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    LE HOLD-UP PLANTAIRE

    Roberto Di CosmoDominique Nora

    www.00h00.com

    ditions 00h00Z E R O H E U R E

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    Ce texte a ete publie par les Editions Calmann-Levy, et les Editions

    00h00, a Paris en 1998.

    Depuis le mois de Juillet 2006, lediteur ne souhaitant plus le reimprimer,

    les auteurs ont recupere les droits dauteur sur ce livre, conformement

    a larticle L. 132-17 du code de la propriete intellectuelle.

    Nous avons decide de le mettre a disposition de la communaute, sous

    licence Creative Commons Attribution-NoDerivs-NonCommercial, et il

    sera toujours disponible en ligne sur http://www.dicosmo.org/HoldUp/

    HoldUpPlanetaire.pdf.

    Roberto Di Cosmo, Dominique Nora

    Paris, 31 Aout 2006.

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    propos de luvre

    Cet ouvrage va rebours de toute la mythologie vhicule parle marketing gnial de Microsoft. Il met en garde contre les dan-gers que nous fait courir ce Big Brother et contre les ambitions

    dmesures de Citizen Gates : le contrle total sur toute forme detransmission et de traitement de linformation, aussi bien danslducation que les transmissions bancaires, les vieux et les nou-veaux mdias, et jusque dans lintimit de notre vie prive.

    Quel mlange de crtinisme technologique et de servilitintellectuelle fallait-il pour laisser Bill Gates btir en toute impu-nit une position de monopole absolu, en dtruisant bon nom-bre dentreprises dont les produits taient de qualit suprieure ?Comment a-t-il pu amasser une telle fortune en vendant des

    logiciels mdiocres sans obligation de rsultats et sans crainte depoursuites, un cot unitaire quasi-nul et un prix public qui nebaisse jamais ? Comment est-il parvenu piger les consomma-teurs en kidnappant leurs informations dans un format propri-taire en constante remise en cause, qui les oblige acheter tousles ans une mise jour de toutes leurs applications pour pouvoirsimplement continuer lire leurs propres donnes ? Commenta-t-il pig les comptiteurs, en introduisant des variations arbi-traires dans le seul but de ne pas permettre aux produits quilsdveloppent de fonctionner correctement ? Comment a-t-il usde lintimidation auprs des distributeurs et de lintoxicationauprs des mdias pour se prsenter comme le chevalier blanc dela dmocratisation du savoir alors quil organisait mthodique-ment la servitude de tous ?

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    Le Hold-up plantaire

    Au moment o la France sapprte, comme nombre de paysvoisins (Microsoft a dj acquis le contrle total de linformati-que dans lducation suisse), cder au chant des sirnes deMicrosoft, alors que lAmrique elle-mme combat par tous les

    moyens lgaux la boulimie de son ogre national, un tel cridalarme tombe point nomm.

    Il existe des alternatives technologiques viables lhgmo-nie de Microsoft : les dfenseurs du logiciel libre, issus pour laplupart de la communaut scientifique, se regroupent en asso-ciation pour plaider la cause de cette voie, qui permettrait lafois de diminuer la dpendance europenne et de rapatrier enEurope les emplois que notre complaisance lgard de Micro-soft financent aujourdhui de lautre ct de lAtlantique. La

    France est en retard, plaident les esprits chagrins ? Justement,expliquent les auteurs, le retard franais est notre meilleuratout : nous avons certes rat un train, mais cest celui qui esten train de drailler !

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    propos de lauteur

    Dominique Nora, diplme de lInstitut suprieur agrono-mique de Paris et de lENSA de Montpellier t journaliste auservice conomique deLibration de 1984 1988. Puis, corres-pondante du Nouvel Observateuraux tats-Unis de 1989 1990.

    Elle est, depuis 1991, grand reporter au service conomique duNouvel Observateur, spcialise dans les hautes technologies.

    Elle est lauteur deLes Possds de Wall Street(1987, Denol/Folio), Prix du Meilleur Livre Financier 1988 ; deLtreinte duSamoura : le dfi japonais, (1991, Calmann-Lvy/Essai), PrixAlbert Costa de Beauregard-conomie 1992 ; et deLes Conqu-rants du cybermonde (1995, Calmann-Lvy).

