assez peu surprenant que le processus de localisation ait eu pour point de départ

des émeutes visant l’administration coloniale47, il est quelque peu curieux qu'en dépit de

cela, l’identité communément conférée à Hong Kong dans son ensemble est, elle celle, au

contraire, d’une fusion harmonieuse entre l’Orient et l’Occident. Il est néanmoins aisé de

retracer l’origine de ce mythe ; il possède d’ailleurs la même date de naissance que celle

que les récits « officiels » de l’histoire du territoire assignent à ce dernier : l’arrivée des

Britanniques. Il trouve en effet ses sources dans la légende populaire selon laquelle

Queen’s Road, la première rue du territoire, serait en fait une transformation de « Kwan’s

Way » (elle-même traduction du cantonnais « Kwan Tailu »), Kwan étant le nom du

paysan cantonnais qui aurait indiqué à une expédition britannique égarée au Sud de Hong

Kong Island la route pour rejoindre Edward Belcher et ses hommes, le 26 janvier 1841.

Le potentiel de ce mythe fondateur qui, au mépris de la vérité historique48, met en lumière

l’entente voire l’amitié entre les indigènes et les colonisateurs a en effet longtemps été

exploité par l’administration britannique : jusqu’en 1962, celle-ci faisait d’ailleurs figurer

un Chinois serrant la main d’un colon, une jonque et un navire britannique (le Sulphur ?)

46 La formule est de feu Ma Lik, fondateur et ancien président de la Democratic Alliance for the Betterment of Hong Kong (DAB), parti politique populaire et populiste, et indéfectible allié de Pékin. Voir : Leung Ambrose, « Furore at DAB’s Chief Tirade », South China Morning Post, 15 mai 2007.47 Même si les facteurs ayant contribué à l’établissement d’un Public Records Office (en 1972) au passage de l’Antiquities and Monuments Ordinance (1971), et au premier musée d’histoire (ouvert à Kowloon Park en 1983) sont multiples, notons que c’est au moment des premiers soubresauts de l’identité hongkongaise que se mettent en place les éléments sur lesquels reposera plus tard la politique culturelle et patrimoniale du gouvernement, preuve que le gouvernement ne tient plus l’histoire locale comme tout-à-fait négligeable au début des années 1970. Pour un rapport détaillé sur la question des archives hongkongaises, l’on peut se reporter à : Loh Christine, Van Rafelghem Marcos et Graham Jaimie C., « Managing Public Records for Good Governance and Preservation of Collective Memory : The Case for Archival Legislation », Civic Exchange, mars 2007.48 “Kwan Tailoo” provient plus probablement de “Kwai-tai loo”, qui fait référence aux ceintures en tissue que portaient parfois les Chinoises de l’époque et auxquelles ressemblait apparemment Queen’s Road vue de Kowloon. Quant aux relations entre autochtones et colonisateurs, elles n’ont jamais été particulièrement cordiales. Non seulement les Britanniques ont rencontré une forte résistance lors de la conquête des Nouveaux territoires mais les Chinois sous administration britannique ont été victimes de politiques ouvertement racistes (couvre-feu, interdiction de résider dans certains districts de la ville, obligation de se munir d’une lanterne et d’un permis pour se promener la nuit, criminalisation de certains comportements etc.) jusqu’au début du XXème siècle, alors que les préjugés à leur encontre les ont tenus écartés de tout poste de pouvoir jusqu’aux années 1970 malgré la politique de « localisation » adoptée en 1936 (à titre de comparaison, notons qu’une telle politique a été énoncée par Victoria dès 1858 en Inde). En outre, aujourd’hui encore, expatriés et Hongkongais s’ignorent bien souvent dans leur vie quotidienne.

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dominant l’arrière plan, sur les tampons officiels et les insignes de la police 49. Quoiqu’il

en soit, l’émergence d’une identité locale par opposition au pouvoir colonial explique

sans doute pourquoi le local à longtemps brillé par son absence dans les discours

historiques présentés par les organes gouvernementaux. Le rappeler n’est pas inutile car :

quelle histoire cherche t-on à raconter au travers de la préservation des bâtiments ? A

quelles vies s’intéresse t-on ? Qui a fait l’histoire de la ville ? Un monument n'est en effet

rien d'autre qu' « un témoignage d’histoire, un repère pour connaître la vie des

générations perdues »50 ; selon certains, ils ne servent même « que de supports ou de

preuves pour appuyer la validité d’un discours sur la connaissance du passé »51.

L’espace : produit culturel et enjeu politique

Comme chez Balzac, où la description de l’espace précède toujours le récit des faits,

l’on peut en effet arguer que l’histoire ne se crée pas indépendamment des lieux, qu’il

s’agisse d’une ouverture de façade, de la couleur d’un mur, du dallage d’une rue ou de

n’importe quels autres « signes urbains par lesquels s’effectue un enracinement et se

conquiert une identité dans une communauté qui est aussi localité »52. Depuis l’Antiquité,

avec Vitruve (et, avant lui, Ovide et Lucrèce), l’on fait remonter l’origine de

l’architecture et du monde bâti à celle de la société. Avec son De re aedificatoria (1485),

Léon-Battista Alberti a en partie inversé la relation, faisant de l’édification à la fois

l’origine et la cause de l’état de société : le monde construit est simultanément témoin et

agent de ce que nous sommes53 ; en somme, aujourd’hui, comme le disait Churchill,

« l’on construit nos bâtiments et puis ils nous construisent nous »54. Toutefois nous-faut il

49 Lee Leo Ou-fan, City Between Worlds, My Hong Kong, Cambridge, The Belknap Press of Harvard University Press, 2008, p. 25. Figurent désormais sur les insignes de la police les gratte-ciels de l’île de Hong Kong, parmi lesquels l’on distingue clairement HSBC (symbole de l’époque coloniale) et la banque de Chine (symbole du retour à la Chine). Malgré l’emphase nouvelle placée sur le succès matériel du territoire, le message profond est donc resté le même.50 Babelon Jean-Pierre et Chastel André, La notion de patrimoine, Paris, Liana Levi, 1994, cité dans Jadé Mariannick, Patrimoine immatériel, Perspectives d’interprétation du concept de patrimoine, Paris, L’Harmattan, 2006, p. 36.51 Ibid, p. 46.52 Choay Françoise, op. cit., p. 132.53 Ibid, pp. 292-29354 Cité dans Ingham Michael, Hong Kong, a cultural history, New York, Oxford University Press, 2007, p. xxi.

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distinguer entre le terme « monument » et celui de « monument historique » : « Le

monument est un artéfact (…) explicitement construit par un groupe humain (…) afin de

se remémorer et de commémorer les individus et les événements, les rites et les

croyances qui fondent conjointement leur généalogie et leur identité » ; alors qu’un

monument historique est « choisi par le regard érudit parmi les édifices anciens,

indépendamment de toute finalité pratique, en raison de sa valeur pour l’histoire et pour

l’art »55.

Même si le gouvernement hongkongais ne donne aucune précision à cet endroit, c’est

très probablement dans le sens de « monument historique » qu’il faut comprendre le

statut de « monument » qu’il confère aux bâtiments qu’il entend par là transférer dans le

« patrimoine » officiel hongkongais. A cet égard, parce qu’en français, l’appellation

« patrimoine » a surpassé celle de « monument historique » depuis l’avant-guerre56, il

convient de réaliser un bref détour par l’étymologie de ce mot qui, entré dans le

vocabulaire commun, n’est souvent plus qu’une « notion globale, vague et envahissante à

la fois » : provenant du latin patrimonium soi pater monium, « l’héritage du père », le

terme concerne une légitimité familiale qu’entretient l’héritage ; « il explicite une relation

particulière entre le groupe juridiquement défini et certains biens matériels tout à faits

concrets »57. Dans le contexte hongkongais, les choses sont plus compliquées puisque les

racines des termes anglais et chinois divergent sensiblement : en anglais, depuis 1950,

l’expression indiquée est « heritage », qui fait référence à un ensemble culturel transmis

d’une génération à une autre, rendant claire l’idée de filiation et se rapprochant en cela du

terme de patrimoine58. Mais « wenwu » (文物 ), le terme chinois, signifie littéralement

« relique » et est également utilisé pour désigner les vieux objets de valeur comme, par

exemple, un vase Ming ou une tablette Tang. L’expression dénie donc toute pertinence

contemporaine au patrimoine qui, s’il mérite d’être conservé, le doit uniquement à la

satisfaction intellectuelle ou esthétique qu’il est susceptible de procurer.

55 Choay Françoise, op. cit., pp. 265-266.56 Desvallées André, « Emergence et cheminements du mot patrimoine », Musées et collections publiques de France, no. 208, septembre 1995.57 André Chastel, « La notion de patrimoine » in Pierre Nora (dir.), Les lieux de mémoire, Tome 1, Quarto Gallimard, pp.1433-1469, 1997, p. 1433.58 L’un décrit néanmoins la transmission d’un bien dans le cadre de la sphère publique (patrimoine), l’autre (héritage) dans la sphère privée. Voir : Jadé Mariannick, op. cit., p. 30.

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Reste que le Bureau des Antiquités et des Monuments (Antiquities and Monument

Office, AMO) – le secrétariat du Conseil consultatif des antiquités (Antiquities Advisory

Board, AAB), l’organe gouvernemental autour duquel s’articule la protection des

bâtiments historiques de Hong Kong – a, semble t-il, bien compris le lien étroit qui unit

espace et identité. Sur la page de présentation de son site internet, il explique que « les

bâtiments historiques sont les symboles de notre identité culturelle ». Il poursuit : « le

style architectural, le choix des lieux sur lesquels les bâtiments sont construits, et les

matériaux utilisés, tout cela est dépendant de croyances sociales, de traditions, d’idées et

de cultures. Etudier les bâtiments historiques révèle non seulement les messages

artistiques que ces bâtiments contiennent, mais aussi leurs messages humains » 59. La

formulation est buissonnante, mais le message est clair. Et l’on est en droit de s’attendre a

ce que la politique de l’AAB reflète la vision qu’a le gouvernement hongkongais de

l’histoire du territoire, de sa culture, et de son identité.

A cet égard, dans « What is worth conserving », David Lung, membre et président de

l’AAB entre 1989 et 2003, identifie deux traditions architecturales distinctes à Hong

Kong. D’un côté, les villages avec enceinte (walled villages), les salles d’études, les

temples et les halls du culte des ancêtres, la plupart situés dans les Nouveaux territoires,

qu’il regroupe comme faisant partie de « l’architecture vernaculaire du Guangdong », qui

fait en fait écho aux grandes traditions culturelles et philosophiques de la Chine

continentale. En effet, par certaines de leurs fonctions symboliques, ces structures bâties

ont pour particularité, selon notre auteur, de refléter la relation harmonieuse entre

l’homme et la nature professée par une branche de la philosophie chinoise classique (le

taôisme) ; quant à la piété filiale et aux succès académiques, deux poncifs du

confucianisme, il y est fait allusion dans la constitution interne des maisons Hakka de Sai

Kung ou de Liu Man Shek Tong, par exemple, et par la magnificence des salles d’études

des villages claniques (voir le Kun Ting Study Hall par exemple). La seconde tradition

répertoriée est, on le devine, la tradition occidentale. Dans ses différentes variations

(styles edwardien, géorgien, victorien), le style britannique s’est parfois accommodé

59 Site internet du bureau des Antiquités et des Monuments, message d’introduction. Page accessible à l’adresse suivante : http://www.lcsd.gov.hk/ce/Museum/Monument/en/index.php (consultée pour la dernière fois le 13 octobre 2008).

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d’éléments locaux pour produire un style colonial particulier, comme l’illustre entre

autres le bâtiment principal de l’Université de Hong Kong. Quant aux autres écoles

européennes, comme le Bauhaus ou la Chicago School, elles ont elles-aussi laissé leurs

traces à Hong Kong ; voir, par exemple, le marché de Wan Chai…60 Tributaire de la

philosophie chinoise et du capitalisme occidental, l’architecture hongkongaise, comme le

territoire tout entier, semble donc, une nouvelle fois, être située à la croisée des chemins :

interface entre l’Orient et l’Occident, elle n’existe pas par elle-même - curieux écho à

l’histoire « officielle » du territoire…

Les conceptions de celui qui a longtemps dirigé l’AAB semblent en outre avoir trouvé

un prolongement concret dans la politique de celui-ci : comme nous le montre le tableau

qui suit, en termes purement quantitatifs, les bâtiments coloniaux sont tout aussi valorisés

que les temples et les maisons traditionnelles des Nouveaux territoires61. De manière

annexe, nous ferons aussi remarquer que, durant ses premières années, l’AAB semble

s’être surtout penchée sur le patrimoine archéologique et que, par la suite, le rythme

auquel ont été déclarés les monuments a été plutôt lent (2, 6 bâtiments déclarés/an), un

constat qui, a priori, peut être lu de deux façons62: le patrimoine hongkongais est

objectivement pauvre et peu de bâtiments valent la peine d’être protégés ; Hong Kong est

vue (y compris par les responsables de la préservation du patrimoine siégeant à l’AAB)

comme disposant d’un patrimoine pauvre qui ne vaut pas la peine d’être préservé63.

60 Lung David, “What is worth conserving”, discours prononcé durant la conférence In Search of Times Past organisée par l’Architectural Services Department, le Hong Kong Institute of Architects et la Recreation and Culture Branch, 3-4 septembre 1992.61 Ce classement a été réalisé à partir de la liste des monuments déclarés publiée par l’AMO : “Declared Monuments as at July 2008”. Les numéros précédant le nom des monuments listés correspondent à l’ordre dans lequel ces derniers ont été déclarés monuments : par exemple, le Fort de Tung Chung est le 22ème bâtiment du territoire à s’être vu gratifié du statut de monument par l’AMO. A noter que, dans un souci de lisibilité, nous avons volontairement évacué de ce tableau les monuments relevant du domaine de l’archéologie : il s’agit des rochés sculptés de Big Wave Bay (1), Kay Sai Chau, Sai Kung (2), Tung Lung Island, Sai Kung (3), Cheung Chau (14), Lung Ha Wan, Sai Kung (16) et Wong Chuk Hang, île de Hong Kong (28), des inscriptions des rochers de Joss House Bay (4), Shek Pik (5) et Po Toi Island (6), du four céramique du village Wun Yiu, Tai Po (20), du cercle de pierres de Fan Lau, Lantau (21), de la tombe Han de Lei Cheng Uk, Sham Shui Po (35) et des ruines de la porte sud de la Kowloon Walled City (62).62 Signalons ici que l’AAB reconnaît elle-même son faible bilan dans: Antiquities and Monument Office, Memorandum for members of the Antiquities Advisory Board, Review of the Relationship Between the Monument Declaration System Under the Antiquities and Monuments Ordinance (Cap. 53) and the Grading System of the Antiquities Advisory Board, Board Paper AAB/78/2007-08, 26 novembre 2008, p. 7.63 Il ne faut bien sur pas exclure les marchandages bureaucratiques et le manque de moyens dont a longtemps souffert l’AAB pour mener son travail. Mais la source profonde de ces deux raisons peut, in

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Passé pré-colonial Ere coloniale

9. Fort de Tung Lung, Sai Kung 7. Tung Chung Fort, Lantau Island

10. Village de Sam Tung Uk, Tsuen Wan 8. Marchés et lampes à gaz de Duddell Street, Central

11. Fort de Fan Lau, Lantau 12. Vieux bureau de district (Nord) de Tai Po

13. Village de Sheung Yiu, Sai Kung17. Island House (anciens quartiers des fonctionnaires gouvernementaux), Tai Po

15. Temple de Tin Hau, Causeway Bay 24. Observatoire de Hong Kong, Tsim Sha Tsui

18. Site of des anciennes douanes chinoises sur Junk Island, Sai Kung

25. Ancien commissariat de police de Stanley

19. Hall ancestral de Man Lun Fung, San Tin, Yuen Long

26. Façade de l'ancienne Cour suprême (Conseil législatif)

22. Fort de Tung Chung27. Façade du bâtiment principal de l'Université de Hong Kong

23. Temple de Man Mo, Tai Po 36. Flagstaff House, Cotton Tree Drive, Central

29. Ancienne gare de Tai Po Market37. Ancien bâtiment de la mission française (actuelle Cour d'Appel)

30. Hall ancestral de Liu Man Shek Tong, Sheng Shui

40. Ancien bureau de poste de Wan Chai

31. Vieille maison du village Hoi Pa, Tsuen Wan41. Ancien institut pathologique, Caine Lane, Sheung Wan

32. Manoir Tai Fu Tai, San Tin, Yuen Long 42. Marché de Western, Sheung Wan

33. Tour de guet de Kun Lung, Lung Yeuk Tau, Fanling

43. Tour de l'horloge de l'ancien terminal du Kowloon–Canton Railway Terminus, Tsim Sha Tshui

34. Temple de Yeung Hau, Ha Tsuen Yuen Long45. Ancienne école britannique de Kowloon, Tsim Sha Tsui

38. Maison hakka de Law Uk, Chai Wan46. Bâtiment principal du Lycée pour filles de St Stephen, Mid-Levels

39. Vieille maison du village Wong Uk, Sha Tin49. Façade du bâtiment principal de l'hôtel Helena May, Central

44. Hall d’étude de Kang Yung, Sha Tau Kok51. Anciens quartiers de la police maritime, Tsim Sha Tsui

47. Hall d'étude de Yi Tai, Kam Tin, Yuen Long52. Pavillon d’entrée de l’ancienne Mountain Lodge, The Peak

48. Murs d’enceinte et tours de guet de Kun Lung Wai, Fanling

53. Complexe du commissariat de police de Central, Hollywood Road, Central

50. Tour d’entrée de Ma Wat Wai, Lung Yeuk 54. Ancienne magistrature centrale, Arbuthnot Road,

fine, etre rammenée à ce manque d’intéret pour la culture hongkongaise dans la mesure où les moyens alloués à un organe et la position qui lui est réservée au sein d’un organigramme sont fonctions de l’importance qu’on lui accorde. A cet égard, notons aussi que Hong Kong ne possède aucune entrée parmi les 878 sites du patrimoine mondial répertoriés par l’UNESCO. Voir : whc.unesco.org/fr/list (dernier accès le 6 juin 2009).

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Tau, Fanling Central

61.Temple I Shing Temple, Wang Chau, Yuen Long

55. Victoria Prison Compound, Old Bailey Street, Central

63. Ancien Yamen de Kowloon Walled City 56. Façade du University Hall, Université de Hong Kong

64. Tour d’entrée et murs d’enceinte de Lo Wai, Lung Yeuk Tau, Fanling

57. Façade de Hung Hing Ying, Université de Hong Kong

65. Hall ancestral de Tang Chung Ling, Lung Yeuk Tau, Fanling

58. Façade de Tang Chi Ngong, Université de Hong Kong

66. Monastère Cheung Shan, Ping Che, Fanling 59. Government House, Upper Albert Road, Central

67. Hall ancestral de King Law Ka Shuk, Tai Po Tau Tsuen, Tai Po

60. Cathédrale St John, Garden Road, Central

68. Hall ancestral des Cheung, Shan Ha Tsuen, Yuen Long

70. Lycée St Joseph (Blocs nord et ouest), Kennedy Road, Central

69. Temple de Fan Sin, Sheung Wun Yiu 71. Phare de Waglan, Waglan Island

73. Hall ancestral des Tang, Ping Shan, Yuen Long 72. Phare de Tang Lung Chau, Tsuen Wan

74. Hall ancestral Yu Kiu, Ping Shan, Yuen Long 79. Morrison Building, Centre Hoh Fuk Tong, Tuen Mun

75. Pagode de Tsui Sing Lau, Ping Shan, Yuen Long

80. Phare de Cape D'Aguilar, D'Aguilar Peninsula

76. Temple de Hung Shing, Kau Sai Chau, Sai Kung 84. Maryknoll Convent School, Waterloo Road, Kowloon

Tong64

77. Temple de Tin Hau, Lung Yeuk Tau, Fanling 85. King Yin Lei, No. 45 Stubbs Road, Mid Levels

78. Hall ancestral Hau Ku Shek, Sheng Shui 86. Complexe architectural du phare de Green Island

81. Hall ancestral des Leung, Yuen Kong Tsuen, Pat Heung, Yuen Long

82. Hall d’étude Chik Kwai, Sheung Tsuen, Pat Heung, Yuen Long

83. Hall ancestral des Tang, Ho Tsuen, Yuen Long

Il nous faut toutefois reconnaître que la pertinence d'un tel classement est limitée du fait

de catégories toujours trop imprécises pour couvrir fidèlement la réalité qu’elles sont

censées embrasser, comme en témoigne l’exemple de la villa King Ying Lei : le bâtiment

a certes été construit dans les années 1930 mais, représentant du style Renaissance

chinoise, il ne peut néanmoins être considéré comme un bâtiment colonial. Ainsi, nos

catégories ne reflètent pas véritablement la teneur politique des bâtiments qui en

relèvent ; les deux phares de Tang Lung Chau ou de Cape d’Aguilar, par exemple, ont

64 En italique, les monuments déclarés durant la période qui a suivi le mouvement pour la préservation de l'embarcadère du Star Ferry et du Queen's Pier.

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certes été construits durant l’ère coloniale par le gouvernement colonial lui-même, mais

aucune mémoire coloniale particulière ne se rattache à ces bâtiments purement

fonctionnels. La remarque mérite d’être faite, si l’on se souvient que, lors de leur entrée

en fonction, les City District Officers mandatés afin de combler le fossé entre

l’administration coloniale et ses administrés au début des années 197065, refusaient

délibérément d’officier dans des bâtiments coloniaux ; conscients du caractère intimidant

de leur architecture, ils leur préféraient des bureaux décorés comme des magasins

locaux66, ces tong lau dont l’historien Frank Leeming dit qu’ils constituent les fondations

physiques, sociales et intellectuelles de l’habitat contemporain hongkongais67. Mais la

lacune fondamentale de notre classement des monuments déclarés est d’ignorer les

bâtiments qui auraient pu ou du y être inclus. Car, si l’espace n’est pas un point de départ

vide et pur, gouverné par les Nombres et les proportions, qui se laisse modeler par

l’architecte, il n’est pas non plus seulement un point d’arrivée, résultant d’une certaine

histoire et se faisant alors l’objectivation du social et par conséquent du mental (c’est-à-

dire, notamment, d’une identité particulière). Comme l’a montré Henri Lefebvre dans La

production de l’espace, il est davantage un « intermédiaire », aux mains d’un pouvoir,

qui n’est jamais neutre dans la façon dont il le modèle…68

Problématisation

Ainsi, mettre en valeur une pagode et démolir des logements sociaux historiques,

détruire un vieux marché pour y bâtir un nouveau centre commercial, ou transformer un

bâtiment colonial en un musée de faïence chinoise comme l’a fait le gouvernement

hongkongais est, on peut le penser, le produit d’une stratégie dont les déterminants ne

65 Outre leur simple présence au niveau local, les City District Officers étaient censés expliquer aux gouvernés les politiques mises en place par le gouvernement, évaluer ces dernières et les adapter aux spécificités du district dont ils avaient la charge. Ils devaient aussi être capables de capter les variations de l’opinion publique et de proposer des politiques susceptibles de répondre aux besoins nouveaux.66 Tsang Steve, op. cit., p. 96.67 Voir: Leeming Frank, Street studies in Hong Kong, localities in a Chinese city, Oxford University Press, 1977 et « Urban Transformation of Central District as a Place of Living », Exposition organisée par la Conservancy Association Centre for Heritage du 17 janvier 2009 au 28 mars 2009. Un tong lau est un bâtiment fonctionnel (en général, le rez-de-chaussée – souvent à plafond haut – était utilisé par un commerce, et aux étages supérieurs logeaient ses tenanciers et d’autres familles) cantonnais que l’on retrouve dans d’autres zones urbaines de la Chine du sud.68 Lefebvre Henri, Espace et politique, 2ème édition, Anthropos, 2000, pp. 34-35.

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sont pas tout entiers économiques et culturels. C’est d’ailleurs parce qu’elle « implique

des choix politiques et historiques sur les éléments constitutifs d’une communauté »69

que, depuis 2006 et le mouvement pour la préservation de l’embarcadère du Star Ferry et

du Queen’s Pier (MSQ), la politique de conservation du patrimoine est tellement

controversée. Ces derniers événements ont rendu à la mode le terme de « mémoire

collective », qui sert désormais d’étalon à toute évaluation de la politique de conservation

conduite par l’administration de la SAR. Ils ont aussi été à l’origine du paradoxe qui veut

que l’identité de la ville, jusqu’alors communément perçue comme « flottante »70, on l’a

vu, se trouve désormais incarnée par des bâtiments en dur comme, par exemple,

l’embarcadère du Star Ferry, les tong lau de Lee Tung Street ou les logements sociaux de

Shek Kip Mei, des édifices dont la valeur n’est pourtant pas inscrite dans leur

morphologie mais, à l’inverse, intangible, elle-même flottante71. Et surtout, parce qu’ils

sont supposés avoir révélé l’existence d’une « nouvelle conscience civique (…)

davantage soucieuse de la culture, du patrimoine et de l’identité du territoire »72, l’on peut

s’attendre à ce, qu’à leur suite, l’ « identité » du territoire hongkongais, précisément, soit

devenue un critère incontournable pour ceux responsables de la mise en place de la

stratégie de préservation du patrimoine hongkongais. C’est justement l’émergence de

cette nouvelle conscience civique et cette identité, telle que défendue par les activistes à

l'origine des initiatives en faveur du patrimoine et telle que projetée par la politique de

préservation du patrimoine du territoire, qu’il s’agira d’étudier.

Notre sujet est précis mais il est à replacer dans une perspective plus large ; le

patrimoine est un concept intégrateur et l’étudier soulève tout un ensemble de

problématiques secondaires. Ainsi, au travers de notre étude, ce qu’il s’agit d’observer est

aussi la façon dont se positionne Hong Kong par rapport à sa propre histoire (échelle

69 Veg Sebastian, « Le patrimoine culturel à Hong Kong », Perspectives chinoises 2007/2, pp. 48-51, 2007, p. 51.70 Henry Gérard, op. cit., p. 265.71 Veg Sebastian, art. cit., pp. 48-51, 2007.72 Chan W. K., “Urban Activism for Effective Governance – A New Civil Society Campaign in the HKSAR”, communication présentée lors de la conférence “First Decade and After: New Voices from Hong Kong’s Civil Society” organisée par l’antenne hongkongaise de l’université de Syracuse et Roundtable Social Science Society, 9 juin 2007, p. 11. Signalons que W. K. Chan est un ancien membre de l’AAB ; il a aussi officié au sein de Heritage Watch, de la Conservancy Association, de la Chambre de Commerce de Hong Kong etc.

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locale), par rapport à la Chine (échelle nationale) et par rapport au monde73 (échelle

internationale). Autrement dit : Hong Kong est-elle une ville postcoloniale, une ville

chinoise, ou une ville mondiale ?

Formulation des hypothèses

En rupture avec Abbas, qui voit dans la contingence la caractéristique principale de la

ville, c’est à des objets tangibles (les bâtiments) que nous allons nous intéresser afin de

répondre à ces questions74. En rupture avec Lau Siu-kai, qui a montré que les

Hongkongais se revendiquant comme tels étaient justement les plus prompts à quitter le

territoire hongkongais, nous allons nous attacher à étudier l’identité hongkongaise dans sa

spatialité, avec pour point de départ l’attachement démontré par certains d’entre eux à

certains lieux spécifiques d’un territoire déterminé75. Parce qu’ils nous semblent

témoigner de la prise de conscience, au niveau communautaire, d’une trajectoire

culturelle, historique et politique spécifique à Hong Kong, nous avons interprété les

mouvements sociaux en faveur du patrimoine comme les manifestations d’une nouvelle

étape dans le processus de localisation initié dans les années 1960. Il semble

effectivement logique qu’un tel processus en vienne, à un instant donné de son

développement, à investir la dimension spatiale de l’identité qu’il tend à mettre en avant.

Et le lien étroit et exclusif qui unit un territoire à ceux qui l’habitent a d’ailleurs été

explicitement établi par les militants du MSQ.

Or, dans une première partie, nous nous attacherons à démontrer que le MSQ n’a été

que le point culminant d’un processus amorcé longtemps avant lui, par ce que nous

appellerons « le culte du vernaculaire ». Les problématiques dont le mouvement est issu

et les thématiques dont il s’est saisi ne sont donc pas nouvelles, et le MSQ n’a pas donné

naissance à une nouvelle conscience civique plus soucieuse de la culture comme il l’est

parfois dit : il en a hérité. Selon nous, le caractère novateur qu’on lui prête souvent est à

73 Bien que le slogan relève avant tout d’une opération marketing destinée à « vendre » la marque « Hong Kong », la ville se présente comme “Asia’s World City” depuis le 10 mai 2001.74 Abbas Ackbar, op. cit.75 Ibid.

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situer à un autre niveau : celui de la mise en discours de la question du patrimoine,

désormais insérée dans une lecture politique de l’histoire du territoire. Les tentatives de

certains activistes de façonner pour Hong Kong une identité positive et la démarche

décolonisatrice dans laquelle ils entendent s’inscrire feront d’ailleurs l’objet d’une

attention particulière.

Dans une seconde partie, nous tacherons de voir quelle a été la réponse du

gouvernement aux revendications exprimées par la société civile en matière de

patrimoine et d’en apprécier la portée au regard des dynamiques économiques et

politiques qui traversent la SAR. Nous avons intitulé cette section « dé-localisation » car

la réaction de l’administration n’a pas été celle qu’appelaient les initiatives évoquées dans

notre première partie et il est improbable qu’elles parviennent à préserver le patrimoine

de la marchandisation qui le guette et lui fait perdre son sens. Nous analyserons cette

inconséquence comme le résultat à la fois d’un exercice de consultation défaillant et des

ambitions plus générales de Hong Kong, qui aspire à devenir une ville globale. Il ne faut

toutefois pas comprendre cette « dé-localisation » comme le fruit d’une stratégie

délibérément poursuivie par le gouvernement afin de mettre au pas la société civile et de

fondre Hong Kong dans la Chine populaire. Comme nous l’argumenterons de manière

détaillée en conclusion, les racines du processus de dé-localisation qui a suivi le

processus de localisation spontanément engagé par la société sont à chercher à la fois

dans l’histoire coloniale du territoire et dans les pressions politiques et économiques

attachées à son nouveau statut de Région administrative spéciale.

Positionnement face à la littérature existante

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Plusieurs auteurs ont tenté de définir l’identité hongkongaise76, notamment à travers les

arts77 et, depuis peu avant la rétrocession, il se trouve aussi des historiens pour tenter de

remédier au problème relatif à l’absence quasi-totale du peuple hongkongais des livres

d’histoire, qu’il s’agisse de ceux écrits par des Britanniques, ou de ceux écrits par des

Chinois. Des fragments d’histoire locale sont ainsi apparus, sous la forme de descriptions

de vieilles rues, d’albums photos, de mémoires personnelles etc. Néanmoins, aucune

« master narrative » n’est encore parvenue à narrer l’histoire des Hongkongais de

manière globale et cohérente78. De même, s’il est parfois fait allusion au processus de

localisation que nous évoquons, celui-ci n’a jamais fait l’objet d’une analyse

systématique et approfondie79. Aussi reconnaissons-nous volontiers le caractère intuitif de

notre analyse des mouvements pour le patrimoine en de tels termes. Ajoutons que peu

d’auteurs ont cherché à étudier la politique identitaire du gouvernement hongkongais.

Nous pouvons ici citer l’article de John Flowerdew, tout en notant qu’il ne se penche sur

cette question qu'au travers des discours de Tung Chee-Hwa et, qui plus est, des discours

donnés lors de son premier mandat (1997-2002) 80, et le livre d'Edward Vickers, qui se

propose d'étudier la politique identitaire du gouvernement hongkongais à travers l'histoire

comme discipline scolaire81. Et, sur la question plus précise de l’identité hongkongaise

dans la politique de conservation du patrimoine de la SAR, la littérature est davantage

limitée encore, la question du patrimoine ayant le plus souvent été traitée en relation avec

l’attrait touristique du territoire ou avec les problématiques d’aménagement urbain82.

76 Voir, entre autres : Liu William T., “Chinese Value Orientations in Hong Kong”, Sociological Analysis, Vol. 27, No. 2, pp. 53-66, été 1966 ; Baker D. R. Hugh, “Life in the Cities: The Emergence of Hong Kong Man”, The China Quarterly, no. 95, pp. 469-479, 1983, p. 479; Jacquet Raphaël, “Du réfugié au citoyen - Comment peut-on être hongkongais?”, Perspectives chinoises, numéro 41, mai-juin 2007, pp. 22-33 ; Gordon Matthews, Ma Kit-wai Eric et Lui Tai-lok, Hong Kong, China, Learning to belong to a nation, New York, Routledge Contemporary China Series, 2008.77 Voir, par exemple: Hooper Brian: Voices in the Heart: Postcolonialism and Identity in Hong Kong Literature, Peter Lang Publishing, décembre 2003.78 Lee Leo Ou-fan, op. cit., p. 18.79 Voir, par exemple: Mathews Gordon, Ma Kit-wai Eric et Tai-lok Lui, Hong Kong, China, Learning to belong to a nation, Routledge Contemporary China Series, New York, 2008, p. 9 ; Tsang Steve, op. cit., 2007.80 «Identity politics and Hong Kong's return to Chinese sovereignty: analysing the discourse of Hong Kong's first Chief Executive», Journal of pragmatics, 1er septembre 2004.81 In Search of an Identity: The Politics of History As a School Subject in Hong Kong , 1960-2005, Hong Kong, Hong Kong University Press, 30 janvier 2007.82 Voir, par exemple, Li Yiping et Lo Lap Bang Raymond, « Opportunities and Constraints of Heritage Tourism in Hong Kong’s cultural landscape”, Tourism and Hospitality Research, Volume 5, Numéro 4, août 2005, pp. 322-345.

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Sidney C. H. Cheung a néanmoins exposé comment, à Ping Shan, dans les Nouveaux

territoires, l’ouverture d’un parcours du patrimoine en décembre 1993 avait été, pour le

clan des Tang83, l’opportunité d’affirmer leur identité indigène face au pouvoir colonial

puis au gouvernement de la SAR84. Son article démontre ainsi que, si elle peut participer

à générer un sentiment d’appartenance, la préservation de l’héritage culturel peut aussi se

transformer en une arène politique ou la compétition fait rage. Cette conclusion a été

confortée par le MSQ (entre autres) même si, cette fois ci, ce qu’il s’est agit de défendre

n’était pas une culture indigène précoloniale, mais la culture hongkongaise dans son

ensemble, et que les demandes formulées par la société civile avaient une toute autre

ampleur que les requêtes du clan des Tang.

L’article d’Elizabeth Teather et Shung Ching Chow consacré au patrimoine

hongkongais conclut, lui, à l’absence de stratégie identitaire délibérée de la part du

gouvernement85. Mais la méthodologie utilisée - une classification brute des bâtiments

bénéficiant du statut de « monuments » similaire a celle que nous avons réalisée dans

notre introduction, qui ne tient donc compte ni du contexte dans lequel ils ont été classés

comme tels, ni des lieux que le gouvernement a choisi de ne pas protéger – peut sans

doute être améliorée. De plus, cet article entre en contradiction avec celui de Joan

Henderson, selon lequel il existe une volonté d’inscrire Hong Kong dans l’histoire

millénaire chinoise (incitant à percevoir la période coloniale une simple parenthèse),

même si elle entre en conflit avec le discours visant à attirer les touristes et qui insiste lui

sur le caractère international de la ville... 86

En outre, les campagnes récentes, et notamment le MSQ, montrent qu’un tel dessein

entre désormais aussi en conflit avec la conception de l’histoire hongkongaise qu’ont les

83 Originaires de la province du Jiangxi, les Tang ont immigré dans le Guangdong puis dans la région actuellement appelée les « Nouveaux territoires » à partir du 10ème siècle (dynastie des Song). Les quatre autres grands clans des Nouveaux territoires sont les Tang, Hau, Pang, Liu et Man. Sur le sujet, voir: Baker H. D. R., « The Five Great Clans of the New Territories », Journal of the Hong Kong Branch of the Royal Asiatic Society, pp. 25-47, 1966.84 Cheung Sidney C.H., “The meanings of a Heritage Trail in Hong Kong”, Annals of Tourism Research, Vol. 26. No. 3, pp. 570-588, 1999 et Cheung Sidney C.H., “Remembering through Space: the politics of heritage in Hong Kong”, International Journal of Heritage Studies, Vol. 9, No. 1, pp. 7-26, 2003.85 Teather Elizabeth et Chow Shung Ching, art. cit.86 Henderson Joan, « Heritage, Identity and Tourism in Hong Kong », International Journal of Heritage Studies, Vol. 7, No. 3, 2001, p. 219-235.

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Hongkongais (ou, du moins, d’une partie d’entre eux) eux-mêmes. A notre appui, l’article

que Sebastian Veg a consacré à la question du patrimoine culturel à Hong Kong, et qui

montre comment, au travers de ces diverses campagnes, c’est la question des éléments

constitutifs d’une communauté qui a été posée87. C’est d’ailleurs ce que suggérait déjà

Jeffrey Cody dans un article de 2002 que l’auteur concluait en établissant un lien entre les

demandes de préservation du patrimoine et le contexte politique (post-rétrocession) qui

les avait vu émerger, émettant l’idée selon laquelle un mouvement populaire (grassroots)

pourrait émerger88. C’est dans la continuité de ces deux dernières études que nous nous

situons.

Méthodologie de la recherche

Afin de tenter de répondre à notre problématique, nous tâcherons de voir en détail quel a

été l’impact des mobilisations en faveur de la préservation de certains lieux sur le

changement de la politique culturelle mise en place par le gouvernement. Les

informations, rapports et prises de position récoltés sur les sites internet de certains

acteurs de la société civile particulièrement engagés sur la question de la préservation du

patrimoine - le think tank Civic Exchange, the Conservancy Association, le collectif

d’activistes Local Action ou l’ONG Designing Hong Kong par exemple – seront ainsi

confrontés aux documents officiels publiés par le gouvernement de Hong Kong (les

« lettres à Hong Kong » du chef de l’exécutif et des membres du gouvernement, par

exemple) et par ses organes (Comité spécial d’initiatives pour la revitalisation du vieux

Wan Chai, Sous-comité de préservation du patrimoine du Conseil Législatif, Commission

sur la Culture et l’Héritage, AMO etc.). La grande majorité de ces documents est facile

d’accès puisque mise en ligne sur les sites des organes concernés. Il en est également

ainsi des déclarations de principe et programmes de certains partis politiques (le Civic

Party, par exemple) ou personnalités politiques, et des motions et comptes-rendus des

87 Veg Sebastian, art. cit., pp. 48-51.88 Cody, Jeffrey W., “Heritage as Hologram: Hong Kong after a Change in Sovereignty, 1997-2001”, in Logan William S., The Disappearing “Asian” City, Protecting Asia’s Urban Heritage in a Globalizing World, Hong Kong, Oxford University Press, 2002, pp. 185-207.

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travaux des commissions du Conseil législatif qui devraient, eux-aussi, nous aider dans

l’analyse.

Afin de pallier au déficit d’informations (provenant du problème linguistique et de

l’absence de détails de certains documents), de remédier aux problèmes d’interprétation

que nous avons pu rencontrer et de confirmer certaines de nos intuitions, nous avons

également eu recours à plusieurs entretiens semi-directifs. Nous avons ainsi rencontré

deux députés (Cyd Ho Sau-lan, qui a également pris part au MSQ ; Emily Lau Wai-hing,

qui a notamment siégé dans le sous-comité du panel des affaires intérieures consacré à la

préservation du patrimoine), des professionnels du patrimoine (Patrick Lau Sau-shing,

ancien directeur du Hong Kong Institute of Architects et également député ; Lee Ho-yin,

directeur du programme de conservation architecturale à l’université de Hong Kong et

membre de l’AAB ; Fione Lo, historienne travaillant à l’AMO ; David Au Chiu-wai,

responsable de la préservation du patrimoine pour l’Urban Renewal Authority) ainsi que

plusieurs activistes (Icarus Wong Ho-yin, l’un des grévistes de la faim du MSQ ; Mirana

May Szeto, professeur de littérature comparée à l’université de Hong Kong, qui a

également pris part au mouvement ; Ada Wong Ying-kay, ancienne conseillère de district

(Wan Chai) et fondatrice et directrice du Hong Kong Institute of Contemporary Culture,

qui a soutenu ce mouvement et siège actuellement dans le comité directeur de la réforme

de l’Urban Renewal Authority ; Chau Hei-suen Suki, membre fondatrice du Wan Chai

Livelihood Place). Pour finir, nous avons échangé des emails avec Lam Oi-wan,

journaliste (Ming Pao, InmediaHk, Global Voices…) et activiste ayant pris part au MSQ.

Ces entretiens et échanges d’emails se sont tous articulés autour de quatre thèmes

principaux (modulés en fonction des individualités interrogées) qui sont les suivants : 1)

Les institutions chargées de la préservation du patrimoine hongkongais ; 2) les

mouvements sociaux en faveur de celui-ci ; 3) la politique culturelle du gouvernement

hongkongais ; 4) l’identité culturelle de Hong Kong.

Outre ces sources primaires, nous nous appuierons sur des articles de journaux issus du

South China Morning Post et du Standard, deux quotidiens hongkongais de langue

anglaise qui ont publié de façon extensive sur les initiatives de la société civile

hongkongaise en matière de patrimoine. Le fait que nous ne lisions pas le Chinois nous

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prive de l’accès à nombre de journaux locaux de qualité tels le Ming Pao (明报) ou Apple

Daily (苹果日报), ainsi qu'à la newsletter de SEE Network, dont certains numéros sont

consacrés à Lee Tung Street et à l’embarcadère du Star Ferry. De même, l’information

disponible en anglais sur certains sites internet est limitée. Et il ne fait aucun doute que la

barrière linguistique aura constitué un obstacle de taille à l’accomplissement d’une étude

exhaustive et objective de notre sujet. A ce propos, notons aussi que Regina Ip Lau Suk-

yee, députée pro-Pékin et ancienne secrétaire à la sécurité, ainsi que Tom Ming de

l’AMO, ont refusé de nous rencontrer après que nous leur avons envoyé nos questions.

Témoins du degré de politisation de la question patrimoniale à Hong Kong, la défection

de ces deux personnalités de l’établissement a bien sûr influée sur l’objectivité de notre

mémoire. Mais celui-ci n’a jamais prétendu à la vérité, utopie de toute façon bien fragile.

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I. Localisation

Par « leur existence même et leur poids d’évidence»89, les bâtiments historiques peuvent

être vus comme les preuves les plus flagrantes de l’identité d’une société et, depuis

quelques temps déjà à Hong Kong, leur disparition sous la pression conjuguée de projets

immobiliers gargantuesques et d’un cadre légal impropre et dépassé a provoqué des élans

de nostalgie remarqués, symptomatiques d’une nouvelle étape dans le processus de

localisation en cours depuis les années 1960. En 1975, le déplacement de la gare du

Kowloon-Canton Railway de Tsim Sha Tsui (où se situe désormais le Hong Kong

Cultural Centre) à Hung Hom puis sa démolition, en 1978, avaient provoqué l’ire de

beaucoup ; en 1993, une effusion de nostalgie avait suivi la démolition de la Kowloon

Walled City90. Ce n'est néanmoins que depuis très récemment que la conservation du

patrimoine fait l’objet de revendications formelles de la part de la société civile. L’on

pardonnera ainsi à Barnabas H. K. Chung d’avoir écrit, en 2004, que les bâtiments du

territoire pâtissent de l’indifférence totale dont les Hongkongais font montre à leur

encontre91. Ce n’est effectivement qu’autour de cette date que cet attachement aux lieux

et le sentiment d’inquiétude généré par la nouvelle de leur disparition prochaine a pris la

forme d’un véritable culte (A), plus tard mis en discours durant le MSQ (B).