    Roberto Di Cosmo est diplm de la Scuola Normale Supe-riore de Pise et a soutenu sa thse de doctorat l'universit dePise avant de devenir matre de confrences en informatique lcole normale suprieure de Paris.

    Il milite depuis plusieurs annes pour le logiciel libre.

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    Delia, qui maccompagne et me soutient danscette nouvelle aventure. Et tous ceux qui partagentavec nous le rve dun monde meilleur.

    Roberto DI COSMO

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    Avant-propos

    Un matin du mois de mai 1998, javais rendez-vous au Dpar-tement de mathmatiques et dinformatique de lcole normalesuprieure (ENS) de la rue dUlm avec Roberto Di Cosmo. Je neconnaissais pas ce chercheur en informatique, mais il mavait

    adress une copie papier dun long texte sur Microsoft publi surInternet, Pige dans le cyberespace 1 , et je prparais un dossiersur ce sujet pour Le Nouvel Observateur. Je suis arrive sonbureau vers 10 heures ; jen suis repartie 15 heures,abasourdie ! Le temps dcouter Roberto Di Cosmo dcortiqueravec brio les enjeux de la mainmise de Microsoft sur la micro-informatique, et ses possibles implications sur nos vies.

    g de trente-cinq ans, italien, Roberto Di Cosmo estdiplm de la Scuola normale superiore de Pise et a soutenu sa

    thse de doctorat lUniversit de Pise, avant de devenir ma-tre de confrences lENS. Ses recherches se situent la croisedes chemins entre la programmation fonctionnelle, la logi-que, la thorie des catgories, la thorie des jeux et la program-mation parallle et distribue. Il est responsable de projetsuniversitaires internationaux et membre des comits de pro-gramme de plusieurs confrences internationales dinformati-que thorique. Mais le plus remarquable est sans doute que cecurriculum vitae difficilement intelligible au commun des mor-tels nempche pas Roberto Di Cosmo de faire preuve dungrand talent de pdagogue et dun sens aigu de lanalogie. Sur-tout, il mest apparu quil avait dvelopp, depuis dix ans, uneanalyse assez indite des produits et des pratiques du leadermondial du logiciel.

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    Microsoft est en effet peu critique dans les mdias franais.Et, quand cette entreprise lest, cest en gnral par anti-amricanisme, par technophobie ou par fascination/rpulsionpour son fondateur, Bill Gates. Rien de tout cela chez cet infor-

    maticien de haut niveau, qui juge lentreprise sur ses produits,mais aussi laune dun idal : lespoir que la technologie soitutilise pour btir un monde meilleur. Linformatique doit tremise au service du plus grand nombre, et non accapare pourles plus grands profits du plus petit nombre. Cest au nom decette conviction largement partage que RobertoDi Cosmo dfend, aux cts de nombreux universitaires, lasolution alternative dune informatique ouverte, fonde sur le logiciel libre .

    Jai compris, ce matin-l, quel point nous, les journalistes,tions mal arms pour dcoder la propagande des industriels delinformatique. Et jai mieux mesur le dcalage entre les deuxrives de lAtlantique : au moment o le gouvernement amri-cain mne contre Microsoft la plus grosse action antitrustdepuis celle qui a abouti au dmantlement dAT & T, aumoment o lopinion publique amricaine elle-mme com-mence ouvrir les yeux sur le phnomne Microsoft, la France,

    au nom de la modernit, se livre pieds et poings lis au mono-poliste du logiciel.

    Cest dailleurs un reportage tlvis au journal de 20 heures,un peu avant Nol 1997, qui a pouss Roberto Di Cosmo sortirde son silence. On y voyait des consommateurs franais arpen-ter les alles des rayons informatiques des grandes surfaces, etle commentaire identifiait purement et simplement la modernit , linformatique, Internet et le multimdia auxPC quips de produits Microsoft.

    Di Cosmo et ses pairs avaient lhabitude de gloser, entre eux,sur la mauvaise qualit des programmes de Microsoft, et dednoncer la faon dont lentreprise grignotait la sphre Inter-net. Mais ces propos ne sortaient pas des cercles acadmiques. lheure o les technologies de linformation transforment

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    Avant-propos

    jamais la manire dont nous vivons, lheure o Internetsimpose comme le systme nerveux de la plante, il fallait queces opinions soient exprimes haute et intelligible voix.

    Do lide de ce livre dentretiens, dmontant les mcanis-

    mes, et surtout les tenants et aboutissants dun hold-up pla-ntaire. Afin que les utilisateurs de PC comprennent pourquoileur machine plante si souvent. Afin que les Franais puis-sent dcrypter les enjeux du procs opposant ltat amricain Microsoft et ses consquences possibles sur le march delemploi en Europe. Afin que les citoyens pris de culture, delibert et de transparence mesurent quel point les options technologiques dterminent en ralit des choix de socitqui affectent autant sinon davantage les botiens que les

    spcialistes. Afin, surtout, que les responsables dadministra-tions comme dentreprises connaissent au moins lexistence desolutions alternatives.

    Dominique NORA

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    1Big brother ?

    Dominique NORA : Microsoft est en position de quasi-monopolesur certains secteurs des technologies de linformation, comme les

    systmes dexploitation et les logiciels bureautiques, mais ses ventesreprsentent moins de 2 % du chiffre daffaires de linformatiquemondiale. Pourquoi, alors, faudrait-il salarmer de sa domination,comme vous y invitez vos lecteurs tout au long de cet ouvrage ?

    Roberto DI COSMO : Ce 2 % nest pas le bon critre prendreen considration. Il donne la fausse impression que lditeur delogiciels Microsoft nest quune entreprise tout fait marginale,parce quelle se retrouve noye dans un ensemble dactivits

    disparates en rien comparables aux siennes, qui vont delassemblage dordinateurs la fabrication des guichets auto-matiques des banques (hardware, software, services et semi-conducteurs).

    Dautres statistiques donnent une apprciation plus juste dela puissance de Microsoft : le gant de Seattle ralise lui toutseul 41 % des bnfices des dix premiers mondiaux du logiciel,et les systmes dexploitation de Microsoft quipent plus de85 % des micro-ordinateurs de la plante. En tout tat de cause,les chiffres ne donnent pas la bonne mesure du phnomneque je dnonce : le contrle dune industrie aussi vaste quecelle de linformatique ne passe pas forcment par la conqutede 90 % de son chiffre daffaires. Cela se voit trs bien dans lesrvolutions : pour renverser le pouvoir en place, les rebelles

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    cherchent-ils prendre par les armes tout le territoire du pays ?Non, il leur suffit de conqurir ces 0,1 % dactifs nationauxconsidrs comme stratgiques : la station de radio, la chanede tlvision, le rseau tlphonique et quelques institutions

    cls, comme larme ou la banque centrale. Dans la sphre co-nomique, cest la mme chose : il existe des biens stratgiquesplus importants que dautres.

    Aujourdhui, lexpression socit de linformation nestpas un vain mot : il est difficile de trouver un bien plus impor-tant que linformation, des services plus stratgiques que ceuxqui touchent sa cration, sa transmission et sa manipulation.Si une seule entreprise en loccurrence Microsoft arrive,

    comme elle en a lambition, sarroger un quasi-monopole surla chane mondiale de linformation et de la communication,alors elle reprsente un danger pour la dmocratie. Les syst-mes dinformation sont aujourdhui plus stratgiques que neltaient, hier, le ptrole et ses pipelines. Ils ont pntr notrevie quotidienne : celle des entreprises, bien sr, mais aussi desparticuliers. Ils commencent dj dterminer la faon donton apprend, dont on travaille, dont on se distrait, dont on sesoigne, dont on consomme et aussi dont on forme son opinion.

    Microsoft nest pourtant pas le seul acteur surpuissant de ce sec-teur. Le fabricant de microprocesseurs Intel nest-il pas dans uneposition peu prs similaire ?