A. Culte du vernaculaire

89 Nora Pierre, « Entre mémoire et Histoire – la problématique des lieux » in Nora Pierre (dir.), op. cit., 1997, p. 7.90 Abbas Ackbar, op. cit., p. 68. Ajoutons qu’en 1998, un sondage de l’université chinoise citait « les pousse-pousse, les marchés de plein air, l’ancien district de Western, les lanternes traditionnelles et Bird Street » comme les réponses les plus fréquentes lorsqu’il était demandé aux sondés d’identifier les éléments de la « vie hongkongaise » (« Hong Kong’s life ») qu’ils considéraient comme « perdus ». Voir : Cody, Jeffrey W., art. cit., p. 193.91 Chung Barnabas H. K., “Introduction”, in Leung Andrew Y. T (éds.), Building Dilapidation and Rejuvenation in Hong Kong, Hong Kong, City University of Hong Kong Press, 2004, pp. IX-XIII.

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Alors qu’il est relativement commun de nourrir pour son patrimoine un « attachement

viscéral qui nous maintient encore débiteur de ce qui nous a faits », l’« éloignement

historique (devrait) nous obliger à considérer d’un œil froid l’héritage et à en établir

l’inventaire »92. Mais dans le contexte hongkongais, le recul historique garantissant cette

froideur nécessaire évoquée par Pierre Nora n’existe pas ; car ce ne sont pas des

bâtiments importants au regard de l’histoire du territoire mais ceux servant de support

aux activités quotidiennes que l’on cherche à préserver ; et ce n’est pas uniquement le

« sentiment d’un évanouissement rapide et définitif » mais aussi la réalité d’un tel

évanouissement du paysage urbain existant qui donne au plus modeste des vestiges la

dignité virtuelle du mémorable. C’est donc avec la même ferveur que l’on manifeste son

attachement à des lieux redécouverts d’un œil nouveau la veille de leur disparition et que

l’on établit l’inventaire de ceux qui comptent93 (1), de plus en plus souvent, les

« bâtiments des années 1950 et 1960, qui représentent le futur du patrimoine

hongkongais », mais aussi des terminaux de bus et des ensembles de logements sociaux

parmi les plus ordinaires (2)94.

1. « Love at last sight »95

Disparition

La lecture des lignes qui suivent ne doit pas faire oublier qu’il n’est pas rare de trouver

des propriétaires de bâtiments historiques s’estimant volés par le gouvernement lorsque

celui-ci, par l’intermédiaire de l’Autorité des antiquités (Antiquities Authority, AA ;

l’AA est désormais le secrétaire au développement), décerne à leurs biens immobiliers le

statut de monument. Selon la section 2A (1) de l’Ordonnance des Antiquités et des

Monuments (Antiquities and Monument Ordinance, « l' Ordonnance » par la suite)96, le

92 Pierre Nora, « Entre mémoire et Histoire – la problématique des lieux » in Pierre Nora (dir.), op. cit., p. 29.93 Ibid, p. 30.94 Lee Ho-yin, cité dans Toth Olivia, “Heritage Lost”, Hong Kong Tatler, janvier 2008, pp. 187-193, p. 192.95 L’expression est empruntée à Ackbar Abbas. Voir : Abbas Ackbar, op. cit., p. 23.96 Le nom complet de ce texte de loi adopté en 1971 et entré en vigueur le 1er janvier 1976 est  : “Antiquities and Monument Ordinance to provide for the preservation of objects of historical, archaeological and palaeontological interest and for matters ancillary thereto or connected therewith”. Le

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règlement gouvernant le système de déclaration des monuments hongkongais, l’AA peut

en effet, « après consultation de l’AAB et avec l’assentiment du chef de l’exécutif97,

déclarer monument tout lieu, bâtiment, site ou structure qu’elle considère comme

d’intérêt public en raison de son importance historique, archéologique ou

paléontologique »98. Les bâtiments s’étant vus conféré le statut de monument sont alors

protégés et toute action visant à « y planter des plantes ou des arbres, à y déposer de la

terre ou des déchets, tout comme celles ayant pour conséquence de (le) détruire, (l’)

obstruer, (l’) amputer, (le) dégrader ou (le) parasiter » sont interdites (à moins que leur

auteur ait obtenu une autorisation expresse de l’AA)99. Pareil honneur conféré à un

bâtiment rend donc impossible tout aménagement substantiel de ce dernier et, a fortiori,

sa destruction et rend par conséquent difficile la vente du site à des promoteurs

immobiliers potentiellement intéressés par le redéveloppement du site ; à la nouvelle du

statut décerné à leur bâtiment, beaucoup de propriétaires ont donc certainement ressenti

le même désarroi que Chiu Chi-man, le propriétaire du 53 Yen Chau Street (Sham Shui

Po), qui escomptait vendre son tong lau avant d’apprendre que celui-ci venait de recevoir

le grade de bâtiment de catégorie 1100. Notons aussi que la disparition ou la défiguration

de certains lieux n’a pas généré d’émois particuliers. Ainsi, la destruction des blocs de

logements sociaux de Shek Kip Mei n’a guère été accompagnée que de la sortie d’un

livre, celui du photographe Vincent Yu, et d’une exposition de ses photos101 ; celle de

plusieurs vieilles bâtisses de Sham Shui Po et notamment du 55 Kweilin Street,

l’ancienne demeure du New Asia College (depuis absorbé par la Chinese University of

régime protégeant les bâtiments s’étant vus conférés le statut de monuments est détaillé dans la section 6. A jour avec les pratiques de l’époque lors de son introduction, elle n’a toutefois incorporé ni les « Recommandations concernant la sauvegarde des ensembles historiques ou traditionnels et leur rôle dans la vie contemporaine » (UNESCO, 1976), ni la Charte de Burra (1979) lors des révisions subies en 1982 et 1986.97 Depuis un amendement de 1982, l’autorisation préalable du chef de l’exécutif n’est plus nécessaire à l’émission d’une déclaration de monument (declaration of proposed monument). Une telle déclaration conférant au site en question les mêmes protections qu’un monument à part entière durant une durée de 12 mois, cela permet potentiellement à l 'Antiquities Authority d’agir dans l’urgence pour sauver un bâtiment en instance de démolition (comme cela s’est passé pour la villa King Yin Lei).98 Antiquities and Monument Ordinance (to provide for the preservation of objects of historical, archaeological and palaeontological interest and for matters ancillary thereto or connected therewith), adoptée en 1976 et entrée en vigueur le 1er janvier 1976, section 2A (1).99 Antiquities and Monument Ordinance, 1971, section 6.100 Voir: Wong Olga et Ng Joyce, « Heritage grading feels like robbery, owner says”, South China Morning Post, 21 mars 2009. A noter que le grade 1 équivaut à celui de monument potentiel depuis une mesure récente sur laquelle nous reviendrons par la suite.101 Le livre en question: Yu Vincent, Our Home, Shek Kip Mei, 1954-2006, MCCM Creations, 2007.

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Hong Kong), où Ch’ien Mu, Tang Chun-I, Tchang Pi-kai dispensaient leurs

enseignements aux populations sans le sou dans l’immédiat après Seconde Guerre

Mondiale, n’a pas non plus généré autre chose que la sortie d’un livre et une brève

exposition.

Ainsi, le gouvernement n’est pas le seul responsable de leur destruction: à plusieurs

reprises, il a même sauvé certains d’entre eux de la démolition à laquelle les avaient

condamnés leurs propriétaires – même si ce fut à chaque fois sous la contrainte d’une

opinion publique désapprobatrice. L'on peut évoquer les cas du Kum Tong Hall – racheté

53 millions HK$ par le gouvernement fin 2002, et depuis transformé en un musée dédié à

Sun Yat-sen ou de la villa King Yin Lei, située sur Stubbs Road102. Mais c’est là est un

destin auquel aurait sans doute pu prétendre le Lee Theatre, le plus fameux cinéma de

Wan Chai, construit en 1925 sur Percival Street par le marchand d’opium Lee Hysan

pour sa mère (afin, dit-on, qu'elle n'ait pas à marcher trop loin pour assister à son

spectacle favori d'opéra cantonais103) et démoli en 1991, ainsi que bien d’autres édifices

aujourd’hui disparus. Car le fait est qu’aucun système ne commande les sauvetages in

extremis de bâtiments historiques par le gouvernement sinon, peut-être le degré

d’intensité de l’opposition publique. Et, le gouvernement hongkongais étant le principal

propriétaire foncier du territoire et tirant 40 % de ses revenus de la location de terrains, il

est souvent dans son intérêt de redévelopper des quartiers les plus anciens, où se trouvent

les principaux sites patrimoniaux104. Si les promoteurs immobiliers sont souvent blâmés

pour être les principaux responsables de la disparition des bâtiments historiques de la

ville, ils ne font donc qu’exploiter les intérêts du gouvernement. Et la législation

patrimoniale, lacunaire et désormais dépassée, leur facilite encore la tache. Le système de

déclaration des monuments mis en place en 1971, date à laquelle a été votée

l’Ordonnance, et entré en vigueur 1976, n’a pas été revu depuis lors. Ne conférant de

protection statutaire qu’aux monuments, tout bâtiment gradé mais dépourvu de ce statut

102 http://www.conservancy.org.hk/heritage/KTH_E.htm (dernier accès le 16 mars 2009). Premier individu d’origine chinoise anobli par la Reine, Sir Robert Ho Tung est également connu pour avoir mis fin à la grève de 150 000 pêcheurs et dockers en 1922, en payant à ces derniers la moitié des salaires non versés durant les 56 jours de protestation.103 Henry Gérard, « 160 ans de patrimoine franco-hongkongais », Paroles, no. 214, septembre-octobre 2008.104 Paul Zimmerman dans Toth Olivia, art. cit., p. 189.

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est également dénué de toute protection légale : chacun est libre de les démolir. En effet,

jusque très récemment, le système de gradation des bâtiments adopté en 1980 ne servait

que de guide interne (de nature administrative) et était utilisé dans l'unique but de faciliter

à l’AMO la tache qui lui incombe d’identifier les monuments historiques dignes d’être

protégés. Les grades sont les suivants :

- Grade I : bâtiments de valeur exceptionnelle pour la préservation desquels tous les

efforts possibles doivent être fournis.

- Grade II : bâtiments de valeur ; des efforts doivent être fournis pour les préserver de

manière sélective.

- Grade III : bâtiments non dénués de valeur mais pas encore aptes à être considérés

comme monuments potentiels. Leur archivage doit servir de base pour une sélection

future105.

La nature des « efforts » à fournir n’étant précisée nulle part, la conséquence logique est

qu’en 2007, 54 des 607 bâtiments gradés par l’AAB depuis 1980 avaient été démolis,

parmi lesquels les anciens quartiers généraux de HSBC, au numéro 1 Queen’s Road, La

Salle College, anciennement situé à Kowloon Tong (détruit en 1979) et le vieux bureau

de poste de Pedder Street, à Central106.

Par ailleurs, du fait des principes assez rigides édictés par l’Ordonnance et relatifs à

l’importance historique des lieux à préserver, les politiques de préservation se focalisent

sur les « points » (bâtiments individuels), à défaut des « lignes » (les rues) et des

« surfaces » (places, quartiers etc.)107. De là découle l’isolement des structures

105 www.lcsd.gov.hk/Ce/Museum/Monument/en/built3.php (dernier accès le 26 mai 2009). Pour un résumé de l’évolution de ces critères depuis 1980, l’on peut se reporter à l’annexe B du document suivant: Antiquities and Monument Office, Memorandum for members of the Antiquities Advisory Board, Review of the Relationship Between the Monument Declaration System Under the Antiquities and Monuments Ordinance (Cap. 53) and the Grading System of the Antiquities Advisory Board, Board Paper AAB/78/2007-08, 26 novembre 2008.106 Chan Quinton, “Old landmarks fade away”, reportage vidéo du South China Morning Post, 2007 (production : Glasser Mathew et Moore James) et consultable sur Youtube à l’adresse suivante: http://fr.youtube.com/watch?v=6lSHfOZGgXw (dernier accès le 27 mai 2009). Voir aussi: Toth Olivia, art. cit., p. 191.107 A titre de comparaison, notons qu’il existe en France la possibilité de préserver les pans entiers d’une ville : les « secteurs sauvegardés » (1962), tout comme il est possible de sauvegarder l’intégrité de

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patrimoniales préservées, souvent entourées de complexes commerciaux modernes ou de

tours résidentielles aux reflets marmoréens (et souvent affublées de noms

particulièrement indélicats : voir « The Billionaire », du côté de Nga Tsin Wai…) qui les

étouffent et les détachent de leur contexte original pour finalement donner au passant le

sentiment que ces lieux ne sont pas à leur place108. Le site internet Hong Kong Place fait

d’ailleurs état de la perte de 291 rues depuis le début du XXème siècle : un tiers dans le

district de Central et Western, 25 à Wan Chai, 44 à Kowloon City, 29 à Yau Tsim Mong

et 21 à Yuen Long109. Et, les promoteurs immobiliers étant souvent tentés de raser les rues

afin d’accroître la surface exploitable et d’augmenter la densité de leurs projets, le

processus se poursuit.

Yuen On Lane, à Sheung Wan, où était établi le plus ancien journal du territoire (le Wah

Kiu Yat Po), a par exemple été effacée par la Hollywood Terrace de Henderson Land. La

même entreprise a rayé de Wan Chai Tsing Kai Lane de Wan Chai pour y installer des

bureaux (au 248 Queen’s Road East). Cheung Kong Holdings a fait de Tung Man Street

(Sheung Wan), ancien centre de vente en gros de produits industriels, une rue sans issue,

au milieu de laquelle a été planté « The Centre » ; et un peu loin, où courait autrefois

Wing Shing Street, surnommée « Rue des œufs de canards » du fait des marchandises qui

s’y vendaient (ces œufs étaient notamment courus des pécheurs, qui enduisaient de leur

blanc les bouts et les filets de leurs navires afin de les protéger de l’érosion du sel marin),

l’on y trouvait aussi la traditionnelle maison de thé Tak Wan. A Mong Kok, Bird Street et

sa maison de thé Wan Loy, que les propriétaires d’oiseaux visitaient souvent, laissant les

cages à l’entrée, a également disparu sous la gigantesque tour de Langham Place,

complexe commercial de luxe qui perfore le cœur de Mong Kok mais que certains

observateurs n’hésitent néanmoins pas à décrire comme « élégant » et annonçant « un

futur plus pimpant et prometteur pour l’ensemble du district »110.

« conservation areas » en Grande-Bretagne (1965) ou de « historic districts » aux Etats-Unis (1966). Il en est de même à Macao ou les décrets No. 56/84/M et No. 83/92/M rendent possible la protection des « ensembles » et des « sites » aussi bien que des bâtiments individuels.108 Lau Patrick, “Unity of Opposites: The road ahead for Preservation and Development”, discours d’introduction délivré devant le Hong Kong Institute of Surveyors, “Preservation and Development – which should give way to which ?”, 3 décembre 2005.109 Wong Olga, « Old streets being wiped off map », South China Morning Post, 18 août 2008 et www.hk-place.com.110 Ingham Michael, op. cit., p. 184.

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Et les Services de Renouvellement Urbain (Urban Renewal Authority, URA), financés

par les deniers publics, agissent de la même façon. La politique de cet organe mandaté

par le gouvernement mais jouissant d'un grand degré d'autonomie à son égard nous

intéresse particulièrement dans la mesure où ses zones cibles sont par définition les

quartiers anciens de Hong Kong, où se trouvent les bâtiments réputés valétudinaires mais

aussi la plupart de ceux susceptibles d’entrer dans le patrimoine. Il convient donc de lui

consacrer quelques lignes111. L’URA a été établie le 1er mai 2001 afin de prendre la suite

de la Land Development Corporation (LDC), en place depuis 1987112. Alors que la LDC

se contentait de mener des projets de redéveloppement (libérer une zone suffisamment

vaste par la destruction de bâtiments délabrés afin de planifier un nouvel espace), l’URA

met théoriquement en place ce qu’elle appelle les « 4 R » : Redéveloppement,

Réhabilitation (qui consiste à prolonger la vie des bâtiments en coopérant avec leurs

propriétaires), Revitalisation (qui vise à redynamiser certains districts en mettant en

œuvre, souvent de manière simultanée, les trois stratégies mentionnées précédemment),

et Préservation113.

Si la mission qui lui est assignée est la même que celle de son prédécesseur - améliorer

la qualité des logements et des constructions au travers du renouvellement urbain - les

moyens mis à sa disposition sont tout autres : en matière légale, contrairement à la LDC,

l’URA dispose d’un droit de préemption114 et d’un accès privilégié aux logements publics

pour les résidents des zones redéveloppées, ce qui lui permet normalement de progresser

plus vite sur ses projets ; au niveau financier, alors que la LDC n’avait à sa disposition

que 100 millions HK$, l’URA dispose quant à elle de 10 milliards HK$ ; même si elle est

111 Entretien avec Au Chiu-wai David, responsable de la préservation du patrimoine pour l’URA, Office of the URA (Grand Millenium Plaza, Sheung Wan), 29 avril 2009, 18h00-19h00.112 Dans sa policy address de 1999, Tung Chee-hwa, l’ancien chef de l’exécutif hongkongais notait déjà qu’une stratégie active était nécessaire en matière de renouvellement urbain et que son objectif ultime devait être une amélioration du bien-être des citoyens hongkongais. Tung Chee Hwa, 1999 Policy Address, à l’adresse suivante : www.policyaddress.gov.hk/pa99/english/part5-1 (dernier accès le 6 juin 2009).113 Les plus cyniques ne se priveront pas de remarquer que «  Préservation » ne commence pas par un « r ».114 Les propriétaires des bâtiments devant être démolis ont le droit de négocier la compensation qui leur est proposée, mais ils sont dans tous les cas forcés de céder les lieux. Cette mesure a fait l’objet d’âpres débats lors de sa soumission au Conseil législatif, en juin 2000. Voir: Kam P. K., Ng Sik Hung et Ho Charles C. K., “Urban Renewal in Hong Kong – Historical Development and Current Issues” in Leung Andrew Y. T (éds.), Building Dilapidation and Rejuvenation in Hong Kong, Hong Kong, City University of Hong Kong Press, 2004, pp. 35-55.

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censée pouvoir s’autofinancer sur le long terme, cela lui permet en théorie de ne pas avoir

à sélectionner systématiquement les zones où le redéveloppement est lucratif, comme

était contrainte de le faire la LDC, et donc d’être plus soucieuse du patrimoine ainsi que

du bien-être des résidents115.

Néanmoins, en dépit de la stratégie des quatre « r », en mai 2009, seuls 11 des 200

dossiers traités par l’URA étaient des projets de préservation. En outre, ses 42 projets de

redéveloppement en cours vont rayer de la cartographie hongkongaise cinq vieilles rues

supplémentaires : la centenaire Yu Lok Lane (située à Sheung Wan, beaucoup de ses

bâtisses ont été construites avant la Seconde Guerre Mondiale, certaines disposant de

portes en bois comme on n’en trouve plus guère dans le territoire), Cornwall Avenue à

Tsim Sha Tsui, et Yan Shun Lane, Tung Yan Street et Yue Man Square à Kwun Tong.

Et, si l’URA semble faire marche arrière sur Staunton Street, son projet continue de

susciter la désapprobation de beaucoup, notamment parce qu’il implique le remplacement

de neuf des douze tong lau bâtis en terrasse sur Wing Lee Street116 (une rue où tournent

souvent les cinéastes réalisant des films se passant dans le vieux Hong Kong - en mars

2009, Cheung Yuen Ting y tournait ainsi son nouveau film), par une piscine privée117.

Un « activisme de cols blancs »...118

« C’est aujourd’hui seulement que la pioche les menace, que (ces rues et ces bâtiments)

sont devenus les sanctuaires d’un culte de l’éphémère » et c’est en réaction à la

disparition de ce paysage urbain vernaculaire que les mouvements de protestation sont

apparus119. Des batailles rangées entre le gouvernement et la société civile ont ainsi pris

place au sujet du complexe du commissariat de Central, qui attend d’être redéveloppé par

115 Malgré ses bonnes intentions, l’action de l’URA demeure néanmoins controversée, comme en témoigne le fait que, lorsqu’il leur a été posée la question de savoir si l’URA était du côté des citoyens ou des promoteurs immobiliers, les sondés se sont prononcés à 72% en faveur de la seconde option. Cela était en 2003, avant même que la question du patrimoine occupe une place de premier plan. Ibid.116 Par souci d’honnêteté, faisons remarquer que les résidents de Wing Lee Street, eux, sont contents d’être relogés et font même du lobbying auprès de l’URA afin que celle-ci mène son projet a bien le plus rapidement possible. Entretien avec Au Chiu-wai David, 29 avril 2009.117 « Urban Transformation of Central District as a Place of Living », Exposition organisée par la Conservancy Association Centre for Heritage du 17 janvier 2009 au 28 mars 2009.118 L’expression est de W. K. Chan, ancien membre de l’AAB (entre autres). Voir : Chan W. K., art. cit., p. 3.119 Aragon, Le paysan de Paris, Paris, Gallimard, Folio, 2007, p. 21.

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le Jockey Club120, de Government Hill121, du marché de Wan Chai (l’un des premiers

marchés intérieurs de Hong Kong et aujourd’hui l’un des derniers représentants du style

streamlined modern de la ville122) de la vente par le gouvernement du marché de style

Bauhaus de Central ou de celle de son ancien dépôt de livraison situé à Oil Street. Et,

depuis récemment, le souci s'est étendu à des bâtiments vernaculaires comme la Maison

bleue de Wan Chai, les tong lau de Lee Tung Street ou les logements sociaux de Ngau

Tau Kok. Même si la contestation prend à chaque fois des atours défensifs (il s’agit

toujours de convaincre de ne pas détruire ou défigurer un lieu), les modalités de la

protestation sont diverses, tout comme ses cibles : c’est tantôt un promoteur (Hopewell

Holdings est par exemple souvent cité, du fait de son projet de Mega Tower de 93 étages,

à Wan Chai, sans cesse repoussé depuis 1994123), tantôt l’URA ou le Town Planning

Board, qui est pris à partie par un article de journal124, une communication provenant d’un

parti politique125 et, comme c’est de plus en plus fréquemment le cas, par un groupe de

120 Pour celui-ci, le Central Police Station Compound Concern Group a propose le principe de « Monument First » duquel découle un processus en deux temps (two-phase tender exercise) : seuls les projets de redéveloppement répondant aux exigences minimales de préservation du patrimoine pourront être discutés lors d’une seconde étape. Voir, Patrick Lau, Trace, Touch, Thought, Office of the Hon. Patrick Lau, juillet 2008, p. 168.121 Sur le sujet, il est à noter la défense de la motion “Fully conserving the “Government Hill”” par le député élu au suffrage universel Fred Li (Parti Démocrate) lors de la session du Conseil législatif du 5 juillet 2006.122 Situé sur Queen’s Road East et construit en 1937, le marché avait été utilisé par les occupants japonais durant la seconde guerre mondiale. Il leur servait alors à y entasser les cadavres... Voir : The Hong Kong Institute of Architects, A Study on the Historical and Architectural Context of Wan Chai Market, mai 2004. Rénové en 1961, ce bâtiment de catégorie III a été évacué le 29 août 2008 et doit faire place à un luxueux complexe commercial et résidentiel réalisé par Chinese Estate Holdings pour le compte de l’URA. Au-delà de la perte d’un autre bâtiment ancien, notons que beaucoup des vendeurs de l’ancien marché n’auront probablement pas les moyens de payer 4000 HK$ par mois pour un emplacement au nouveau marché (ouvert le 1er septembre 2008) situé en dessous du complexe résidentiel de luxe « Zenith », soit juste en face de l’ancien, où l’emplacement coûtait 1000 HK$. C’est donc des réseaux sociaux qui se défont au même moment ou se poursuit la gentrification et l’homogénéisation du centre historique de Hong Kong.123 Ce projet de Mega Tower est désormais abandonné mais le projet qui lui a succédé (la construction du Hopewell Centre II), s’il est mené à terme, devrait oblitérer une grande partie de Ship Street et de son escalier de granite, ainsi que la totalité de Hau Fung Lane,124 Les exemples ne manquent pas dans notre mémoire. Voir les articles publiés par Olga Wong, Joyce Ng ou Chloé Lai dans le South China Morning Post et que nous citons de temps à autre. NB : les membres du Town Planning Board sont nommés par le chef de l’exécutif (en général pour deux années) ; ils ont pour rôle de préparer les « Outline Zoning Plans », les « Development Permission Area Plans », et de désigner les types de bâtiments pouvant être érigés dans ces zones. La Town Planning Ordinance (Cap. 131) qui établit le Town Planning Board a été amendée en juillet 2004 afin de remédier aux problèmes de transparence de ce dernier.125 Par exemple: Civic Party, Submission by the Civic Party to the Legco Subcommittee on Antiquities and Monuments (Withdrawal of Proposed Monument) (No. 128 Pokfulam Road), 12 mars 2008.

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citoyens organisés en « concern groups »126. Toutefois, ceux-ci non plus ne peuvent être

assimilés tant leurs ressources, et donc leurs modes d’action et leurs objectifs, diffèrent.

Quoi de commun, en effet, entre le Central & Western Group codirigé par John Batten,

expatrié propriétaire d’une galerie d’art, et le Sham Shui Po Renewal Concern Group,

formé presque exclusivement de commerçants et de résidents du district, parmi les plus

pauvres de Hong Kong ? S’il existe des contacts entre ces groupes, et si une coopération

est parfois envisagée, jusqu’au MSQ et à la coalition qu’elle a générée, c’est ainsi

principalement au cas par cas, sur un mode diffus, que s’est exprimé l’attachement

grandissant des Hongkongais pour leur patrimoine, et que se sont mises en place les

initiatives visant à le sauvegarder127.

Ces dernières ont parfois pris des formes originales : c’est en effet au travers d’une

pièce de théâtre d’ombres que, le 29 mai 2008 à Wan Chai, des commerçants et des

résidents de Sham Shui Po ont choisi de narrer l’histoire de leur communauté et d’attirer

l’attention de Carrie Lam Cheng Yuet-ngor (la secrétaire au développement - qui n’est

jamais venue) sur le sort que lui réservait le projet de redéveloppement de leur district128.

Mais en général, les revendications proviennent de groupes disposant de ressources

humaines non négligeables (un ou plusieurs ingénieurs, architectes ou urbanistes y

figurent souvent), bien organisés, et soucieux de maximiser le ratio entre les efforts

fournis et les résultats obtenus. Il en est ainsi, par exemple, du Central and Western

Concern Group. Son lobbying auprès de l’AAB concernant le complexe colonial des

Police Married Quarters, sur Hollywood Road, s’est révélé efficace puisque c’est suite à

l’enquête de terrain sur laquelle il a débouché qu’il a été établi que le site n’avait pas

126 Comme nous l’a fait remarquer Mirana May Szeto lors de l’entretien qu’elle nous a accordé, ce sont désormais les Hongkongais eux-mêmes qui prennent en charge la préservation de leur patrimoine, alors que les institutions autrefois versées sur le sujet étaient souvent dominées par des expatriés (on pense à la Royal Asiatic Society en particulier). Selon Mirana May Szeto, l’accent mis sur le vernaculaire (qui est désormais aussi celui des associations dominées par des non-Hongkongais) procède de ce changement sociologique. Entretient avec Szeto Mirana May, activiste et professeur de littérature comparée à l’université de Hong Kong, 19 février 2009, Hong Kong University main building, 11h00-12h00.127 Entretien avec Chau Hei-suen Suki, membre fondatrice du Wan Chai Livelihood Place 17 avril 2009, Wan Chai Livelihood Place, 15h-15h30.128 La pièce du Sham Shui Po Renewal Concern Group mettait en scène l’aspect convivial des vieux quartiers où l’espace public est mis à profit comme lieu de rencontre et de socialisation. Voir : Siu Chi-yiu Phila et Tam Yu-pik Ruby, “Play helps speak out conservation plea”, The Young Reporter, 26 mai 2009, article en ligne à l’adresse suivante: http://journalism.hkbu.edu.hk/tyr/index.php?option=com_content&view=article&id=173:play-helps-speak-out-conservation-plea&catid=35:society (dernier accès le 6 mars 2009).

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seulement accueilli une communauté chinoise au début de la période coloniale, mais

également le premier temple Shing Wong et, plus tard, l’historique Central School où

Sun Yat-sen étudia plusieurs années129. Et, sur son site, il ne se contente pas de réclamer

une meilleure préservation de l’histoire et du paysage urbain original, mais fait aussi la

liste des mesures concrètes à prendre pour y parvenir : que les nouveaux bâtiments ne

soient pas trop imposants (douze étages maximum), que leur design soit approprié aux

lieux ; que certaines rues soient désignées comme « rues de marché » afin que Graham,

Peel, Gage, Stanley et Gutzlaff Streets puissent continuer à opérer comme telles. Il

suggère aussi d’encourager la régénération organique des lieux en maintenant la propriété

privée et de limiter en intensité le développement du quartier, qui souffre déjà

cruellement du manque d’espace public, de la pollution etc. En outre, une pétition déjà

rédigée, à la fois en chinois et en anglais, est mise en ligne ; le visiteur n’a plus qu’à y

ajouter son nom et à l’envoyer au Town Planning Board130.

D’autres groupes agissent de manière similaire, proposant au surplus les outils

techniques permettant d’exécuter leurs propositions. Ainsi par exemple du K28 Sport

Shoes Street Concern Group (composé de représentants de propriétaires des magasins de

chaussures de sport131) de Mong Kok qui, avec l’aide de professionnels comme

l’architecte et député Patrick Lau, a soumis un projet alternatif à l’URA : le K28

Redevelopment Feasibility Study132. Si l'étude ne met pas explicitement l'accent sur la

valeur patrimoniale des lieux, le groupe justifie tout de même son action au nom du

paysage urbain unique né de l’évolution spontanée de la rue au cours des trente dernières

années (ainsi que sur une façon de commercer à laquelle ne peuvent se substituer des

centres commerciaux). C’est ensuite seulement que l’étude propose son projet alternatif

directement opératoire. Si celui-ci avait été suivi, seulement cinq des 25 bâtiments

auraient été démolis ; dans l’espace créé, un bâtiment pouvant servir d’hôtel aurait pu être 129 Antiquities and Monument Office, Former Hollywood Road Police Married Quarters, Site Investigation Report, Leisure and Cultural Services Department, 2007.130 www.centralandwestern.org/Y.H3.3/index.html (dernier accès le 26 mai 2009).131 Notons que les commerçants veulent conserver leur boutique, ceux qui habitent au-dessus sont d’accord pour être relogés ailleurs, moyennant compensation. Eux-aussi se sont d’ailleurs organisés via l’établissement du Sai Yee Street/Fa Yuen Street/Nelson Street Redevelopment Implementation Action Group, qui vise à hâter la mise en place du projet de renouvellement urbain promis par l’URA.132 Lau Patrick, Trace, Touch, Thoughts, Office of the Hon. Patrick Lau, juillet 2008, p. 164. Notons que « K28 » correspond aux coordonnées de la case dans laquelle est située Sneakers Street sur la carte de redéveloppement utilisée par l’URA.

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construit alors que les unités résidentielles originales auraient été transformées en

magasins et restaurants, en accord avec le plan de l’URA qui est de maximiser le ratio

commercial de Mong Kok. En outre, le projet propose la réhabilitation des bâtiments

(notamment par la mise à jour des mécanismes de prévention des incendies et

l’installation d’ascenseurs) et la transformation des toits en jardins, ce qui aurait permis

de remédier à l’absence d’espaces verts à Mong Kok133. Le projet a pourtant été rejeté par

l’URA qui, à la place, a proposé le projet « Sport City », comme elle proposera

« Wedding Card City » pour Wedding Card Street (aussi connue sous le nom de « Lee

Tung Street ») - nous y reviendrons134. Depuis récemment, pareilles initiatives se sont

multipliées au point de devenir communes, mais la protestation générée par le projet de

régénération de cette dernière doit faire l’objet d’une attention particulière du fait de sa

longévité, du changement d’intensité qu’elle a représenté, de la catégorie

socioprofessionnelle des personnes mobilisées, et du changement de paradigme qu’elle a

annoncé.

...Rejoint par les cols bleus

Située à Wan Chai, sur l’île de Hong Kong, entre Johnston Road et Queen’s Road East,

les tong lau de six étages de Lee Tung Street – qui a été baptisée ainsi en 1924 – ont été

érigés dans les années 1950 à l’initiative du gouvernement d’alors, qui souhaitait y

concentrer les industries d’imprimerie du territoire (une photographie de Lee Tung Street

est disponible en annexe 2)135. A l’époque, les quartiers du Hong Kong Times, du Ta

Kung Pao et du Wen Wei Pao étaient déjà établis dans le district136. Certains ont émis

133 Lau Patrick, Construct #3, Office of the Hon. Patrick Lau, septembre 2007, p. 12.134 Lors des événements du Star Ferry et du Queen’s Pier, Patrick Ho avait également promis aux députés que “les caractéristiques de l’embarcadère du Star Ferry (seraient) incorporées au design du nouveau front de mer de central”. Voir : “LCQ14: Rating of historical buildings”, à consulter à l’adresse suivante: www.info.gov.hk/gia/general/200612/06/P20061206159 (dernier accès le 5 mars 2009). Si l’on se demandait déjà comment il serait possible d’évoquer un embarcadère dans le design d’un remblai, ajoutons que le nouvel embarcadère (qui est censé être une copie de celui de 1912) est considéré par beaucoup comme une véritable horreur – nous y reviendrons également.135 La rue elle-même a été établie plus tôt – aux alentours de 1910 selon Cheng Po-hung. Cheng Po Hung, A century of Hong Kong Island Roads and Streets, Hong Kong, Joint Publishing (H. K.) Company Limited, 2001, p. 70.136 Peu de temps auparavant, Dai Wangshu, le poète et traducteur shanghaïen (1905-1950), y avait aussi établi un magasin de livres anciens. Mais le manque de recettes l’avait rapidement contraint à fermer ses portes.

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l’hypothèse selon laquelle l’objectif recherché était le contrôle des publications mais,

dans les années 1970, les magasins installés à Lee Tung Street se diversifient

progressivement : cartons de mariage et de funérailles, enveloppes, pochettes rouges dans

lesquelles sont enfouies quelques billets (laisee) lors du nouvel an lunaire, tout cela

provient désormais de Lee Tung Street, devenue le centre régional de production de ces

ustensiles ô combien importants pour le bon déroulement des moments parmi les plus

cruciaux de la vie des Hongkongais. C’est aussi à cette époque que la rue se voit affublée

du surnom de « Wedding Card Street », une appellation qui ne la quittera plus. Le 17

octobre 2003 néanmoins, l’URA fait savoir que la « rue des cartons de mariage » doit être

évacuée : la rue (ainsi que McGregor Street), située dans une aire de 8900 mètre carrés

nouvellement désignée comme zone à caractère commercial, doit être démolie pour

laisser place à un complexe résidentiel137. Début 2009, 54 de ses bâtiments (soit 930

foyers) ont effectivement disparus, mais dans l’intervalle, Lee Tung Street s’est faite le

théâtre d’une véritable confrontation entre, d’un côté, des résidents de Lee Tung Street

épaulés par quelques activistes et, de l’autre, l’URA.

Afin de coordonner leur résistance et d’agir de manière plus efficace, les riverains ont,

dès la publication du projet, créé le H15 Concern Group138. Principalement constitué de

résidents mais rejoint par des professionnels comme Tang Wing-shin, professeur de

géographie à la Baptist University, Christopher Law, architecte, ou Kenneth To,

urbaniste, le groupe a longtemps privilégié les workshops et les conférences aux

stratégies de confrontation, comme en témoigne l’organisation de plus de 60 workshops

et conférences (réunissant plus de 300 personnes à chaque fois) pour la seule année

2005139. A chaque fois y sont étudiées ou discutées des solutions alternatives au plan de

l’URA et aux méthodes de celle-ci, coupable aux yeux du H15 Concern Group d’ignorer

« les droits des premiers résidents de la rue », de mettre en danger les réseaux sociaux

articulés autour de l’agencement socio-économique de ses commerces (que les

commerçants puissent continuer à vivre derrière leur commerce a été l'une des demandes

137 Couvrant une surface de 8900 mètres carrés et nécessitant 3,58 milliards HK$ d’investissement, le Lee Tung Street/McGregor Street Redevelopment Project est le plus important et le plus cher entrepris par l’URA à ce jour. Voir : http://www.ura.org.hk/html/c800000e23e.html (dernier accès le 9 mars 2009).138 Comme K28 pour la Sneakers Street de Mong Kok, « H15 » correspond aux coordonnées de la case dans laquelle est située Lee Tung Street sur la carte de redéveloppement utilisée par l’URA.139 Yung Chester, « A community fights for its soul », The Standard, 11 juillet 2005.

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formulées), et de détruire le caractère unique de la rue140. De nombreux « plans de

redéveloppement respectueux des résidents (people-oriented) » ont ainsi été remis au

Town Planning Board. Et, parce que « Lee Tung Street est le trésor de Wan Chai (et que)

sa valeur ne peut être mesurée en termes monétaires »141, c’est de manière délibérée que

les activistes du H15 Concern Group ont toujours refusé de justifier l’existence de Lee

Tung Street en termes de rentabilité économique dans les divers projets alternatifs

soumis142. Il n’est pas question ici de disséquer le contenu de chacun d’entre eux ;

l’essentiel des revendications du H15 Concern Group se trouve résumé dans le Dumbbell

Proposal que le groupe a proposé à l’URA comme alternative à la destruction de la rue143.

S’il avait été accepté – ce qui n’a pas été le cas -, l’ensemble de la rue aurait été

préservé et, au surplus, il aurait été possible pour les résidents de refuser la compensation

pécuniaire de l’URA et de se voir offrir quelque chose d’autre à la place, une option

néanmoins non prévue par le règlement de l’URA144 ; pour finir, le droit d’être relogé

dans le même district aurait été garanti également, une demande qui témoigne d’un

attachement profond aux lieux et aux réseaux sociaux construits au fil des années 145. Car

c’est avant tout la défense de la communauté qui a été mise en avant par les résidents de

Lee Tung Street opposés à la destruction de leur rue. Comme a pu le dire Christopher

Law, architecte créateur d’Oval Partnership, directeur de la Family Welfare Society et du

Centre for Community Renewal du St. James’ Settlement, et également le principal

architecte du Dumbbell Proposal, s’il faut bien sûr maintenir ce qui rend Wan Chai

unique, sans quoi le quartier est voué à devenir « une simple vis dans une machine qui la

dépasse », « le danger de la préservation est de se concentrer sur le bâtiment lui-même ».

140 La réforme qu’a subi le règlement de l’URA (Urban Renewal Authority Ordinance, section 24) en 2001 donne en effet à l’URA un droit de préemption sur n’importe quel type d’habitation privée. Le montant de la compensation versée peut éventuellement être débattu devant le Lands Tribunal par les résidents expropriés mais ceux-ci sont dans tous les cas forcés de céder leur propriété à l’URA, sous peine d’avoir à passer devant le tribunal. Voir: Kam P. K., Ng Sik Hung et Ho Charles C. K., “Urban Renewal in Hong Kong – Historical Development and Current Issues” in Leung Andrew Y. T (éds.), op. cit., pp. 35-55.141 http://www.metamercury.net/images/LeeTungStreet/ (dernier accès le 5 mars 2009).142 Yung Chester, art. cit.143 Chau Winnie, “Our Town”, Hong Kong Magazine, 10 octobre 2008.144 Le nom officiel du règlement de l’URA entré en vigueur le 1er mai 2001 est le suivant: An Ordinance to establish the Urban Renewal Authority for the purpose of carrying out urban renewal and for connected purposes.145 Le plan en question a été rejeté en février 2005 du fait de son absence de Transport and Environmental Assessment. Review. Soumis au Town Planning Board une nouvelle fois en mai 2005, le plan a essuyé un autre refus en juillet de la même année. Yung Chester, art. cit.

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L’essentiel n’est plus dans ce dernier, mais dans ce dont il est le support ; en l’espèce :

une communauté humaine dynamique. Certes, la défense d’une telle cause est un

phénomène peu nouveau à Hong Kong : en 1963 déjà, les résidents des bidonvilles

(nationalistes) de Rennie’s Mill s’étaient opposés avec violence a un gouvernement

décidé à raser leurs logements146 et des événements relativement similaires ont inspiré à

Jacob Cheung son Cageman (1992)147. Néanmoins, dans le cas de Lee Tung Street, la

communauté n’est plus perçue en termes affectifs seulement : les liens d’amitié ou de

fraternité qui la traversent sont considérés comme relevant du patrimoine culturel. En

d’autres termes : ce qui est entendu comme faisant la spécificité de Wan Chai n’est plus

seulement un décor (dont Lee Tung Street fait partie) mais également ceux qui l’habitent.

Peut-être est-ce d’ailleurs parce que le projet de l’URA programmait la destruction de

l’un comme de l’autre que la confrontation a pris des proportions aussi intenses.

A ce propos, la campagne de Lee Tung Street aura permis de faire lumière sur la

surpuissance des moyens dont dispose l’URA pour mener son travail de renouvellement

urbain, un travail censé bénéficier à des résidents qui, le plus souvent pourtant, sont

contraints de déménager ailleurs. En juin 2005, 85% des résidents de Lee Tung Street

avaient accepté la compensation de 4 079 HK$ par pied carré proposée par l’URA et

s’apprêtaient ainsi à quitter les lieux. Les modalités des négociations ont d’ailleurs fait

débat puisque l’URA interdit aux résidents de dévoiler aux autres le montant de la

compensation qu’ils ont acceptée, ce qui rend impossible toute coopération de la part de

ces derniers. Alors que la préservation des liens communautaires était l’un des principaux

arguments mis en avant par les résidents opposés au redéveloppement de leur rue, une

146 Lau Chi-kuen, Hong Kong’s Colonial Legacy, Hong Kong, The Chinese University Press, 1997, p. 128. A noter que des événements comparables se sont à nouveau produits à Rennie’s Mill en 1996. Voir, par exemple, « Rennie’s Mill Residents Win Battle for Damage », South China Morning Post, 28 juin 1996.147 Cageman traite de ces hommes d’âge moyen qui, faute d’un logement véritable, louent un lit entouré de grillages (une « cage ») dans de vastes dortoirs. Dans son film, Jacob Cheung nous présente des « cagemen » préférant renoncer à la compensation proposée par le gouvernement que de couper les liens avec leur communauté. C’est par la force qu’ils sont finalement délogés de leur dortoir, nouvellement acquis par un promoteur immobilier. Voir, entre autres : Veg Sebastian, « Anatomie de l’ordinaire – renouveau du cinéma indépendant hongkongais », article non publié, communication privée de l’auteur. Selon la Society for Community Organization, environ 100 000 personnes vivent toujours dans de telles cages à Hong Kong. Voir : http://www.soco.org.hk/artwalk2009/index.htm (dernier accès le 5 mars 2009).

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telle clause a également eu pour conséquence fâcheuse de faire des « amis d’hier des

étrangers »148.