    Il est vrai quIntel, leader mondial des microprocesseurs,adopte le mme type de stratgie de conqute qui attire ga-lement lattention de la Division antitrust du Dpartementamricain de la justice. Microsoft et Intel se sont dailleurs

    beaucoup relays : Intel produit des puces toujours plus puis-santes, pour motoriser des logiciels Microsoft toujours plusencombrants, qui leur tour vous obligent changer dordina-teur toujours plus vite et donc laisser dans les caisses desdeux complices toujours plus de votre argent. Do la rfrence

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    au standard Wintel contraction de Windows et Intel ,qui dtient aujourdhui 90 % du march de la micro-informa-tique. Mais le semi-conducteur est moins stratgique que lelogiciel : il est bien plus facile de cloner une puce quun logiciel

    complexe. Et il est assez lmentaire de porter , comme ondit dans le jargon informatique, un systme dexploitationdune puce lautre, mme si le producteur de la puce essaie desopposer ces oprations par tous les moyens, licites ou pas 2.Dailleurs, AMD, Cyrix et IBM produisent depuis longtempsdes puces qui font tourner Windows aussi bien que cellesdIntel, et pour bien moins cher.

    En dautres termes, il est difficile de contrler la chane de

    linformation partir du microprocesseur, mme si Intel faitdes tentatives en ce sens en offrant de largent aux diteurs decontenu qui acceptent que leur site Web soit optimis pourles puces Intel, cest--dire inutilisable par qui a achet un ordi-nateur quip dune puce concurrente 3.

    Revenons Microsoft. La comparaison avec le mythique BigBrother dOrwell est-elle pertinente ?

    Elle est en de de la menace actuelle ! Dans 1984, les cam-ras de Big Brother espionnaient les gens, mais ceux-ci restaientlibres de dissimuler leurs penses. Et surtout, ils savaient quilstaient espionns et taient donc sur leurs gardes, prts se bat-tre pour reconqurir leur libert. Dans le monde informatiquemoderne, par contre, le citoyen utilise en toute confiance lestechnologies de linformation pour sa correspondance parcourrier lectronique, pour communiquer par tlphonemobile, pour planifier ses dplacements, pour rdiger ses notes,

    pour faire ses comptes et grer son patrimoine, pour consom-mer bref, pour toute activit la fois prive et sociale. Lesentreprises, elles, confient tous leurs secrets stratgiques auxrseaux informatiques. Or, il est techniquement possible degarder trace de toutes ces informations, votre insu et sans

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    avoir recours des camras bien visibles. Il est facile de savoir,par exemple, qui Dominique Nora a appel sur son portable 3 heures du matin, cette nuit, o elle se trouvait, quelles noteselle a ensuite tapes sur son ordinateur, quelle est la teneur de

    le-mail envoy son interlocuteur. Ces donnes cernent vi-demment de plus prs votre vie prive que le simple fait de vousespionner chez vous, laide dune camra aisment repra-ble Surtout si ces informations tombent entre les mainsdune seule entreprise. ct de a, croyez-moi, le Big BrotherdOrwell nest quun enfant de chur.

    Vous voulez dire que Microsoft a un plan diabolique pour contrler

    nos vies ?Non, rassurez-vous, je ne suis pas paranoaque au point de

    croire une thorie du complot. Ce qui fait bouger Microsoft,cest la peur panique de perdre sa position dominante. Mais enpoussant lextrme sa devise, qui est : Embrasse etconquiers (embrace and extend), et en poursuivant son objectifaffich qui consiste prendre le contrle de toute la chane delinformation et de la communication (cest--dire court

    terme dInternet), Microsoft est en train de crer un instrumenttechnologique qui pourrait effectivement tre utilis pour con-trler nos vies. Et une fois que linstrument existe, il se trouvetoujours quelquun mme si ce nest pas Microsoft pourlutiliser ! Il existe dailleurs un prcdent intressant avec lesvirus : Microsoft a laiss dans son systme un grand nombre defailles scuritaires, qui ont t ensuite exploites par des pro-grammeurs de virus, au grand dam de tous (voir chapitre 2).

    Si Microsoft russit effectivement dominer la fois les sys-

    tmes dexploitation des ordinateurs personnels, les rseaux decommunication, les programmes de navigation et lintelli-gence des serveurs dinformation qui composent le rseauInternet, le groupe sera dans une position bien plus redoutableque celle dune entit qui aurait, jadis, contrl toutes les impri-

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    meries du monde ! Il aurait en effet le pouvoir de dcider sour-noisement qui accde quelle information. Navez-vous pasdj remarqu quen vous connectant sur le Net avec le logicielde navigation de son concurrent Netscape, vous aviez du mal

    lire certains sites dont le contenu est optimis pour lInter-net Explorer de Microsoft ? Pourquoi ? Parce que Microsoft a suconvaincre les diteurs de contenu que son fureteur, Explorer,tait devenu le standard, et quils avaient donc intrt y adap-ter leur site Web.