Quoiqu’il en soit, à partir de 2005, ce sont donc ces 15 % restant qui s’opposeront à

l’URA au cours d’une bataille rangée qui prendra parfois les atours d’une véritable

confrontation. Les plans alternatifs refusés sans raison crédible, la défection des anciens

amis, l’approche de la date fatidique sont autant de raisons qui peuvent expliquer

l’envenimement de la situation. Mais un bilan objectif ne doit pas omettre la

responsabilité de l’URA, elle-aussi partie prenante à ce jeu à qui perd gagne, et dont

l’intransigeance s’est révélée proportionnelle au montant investi dans le projet de

redéveloppement, le plus cher qu’elle ait jamais entrepris149. A plusieurs reprises, certains

de ses fonctionnaires ont ainsi rendu visite aux résidents de Lee Tung Street à leur

domicile, parfois sans l’avis de visite ou l’invitation normalement requise. Et la visite de

cinq fonctionnaires de l’URA à Henry Kuang Jingxiang, l’un des landlords ayant persisté

dans son refus de la compensation proposée par l’URA, le 4 août 2006, a été perçue

comme davantage qu’une violation de la vie privée. Si, officiellement, les cinq hommes

sont venus s’enquérir de la santé mentale du résident (un sujet pour le moins éloigné des

problématiques relatives au renouvellement urbain), certains, comme Chan Pak-tai du

H15 Concern Group, pensent que la manœuvre avait pour but de débusquer la preuve que

Henry Kuang n’était pas un résident permanent de Lee Tung Street, ce qui aurait permis

de le priver de son droit à une compensation. Le même Chan à également émis

l’hypothèse selon laquelle la visite de l’URA était destinée à récolter des informations

médicales susceptibles d’être utilisées pour discréditer le résident, si son cas devait être

traduit en justice150.

Le même climat délétère régnait toujours sur Lee Tung Street quand, le 5 octobre de

l’année suivante, quinze sympathisants de la cause du H15 Concern Group (dont Icarus

Wong Ho-yin, qui s’était illustré lors de l’occupation du Queen’s Pier la même année, -

nous y reviendrons - et Leung Yuk-hei, âgé de 17 ans à l’époque des faits) sont arrêtés

148 http://tct.wanchaiinfo.hk/index.php?op=ViewArticle&articleId=506 (dernier accès le 5 mars 2009).149 L'URA y a investi plus de 3,58 milliards de HK$. Voir Yung Chester, art. cit.150 Asprey Donald, « URA violated my privacy », South China Morning Post, 23 août 2006.

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par la police au motif qu’ils occupent l’espace public. Le comportement de celle-ci,

notamment lors d’une fouille au corps, a donné lieu à une petite controverse dans laquelle

est intervenue la députée Cyd Ho (peut-être parce qu’Icarus Wong Ho-yin compte

désormais parmi ses assistants)151 et qui a débouché sur une plainte remise au comité

contre la torture des Nations Unis lors de sa réunion à Genève, en novembre 2008152.

Mais la confrontation n’atteint son point culminant qu’en décembre 2007, quand

commence la destruction de la rue alors même qu'un nouveau plan du H15 Concern

Group devait être étudié par le Town Planning Board en janvier 2008153. Le 23 décembre

l’arrivée des premiers bulldozers conduit ainsi May Yip Mee-yung, commerçante de 59

ans, à initier une grève de la faim154. Fernando Cheung Chiu-hung, vice-président du

Civic Party et membre du sous-comité du Conseil législatif dédié à la préservation du

patrimoine, l’invite à y mettre fin et suggère au gouvernement de prendre le temps

d’étudier le plan alternatif soumis par le H15 Concern Group155 ; il va jusqu'à rencontrer

Carrie Lam, la secrétaire au développement, dans l’espoir de lui faire changer d’avis sur

le sort réservé à la rue156. Mais rien n’y fait. Et le 24 décembre 2007, lorsque Barry

Cheung, le directeur de l’URA, vient s’enquérir de la santé de May Yip mais finit par

reprocher à son geste de ne pas être « constructif », la situation s’envenime et la retraite

de Barry Cheung doit se faire sous escorte policière, alors que des protestataires prennent

d’assaut sa voiture157.

A Hong Kong, la démolition des vieux bâtiments de la ville ne provoque donc pas

seulement les lamentations des cols blancs et des érudits. Elle génère aussi d’authentiques

déchirements émotionnels de la part des personnes immédiatement impliquées - que la

garantie d’un logement plus salubre et moderne suffit de moins en moins souvent à

151 Chui Timothy, “Ho seeks records after strip-searches”, The Standard, 11 octobre 2007.152 Entretien avec Icarus Wong Ho-yin, activiste, 11 février 2009, bureau de Mme Cyd Ho, 15h-16h.153 Le plan suggérait de préserver 30 tong lau, de retirer cinq étages à quatre tours proposées par l’URA et d’abandonner l’idée du parking souterrain. Voir: « Urban renewal chief chased by 'Wedding Card Street' protesters”, South China Morning Post, 25 décembre 2007.154 La grève de la faim de May Yip prendra fin le 27 décembre, après son entrée à Queen Mary Hospital consécutive à son évanouissement.155 Voir: “Lee Tung protesters to step up action”, The Standard, 27 décembre 2007. Le Civic Party (démocrate) est probablement le parti le plus soucieux du patrimoine hongkongais. Cela est peut-être du à la présence du directeur de la Conservancy Association Albert Lai dans ses rangs ( il est le que vice-président du parti).156 « Hunger strike fails to save street », The Standard, 28 décembre 2007.157 Voir: “Lee Tung protesters to step up action”, art. cit.

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satisfaire -, des déchirements qui, on le voit, sont susceptibles de dégénérer en violence.

A cet égard, les affres de Lee Tung Street témoignent aussi du chemin parcouru par la

société hongkongaise depuis l’époque où on la décrivait comme un simple assemblage

d’individus pragmatiques (les fers de lance de la fameuse « mentalité de réfugiés ») prêts

à quitter le territoire à la moindre promesse d’un avenir meilleur et de conditions de vie

plus confortables...

2. Des totems ordinaires

Poussées vers l’intangible et l’immatériel

A un autre niveau, alors que, selon une étude de Heritage Hong Kong datée d’avril

2007, le MSQ témoigne d’un changement d’entendement du terme « patrimoine »158 et

d’un glissement d’une appréhension traditionnelle du terme (c’est-à-dire axée sur la

valeur esthétique et l’importance historique d’un bâtiment) vers une appréhension prenant

davantage compte des valeurs qui lui sont associées et de la proximité de l’objet

patrimonial avec le public et le temps présents, il nous semble qu’un tel glissement peut

déjà être décelé dans la campagne de Lee Tung Street et son emphase sur les liens

communautaires comme objets patrimoniaux. Mais les initiatives de Hulu et du Wan

Chai Livelihood Place qui officient respectivement à Ngau Tau Kok et Wan Chai

illustrent de manière plus explicite encore combien «  un patrimoine n’a de sens qu’en

fonction d’un rapport à une identité et aux institutions qui contribuent à la fonder et à

l’affirmer. Son sens est indissociable d’un processus temporel et d’un horizon local,

d’une installation dans le monde, d’une relation vivante de ceux qui habitent avec leur

passé, relation qui n’a rien à voir avec une curiosité déracinée »159. Et la manière dont

s’exprime le regret anticipé de Hing Wah Street, Un Chau Street, Castle Peak Road et du

Ngau Tau Kok Lower Estate, tous en instance de démolition, est symptomatique de la

158 Heritage Hong Kong, Heritage Conservation Position Paper, avril 2007, p. 6. A vrai dire, l’on peut affirmer que ce glissement ne fait qu’opérer un juste retour aux origines du patrimoine puisque les premiers objets assimilables au patrimoine sont les reliques christiques, des preuves matérielles, certes, mais dont la valeur découlait de ce qu’elles avaient d’immatériel. Voir : Chastel André, « La notion de patrimoine » in Pierre Nora (dir.), op. cit. 159 Choay Françoise, op. cit., p. 322.

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manière dont les Hongkongais réagissent de plus souvent à la disparition, en cours ou à

venir, de certains bâtiments du territoire.

Depuis que la nouvelle de leur fin prochaine en vue d’un renouvellement du parc de

logements sociaux par la Housing Authority, les restaurants engoncés entre les blocs

quadragénaires du Ngau Tau Kok Lower Estate ont probablement réalisé les meilleurs

chiffres d’affaire de leur histoire et jamais auparavant, sans doute, les tours vertes pâles

qui les dominent n’avaient été autant photographiées (nous avons d’ailleurs placé une

photographie du Ngau Tau Kok Lower Estate en annexe 3). Début 2009, l’affluence était

telle que la Housing Authority s’est vue contrainte de placarder des affiches quémandant

aux visiteurs de ne pas se faire trop envahissants et de respecter la tranquillité des

résidents… C’est aussi à peu près au même moment qu’un petit collectif répondant au

nom de Hulu s’est mis en place, installant ses quartiers généraux de fortune dans une

vieille maison de thé locale (cha chaan teng ou 茶餐廳 ). Aucune revendication

particulière de sa part, son objectif est le suivant : documenter les lieux et « leur esprit »

avant qu’ils ne disparaissent, et se constituer en une plateforme permettant aux résidents

d’échanger leurs souvenirs avant qu’ils ne soient oubliés160. La page d’introduction de son

site internet décrit ainsi les scènes ordinaires dont Ngau Tau Kok a longtemps été le

théâtre : les vieillards assis sur d’antiques tabourets, les longs couloirs où des ombres

volubiles conversent, les voix, lourdes, qui interpellent le passant, l’odeur du thé aux

herbes qui s’échappe d’un magasin adjacent etc. : l’accent est mis sur l’urbain en tant

qu’expérience (living experience)161. Le groupe est officiellement apolitique, mais la ville

qu’il lamente s’oppose radicalement à l’urbanisme moderne et froidement rationnel

préconisé et mis en œuvre par l’URA.

En cela, il est à rapprocher du collectif Wan Chai Livelihood Place. Comptant une

vingtaine de membres actifs, tous résidents de Wan Chai, celui-ci cherchait depuis 2004 à

ouvrir un petit musée sur Stone Nullah Lane, en-dessous de la Maison bleue (Blue

160 Une exposition des œuvres de neuf artistes locaux a ainsi été mise en place  : « Lower NTK Estate Dinner Bell – Resettlement Estate Farewell Exhibition ». Elle entend présenter « l’âme et le style de vie indigènes » de Ngau Tau Kok. D’autres activités ont aussi été organisées parmi lesquelles le recueil de souvenirs de résidents, enregistrés comme histoire orale. Voir : www.hkhulu.com.hk/NTKopenRice/menu (dernier accès le 26 mai 2009).161 www.hkhulu.com.hk/NTKopenRice/menu (dernier accès le 26 mai 2009).

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House) et peu loin du vieux marché et de Lee Tung Street, afin de « préserver et propager

l’essence de la culture de Wan Chai »162. Trois années plus tard, son vœu a été exaucé par

le Lands Department et le musée a ouvert ses portes le 3 février 2007. Fidèle à la pensée

de Marcel Mauss qui déclarait qu’une « cuillère nous en apprend autant qu’un

masque »163 et émulant une exposition mise en place par la Society for Community

Organization pour un autre quartier populaire (Sham Shui Po, du côté de Kowloon) un an

plus tôt164, il expose principalement des artefacts de la vie quotidienne du quartier. Mais

sont aussi mis en place des visites de celui-ci ainsi que des workshops traitant de l’esprit

local (« local wisdom ») et mettant en valeur les professions des secteurs les plus

modestes de la population (« grassroots professions ») : tenanciers de dai pai dong (大排

檔), vendeurs dans les vieux marchés du quartier et autres emplois désormais menacés165.

Le point focal du musée n’est donc pas tant l’artefact que l’homme – ou, pour être exact,

le résident de Wan Chai - dans sa plénitude ; et en cela, il s’inscrit pleinement dans la vie

civique et contemporaine. Notons à cet égard que, bien que l’idée du Wan Chai

Livelihood Place ait émergé au moment de la confrontation qui a mis aux prises les

résidents de Lee Tung Street et l’URA, aucune photo de la « rue des cartons de mariage »

n’est présente dans le musée et le Wan Chai Livelihood Place n’a jamais soumis aucune

demande relative à la préservation d’un bâtiment ou d’un marché de Wan Chai au Town

Planning ou à l’URA. D’après Chau Hei-suen Suki, membre fondatrice du Wan Chai

Livelihood Place, de telles méthodes « feraient fuir plusieurs de nos membres »166.

Toutefois, la principale raison nous semble être ailleurs : elle tient au fait que le Wan

Chai Livelihood Place n’a pas grand-chose à voir avec les résidents de Lee Tung Street

qui, pendant cinq années, se sont acharnés à défendre chacun des cinquante-quatre

édifices en dur de la rue167. Wan Chai Livelihood Place, lui, s’attache aux souvenirs et à

l’esprit associés aux lieux plutôt qu’aux lieux eux-mêmes. Si, comme Hulu, il constitue

162 http://cds.sev227.001at.com/WLM/about.html (dernier accès le 22 mars 2009).163 Jadé Mariannick, op. cit., p. 59.164 « Our Life in West Kowloon », www.soco.org.hk/117/index.htm (dernier accès le 27 mai 2009).165 Prospectus du Wan Chai Livelihood Place.166 Entretien avec Chau Hei-suen Suki, 17 avril 2009. A noter que Suki Chau a, quant à elle, pris part à la campagne.167 Nuançons toutefois notre propos en rappelant que c’était prioritairement aux activités socio-économiques dont ces tong lau étaient le support que les résidents de la rue étaient attachés. Un aspect sur lequel le Wan Chai Livelihood Place, qui constitue une plateforme permettant aux résidents de Wan Chai de nouer contact, insiste lui-aussi.

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bien une réaction à une perte, c’est à une perte in fine acceptée ; une réaction au passage

du temps que l’on ne cherche néanmoins pas à retenir.

Par leur rejet de la matière, ces deux collectifs sont aussi à rapprocher des soucis

manifestés pour le patrimoine dit intangible comme les marchés en plein air ou les dai

pai dong, ces gargotes à nouilles populaires dont les tables sont disposées à même le

trottoir qui sont nées en réponse à une régulation mise en place par le gouvernement

colonial peu après sa prise de pouvoir168, et dont la valeur n’est certainement pas dans les

structures. C'est d'ailleurs bien la culture du dai pai dong que le Hong Kong Heritage

Museum a entrepris de documenter en mettant en place une équipe afin de les

photographier et tourner des vidéos169 ; c’est encore l’esprit de ces lieux de socialisation

surnommés « les night clubs du pauvre » par Cheng Po Hung170 que Patrick Lau a

cherché à défendre à travers la motion que le député de The Alliance a défendue au

Conseil législatif le 23 novembre 2005 (dans laquelle il dressait d’ailleurs un parallèle

entre les dai pai dong hongkongais et les cafés parisiens171).

Cette poussée vers l’immatériel était également perceptible dans l’attachement

manifesté envers les marchés de plein air172. Celui de Graham Street, notamment parce

168 La nouvelle règle exigeait que tous les restaurants disposent de toilettes, ce qui rendait plus difficile l’obtention de la licence adéquate. L’on s’est donc mis à vendre de la nourriture dans la rue, ce qui ne requérait aucun permis particulier jusqu'à la Seconde Guerre Mondiale, époque où les gargotes acquièrent le nom de « dai pai dong » (« dai pai » - 大排 - signifie en effet « grande licence », en référence aux permis délivrés par le gouvernement pour ces gargotes mobiles). Voir : Ng Ka Wing Karen, Wong Lai Wah et Yiu Shuk Hing, “From the streets to the Shopping Arcades: Dai Pai Dong Culture in Hong Kong”, cr@sh (Creative Learning and Student Homework) n. 4, en ligne à l’adresse suivante: http://www.hku.hk/hkcsp/ccex/text/e_project/issue4/dpd/3.html (dernier accès le 17 mars 2009).169 Notons à cet égard que l’existence de ces gargotes est aujourd’hui menacée par la politique gouvernementale de délivrance des licences : leurs conditions d’hygiène et de sécurité poussent en effet le gouvernement à ne plus en accorder de nouvelles ; or, la loi en vigueur depuis 1956 statue que, si le tenancier d’un dai pa dong s’éteint et que sa progéniture ne souhaite pas poursuivre son commerce, la licence devient nulle. En outre, alors que beaucoup de dai pai dong ont été déplacés vers des lieux couverts au cours des années 1970, le gouvernement a initié en 1983 un mouvement visant à racheter massivement les licences afin d’accélérer le processus. 301 licences ont ainsi été abandonnées entre 1983 et 1995. Voir  : Hong Kong Urban Council & Urban Services Department, 1995-1996 Annual Report, 1996, p. 51.170 Cheng Po Hung, Early Hong Kong Eateries. Hong Kong, Hong Kong University Press, 2003, p. 23.171 La motion en question, « Policy on inheritance of « dai pai dong » culture », peut être téléchargée sur le site de Patrick Lau à l’adresse suivante: www.patricklau.hk/download/051123-Dai%20Pai%Dong-eng.doc (dernier accès le 26 mai 2009).172 A noter que le gouvernement hongkongais a récemment entrepris de mettre en place une base de données sur le patrimoine immatériel, qui devrait être réalisée avant 2010 ; la convention de l’UNESCO ratifiée par la Chine en 2004 est entrée en vigueur à Hong Kong en 2006.

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qu’il est considéré comme le plus vieux de Hong Kong (il aurait plus de 140 ans) et est

situé dans le périmètre d’action du Central and Western Concern Group, a fait l’objet

d’un traitement privilégié : le Graham Street Market Festival 2008 organisé le 15

novembre 2008 sur Gage Street par SEE Network, Central and Western Concern Group

avec des fonds provenant en partie du Conseil de District de Central et Western, a ainsi

mis en scène un marché ayant su préserver et maintenir les traditions du Hong Kong

d’hier ; et évidemment, on y insiste aussi sur l’ambiance conviviale et chaleureuse du

lieu, « entouré par de nouveaux bâtiments commerciaux et des résidences privées » que

l’on sent, eux, menaçants173. Mais le marché de Graham Street n’est cependant pas un cas

unique et il s'en trouve beaucoup d'autre à souffrir de la concurrence des supermarchés,

de la politique de délivrance des licences et des projets urbains. La fermeture du marché

de Wan Chai courant sur Tai Yuen Street et Cross Street, en particulier, a fait l’objet de

controverse, et c’est d’ailleurs du fait de la désapprobation du public que l’URA a été

contrainte de faire marche arrière sur le projet qui devait le mettre en péril174. Et c’est

encore la popularité grandissante de ce qui est perçu comme faisant partie de la culture

hongkongaise qui, début 2007, a poussé Lai Wing Ho et d’autres membres du DAB

(Democratic Alliance for the Betterment of Hong Kong, parti pro-Pékin), à solliciter

l’inscription du thé au lait (奶茶), des maisons de thé (茶餐廳) et des beignets à l’ananas

de la ville au Patrimoine mondial de l’UNESCO175. Le MSQ aura donc davantage donné

une publicité importante à ce concept de patrimoine immatériel qu’il ne lui a donné

naissance, alors qu’il était fait recours à celui de patrimoine intangible depuis bien

longtemps déjà.

Patrimonialisation généralisée

173 Notons néanmoins qu’en avril 2008, l’URA a accepté de revoir une première fois ses projets à la baisse après que le Town Planning Board a reçu plus de 1500 objections émanant du public, mobilisé par le Central and Western Concern Group. Voir : Wong Olga, “HK$ 200m idea to keep Graham St market alive”, South China Morning Post, 29 juillet 2008.174 Legislative Council Panel on Development, “Background brief on heritage conservation”, LC Paper No. CB(1)1347/08-09(09), Ref: CB1/PL/DEV, 28 avril 2009, p. 6.175 Yau Tony, “Hong Kong-style Milk Tea and Buttered Pineapple Bun Applying for Cultural Heritage”, Hong Kong Economic Times, 12 avril 2007. L’inscription du port de Victoria (en tant que “paysage patrimonial”) a également été envisagée.

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Par l’engouement qu’elle a provoqué, la campagne aura par contre (et sans doute malgré

elle) contribué à faire du patrimoine une mode comme en témoigne certaines initiatives

actuelles. L’on peut aisément comprendre le mécontentement de certains Hongkongais à

l’encontre de la décision du gouvernement de déplacer le terminal de bus de Tsim Sha

Tsui (« Ocean Terminal ») le long du Hong Kong Cultural Centre afin de bâtir un

nouveau centre commercial sur les lieux qu’il occupe actuellement : le quartier est déjà

bien fourni en la matière, notamment en la présence du gigantesque complexe de Harbour

City, véritable ville dans la ville. En outre, une telle opération risque fort d’isoler encore

davantage l’embarcadère du Star Ferry d’un moyen de transport lui garantissant un accès

aisé, et donc de hâter la transformation du Star Ferry en une simple attraction pour

touristes176. Tout en gardant à l’esprit qu’aux « lieux sont associés des significations qui

ne sont pas forcément visibles dans le tissu même de ces lieux, et sont souvent

imperceptibles à l’observateur désintéressé »177, certains experts comme Lee Ho-yin,

directeur du programme de conservation architecturale (Architectural Preservation

Programme, ACP) à l’Université de Hong Kong, se permettent toutefois de douter de

l’intérêt patrimonial du site178. Et pourtant, emmené depuis fin 2008 par le groupuscule

Our Bus Terminal (quatre membres actifs, parmi lesquels Ho Loy, qui s’était illustrée

lors du MSQ – nous aurons l’occasion d’y revenir -, et Leslie Chan Ka-long, l’instigateur

du mouvement), un petit mouvement s’est développé qui entend préserver le terminal au

nom du patrimoine179. Le public a alors découvert que le terminal, établi en 1966, était le

premier de la sorte à Hong Kong, et il a été établi que le nœud formé avec l’embarcadère

du Star Ferry (unique moyen de transport entre Kowloon et l’île de Hong Kong avant

l’ouverture du premier tunnel, en 1972) et le terminal du KCR avait grandement

contribué au « développement » (cette fois, la terminologie gouvernementale est

sciemment utilisée) de Tsim Sha Tsui180. Présentée à un forum de l’UNESCO sur les

176 « Encore davantage » car, du côté de Central, la poldérisation du port pour la construction de la voie rapide P2 ayant provoqué la démolition de l’embarcadère de Central et la grande campagne de 2006/2007 pour la préservation, justement, des embarcadères du Queen’s Pier et du Star Ferry, a déjà considérablement éloigné celui-ci de ses usagers quotidiens.177 Johnston C. et la Commission du patrimoine australien, « What is Social Value ? » in What is Social Value ? A discussion paper, 3, 1994, pp. 7-18, p. 10.178 Entretien avec Lee Ho-yin, directeur de l’Architectural Preservation Programme (Hong Kong University) et membre de l’Antiquities Advisory Board, 20 avril 2009, Hong Kong University Knowles Building, 17h-19h30.179 http://www.ourbusterminal.org/aboutus.htm (dernier accès le 22 mars 2009).180 Ng Joyce, “Heritage plea for TST bus terminal”, South China Morning Post, 22 mars 2009.

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« paysages urbains historiques » tenu à Hanoï du 5 au 10 avril 2009, la communication de

Leslie Chan s’est d’ailleurs vue remettre une notation très positive (3A, 1B, 1C) 181.

Toutefois, la conférence consistait précisément en une discussion du concept de

patrimoine et dans l’état actuel du débat, il semble difficile de considérer le terminal

comme en relevant182.

C’est cette nouvelle vogue du patrimoine, cette patrimonialisation massive, qui donne à

certains experts comme Lee Ho-yin, l’impression qu’en matière de patrimoine, l’on est

passé « d’un extrême à un autre »183. Le terme - sur la définition duquel, il est vrai, aucun

consensus n’existe184 - semble en effet être sur le point de devenir un label commode (car

potentiellement mobilisateur) pour s’opposer à tout projet de planification urbaine et aux

promoteurs immobiliers. Il est même parfois utilisé de manière explicitement politique.

Ainsi le 20 mars 2009, lors d’une session du Conseil législatif, le député démocrate

Cheung Man-kwong, qui se trouve être membre du panel des affaires intérieures, celui-là

même ayant mis en place le comité consultatif sur le patrimoine intangible (Intangible

Cultural Heritage Advisory Committee), a ainsi suggéré de placer la veillée du 4 juin sur

la liste à soumettre à l’UNESCO185. Bien sûr, l’on peut toujours arguer que le patrimoine

n’est rien d’autre qu’un « substitut à une civilisation que l’on n’a plus la force de

créer »186 et qu’en l’espèce, Hong Kong pourrait bientôt ne plus pouvoir commémorer le

massacre de Tiananmen comme elle le souhaite tant les efforts menés pour forcer l’oubli

sont intenses187. Néanmoins, la manœuvre de Cheung Man-kwong semble explicitement 181 Un résumé de la présentation est disponible sur le site de la conférence : http://universityandheritage.net/SIFU/XII_Hanoi_2009/en/abstracts/html/135.html (dernier accès le 22 mars 2009).182 Le thème officiel de la conférence était: “Historic Urban Landscapes. A new concept? A new category of World Heritage Sites?”183 Entretien avec Lee Ho-yin, 20 avril 2009.184 Jadé Mariannick, op. cit.185 Sin Daniel, “Lawmaker queries June 4 as “heritage””, South China Morning Post, 21 Mars 2009.186 Jadé Mariannick, op. cit.187 L’approche du vingtième anniversaire du massacre a fourni à certains l’occasion de se faire remarquer : ainsi d’Ayo Chan, le président de la Student Union de l’université de Hong Kong, qui s’est exprimé contre l’organisations de cérémonies commémoratives avant qu’un tollé et un référendum initié par Christina Chan (une étudiante en philosophie qui s’était déjà illustrée lors des manifestations pro-Tibet alors que la flamme Olympique passait par Hong Kong, en 2008) le poussent à abandonner ses responsabilités fin avril 2009. A la même époque, une controverse similaire a suivi les réticences de la Student Union de la City University au sujet de la publication de livres gratuits commémorant l’incident. Et puis, bien sûr, il s’est aussi trouvé Donald Tsang lui-même pour s’illustrer par sa maladresse lors de la session de questions au Conseil législatif tenue le 14 mai 2009. Tentant d'esquiver une question de la députée du Civic Party Margaret Ng, le chef de l’exécutif a déclaré que beaucoup de temps avait passé

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politique puisque, la liste devant passer par le gouvernement central avant d’être remise à

l’UNESCO, son destin était scellé d’avance.

Nous touchons là aux dérives de l’engouement des Hongkongais pour leur patrimoine,

devenu le thème de discussions d’autant plus passionnelles et animées qu’elles ont

longtemps été retardées. Car, malgré l’effervescence dont nous venons de faire état, le

parcours traversé par le patrimoine n’a pas été des plus fluides ; la mise en débat des

problématiques liées au patrimoine et à la planification urbaine a notamment nécessité le

MSQ. A la fois débiteur (non seulement du fait de la mise sur agenda de la question, mais

aussi parce que certains des activistes qu’il a révélé ont pris part à certaines des

campagnes dont nous avons parlé, apportant avec eux de nouvelles logiques d’action -

voir l’exemple de Icarus Wong Ho-yin à Lee Tung Street ou Ho Loy et Our Bus

Terminal) et tributaire (parce que toutes ces initiatives ont préparé le terrain à un

mouvement plus massif et que la poussée vers l’immatériel date bien d’avant le

mouvement) des initiatives dont nous venons de traiter, ce mouvement s’en distingue

néanmoins : alors que les mobilisations analysées au-dessus ont, pour la plupart, eu une

portée relativement restreinte, leurs revendications et leur audience étant généralement

limitées au périmètre du quartier voire de la rue qui en faisait l’objet, le MSQ a, lui,

rassemblé une large part de la société hongkongaise derrière la cause du patrimoine et

c’est une refonte drastique de la politique patrimoniale qui y a été exigée. Mais, surtout,

la participation active à ce mouvement de certains « journalistes-citoyens », d’étudiants,

de professeurs d’université, et de professionnels des métiers de la culture et des arts a été

l’occasion d’une mise en discours des problématiques du patrimoine, plus seulement

perçues comme une question technique à laquelle une réforme institutionnelle ou un plan

alternatif pourraient remédier, mais désormais insérée dans une lecture politique de

l’histoire du territoire.

depuis les malheureux événements de 1989 et qu'un « bilan objectif » de la Chine devait inclure ce qu'elle avait accompli depuis lors. Malgré l’agacement visible de certains députés et membres du public, Donald Tsang a poursuivi sur la même ligne, allant jusqu'à déclarer que ses opinions reflétaient celles de la société hongkongaise. Mais il a pour finir été contraint de se soumettre à des excuses publiques dans la journée. Notons que les efforts de tous ces gens se sont finalement révélés contre-productifs puisque 150 000 personnes ont assisté à la veillée du 4 juin, soit autant qu’en 1990.

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B. Mise en discours

En privilégiant comme objet d’étude la stabilité du système colonial à Hong Kong, la

science politique a longtemps négligé l’analyse des mobilisations populaires s’étant

produites sur le territoire et ce n’est que récemment que l’émergence de mouvements

sociaux à partir de la fin des années 1960 a été redécouverte188. Il a été montré que, depuis

cette période, le nombre de mobilisations portant sur les affaires constitutionnelles et

188 Lui Tai-lok et Chiu Wing-kai Stephen, “Changing Political Opportunities and the Shaping of Collective Action: Social Movements in Hong Kong” in Sing Ming (éd.), Hong Kong Government and Politics, Hong Kong, Oxford University Press, 2003, pp. 505-532.

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politiques n’a cessé d’augmenter, une dynamique que n’est pas venue rompre la

rétrocession de Hong Kong à la Chine, intervenue le 1er juillet 1997189. Ces différents

mouvements ont généralement été analysés comme une réponse à l’accroissement des

opportunités d’action, suite à l’ouverture (relative) des institutions politiques

hongkongaises au public190. Néanmoins, dès les années 1980 et 1990 ont commencé à

apparaître de nouvelles formes de contestation, assimilées aux Nouveaux Mouvements

Sociaux191 ; et, depuis 2003 environ, l’on assiste à une augmentation du nombre de

mobilisations pouvant s’y apparenter, et qui se distinguent par l’immatérialité de leur

objet : depuis cette date en effet, environnement, planification urbaine et le patrimoine

sont devenus des terrains de lutte privilégiés par la société civile hongkongaise192. Le

MSQ est à inscrire dans leur lignée, mais il marque également une nouvelle étape, dans la

mesure où il a donné naissance à « un type nouveau d’activisme de la part de la société

civile » hongkongaise193 (1) et a été l’occasion d’insérer la problématique du patrimoine

dans une lecture politique de l’histoire de la ville (2).

1. Un nouvel activisme

Une société civile « reconnectée »

Portant sur la préservation de deux bâtiments historiques de Hong Kong - l’embarcadère

du Star Ferry (et sa tour de l’horloge, un présent du taipan réformateur John Keswick194),

puis l’embarcadère adjacent, dit Queen’s Pier (s’il souhaite visualiser l’agencement des

189 Pour les chiffres, voir : Béja Jean-Philippe, « L’avènement d’une culture politique démocratique », Perspectives chinoises no. 2007/2, 2007, pp. 4-12.190 Lui Tai-lok et Chiu Wing-kai Stephen, art. cit.191 Il s’agit essentiellement de mouvements féministes et environnementaux. Ibid. Notons néanmoins que le mouvement d’opposition à l’implantation de la centrale nucléaire de Danya procède du réflexe « Not in my backyard » davantage qu’il n’est dû à l’émergence d’une conscience environnementaliste véritable.192 Loh Christine, “Une société civile vivante mais entravée”, Perspectives chinoises, no. 2007/2, 2007, pp. 42-47.193 Chan W. K., art. cit., p. 1.194 Homme d’affaire associé à Jardine, Matheson & Company (entre autres) et conseiller politique, John Keswick a été l’un des promoteurs de réformes audacieuses visant à démocratiser et libéraliser la gouvernance de la colonie, dans l’immédiat après-guerre. Voir : Tsang Steve, op. cit., 2007, p. 58.

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deux embarcadères, le lecteur peut se référer à la photographie placée en annexe 4) - tous

deux menacés par un projet conçu en 1999 proposant de poldériser le terrain sur lequel

sont situés les deux bâtiments afin de permettre la construction de la voie rapide P2 et

d’un (énième) centre commercial géant -, le mouvement a commencé à prendre forme à

partir d’août 2006 et a perduré jusqu’au 31 juillet de l’année suivante195. Du fait des liens

étroits qui unissent les trois bâtiments et de la linéarité de la lutte visant à empêcher leur

démolition, nous traiterons du MSQ comme d’un seul et même mouvement196. Et, s’il est

vain de chercher à déterminer avec précision le début d’une mobilisation sociale, notons

quand même que, dès juin 2006, inmediaHK.net (une plateforme virtuelle créée en 2004

par Chu Hoi-dick, Lam Oi-wan et d’autres, et promouvant le journalisme citoyen et la

démocratie participative) appelait à se mobiliser pour la protection de l’embarcadère du

Star Ferry197. Il semble néanmoins que ça soit la publication, en juillet 2006, par le SEE

Network198, du numéro 007 de son magazine SEE qui ait été à l’ origine des premières

actions199 : une pétition réclamant la préservation de l’embarcadère in situ et une

campagne de sensibilisation menée durant le mois d’août par un petit groupe d’artistes

(en collaboration avec SEE Network et Habitus) au sein duquel se côtoient vétérans de

renom comme Tsang Tak-ping et Leung Po-shan et jeunes artistes (à l’instar de Lee Chun

Fung, Monique Yim, Choi Tsz Kwan), et intitulée 820 Art Action200. « Après plusieurs

semaines d’une réponse passive de la part du public, le mouvement a peu à peu été rejoint

par de plus en plus d’individus du secteur de la culture et d’étudiants activistes » puis par

195 Le gouvernement ne viendra à bout du mouvement qu’en observant, le 31 juillet à minuit, l’avis d’expulsion émis un jour plus tôt. Cette nuit là, toutes les personnes rencontrées sur le site de l’embarcadère en furent délogées manu militari par la police hongkongaise.196 Lors d’une marche vers les quartiers généraux du gouvernement menée le 17 décembre (soit deux jours avant la destruction de l’embarcadère du Star Ferry, qui apparaît alors inéluctable), plus de 200 activistes promettent en effet d’étendre la lutte au Queen’s Pier adjacent. Lors de cette seconde phase, l’effigie de la tour de l’horloge du Star Ferry (alors démolie) ou d’autres allusions au Star Ferry apparaîtra d’ailleurs en plusieurs occasions.197 Lam Oi-wan, What is that star ? Media cultural action in the claiming of space, 2007, sur le site de d/Lux/MediaArts: http://www.dlux.org.au/codingcultures/Essays/O_Lam.pdf (dernier accès le 13 janvier 2009).198 Le SEE (Society, Economy, Environment) Network est une ONG promouvant le développement durable. Elle est notamment très active sur les problématiques relatives à la planification urbaine.199 Il peut être téléchargé ici: www.see-project-see.net/pdf/magazine/issue07.pdf (dernier accès le 25 janvier 2009).200 Yeung Yang, “In the name of the Star: a visual-textual diary on the civil movements in pursuit of preserving the Hong Kong Star Ferry Pier and Clock Tower in situ”, Postcolonial Studies, Volume 10, Issue 4, décembre 2007, pages 485 - 498.

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des architectes et des professionnels du patrimoine201. Et, à partir du 11 novembre 2006,

dernier jour d’activité de l’embarcadère, ensuite fermé au public, le mouvement prend

une véritable ampleur. Ce soir là, 150 000 personnes viennent rendre visite à

l’embarcadère, certaines afin d’écouter une dernière fois le carillon de son horloge (une

réplique de celui de Big Ben, à Londres...), d’autres pour une ultime traversée du port de

Victoria à partir de l’embarcadère original…202 Certains restent jouer de la musique,

chanter, ou discuter sur les lieux jusqu'à tard dans la soirée; c’est le cas de Ho Loy203, qui

va devenir l’une des figures de proue du mouvement, et qui initie le premier sit-in du

mouvement dès le lendemain…

A partir de cette date, des étudiants, mais aussi des artistes, d’anciens journalistes et des

universitaires, comme ce professeur Chen, qui enseigne la planification urbaine à la Hong

Kong University of Science and Technology et qui campera bientôt sur le site du

Queen’s204, ou Mirana May Szeto professeur de littérature à l’Université de Hong Kong et

intellectuelle critique, se joignent au mouvement. Toutefois, celui-ci demeure encore

assez apolitique, même si certaines des organisations mobilisées n’hésitent pas à affirmer

leur appartenance politique ou leur affiliation idéologique. Parmi ces organisations,

plusieurs groupes peuvent d’ailleurs être distingués : un premier réunit les ONG

spécialisées sur la question du patrimoine comme Heritage Watch (en fait elle-même une

coalition ad hoc de personnalités et d’organisations), le Professional Concern Group on

Preserving Queen's Pier Heritage, Heritage Hong Kong, la Conservancy Association, et

le Dragon Garden Charitable Trust ; un second cercle comprend des ONG et associations

œuvrant à l’amélioration de la qualité de vie (de manière générale, ou en se focalisant sur

des aires spécifiques, comme le port de Victoria) : SEE Network, Designing Hong Kong,

Society for the Protection of the Harbour en font partie ; l’on peut, pour finir, identifier

un troisième cercle, dont les contours sont plus vagues, et qui fait se retrouver cote à cote

201 Chan W. K., art. cit., p. 11.202 Lai Chloé, “Last Resistance”, South China Morning Post, 12 juin 2007.203 Ho Loy, âgée de 41 ans à l’époque, est mère au foyer. Ancienne professeur de danse, elle a fondé le Lantau Post en 2003 et est active dans différents domaines allant de la défense du patrimoine à celle de l’environnement en passant par le droit des animaux. Elle s’est présentée aux élections des conseils de district (dans la circonscription de Kwun Lung) de novembre 2007 en tant que candidate indépendante. Elle est arrivée quatrième derrière Regina Ip et Anson Chan, deux personnalités politiques de premier plan, et Stanley Chaing.204 Mahr Krista, “Pier Pressure”, Time, 7 juin 2007.

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des groupements politiques classiques (Civic Act-up, le petit parti que Cyd Ho, députée

pro-démocratique et libérale, a mis en place à la suite des manifestations massives de

juillet 2003), apolitiques (comme le 30s Group, qui se présente comme « représentatif de

la classe moyenne éduquée »205) et critiques comme le Community Cultural Concern ou

Local Action, groupe sans bureau, sans leader et sans programme dans les rangs duquel

se mêlent professeurs, designers, artistes et anarchistes206. Les visages de Chu Hoi-dick207,

Ho Loy ou Icarus Wong Ho-yin208, tous membres du cénacle Local Action, sont d’ailleurs

vite devenus familiers mais les intéressés ont la plupart du temps mis en avant leur

indépendance de tout parti politique et groupe de pression et revendiqué leur statut de

citoyen ordinaire209.

Un tel éclectisme explique sans doute, au moins en partie, la coexistence de méthodes

habituellement propres aux mouvements dénués de ressources avec d’autres,

généralement perçues comme plus sophistiquées. Deux grèves de la faim ont ainsi été

menées : l’une d’une durée de 49 heures, lancée le 15 décembre 2006 par vingt

étudiants ; l’autre initiée le 27 juillet 2007 et menée par Chan King-fai, Icarus Wong Ho-

yin et Karden Chan Ka-yuen (se revendiquant tous trois de Local Action). Intervenant à

la fin de chacune des deux phases (la première grève de la faim était censée sauver

l’embarcadère du Star Ferry, la seconde le Queen’s Pier), elles témoignent du degré

d’implication des acteurs mobilisés, et peuvent être analysées comme un geste de dernier

recours. Il est néanmoins peu commun de voir ce type de répertoires cohabiter avec des

méthodes comme le lobbying par exemple, en général réservées à des élites. Or, outre la

rédaction d’articles pour son blog (beyondthestars.wordpress.com) et les journaux, Local

Action a pratiqué un lobbying intensif auprès de l’AAB. Son action a d’ailleurs été

205 http://www.30sgroup.org.hk/mission.htm (dernier accès le 13 janvier 2008).206 Entretien avec Szeto Mirana May, activiste et professeur de littérature comparée à l’université de Hong Kong, 19 février 2009, Hong Kong University main building, 11h00-12h00. Le groupuscule compterait une quarantaine de membres actifs.207 Alors âgé de 29 ans, Chu Hoi-dick a longtemps écrit pour le quotidien de langue chinoise Ming Pao (明报). Il est aujourd’hui journaliste indépendant (et l’un des fondateurs d’InmediaHK) et assistant de recherche a l’Université de Hong Kong.208 Alors âgé de 23 ans, Icarus Wong était alors en deuxième année de sociologie et de biotechnologie à l’université de Hong Kong au moment des manifestations. Il s’y est illustré en prenant part aux deux grèves de la faim (celle de 49 heures tenue en l’honneur de l’embarcadère du Star Ferry et celle, plus longue, pour la préservation du Queen’s Pier), et en figurant parmi les treize personnes que la police a du faire sortir de celui-ci par la force. Il avait participé aux manifestations anti-OMC en 2005.209 Entretien avec Icarus Wong Ho-yin, 11 février 2009.

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couronnée de succès puisque le 12 décembre 2006, l’AAB a demandé au gouvernement

de préserver les reliques de la tour de l’horloge et de l’embarcadère du Queen’s Pier en

vue d’une éventuelle reconstruction et, le 6 mars 2009, il a même accepté de revoir le

grade qu’il avait octroyé au Queen’s Pier sept années plus tôt (le 13 mars 2002)210. Le

MSQ se distingue donc par la grande variété des répertoires d’action utilisés, dont tous ne

sont d’ailleurs pas extra-institutionnels. Et, alors que la création de partis politiques en

vue des élections législatives de 1991211 avait contribué à déconnecter peu à peu l’action

populaire (grass-roots mobilization et community action) de la politique institutionnelle,

l’on peut se demander si le MSQ n’indique pas une reconnexion212. A la suite de W. K

Chan, selon lequel les mouvements sociaux ayant trait à la planification urbaine et au

patrimoine (entre autres) répondent à la logique d’un « activisme de classe moyenne »

dont la caractéristique principale serait de rapprocher cette dernière de la communauté en

général, notons que213 :

- certains partis pan-démocrates (Civic Act-up et le Civic Party en particulier), ainsi que

quelques individualités du camp pro-Pékin comme Choy So-Yuk, se sont joints à la cause

défendue par les activistes. Au Conseil législatif, des particuliers comme John Batten ont

aussi exprimé leur regret de voir les embarcadères démolis214, alors que le 2 mai 2007,

Alan Leong (Civic Party) a déposé une motion appelant a la préservation in situ du

Queen’s Pier215. Pour finir, mais la chose est presque banale, certains membres de la

League of Social Democrats (Leung Kwok-hung et Wong Yuk-man) sont venus en

personne soutenir les activistes216.

210 Antiquities and Monument Office, Memorandum for Members of the Antiquities Advisory Board, Grading of Queen’s Pier, Central, Hong Kong, Board Paper AAB/16/2007-08, Mai 2007. A noter que, malgré cet appel, la tour de l’horloge a finalement fini en morceaux dans un terrain vague de Tuen Mun.211 Les partis politiques ont été techniquement interdits jusqu’en décembre 1990.212 Lui Tai-lok et Chiu Wing-kai Stephen, art. cit.213 Chan W. K., art. cit., p. 3.214 Voir: John Batten, “Submission regarding the Star Ferry building and Queen’s Pier”, 17 décembre 2008, Legislative Council Paper no. CB(1)554/06-07(05).215 Pour les détails de l’argumentation d’Alan Leong, l’on peut consulter le Hansard (Official Record of Proceedings 6261, p. 279) du Conseil législatif à la date du 2 mai sur le site du Conseil législatif  : www.legco.gov.hk. La motion n’est pas passée. Signalons qu’Alan Leong affrontait à l’époque Donald Tsang pour le poste de Chef de l’exécutif et que son initiative n’était sans doute pas dépourvue de toute considération électorale. En participant à transformer la controverse des embarcadères en une question partisane, son geste a d’ailleurs déplu à certains manifestants qui ne voulaient pas être associés au camp démocrate ou anti-gouvernemental. Voir : Chan W. K., art. cit., p. 13.216 Notons qu’en 1999, le Conseil législatif (ainsi que le Town Planning Board, le Conseil de district de Central et Western et l’entreprise du Star Ferry – entre autres) avait été consulté par le gouvernement au

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- certaines des revendications du mouvement ont été relayées par des institutions bien

établies, comme le Hong Kong Institute of Architects, qui s’est exprimé en flaveur de la

préservation du Star Ferry et est allé jusqu'à organiser une marche afin de protester contre

sa destruction programmée (la « Back Dress March » du 25 novembre 2006). En ce qui

concerne le Queen’s Pier, l’institut a également encouragé l’AMO à accorder le statut de

monument au bâtiment, ce qui aurait rendu sa destruction ou son déplacement illégal au

regard de l’Ordonnance.

- la plainte déposée le 7 août 2007 par Chu Hoi-dick et Ho Loy devant la Haute cour, qui

incrimine le secrétaire aux affaires intérieures, selon eux coupable d’avoir contrevenu à

l’Ordonnance (le jugement rendu le 10 août écartera leur objection)217.

- en ce qui concerne le Queen’s Pier, plusieurs plans alternatifs permettant simultanément

la réalisation du projet gouvernemental et sa préservation ont été proposés au

gouvernement par leurs auteurs (celui de Hung Wing-tat, professeur de génie civil à

l’université polytechnique de Hong Kong, proposé au panel au nom de la Conservancy

Association pour l’un, le Professional Concern Group on Preserving Queen's Pier

Heritage, où figurent bon nombre d’architectes, pour l’autre).

Si cette coalition ad hoc est finalement parvenue à contraindre le gouvernement à

entamer un début de dialogue, l’ouverture du gouvernement à été tardive et minimal, et

semble avoir constitué une option de dernier recours. Ainsi, le 15 décembre, soit le

lendemain de la veillée à la bougie et de la tentative de certains activistes de briser le

cordon policier protégeant l’embarcadère du Star Ferry, il promet tout d’abord de durcir

le ton avec les manifestants. Et deux jours plus tard, alors que la date fatidique du 19

décembre approche, la marche d’environ 200 personnes jusqu'à ses quartiers, où l’on

demande à voir Donald Tsang Yam-kuen, le chef de l’exécutif, n’est pas couronnée de

succès. Néanmoins, devant la persistance d’une action collective qui se politise de plus en

plus, quelques ouvertures sont tentées. Le gouvernement et ses organes (l’AAB,

notamment) ont consulté certaines des institutions impliquées dans le mouvement,

sujet de son projet de poldérisation.217 Voir: In the High Court of Hong Kong Special Administrative Region, Court of First Instance, Constitutional and Administrative Proceedings, No. 87 of 2007, HCAL 87/2007. Le juge de première instance était le dénommé J. Lam.

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comme le Hong Kong Institute of Architects, le Hong Kong Institute of Engineers ou la

Conservancy Association218. Et, au début du mois de janvier, Patrick Ho Chi-ping promet

aussi des consultations publiques219.

Ces initiatives n’affaiblissent pourtant pas le mouvement, et c’est finalement aux

membres de l’administration de se rendre aux réunions qu’organisent les protestataires.

Ainsi, le dimanche 29 juillet 2007, après que les activistes ont rejeté l’invitation de Carrie

Lam leur proposant une série des « réunions consultatives » de trente minutes chacune

sur les différentes options envisagées pour l’avenir du Queen’s Pier, la secrétaire au

développement doit accepter de se rendre aux forums organisés par les activistes220.

Toutefois, malgré les plans alternatifs qui lui sont soumis permettant à la fois de

construire la route et de préserver le Queen’s Pier, c’est à sa sortie de l’un de ces forums

qu’elle déclare que la décision de détruire celui-ci est irréversible221. Certains ont émis

l’hypothèse selon laquelle, si le gouvernement avait cédé aux manifestants en dépit des

consultations menées en 1999, c’est l’ensemble des routines administratives depuis

longtemps établies (et dont est censée découler la légitimité de ses politiques) qui

s’effondrerait222 ; mais il semble également qu’il ait diagnostiqué ce mouvement comme

le symptôme d’une crise d’autorité annoncée par les manifestations massives de 2003 et y

ait vu l’opportunité de faire preuve de sa fermeté223.

Internet et radicalisme

218 Parwany Audrey, “Anger over plan to dismantle pier”, South China Morning Post, 27 mars 2007.219 Cheng Jonathan, « Ho spells out heritage policy », The Standard, 9 janvier 2007.220 Estimant que trente minutes étaient trop peu pour présenter et débattre de chaque option, les activistes sont tombés d’accord pour refuser de participer à une consultation jugée tronquée dès le départ. Voir : Chan W. K., art. cit., p. 13.221 So Una, art. cit.222 Yeung Chris, « Are clock tower protests the shape of things to come ? », South China Morning Post, 17 décembre 2006.223 Le 1er juillet 2003, plus de 500 000 Hongkongais (Hong Kong compte sept millions d’habitants) sont descendus dans les rues pour protester contre la mise en place d’une loi anti-subversion qui, en raison de son grand flou, risquait d’éroder un certain nombre de libertés garanties par la Basic Law. Le gouvernement a été contraint de céder aux manifestants. Notons néanmoins qu’en vertu de l’article 23 de cette même loi, le Conseil législatif est contraint de légiférer sur cette question de la subversion, ce n’est donc que partie remise.

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Hong Kong étant une société où la pénétration d’internet est très élevée224, il n’est pas

étonnant d’apprendre que c’est par la toile que beaucoup des manifestants ont eu vent des

activités organisées pour préserver les deux embarcadères225. Néanmoins, que le

mouvement se soit développé à partir d’internet présente un certain degré de nouveauté

dans la mesure où, traditionnellement, l’organisation de manifestations passe par

l’intermédiaire des journaux ou des branches de district d’organisations politiques bien

établies. Dans notre cas, au-delà d’une couverture médiatique importante, la mobilisation

a bénéficié du relais des sites web des organisations qui y étaient impliquées et d’autres

plateformes, plus informelles, ont également servi la cause des manifestants : les blogs

personnels, les sites de partage de photos (comme flickr) et de vidéos (youtube)

notamment. Sur des sites alternatifs comme inmediahk.net ou interlocals.net, des

plateformes virtuelles s’adressant prioritairement au monde non-anglophone et qui ont

joué un rôle central dans le mouvement, certains activistes ont également pu assurer la

visibilité de leur cause en postant des nouvelles quotidiennes de l’état de lieux, de leurs

revendications etc. En tant qu’institutions éloignées du contrôle physique et idéologique

du pouvoir, ces lieux d’échange et de débat ont été susceptibles de favoriser le

développement d’idées contre-hégémoniques et d’identités d’opposition, tout en

fournissant des incitations à la participation ; en cela, elles ont aussi pu constituer le

contexte institutionnel servant de creuset à l’identité du mouvement226. Par le type de

recrutement qu’elles ont favorisé, ils ont par ailleurs contribué à faire du MSQ quelque

chose d’autre qu’une nouvelle illustration de l’ « activisme de cols blancs » évoqué par

W. K Chan.

Ainsi, afin d’exprimer leurs revendications, certains activistes ont dès le départ opté

pour l’engagement artistique. Outre les ateliers de peinture où des dessinateurs

immortalisent la tour, la mise en place d’une réplique de la tour de l’horloge faisant

également office de cercueil (ou d’urne) dans lequel les activistes et leurs sympathisants

déposent certains objets personnels est remarquable. Par de tels procédés se tisse en effet

224 Selon Nielsen et Net Ratings, elle est de 70,5 % en 2006, contre 50,3 % pour la France à la même époque. Voir la base de données Internet World Stats, sur le lien suivant :

http://www.internetworldstats.com/eu/fr.htm (dernier accès le 11 janvier 2009).225 Chan Tonny, « Protesters retake Star Ferry tower », The Standard, 15 décembre 2006.226 Johnston H, « Subcultures and the emergence of the Estonian nationalist opposition - 1945-1990 » in Sociological Prospect n. 41, 1998, pp. 473-497.

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un lien concret entre la destruction programmée de la tour de l’horloge et la disparition

d’une partie de la quotidienneté des Hongkongais. Cette démarche n’est pas sans rappeler

celle du collectif Para/Site Art Space, qui a officié durant la période de la rétrocession et

dont les installations, par l’emphase mise sur le vernaculaire et la notion de perte,

exprimaient le grand scepticisme de leurs auteurs à l’égard du retour de Hong Kong dans

le giron de Pékin227. Notons aussi que, parmi les jeux organisés, l’un consiste à

déconstruire une tour en retirant un à un les bâtonnets qui la constituent, le perdant étant

évidemment celui qui fait s’écrouler la structure. Tout en impliquant certains passants au

mouvement, un tel jeu distribue les rôles : les destructeurs de la tour (le gouvernement,

dans les faits) sont labélisés comme des perdants, que l’on moque gentiment... Tout cela

participe au surplus à mettre en avant le caractère non-violent et convivial du

mouvement, à lui construire une image sympathique qui, le cas échéant, fera ressortir par

contraste l’aspect coercitif de toute action intentée contre lui par le gouvernement (une

photographie des activités menées dans le cadre du 820 Art Action se trouve en annexe

5). Mais cette identité a été mise en débat. Début décembre 2007, sur InmediaHK.net,

l’un des organisateurs des manifestations artistiques tenues autour de l’embarcadère du

Star Ferry s’est ainsi demandé si l’ « ensemble interprétatif » (interpretative package)

proposé était encore capable de mobiliser de nouveaux militants228. Il proposait d’en finir

avec les pastiches de cérémonies funéraires et autres expressions du sentiment de perte

(car, dit-il, si l’on pleure le Star Ferry, c’est qu’on le considère comme déjà mort) et

invitait à durcir le mouvement229. Son argumentaire appelle, sans le dire, au passage

d’une logique expressive à une logique ouvertement stratégique, en posant les deux

comme opposées et inconciliables230. Il est immédiatement suivi d’effets.

Le 12 décembre, alors qu’ils sont censés couvrir une chaîne humaine pour inmediaHK,

Chu Hoi-dick, Lam Oi-wan et deux autres « citoyens reporters » se retrouvent finalement

à occuper le chantier dans l’espoir de mettre un coup d’arrêt à la construction de la voie

227 Clarke David, Hong Kong Art, Culture and Decolonization, Durham, Duke University Press, 2002. A vrai dire, notre observation n’est guère étonnante, dans la mesure où certains membres de Para/Site, comme Tsang Tak-ping et Leung Po-shan, faisaient partie du groupe mobilisé.228 Polletta Francesca et Jasper James M., “Collective Identity and Social Movements”, Annual Review of Sociology, volume 27, 2001, pp. 283-305, p. 291.229 Lam Oi-wan, art. cit.230 Polletta Francesca et Jasper James M., art. cit.

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rapide231. Et à la mi-décembre, du fait de l’intransigeance du gouvernement, de la

parution de nouvelles informations faisant état de la construction d’un nouvel

embarcadère pour l’Armée de Libération Populaire, interprétée par certains activistes

comme un « acte de violence symbolique »232, et de cette volonté consciente chez certains

de durcir le mouvement, ce dernier subit une évolution perceptible, notamment par

l’observation des répertoires d’action mobilisés. Le « nouvel activisme » que nous

évoquons prend principalement la forme d’une occupation active et totale des lieux,

chose peu banale à Hong Kong où protester prend généralement la forme d’un rituel : une

marche organisée dans les rues de la ville, et répondant à un programme clairement

défini, notamment au niveau horaire.

L’occupation des lieux nuit et jour, et le risque attenant qu’est celui de se faire arrêter

par la police répond d’une logique radicalement différente, et contraint le gouvernement à

ne plus se contenter d’efforts en matière de relations publiques mais à passer en mode de

gestion de crise, dans la mesure où une éviction forcée peut avoir pour conséquence

d’alimenter encore davantage le ressentiment populaire et éventuellement dégénérer en

affrontements233. Cette nouvelle logique d’action l’a donc pris de court. Elle a aussi

produit quelques scènes cocasses dans lesquelles figurent Leung Kwok-hung (dit « Long

Hair ») et Wong Yuk-man, les éternels trouble-fêtes du Conseil législatif, tentant de

séparer la police et les manifestants, ou demander à ces derniers de se retirer des lieux

qu’ils occupent234 - des appels au calme pour le moins surprenant de leur part, et qui se

d'ailleurs sont révélés vains. C’est ce décalage entre une nouvelle génération d’activistes

et l’ancienne, aussi bien au niveau des répertoires d’action que de la cause défendue, qui

a autorisé Terman Wong à évoquer les « manifestations à la Long Hair » comme

231 Echange d’emails avec Lam Oi-wan, journaliste et activiste, 3 avril 2009 au 18 avril 2009.232 Ibid. Notons à ce propos qu’un projet d’Urban Design proposait entre autres de transformer le quai de mouillage de l’Armée Populaire de Libération en une piscine publique ( !) et d’y construire un hôtel flottant et un musée maritime… Une porte-parole du Planning Department a assuré que le gouvernement étudierait le plan. Voir : Ng Joyce, “Architects present design for « inner harbour » at Queen’s Pier”, South China Morning Post, 20 juillet 2008.233 蔡子強 (Choy Ivan),《天星抗爭:新社會運動的開始?》, 明報 (Ming Pao), 22 décembre 2006.234 Wong Yuk-man s’est notamment illustré en lançant des bananes sur Donald Tsang, alors que celui-ci prononçait son discours de politique générale devant les membres du Conseil législatif, le 15 octobre 2008. Notons par ailleurs que le gouvernement a sans doute également été gêné par la nouveauté des figures auxquelles il avait affaire. Chu Hoi-dick, Icarus Wong et Ho Loy étaient d’illustres inconnus avant le mouvement, à l’inverse de Wong Yuk-man ou Long Hair, avec lesquels il a désormais l’habitude de traiter.

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dépassées235. La radicalité (relative) des méthodes employées par ces activistes peut être

expliquée par la nature très informelle du groupe auquel la plupart se sont dits rattachés.

L’absence totale de programme de Local Action rend en effet impossible pour le

gouvernement la proposition d’un marchandage et rend incertaine pour ses activistes la

perspective d’avoir à traiter avec celui-ci à l’avenir. En d’autres termes : traiter avec

Local Action est vain et Local Action ne craint pas d’avoir à subir demain le contrecoup

des actions menées aujourd’hui ; deux conditions qui rendent possible, par exemple, de

rendre public le numéro de téléphone de Michael Suen Ming-yeung, le secrétaire au

logement et à l’urbanisme, accompagné d’une notice invitant les Hongkongais à le

contacter pour lui faire part directement de leurs griefs…236

Toutefois, l’implication des citoyens reporters et de certaines élites culturelles dans le

mouvement n’a pas seulement été perceptible au niveau des moyens d’action mis en

œuvre mais aussi des thèmes débattus durant la campagne. Comme le dit Chu Hoi-dick,

de manière schématique : « les mouvements du Star Ferry et du Queen’s Pier répondent à

des idéologies totalement différentes : celle en faveur du Star Ferry mettait l’accent sur la

sauvegarde d’une mémoire collective, celle pour le Queen’s Pier était une croisade pour

la protection des espaces publics ayant contribué à la formation d’une identité

hongkongaise »237. Les revendications de ces activistes allaient en effet bien au-delà de

préservation des deux embarcadères.

2. « Au-delà des étoiles »238

Démocratie et décolonisation

235 王岸然 (Wong Terman),《長毛式抗爭 ─ 落伍了! 》, 明報 (Ming Pao), 20 décembre 2006.236 蔡子強 (Choy Ivan), art. cit.237 Cité dans Lai Chloé, “Last Resistance”, South China Morning Post, 12 juin 2007. Son propos est néanmoins à nuancer : Chu Hoi-dick n’a rejoint le mouvement qu’à partir de décembre 2006, précisemment parce que le cours pris par les événements (et l’accent mis sur l’idée de mémoire collective) ne le satisfaisait pas. Echange d’emails avec Lam Oi-wan, 3 avril 2009 - 18 avril 2009.238 Rappelons que “beyond the stars” est le nom du blog de Local Action, ce collectif qui s’est trouvé être à l’ origine de la politisation du mouvement.

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Outre la préservation in situ de l’embarcadère du Star Ferry et du Queen’s Pier239, une

pétition rédigée par 17 organisations et rendue publique le 19 novembre appelait (entre

autres) à une évaluation plus approfondie des bâtiments susceptibles d’être considérés

comme faisant partie du patrimoine hongkongais, et à une plus ample consultation du

public240. D’autres, comme Angel Tam, de Designing Hong Kong avaient des

revendications encore plus précises, demandant à ce que des canaux soient mis en place

afin que le public puisse suggérer directement à l’AAB les bâtiments susceptibles de se

voir remettre un grade. Et, sur interlocal.net, les doléances exprimées par un « groupe de

citoyens participant au mouvement pour la préservation du Star Ferry » sont bien moins

précises et, en même temps, beaucoup plus profondes. Outre la préservation des lieux, il

est demandé l’initiation de discussions avec Michael Suen Ming-yeung, le secrétaire au

logement et à l’urbanisme, afin de déterminer les alternatives possibles à la destruction

des embarcadères ; on y réclame aussi l’ouverture aux citoyens du processus de

planification urbaine, que cesse la collusion entre le gouvernement et les promoteurs

immobiliers241, et que l’histoire et la culture soient respectés242. Outre ces demandes

formalisées, trois grands thèmes ont été abordés par les manifestants au travers de leurs

actions et des répertoires utilisés, que nous avons tenté de synthétiser ci-dessous243 ; il

s’agit de la démocratie, de l’histoire et de l’identité culturelle hongkongaise. Si les trois

thèmes s’entremêlent souvent, la diversité des acteurs ayant pris part au mouvement nous

239 Pour le Queen’s Pier, voir : « Civil Society Declaration on Queen’s Pier », Leglisative Council Paper No. CB(2)1625/06-07(02).240 Fin mai 2007, elle a été signée par plus de 8000 personnes. Voir : Veg Sebastian, « Le patrimoine culturel à Hong Kong, montée de l’activisme et contradictions identitaires», Perspectives chinoises 2007/2, pp. 48-51.241 Il ne s’agit pas ici de simple populisme, une telle collusion ayant été attestée par plusieurs scandales dont les plus récents sont la condamnation à dix mois de prison de l’ancien directeur de l’URA Russell Hui (pour tentative de corruption de fonctionnaire) en février 2009 ; le scandale Leung Chin-man, du nom de l’ancien directeur du département gouvernemental consacré au logement et à l’urbanisme qui, plusieurs fois au cours de son mandat, a vendu au rabais des terrains à New World Development, une entreprise immobilière qui, étrangement, l’a embauché sitôt prise sa retraite de fonctionnaire (2008). Ajoutons que l’influence des milieux d’affaires sur les décisions politiques du gouvernement n’est pas nouvelle. En 1854, par exemple, le projet du gouverneur Bowring (qui ambitionnait de créer un nouveau quartier qu’il nommerait « Bowrington ») de poldériser le port au niveau de Central avait du être abandonné en raison de l’opposition des hommes d’affaires occidentaux qui avaient installé leurs entreprises dans le district. Voir : Cheng Po Hung, op. cit., 2001, p. 40.242 http://interlocals.net/?q=node/578 (dernier accès le 11 janvier 2009).243 A noter que la rationalité des acteurs ne doit pas être surestimée : certains, comme Lam Oi-wan (qui, pourtant, a fait partie du noyau dur des activistes), ont admis avoir agit avant d’avoir vraiment compris ce qui était en jeu lors de l’occupation de l’embarcadère du Star Ferry le 12 décembre 2006. Echange d’emails avec Lam Oi-wan, 3 avril 2009 - 18 avril 2009.

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contraint aussi à reconnaître que certains des manifestants n’avaient sans doute aucune

intention de se positionner par rapport à la démocratie, à l’histoire ou à l’identité

culturelle hongkongaise en se mobilisant et que la démarche de ceux-là est demeurée

relativement pragmatique et leurs revendications, ouvertement protocolaires244. A cet

égard, la persistance d’une grande diversité des revendications tout au cours du

mouvement force d’ailleurs le scepticisme quant à l’affirmation de Turner et Killian selon

laquelle, du fait de réactions circulaires au sein d’un groupe d’activistes, les mouvements

en viennent généralement à « être dominés par des dispositions et un imaginaire

uniformes »245.

Quoiqu’il en soit, faisons remarquer que, pour beaucoup d’activistes, la véritable valeur

du Queen’s Pier résidait dans l’espace public qu’il constituait pour la population de Hong

Kong, et notamment pour ses secteurs les plus défavorisés, comme les aides ménagères

philippines qui avaient pour habitude de s’y retrouver les dimanches (leur jour de

congé)246. Et c’est dans le but de défendre cet espace public que les activistes se sont mis

à occuper les lieux pour s’opposer à la destruction des deux embarcadères. En ce qui

concerne celui du Star Ferry, l’occupation des lieux a commencé 12 décembre 2006, jour

où les démolisseurs se sont mis au travail (la tour de l’horloge était emballée d’un suaire

d’échafaudages depuis une semaine déjà). Parmi les huit occupants, l’on comptait quatre

journalistes d’InmediaHK…247 Initiée par Icarus Wong Ho-yin, lui-aussi familier

d’InmediaHK, l’occupation du Queen’s Pier a, quant à elle, débuté le 26 avril 2007, jour

où le gouvernement interdit au public l’accès au site248. Ce jour là, une vingtaine

244 Lors d’un échange électronique tenu avec Paul Zimmerman début novembre 2008, le directeur de Designing Hong Kong (et partie prenante aux manifestations évoquées ici) a émis l’idée selon laquelle, sous l’effet conjugué des dynamiques démographiques depuis la rétrocession et la crise du SARS de 2003, les Hongkongais étaient devenus davantage soucieux de la qualité et de la propreté de leur environnement et que c’était cela qui était à l’origine du mouvement du Star Ferry/Queen’s Pier. Toutefois, son opinion n’est pas celle de l’ensemble de Designing Hong Kong : dans plusieurs entretiens accordés à des journaux comme le Standard et le South China Morning Post, Christine Loh, qui est aussi membre de Designing Hong Kong, a interprété le mouvement comme la mise en avant d’une identité hongkongaise. 245 Turner Ralph et Killian, Lewis N., Collective Behavior, Englewood Cliffs, New Jersey Prentice-Hall, 1957, p. 58.246 C’est ce que nous ont révélé Cyd Ho, Mirana May Szeto et Icarus Wong lors des entretiens respectifs que nous avons eu avec eux. Ajoutons qu’Icarus Wong Ho-yin voit la campagne du Queen’s Pier et celle de Lee Tung Street comme les résultats d’un seul et même conflit de classe. Entretien avec Icarus Wong Ho-yin, 11 février 2009.247 Echange d’emails avec Lam Oi-wan, 3 avril 2009 - 18 avril 2009. Lam Oi-wan et Chu Hoi-dick faisaient partie de ce premier groupe d’activistes à occuper l’embarcadère.248 Entretien avec Icarus Wong Ho-yin, 11 février 2009.

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d’activistes, pour la plupart membres de Local Action, entreprennent d’y camper, façon

d’en prendre possession symboliquement et de réaffirmer l’embarcadère comme espace

public. Et, tandis que sur les piliers du Queen’s Pier sont collées des affiches informant le

passant de son entrée dans une « zone populaire autonome », une banderole, entre autres,

affirme explicitement : « C’est notre terre » (This is our land) – une thématique reprise

par certains activistes, dont les T-shirt clament que « la terre n’appartient pas au roi, elle

appartient au peuple » (voir annexe 6). Pareille emphase sur la question de la propriété de

la terre est intéressante si l’on se souvient des mots de Frantz Fanon, selon lequel : « pour

le peuple colonisé, la valeur la plus essentielle, parce que la plus concrète, c'est d'abord la

terre », dont il faut expulser le colon249. Car c'est bien une telle expulsion qui, sous une

forme symbolique, attend la Reine du Queen's Pier. Local Action donne en effet à son

action le nom suivant : « Sauvegarder la Reine, Vivre la Reine, Transformer la Reine »

(« Safeguard the Queen, Experience the Queen and Transform the Queen »), lui

assignant comme objectif la transformation de l’embarcadère en maison, en foyer250.

Alors que, pour une large part du public et des médias, le Queen’s Pier se résume à cet

embarcadère qui servait de lieu d’arrivée aux gouverneurs de la colonie, il s’agit, à

l’inverse, de réaffirmer sa valeur en tant que lieu public utilisé quotidiennement par des

hommes ordinaires et de démontrer que, par le passé, de nombreux mouvements sociaux

l’ont élu comme point de ralliement. A cet endroit, notons d’ailleurs que les fonctions

« civiques et politiques » remplies par le Queen’s Pier étaient reconnues par le rapport

officiel rédigé par Peter Chan Sui-san pour le compte de l’AMO, début 2001…251 Juger

de l’importance du Queen’s Pier à l’aune de tels critères (et non en fonction du nombre et

du nom des hommes d’Etat qui l’ont fréquenté) est une façon habile de replacer la

population hongkongaise au centre de l’histoire de la ville, et d’émanciper cette dernière

des discours qui en font un entre-deux. Comme nous l’a déclaré Icarus Wong Ho-yin, 249 Fanon Frantz, Les damnés de la terre, Paris, La Découverte, 2002, p. 47.250 Les conférences, expositions, concerts et matchs de football également organisés sur le site poursuivent le même but. Lai Chloé, 12 juin 2008, art. cit.251 Chan Sui San Peter, A survey report of Historical Buildings and Structures within the Project Area of the Central Reclamation Phase III, Antiquities and Monument Office, février 2001, p. 11. Antiquities and Monument Office, Memorandum for members of the Antiquities Advisory Board, Grading of Queen’s Pier Central, Hong Kong, Board Paper AAB/16/2007-08, 9 mai 2007, Annexe B, point 18 reconnaît également ce rôle. De manière incidente, notons que, jusqu’en 1978, le Queen’s Pier était aussi le point d’arrivée d’une course de nage : les participants partaient de la gare du KCR, à Tsim Sha Tsui, et traversaient la baie jusqu’au Queen’s Pier !

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l’entreprise de Local Action s’est d’ailleurs voulue ouvertement et résolument

décolonisatrice252. En outre, parce que l’anéantissement d’un autre lieu public symbolise

aussi le retrait de la vie publique des rues et des places pour investir l’intérieur des

bâtiments et s’y cloisonner, la volonté de camper sur les lieux menacés est également un

moyen de dramatiser le gouffre perçu entre le peuple et le gouvernement. Cette stratégie

peut contribuer à renforcer la solidité interne du mouvement253 et à provoquer la

sympathie et le respect des personnes qui n’y sont pas impliquées254, mais sa portée n’est

pas toute entière stratégique et ce n’est sans doute pas par hasard que des banderoles

réclamant la « démocratie » étaient accrochées sur certains piliers, dans le hall du

Queen’s Pier occupé. Interviewée par le South China Morning Post après quinze nuits

passées dans ce même hall, Bobo Yip Po-lam exprime d’ailleurs le sentiment d’aliénation

qu’elle ressent par rapport à son gouvernement : « Il faut réfléchir à ce qu’est la

démocratie. La démocratie doit être la même (sic) pour les élites et pour le peuple »255.

A cet égard, il est intéressant de noter que, selon certains professionnels, l’axe que

forme le Queen’s Pier avec Edinburgh Place et City Hall, symbolise le lien entre le

gouvernement (représenté par le Queen’s Pier, historiquement) et le peuple (incarné par

le City Hall)256. L’investissement du Queen’s Pier est donc également le moyen, pour le

peuple, de prendre symboliquement la place traditionnellement réservée à ses dirigeants,

manière de réclamer un gouvernement populaire et non constitué d’élites cooptées et

distantes. La « participation populaire à la planification de l’espace public » était

d’ailleurs formellement réclamée par une pétition émanant de personnalités du monde

252 Entretien avec Icarus Wong Ho-yin, 11 février 2009.253 Morris A. et Mueller CM (éds.), Frontiers in Social Movement Theory, New Haven, Yale University Press, 1992.254 Goodwin James et Jasper James M., « Emotions and Social Movements », in Goodwin James, Jasper James M. et Polletta Fransesca, Passionate Politics, Emotions and Social Movements, Chicago, The University of Chicago Press, 2001.255 Vidéo de Lau Kit-wai (reporter), Glasser Matthew et Ling Jessica (producteurs) pour le South China Morning Post, 2006. Vidéo disponible ici: http://www.youtube.com/watch?v=fd_9QKE1Aaw.256 Telle est la position du Hong Kong Institute of Architects, qui pense en outre que l’alignement des trois constructions – qui faisait transiter le gouverneur directement du Queen’s Pier au City Hall, lors de son arrivée - est intentionnel. Voir: Lau Patrick, op. cit., septembre 2007, p. 39. Notons qu’en 2000, Edinburgh Place avait déjà été victime des projets routiers du gouvernement, qui avait, pour une durée limitée, permis à une route de traverser la place. A cette époque déjà, la portée symbolique d’une telle manœuvre avait été rapportée. Voir, par exemple: Chan Quinton, « Place in colonial history faces sacrifice for temporary road », South China Morning Post, 24 octobre 2000.

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académique257. Une telle manipulation des symboles a été récurrente tout au long des

mobilisations depuis la première phase du mouvement (la campagne pour la préservation

de l’embarcadère du Star Ferry), comme ce soir jeudi 14 décembre 2006, où a eu lieu une

veillée à la bougie afin de marquer le 49ème anniversaire de l’embarcadère du Star Ferry

à laquelle 200 personnes environ ont pris part258. Il a été remarqué que les organisateurs

d’un mouvement cherchent souvent à construire son identité à partir d’une autre identité

collective indépendante259. Dans notre cas, ce recours aux bougies est une allusion

évidente aux veillées qui, depuis 1989, ont lieu chaque soir du 4 juin à Victoria Park, et

où plusieurs dizaines de milliers de Hongkongais commémorent en silence et une bougie

à la main les victimes du massacre de Tienanmen perpétré le 4 juin 1989260. Par cette

référence, les activistes ont ainsi cherché à tisser un lien entre leur combat pour le Star

Ferry et celui mené pour la démocratie et la liberté, érigeant l’embarcadère du Star Ferry

et sa tour de l’horloge en martyrs. Les événements de la journée, marquée par l’incursion

de la police sur les lieux afin d’en débarrasser les occupants, au moment même où une

session spéciale était tenue au Conseil législatif afin de tenter de trouver une solution à la

crise261, ont contribué à rendre l’association d’idées encore plus évidente et peut-être

peut-on aller jusqu’à suggérer que c’est l’évocation symbolique des victimes de

Tienanmen qui a donné à certains participants à la veillée le courage d’aller défier les

forces de l’ordre au cours de la nuit...262

Reconceptualiser Hong Kong

Ici liée à la question de la démocratie, l’histoire est ainsi un autre des thèmes centraux

du mouvement. Lors de la première phase du mouvement, des allusions y ont été faites,

257 “Scholars in support of the preservation of the Star Ferry Pier”, 17 décembre 2006. Le texte a été rédigé par treize individus parmi lesquels Fernando Cheung Chiu-hung, Hung Wing-tat, Mirana May Szeto, Yeung Yeung et Ada Wong Ying-kay.258 Asprey Donald, « Tough action warning on pier », The Standard, 16 décembre 2006.259 Jasper James M., The Art of Moral Protest, Culture, Biography, and Creativity in Social Movements, Chicago, University of Chicago Press, 1997.260 La popularité persistante de cette veillée est bien sûr embarrassante pour les dirigeants de la SAR. L'on a déjà évoqué les propos tenus par certains pour tenter de décourager les Hongkongais de commémorer le 20ème anniversaire du massacre et en 1997, à la veille de prendre ses fonctions de premier chef de l’exécutif hongkongais, Tung Chee-hwa avait ouvertement invité la population à « abandonner le bagage du 4 juin ». Voir : Béja Jean-Philippe, art. cit.261 La question faisait également objet de débats suivis dans différents comités et sous-comités du Conseil législatif, notamment le sous-comité des travaux publics (Public Works Subcommittee).262 Treize activistes seront d’ailleurs arrêtés. Voir : Chan Tonny, art. cit.

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comme au travers de cette effigie de la tour de l’horloge qu’au cours d’une marche, on a

portée comme la chaise à porteur sur laquelle se promenaient autrefois les empereurs

chinois, transformant la marche en un convoi impérial. La démarche est bien sûr sujette à

différentes interprétations, mais l’on peut voir dans ce geste une tentative, de la part des

manifestants, de rehausser symboliquement (et avec un certain humour) le statut du

bâtiment, tout en se transformant eux-mêmes en les serviteurs dévoués et légitimes d’une

histoire locale et populaire décomplexée par rapport à la grande Histoire qu’est l’histoire

officielle… Comme nous l’avons déjà dit : depuis peu avant la rétrocession, il se trouve

des historiens pour tenter de remédier au problème relatif à l’absence quasi-totale du

peuple hongkongais des livres d’histoire, qu’il s’agisse de ceux écrits par des

Britanniques, ou de ceux écrits par des Chinois. Des fragments d’histoire locale sont ainsi

apparus, sous la forme de descriptions de vieilles rues, d’albums photos, de mémoires

personnelles, mais aucune « master narrative » n’est encore parvenue à narrer l’histoire

des Hongkongais de manière globale et cohérente263. Or, outre les personnes ayant

confectionné la chaise à porteur mentionnée plus haut, il s’est trouvé durant le MSQ des

activistes pour souligner l’existence et la contribution du peuple à l’histoire locale.

Que Local Action se soit attaqué de front à la question de l'histoire hongkongaise n'est

guère étonnant si l'on garde à l'esprit les mots de Frantz Fanon : « l'immobilité à laquelle

est condamné le colonisé ne peut être remise en question que si le colonisé décide de

mettre un terme à l'histoire de la colonisation (...) pour faire exister l'histoire de la

nation »264. Une telle volonté de rupture avait été affichée sur des banderoles appelant au

« respect de notre culture et de notre histoire » ; elle a été détaillée et explicitée au cours

de débats. S’exprimant au cours d’un forum organisé devant le Queen’s Pier le dimanche

29 juillet 2007, Chu Hoi-dick a ainsi évoqué la naïveté du discours historique dominant

qui tend à narrer l’épopée hongkongaise comme celle d’un village de pécheurs devenu

centre financier mondial265, avant de rappeler la contribution au développement de la ville

des mouvements sociaux des années 1960 (la preuve la plus flagrante de l’existence du

263 Lee Leo Ou-fan, op. cit., p. 18.264 Fanon Frantz, op. cit., p. 52.265 Tsui Clarence, “Who are we ?”, South China Morning Post, 11 juin 2007.

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peuple hongkongais)266. Dans le même geste, il prend à contrepied le discours historique

dominant tendant à présenter Hong Kong comme le mariage harmonieux de l’Occident et

de l’Orient et évoque la nécessité de « reconceptualiser l’idée de Hong Kong comme

localité » - un souci qui est d’ailleurs à l’origine du nom Local Action. Et tout cela, dans

le but consciemment recherché d’aider à la décolonisation de Hong Kong267. A ce propos,

il faut faire remarquer que la grève de la faim lancée le 15 décembre par vingt étudiants

afin de sauvegarder l’embarcadère du Star Ferry ne vise pas seulement à démontrer au

gouvernement qu’ils sont prêts à se sacrifier pour la survie de l’embarcadère, mais

constitue une nouvelle référence – parfaitement intentionnelle, encore une fois - à

l’histoire hongkongaise268. Le 5 avril 1966, sur les mêmes lieux, c’est en effet en menant

une grève de la faim que So Sau-chung s’était élevé contre l’augmentation du prix du

ticket de première classe du Star Ferry269. En répétant ce geste dans le contexte post-

rétrocession, les manifestants assimilent donc le gouvernement de la Région

administrative spéciale à l’administration coloniale britannique, façon de dire que

l’époque coloniale n’est pas révolue. Mais, surtout, parce que les années qui ont suivi

l’acte de So Sau-chung sont communément considérées comme constituant le creuset de

l’identité hongkongaise, le geste peut être vu comme un appel à réaffirmer cette dernière,

dans un contexte propice à la faire percevoir comme menacée.

La formule d’Anson Chan Fang-on, secrétaire en chef de la première administration

post-rétrocession, qui, dans un discours donné à Washington en juin 1998, avait déclaré

que « la transition véritable est une question d’identité, pas de souveraineté », saisit en

effet particulièrement bien les efforts fournis par Pékin et son front uni pour « gagner les

cœurs et les esprits » des citoyens de la nouvelle SAR : depuis 1996 et la parution des

« Civic Guidelines on Education », l’instruction en matière d’identité nationale chinoise

266 The 30SGroup et Li Laurence, « There is more than just Queen’s Pier at stake”, South China Morning Post, 4 août 2007. Ajoutons qu’en insistant sur ce point, consciemment ou non, Chu Hoi-dick participe à la dénonciation du mythe d’une politique par consensus, sur lequel le gouvernement de la colonie a longtemps joué afin de polir son image auprès du public et de perdurer tout en se passant d’instaurer la démocratie. Pour de longs développements sur le sujet, voir: Faure David, Colonialism and the Hong Kong Mentality, Hong Kong, Centre of Asian Studies, University of Hong Kong Press, 2003.267 Entretien avec Icarus Wong Ho-yin, 11 février 2009.268 La référence a en effet été consciemment recherchée par les activistes à l’origine de cette première grève de la faim. Ibid.269 Toujours vivant, So Sau-chung a d’ailleurs fait part de sa sympathie et de son soutien aux activistes du MSQ.

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est en effet un élément du curriculum ; et en 2005 a notamment été lancée la campagne

« I love China » dans les écoles primaires alors qu’une courte vidéo contenant l’hymne

national comme fond sonore est projetée quotidiennement à la télévision depuis le 1er

octobre 2004270. Ce discours patriotique auquel n’étaient pas habitués les Hongkongais a

sans doute amené certains d’entre eux - notamment les plus jeunes, qui sont nés et ont

grandi sur le sol hongkongais - à percevoir leur identité comme mise en danger. Durant le

MSQ, la mise en avant d’une culture et d’une identité hongkongaise perçues comme

menacées est surtout advenue durant la deuxième phase du mouvement, celle ayant pour

objet la préservation du Queen’s Pier, mais elle n’était pas pour autant absente lors de la

campagne pour la préservation de l’embarcadère du Star Ferry. Latente dans la plupart

des installations et des performances artistiques, elle était explicitée noir sur blanc dans

un appel à se mobiliser émis le 30 novembre 2006 par Martin Wan, directeur de la

Conservancy Association et qui s’achevait par ces mots : « Que l’embarcadère du Star

Ferry continue à nourrir le sentiment d’identification avec la ville des générations futures,

à cultiver leur esprit de création de valeurs historiques et culturelles »271 ; elle l’était

encore dans la déclaration de personnalités du monde académique du 17 décembre, qui

faisait état du « piétinement de la culture hongkongaise par le gouvernement »272.

C’est la même idée qui domine les propos tenus par Lewis Leung Chun-Yin (23 ans,

assistant dans un entrepôt, il campe sur le site du Queen’s Pier trois soirs par semaine),

lors d’un entretien libre accordé à un journaliste du South China Morning Post : « au

cours de mes études au sein du système éducatif hongkongais, il ne m’a jamais rien été

enseigné à propos de notre histoire et de notre culture locales. (Mon implication dans le

mouvement) n’a rien à voir avec la politique, ça n’a rien à voir avec le gouvernement

central, ni même avec le business ou l’argent. C’est au sujet de la relation entre moi et

Hong Kong »273. Apparaît ainsi dans la déclaration de Lewis Leung ce que l’on pourrait

assimiler à une quête d’identité située au-delà des contingences politiques, même si

l’intéressé affirmera par ailleurs que son action vise le gouvernement hongkongais qui,

270 Voir : Mathews Gordon, Kit-wai Ma Eric et Tai-lok Lui, op. cit., « Hong Kong schools and the teaching of national identity », pp. 78-94271 On peut le consulter à l’adresse suivante : www.interlocals.net/ ?q=mode/602 (dernier accès le 25 janvier 2008).272 Scholars in support of the preservation of the Star Ferry Pier”, 17 décembre 2006.273 Parry Simon, « First Person », South China Morning Post, 7 juin 2007.

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selon lui, tente de « détruire tout ce qu’il peut de notre culture et de notre histoire

locales »274. Sur ce sujet, dans un portrait publié par HK Magazine quelques temps après

la fin du mouvement, Ho Loy renchérissait : « En ignorant notre héritage, le

gouvernement essaie de fondre Hong Kong dans la Chine (…) ; l’Heritage and

Conservation Committee, il n’a pas de trace de ceci, il n’a pas de trace de cela… Il n’a

rien qui témoigne du fait qu’Hong Kong possède une histoire !275 »

En outre, au-delà des trois thèmes que sont la démocratie, l’histoire et l’identité, a aussi

été abordée la question du matérialisme de la société hongkongaise, un matérialisme

sévèrement critiqué dans des slogans tels que « La communauté n’est pas à vendre »

déployés par certaines banderoles. Il serait d’ailleurs intéressant de voir si le cycle de

manifestations qui s’est engagé depuis les manifestations massives du 1er juillet 2003 ne

serait pas favorisé par une certaine frustration ressentie par les Hongkongais dans la

sphère privée et exprimée par plusieurs activistes276. A titre d’exemples, notons qu’Icarus

Wong Ho-yin se revendique ouvertement anti-libéral277 alors que, pour Ho Loy, « acheter,

acheter, acheter, voilà Hong Kong »278. Rappelons aussi que beaucoup des membres de

Local Action ont participé aux manifestations anti-OMC de décembre 2005 (à titre

individuel, le collectif n’existant pas encore à cet époque)…279 Aussi Michelle Huang

Tsung-yi n’hésiterait probablement pas à lire cette campagne comme le réveil des

« autres », cette majorité silencieuse des « cités globales » dont fait partie Hong Kong,

elle aussi dominée par une élite d’hommes d’affaires internationaux qui sont les seuls à

revendiquer l’espace urbain et les principaux agents de la production des « districts

glamours » de la ville (Lan Kwai Fong et ses alentours)280.

274 Ibid.275 “Ho Loy”, Hong Kong magazine, 19 octobre 2007.276 Cette hypothèse selon laquelle se produiraient des oscillations entre des phases d'intense préoccupation envers les affaires publiques et d'autres, presque exclusivement attachées au progrès individuel, aux objectifs relevant du bien être privé, est celle de Hirschmann Albert O. dans Bonheur privé, action publique, Paris, Hachette pluriel, 2006.277 Entretien avec Icarus Wong Ho-yin, 11 février 2009.278 “Ho Loy”, op.cit..279 Entretien avec Icarus Wong Ho-yin, 11 février 2009.280 Huang Tsung-yi Michelle, Walking Between Slums and Skyscrapers, Illusions of Open Space in Hong Kong, Tokyo and Shanghai, Hong Kong, Hong Kong University Press, 2004, pp. 5-6.

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Et, à la vue du degré d’engagement politique du noyau d’activistes engagé dans la

préservation du Queen’s Pier, l’on comprend que le concept de « mémoire collective »,

repris par les médias comme s’il s’agissait du slogan officielle de la campagne, ait été

largement débattu. S’il ne fait guère de doute qu'il a été à l’origine de la mobilisation de

beaucoup de manifestants (des moins politisés peut-être281), Chu Hoi-dick et Icarus Wong

Ho-yin, entre autres, l’ont récusé282, alors que Mirana May Szeto est allée jusqu'à

suspecter que son emploi dans le contexte du MSQ ait été initié par le gouvernement afin

de dépolitiser le mouvement283. L’on peut, comme Lam Oi-wan, juger l’hypothèse peu

vraisemblable « tant le gouvernement hongkongais est faible en ce qui concerne les

discours »284, cela démontre en tout cas combien étranger le terme de « mémoire

collective » a été pour le noyau dur du mouvement, ces derniers témoignant même d’une

véritable hostilité à l’encontre d’un concept jugé trop vague et trop peu revendicatif.