    Mais ce nest quun dbut : lhgmonie de Microsoft sur lesmarchs des systmes dexploitation, des navigateurs et des ser-veurs lui permettrait de sapproprier lensemble des standardsdu rseau. Il faut savoir quInternet fonctionne aujourdhuigrce des standards ouverts, des langages, des protocoles etdes interfaces publiques et documentes : le langage diteurHTML pour les sites Web, le protocole TCP/IP pour les transmis-sions, le Berkeley Internet Name Daemon (qui vous permet detaper dmi.ens.fr , plutt que 129.199.96.11 ), le langagePerl qui est utilis dans la vaste majorit des serveurs Web, nesont que quelques exemples. Enlevez Internet toutes ses com-posantes bases sur les standards ouverts et les logiciels libres,

    et vous navez tout simplement plus dInternet ! Les interfacesouvertes et publiques, les procdures proprement documen-tes et dveloppes sans lentrave de considrations commer-ciales ont t la clef de vote du dveloppement de ce rseau desrseaux, qui permet aujourdhui tout utilisateur dchangerlibrement des informations avec le reste du monde, quil utiliseun Macintosh, un PC, une station de travail Sun, HP, Digital,IBM, NeXT, un Atari, un Amiga un vieux terminal ou mmeun Minitel.

    Le jour o nexisteront plus que des serveurs WindowsNT, etdes clients Windows 98 muni du navigateur Internet Explorer,qui pourrait nous garantir que ces machines ne se parleraientpas entre elles exclusivement en microsoftien ? Cela auraitdeux types de consquences. Premirement, cela minerait la

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    base la possibilit dinteroprabilit, cest--dire de compatibi-lit entre diffrentes composantes : aucun concurrent ne pour-rait proposer des produits qui travaillent en harmonie avec lesproduits Microsoft sans avoir accs un dictionnaire de

    microsoftien quon se garderait bien de leur fournir.Deuximement, sans ce dictionnaire, personne ne pourrait

    comprendre ni contrler ce que ces machines se disent ! Ce quiouvrirait la voie des drives trs dangereuses pour la libert etla vie prive de chacun. Par exemple, alors que vous lisez tran-quillement les informations contenues sur un site Web, votremicro-ordinateur pourrait, votre insu, livrer au serveur quevous consultez votre adresse, votre ge, votre numro de tl-

    phone, la puissance de votre machine, le niveau de votrecompte en banque, le contenu de votre disque dur

    Pourquoi le ferait-il ?

    Parce que, dans une conomie mondialise et ultra-compti-tive, votre profil de consommation vaut de lor. Celui qui saitquelles sont vos inclinations culturelles, quelles villes vousaimez visiter, quels produits vous attirent, quels sont les jouets

    prfrs de vos enfants pourra vous proposer les biens et lesservices qui correspondent exactement vos gots. Il y adailleurs dj eu des exemples de ce type sur le Web avec cesensembles de donnes que lon appelle des cookies, qui permet-tent aux serveurs de reconstituer votre insu lhistorique de vosdplacements sur le Web 4 . Ces pratiques ont pu tre identifieset dnonces, parce que ces technologies sont pour linstantbases sur des standards ouverts, condition ncessaire poursassurer que les cookies sont accepts aussi bien par le naviga-

    teur Netscape que par Internet Explorer, Opra, Lynx, et tousles autres programmes fureteurs existants. Mais si les ordres detransmission sont encods dans le secret commercial dun lan-gage propritaire, personne ne sera plus en mesure de savoir ceque son propre micro-ordinateur dit au rseau. Les entrepri-

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    ses qui recueillent ces donnes expliquent que cest pour notrebien : pour devancer nos dsirs Mais veut-on rellement selaisser dpossder de notre libre arbitre au nom de cet anglisme marchand ?

    Le discours que vous tenez procde souvent, en France, dune cer-taine frilosit. On critique Microsoft parce que lon redoute limpria-lisme culturel amricain, parce que lon a peur de la mondialisationdont Bill Gates est devenu lemblme, ou tout simplement parce quelon est terroris par la technologie

    Mes raisons pour critiquer Microsoft sont beaucoup plus fon-damentales et, je crois, moins subjectives que cela. Jaime pro-

    fondment la technologie, et cest prcisment pour a que jene peux supporter de la voir pervertie par une entreprise quiconoit de mauvais produits, quelle fait payer cher des con-sommateurs quelle asservit, une socit qui nous verronscomment mprise ses clients, pige ses concurrents ettouffe linnovation. Je forme, comme beaucoup, le rve dunprogrs technologique accouchant dun monde meilleur, pluslibre, plus solidaire. Et je peux vous dire que ce monde-l ne res-semble en rien celui dont rve Bill Gates.

    Dailleurs, souvenez-vous de cette squence vido futuristeralise par Microsoft pour le salon informatique amricainComdex, et qui a t rediffuse par une chane de tlvisionfranaise, dbut 1996. Elle prsentait, comme modle de notreavenir technologique, un univers triqu, mercantile et poli-cier, qui na rien dun rve mais tout dun cauchemar.

    Si lon fait le point, aujourdhui, quels sont les marchs rellement

    domins par Microsoft, et ceux quil espre seulement conqurir ?Autrement dit, dans le scnario catastrophe que vous dcrivez, quelleest la part de ralit objective et la part danticipation pessimiste ?

    La situation est claire : lunivers des logiciels pour micro-ordinateurs est la proprit quasi exclusive de Microsoft. Avec

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    Windows 98, cette socit dominera probablement dici un an90 % 95 % du march des systmes dexploitation et des logi-ciels bureautiques. Aujourdhui, une majorit crasante dugrand public quip possde un traitement de texte Word et un

    tableur Excel. Microsoft est aussi devenu le premier diteur deprogrammes ludo-ducatifs sur CD-Rom, avec plus dune cin-quantaine de titres comme lencyclopdieEncarta ou le jeu desimulation de volFlight Simulator.

    partir de cette vritable forteresse, Microsoft tente, par desmoyens discutables, dexporter son monopole dans trois gran-des directions. Premirement, linformatique dentreprise.Avec la formidable acclration de la puissance de calcul desmachines, les tches qui taient hier ralises par de trs grossystmes peuvent aujourdhui tre effectues par des rseauxde PC. Microsoft propose aux entreprises de leur fournir un systme nerveux numrique bas sur le systme dexploita-tion WindowsNT (New Technlogy). Le groupe sattaque l aumarch traditionnel des IBM, Digital, Sun et autres HewlettPackard. Deuxime champ de conqute : lunivers dInternet.Alors que Microsoft avait commenc par ignorer le rseau, il estdevenu en 1995 son principal axe de dveloppement. Outre sa

    bagarre pour le march des navigateurs, Microsoft veut placerses logiciels dans les serveurs Web et conoit des outils de dve-loppement de contenu pour le Web. Son service en ligne Micro-soft Network ou MSN, qui na jamais vraiment dcoll, est entrain dtre refondu enportal : un portail dentre sur le Net,msn.com 5, qui agrge de laudience pour la monnayer auprsdannonceurs et laiguiller vers des sites partenaires. Car Micro-soft est dj oprateur de plus dune quinzaine de sites Web decontenu et de services : le site MSNBC (en partenariat avec lachane de tlvision NBC) et la revue lectronique Slate propo-sent de linformation ; le site Sidewalk est un guide de sortiespour dix grandes villes amricaines, tandis que CarPoint venddes voitures, Expedia des voyages, Investor prodigue des con-seils financiers et HomeAdvisor des prts immobiliers.