En guise de conclusion, nous ferons remarquer que si, en termes numériques, les

activistes ont été relativement peu nombreux, l’on peut estimer qu’une large partie de la

société a éprouvé de la sympathie à l’égard du mouvement qu’ils ont mené : des articles

très critiques envers la politique gouvernementale en matière de préservation de

l’héritage ont ainsi été publiés dans de nombreux journaux, alors que le HK Magazine

s’est fait un plaisir d’en faire la satyre à plusieurs reprises, tout en dédiant un poème

humoristique aux manifestants du Queen’s Pier285, qui ont aussi bénéficié de la visite

médiatisée de Chow Yun-fat, acteur hongkongais de renommée internationale, venu les

assurer de son soutien. Loin d’être en reste, ceux du Star Ferry (mais peut-on vraiment les

distinguer de ceux du Queen’s Pier ?) se sont vus remettre le titre symbolique de

« Personne de l’année » par la très sérieuse RTHK (Radio Television Hong Kong) radio

3. Néanmoins, le bilan du mouvement ne peut être dressé à la seule aune des taux de

popularité dont jouissent ses acteurs et force est de constater que ces derniers n’ont

obtenu gain de cause ni pour l’embarcadère du Star Ferry ni pour le Queen’s Pier 286, qui

281 Echange d’emails avec Lam Oi-wan, 3 avril 2009 - 18 avril 2009.282 Entretien avec Icarus Wong Ho-yin, 11 février 2009.283 Entretien avec Mirana May Szeto, 19 février 2009.284 Echange d’emails avec Lam Oi-wan, 3 avril 2009 - 18 avril 2009.285 « Pier As Folk », HK Magazine, 3 août 2007.286 Notons à cet égard que, sur les questions du patrimoine, du planning et du renouvellement urbains, malgré de nombreuses confrontations avec la société civile (dont les plus importantes ont été

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devrait toutefois être reconstruit, si l’on s’en tient à la promesse faite par Carrie Lam aux

députés du Conseil législatif le 21 mars 2007287. D’ailleurs, lors des élections législatives

de septembre 2008, les positions prises par les cinq candidats de la functional

constituency des secteurs de l’architecture, de l’expertise et de la planification urbaine (6,

147 votants) quant au lieu où le Queen’s Pier devrait être réhabilité a été considéré

comme un critère déterminant. Mais surtout, le mouvement sera parvenu à mettre le

thème du patrimoine sur l’agenda gouvernemental, comme en témoigne la « Lettre à

Hong Kong » (discours en réaction à l’actualité auquel le chef de l’exécutif s’adonne

deux ou trois fois par an) prononcé par Donald Tsang le 28 janvier 2007, et qui est

entièrement dédié au patrimoine, pour la préservation et la conservation duquel de

nouvelles mesures sont promises288. Même si le chef de l’exécutif y raisonne en termes de

mémoire collective, ses réflexions à ce sujet ne sont pas inintéressantes : « touché par la

sincérité des émotions exprimées par des personnes représentées par aucun groupe établi

et aucun parti politique », le chef de l’exécutif semble avoir bien compris le discours

développé par les activistes lorsqu’il affirme : « peut-être la mémoire collective n’est elle

qu’une balise, qui nous aide à définir qui et ce que nous sommes, et d’où nous

venons »289.

retracées au-dessus), le gouvernement hongkongais n’a jamais cédé que forcé par les juges : en 2003, la Society for Protection of the Harbour a défait le Town Planning Board, forçant celui-ci à réviser entièrement ses projets de poldérisation du port ; d’autres victoires suivirent comme celle, moins retentissante, de Designing Hong Kong Harbour District et Citizens Envisioning@Harbour, au sujet de la préservation du front de mer de North Point. Chan W. K., art. cit., p. 3. Des compromis ont pu être réalisés en certains cas (Blue House, à Wan Chai, notamment).287 Cela dit, Patrick Lau Sau-shing a été réélu, alors même que, suite à un message de Yu Kam-hung, le président du Hong Kong Institute of Surveyors, lui confirmant que l’institut n’avait aucune objection quant au démantèlement du Queen’s Pier, il avait quitté le sous-comité des travaux publics du Conseil législatif avant que celui-ci procède au vote sur le sujet. L’on se souvient toutefois qu’il avait voté contre le financement du démantelement au Comité des finances.288 Elle est consultable à l’adresse suivante: www.ceo.gov.hk/eng/letter/28-01-2007.htm (dernier accès le 25 janvier 2008).289 Donald Tsang, « Letter to Hong Kong – Heritage Preservation », 28 janvier 2007, consultable à l’adresse suivante : www.ceo.gov.hk/eng/letter/28-01-2007.htm (dernier accès le 25 janvier 2008).

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Transition

Même si elle y entre avec quelques décennies de retard, Hong Kong n’échappe donc

plus à la « patrimonialisation généralisée » dont a été marquée la fin du XXème siècle290.

La fièvre patrimoniale qui s’est emparée des Hongkongais a trouvé dans les marchés en

plein air aussi bien que dans les arrêts de bus de nouveaux objets de culte et tout, ou

presque, est devenu susceptible d’être labélisé « patrimoine », d’être sauvegardé ou

préservé ; Hong Kong semble entamer cette « période ou les intellectuels (et les autres)

chantent les moindres déterminations du panorama indigène »… 291 Dans son livre de

1997, Ackbar Abbas avait déjà remarqué un certain manque de repère, voire un vertige

identitaire dans la société hongkongaise de l’époque. Mais il avait lié ce qu’il percevait

comme des « tentatives désespérées de s’accrocher à des images d’identité, peu importe

qu’elles soient étrangères ou clichés » à la qualité même de Hong Kong, soit celle d’un

lieu de passage, d’une sorte de sas292. Aujourd’hui toutefois, Hong Kong ne fait plus

simplement que se lamenter sur la perte de ses bâtiments historiques mais met en œuvre

des mesures très concrètes pour la prévenir. Et ce n’est plus à des images « étrangères » 290 Sylvestre Jean-Pierre, “Introduction”, Hermes 20, Toutes les pratiques culturelles se valent-elles ?, France, CNRS, 1996, cité dans Jadé Mariannick, op. cit., p. 39.291 Fanon Frantz, op. cit., p. 210.292 Abbas Ackbar, op. cit., p. 69.

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ni même « cliché » que l’on se raccroche mais, à l’inverse, à des lieux, des édifices et des

habitudes qui sont autant de marqueurs d’une quotidienneté rassurante293.

Cela est parfois couplé à un localisme exacerbé que ne démentent pas les exemples du

Wan Chai Livelihood Place, œuvrant depuis 2004 à la promotion de « l’essence de Wan

Chai », de Hulu et de son effort de documentation sur « l’âme indigène de Ngau Tau

Kok », ou de Ho Loy qui s’est un temps consacrée à la défense du « mode de vie

distinctif de Lantau »… Ainsi, selon nous, la crispation sur un noyau culturel de plus en

plus étriqué dont témoignent les différentes initiatives dont nous avons traité révélerait

avant tout la recherche d’une identité primaire, elle-même symptomatique d’une perte de

sens. Car, au-delà du plaisir et du savoir manifestes qu’elle nous offre, la conservation du

patrimoine détient en effet le pouvoir de nous rassurer : les monuments historiques qui la

composent constituent les « jalons de nos accomplissements dans le temps (et) nous

renvoient une image, la nôtre. C’est bien elle que nous contemplons dans le miroir du

patrimoine »294. C’est ce que Françoise Choay nomme la fonction « narcissique » du

patrimoine295.

Le MSQ a toutefois su répondre à cette quête de sens en tentant de façonner pour Hong

Kong une identité positive. Que cette identité n’ait pu être définie qu’au prix d’une

remise en question de l’image communément assignée à la ville (celle d’une fusion

dynamique et harmonieuse de l’Orient et de l’Occident), témoigne d’un conflit entre son

identité telle que perçue au niveau communautaire et telle que perçue au niveau

administratif. Néanmoins, encore une fois, le MSQ n’est que l’expression d’une tendance

plus générale, et dont les mouvements évoqués dans notre première partie sont la partie

visible. Car vouloir figer le passé (ou le contemporain) comme le font ces derniers va

également à l’encontre de l’idée de Hong Kong comme ville en mouvement perpétuel à

laquelle les récits officiels et coloniaux nous ont habitués. Ainsi, alors que, de Hong

Kong d’avant la rétrocession, Abbas disait qu’elle était dépourvu d’identité fixe et des

293 Une telle préoccupation possède des prolongements dans la musique (voir Senseless, Fan Hung A ou My Little Airport, par exemple) et le cinéma indépendants hongkongais. Pour le cinéma, voir : Veg Sebastian, « Anatomie de l’ordinaire – renouveau du cinéma indépendant hongkongais », article non publié, communication privée de l’auteur.294 Choay Françoise, op. cit., p. 279.295 Ibid.

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inhibitions qui l’accompagnent, et que c’est pour cela que son architecture n’hésitait pas à

embrasser la contemporanéité (à l’inverse de Taiwan, par exemple, qui se considère

comme la garante de la culture chinoise)296, dix ans après la rétrocession et le livre

d’Ackbar Abbas, force est de constater que ce n’est plus le cas et que l’architecture

moderne, si elle se déploie au détriment du local, est désormais contestée. Les

mouvements que nous avons analysé peuvent donc être lus comme symptomatiques

d’une identité en train de se fixer.

C’est exactement ce que disait Anthony Cheung dans une colonne du South China

Morning Post : « le débat au sujet du patrimoine n’est que la partie visible d’un

changement sociétal plus fondamental. Celui-ci émane des soucis exprimés par la jeune

génération au sujet de leurs racines locales et de la quête d’une identité positive pour

Hong Kong – au moment où la ville passe du statut de colonie assujettie à celui de région

administrative spéciale de Hong Kong »297. La préoccupation récente des Hongkongais

pour leur patrimoine serait ainsi une des manifestations d’un processus de décolonisation

en cours et peut-être pourrait-on suggérer l’ajout d’une troisième case au tableau réalisé

en introduction :

Epoque précoloniale Ere coloniale Présent (postcolonial ?)

Temples etc. HKU etc. Star Ferry

Lee Tung Street

Ngau Tau Kok etc.

Reste à savoir si ces bâtiments, auxquels la société attache une importance particulière,

font désormais l’objet d’un traitement approprié de la part de l’administration. En

d’autres termes : l’AAB a-t-elle également prévu d’ajouter une nouvelle case à son

classement des monuments ?

296 Abbas Ackbar, op. cit., p. 80.297 Cheung Anthony, “Definining Ourselves”, South China Morning Post, 17 septembre 2007.

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II. Dé-localisation

Selon l’historien Steve Tsang, l’une des faiblesses les plus persistantes de

l’administration hongkongaise est qu’en la présence d’un problème identifié, elle préfère

se laisser dériver que s’attaquer activement au problème en question, jusqu'à ce qu’un

désastre intervienne, et rende urgent le besoin de réforme298. Cette fois encore, il aura

fallu les « désastres » de Lee Tung Street et des deux embarcadères pour que l’URA et

l’AAB envisagent une réforme de leurs politiques respectives. Bien que les

fonctionnaires des institutions en charge de la gestion du patrimoine s’étaient

probablement tous vus remettre le rapport rédigé par Peter Chan Sui San pour le compte

de l’AMO299, et qui les avertissait dès 2001 de la très probable désapprobation populaire

en cas de démolition de l’embarcadère du Star Ferry, le MSQ en a pris beaucoup « par

surprise », de l’aveu de l’actuel président de l’AAB, Bernard Chan300. Cette surprise est

d’autant plus étonnante que la proposition de la Tourist Association (désormais Hong

298 Tsang Steve, op. cit., 2007, p. 95.299 Chan Sui San Peter, A survey report of Historical Buildings and Structures within the Project Area of the Central Reclamation Phase III, Antiquities and Monument Office, février 2001, p. 10. De manière incidente, notons qu’au beau milieu du MSQ, le rapport de Peter Chan a soudainement disparu du site web de l’AMO. Le gouvernement a eu beau clamer son innocence, mettant cette infortune sur le dos d’une erreur de manipulation de la part d’un secrétaire (ce qui s’est d’ailleurs sans doute véritablement produit), cet événement malheureux fut suffisant pour enflammer davantage encore les manifestants. Voir : Chan W. K., art. cit., p. 12.300 Chan Bernard, « Modern methods for the antiquities board », South China Morning Post, 2 janvier 2002.

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Kong Tourism Board) en 1999 de déplacer les deux terminaux du Star Ferry avait déjà, à

l’époque, provoqué le désarroi de nombre de Hongkongais301. Toutefois, nous ne

douterons pas de la bonne foi du gouvernement, son manque de préparation s’étant

clairement manifesté dans la façon dont il a géré la crise. C'est en effet à la hâte qu’ont

été prises les premières mesures visant à résoudre cette dernière.

A court terme, la réponse de l’administration a consisté en la mise en place de

consultations publiques, qui participent à saper en grande partie les opportunités d’action

des activistes évoqués dans notre première partie. C’est dans la mesure où des initiatives

de la société civile pour une meilleure prise en compte du patrimoine vernaculaire ont

désormais moins de chance d’émerger alors même que leurs revendications n’ont été

prises en compte qu’à la marge que nous parlerons d’absorption (A). En outre, les

diverses mesures prises au lendemain du MSQ ne semblent pas à même de constituer une

alternative crédible à la marchandisation du patrimoine (B) qui accompagne la

transformation de Hong Kong en une ville générique. Et c’est parce que, à long terme, ce

qu’il reste du patrimoine hongkongais risque fort de se retrouver perdu dans le marché

global, incarné par les bâtiments réitératifs qui ensevelissent les rues de Hong Kong, que

nous parlons de dé-localisation.

A. Absorption

Il n'est pas question ici de sous-estimer l'importance des mesures prises par le

gouvernement au lendemain du MSQ ; nous n’envisageons pas de contredire ni même de

nuancer les propos de Lee Ho-yin, selon lequel ces mesures constituent « le premier

effort véritable de l'administration hongkongaise en matière de préservation du

patrimoine »302. Il s'agit simplement de souligner que ces mesures n'ont pas été une

réponse au MSQ et que les revendications de celui-ci comme des initiatives de la société

civile l'ayant précédé n'ont fait l'objet d'aucun débat véritable. Il en est ainsi parce que les

consultations publiques mises en place ont été défectueuses (1), ce qui a donné au

gouvernement les mains libres pour mettre en œuvre des réformes qu’il souhaitait, en

prenant grand soin d’éviter toute contamination par des sujets politiques (2).

301 Voir, par exemple : « Warning on Star Ferry shift », South China Morning Post, 18 août 1999.302 Entretien avec Lee Ho-yin, 20 avril 2009.

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1. Consultation

Monopolisation de l’initiative

Comme cela semblait promis, aux revendications populaires pour une meilleure

préservation du patrimoine hongkongais, le gouvernement a répondu en entreprenant de

bâtir un consensus entre la société civile et lui-même. Donnant l’impression d’un

gouvernement réactif et à l’écoute des citoyens, au lendemain du MSQ et de la

confrontation de Lee Tung Street comme au lendemain des grandes émeutes de la fin des

années 1960 (on se souvient de l'usage que faisait McDougall des kaifong303), il est ainsi

venu à la rencontre des leaders locaux et sectoriels afin que ceux-ci lui fournissent le

soutien nécessaire à la mise en place d’une nouvelle ligne politique. Pour la mise à jour

du mandat de l’Autorité du patrimoine (Antiquities Authority, AA) aussi bien que pour la

réforme du mandat de l’URA (que l’on nomme l’Urban Renewal Strategy, URS), c’est

avec force démonstration qu’il a mis en place des exercices de consultation. Mais de tels

procédés ne doivent pas faire oublier que de tels exercices ne constituent que l’ersatz de

la démocratie véritable depuis longtemps réclamée. Comme le disait John Walden (alors

secrétaire aux affaires intérieures) en 1974 : « nous procédons par consensus plutôt que

par débat car c’est la seule voie possible pour un gouvernement devant demeurer au

pouvoir indéfiniment. Un gouvernement nouvellement élu à partir d’un programme

électoral peut mener une politique à l’insu de minorités, même substantielles. Nous ne le

pouvons pas »304. Et aujourd’hui encore, les consultations peuvent être lues comme le

symptôme (en même temps que son remède) du déficit démocratique des institutions

hongkongaises, notamment celles ayant trait au patrimoine et à la planification urbaine…

A ce propos, lors de l’entretien que nous avons eu avec elle, Ada Wong Ying-kay nous a

d’ailleurs révélé que ses « amis » de l’administration Donald Tsang étaient toujours

303 Tsang Steve, op. cit., 2007, p. 77. Voir aussi: Wong K. Aline, “Chinese Community Leadership in a Colonial Setting: The Hong Kong Neighbourhood Associations”, Asian Survey, Vol. 12, No. 7, juillet 1972, pp. 587-601.304 John Walden, cité dans Lau Chi-kuen, Hong Kong’s Colonial Legacy, Hong Kong, The Chinese University Press, 1997, p. 30. A l’époque de la parution de l’article, John Walden était le secrétaire aux affaires intérieures de la colonie.

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réticents à l’idée de devoir conduire des consultations publiques, persuadés qu’aucun bon

sens ne peut émaner du citoyen lambda305. Il semble en effet qu’à Hong Kong, les

consultations sont davantage perçues comme une routine administrative dont découle une

légitimité procédurale nécessaire à l’implémentation d’une politique donnée que comme

l’opportunité de tirer le meilleur d’une société civile ayant pourtant fait preuve d’une

degré de professionnalisme peu commun (il n’est d’ailleurs pas anodin que les projets

alternatifs spontanés de la société civile soient systématiquement rejetés). C’est en tout

cas ce que semble indiquer l’incompréhension démontrée par certains professionnels

quand, suite à une consultation pourtant menée dans les règles de l’art, ils voient

s’embraser l’opinion publique306.

De telles situations, relativement fréquentes, témoignent également d’un problème plus

singulier : dans bien des cas, les consultations ne parviennent pas à capter avec fidélité

l’opinion de ceux qu’elles sont censées sonder (alors que, dans d’autres encore, les

politiques mises en place suite aux exercices de consultation ne correspondent pas aux

opinions émises par les personnes interrogées). Le gouvernement peut, comme il le fait

régulièrement, estimer cette déconnexion comme le produit d’une prise d’otage des

consultations par certains groupes d’intérêt. Mais « pour ce qui est de mener, ou de

tromper, l’opinion publique, le gouvernement est dans une bien meilleure position et

possède davantage d’influence » que ces derniers307. C’est bien lui qui, à chaque fois,

décide des thèmes débattus et de qui les débat ; dans tous les cas de figure, le doute qui

pèse sur la sincérité avec laquelle sont conduits les exercices de consultation serait levé

s’il était accepté de mener ces derniers en toute transparence308.

Peut-être est-ce d’ailleurs parce qu’aucun dialogue n’est véritablement entamé durant

ces consultations que ces dernières se limitent à fonctionner comme une simple boite à

305 Entretien avec Ada Wong Ying-kay, ancienne présidente du Conseil de district de Wan Chai et fondatrice et directrice du Hong Kong Institute of Contemporary Culture, 17 février 2009, Lee Shau Kee School of Creativity, 16h00-16h45.306 David Au estime ainsi que les manifestations de Lee Tung Street sont illégitimes car une consultation avait été menée qui laissait à l’URA la voie libre pour redévelopper le site. Entretien avec Au Chiu-wai David, 29 avril 2009. A noter que le même argument avait été évoqué pour l’embarcadère du Star Ferry.307 Chan W. K., art. cit., p. 7.308 Ibid, p. 19.

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idées, dans laquelle quelques heureux élus répondent à une question posée, qu’elles

faillissent bien souvent à leur tache. A Hong Kong, le Conseil pour le Développement

Durable avait mis au point un modèle de consultation permettant l’établissement d’un

authentique dialogue à deux entrées avec la société civile309, un modèle dont certains

avaient demandé la généralisation310. Cela aurait notamment permis de tenir compte de

l’imposante littérature publiée au sujet du patrimoine depuis des années déjà par les

organisations du territoire spécialisées dans le domaine, et dans laquelle figurent, entre

autres, The Way Forward du Civic Exchange (2002), Heritage for the People de la

Conservancy Association (2003) et, surtout, We All Gain, le rapport de juin 2005 de la

Conservancy Association, établi à partir de plus de 10 000 opinions recueillies311.

Cependant, ce n’est pas ce modèle qui a été utilisé pour les consultations relatives à la

réforme du mandat de l’AA et de l’URS. Et, étant donné le déficit d’expertise et la grande

généralité des questions auxquelles furent confrontées les personnes sondées (deux points

que nous détaillerons par la suite), la chose est regrettable.

Quoiqu’il en soit, du fait de l’usage particulier qui a été fait des consultations dans le

passé, Carrie Lam, qui dirige la réforme de l’URS menée sous les auspices du Bureau du

Développement (Development Bureau, DB), a entendu faire de cette-dernière un

exemple. A plusieurs reprises, la secrétaire au développement a ainsi assuré le public que

la réforme amorcée le 17 juillet 2008 par le secrétaire des finances et mise en œuvre par

A-World Consulting (comme un écho à la décision de McLehose d’engager McKinsey &

Company pour un bilan de la gouvernance, en 1972312) ne répondait à aucun agenda

prédéfini313. Le comité directeur de la réforme témoigne d’ailleurs d’une certaine

ouverture de la part de l’URA, comme l’indique la présence en son sein de Ho Hei-wah,

directeur de la Society for Community Organisation314 ou celle d’Ada Wong Ying-kay,

l’ancienne présidente du Conseil de District de Wan Chai, qui avait soutenu le MSQ 309 www.susdev.gov.hk (dernier accès le 15 mai 2009).310 Chan W. K regrette leur absence dans : Chan W. K., art. cit, p.10.311 Heritage Watch, Hong Kong’s Disappearing Heritage, an unconvenient truth, présentation donnée par Cynthia Lee devant le panel aux affaires intérieures du Conseil législatif, LC Paper No. CB(2)1666/06-07, 20 avril 2006.312 Tsang Steve, op. cit., 2007, p. 140.313 Voir, par exemple, son message de bienvenue sur le site de la réforme de l’URS: www.ursreview.gov.hk/eng/blog/do?action=seeMore&targetKey=1 (dernier accès le 6 juin 2009).314 SOCO est une NGO instituée en 1972 par des hommes d’Eglise et cherchant à améliorer l’éducation et le bien-être des classes les plus défavorisées.

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comme elle supporte d’ailleurs financièrement Local Action315. La réforme en cours

semble vouloir redorer le blason aujourd’hui considérablement terni de l’approche

« people first » que l’URA était censée avoir faite sienne depuis 2001316, et la promesse

faite par Carrie Lam d’inviter aux consultations les groupes ayant combattu les projets de

rénovation semble en mesure de pouvoir être tenue, comme l’indiquent les trois phases de

la mise en œuvre de la réforme317 :

- envisioning, de juillet 2008 à janvier 2009. Cette première étape vise à identifier les

principaux chantiers en partenariat avec les principaux partis au travers, notamment, de

focus groups et de forums sur internet – un véritable pas en avant, réclamé depuis

longtemps par certains318. Les pratiques en vigueur à l’étranger seront aussi étudiées lors

d’un séminaire. A l’issue de cette première étape, un rapport doit être publié qui détaille

les découvertes réalisées. C’est ce rapport qui doit servir de support à la seconde étape.

- public engagement, de février 2009 à décembre 2009. Celle-ci vise à « aider la

communauté à comprendre ce que la régénération urbaine peut accomplir et à saisir ses

problématiques », et à collecter des opinions sur les possibles réponses à apporter à ces

dernières. Les conseils des districts concernés par le renouvellement urbain (Sham Shui

Po, Wong Tai Sin, Tsuen Wan, Kowloon Bay, Mong Kok, Wan Chai…) sont utilisés

comme relais afin de mener les discussions avec les citoyens intéressés. Les vues de ces

derniers doivent faire l’objet d’un rapport dans lequel les différentes options suggérées

seront analysées.

- consensus building, de janvier 2010 à avril 2010. Lors de cette troisième étape, le

rapport publié à l’issue de la deuxième phase est débattu et des groupes de travail

impliquant les personnes ayant participé aux deux premières phases sont organisés,

auxquels le public a également le droit de se joindre. Les opinions majoritaires sur

chacune des options discutées l’emportent. Ce sont elles qui figurent dans le rapport de

315 Entretien avec Wong Ying-kay Ada, 17 février 2009. Notons toutefois que le comité comporte aussi des hommes d’affaires comme, par exemple, Kwan Chuk-fai, manager général de NWS Holdings, une filiale de New World Development (l’entreprise à l’origine du scandale provoqué par le développement Hung Hom en 2004 et également impliquée dans l’affaire Leung Chin-man évoquée plus haut).316 www.ursreview.gov.hk/eng/process.html (dernier accès le 30 mai 2009).317 Wong Olga, « New era for urban renewal beckons », South China Morning Post, 18 juillet 2008.318 Chan W. K regrette leur inexistence dans : Chan W. K., art. cit., p. 9.

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recherche remis au comité directeur, qui soumettra ensuite des recommandations au

gouvernement.

L’on ne peut reprocher à ces forums de manquer de visibilité, leur calendrier

(accompagné de l’adresse des lieux auxquels se rendre et des horaires correspondantes)

étant affiché jusque dans les encarts des journaux quotidiens comme le South China

Morning Post319. En outre, des comités sont formés dans certains quartiers affectés par les

projets de l’URA afin de recueillir les opinions de leurs résidents. L’on peut ainsi

mentionner l’Old Wan Chai Revitalisation Initiatives Special Committee, à Wan Chai320,

ou l’Urban Renewal Idea Shop de Tai Yuen Street, ouvert le 25 mars 2009.

Parmi les grandes réformes attendues figurent le droit pour les résidents de rester dans

les lieux après leur redéveloppement (comme c’est notamment le cas au Japon321), la

généralisation de l’approche par district adoptée à Wan Chai et un rééquilibrage des

quatre « R ». En effet, en dépit de l’adoption de cette stratégie en 2001, la préservation a

jusqu'ici occupé une place pour le moins subalterne: le Conservation Advisory Panel du

Planning, Development and Conservation Committee chargé de la préservation du

patrimoine n’a été établi qu’en 2003, soit deux ans après l'adoption de l'URS, et il ne s’est

réuni que deux fois depuis322; une inertie qui explique sans doute en partie que l’on ne

compte qu’onze projets de préservation parmi les 200 projets de l’URA323. Il est

aujourd’hui trop tôt pour dresser le bilan de ces consultations, précisons néanmoins qu’il

ne faut pas s’attendre à ce que la politique future de l’URA subisse des bouleversements

majeurs, à juger de la façon dont elle s’est départie de l’URS censée la guider ces

dernières années324. Ne nous privons pas non plus d’émettre quelques hypothèses quant à

319 Néanmoins, les taux de participation aux activités organisées par l’URA sont assez faibles. Voir : Wong Olga, « Coupons fail to spark interest in URA polls », South China Morning Post, 6 mai 2009.320 http://www.wrisc.org.hk/eng/index.htm (dernier accès le 14 juin 2009).321 Wong Olga et Ng Joyce, « Residents’ renewal choice urged », South China Morning Post, 16 février 2009.322 Entretien avec David Au Chi-wai, 29 avril 2009. Notons néanmoins que des panels ont été mis en place pour des projets de préservation situés dans les zones H18 et H19.323 Là encore, précisons que certains projets labélisés comme des projets de redéveloppement comportent certains éléments de préservation.324 Juridiquement, l’URA est pourtant tenue d’obéir à l’URS, comme le stipule la Section 21, III, 3, a de l’ordonnance l’ayant établie: “The Authority, when preparing its programme of proposals and its programme of implementation for projects (a) shall follow any guidelines set out in an urban renewal strategy prepared under section 20(1) in relation to the implementation of those proposals and projects.” Notre première partie a montré ce qu’il est advenu des quatre « R » et de l’approche « people first ».

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l’impact que sont susceptibles d’avoir ces consultations sur les mobilisations sociales

dont nous avons traité en première partie.

Car il s’avère que des personnalités parmi les plus vigoureusement hostiles à la politique

de l’URA se joignent à ces exercices de consultation. Nous avons déjà évoqué les cas de

Ho Hei Wah et d’Ada Wong, au sujet desquels Emily Lau nous a affirmé qu’ils auront

probablement à «  lutter pour ne pas être cooptés »325. Il faut nous faut aussi évoquer celui

d’Icarus Wong Ho-yin et du People Planning in Action326. Même si ces derniers affirment

ne pas avoir changé de stratégie et qu’ils travaillent d’ailleurs à convaincre le Conseil

législatif de mettre en place un comité afin de surveiller la réforme de l’URS, force est de

constater que les opportunités de discussion créées par cette dernière tendent à aspirer

l’action collective327. Il est sans doute difficile à Icarus Wong et aux autres de se satisfaire

du peu d’autonomie que les forums mis en place leur ménagent ; il n’empêche qu’en

établissant de tels canaux, le gouvernement leur offre une occasion de discuter, étouffant

les dissensions avant qu’elles n’occupent les rues, et revêtant au surplus la politique en

cours d’élaboration d’une certaine forme de légitimité. Et surtout, il devient celui de qui

peut venir le changement, s’emparant du même coup de l’initiative en matière d’idées

nouvelles et d’alternatives à ses propres projets alors même que ce privilège était

autrefois réservé à la société civile. L’on est tenté de penser que, si le gouvernement a

pris la main, ce n’est que parce que le mouvement est parvenu à ses fins. Mais dans notre

cas, le mouvement n’a fait que remettre en marche un processus programmé depuis 2004.

Les revendications exprimées lors du MSQ n’ont été prises en compte qu’à la marge.

Un programme préétabli

325 Entretien avec Emily Lau Wai-hing, députée élue au suffrage universel (Democratic Party, vice-présidente), 24 avril 2009, Conseil législatif, 18h-18h30.326 People Planning in Action est une ONG constituée dans le but d'être autorisé à participer à une réunion du comité contre la torture des Nations Unis (à Genève, en novembre 2008), afin de se plaindre du traitement de la police hongkongaise dont ont été victimes Icarus Wong et ses compagnons suite à leur arrestation durant la campagne de Lee Tung Street, fin 2007. L’ONG est à présent utilisée pour les contacts avec les médias. Entretien avec Icarus Wong Ho-yin, 11 février 2009.327 Echange d’emails avec Icarus Wong Ho-yin, 28 mai-5 juin. Notons toutefois que plusieurs (contre) « sommets de la société civile sur le renouvellement urbain » ont été mis en place durant la réforme de l’URA. Celui du 6 juin 2009 était co-organisé par le Hong Kong Council of Social Service, la Hong Kong Democratic Foundation, le Democracy Depot et le Hong Kong Foresight Centre. Voir : www.hkcss.org.hk/pra/cb4_events/june6summit.htm (dernier accès le 6 juin 2009). Des personnalités démocrates comme Cyd Ho et Emily Lau, ainsi que des activistes, comme Mirana May Szeto ou Icarus Wong – entre autres - y ont participé.

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Les mesures en matière du patrimoine prises par le DB la suite du MSQ trouvent en

effet leurs racines dans la première « Review of Built Heritage Conservation Policy »

lancée par le gouvernent près de trois années auparavant. Initiée le 18 février 2004 dans

le but de « formuler une approche holiste et des mesures effectives permettant

d’améliorer la préservation du patrimoine bâti »328, la première phase de la consultation -

la toute première consultation dans le domaine du patrimoine, à Hong Kong329 - posait au

public les questions suivantes : « Que doit-on préserver ? », « Comment doit-on le

préserver ? » et « Combien doit-on payer et qui doit en assumer les coûts ? »330, des

questions critiquées pour leur manque de substance aussi bien par certains représentants

de la société civile331 que par le sous-comité pour la préservation du patrimoine du

Conseil législatif332. Le public en question excluait également largement le citoyen

lambda puisque, sur une quarantaine de forums au total, seuls deux forums étaient

ouverts au « public » à strictement parler333. Ont été privilégiées des entrevues avec les

membres du panel aux affaires intérieures du Conseil législatif, les dix-huit conseils de

district, les « organes consultatifs et statutaires pertinents dont l’AAB, le Town Planning

Board, l’URA, le Hong Kong Tourism Board, le Tourism Strategy Group, le comité

consultatif des terrains et des bâtiments et le Lord Wilson Heritage Trust », ainsi qu’avec

des groupes spécialisés dans la préservation du patrimoine, des corps professionnels et le

secteur académique334. Malgré « l’intérêt énorme » suscité par la première phase de la

consultation, la deuxième phase, qui était censée devoir poser les questions portant sur

328 Legislative Council Subcommitte on Heritage Conservation, “Review of Built Heritage Conservation Policy”, background brief prepared by Legislative Council Secretariat, LC Paper No. CB(2)2178/06-07(02), Ref: CB2/PL/HA, 15 juin 2007.329 Yiu Michael, Built heritage conservation policy in selected places, Research and Library Services Division, Legislative Council Secretariat, RP10/07-08, 18 juillet 2008, p. 40 (4.1.5).330 Home Affairs Bureau, “Review of built heritage consultation policy, consultation document 2, 2004”, Home Affairs Bureau, Leisure and Cultural Services Department, février 2004.331 Chan W. K., art. cit., p. 8.332 Le “manque de détails concrets” du document consultatif a été l’un des reproches formulés par ce dernier. Voir: Legislative Council Panel on Home Affairs, “Views and Suggestions Received from the Public on the Review of Built Heritage Conservation Policy”, LC Paper No. CB(2)1599/06-07(01), 20 avril 2007, p. 2.333 Un sondage d’opinion auprès de plus de 3000 personnes a néanmoins été réalisé par téléphone entre avril et mai 2004. Voir: Legislative Council Panel on Home Affairs, Review of Built Heritage Conservation Policy, LC Paper No. CB(2)155/04-05(02), 9 novembre 2004, p. 2.334 Legislative Council Panel on Home Affairs, Review of Built Heritage Conservation Policy, LC Paper No. CB(2)155/04-05(02), 9 novembre 2004, p. 2.

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des politiques et mesures spécifiques, n'a jamais eu lieu335. Avant le MSQ, le seul résultat

connu de cet exercice de consultation se limitait ainsi à un résumé de deux pages des

opinions récoltées lors de la première phase, exposées dans un rapport de cinq pages

distribué aux membres du Conseil législatif. On y apprenait que les personnes consultées

s’étaient exprimées, entre autres, en faveur de :

(a) l’érection d’un fond patrimonial (Heritage trust fund) ;

(b) l’introduction d’outils de planification urbaine et d’incitations économiques

appropriés ;

(c) l’introduction de mécanismes d'adaptive re-use (réemploi adéquat) innovateurs et

durables pour le patrimoine bâti ;

(d) une meilleure coordination du travail de préservation ;

(e) la formulation d’une approche holiste, de nouveaux critères d’évaluation et de

nouvelles méthodes de préservation, et d’une stratégie permettant d’assurer une plus large

participation publique ;

(f) un effort d’éducation et de publicité en matière de patrimoine336.

Et ce sont sur ces mesures que le HAB a déclaré vouloir travailler, lors d’une réunion du

panel aux affaires intérieures du Conseil législatif tenue en novembre 2004337.

Néanmoins, hormis une refonte des critères de gradation des bâtiments le mois suivant et

le recensement et l’évaluation de 1 400 bâtiments historiques du territoire à partir de mars

2005, rien n'a suivi338. La lourdeur bureaucratique ou le manque de volonté politique du

HAB en ce qui concerne la question du patrimoine - encore lisible dans le fait qu’il lui ait

nécessité presque un an pour produire une réponse de huit pages (finalisée en février

2004) au rapport de la Commission de la Culture et du Patrimoine (Culture and Heritage

Commission) qui lui a été transmis en mars 2003 ; parmi ces huit pages, trois paragraphes

335 L’expression originale, en anglais, est “a tremendous interest”. Voir: Legislative Council Panel on Home Affairs, Review of Built Heritage Conservation Policy, LC Paper No. CB(2)155/04-05(02), 9 novembre 2004, p. 4.336 Ibid., p. 5.337 Legislative Council, Panel on Development, Background brief on heritage conservation, LC Paper No. CB(1)1347/08-09(09), Ref: CB1/PL/DEV, 28 avril 2009, p.1.338 Antiquities Advisory Board, Memorandum for members of the Antiquities Advisory Board, Built Heritage Conservation Policy Review – Recent Public Engagement Exercise, Board Paper AAB/6/2007-08, 6 mars 2007.

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seulement traitent de la question du patrimoine339 - explique que certains experts comme

Lee Ho-yin, désormais membre de l’AAB, qualifient l’opération d’ « immense blague

»340. C’est pourtant sur cette blague qu’ont été fondées les principales réformes ayant été

mises en place suite au MSQ.

En effet, les forums mis en place par le HAB en janvier et février 2007 afin de récolter

les vues du public sur les réformes que pourraient subir l’AMO avant la finalisation de la

« Review » n’ont pas eu l’influence escomptée ; le second objectif assigné à ces forums -

« donner à la communauté l’opportunité de comprendre (la politique patrimoniale)

actuelle » - semble avoir été jugé d’une importance plus cruciale341. Trois types de forums

avaient alors été ouverts : trois forums régionaux (un sur l’île de Hong Kong, un à

Kowloon et un autre dans les Nouveaux territoires), ouverts aux membres des 18

Conseils de district et « à d’autres personnalités des districts » ; trois forums ouverts à

tous ; et un focus group avec les « organisations les plus importantes » et les

personnalités académiques et les experts concernés342. En tout, environ 600 personnes ont

ainsi été consultées343. Mais ces consultations de janvier-février 2007 n’ont pas été la

deuxième phase espérée de l’exercice de consultation inachevé de 2004 mais le simple

bis de ce dernier. En effet, en dépit des critiques dont leur grand degré de généralité a été

la cible, les mêmes questions ont été à nouveau posées, comme si la première phase

n’avait jamais eu lieu. En outre, aucun rapport, consultation paper ou résumé des

exercices de consultations de 2004 n’a circulé344. Bien qu’un quatrième chapitre de

discussions, ayant trait aux réformes institutionnelles à mener, semble avoir été ajouté

aux trois précédents (NB : What do we conserve ? How do we conserve ? Who should

339 Les documents en question : Chang Hsin-kang, “Culture and Heritage Commission, Policy Recommendation Report”, Letter to the Chief Executive, 31 mars 2003 et Home Affairs Bureau, “Culture and Heritage Commission Policy Recommandation Report: Government Response”, février 2004.340 Entretien avec Lee Ho-yin, 20 avril 2009.341 Antiquities and Monument Office, Memorandum for members of the Antiquities Advisory Board, Built Heritage Conservation Policy Review – Recent Public Engagement Exercise, Board Paper AAB/6/2007-08, 6 mars 2007, p. 2.342 Ibid.343 Legislative Council, Panel on Development, Background brief on heritage conservation, LC Paper No. CB(1)1347/08-09(09), Ref: CB1/PL/DEV, 28 avril 2009, p. 2.344 Chan W. K., art. cit., p. 8.

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pay ?), les avis des individus sondés sur les réformes à mener n’ont guère été entendus,

comme un témoigne le tableau qui suit345 :

Réforme suggérée lors des consultations (2007) Réforme mise en place par la suite

A. Au sujet de l'Antiquities and Monuments Ordinance

1. La plupart des avis récoltés étaient en faveur d’une mise à jour de l’Ordonnance, passée il y a plus de trente années.

Ordonnance non réformée.

2. Certains suggéraient d'y introduire une définition claire du patrimoine et des protections statutaires auxquelles ont droit les bâtiments gradés.

Idem.

3. Certains évoquaient la création d'un nouveau système permettant de déclarer différentes rubriques de monuments/bâtiments gradés/sites patrimoniaux en fonction de leur valeur patrimoniale respective

Système demeuré le même.

4. Les incitations économiques et les responsabilités des propriétaires de bâtiments patrimoniaux devraient être incluses dans l'ordonnance, qui devrait également prévoir un mécanisme d'appel.

Ordonnance non réformée.

B. Au sujet de l'Antiquities and Monuments Office (AMO)

1. Une majorité opine que l'AMO actuelle ne dispose pas de ressources suffisantes. Certains estiment que le travail de l'Autorité et de ses fonctionnaires devrait faire l'objet d'un bilan régulier. Quelques uns préconisent le transfert de l'Autorité au Housing, Planning et Lands Bureau ou au Planning Department.

Davantage de ressources ont bien été affectées à l’AMO mais le fonds patrimonial réclamé n’existe toujours pas. L’opportunité de mettre en place un tel fonds sera étudiée « une fois que la conservation du patrimoine aura acquis une reconnaissance plus large de la part de la communauté » seulement, dixit le DB346. Quant à l’introduction de bilans, rien y ressemblant n’a été mis en place à ce jour.

2. Critiques, certaines voix ont suggéré à l'AAB et à l'AMO de se focaliser sur la préservation du patrimoine et non sur le développement économique. Certains ont suggéré de transformer l'AMO en un département gouvernemental.

L'AMO n'est pas devenu un département gouvernemental.

3. Certains commentaires ont fait état du manque de coordination entre les bureaux et les départements et propose d'y remédier par la mise en place d'une commission intergouvernementale.

Mis en place, via l’établissement du Bureau du Commissaire au patrimoine (Commissioner for Heritage Office).

C. Au sujet de l'Antiquities Advisory Board (AAB)

345 La colonne de gauche est une simple traduction des opinions recueillies telles que présentées dans la partie IV de l’annexe du document suivant : Legislative Council Panel on Home Affairs, “Views and Suggestions Received from the Public on the Review of Built Heritage Conservation Policy”, LC Paper No. CB(2)1599/06-07(01), 20 avril 2007.346 Legislative Council Panel on Development, “Background brief on heritage conservation”, LC Paper No. CB(1)1347/08-09(09), Ref: CB1/PL/DEV, 28 avril 2009, p. 4.

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1. Beaucoup s'accordent sur la nécessité de revoir la composition de l'AAB afin que celui-ci comprenne davantage de professionnels, de membres du public et de parties prenantes (certains ont aussi suggéré d'y faire siéger des conseillers de districts), et suggèrent également d'accorder à l'AAB davantage de pouvoirs statutaires.

Composition revue, mais pas dans ce sens (voir plus bas) ; de plus, ni le public ni les conseillers de districts ne peuvent prendre part à ses débats.

2. Les réunions de l'AAB doivent être publiques afin d'améliorer la transparence de ses opérations et la communication entre l'AAB et le public doivent être améliorées afin de permettre aux opinions de ce dernier d'être prises en compte.

Mis en place depuis une décision du 20 avril 2007347. Les registres des réunions de l’AAB (depuis celle du 13 septembre 2005) et la grande majorité de ses documents de travail sont désormais accessibles en ligne sur son site internet.

3. Beaucoup soutiennent la mise en place de comités sous la conduite de l'AAB afin de permettre une plus large participation du public aux questions de préservation du patrimoine.

Bien que Patrick Ho en ait fait la promesse348, aucun semblable comité n’a été mis en place.

D. Sur d'autres mesures législatives/institutionnelles

1. Beaucoup ont suggéré de mettre en place une Autorité du patrimoine unique ayant toute l'autorité nécessaire pour mener le travail de préservation mais également munie de la possibilité de contrôler les activités relatives à la planification urbaine et au développement.

Le transfert de l’Autorité du patrimoine au DB peut être analysé ainsi. Nous verrons néanmoins plus tard que son autorité sur les activités relatives à la planification urbaine et au développement n’est pas garantie.

2. Il a été suggéré que soit conduit le bilan de l'impact du travail de chaque département sur le patrimoine.

Idem.

3. A long terme, une seule autorité couvrant à la fois la protection de l'environnement et du patrimoine soit mise en place.

A voir mais la dynamique actuelle va davantage dans le sens d’une fragmentation de la politique patrimoniale, comme nous le verrons plus en détail par la suite.

4. Certains ont suggéré que l'on institue une Heritage Impact Assessment Bill, l'actuelle Environmental Impact Assessment Ordinance étant insuffisante, notamment pour protéger le patrimoine des défis auxquels les projets immobiliers confrontent le patrimoine.

Mis en place : depuis le 1er janvier 2008, les projets immobiliers susceptibles d’endommager des bâtiments patrimoniaux doivent satisfaire aux critères d’un Heritage Impact Assessment dans lequel ils expliquent de quelle manière ils entendent préserver les structures en question349.

5. La Town Planning Ordinance, l'URA Ordinance et l'Environmental Impact Assessment Ordinance devrait être modifiées par le législateur afin de créer un cadre légal plus protecteur du patrimoine.

Aucun de ces règlements n’a à ce jour été réformé et aucun effort en ce sens n’a même été entrepris. Certains experts, comme Patrick

347 Hung Denise et Lai Chloé, « Advisory body to meet in public », South China Morning Post, 21 avril 2007.348 Hung Denise et Lai Chloé, “Collective memory to play conservation role”, South China Morning Post, 9 janvier 2007.349 www.lcsd/CE/Museum/Monument/en/built-hia.php (dernier accès le 26 mai 2009). L’introduction d’un tel « Heritage Impact Assessment » avait été réclamée par la Conservancy depuis plusieurs années déjà. Voir : Hung Denise et Lai Chloé, “Collective memory to play conservation role”, South China Morning Post, 9 janvier 2007.

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Lau, continuent néanmoins de penser que la préservation des bâtiments doit être pensée de manière holiste, et que l’effort doit être fourni dès le zoning réalisé à l’échelle du district (ce qui nécessite jusqu'à la révision des Hong Kong Planning Standards and Guidelines350).

E. Participation publique

1. Une majorité était en faveur de l'idée de renforcer le consensus en impliquant davantage la communauté aux problématiques de conservation du patrimoine. Beaucoup ont critiqué le manque de communication entre le gouvernement et le public. Il est également considéré comme important que des informations critiques comme les différentes options possibles pour la préservation d'un objet patrimonial soient accessibles au public dès la première phase de n'importe quel projet public afin de faciliter la discussion.

Des efforts en ce sens ont été entrepris. La mise en œuvre du Revitalising Historic Building Through Partnership Scheme a été accompagnée d’un vrai effort de publicité alors que des sondages auprès de jeunes étudiants ont été réalisés afin de mieux connaître leurs aspirations en ce qui concerne le patrimoine351.

2. Les conseils de district doivent être activement mêlés à l'évaluation et à la sélection des bâtiments/sites historiques, de même que les corps professionnels.

Non mis en place. L’AAB (et ses concurrents, comme l’URA) seul(s) en a toujours la tache.

3. Les projets de préservation devraient être formulés au niveau du district afin de mettre en lumière les caractéristiques de chacun d'entre eux. Le gouvernement devrait essayer d'engager un dialogue avec les résidents au lieu de se reposer sur les Conseils de districts uniquement.

Bien qu’en 2008, 300 millions HK$ aient été affectes aux conseils de districts pour mener des « travaux de réparations mineurs », les conseils de districts ne sont pas impliqués dans la formulation de projets de préservation. En outre, il a été explicitement fait état de leur inaptitude structurelle à mener de tels projets352 et les projets de rénovation d’envergure demeurent confiés à l’URA353. Néanmoins, il semblerait que les projets de préservation soient davantage formulés au niveau du district à l’avenir, comme cela est déjà le cas à Wan Chai354.

4. Certains considèrent que l'incident du Star Ferry Non mis en place pour les travaux de

350 Lau Patrick, Trace, Touch, Thoughts, Office of the Hon. Patrick Lau, juillet 2008, p. 169. C’est avec la même volonté « de ne pas répéter les erreurs des villes nouvelles dont la stérilité (sic) saute aux yeux » que le même Patrick Lau réclame un accroissement des pouvoirs accordés aux conseils de district en matière de planification urbaine. Ibid, p. 151.351 Memorandum for Members of the Antiquities Advisory Board, “Public Engagement and Publicity Programmes on Heritage Preservation”, Board Paper AAB/5/2009-10, 25 février 2009, p. 1-2.352 Legislative Council Panel on Development, “Background brief on heritage conservation”, LC Paper No. CB(1)1347/08-09(09), Ref: CB1/PL/DEV, 28 avril 2009, p. 7.353 Pour être tout-à-fait exact, le conseil de district de Wan Chai a désormais la possibilité de surveiller le travail de l’URA (mais il ne participe toujours pas activement à la formulation des projets mis en place dans le district). Legislative Council Panel on Home Affairs, Heritage-related activities in Old Wanchai Area, LC Paper No. CB(2)700/07-08(01), Development Bureau, décembre 2007, p. 2.354 Kowloon City et plusieurs quartiers des Nouveaux territoires pourraient ainsi être revitalisés selon cette approche. Legislative Council Panel on Development, “Background brief on heritage conservation”, LC Paper No. CB(1)1347/08-09(09), Ref: CB1/PL/DEV, 28 avril 2009, p. 7-8.

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démontre que les mécanismes de consultation échouent à capter les voix de certains groupes ne faisant pas partie des canaux de consultations établis. Le gouvernement devrait être plus sensible à ces voix alternatives et mettre en place d'autres canaux de communication (internet, notamment).

l'AMO/AAB (notons toutefois qu’il est désormais possible de participer à la réforme de l'URA -également dépendante du DB - via internet).

5. Certains pensent qu'il devrait être possible pour des volontaires d'organiser des activités éducatives et qu'une formation particulière devrait être donnée aux guides des parcours du patrimoine.

Mis en place : des visites guidées et des concours de dessin, notamment, ont été organisés sous l’impulsion du Commissaire au Patrimoine (Commissioner for Heritage)355.

6. Beaucoup pensaient que le gouvernement devrait être plus audacieux dans la promotion du patrimoine (publicité, programmes d'études, expositions, site web interactif) afin de promouvoir l'identité culturelle des citoyens hongkongais.

Si l’on laisse de côté le nouveau site internet consacré au patrimoine (sur lequel l’on peut lire que le patrimoine est important car il est « le témoin de la transformation de Hong Kong « d’un petit village de pêcheurs en la ville mondiale d’Asie - Asia’s World City »356) et le jeu pour enfants lancé sur l'ancien (notons d'ailleurs que les sites du patrimoine sont aujourd'hui dupliqués, ce qui ne facilite pas l'information du citoyen), rien de tout cela n'a été mis en place.

7. Beaucoup s'accordaient sur le fait que les membres du public devraient être davantage impliqués dans la préservation du patrimoine du territoire. Un programme du type « Adopt-a-monument » permettrait par exemple de mêler certains citoyens à la promotion et à la présentation des bâtiments en question, ou à des travaux de recherche les concernant.

Non mis en place.

8. Beaucoup ont suggéré que davantage de ressources soient allouées aux universités et aux organisations professionnelles afin de conduire des recherches sur la préservation du patrimoine.

Non mis en place.

Ainsi, hormis les mesures relatives au transfert de l’AA vers le DB (B.2, B.3, D.1) les

seules suggestions émises lors des janvier-février 2007 à avoir été suivies d’effet sont

celles relatives à la publicité des débats de l’ABB (C.2 – une mesure importante mais non

coûteuse et peu difficile à mettre en œuvre) et à l’introduction d’un Heritage Impact

Assessment (D.4). Il semblerait donc que la véritable origine des mesures prises par le

gouvernement remonte à 2004 357: le mouvement n’a servi qu’à débloquer un processus

355 Antiquities and Monument Office, Memorandum for Members of the Antiquities Advisory Board, “Public Engagement and Publicity Programmes on Heritage Preservation”, Board Paper AAB/5/2009-10, 25 février 2009.356 http://www.heritage.gov.hk/en/rhbtp/about.htm (dernier accès le 13 février 2009).357 Notons d’ailleurs que le document du panel des affaires intérieures du Conseil législatif discuté le 20 avril 2007 ne fait aucune distinction formelle entre les vues exprimées en 2004 et celles exprimées en

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déjà en cours ; les forums de janvier 2007, mis en place alors que le MSQ battait son

plein, semblent avoir avant tout servi à établir un canal entre le gouvernement et les

manifestants et, par ce procédé, à désamorcer les tensions alors existantes. A cet égard,

elles auront aussi permis au gouvernement d’identifier les sites historiques auxquels les

Hongkongais étaient particulièrement attachés (Police Married Quarters, complexe du

commissariat de Central, le marché de Wan Chai, la maison bleue de Wan Chai, Lee

Tung Street, Tai Yuen Street et Cross Street sont mentionnés dans un compte-rendu des

consultations358), afin de redoubler d’attention dans la gestion de ces sites et de les

empêcher de devenir les causes de nouveaux mouvements. Depuis le MSQ, plusieurs de

ces bâtiments (la maison bleue, le complexe du commissariat de Central et les Police

Married Quarters) ont ainsi fait l’objet d’un traitement particulier. Pour les Police

Married Quarters par exemple, le projet Former Central School Envisioning Days

organisé par le Central and Western District Council, le DB et plusieurs groupes de la

société civile, a été lancé afin d’étudier comment mettre à profit le site359. L’on ne peut

bien sûr pas reprocher au gouvernement hongkongais d’impliquer ces bâtiments

patrimoniaux dans des projets innovateurs auxquels il mêle au surplus étroitement la

société civile. Mais le fait que ces projets soient le résultat de mesures ad hoc et ne

répondent à aucune de long terme nous empêche d’y voir autre chose qu’une opération de

relations publiques.

Quoiqu’il en soit, il est surtout regrettable qu’une consultation jugée inapte à

« accomplir aucun objectif important dans la mesure où le public n’a été invité à

s’exprimer que sur des questions générales » et en l’absence « d’informations concrètes

concernant des sujets tels que les coûts et les compensation ou les transferts de droit de

développement »360 - selon les membres du sous-comité pour la préservation du

patrimoine du Conseil législatif -, ait été présentée comme ayant servi de base aux

2007. Voir : Legislative Council Panel on Home Affairs, “Views and Suggestions Received from the Public on the Review of Built Heritage Conservation Policy”, LC Paper No. CB(2)1599/06-07(01), 20 avril 2007.358 Antiquities and Monument Office, Memorandum for members of the Antiquities Advisory Board, Built Heritage Conservation Policy Review – Recent Public Engagement Exercise, Board Paper AAB/6/2007-08, 6 mars 2007, p. 2-3, point (d).359 Voir: www.heritage.gov.hk/en/whatsnew/events_08.htm (dernier accès le 19 mai 2009). Le projet concerne en fait les ruines de l’ancienne école de Central, qui a notamment accueilli Sun Yat-sen de 1884 à 1886, à l’époque où elle était établie sur Gough Street (c’est-à-dire de 1862 à 1899, date à laquelle l’école a déménagé à Hollywood Road). Sa reconstruction a été commencée le 15 février 2009. Man Joyce, « Schools ruins brought back to life », South China Morning Post, 16 février 2009.

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réformes inaugurées à sa suite. Car, en réalité, le degré de généralité des opinions

récoltées par deux fois par un gouvernement empêtré dans son propre galimatias a donné

à celui-ci les mains libres pour mettre en place les mesures qu’il souhaitait, des mesures

pour la plupart envisagées dès 2004361.

2. Une politique inchangée

Bureaucratisation

C’est aussi pour cette raison que le MSQ n’a pas débouché sur une politique

patrimoniale véritable (qui aurait notamment eu la vertu d’offrir une discussion des

revendications exprimées alors), mais sur une succession de mesures administratives.

Comme nous venons de le voir, la majorité des réformes institutionnelles qui ont été

menées sont liées au transfert de l’AA au DB, intervenu le 1er juillet 2007. Depuis sa

création en 1971, l’organe chargé de l’application de l’Ordonnance, a été balloté entre

des départements et des bureaux tous également dépourvus d’autorité hiérarchique :

initialement intégrée à l’Urban Services Department, l’AA a été transférée au

Broadcasting, Sport and Culture Department avant de migrer vers le Leisure and Cultural

Services Department du HAB en 2000. Et depuis le 1er juillet 2007, l’AA est le secrétaire

au développement (Carrie Lam actuellement). Depuis longtemps déjà, des architectes

comme Patrick Lau ou le Hong Kong Institute of Architects avaient émis leur souhait de

voir l’AA recentrée au sein de l’organigramme gouvernemental, arguant qu’une politique

de préservation du patrimoine ne peut être efficace que si elle est soutenue par des

politiques foncière et de planification urbaine complémentaires362. Ils suggéraient ainsi de

lui subordonner les autres politiques de gestion de l’espace, y compris les plus juteuses

360 Legislative Council Subcommitte on Heritage Conservation, “Review of Built Heritage Conservation Policy”, background brief prepared by Legislative Council Secretariat, LC Paper No. CB(2)2178/06-07(02), Ref: CB2/PL/HA, 15 juin 2007, p. 2.361 Cela, le gouvernement ne le cache pas totalement : les consultations de janvier/février 2007 ne devaient servir qu’à « finaliser » la review, comme il l’est dit dans le document suivant : Legislative Council Panel on Home Affairs, “Views and Suggestions Received from the Public on the Review of Built Heritage Conservation Policy”, LC Paper No. CB(2)1599/06-07(01), 20 avril 2007, p. 3.362 Une telle proposition a été émise par le Hong Kong Institute of Architects. Voir: Lau Patrick, op. cit., septembre 2007, p. 41.

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financièrement ; une petite révolution, qui n’entre d’ailleurs pas en conflit avec les

opinions collectées lors de la consultation publique de février 2004 : alors, « de

nombreuses opinions soutenaient (en effet) l’idée d’une autorité patrimoniale disposant

du pouvoir de contrôler la planification urbaine et le développement » - on l’a vu363.

Beaucoup, notamment au sein de l’AMO, se réjouissent donc du transfert récent de l’AA

au DB364. Il faut d’ailleurs noter que, depuis ce repositionnement, tous les départements

du DB possèdent un agenda relatif au patrimoine, qu’ils sont tenus de respecter365. Et, en

outre, c’est le DB qui a mis en place les mesures en faveur du patrimoine énoncées par

Donald Tsang dans son discours de politique générale d’octobre 2007, et qui sont les

suivantes366 :

« (b) Au niveau du gouvernement :

(i) un mécanisme interne va être créé qui, lorsque nécessaire, rendra obligatoire pour les

projets capitaux367 de satisfaire aux exigences d’un Heritage Impact Assessment ;

(ii) un programme doit être mis en place, qui permettra un réemploi adéquat des

bâtiments gradés dont le gouvernement est propriétaire. Des organisations à but non

lucratif seront impliquées dans la mise à profit de ces bâtiments par des projets à vocation

sociale (social enterprise).

(c) En ce qui concerne le secteur privé, l’administration :

(i) reconnaît le besoin d’incitations appropriées dans le but de faciliter la conservation des

bâtiments historiques appartenant à des propriétaires privés. Cela inclus l’échange de

terres et le transfert des droits d’exploitation.

363 Legislative Council Panel on Home Affairs, Review of Built Heritage Conservation Policy, LC Paper No. CB(2)155/04-05(02), 9 novembre 2004, p. 4.364 Entretien avec Lo Fione, conservateur (patrimoine bâti) pour l’Antiquities and Monument Office, 24 février 2009, bureau de l’AMO, 15h-15h45.365 Entretien avec Lee Ho-yin, 20 avril 2009.366 Legislative Council Panel on Development, “Background brief on heritage conservation”, LC Paper No. CB(1)1347/08-09(09), Ref: CB1/PL/DEV, 28 avril 2009, p. 3.367 Italiques ajoutées par l’auteur.

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(ii) va étendre l’assistance financière (Financial Assistance for Maintenance Scheme)

consacrée à l’entretien des bâtiments historiques privés afin que, sous certaines

conditions, les bâtiments gradés et non les seuls monuments puissent en bénéficier (le

montant de l’allocation étant fonction du grade du bâtiment en question)368.

(d) La mise en place d’un Bureau du Commissaire du Patrimoine (Commissioner of

Heritage’s Office) au sein du Development Bureau crée un point focal utile pour le travail

de conservation et la mise en réseau avec les parties tierces locales et étrangères.

(e) A plus long terme, l’administration va examiner l’opportunité d’établir une société

pour la préservation des sites et des monuments (Heritage Trust) chapeautant l’ensemble

des problématiques liées à la préservation du patrimoine, et capable de mobiliser le

soutien du public.

(f) L’administration va travailler avec le public de manière active afin de s’assurer que les

opinions des parties prenantes et des groupes impliqués soient prises en compte dans la

finalisation des initiatives mentionnées ci-dessus avant leur mise en place ».

Ajoutons que, le 28 août 2008, en complément de l’élargissement du Financial

Assistance for Maintenance Scheme a également été lancé un Heritage Grant

Scheme destiné à plus de 200 bâtiments historiques. Les propriétaires affrontant des

difficultés financières pour mener l’entretien de leurs bâtiments ou les travaux que ces

derniers requièrent peuvent recevoir jusqu'à 600 000 HK$ pour chaque projet (et il est

possible de soumettre plusieurs projets pour un même bâtiment). Et, parce que le budget

annuel de deux millions a été jugé trop restrictif par certains experts du patrimoine et

praticiens de la planification urbaine, il a été augmenté à partir du 1er avril 2009369.

Toutefois, les contreparties du programme peuvent être lourdes à assumer pour des

propriétaires privés : interdiction de vendre ou de détruire le bâtiment dans les dix années

368 Notons que cette initiative (qui vise à ce que l’obtention d’un grade par un édifice ne soit pas un fardeau pour le propriétaire du bâtiment en question) est dans une large mesure une réponse à un autre “désastre”, celui de la villa de King Yin Lei. En septembre 2007, les propriétaires de cette dernière avaient entrepris de défigurer en partie leur villa afin que l’AAB lui retire son grade et qu’elle puisse être démolie légalement.369 Un projet peut désormais bénéficier d’une aide allant jusqu’à 1 million HK$. Voir  : www.heritage.gov.hk/en/maintenance/about.htm (dernier accès le 1er juin 2009).

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qui suivent sa rénovation et obligation d’en permettre l’accès au public, alors que l’aspect

technique du projet à soumettre est lui-aussi problématique. Les propriétaires, qui sont

souvent des personnes âgées, doivent en effet contacter des contractants pour le travail de

maintenance, soumettre régulièrement des rapports concernant la progression des travaux

en cours, expliquer en quoi le maintien en bon état de leur bâtiment est profitable à la

communauté etc. Cela explique sans doute qu’une semaine après le lancement du

programme, seule la Diocesan Boy’s School de Mong Kok (un bâtiment de grade III,

construit dans les années 1920) avait exprimé son intérêt pour le programme. Afin de

remédier à ces diverses lacunes, il a été suggéré que l’AMO ne se contente pas de

superviser le processus mais viennent prêter main forte aux propriétaires370.

La coordination et la mise en œuvre de l’ensemble de ces mesures a nécessité

l’établissement du poste de Commissaire du patrimoine (Commissioner for Heritage ;

c’est Jack Chan Jick-chi qui a inauguré la fonction) par le comité des finances en avril

2008 (point d). Le secrétariat de ce Commissaire est composé de personnes de tous

champs (histoire, management, comptabilité…), et il est assisté par un comité composé

de fonctionnaires des départements gouvernementaux impliqués dans la préservation du

patrimoine ainsi que de membres de l’AAB. Au niveau financier, cela a occasionné un

accroissement de 138,3 % du budget dédié au patrimoine pour le terme 2008/2009, par

rapport au terme précédent. Mais, comme en témoigne le détail des dépenses, ce n’est pas

le patrimoine lui-même qui a été le principal bénéficiaire de cette augmentation

budgétaire. Sur les 33,6 millions de dollars hongkongais (à titre de comparaison, l’URA

suggérait de débourser 1.5 milliard HK$ pour la rénovation de trente tong lau avec

vérandas à Wan Chai en 2008371) alloués à la préservation du patrimoine :

- 13,3 millions HK$ étaient versés au personnel impliqué dans la conservation du

patrimoine.

- 17, 3 millions HK$ étaient consacrés au paiement des salaires du personnel employé

hors service public (NCSC – « non civil service contract », le personnel recruté par cette

370 Ng Joyce, “Heritage grant scheme called too restrictive”, South China Morning Post, 4 septembre 2008.371 Wong Olga, « New era for urban renewal beckons », South China Morning Post, 18 juillet 2008.

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voie change tous les six mois - et consultants), à la création d’un nouveau site internet, à

l’achat d’ordinateurs etc.

- seuls 3 millions HK$ étaient dédiés à la mise en œuvre du Revitalisation Scheme 372!

Même s’il faut désormais y ajouter les 2 millions du Heritage Grant Scheme, le

déséquilibre demeure éloquent. Et, bien que l’on ne puisse dénier l’utilité du

Revitalisation Scheme et du Heritage Grant Scheme, on ne peut s’empêcher de conclure

des chiffres qui précèdent que le transfert de l’AA au DB a, pour le moment du moins,

généré une inflation bureaucratique davantage qu’elle n’a permis une meilleure gestion

du patrimoine.

A ce propos, les plus cyniques n’oublieront pas de relever que l’objectif principal du DB

demeure la consolidation de la position de Hong Kong comme « ville globale »373 ; lors

de la controverse soulevée par la manière dont la villa Jessville du 128 Pokfulam Road a

été jugée indigne du statut de monument374, le Civic Party a d'ailleurs évoqué le conflit

d’intérêt attenant au rôle dual joué par l’AA depuis le 1er juillet 2007375. Les mêmes feront

aussi remarquer qu’il a résulté de ce transfert une fragmentation de la politique du

patrimoine, puisque la gestion du patrimoine dit « intangible » est restée entre les mains

du Bureau aux affaires intérieures. En outre, plusieurs indices nous font douter du surplus

d’autorité que l’AA est censée avoir retiré de son transfert vers le DB. Ainsi, l’AAB ne

détient toujours aucun monopole en ce qui concerne la conservation des édifices du

territoire. En plusieurs occasions, la responsabilité d’évaluer la nécessité de préserver (ou

de ne pas préserver) certains d’entre eux a été confiée à l’Architectural Services

Department (Queen Mary Hospital376), au Jockey Club (complexe du commissariat de

police de Central), et même à l’URA. Alors que jusqu'à récemment, l’URA s’appuyait

372 Voir: Lau Patrick, Construct #4, Office of the Hon. Patrick Lau, 2008, p. 34-37.373 Yiu Michael, Built heritage conservation policy in selected places, Research and Library Services Division, Legislative Council Secretariat, RP10/07-08, 18 juillet 2008, p. 40.374 Suite à l’avis d’experts commissionnés par le gouvernement, la villa a soudainement été jugée indigne d’obtenir le statut de monument ; malgré le conflit flagrant entre le second rapport qui jugeait la bâtisse « peu extraordinaire », et le premier, selon lequel elle constituait l’ « incarnation même » (« epitome ») du style renaissance italienne, les membres de l’AAB ont ratifié le nouvel avis.375 Submission by the Civic Party to the Legco Subcommittee on Antiquities and Monuments (Withdrawal of Proposed Monument, No. 128 Pokfulam Road), LC Paper No. CB(201409/07-08(01), 12 mars 2008.376 Lee Ella, « Nurses’ quarters saved from the wrecking ball », South China Morning Post, 16 février 2009.

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exclusivement sur les grades accordés par l’AAB pour mener ses projets de préservation,

en mars 2008, la conservation par l’organe public de 48 tong lau (sur un total de 73

bâtiments identifiés) datant de l’avant guerre s’est faite en dehors de tout contrôle de

l’AAB377.

En l’espèce, il nous faut constater que le patrimoine a probablement été le principal

bénéficiaire de l’opération puisque seuls deux tiers environ des bâtiments répertoriés

figuraient dans les différentes listes de travail de l’AAB. Cela signifie qu’un tiers d’entre

eux n’aurait pu prétendre à un statut protecteur sans l’initiative de l’URA. En outre, le

classement de l’AMO n’était pas totalement ignoré. Le classement de l’URA, établi selon

le « three-tier grading system » par une équipe d’experts dont le comité exécutif était

dirigé par David Lung, fondateur de l’ACP et ancien président de l’AAB, selon les

critères de l’UNESCO, de l’ICOMOS, de la Charte de Venise, et d’autres conventions

internationales. Il calque ainsi celui de l’AAB, même si l’accent est placé sur l’intérêt

architectural et historique des bâtiments exclusivement378. De plus, le classement de

l’AAB semble avoir été utilisé comme référence complémentaire par l’URA, comme le

laissent suggérer les résultats de l’enquête : alors qu’il a résulté de l’évaluation parallèle

menée par l’URA que dix magasins étaient détenteurs d’une valeur patrimonial très

élevée (outstanding), seize d’une valeur patrimoniale élevée, douze d’une valeur

patrimoniale moyenne et dix-huit d’une faible valeur patrimoniale, aux dix premiers,

l’URA a ajouté dix tong lau classés comme bâtiments de grade I par l’AMO379. Il est

cependant singulier qu’une telle initiative se soit faite sans que l’AAB n'en soit tenue

informée380 et certains n’hésitent pas à affirmer que des tensions existent entre les

bureaucraties de l’URA et du DB381. Les plus critiques feront également remarquer que

l’établissement d’un classement concurrent aussi similaire peut participer à délégitimer

celui de l’AAB : le fait que plusieurs bâtiments de grade II aient en effet figuré dans la 377 Entretien avec Au Chi-wai David, 29 avril 2009.378 Ibid.379 « URA Expands Conservation Strategy for Cantonese Verandah-type Shophouses », 31 mars 2008, sur le site de l’URA : http://www.ura.org.hk/html/c1002081e268e.html (dernier accès le 16 février 2009).380 Lorsque nous lui avons demandé de quelle légitimité l’URA disposait pour mener de telles études et pourquoi les membres de l’AAB n’avaient pas été impliqués à l’initiative, Lee Ho-yin a répondu succinctement : « je ne sais pas, et j’aimerais bien le savoir également ». Entretien avec Lee Ho-yin, 20 avril 2009.381 Echange d’emails avec Lam Oi-wan, 3 avril 2009 - 18 avril 2009.

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première liste de l’URA peut en effet laisser entendre que les critères de l’AAB ne sont

pas assez protecteurs, et sont donc contestables, alors même qu’aucun effort pour

remédier au déficit d’expertise de l’AAB n’a été entrepris382. Malgré le lancement des

nouvelles mesures dont nous avons fait mention, les méthodes et les personnes en charge

du patrimoine sont en effet demeurées largement les mêmes, et la politique patrimoniale

est restée substantiellement inchangée.

Des méthodes demeurées les mêmes

S’il en est ainsi, c’est en partie parce que le patrimoine n’a fait l’objet que de peu de

débats au Conseil législatif. En mai 2007, un sous-comité a été créé au sein du comité

dédié aux affaires intérieures, avec pour mission, entre autres, de contrôler les projets de

construction publique risquant d’affecter les sites classés comme appartenant au

patrimoine, et de proposer et de discuter des solutions alternatives le cas échéant383.

Confier une telle responsabilité à des députés qui ne siègent que durant une partie de

l’année n’était pas la manière la plus judicieuse de répondre aux voix réclamant

l’établissement d’une vigie du patrimoine ; le destin funeste du village Nga Tsin Wai, le

dernier village fortifié de Kowloon et l’un des 25 projets que la LDC a légués à l’URA

(qui l’a réinvesti le 2 octobre 2007), qui comptait parmi les premiers dossiers du sous-

comité, témoigne de son bilan384. Et la disparition du sous-comité à la fin du terme

2007/2008 s’est ainsi produite dans l’indifférence générale : lors de l’entretien que nous

avons eu avec chacun d’entre eux, ni Emily Lau ni Patrick Lau, qui y ont pourtant tous

deux siégé, n’ont su répondre avec exactitude quand on leur a demandé s’il existait

toujours. Les deux députés se sont même contredits, Patrick Lau optant pour un oui,

Emily Lau pour une réponse négative…385 Mais, si les députés n’ont su s’emparer de ce

débat sur l’histoire et le patrimoine hongkongais, c’est aussi parce qu’il leur a été retiré.

382 Sur le problème du manque d’experts, on peut se référer à Meacham William, « Submission to the Legco Committee on Antiquities and Monument Notice », LC Paper No. CB(2)1311/07-08(03), 12 mars 2008. William Meacham y fait notamment référence au cas “Jessville” que nous avons déjà évoqué.383 Chiang Scarlett, « Dedicated Legco panel set on heritage », The Standard, 12 mai 2007384 En dépit de ses 600 années d’existence, le village (ou ses bâtiments individuels) a été jugé indigne de recevoir un grade par l'AAB, lors d'une session tenue en 1994. En 1999, en le jugeant impossible à restaurer, l'AAB ouvre la voie aux promoteurs immobiliers. Cody, Jeffrey W., art. cit., p. 203.385 En outre, quand on lui a demandé de dresser un bilan du sous-comité, Emily Lau a eu pour toute réponse « On y a beaucoup discuté de vieux bâtiments ». Entretien avec Emily Lau Wai-hing Emily, 24 avril 2009.

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Alors qu’il a été reconnu au cours des consultations de 2004 que les « inadéquations du

cadre administratif et législatif » rendent ardue la préservation du patrimoine386 et que les

professionnels du patrimoine sont en faveur d’une extension de la préservation

patrimoniale aux lignes et aux surfaces, ce qui argue en faveur d’une révision de

l’Ordonnance387, il a été décidé de ne pas modifier cette dernière ni d’en établir une

nouvelle, au motif que cela réclamerait trop de temps388.

« L’une des principales qualités de l’administration hongkongaise (étant) sa capacité à

prendre des décisions rapides et à les mettre en œuvre avec autant de promptitude, et non

de formuler la politique la plus appropriée pour le long terme », l’on peut comprendre

que le gouvernement ait voulu poursuivre ce qu’il sait faire de mieux389. En admettant que

légiférer sur une nouvelle Ordonnance accapare un délai important, l’on peut aussi

admettre l’idée que toute procrastination porte avec elle le risque de voir disparaître

l’élan patrimonial jailli du MSQ et se refermer la fenêtre d’opportunité entre-ouverte par

celui-ci. Mais légiférer sur une nouvelle Ordonnance n’empêche pourtant en rien de

mettre simultanément en place les mesures administratives que nous avons évoquées plus

haut. Ainsi, il nous semble que contourner le Conseil législatif possède surtout la grande

vertu d’éviter les partis, et donc la politisation plus en avant encore de la question

patrimoniale390. Cette hypothèse semble être confirmée par le fait que la décision de ne

pas légiférer sur une nouvelle Ordonnance ait été prise par le Conseil exécutif qui, lors de

la même session, affirmait vouloir privilégier des réformes « action-oriented », qui sont

autant de preuves tangibles (et immédiatement discernables par le public) de son

action391. Que cette décision ait été prise en dépit du consensus existant entre les

386 Legislative Council Panel on Home Affairs, Review of Built Heritage Conservation Policy, LC Paper No. CB(2)155/04-05(02), 9 novembre 2004, p. 1.387 Lors de l’entretien que nous avons eu avec elle, Fione Lo nous a assuré de l’existence d’un consensus des fonctionnaires de l’AAB et de l’AMO à cet endroit. Entretien avec Fione Lo, 24 février 2009.388 Development Bureau, Legislative Council Brief, « Heritage Conservation Policy », Ref : DEVB(CR)(W) 1-55/68/01, octobre 2007. En France, par exemple, les différents sites d’intérêt patrimonial (“points”, “lignes”, “surfaces”, pour reprendre la terminologie hongkongaise) sont régis par des textes de loi différents. Entretien avec Fione Lo, 24 février 2009.389 Tsang Steve, op. cit., 2007, p. 185.390 Entretien avec Emily Lau Wai-hing, 24 avril 2009.391 Antiquities and Monument Office, Memorandum for members of the Antiquities Advisory Board, Review of the Relationship Between the Monument Declaration System Under the Antiquities and Monuments Ordinance (Cap. 53) and the Grading System of the Antiquities Advisory Board, Board Paper AAB/78/2007-08, 26 novembre 2008, annexe E, p. 1.

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personnes consultées et les experts du patrimoine confirme que la position de l’AAB et

de l’AMO demeure fragile, en dépit de la nouvelle place qu’elle occupe au sein de

l’organigramme gouvernemental. Et que l’idée d’une réforme de l’ordonnance soit

enterrée de la sorte renseigne surtout sur le manque de volonté politique dont a fait

preuve le gouvernement pour mener de véritables réformes de fond susceptibles

d’accorder la politique patrimoniale aux revendications de la société civile.

Un bilan objectif des réformes menées ne saurait toutefois ignorer la décision de l’AAB

annoncée en janvier 2009 de considérer de manière systématique les bâtiments de grade I

comme de potentiels monuments392 - une conséquence directe du MSQ et notamment de

la plainte déposée par deux membres de Local Action devant la Haute Cour, à laquelle

l’AAB a d’ailleurs fait explicitement référence lors des débats menés sur le sujet393. Il faut

aussi mettre au crédit de celui-ci d’avoir accepté l’idée d’un bilan régulier des grades

décernés aux bâtiments du territoire (a priori sur la base de la décennie). Par ailleurs, son

refus de déclarer monuments tous les bâtiments de Grade I dont le gouvernement est

propriétaire est compréhensible (en quoi la valeur patrimoniale d’un bâtiment est-elle liée

à la qualité de son propriétaire ?). Quant à celui de remettre aux propriétaires de

bâtiments gradés des informations précises quant aux travaux qu’il leur est possible de

mener (au motif que cela réclamerait « trop de temps »…), il n’aura pas d’implications

majeurs sur la politique patrimoniale394. Remarquons néanmoins que les débats sont

toujours restés cantonnés à de tels problèmes techniques, malgré les problématiques

soulevées lors du MSQ. A ce niveau, les choses semblent n’avoir guère changé depuis

l’époque où Trevor Clarke disait de l’administration coloniale britannique à Hong Kong

qu’elle était « le gouvernement apolitique et paternaliste le plus proche de la

perfection »395. En se concentrant sur des problèmes techniques, elle est en effet parvenue

à dépolitiser comme il se le devait la question patrimoniale, alors même que les structures

392 Chan Bernard, « Modern methods for the antiquities board », South China Morning Post, 2 janvier 2002.393 Voir: Antiquities and Monument Office, Memorandum for members of the Antiquities Advisory Board, Review of the Relationship Between the Monument Declaration System Under the Antiquities and Monuments Ordinance (Cap. 53) and the Grading System of the Antiquities Advisory Board, Board Paper AAB/78/2007-08, 26 novembre 2008, p. 4.394 Ibid., annexe E.395 Clark Trevor, cité dans Tsang Steve, op. cit., 2007, p. 137.

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susceptibles d’assurer une meilleure prise en compte du patrimoine vernaculaire n’ont

pas été mises en place.

Un vernaculaire demeuré exclu

Bien que Patrick Lau, notamment, ait exprimé le souhait de voir les professionnels de

l’architecture et du patrimoine et ceux de la culture coopérer en vue de l’établissement de

standards de gradation davantage en harmonie avec les « valeurs sociales actuelles », rien

de tel ne s’est produit396. La section 17 de l'Ordonnance stipule que c’est à titre individuel

(et donc sans le soutien de groupes particuliers, comme le regrette W. K. Chan, ancien

membre de l’AAB397) que les membres de l’AAB sont nommés par le chef de l’exécutif.

Il a souvent été reproché à ce dernier de nommer les mêmes 150 personnalités aux

différents organes consultatifs existants398. L’annonce de la nomination de quinze

nouvelles têtes début janvier 2007 (c’est-à-dire au moment ou le MSQ est à son apogée et

pousse le HAB à relancer les consultations) porte avec elle l’espoir d’un changement à ce

niveau. Cet espoir est vite déçu : les quinze nouveaux membres de l’AAB n’ont rien de

professionnels de la culture, la plupart étant même spécialisés dans des domaines plutôt

éloignés des problématiques du patrimoine399. Sept d’entre eux sont ainsi issus du secteur

des services (du monde des affaires, comme Philip Kan ou Bernard Chan, le nouveau

président de l’AAB ; de la finance comme David Cheung ; de la comptabilité comme

Susanna Chiu etc.), deux sont professeurs, et le CV des six restants n’en font pas

forcément des candidats idoines, comme en témoigne par exemple la nomination de

396 Voir: Lau Patrick, op. cit., septembre 2007, p. 41.397 Chan W. K., art. cit., p. 9.398 Voir par exemple: Batten John, “Submission regarding the Star Ferry building and Queen’s Pier”, 17 décembre 2008, Legislative Council Paper No. CB(1)554/06-07(05) et Carine Lai, “Who Is On The Antiquities Advisory Board”, 17 décembre 2006, à l’adresse suivante: www.civic-express.com/carine/?p=118 (dernier accès le 30 mai 2009).399 A la décharge du gouvernement hongkongais, signalons que, jusqu'à 2000 (année où a été ouvert l’Architectural Preservation Programme, à l’Université de Hong Kong), il n’avait à sa disposition que très peu d’experts du patrimoine. Les membres nommés à l’AAB pouvaient, s’ils le souhaitaient, recevoir une formation. Mais il leur fallait pour cela aller jusqu'à l’Université de Yorke, en Grande-Bretagne. Entretien avec Lee Ho-yin, 20 avril 2009.

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Vivian Yu Yuk-ying, arbitre au tribunal de l’immigration. En fait, il n’y a guère que celle

de Ng Cho-nam, professeur de géographie et membre de la Conservancy Association, qui

paraisse véritablement logique.

Une conséquence directe de ce manque d’experts du patrimoine au sein de l’AAB est de

voir ce dernier se reposer sur les devis réalisés par des experts commandités par le

gouvernement, une pratique susceptible de donner lieu à des conflits d’intérêts comme l'a

illustré le cas de la villa Jessville déjà évoqué plus haut. Durant l’entretien que nous

avons eu avec lui, Lee Ho-yin, désormais lui-aussi membre de l’AAB, nous a d’ailleurs

confié qu'il pensait sérieusement que la nomination de personnalités dépourvues de

bagage en matière de patrimoine avait été une stratégie consciemment poursuivie par le

gouvernement dans les années 1990, afin d’avoir les mains plus libres en matière de

développement, de planification etc.400. Si une telle conclusion ne doit peut-être pas être

étendue aux pratiques actuelles, force est néanmoins de constater que le MSQ n’a pas été

l’occasion d’une rupture claire avec le passé401. Comme a pu le faire remarquer Carine

Lai, le principal critère de sélection des personnalités nommées en janvier 2007 semble

avoir été leur âge, tous les nouveaux membres ayant autour de quarante ans ; comme si

d’un AAB rajeuni découlerait automatiquement une politique patrimoniale en phase avec

la génération d’étudiants, d’artistes et de jeunes architectes ayant pris parole lors des

mouvements dont nous avons traité dans notre première partie402. C’est d’ailleurs ce que

semblait suggérer Patrick Ho, alors secrétaire aux affaires intérieures (et donc, jusqu’au

premier juillet 2007, incarnation de l’AA), lorsqu’il déclarait être « certain que cette

nouvelle composition apporte des idées plus fraîches et donne un nouvel élan au travail

de l’AAB »403.

Le lien entre l’âge d’un individu et sa propension à l’innovation n’est pourtant pas

évident, et ce nouvel AAB n’a pas été beaucoup plus fécond que son prédécesseur en

matière « d’idées fraîches ». Ainsi, alors que certains membres du panel sur le 400 Ibid.401 L’effectif de l’AAB s’est néanmoins fait plus cohérent avec l’appointement de trois professeurs (d’architecture – Lee Ho-yin-, d’histoire et d’anthropologie) et de deux membres provenant du secteur de l’éducation, le 19 décembre 2008.402 Carine Lai: “Part 2: Who Is On The Antiquities Advisory Board, Now?”, 28 janvier 2007, à l’adresse suivante: www.civic-express.com/carine/?p=125 (dernier accès le 30 mai 2009).403 Home Affairs Bureau, “Appointments to Antiquities Advisory Board”, 8 janvier 2007.

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développement du Conseil législatif ont suggéré la création d’un district où la

préservation du patrimoine serait pensée de manière holiste au niveau du « centre

historique » de Hong Kong, ni l’AAB ni le DB n’a effectué le moindre pas en ce sens. La

raison invoqué est la suivante : le développement passé a rendu un tel projet

techniquement infaisable ; en d’autres termes : il n’y a déjà plus rien à préserver404! En

guise de substitut, un nouveau parcours du patrimoine a été ouvert dans le district de

Central et Western, qui consiste en quelques panneaux placés devant des bâtiments

historiques menacés ou sur les sites de bâtiments déjà disparus - un parcours

d’ « histoires déconnectées » (« disconnected histories »), en somme405 –, et un autre

pourrait voir le jour à Stanley406. De même, en janvier 2007, alors que des voix appelaient

à une participation plus substantielle des citoyens à la politique patrimoniale, l’on parlait

d’ouvrir trois sous-comités au sein de l’AAB, dont le public ferait partie407. Cela aurait

été l’occasion pour Hong Kong de se mettre à jour avec les méthodes en vigueur en

Australie (où n’importe quel citoyen peut suggérer un site susceptible d’être inclus sur la

liste du patrimoine du Commonwealth ou sur celle du Patrimoine national) ou à Macao

(où un nouveau règlement doit entrer en vigueur, qui devrait permettre l’introduction de

mécanismes administratifs rendant possible la participation des résidents de la SAR au

processus d’identification des sites de patrimoine) par exemple408. Mais le projet a,

semble t-il, été enterré et la participation du public devra se limiter à la confirmation ou 404 Il a néanmoins été laissé entendre que la mise en place du projet au niveau de la Frontier Closed Area pourrait être étudiée. Voir : Legislative Council Panel on Development, “Background brief on heritage conservation”, LC Paper No. CB(1)1347/08-09(09), Ref: CB1/PL/DEV, 28 avril 2009, p. 7. La Closed Area est une zone tampon située immédiatement en deçà de la frontière entre les Nouveaux territoires et Shenzhen. Etabli en 1951 dans l’espoir de contrer l’immigration clandestine, le no man’s land doit être à nouveau ouvert au développement urbain en 2010. S’il est certain qu’il n’a guère été affecté par une modernisation effrénée, l’on se demande ce qui dans cette Frontier Closed Area essentiellement végétale est susceptible de la faire paraître comme le centre historique de Hong Kong.405 Lee Leo Ou-fan, op. cit., p. 21.406 Legislative Council Panel on Development, “Background brief on heritage conservation”, LC Paper No. CB(1)1347/08-09(09), Ref: CB1/PL/DEV, 28 avril 2009, p. 7. Un « parcours du patrimoine » (heritage trail) entend mettre en valeur un réseau de bâtiments d’intérêt historique situés dans un même périmètre. Le premier parcours du patrimoine à avoir ouvert ses portes à Hong Kong est celui de Ping Shan (un des villages du clan des Tang), qui a été inauguré le 12 décembre 1993. A noter que la possible insertion d’un bâtiment dans un tel parcours peut constituer un argument pour lui accorder le grade de monument. Voir : Antiquities and Monument Office, Memorandum for members of the Antiquities Advisory Board, Review of the Relationship Between the Monument Declaration System Under the Antiquities and Monuments Ordinance (Cap. 53) and the Grading System of the Antiquities Advisory Board, Board Paper AAB/78/2007-08, 26 novembre 2008, p. 4.407 Hung Denise et Lai Chloé, “Collective memory to play conservation role”, South China Morning Post, 9 janvier 2007. L’on peut aussi se rapporter au tableau récapitulatif des consultations de 2007 dressé dans la sous-partie précédente.