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    Pendant que tout le monde a les yeux rivs sur les marchsdaujourdhui, Microsoft tente aussi dinventer lavenir : la tlvi-sion de demain

    La troisime piste dexpansion de lentreprise consiste, eneffet, prfigurer et non pas inventer, ce que Microsoft najamais su faire ce que seront les mdias de demain. Bill Gatessait parfaitement, et cest sa principale angoisse, que le micro-ordinateur ne constituera pas ternellement lunique portedaccs Internet. Les terminaux daccs vont se diversifier.Microsoft tente donc de pousser sa solution et ses standards surtous les crneaux mergents : Windows CE est dj devenu lesystme dexploitation standard des agendas lectroniques,

    mme si, comme dhabitude, les meilleurs produits dans cedomaine (comme le PalmPilot ou le Psion) ne lutilisent pas.

    Demain, Microsoft veut quil soit au cur des dcodeurspour la tlvision interactive, des consoles de jeu avancescomme la Dreamcast de Sega, des tlphones Internet, desporte-monnaie lectroniques et des ordinateurs de voiture

    Pour mieux cerner lvolution du march de la tlvision,Microsoft a pris une participation dans le cblo-oprateur am-

    ricain Comcast et, en juillet 1998, dans le fabricant franais detlviseurs Thomson Multimdia. La firme de Seattle proposeaujourdhui un dcodeur complet, labor partir de la techno-logie Web TV, quil a rachete. Le premier oprateur amricain derseaux cbls TCI en a dj command de grosses quantits.

    Microsoft a galement pris, conjointement avec Compaq,20 % du capital de la socit RoadRunner, filiale de Time War-ner spcialise dans laccs Internet par rseau cbl.

    Dans un monde o lintelligence de toutes les machines

    numriques qui nous entourent serait microsoftise , cha-cun de nous paierait plusieurs fois par jour la taxeMicrosoft : en allumant son tlviseur ou son ordinateur, entlphonant, en faisant son shopping sur le rseau, en tra-vaillant, en conduisant sa voiture

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    Par ailleurs, Bill Gates a investi dans les technologies de linfor-mation, titre personnel.

    Notez que je parle toujours de Microsoft et rarement de BillGates. Gates est certes cofondateur et propritaire de 20 % ducapital de Microsoft, do une fortune value environ340 milliards de francs. Mais le sensationnalisme mdiatiquequi entoure celui qui est devenu lentrepreneur le plus riche dumonde est malsain. Pour les uns, sa fortune est un motif defascination ; pour les autres, une raison de le jalouser, voire dele diaboliser. Cette personnalisation risque finalement doccul-ter lessentiel : les comportements rprhensibles de Microsoft,qui est dirige non par un seul homme, mais par une quipe de

    managers, dont les trois principaux sont Steve Ballmer, direc-teur gnral, Bob Herbold, vice-prsident excutif responsabledes oprations et Nathan Myrvold, vice-prsident en charge dela technologie.

    Il est vrai que Bill Gates a, titre personnel, investi dans deuxsecteurs de cette industrie qui sont la fois stratgiques et trscomplmentaires du champ couvert par Microsoft. Ces choixmontrent, sil en tait besoin, le flair de Gates en tant que

    businessman. Dune part, Corbis, contrle 100 % par BillGates, a, au fil des ans, acquis pour pas cher les droits de repro-duction lectronique de quelque 20 millions de tableaux degrands muses (lErmitage Saint-Ptersbourg, la National Gal-lery de Londres) ou de photographies historiques comme cellesdes Archives Bethman de New York. Aujourdhui, il est rarequun numro des magazines Newsweek ou Time sorte sans aumoins une photo Corbis. Il faut bien dire quau dbut, les res-ponsables darchives et de muses navaient aucune ide de la

    vraie valeur des droits de reproduction numrique duvresdart. Les mdias lectroniques nexistant pas, ils nimaginaientpas les usages qui pourraient en tre faits. Cest dailleurs ainsique Gates a failli jadis acqurir des droits de reproduction deschefs-duvre du muse du Louvre pour une bouche de pain

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    Dautre part, la socit Teledesic, cofonde par Bill Gatesavec lentrepreneur amricain Craig McCaw (qui a, lui, faitfortune dans la tlphonie mobile), a le projet de construireune sorte dInternet du ciel, en lanant deux cent quatre-

    vingt-huit satellites de communication en orbite basse. Cetteinfrastructure de transport de la voix et des donnes trshaut dbit pourrait, partir de lan 2003, concurrencer lesrseaux terrestres des oprateurs de tlcommunicationsclassiques. Le groupe de communication Motorola, quimenait jusquen mai 1998 un projet concurrent, vient de serallier ce chantier 54 milliards de francs Seul adversaireencore en lice : le projet Skybridge de lAmricain Loral et du

    Franais Alcatel.