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l’infirmation des grades octroyés à 1 444 bâtiments récemment répertoriés par l’AAB.

Ceux qui le souhaitent ont jusqu'au 31 juillet 2009 pour s’exprimer sur le sujet en

envoyant un email au secrétariat de l’AMO...409 Et en l’absence de canaux institutionnels

établis entre l’AAB et le public, l’on se demande comment les citoyens hongkongais vont

être en mesure d’honorer l’invitation que leur a faite Bernard Chan de continuer à faire

connaître leur point de vue410. Chose regrettable car aucune mesure n’a été prise, qui

garantit la prise en compte du vernaculaire.

Aucun effort n’a en effet été entrepris pour se défaire du seuil de cinquante ans qui avait

tant fait débat lors de l’agonie de l’embarcadère du Star Ferry (qui était âgé de 49 ans, fin

2006 et, par conséquent, ne figurait pas au nombre des édifices susceptibles de se voir

être remis un grade). L’absence de seuil légal à atteindre par un bâtiment pour être

éligible à l’obtention d’un grade ou du statut de monument a encore été réaffirmée lors de

la session du Conseil législatif du 6 décembre 2006 durant laquelle Patrick Ho a répondu

à une question de Choy So-yuk en confirmant que « l’âge d’un bâtiment n’est pas un

critère prévu par la loi et l’Ordonnance n’évoque aucun seuil pour la déclaration d’un

monument »411. Mais, dans la pratique, les bâtiments construits après la Seconde Guerre

Mondiale ont rarement eu l’occasion de faire l'objet d'une évaluation en vue de

l'obtention d’un grade et la barre des cinquante ans est aujourd’hui encore utilisée comme

critère de sélection412. Ainsi, lorsqu’en mars 2005, l’AAB a entrepris de passer en revue 1

444 édifices, ceux-ci avaient été sélectionnés à partir d’un premier groupe de bâtiments (8

800 au total) ayant pour point commun d’être tous âgés de plus de cinquante ans413.

Certains membres de l’AAB regrettent l’existence d’un tel seuil ; Lee Ho-yin, par

408 Yiu Michael, Built heritage conservation policy in selected places, Research and Library Services Division, Legislative Council Secretariat, RP10/07-08, 18 juillet 2008, p. 61.409 www.lcsd.gov.hk/ce/Museum/Monument/en/aab_public_view.php (dernier accès le 1er juin 2009). Etre résident de la RAS n’est pas requis pour participer à l’operation ; n’importe qui a le droit d’envoyer un email.410 Cette invitation du président de l'AAB est toutefois nuancée par le rappel du fait que « la préservation du patrimoine est une affaire complexe dont la finalité n’est pas simplement la conservation de vieilles choses ». Autrement dit : laissons faire les experts. Voir : Chan Bernard, « Modern methods for the antiquities board », South China Morning Post, 2 janvier 2009.411 “LCQ14: Rating of historical buildings”, à consulter à l’adresse suivante: www.info.gov.hk/gia/general/200612/06/P20061206159 (dernier accès le 5 mars 2009).412 Lung David, art. cit.413 Antiquities and Monument Office, Memorandum for members of the Antiquities Advisory Board, Built Heritage Conservation Policy Review – Recent Public Engagement Exercise, Board Paper AAB/6/2007-08, 6 mars 2007, p. 1.

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Page 112: Hong Kong, patrimoine, activisme et décolonisation (Hong Kong, cultural heritage, activism and decolonization)

exemple, va jusqu'à déclarer qu’il n’existe aucun rapport direct entre l’âge d’un bâtiment

et sa qualification comme objet de patrimoine414. Mais le sujet semble être absent des

débats internes et, de facto, le seuil existe toujours, privant ces bâtiments édifiés dans les

années 1950 et 1960 – dont Lee Ho-yin dit pourtant qu’ils constituent « le futur du

patrimoine hongkongais » - de voir leur valeur officiellement reconnue et de bénéficier

de la protection légale attachée à une telle sanction415.

Autre chantier demeuré inexploré : la définition de ce qui constitue le patrimoine

hongkongais, une question pourtant au cœur du MSQ. L’élargissement de ce qui est

considéré comme faisant patrimoine ou la redéfinition du terme semble n’avoir jamais été

envisagée et les critères utilisés pour sélectionner les bâtiments susceptibles d’être

gratifiés d’un grade ou du statut de monument sont demeurés les mêmes depuis décembre

2005, alors même que le public, qui a assisté aux controverses relatives à la « mémoire

collective », espérait des changements substantiels à cet endroit416. A l’époque du MSQ,

notamment, il a été demandé à ce que le rapport d’un édifice à la « mémoire collective »

des Hongkongais soit un des critères pris en compte par l’AAB lors de la phase

d’évaluation. C'est ce qui explique qu'en janvier 2007, Patrick Ho ait déclaré qu’il

laisserait au public choix de décider si le rapport d’un bâtiment à la « mémoire

collective » hongkongaise doit être un critère plus déterminant que les autres au cours des

consultations à venir417. Et c'est sans surprise que, durant celles-ci, « beaucoup ont estimé

que l’on ne devait pas s’arrêter à la valeur architecturale ou à l’importance historique

mais également inclure la mémoire collective associée aux structures bâties ou aux lieux,

et qui reflètent des modes de vie traditionnels et les activités culturelles et sociales des

gens ordinaires”418. Plus tard, les difficultés attenantes à une définition précise du terme

414 Entretien avec Lee Ho-yin, 20 avril 2009.415 Toth Olivia, art. cit., p. 190.416 Antiquities and Monument Office, Memorandum for members of the Antiquities Advisory Board, Built Heritage Conservation Policy Review – Recent Public Engagement Exercise, Board Paper AAB/6/2007-08, 6 mars 2007, p. 1.417 Hung Denise et Lai Chloé, “Collective memory to play conservation role”, South China Morning Post, 9 janvier 2007.418 Legislative Council Panel on Home Affairs, “Views and Suggestions Received from the Public on the Review of Built Heritage Conservation Policy”, LC Paper No. CB(2)1599/06-07(01), 20 avril 2007, p. 6.

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« mémoire collective » ont toutefois fait douter certains de sa pertinence dans un

formulaire aux visées techniques419.

Or, selon Maurice Halbwachs, « l’on peut parler de mémoire collective quand nous

évoquons un événement qui tenait place dans la vie de notre groupe et que nous avons

envisagé, que nous envisageons maintenant encore ou nous le rappelons, du point de vue

de ce groupe”420. Aussi permettrons-nous de faire remarquer que, si les membres de

l’AAB étaient représentatifs de la société hongkongaise (du « groupe ») ou s’il était

donné à cette dernière la possibilité de participer de manière substantielle à la sélection

des bâtiments susceptibles de se voir remettre le grade de monument, le critère n’aurait

pas de raison d’être invalidé. Il demeure bien sûr à établir que le MSQ témoigne de la

volonté de préserver une « mémoire collective » : le terme, on l’a vu, a été débattu au sein

même du mouvement ; et certains experts, comme Lee Ho-yin, ont vu dans ce dernier la

manifestation d’un « attachement collectif » à certains lieux davantage que la défense

d’une « mémoire collective » associée à un site menacé421. Reste que l’argument avancé

pour expliquer l’absence de changement des formulaires de gradation a bien été l’idée

d’un terme trop abstrait pour être opératoire422. Et cela est pour le moins paradoxal, si l’on

se souvient que les consultations menées en 2004 dans le cadre de la Review of Built

Heritage Conservation Policy, avaient déjà conduit l’AAB à revoir le formulaire de

notation par ses membres pour évaluer les bâtiments et que la version la plus récente de

celui-ci (celle réalisée en décembre 2005 et encore utilisée aujourd'hui) inclus un critère

relatif à la « mémoire collective » !423 Cela suggère que c’est tout simplement revoir ce

formulaire qui a été jugé inopportun.

La décision de démolir l’embarcadère du Star Ferry et le Queen’s Pier avait démontré

avec éclat le peu d’égard réservé à celles que les experts du patrimoine nomment « les

valeurs contemporaines » des sites patrimoniaux (c’est-à-dire les valeurs pertinentes dans

419 Ibid.420 Maurice Halbwachs, La mémoire collective, Albin Michel, 1997, pp. 65-66.421 Entretien avec Lee Ho-yin, 20 avril 2009.422 Chan Bernard, « Modern methods for the antiquities board », South China Morning Post, 2 janvier 2009.423 Voir : Antiquities and Monument Office, Memorandum for members of the Antiquities Advisory Board, Grading of Queen’s Pier Central, Hong Kong, Board Paper AAB/16/2007-08, 9 mai 2007, Annexe E, “Historic Building Grading Form”.

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le présent et aux personnes ordinaires, par opposition aux « valeurs traditionnelles »

associées aux lieux « des princes, des prêtres et des hommes politiques », et qui

interpellent surtout l’érudit) mais, au lendemain du MSQ, l’on pouvait s’attendre à ce que

le formulaire de gradation soit désormais observé avec une plus grande rigueur. Le sort

réservé à l'ancienne demeure de Bruce Lee, que certains voulaient transformer en un

musée à la gloire de l’acteur, démontre cependant que ce n’est pas le cas424 : alors que,

dans un article daté du 9 juillet 2008, Olga Wong, prenait note de l’intérêt architectural et

historique très relatif de la demeure du 41 Cumberland Road pour déclarer que celle-ci ne

saurait être sauvée que si l’AAB reconnaissait la valeur sociale y étant associée, deux

semaines plus tard, c’est bien au motif que « le bâtiment est de style ordinaire et ne

possède aucun élément architectural unique » que l’AAB refuse de lui accorder un

grade425.

En outre, lors de la séance de l’AAB du 26 novembre 2008 au cours de laquelle il n’a

été jugé justifié de conférer au critère relatif à la « mémoire collective » une place plus

importante lors de l’évaluation des bâtiments, il n’a été débattu d’aucune alternative

susceptible de permettre la prise en compte des « modes de vie traditionnels et (des)

activités culturelles et sociales des gens ordinaires » associés à certains lieux, dont les

personnes interrogées en janvier-février 2007 s’étaient pourtant dites soucieuses426. Or,

cette absence de débat sur ce qui constitue le patrimoine hongkongais est préjudiciable.

Et nous pouvons notamment nous poser la question de savoir si « l’importance

historique » d’un site est chose plus aisée à objectiver que la mémoire collective lui étant

associée, l’histoire, on l’a vu, étant au centre des débats lors du MSQ. La façon dont ce

dernier a été évalué témoigne de la pertinence de la question. Si l’embarcadère n’a pas été

considéré comme un monument, c’est que « l’approche holistique adoptée afin d’établir

sa relation avec l’administration coloniale et ses contributions au développement

424 C’est au moment où Yu Panglin, le propriétaire de la maison, entendait détruire cette dernière que certaines voix (notamment celle du directeur du Bruce Lee Club, Wong Yiu-keung) se sont exprimées afin que le gouvernement lui accorde un grade.425 Ng Joyce et Chow Vivienne, « No architectural value in home of Bruce Lee, say heritage bodies », South China Morning Post, 25 juillet 2008.426 Antiquities and Monument Office, Memorandum for members of the Antiquities Advisory Board, Review of the Relationship Between the Monument Declaration System Under the Antiquities and Monuments Ordinance (Cap. 53) and the Grading System of the Antiquities Advisory Board, Board Paper AAB/78/2007-08, 26 novembre 2008

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Page 115: Hong Kong, patrimoine, activisme et décolonisation (Hong Kong, cultural heritage, activism and decolonization)

économique, religieux, éducatif ou médical de la colonie » n’a attesté que d’un « rôle

relativement accessoire » de sa part427. Rien sur la valeur sociale du Queen’s Pier comme

espace public et civique, ni sur la fonction qu’a rempli l’embarcadère pour de nombreux

mouvements sociaux. L’entrée dans le patrimoine national australien, en 1988, des bains

de Moree (Moree Spa Baths), au motif qu’ils avaient été le point de départ du Freedom

Ride de 1965, entre Moree et Sidney, semble pourtant indiquer que de tels attributs

auraient tout-à-fait pu être pris en compte par l’AAB428. Mais il semble qu’à Hong Kong,

l’importance historique d’un lieu historique construit durant l’époque coloniale ne

s’atteste qu’à l’aune de sa contribution au développement de la colonie... L’on devine

aisément lequel des deux types de discours historique soutient une telle réflexion et il est

d’ailleurs pour le moins ironique que ce soit à Chu Hoi-dick que cet argumentaire ait été

opposé429. Toutefois, les questions soulevées par MSQ n’ayant fait l’objet d’aucun débat

véritable, il est somme toute logique d’observer que les réponses qu’elles attendaient

n’aient pas été traduites au niveau politique.

Pour conclure cette sous-partie, rappelons néanmoins que l’instauration d’un Heritage

Impact Assessment, notamment, devrait rendre moins systématique la destruction de

bâtiments gradés lors de la construction de grands projets immobiliers ou

d’infrastructures, qu'ils soient publics ou privés. Ces bâtiments sont d’ailleurs en

augmentation depuis le recensement de 1 444 édifices du territoire, qui propose

d’accorder le grade I, II et III à, respectivement, 90, 162 et 359 nouvelles unités (soit une

augmentation de 112,5 % au total). Et cela signifie aussi, très probablement, davantage de

monuments, dans la mesure où l’AAB est désormais tenue de considérer chaque édifice

de grade I comme un potentiel monument430. Notons pour finir que le Heritage Grant

Scheme et l’extension de l’assistance financière aux propriétaires de bâtiments gradés (et

427 Voir: In the High Court of Hong Kong Special Administrative Region, Court of First Instance, Constitutional and Administrative Proceedings, No. 87 of 2007, HCAL 87/2007, p. 9.428 On se situe là à la frontière entre valeur sociale et valeur pour l’histoire, mais il s’agit de toute façon de cases contiguës. Voir : Johnston C. et la Commission du patrimoine australien, art. cit., p. 9.429 C’est en effet lors du procès intenté par Chu Hoi-dick et Ho Loy au secrétaire des affaires intérieures (pour ne pas avoir empêché la démolition du Queen’s Pier malgré le grade I qu'il lui avait conféré le 9 mai 2007) qu’un tel argumentaire a été rendu.430 Antiquities and Monument Office, Memorandum for Members of the Antiquities Advisory Board, Results of the Assessment of 1,444 historic buildings, Board Paper AAB/8/2009-10, 19 mars 2009. Rappelons que ces grades ne sont pas définitifs mais doivent être confirmés (ou infirmés) par le public avant le 31 juillet 2009.

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Page 116: Hong Kong, patrimoine, activisme et décolonisation (Hong Kong, cultural heritage, activism and decolonization)

non aux seuls propriétaires de monuments) va considérablement aider ces derniers à

prendre soin de leur propriétés. Néanmoins, les chantiers de fond n’ont pas été abordés.

Une réforme des Hong Kong Planning Standards and Guidelines, qui systématiserait

l’effort de préservation des paysages urbains en rendant nécessaire sa prise en compte dès

le zoning, n’a jamais été entreprise. Or, l’Ordonnance de 1971, elle n’a pas été réformée

elle non plus, rendant impossible l’extension de la protection afférente au statut de

monument à autre chose que des bâtiments individuels. La survie des rues, des ensembles

de rues, ou de n’importe quel autre type de lieux (une place etc.) n’est toujours pas

garantie et une autre Lee Tung Street peut donc être démolie dès demain. De même, les

critères utilisés pour sélectionner les bâtiments susceptibles de faire partie du patrimoine

n’ont pas été revus. Et, la composition de l’AAB n’ayant pas subi de bouleversements

majeurs et les canaux qui auraient permis aux aspirations de la société hongkongaises

d’être entendues lors de la sélection des bâtiments à préserver n’ayant pas été établis, ce

sont toujours le mêmes types de bâtiments qui sont valorisés : la destruction d’un nouvel

embarcadère du Star Ferry peut suivre.

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Page 117: Hong Kong, patrimoine, activisme et décolonisation (Hong Kong, cultural heritage, activism and decolonization)

B. Marchandisation

Que l'attitude de l'administration envers les bâtiments vernaculaires – qui brillent

davantage par les activités dont ils sont les supports que par la sophistication de leur

structures – soit demeurée inchangée au lendemain du MSQ et de la campagne de Lee

Tung Street est d'autant plus surprenant que notre époque ne se satisfait plus d’objets dé-

fonctionnalisés, conservés et appréciés uniquement pour leur valeur secondaire ou

extérieure. Un tel basculement, qui a pour origine les inquiétudes de praticiens quant aux

risques attenant au gel du temps, qui fixe dans l’immobilité et fait courir le risque de faire

du passé un « insupportable fardeau »431, semblait au surplus arriver à un moment propice

pour Hong Kong, dans la mesure où il constitue le remède idoine à un phénomène

patrimonial « qui s’emballe, s’enferme sur lui-même et perd tout son sens »432. Il rend

aussi possible des rénovations intéressantes et profitables à la communauté toute entière,

une opportunité dont Hong Kong a su se saisir.

Néanmoins, à partir de l’instant où ce n’est plus avec des objets de mémoire (qui parlent

pour eux-mêmes) mais « avec des objets porteurs de temps, qu’il s’agit de restaurer, de

rendre parlants, de réintégrer au temps actuel pour qu’on puisse y accéder »433, se pose les

questions de la manière utilisée pour faire s’exprimer ces bâtiments et de ce que l’on

entend leur faire dire. Et, puisque « tout codage apporte une mise en perspective et la

« production » d’un certain sens, qui se substitue au texte donné et peut soit l’appauvrir,

soit le valoriser en l’enrichissant », l’interférence doit faire l’objet d’une précaution

infinie434. Elle porte en effet en elle le risque d’une commodification du patrimoine (1),

un risque particulièrement présent dans une cité ambitionnant de devenir une « ville

globale » (2).

431 Poulot Dominique, « Le patrimoine et les aventures de la modernité », Patrimoine et modernité, Paris, L’Harmattan, 1998.432 Jadé Mariannick, op. cit., p. 40.433 Sibony Daniel, « Le patrimoine, un lieu d’être autrement », Patrimoine et passions identitaires, in Le Goff Jacques (dir.), Actes des Entretiens du Patrimoine, Fayard, Paris, 1998, cité dans Jadé Mariannick, op. cit., p. 46.434 Henri Lefebvre, op. cit., p. 17.

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1. Le risque de la commodification

Un programme de rénovation porteur d'espoir

Pour une évaluation complète des répercussions qu’ont pu avoir les mobilisations en

faveur du patrimoine sur la façon dont le gouvernement gère ce dernier, il est nécessaire

de se pencher sur le sort des sept bâtiments rénovés au travers du Revitalisation of

Historic Buildings Through Partnership Scheme, un programme lancé le 22 février

2008435. Celui-ci n’a pas seulement permis de mêler la société civile (seules les

organisations à but non lucratif, c’est-à-dire celles possédant le statut d’organisations

caritatives selon les critères fixés par la section 88 de la Inland Revenue Ordinance,

chapitre 112, pouvaient y participer) à la préservation du patrimoine ; en privilégiant

l’approche dite d’adaptive re-use (réemploi adéquat), l’initiative témoigne également

d’une mise à jour des pratiques patrimoniales. En effet, alors que, par le passé, « tout

patrimoine devait être transmis dans son intégrité formelle, c’est-à-dire tel qu’il était

authentiquement inséré dans le réel disparu », le souci s’est désormais recentré sur la

recherche de moyens permettant à ce patrimoine de continuer d’exister dans le réel

présent, ce qui peut justifier certaines atteintes à son intégrité formelle436. Et, parce

qu’officiellement, le programme vise aussi à transformer les bâtiments sélectionnés en de

nouvelles icônes (landmarks)437, a priori, le choix des édifices n’a pu avoir été laissé au

hasard. Notons à cet égard que plusieurs d’entre eux peuvent se rapporter à ce que nous

avons défini comme « vernaculaire » : Mei Ho House et Lui Seng Chun en particulier. Il

ne faudrait pourtant pas lire leur inclusion dans le Revitalization Scheme comme la

435 Ces édifices sont les suivants : le vieux commissariat de Tai Po (No. 11 Wan Tau Kok Lane, Tai Po, Nouveaux territoires), Lui Seng Chun (No. 119 Lai Chi Kok Road, Mong Kok, Kowloon), le vieil hôpital de Lai Chi Kok (No. 800 Castle Peak Road, Lai Chi Kok, Kowloon), la magistrature de Kowloon Nord (No. 292 Tai Po Road, Sham Shui Po, Kowloon), le vieux commissariat de Tai O (Shek Tsai Po Street, Tai O, Lantau Island), la salle d’étude de Fong Yuen (Tin Liu Tsuen, Ma Wan, Tsuen Wan) et Mei Ho House (Block 41, Shek Kip Mei Estate, Sham Shui Po, Kowloon). Voir : “First Batch of Historic Buildings” sur le site du Development Bureau:

www.devb-wb.gov.hk/Heritage_Conservation_/Revitalising_Historic_Buildings_Through_Partnership/First_Batch_of_Historic_Buildings/index.aspx?langno=1&nodeID=1849 (dernier accès le 13 février 2009).436 Jadé Mariannick, op. cit., p. 39.437 Voir : “Partnership scheme to revitalise historic buildings launched”, 22 février 2008 sur le site du gouvernement: http://www.info.gov.hk/gia/general/200802/22/P200802220193.htm (dernier accès le 13 février 2009).

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manifestation d’un changement d’attitude envers ce type de bâtiments : si les critères

utilisés pour sélectionner les sept bâtiments n'ont pas été dévoilés, comme Lee Ho-yin

nous l’a indiqué, il semblerait que leur dégradation à un rythme accéléré et la pression

médiatique entourant certains d’entre eux (Mei Ho House et Lui Seng Chun, justement)

en ait été l’origine438. C’est donc par nécessité et non en conséquence d’une réévaluation

du statut du vernaculaire qu’ils ont eu l’insigne honneur de figurer dans le programme439.

Quoiqu’il en soit, les sociétés à but non-lucratif intéressées ont eu jusqu’au 21 mai 2008

pour remettre leur projet à un comité présidé par Benard Chan, qui se proposait de les

évaluer à partir de ces quelques critères :

- « réflexion sur la valeur et l’importance historique du bâtiment ;

- préservation du patrimoine ;

- aspect social du projet (social enterprise operation) ;

- viabilité financière ;

- autres facteurs (capacités de gestion, expérience du porteur du projet etc.) »440.

L’on peut les juger vagues, mais les résultats du programme se sont avérés porteur

d’espoir pour le patrimoine hongkongais. La victoire du projet porté par la Chinese

Medicine and Healthcare Centre de la Baptist University pour Lui Seng Chun est souvent

cité en exemple ; il est vrai qu’il rompt de manière peu commune avec les pratiques

habituelles, qui condamnent en général les vieux édifices à devenir des bars, des

restaurants ou des hôtels luxueux : le projet victorieux propose de transformer le tong lau

de trois étages auquel le gouvernement l’AAB a conféré le grade I en 2003441 en une

438 Entretien avec Lee Ho-yin, 20 avril 2009.439 Notons que la deuxième série de bâtiments semble répondre aux mêmes impératifs. Elle sera composée du vieux commissariat de Tai Po, de la Maison bleue (Blue House) de Wan Chai, de maisons de pierres du Nouveau village du temple de Han Hau situées sur Junction Road, à Kowloon City, d’une vieille maison du village Wong Uk, à Sha Tin, et de l’ancienne magistrature de Fanling.440 Legislative Council Panel on Development, Revitalising Historic Buildings Through Partnership Scheme, CB(1)816/08-09(03), 24 février 2009, p. 2-3. Les candidats dont le projet a été approuvé par un comité composés d’experts du patrimoine (et présidé par Bernard Chan) et des projets sociaux ainsi que de membres des départements gouvernementaux intéressés se voient remettre la somme nécessaire à la revitalisation du bâtiment (si elle n’excède pas les 5 millions).441 Construit en 1931 par W. H Bourne (commandité par Lui Leung, un des fondateurs de la Kowloon Motor Bus Ltd.) dans un style art déco typique, le tong lau tient son nom de l’ostéopathe qui occupait à l’époque son rez-de-chaussée.

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clinique de médecine chinoise pour les résidents recevant l’aide du CSSA442. Le rez-de-

chaussée sera consacré « à la communauté » et comprendra une salle multifonctions, un

magasin de thé aux herbes et une pharmacie443. Les trois autres étages du bâtiment

accueilleront des cliniques d’acupuncture et de médecine chinoise ainsi qu’une salle de

séminaire. Quant au toit, il sera transformé en jardin et les vastes balcons en salles

d’attente ou sera exposée l’histoire de Lui Seng Chun ainsi que celle de la médecine

chinoise. Ainsi rénové, le bâtiment s’inscrit donc parfaitement dans la vie de son quartier,

tout en retenant son usage d’origine.

D’autres projets peuvent pareillement être considérés comme des réussites : la

rénovation de Mei Ho House444 et du vieil hôpital de Lai Chi Kok445 tout particulièrement.

Néanmoins, lorsque les résultats de l’initiative ont été révélés par le Comité consultatif

sur la rénovation des bâtiments historiques (Advisory Committee on Revitalisation of

Historic Buildings), le 17 février 2009, certains ont donné lieu à une petite controverse446.

La rénovation de la Magistrature de Kowloon nord (située à Kowloon Tong) par une

organisation non hongkongaise (le Savannah College of Art and Design) a fait débat, bien

que l’institution américaine ait assuré qu’elle ne solliciterait pas l’assistance financière du

gouvernement, comme cela lui est possible de le faire447. Liza Wang Ming-chuen, diva et

présidente de l’Association des Artistes Chinois (Chinese Artist Association of Hong

Kong), qui défendait le projet concurrent, a été particulièrement critique. Son projet, qui

proposait de transformer la magistrature en un centre consacré à l’opéra cantonnais, un

art qui demeure populaire chez les personnes âgées et au sein des classes sociales

modestes, constituait en effet l’antithèse parfaite de celui du Savannah College, dont

442 CSSA signifie Comprehensive Social Security Assistance. Il s’agit d’un programme d’assistance sociale minimale destinée au socle le plus pauvre de la population hongkongaise.443 Ng Joyce, “Disadvantaged to benefit when historic tenement becomes medical centre”, South China Morning Post, 21 février 2009.444 Le plus vieux bloc de logements sociaux de la ville doit être transformé en auberge de jeunesse par la Hong Kong Youth Hostel Association.445 Rénové par la Hong Kong Institution for the Promotion of Chinese Culture (dont le président n'est autre que Louis Cha (Jin Yong), l'écrivain et intellectuel qui est aussi le principal architecte de la Basic Law), l’ancien hôpital doit devenir un centre d’étude.446 Pour les résultats détaillés, voir le site consacré à la préservation et à la revitalisation du patrimoine du Bureau du développement : http://www.heritage.gov.hk/en/rhbtp/ProgressResult.htm (dernier accès le 20 février 2009). L’initiative a attiré 114 projets.447 La création d'emplois, “en particulier au niveau du district” est en effet l'un des quatre principaux objectifs que s'est assigné le programme. Voir: http://www.heritage.gov.hk/en/rhbtp/about.htm (dernier accès le 13 juin 2009).

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l’enseignement coûtera aux élèves 27 000 US$ par an. Mais c’est principalement son

manque de sincérité supposé dans son effort visant à secourir l’opéra cantonnais qui a été

reproché au gouvernement. Peu avant la publication des résultats, le Conseil du

Développement Artistique (Arts Development Council) avait en effet fait part de sa

décision de subventionner pour trois ans le Sunbeam Theatre – un haut lieu de l’opéra

cantonnais situé à North Point, sur l’île de Hong Kong, lieu de refuge de nombreux

shanghaïens dans les années 1950, et fondé en 1972 avec le soutien de l’entreprise pro-

communiste Hua Chang Enterprises Ltd. et de l’agence de presse Xinhua…-, menacé de

fermeture du fait d’un loyer en augmentation exponentielle.

Toutefois, c’est surtout la victoire du projet de rénovation de la vieille station de police

de Tai O soumis par la Hong Kong Heritage Conservation Foundation de Una Lau Yuk-

man qui a fait débat. Il a aussi rappelé aux Hongkongais que leur patrimoine n’était pas à

l’abri de la marchandisation à laquelle l’avaient parfois soumis les politiques passées. La

découverte du fait que la Fondation en question était une création du promoteur

immobilier Sino Land a été un des éléments d’inquiétude, mais c’est avant tout du projet

lui-même dont il a été question448 : le vieux commissariat doit en effet être transformé en

un hôtel dit « patrimonial » avec boutique intégrée ; le prix d’une nuit dans l’une des neuf

suites prévues devrait avoisiner les 2000 HK$, soit presque un cinquième du salaire

mensuel moyen à Hong Kong449 ; et le public intéressé par la visite des lieux devra

rejoindre des visites (gratuites) organisées trois ou quatre fois par jour450. Alors que, lors

des consultations menées en février et mai 2004, le public sondé avait déclaré que « le

patrimoine préservé doit, autant que possible, être accessible au public »451, cet accès

restreint au site a fait douter de la volonté du gouvernement de se départir d’une vieille

tendance consistant à privatiser le patrimoine – et donc, en grande partie, à dépouiller de

448 Tanya Chan, conseillère législative élue au suffrage universel (Civic Party), entre autres, a été critique à ce sujet, rappelant que l’un des objectifs du Revitalization Scheme était de favoriser l’appréciation du public pour son patrimoine. Voir: Ng Joyce, “Concerns over public access to hotel planned for historic Tai O site”, South China Morning Post, 20 février 2009.449 En janvier 2007, le salaire mensuel moyen a Hong Kong ne dépassait pas 10 800 HK$ selon les chiffres officiels : http://www.info.gov.hk/info/hkbrief/eng/fact.htm (dernier accès le 13 février 2009).450 Wong Olga et Ng Joyce, “Historic buildings get new lease of life”, South China Morning Post, 18 février 2009.451 Legislative Council Panel on Home Affairs, “Review of Built Heritage Conservation Policy”, LC Paper No. CB(2)155/04-05(02), 9 novembre 2004, p. 3.

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son histoire452. C’est bien cela qu’exprimait Wong Wai-king, résidente de Tai O active

dans la promotion de la culture locale, en suppliant : « S’il vous plaît, ne transformez pas

(le bâtiment) en un hôtel pour riches »453 - un type de rénovation trop souvent encore

privilégié.

Marchandisation et commodification de l’espace

Les exemples de marchandisation du patrimoine sont en effet légion. Une illustration

particulièrement frappante du phénomène est le déplacement (en 1998, soit plus de

quinze années après leur démantèlement…) des casernes britanniques de Murray House à

Stanley, où elles ont été transformées en un centre commercial géant454. Mais l’on peut

aussi évoquer le cas des quartiers généraux de la police maritime, ce bâtiment centenaire

de style colonial bâti sur une colline de Tsim Sha Tsui surplombant le port de Victoria,

sur le point d’achever sa métamorphose en boutique et hôtel de luxe baptisé « Heritage

1881 ». En 2003, le projet de la Flying Snow Ltd., une filiale de Cheung Kong Holdings

(l’entreprise de Li Ka-shing) a en effet reçu l’approbation de l’AAB de l’époque, malgré

le statut de monument conféré au bâtiment neuf années plus tôt455. Et il semblerait que

l'AAB n'ait pas émis d'objection particulière au sujet des « enjolivements » de style

édouardien dont a été affublé le bâtiment, bien que de telles pratiques contreviennent de

façon flagrante aux énoncés de l'Ordonnance. Même après le MSQ, c’est un sort

comparable qui attend les sites patrimoniaux potentiellement exploitables à des fins

touristiques.

La controverse provoquée par le projet de rénovation du Seaview Building de Repulse

Bay, est particulièrement instructive quant au manque de volonté du gouvernement de

mettre fin à cette tendance (elle informe au surplus sur le manque de transparence de

452 Une exposition de photos et de documents d’histoire sur Tai O est censée être mise en place dans le hall d’entrée. En matière d'accès restreint, il faut noter la performance de la villa Jessville. Si le projet visant à la transformer en « club house » (du complexe résidentiel qui attend d'être construit autour de la demeure...) se confirme, l'accès du public ne sera garanti qu'une fois par mois. Voir: « What's wrong with Hong Kong ? », Hong Kong Magazine, 12 juin 2009.453 Ng Joyce, “Concerns over public access to hotel planned for historic Tai O site”, South China Morning Post, 20 février 2009.454 Jeffrey W., art. cit., p. 198.455 Wu Elaine, “Marine police HQ to be turned into a “heritage hotel””, South China Morning Post, 28 mai 2003. Un projet concurrent proposait l’instauration d’un musée à l’intérieur du bâtiment.

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certains organes du territoire) dans la mesure où le bâtiment est la propriété du Leisure

and Cultural Services Department auquel étaient rattachés l’AAB et l’AMO avant le 1er

juillet 2007. Ce bâtiment de trois étages construit dans les années 1940 et 1950, a été

utilisé comme restaurant jusqu’en 2005, année où le manque de clients l’a contraint à

mettre clef sous porte. Quelques mois plus tard, le Planning Department a proposé de le

transformer en hôtel et centre commercial, préconisant d’ajouter à la structure existante

un autre bâtiment, légèrement plus haut, ainsi qu'un parking occupant un tiers de la plage

sur laquelle donne le Seaview Building. Le 5 septembre 2008, malgré les objections

exprimées par certains résidents et conseillers de districts, l’AAB donne feu vert a ce

projet : selon lui, le bâtiment n’a en effet que très peu de valeur patrimoniale: son style

architectural ne se distingue d’aucun autre et l’édifice n’est associé à aucun événement ni

à aucune figure historique. A l’appui, des photographies démontrant l’aspect tout-à-fait

ordinaire du bâtiment dans les années 1960, suggérant ainsi que la porte en voûte et les

balustrades n’ont été ajoutées que dans les années 1970. D’autres versions existent

pourtant, et Lee Ho-yin a ainsi invité l’AAB (dont il n’était pas encore membre) à rendre

public le rapport concluant à l’absence d’intérêt patrimonial du bâtiment, et à faire appel

à un expert indépendant pour l’établissement d’un second devis. Selon lui, le

redressement des avant-toits, les motifs circulaires de l’entrée principale ainsi que le

fronton du bâtiment sont d’ailleurs typique du style Renaissance chinoise. Suite à la

controverse, le Town Planning Board a accepté de rendre public le plan de zoning du

Seaview Building, mais les documents de l’AMO sont demeurés confidentiels... Et, si le

bâtiment n’est pas détruit456, ce sera probablement pour être transformé en un magasin ou

hôtel de luxe457. Là est un destin auquel a déjà été condamné le Woo Cheong Pawn Shop

de Johnston Road (Wan Chai), aussi connu sous le nom de « The Pawn » depuis la

transformation du mont-de-piété en galerie d’art et restaurant par l’URA. Mais cette

456 Et il devrait être préservé : suite à des consultations publiques ayant abouti au recensement de plus de 900 objections, le Leisure and Cultural Service a fait savoir en mars 2009 qu’il n’était pas impossible de revenir sur le zoning du site et d’aménager le bâtiment. Wong Olga, “Seaview Building could be saved”, South China Morning Post, 2 mars 2009.457 Dmitry Fedotov, propriétaire de plusieurs cafés sur l’île de Hong Kong, s’est notamment dit intéressé pour reprendre le bâtiment (afin d’en faire un centre pour yachting et spa). Notons aussi que Vincent Ng Wing-shun, de Designing Hong Kong, a proposé un plan alternatif (à moindre coût) maintenant l’accès public à la totalité de la plage. On peut le consulter à l’adresse suivante:

http://www.designinghongkong.com/savetherepulsebaybeach/Save_Repulse_Bay_Beach.pdf (dernier accès le 2 mars 2009).

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rénovation particulière témoigne surtout de la contradiction dont sont prisonniers ces

bâtiments, derniers vestiges d’un passé glamourisés par certains secteurs de la population

(les aficionados de G.O.D et bien d’autres encore458), qui sont souvent les mêmes qui

fréquentent assidument les centre commerciaux que l’on construit sur leurs ruines459. Et,

si une telle « capitalisation de la nostalgie » a pour effet secondaire de rendre le

patrimoine à la mode, ce qui peut éventuellement déboucher sur une recrudescence

d’efforts visant à le préserver, elle possède aussi des effets pervers dans la mesure où elle

participe souvent d’une commodification du patrimoine460.

Tenter de produire du patrimoine est un exercice voué à l’échec dès le départ car, dans

le meilleur des cas, c’est à la création d’un décor patrimonial que l’on parvient (voir

annexe 7) ; bien réalisé, celui-ci peut bien sûr faire illusion ; mais ses talents

subrogatoires s’arrêtent là, car le patrimoine n’a rien d’un décor plaisant ciselé par des

ingénieurs et des architectes suivant leur cahier des charges : il est le revêtement visible

de la culture vivante et dynamique qui lui a donné naissance. C’est pourtant la voie que

semble vouloir emprunter Hong Kong. Même si le projet s’est vu remettre la médaille

d’argent du concours d’architecture du Hong Kong Institute of Architects, le traitement

subi par le Repulse Bay Hotel, détruit en 1982 puis reconstruit en 1989 suite à la

reconstitution qu’avait occasionnée un film d’Ann Hui n’appelait pas forcément à une

généralisation461. Mais il semble que les appels stridents de la société civile pour une

meilleure préservation du patrimoine aient été interprétés comme un simple élan de

nostalgie pour un paysage urbain en voie de disparition, que la re-création de quelques

tong lau et bâtiments coloniaux, augmentés du confort moderne, suffirait à satisfaire.

C’est ainsi que les 57,000 mètres carrés couvrant Peel Street/Graham Street devraient être

transformés en « Old Shop Street », selon un plan de l’URA dévoilé en février 2007 : à

l’exception de l’épicerie Wing Woo et de trois vieux tong lau de Graham Street (26A-458 G.O.D, ou « Goods Of Desire », est le nom de cette marque (de vêtements et de produits de décoration) en vogue, qui entend « explorer les traditions orientales millénaires et les mettre à jour dans le but de satisfaire les consommateurs modernes ». Voir: http://www.god.com.hk/aboutus_content.php (dernier accès le 13 juin 2009).459 Lors de l’entretien que nous avons eu avec elle, Fione Lo a cité le bureau de prêt Wo Cheong comme un exemple d’une rénovation réussie. Quand nous lui avons demandé quel lien demeurait entre ce qu’était le mont de piété hier et ce qu’il est aujourd’hui, elle a évoqué le « menu patrimonial » (une telle expression n’a de sens qu’entre guillemets) qui y est servi. Entretien avec Lo Fione, 24 février 2009.460 L’expression entre guillements est de : Cody, Jeffrey W., art. cit., p. 197.461 Abbas Ackbar, op. cit., p. 68.

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26C), qui devraient être préservés, les bâtiments de la rue doivent être démolis puis

reconstruits dans l’esprit des « vieux magasins »462. Un même sort attend Lee Tung

Street, Sneakers Street et Shanghai Street (à Mong Kok) toutes trois en instance d’être

transformées en « Wedding City », « Sport City » et « Popular Food Street »

respectivement, suivant la mode des quartiers à thème déjà devenue commune en Chine

continentale, alors que le nouvel embarcadère du Star Ferry de Central, qui se voulait être

une reconstitution de l’embarcadère de Pedder Street de 1912, n’est parvenu qu’à en

incarner une caricature grotesque que beaucoup auraient mieux imaginé dans un parc

Disneyland463. Et c’est encore de la même déconnexion entre les fonctions, les activités et

les formes culturelles dont un bâtiment est le support (en même temps que le résultat) et

le bâtiment lui-même dont procède le « façadisme » auquel sont parfois soumis les vieux

édifices de la ville. Les cas du marché de Wan Chai et de l’ancienne clinique

psychiatrique de Sai Ying Pun, dont il n’a à chaque fois été préservé que la façade, en

sont deux éloquentes illustrations464. Bien sûr, l’on peut juger un tel sort préférable à la

destruction totale des édifices en question. Mais, si le patrimoine n’est plus qu’une

« patine d’histoire » à visée purement décorative, « une image d’histoire destinée à la

consommation visuelle », alors « sa préservation ne conduit pas à l’émergence d’un sens

critique de la communauté mais œuvre au maintien en place du sujet colonial, occupé à

contempler des images d’identité »465.

2. Vers une ville générique ?

Toutefois, puisque le bâtiment vernaculaire fait l’objet d’une reconnaissance accrue, il

n’est plus tout-à-fait exact de dire – comme le faisait Ackbar Abbas - que la partie

462 “Plan to preserve historical character of Wing Woo Grocery in place”, 20 janvier 2009, sur le site de l’URA: http://www.ura.org.hk/html/c1002091e304e.html (dernier accès le 16 février 2009).463 Voir, par exemple : Ng Tze-wei, « Not even Hong Kong’s storied Star Ferry can face down developpers », International Herald Tribune, 10 novembre 2006. 464 “Encased in history”, Building Journal, Hong Kong, octobre 1998, pp. 24-25.465 Abbas Ackbar, op. cit., p. 66-67. Dans le cas du marché de Western, rouvert en 1991, la LDC avait d’ailleurs pleinement assumé l’utilisation stratégique de telles images, décorant le marché à l’aide de lanternes rouges, des bannières en soie, de fenêtres à croisillons, soit autant de formes idéalisées de ce qu’elle considérait comme des manifestations de la culture chinoise – alors même que «  la culture fuit éminemment toute simplification ». Fanon Frantz, op. cit., p. 213.

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dynamique de la ville n’est composée que de bâtiments « rattachés à aucun lieux »

(placeless – l’on compte parmi eux les hôtels internationaux et les bureaux auxquels

aucune mémoire locale n’est associée) ou « anonymes » (les centres commerciaux, les

blocs résidentiels, qui semblent s’auto-répliquer à l’infini), et que les bâtiments locaux

(les tong lau et les bâtiments coloniaux selon Abbas466), « s’ils existent, n’existent plus

qu’aux marges économiques de la ville »467. Certes, cette reconnaissance tend à se

traduire par une commodification des bâtiments en question, qui ne valent plus que pour

leur capacité à générer un vague sentiment de nostalgie chez les clients du restaurant

luxueux qu’ils sont désormais devenus – une façon d’intégrer la conservation au

développement sensiblement différente de celle promue par les experts de l’ACP468 -,

mais tel est le prix de leur réintégration au sein du centre économique de la ville.

Une telle réintégration possède néanmoins des limites strictes. Alors que le « centre

économique de la ville » tend à s’étendre au-delà de la zone métropolitaine de Hong

Kong, le patrimoine commodifié tend lui à rester concentré sur l’île de Hong Kong, où se

trouve sa clientèle, et les zones récemment transformées en quartier d’affaires continuent

à se remplir de ces bâtiments anonymes et réitératifs évoqués par Abbas. La zone

industrielle de Kwun Tong (en réalité située à Ngau Tau Kok) et ses bâtiments de sept

étages caractéristiques ont ainsi été rasés en octobre 2008469. Bâtis en 1966 par la Housing

Authority (qui a construit seize autres ensembles similaires entre les années 1950 et les

années 1970), ils accueillaient alors les industries mécaniques, textiles et plastiques

(confection de boutons, notamment) qui avaient été à l’origine du décollage économique

du territoire, passé du statut d’entrepôt à celui de colonie industrielle entre l’après-guerre

et les années 1970470. Dans d’autres anciens quartiers industriels comme Cheung Sha

Wan ou Kowloon Bay, de vieux bâtiments avaient été investis par des galeries d’art, des

466 Si Ackbar Abbas considère les bâtiments coloniaux comme des bâtiments vernaculaires, c’est que pour lui Hong Kong naît avec l’arrivée des Britanniques.467 Abbas Ackbar, op. cit., p. 81.468 Entretien avec Lee Ho-yin, 20 avril 2009.469 La plupart de leurs occupants avaient quitté les lieux en 2000 ; une centaine seulement y officiait encore à la fin de l’année 2007. Tous ont reçu une compensation de 80,000 HK$ (soit 124 mois de loyer). Man Joyce, “Sun sets on ‘60s-era factory estate”, South China Morning Post, 13 septembre 2008.470 L’industrie manufacturière employait moins de 5% de la population active en 1950 ; elle employait 25% de la population active en 1975 (le pic – 40% - est atteint en 1980). C’est elle qui tire vers le haut l’économie hongkongaise, qui amorce son décollage à la toute fin des années 1960. Voir : Tsang Steve, op. cit., 2004, p. 162.

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écoles de peinture, des ateliers d’artisanat, des studios de films, attirés par leur vaste

surface couverte et leurs hauts plafonds. Mais, ces dernières années, un certain nombre

d’Outline Zoning Plans ont été modifiés par le Town Planning Board, qui a fait passer ces

quartiers dans la rubrique « Other Specific Uses (Business) ». Les petites et moyennes

entreprises qui y sont établies n’ont pas les moyens de payer la majoration de loyer et les

efforts financiers à fournir pour mettre au goût du jour ces bâtiments sont élevés eux

aussi ; les commerces originaux sont donc contraints de déménager et ce sont de

nouveaux secteurs qui viennent s’installer dans ces quartiers anciens, également investis

par les projets de redéveloppement hypertrophiques de l’URA. Ils s’empressent en

général de démolir les bâtiments décrépis et plus assez modernes censés accueillir leurs

quartiers, afin d'en édifier des nouveaux. C’est ainsi que les activités de l’art et de

l’artisanat sont repoussées en périphérie de la ville en même temps que son centre devient

de plus en plus neuf et homogène471, semblant confirmer l’intuition de Saskia Sassen

selon laquelle l’imaginaire de la décentralisation géopolitique vers les « cités globales »

dominant à l’heure actuelle voile « une nouvelle géographie de centralité et de

marginalité »472.

Il n’est certes pas totalement impossible que les protestations exprimées au cours des

mouvements analysés plus haut mettent un terme, ou du moins un coup d’arrêt, à cette

dynamique. La transformation des Police Married Quarters, situés sur Hollywood Road,

en un complexe accueillant des industries créatives (design, architecture, publicité…),

semblerait d’ailleurs l’indiquer473. Mais, là encore, il s’agit d’un unique projet, distinct de

la police patrimoniale globale (le projet est d’ailleurs confié à Create Hong Kong, une

agence créée le 1 juin 2009 par la secrétaire au commerce et au développement

économique Rita Lau Ng Wai-lan, et qui a pour mandat d’offrir un soutien aux industries

créatives), et qui concerne un site dont les caractéristiques répondent parfaitement aux

critères pris en compte par l’AAB dans la pratique474.

471 Lau Patrick, Construct #4, Office of the Hon. Patrick Lau, juillet 2008, p. 32.472 Sassen Saskia, in Huang Tsung-yi Michelle, Walking Between Slums and Skyscrapers, Illusions of Open Space in Hong Kong, Tokyo and Shanghai, Hong Kong, Hong Kong University Press, 2004, p. 5.473 “History and creativity on road to revitalization”, Editorial du South China Morning Post du 23 mars 2009. La possibilité d’implanter des industries créatives dans d’autres sites similaires serait à l’étude. 474 Voir: Antiquities and Monument Office, “Former Hollywood Road Police Married Quarters, Site Investigation Report”, Leisure and Cultural Services Department, 2007. Rappelons que le site a accueilli l’ancienne école de Sun Yat-sen. Tanya Chan, du Civic Party, a d’ailleurs enjoint à la nouvelle agence

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Ainsi, malgré les appels de certains experts du patrimoine à intégrer les initiatives de

conservation aux efforts de développement afin que le jeu ne soit pas « à qui perd

gagne » (sans quoi la partie est déjà jouée), il ne s’est pas produit de révolution

psychologique au lendemain du MSQ. Sur le nouveau site du patrimoine mis en place par

le DB, l’on peut d’ailleurs encore lire qu’il est nécessaire d’équilibrer ces deux forces,

dans le but de préserver un patrimoine témoin de « la transformation de Hong Kong d’un

village de pêcheurs en la ville mondiale d’Asie (Asia’s world city) »475. Et, si le

patrimoine est contraint de lutter contre les forces du développement, on l’imagine mal

résister. C’est pourtant le combat qui semble l’attendre, Hong Kong aspirant à devenir la

« ville mondiale d’Asie »476 depuis la rétrocession et les conclusions de la Commission

pour un Développement Stratégique (Commission on Strategic Development) – un

objectif à nouveau réaffirmé dans le Hong Kong 2030 Study d’octobre 2007477. Les

efforts fournis pour l’atteindre ce but illustrent d’ailleurs avec une certaine acuité les

propos d’Henri Lefebvre au sujet du planning urbain, selon lesquels : « la mobilisation de

l’espace a des exigences sévères. Il doit recevoir une valeur d’échange. Or l’échange

implique l’interchangeabilité, (ce qui) exige que (l’espace) soit comparable à d’autres

lieux, et même à tous les lieux du même genre »478. Rappelons à cet égard que la SAR,

qui se donne à voir une « ville cosmopolite, au même degré que New York aux Etats-

Unis ou Londres en Europe »479, est le modèle dont s’est servi Rem Koolhaas pour

théoriser son concept de « ville générique », où « le passé est devenu trop petit pour être

habité et partagé par les vivants »480. Ainsi que le disait Antoine de Saint Exupéry, « nous

sommes tous de jeunes barbares que nos jouets neufs émerveillent encore »481 ; et c’est

cette hubris technicienne qui semble frapper le gouvernement hongkongais et l’URA, son

intermédiaire, quand, parfois, ils oublient que leurs constructions sont censées « servir les

d’étudier la possibilité de créer des clusters pour artistes et designers dans les zones industrielles. Voir : Wong Olga, « New office to support creative industries », South China Morning Post, 2 juin 2009.475 www.heritage.gov.hk/en/rhbtp/about.htm (dernier accès le 4 juin 2009).476 Lee Joanna et Ng Mee-kam, “Planning for the World City” in Yeung Yue-man (éd.), The First Decade, The Hong Kong SAR in Retrospective and Introspective Perspectives, The Chinese University Press, pp. 297-319, 2007, p. 300.477 Le rapport peut être téléchargé à l’adresse suivante : www.pland.gov.hk/p_study/comp_s/hk2030/eng/finalreport (dernier accès le 5 juin 2009).478 Henri Lefebvre, op. cit., p. 120479 Tung Chee-hwa, 1998 Policy Address.480 Koolhaas Rem, “Generic City” in Koolhaas Rem, Mau Bruce et Singler Jennifer (éd.), S, M, L, XL: Small, Medium, Large, Extra Large, New York, Monacelli Press, 1997.481 Saint Exupéry (de) Antoine, Terres des hommes, Paris, Gallimard, 1939, p. 59.

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hommes »482. Pendant près de cinq années, Lee Tung Street a ainsi été le champ de

bataille que deux logiques opposées ont élues pour s’affronter : « la vérité, pour l’un, fut

de bâtir, elle est, pour l’autre, d’habiter »…483 Et l’on peut s’attendre à voir émerger

d’autres conflits du même type puisque, si l’évolution de Hong Kong vers la ville

générique devait être menée à terme, c’est jusqu’à « l’espace de vie des individus et des

communautés » tout entier qui serait menacé484. Mais, déjà, les projets existants ne

permettent guère d’envisager une place pour le patrimoine que dans la mesure où celui-ci

se montre capable d’attirer les touristes – ce qui, jusqu'à présent, n’a guère été le cas à

Hong Kong. Si ce devait le devenir, le prix à payer sera sans doute un certain degré de

commodification du patrimoine et son emballage dans un discours historique faisant de

Hong Kong le produit de la fusion de l’Orient et de l’Occident, ce qui ne laisse guère au

vernaculaire l’opportunité d’exister485. Et même ainsi commodifié, ce denier n’a guère de

chance de rivaliser avec les gratte-ciels de Central, qui correspondent plus adéquatement

à l’image de Hong Kong comme « ville sophistiquée, riche de gratte-ciels et de néons »,

« fusion dynamique entre l’Est et l’Ouest », que continue à promouvoir le Hong Kong

Tourism Board486, malgré le groupe de travail sur le patrimoine (Heritage Task Force)

institué en 1997 par Tung Chee Hwa afin de promouvoir « notre patrimoine »487. En

482 Ibid. Notons que May Yip, l’activiste de Lee Tung Street qualifiait l’URA de “singe incontrôlable”.483 Ibid.484 Friedmann J., « World City Futures : The Role of Urban and Regional Policies in the Asia-Pacific Region », in Yeung Yue-man (éd.), Urban Development in Asia, Retropect and Prospect, Hong Kong, The Chinese University of Hong Kong, 1998, pp. 25-54, p. 37.485 McKercher Bob, Ho Pamela S. Y. et du Cros Hilary, « Attributes of Cultural Attractions in Hong Kong », Annals of Tourism Research, Vol. 31, No. 2, pp. 393-407, 2004, p. 394. L’article montre qu’environ un tiers des touristes visitant Hong Kong participe à une « activité culturelle » sous quelque forme que ce soit, mais qu’à peine un dixième d’entre eux considère l’aspect culturel de la ville comme un des principaux facteurs ayant motivé leur visite. De même, malgré les prospectus distribués par le Hong Kong Tourism Board au sujet des monuments classés par l’AAB, ces derniers sont très peu visités. Ibid, p. 404.486 Li Yiping et Lo Lap Bang Raymond, “Opportunities and constraints of heritage tourism in Hong Kong’s cultural landscape”, Tourism and Hospitality Research, Vol. 5, no. 4, août 2005, pp. 322-345, p. 322 ; Hong Kong: Events Capital of Asia, Hong Kong, Hong Kong Tourism Board, 2001. Notons néanmoins que certaines des activités actuellement proposées par le Hong Kong Tourism Board témoignent d’une vraie prise en compte du local. En 2006, notamment, à été mis en place un projet majeur intitulé «  la fête de la culture et du patrimoine », qui a notamment mis en lumière les festivités organisées autour des anniversaires de Tin Hau, Tam Kung, Buddha etc. La promotion simultanée de Hong Kong comme « shopping paradise » cosmopolite et comme ville culturelle n’est donc pas nécessairement impossible.487 Carroll John M., « Commemorating History in Colonial and Post-colonial Hong Kong », in History and Memory, Present Reflections on the Past to Build Our Future , Macau, Macau Ricci Institute Studies 5, mai 2008, pp. 227-250, p. 246.

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outre, ces gratte-ciels sont amenés à se faire de plus en plus élevés et impressionnants,

alors que le patrimoine, lui, disparaît un peu plus chaque jour488.

Parler de « ville générique » est néanmoins un abus de langage car les témoins

architecturaux du succès matériel de Hong Kong que sont les gratte-ciels de Central sont

loin d’être « génériques ». Ils ne sont pas même dénués de toute teneur politique - et pas

seulement parce que la définition de Hong Kong comme ville économique est

précisément une injonction de Pékin, inquiet du potentiel perturbateur d’une SAR où la

liberté d’expression demeure importante489. S’il n’est pas question ici d’entreprendre une

sémiologie de la ville, peut-être peut-on néanmoins relever que ce n’est sans doute pas

par pur hasard que la tour hyaline de la Banque de Chine, réalisée en 1989 par Ieoh Ming

Pei (Cantonnais naturalisé américain) s’est alors voulue être la plus haute du territoire.

Outre sa structure (censée évoquer le bambou) et ses fondations (faites de granit, à

l’instar des anciennes portes de Pékin), l’on remarquera le soin pris par ses concepteurs à

s’assurer qu’elle couvre le bâtiment de la Hong Kong and Shanghai Bank, cette rivale

ayant eu le malheur d’avoir officié comme banque centrale sous l’époque coloniale…

Autre bâtiment érigé en 1989, le Convention and Exhibition Centre de Wan Chai, qui a

accueilli les cérémonies de la rétrocession en 1997. L’absence de toute allusion politique

ou historique explicite est délibérée: en évidant le lieu de toute mémoire, en effaçant les

signatures de l’histoire, c’est en effet la possibilité d’un nouveau départ que l’on évoque.

Cette lecture, qui est celle de David Clarke, semble validée par le toit en forme d’ailes du

bâtiment, et qui donne l'impression de l’emporter dans un mouvement ascendant - vers le

Nord490. A la lumière d’une telle lecture littéraire de la ville et de sa mise en scène, le

déménagement à venir du Conseil législatif du vieux bâtiment colonial de style néo-

classique du 8 Jackson Road, Central, vers un bâtiment moderne qui doit être construit à

Tamar (Admiralty) et qui frappe par l’apolitisme déclaré de sa structure épurée, n’est pas

anodin non plus491. Dans le contexte hongkongais, la comparaison que fait Françoise

488 Lee Joanna et Ng Mee-kam, art. cit., p. 313.489 De l’aveu même de l’ancien vice-président chinois Zeng Qinghong, consterné par les manifestations du 1er juillet 2003, Hong Kong est en effet censée demeurer une « ville économique » et non « politique ». Voir : Cheong Ching, “Hong Kong Role – Political or Economic ?”, The Strait Times, 25 septembre 2003.490 Clarke David, op.cit., p. 139.491 Le bâtiment a été réalisé par Webb et Bell, les architectes de la façade de Buckingham Palace. Il a été inauguré en 1912, en tant que cour d’appel (une sculpture de Thémis est d’ailleurs toujours perchée sur

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Choay (pour Paris) de ceux qu’elle appelle les bâtiments-manifestes avec des « coins

indépendants, qu’on enfonce dans la ville et qui la font éclater »492 est donc

particulièrement pertinente. Nos bâtiments sont des « coins indépendants » parce que ni

leurs projets ni leur construction ne préexistaient à l’annonce de la rétrocession (1984) ;

et ils font « éclater » la ville, en en occupant le centre historique, qu’ils émondent,

justement, de toute son histoire… Et il va de soi que, dans contexte politique et urbain qui

enjoint aux âmes de regarder vers l’avenir (et vers la Chine) et aux corps de se consacrer

au succès économique du territoire, l’avenir du vernaculaire comme du patrimoine tout

entier semble compromis.

Conclusion

Ainsi, selon nous, l'engouement des Hongkongais pour les lieux anciens de la ville n’a

pas brusquement surgi au moment du MSQ, fin 2006, et ces protestations n’ont été que le

point culminant d’un processus initié avant même la rétrocession, et qui est à lire comme

la poursuite du mouvement de localisation en cours depuis l’après-guerre. Néanmoins,

alors que les émeutes de 1966, puis celles de 1967, qui intervenaient dans un contexte

d’expansion économique, furent deux étapes dans la formation d’une identité

hongkongaise conquérante, les mouvements pour la préservation du patrimoine,

particulièrement du patrimoine vernaculaire, témoignent davantage de la volonté de

consolider une identité perçue comme menacée, par les excès du développement (qui, au-

son toit), une fonction qu’il remplira à nouveau une fois le nouveau Conseil législatif achevé.492 Choay Françoise, op.cit., p. 44.

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delà d’abattre les marqueurs d’une histoire particulière que sont les rues et les bâtiments

anciens, impacte sur la physiologie de la ville) aussi bien que par la Chine populaire.

Peut-être n’est-ce d’ailleurs pas un hasard si le processus a atteint un degré d’intensité

nouveau à partir d’autour de 2003, l’année du SARS, mais aussi celle de la signature du

CEPA, qui scelle la mort de Hong Kong comme « poule aux œufs d’or » de la Chine

populaire, un statut qui garantissait de facto au territoire un respect minimal du principe

d’ « un pays-deux systèmes » par cette dernière493. Ainsi, si certains observateurs lient

cette effervescence patrimoniale à un changement de valeur intervenu après la crise du

SARS (qui, elle-aussi, date de 2003) et qui aurait débouché sur des attentes nouvelles de

la part des Hongkongais en ce qui concerne leurs lieux de vie, qu’ils souhaitent plus

agréables, conviviaux et plus propres494, pour notre part, nous ne sous-estimerons pas le

caractère politique du mouvement pour le patrimoine, un caractère qui a d’ailleurs été très

clairement articulé lors du MSQ. Peut-être est-ce d’ailleurs la raison pour laquelle le

gouvernement n’a pu ignorer ce dernier.

Parce que les premiers efforts fournis pour mettre en place une politique patrimoniale à

part entière ont immédiatement suivi le MSQ, celle-ci fait figure de tournant. La politique

mise en place à la suite du mouvement était pourtant prévue depuis 2004 et le début de la

Review of Our Built Heritage par le HAB ; le MSQ n’a fait que débloquer sa mise en

œuvre. C’est bien parce que les doléances émises par les activistes n’ont été ni vraiment

étudiées ni réellement débattues qu’au processus de localisation, le gouvernement a

répondu – sans doute bien malgré lui – par une bureaucratisation de la politique du

patrimoine (qui a abouti à lui conférer le privilège de l’initiative en la matière et donc à

en déposséder le citoyen) et par la commodification de ce dernier. Il n’est pas ici question

de renier les améliorations substantielles réalisées par Hong Kong en ce qui concerne la

conservation de son patrimoine, mais simplement de mettre le doigt sur le fait que ces

améliorations n’ont pas correspondu aux demandes formulées par les activistes censées

en avoir été l’origine. Comme le disait Leo Lee Ou-fan, il semble que « les choses ne

493 Le CEPA ou Close Economic Partnership Agreement entre Hong Kong et la Chine Populaire a été conclu en juin 2003 et est entré en vigueur le 1er janvier. Conclu dans un contexte au l’économie hongkongaise était en berne, il vise à accélérer l’intégration économique entre les deux zones.494 Telle est l’opinion que Paul Zimmerman, directeur de Designing Hong Kong, a émise lors d’un échange d’emails que nous avons eu avec lui, au début du mois de novembre 2008. Voir note de bas de page 243.

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peuvent changer que dans les paramètres définis par la bureaucratie. La pression du

dehors – pourvu qu’il y en ait une – n’a que peu d’effet »495.

S’il rejoint là la conclusion d’Aline Wong qui, dans un article de 1972 sur les kaifong et

la politique par consensus, déclarait que : « l’opinion publique est dépourvue de toute

portée, à moins que le gouvernement ait pris les dispositions structurelles pour recevoir

les critiques du public »496, c’est que le mode de gouvernance n’a pas subi de révolution

depuis la période coloniale497. Effectivement, ainsi que le notait Chris Yeung dans un

article du South China Morning Post de décembre 2006 consacré au MSQ : « en surface,

les ingrédients qui ont permis à l’ancien gouvernement colonial de gérer les attentes

sociétales avec succès – c’est-à-dire un système de comités consultatifs, dont le Conseil

législatif fait partie – demeure une partie intégrale du système politique »…498 Les

similitudes ne s’arrêtent d’ailleurs pas là : notons aussi que les mesures prises au

lendemain du MSQ ont été des mesures techniques, parfaitement apolitiques, et rapides à

mettre en place. Et le fait que le choix (explicitement formulé) de se focaliser sur des

réformes tournées vers l’action (« action-oriented ») ait été celui du Conseil de l’exécutif

réuni au lendemain du MSQ suggère d’ailleurs que la démonstration ostentatoire de sa

capacité de réaction a été un des buts recherchés par le gouvernement499. La politique de

ce dernier suit donc là encore un cours établi depuis les années 1970, qui avaient vu

McLehose et Youde passer maîtres dans l’art de donner au public le sentiment d’une

administration réactive et palliant à ses besoins – sans, pour autant, rendre aucun de ses

495 Lee Ou-fan Leo, op. cit, p. 52.496 Wong K. Aline, art. cit., p. 588.497 A la vue des scénarios forts pessimistes quant à l’avenir de Hong Kong ayant circulé entre l’annonce de la rétrocession et les années qui ont suivi celle-ci, un tel constat n’est pas néc essairement à prendre comme une critique. En outre, la Basic Law promet bien « 50 années sans changement ».498 Yeung Chris, « Are clock tower protests the shape of things to come? », South China Morning Post, 17 décembre 2006. La chose n’est pas forcement surprenante : autour de la rétrocession, un certain nombre de voix pro-Pékin s’étaient d’ailleurs prononcées en faveur du maintien d’un mode d’administration ayant fait ses preuves, tout en tentant d’en masquer le caractère colonial. Un exemple parmi de nombreux autres: “Must stick to the Principles of “Executive-led Government”, Ta Kung Pao, 29 février 1996 (en chinois). Comme le note C. K Lau dans Hong Kong’s Colonial Legacy (op. cit.), l’utilisation du terme « executive-led government » par les représentants de Pékin est aussi une façon de se porter garant du système de gouvernance de l’ancienne colonie de la Couronne tout en évitant la référence à ses origines coloniales.499 La décision a été prise lors de la réunion du 25 septembre du Conseil de l’Exécutif. Voir: Development Bureau, Legislative Council Brief, « Heritage Conservation Policy », Ref: DEVB(CR)(W) 1-55/68/01, octobre 2007. La volonté de mettre en place des mesures visibles afin de démontrer au public des efforts consentis est clairement explicitée dans le point 17. a. de ce document.

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membres personnellement responsable des politiques mises en œuvre500. A cet égard, la

situation de Barry Cheung, le directeur de l’URA, qui a été maintenu en poste au

lendemain de la confrontation de Lee Tung Street, ou celle de Patrick Ho, dont la position

comme secrétaire aux affaires intérieures n’a pas été ébranlée par le MSQ, est à mettre en

parallèle avec celle d’Alan Scott, cible de manifestations en 1984 mais demeuré en place

car simplement considéré comme un avocat parmi d’autres d’une politique élaborée en

conseil501. Le retour de Hong Kong dans l’orbe de Pékin n’a donc pas été accompagné de

l’abandon des méthodes qui étaient celles du colon britannique.

Néanmoins, il n’existe pas de conspiration gouvernementale visant à « fondre Hong

Kong dans la Chine » en détruisant les bâtiments coloniaux et vernaculaires, comme avait

pu le craindre l’activiste Ho Loy et comme pourraient en effet le laisser croire les propos

tenus par certaines personnalités proches du pouvoir502. Dans un autre article publié par le

South China Morning Post, Lau Nai-keung, délégué à la Conférence consultative

politique du peuple chinois, vilipendait ainsi « nos jeunes activistes » pour avoir choisi

les « mauvaises batailles et les mauvaises tactiques » en cherchant à sauvegarder le

Queen’s Pier, stigmate colonial. Il concluait en leur suggérant de regarder comment la

Chine protège son patrimoine (sic), car – ce sont ses derniers mots – « la modernité n’est

pas le propre de l’Occident »503. Un tel désir (sans doute parfaitement sincère) de protéger

contre elle-même un Hong Kong penchant toujours trop vers l’Ouest - d’ailleurs partagé

par bien d’autres représentants de Hong Kong à la Conférence consultative politique du

peuple chinois, eux-aussi ravis de voir l’administration de la SAR détruire un symbole du

passé colonial504 – n’est évidemment pas neutre politiquement. Et il prend une résonnance

particulière si on le lit en ayant à l’esprit les lignes que Frantz Fanon a consacrées à

500 Tsang Steve, op. cit., 2007, p. 148. La même idée est longuement développée dans Faure David, op. cit, 2003.501 Tsang Steve, op. cit., 2007, p. 149.502 « Ho Loy », Hong Kong magazine, 19 octobre 2007. En juin 1997, la décision de mettre fin aux cérémonies de lever de drapeau et l’érection d’une barricade autour du Cénotaphe, le mémorial dédié aux Hongkongais ayant combattu aux côtés des soldats britanniques lors de la Seconde Guerre Mondiale, a créé quelques remous dans l’opinion publique (voir, par exemple : Clarke Rachel, « Plea for role of Cenotaph to be preserved », South China Morning Post, 9 juin 1997). Cependant, des bâtiments coloniaux ont depuis été investis par l’administration de la SAR et, à notre connaissance, aucun nom de rue n’a été changé, alors que beaucoup portent le patronyme de personnalités de l’administration coloniale.503 Lau Nai-keung, « Choose your conservation battles wisely », South China Morning Post, 22 août 2007.504 Entretien avec Ada Wong Ying-kay, 17 février 2009.

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l’action du colonialisme sur le psychisme des indigènes et dans lesquelles il dépeignait le

colonialisme comme « mère qui, sans cesse, empêche un enfant fondamentalement

pervers de réussir son suicide, de donner libre cours à ses instincts maléfiques »505. C’est

pourtant davantage par « avidité » que les bâtiments coloniaux et vernaculaires

(modernes), pour la plupart situés sur l’île de Hong Kong, sont sacrifiés aux promoteurs

immobiliers506. Et si les villages Hakka et les bâtiments datant de l’ère précoloniale sont

en comparaison mieux préservés, cela tient sans doute au fait qu’ils sont, pour une large

partie, situés dans les Nouveaux territoires, loin du centre financier de Central, et donc

tenus à distance de la pression immobilière de l’île507. Une telle emphase sur le

développement économique au détriment de la culture locale n’est cependant pas neutre

elle non plus ; beaucoup la considèrent comme un legs du colonisateur. En effet, pour les

Britanniques, Hong Kong devait avant tout être une affaire rentable : la culture venait en

option, si elle n’était pas considérée comme dangereuse508. Jusqu'à il y a peu, l’on parlait

ainsi de Hong Kong comme d’un « désert culturel »...

L’attachement parfois excessif démontré par un nombre croissant de Hongkongais pour

les lambeaux totémisés de leur ville a sans doute quelque chose de pathétique, mais le

fracas avec lequel Hong Kong est entrée dans l’ère de la patrimonialisation généralisée -

avec plusieurs décennies de retard – n’est-il pas du à ce passé colonial ? Sa cacophonie,

joyeuse et douloureuse à la fois, partage en tout cas de troublantes familiarités avec celle

qui accompagne généralement une libération longtemps réfrénée. Cependant, si ce legs

colonial est parfaitement assumé par Pékin qui, surtout depuis 2003 et les manifestations

massives contre l’article 23, martèle à la SAR de demeurer une ville économique,

comment alors expliquer que les initiatives de la société civile en matière de patrimoine

ne se soient multipliées que ces dernières années ? Comme le dit Pierre Nora : « la

curiosité pour les lieux où se cristallise et se réfugie la mémoire est liée à ce moment

particulier de notre histoire. Moment charnière, où la conscience de la rupture avec le

passé se confond avec le sentiment d’une mémoire déchirée ; mais où le déchirement

505 Fanon Frantz, op. cit., p. 201.506 Ibid.507 C’est d’ailleurs ce que semblent confirmer certains développements récents. Voir : Ng June, « A Village of One’s Own », Hong Kong Magazine, 22 mai 2009.508 Entretien avec Patrick Lau, 12 février 2009.

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réveille encore assez de mémoire pour que puisse se poser le problème de son

incarnation »509. Les conceptions du patrimoine « changent en fonction de la

représentation que l’homme a de lui-même et de son environnement » : « le fait

patrimonial est profondément lié au contexte historique »510. Si les racines du mouvement

sont plus profondes, cette obsession récente pour le patrimoine pourrait donc bien être,

comme le disait Ada Wong, un « phénomène 1997 »511. Il est vrai que, depuis cette date,

les résidents de la SAR sont sommés d’« apprendre à appartenir à la nation »512. C’est

sans détour aucun que la Commission sur la Culture et l’Héritage déclare dans son

rapport de 2003 que : « les Hongkongais doivent reconnaître pleinement leur identité

chinoise (…). Ce processus, qui peut prendre du temps, peut être facilité par le

gouvernement, au travers de l’éducation civique »513 - quelques mesures ont suivi, dont

nous avons déjà parlé plus haut... Si se dire Hongkongais n’est pas encore considéré

comme subversif, une telle déclaration renseigne bien souvent sur les opinions politiques

de celui qui l’émet.

Il s’avère en effet qu’à Pékin, la rétrocession a été perçue comme « le retour à la Chine

– et non au peuple hongkongais - d’un fragment spolié du territoire Chinois »514. La

passation de pouvoirs entre la Couronne britannique et la Chine populaire s’est inscrite

dans un projet nationaliste découlant ce que Françoise Mengin nomme la « politique

irrédentiste de Pékin »515 qui est celle-là même qui, aujourd’hui, travaille au corps le

modèle « un pays-deux systèmes » et ignore le local avec superbe516. L’on imagine donc 509 Pierre Nora, « Entre mémoire et Histoire – la problématique des lieux » in Pierre Nora (dir.), op. cit., p. 23.510 Jadé Mariannick, op. cit., p. 49.511 Entretien avec Wong Ying-kay Ada, 17 février 2009.512 Mathews Gordon, Kit-wai Ma Eric et Tai-lok Lui, op. cit.513 Voir : Chang Hsin-kang, Culture and Heritage Commission, Policy Recommendation Report, Letter to the Chief Executive, point 2.5, 31 mars 2003.514 Lau Chi-kuen, op. cit., p. 38. Voir : Chang Hsin-kang, Culture and Heritage Commission, Policy Recommendation Report, Letter to the Chief Executive, point 2.5, 31 mars 2003.515 Mengin Françoise, Trajectoires chinoises, Taiwan, Hong Kong et Pékin, Recherches internationales, Karthala, 1998.516 Dernier exemple en date, l’article du directeur de recherche du Bureau de liaison du gouvernement central (de facto l’ambassade chinoise à Hong Kong), Cao Erbao : publié en janvier 2008 dans Study Times, le journal de l’Ecole centrale du parti (Central Party School), l’article révèle en même temps qu’il la justifie l’existence d’une seconde équipe gouvernante composée de cadres du continent. Voir: Loh Christine, “A parallel universe”, South China Morning Post, 7 mai 2009. Inutile de dire que l’article a fait débat à Hong Kong. En outre, les pressions du « Front uni » et les ingérences du Parti communiste chinois et de ses alliés dans les élections hongkongaises sont désormais un secret de polichinelle. Sur ces sujets, l’on peut se reporter à Cheng Y. S. Joseph, “The democracy movement in Hong

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mal Hong Kong imiter Singapour, qui ambitionne elle-aussi de devenir une ville globale

mais qui a su préserver son patrimoine avec succès : la politique patrimoniale de cette

dernière doit être replacée dans son cadre, qui est celui d’un processus de « nation

building » entrepris depuis 1965 par son élite dirigeante, une voie que la rétrocession

interdit à Hong Kong de prendre. L’on comprend par contre mieux pourquoi beaucoup

des activistes ayant participé au MSQ considèrent la Chine comme le nouveau

colonisateur517. Reprenant les mots de Deng Xiaoping, Cyd Ho nous a d’ailleurs rappelé

que la rétrocession n’avait été qu’un « changement de drapeau »518. Parce qu’elles

prennent la forme d’une réappropriation de leur propre histoire par les Hongkongais, et

témoignent d’un souci profond pour la culture locale, les initiatives que nous avons

évoquées dans notre première partie prennent d’ailleurs le contre-pied de cette

dynamique intégratrice519. Et c’est pour cette raison que l’on peut les voir comme la

poursuite du processus de localisation amorcé dans les années 1960, désormais

explicitement lié (du moins par le noyau dur du MSQ) à une entreprise de décolonisation.

Il est aussi intéressant de remarquer que cette obsession nouvelle pour l’histoire locale

prend le contrepied des promesses d’avenir radieux délivrées par la propagande officielle

au moment de la rétrocession : « Demain sera meilleur », comme aimait à le répéter Tung

Chee-hwa… Et, puisque le processus a pour principal perturbateur le gouvernement de la

SAR, celui-là même censé avoir libéré le territoire d’un siècle et demi d’impérialisme, ce

n’est pas un hasard non plus si le MSQ a en commun avec le mouvement démocrate

hongkongais des débuts une forte composante étudiante, et que les murs du Queen’s Pier

Kong”, International Affairs, Vol. 65, No. 3, été 1989, pp. 443-462 et Ma Ngok, “Democracy in Hong-Kong: end of the road or temporary setback?”, China Perspectives n. 57, janvier-février 2005 (ce dernier article est en partie consacré aux interférences de Pékin dans les élections législatives de 2004). Pour finir, la stratégie du « Front uni » ayant été mise en place dès le lendemain de la signature de la Déclaration conjointe avec l’ouverture de trois bureaux de Xinhua à Kowloon, Hong Kong et dans les Nouveaux territoires, respectivement, en 1985, l’on peut se demander si Pékin a un jour pris au sérieux le modèle « un pays, deux systèmes ».517 Lors des entretiens respectifs que nous avons eu avec eux, Icarus Wong Ho-yin, Ada Wong Ying-kay, Mirana May Szeto, Lam Oi-wan et Cyd Ho Sau-lan ont tous répondu par l’affirmative lorsque nous leur avons posé la question de savoir si la République populaire de Chine pouvait être considérée comme le nouveau colonisateur de Hong Kong. Sur le sujet, l’on peut aussi, éventuellement, se référer à : Vines Stephen, Hong Kong : China’s New Colony, London, Aurum Press, 1998.518 Entretien avec Ho Sau-lan Cyd, députée élue au suffrage universel (Civic Act-up), 19 février 2009, Conseil législatif, 15h15-15h45.519 On l’a déjà dit : le peuple hongkongais est le grand absent des livres d’histoire. Voir : Lee Ou-fan Leo, op. cit., p. 18. Cette absence a été reflétée jusque dans la mise en scène des cérémonies de la rétrocession. Voir : Clarke David, op. cit., p. 202.

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étaient tapissés d’affiches appelant à l’introduction de la « démocratie » 520. Alors qu’en

1986 encore, un sondage révélait que 61% des Hongkongais s’accordaient sur le fait que

« la forme prise par le gouvernement importe peu du moment que le gouvernement en

question parvient à garantir une qualité de vie minimale »521, le MSQ et les mouvements

qui l’ont précédé (tout comme ceux qui lui ont succédé) semblent ainsi montrer que, pour

les Hongkongais, « l’objectif d’un gouvernement n’est (plus) seulement d’assurer la

bonne santé de l’économie mais aussi de pallier aux maux de la société » et que pour

cela, un degré minimal de représentation est nécessaire522.

A cet égard, la maturité dont fait preuve la société civile hongkongaise (dans laquelle il

faut inclure les commerçants septuagénaires de Lee Tung Street, au même titre que les

étudiants et professionnels activistes), aussi bien au niveau des moyens employés que du

degré de compétence politique, rend désormais obsolète (ou alors très audacieux)

l’argument selon lequel Hong Kong n’est pas « prête » pour la démocratie. De la même

façon, alors que l’apathie politique ou, du moins, « le peu, voire l’absence de pression »,

des Hongkongais a souvent été cité comme justification à l’absence de progrès

concernant la démocratisation des institutions politiques du territoire, les actions

collectives dont nous avons traitées démontrent bien qu’à l’inverse, la politique s’infiltre

partout où elle le peut523. L’émergence d’une force hautement critique comme Local

Action semble d’ailleurs témoigner d’un certain degré d’urgence à cet égard : le contexte

historique et social dans lequel Langston Hughes a prévenu que les « rêves longtemps

reportés » sont susceptibles d’exploser est certes unique, mais le métal dont est fait le

rêve de démocratie n’est pas plus ductile que celui dans lequel a été forgé le rêve

d’égalité.

520 Cheng Y. S. Joseph, “The democracy movement in Hong Kong”, International Affairs, Vol. 65, No. 3, été 1989, pp. 443-462, p. 445.521 Lau Siu-kai, Lee Ming-kwan, Wan Po-san et Wong Siu-lun (éds.), Indicators of Social Development: Hong Kong 1990, Hong Kong, Hong Kong Institute of Asia-Pacific Studies, The Chinese University of Hong Kong, 1992, p. 74.522 Chan W. K., art. cit., p. 2.523 Walden John, “How Credibility Gap Can Be Bridged”, South China Morning Post, 26 septembre 1979, in Lau Chi-kuen, op, cit., p. 31.

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D’ailleurs, comme le disait Frantz Fanon : « dans décolonisation, il y a exigence d’une

remise en cause intégrale de la situation coloniale »524 ; « chemins de fer à travers la

brousse, assèchement des marais, inexistence politique et économique de l’indigénat sont

en réalité une seule et même chose »525. Et c’est bien d’un même geste que les projets de

renouvellement urbain, le manque de représentativité du gouvernement, les discours

officiels sur l’histoire de la ville et les « Central Values »526- valeurs « dominées par la

logique opérationnelle du capitalisme » et dont les mots clés sont « l’argent et le pouvoir,

le profit, la compétitivité commerciale, l’efficacité, le développement, la globalisation »

sont contestées527. Comme nous l’a résumé Mirana Szeto : « c’est la révolution »528. Mais,

si certains se réjouiront de voir ébranlés le dogme de la modernisation et la course

effrénée à la croissance économique, pour d’autres, les mouvements que nous avons

décrits témoignent de l’état de décrépitude de la société hongkongaise, du manque de foi

en ses vertus supposées, et la préoccupation récente des Hongkongais pour les marqueurs

physiques de leur histoire est vue par ceux-là comme témoignant d’une crispation à

l’égard de l’avenir de la ville. Ils ont avec eux André Chastel, pour qui « l’attention au

fonds patrimonial d’un pays est invinciblement associée au sentiment poignant du

vieillissement, de la fatigue »529.

Leurs contradicteurs rétorqueront que la mise en débat de l’importance et de la

signification attachées à certains sites du territoire, ainsi que de l’histoire et de l’identité

hongkongaises peut également être lue comme témoignant de l’absence de domination

hégémonique (notamment en ce qui concerne les récits de l’histoire hongkongaise) des

élites adeptes de l’idéologie de la « ville globale », pour lesquelles « l’espace est à tous et

à personne, a-historique, a-politique»530 ; et, parce que libérer différents imaginaires au

sujet du passé équivaut à libérer différents imaginaires quant aux horizons possibles pour

le territoire, l’émergence récente de cette conscience aiguë du passé est autant libératrice 524 Fanon Frantz, op. cit., p. 40.525 Ibid., p. 240.526 Jeu de mot avec le district de Central (le Central Business District de Hong Kong), l’expression a été employée par Lung Ying-tai, l’ancienne directrice du Bureau culturel de Taipei en visite à Hong Kong, lors d’un discours prononcé le 9 novembre 2004. Voir: Lee Ou-fan Leo, op. cit., p. 51.527 Ibid.528 Entretien avec Mirana May Szeto, 19 février 2009.529 Chastel André, « La notion de patrimoine » in Pierre Nora (dir.), op. cit., p. 1465.530 Echange d’emails avec Lam Oi-wan, 3 avril 2009 - 18 avril 2009.

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qu’elle est aliénante... Néanmoins, une telle mise en débat place Hong Kong face à

dilemme : comme ville globale, essentiellement économique, Hong Kong est condamnée

à vivre dans l’héritage du colonialisme, alors que toute tentative visant à se défaire de ce

statut l’expose au risque de perdre l’autonomie économique qui lui assure un degré

minimal d’indépendance par rapport à Pékin, et accélère sa chute dans les bras de celle-

ci. Sauf démocratisation soudaine (de Hong Kong elle-même ou, plus hypothétique, de la

République populaire de Chine), l’avenir du territoire paraît donc bien sombre.

BIBLIOGRAPHIE

I. Entretiens, documents officiels et rapports:

Entretiens:

- Au Chiu-wai David, responsable de la préservation du patrimoine pour l’Urban Renewal Authority, Office of the URA (Grand Millenium Plaza, Sheung Wan), 29 avril 2009, 18h00-19h00.- Chau Hei-suen Suki, membre fondatrice du Wan Chai Livelihood Place, 17 avril 2009, Wan Chai Livelihood Place, 15h-15h30.- Ho Sau-lan Cyd, députée élue au suffrage universel (Civic Act-up), 19 février 2009, Conseil législatif, 15h15-15h45.- Lau Sau-shing Patrick, député (The Alliance), ancien directeur du département d’architecture de l’université de Hong Kong et ancien président du Hong Kong Institute of Architects, 12 février 2009, Conseil législatif, 15h00-15h30.- Lau Wai-hing Emily, députée élue au suffrage universel (Democratic Party, vice-présidente), 24 avril 2009, Conseil législatif, 18h-18h30.- Lam Oi-wan, journaliste et activiste, échange d’emails du 3 avril 2009 au 18 avril 2009.

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III. Sites internet et journaux

Journaux:

- Hong Kong Economic Times- Hong Kong Magazine- Hong Kong Tatler- Ming Pao- South China Morning Post

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- The Standard- The Strait Times

Sites internet:

Gouvernement :

- Site de l’Antiquities and Monuments Office : www.amo.gov.hk/en/antiquities.php- Statistiques officielles : www.censtatd.gov.hk/home/index.jsp- Le nouveau site du Development Bureau consacré au patrimoine hongkongais: www.heritage.com.hk- Site d’information du gouvernement hongkongais : www.info.gov.hk- Site du Leisure and Cultural Services Department : www.lcsd.gov.hk- Panel des affaires intérieures du Conseil législatif : www.legco.gov.hk/yr07-08/english/panels/ha/papers/ha_aa.htm- Site du Conseil du développement durable : www.susdev.gov.hk- Site de l’URA : www.ura.gov.hk- Site de la réforme de l’URS : www.ursreview.gov.hk

Activistes :

- Blog de Local Action (non maintenu) : beyondthestars.wordpress.com- Site du Wan Chai Livelihood Place: cds.sev227.001at.com/WLM/about.html- Site du H15 Concern Group (non maintenu): h15.hk/h15_page_2.htm- Site de la Conservacy Association: www.conservancy.org.hk - Site de Designing Hong Kong: www.designinghongkong.com- Site du Southern District Concern Group: www.designinghongkong/southerndistrict/- Plateforme de Heritage Watch (non maintenu): www.heritagewatch.hk- Site de l’initiative Hong Kong Core Values: www.hkcorevalues.net/index.asp- Site du collectif Hulu: www.hkhulu.com.hk/NTKopenRice/menu- InmediaHK : www.inmediahk.net- Interlocals : www.interlocals.net- Site du collectif « Our Bus Terminal » : www.ourbusterminal.org/aboutus.htm- Site de SOCO : www.soco.org.hk

Autres :

- Blog de Carine Lai: www.civic-express.com/carine/- Site de HK Place: www.hk-place.com- Site personnel du député Patrick Lau : www.patricklau.hk- Site personnel de Siu Ding : www.siuding.com

IV. Reportages vidéo et expositions:

Vidéos :

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- Chan Quinton, “Old landmarks fade away”, video du South China Morning Post (production : Glasser Mathew et Moore James), 2007, et consultable sur Youtube à l’adresse suivante: http://fr.youtube.com/watch?v=6lSHfOZGgXw (dernier accès le 27 mai 2009) ;

- Lau Anthony et Lee Jessica (SEE Network), “820 Artistic Expression on Saving Star Ferry Pier”, 2006; vidéo disponible en ligne à l’adresse suivante: http://www.youtube.com/watch?v=17pRSrurwVE (dernier accès le 27 mai 2009) ;

- Lau Kit-wai (reporter), (production: Glasser Matthew et Ling Jessica), South China Morning Post, 2006 ; vidéo disponible en ligne à l’adresse suivante : http://www.youtube.com/watch?v=fd_9QKE1Aaw (dernier accès le 27 mai 2009).

Expositions:

- “Re-making Hong Kong, architecture as culture”, Fabrica Cultura, une exposition oganisée par le Hong Kong Institute of Architects et le Hong Kong Arts Development Council en réponse à l’exposition hongkongaise de la 11ème biennale de Venise. Du 28 février 2009 au 29 avril 2009, Hong Kong Heritage Centre, Hong Kong.

- « Urban Transformation of Central District as a Place of Living », Exposition organisée par la Conservancy Association Centre for Heritage du 17 janvier 2009 au 28 mars 2009. Annex Block, Western District Community Centre, 36A Western Street, Sai Ying Pun, Hong Kong.

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