    Il parat incroyable que lon ne dcouvre le problme Microsoftque si tardivement. Comment cette start-up de Seattle a-t-elle, envingt-trois ans dexistence, bti un monopole plantaire des systmesdexploitation ?

    Pour commencer, sparons la vritable histoire de Micro-soft de sa gangue de mythes. Bill Gates et son camarade

    dcole, Paul Allen, nont pas, comme on le dit souvent, invent le langage de programmation Basic, qui est d John Kemeny et Thomas Kurtz (1964, Dartmouth College). Ilsont simplement cr un interprteur de langage Basic,pour les premiers micro-ordinateurs Altair. Replaons-nousun moment dans le contexte de ces annes soixante-dix. Pourqui ntait pas la CIA, la NASA ou la Bank of America, linfor-matique tait alors tout fait hors de porte. Seuls les gouver-nements, les trs grandes entreprises, les institutions

    bancaires pouvaient squiper de ces normes systmes, quioccupaient des salles entires. Dailleurs, lpoque, IBM nevendait pas ses ordinateurs, mais les louait et faisait signer ses clients des contrats de maintenance. IBM garantissait laqualit du produit et se chargeait des dpannages. Do son

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    prestige auprs des clients et aussi laccumulation dnor-mes bnfices. Mais, avec le projet dexpdition sur la lune, ila bien fallu concevoir des machines qui ne psent pas des ton-nes, pour les embarquer dans lespace. Largent du contribua-

    ble amricain a t employ mettre au point les premierscircuits intgrs : les premires puces de silicium, dont le cotsest progressivement rduit. Et de petites boutiques se sontmises assembler ces composants lectroniques dsormaisdisponibles sur le march. Cest de ce bouillonnement entre-preneurial que sont ns les premiers PC, comme lApple II enCalifornie ou le Micral en France. Notons ici quau dpart, PCtait un terme gnrique signifiant Personal Computer, cest--dire ordinateur personnel. Ce nest que dans les derniresannes que ce mot a t dtourn pour ne plus dsigner queles micro-ordinateurs IBM et compatibles, cest--dire quipsde puces Intel.

    En tout cas, ses dbuts, le PC tait un truc de passionns.Une machine peu maniable, sur laquelle il fallait se livrer destas de manuvres compliques pour calculer 2+2 ! Il ny avaitpas encore de quoi affoler IBM. Ce nest que vers la fin desannes soixante-dix, avec lapparition de programmes

    comme Visicalc, que petites entreprises et commerants sesont mis tenir leur comptabilit sur micro-ordinateurs. Desmodles statistiques et financiers complexes qui, auparavant,ncessitaient quarante bonshommes reportant des chiffressur un tableau noir, taient tout coup disponibles trs bonmarch.

    Avec les Apple et les premiers Commodore, donc, un vraibusiness mergeait. Soucieux de garder son quasi-monopolesur lindustrie, le gant IBM a tout de suite voulu bloquerlessor de ces petits concurrents. Il lui fallait durgence sortirun produit maison mme sil ne croyait pas vraiment auPC. Il existe une preuve flagrante du manque de foi dIBMdans le micro-ordinateur. Alors que toutes ses grosses machi-nes taient intgralement composes de pices maison

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    jusquaux vis fermant les capots ! , les premiers IBM-PC,au contraire, navaient dIBM que le clavier. Le reste avaitt trouv sur le march : Intel avait fourni le processeur8088, et Microsoft, une start-up cre en 1975, avait t solli-

    cite pour le systme dexploitation.Pourquoi Microsoft ? Il ny avait pas grande rationalit faire

    ce choix, puisque Allen et Gates ne travaillaient pas du tout, lpoque, sur ce type de produits et quil existait par ailleurs dessystmes dexploitation pour PC assez bien conus et perfor-mants, comme le CP-M de Digital Research. Qu cela netienne : IBM ne connaissait pas grand-chose ce crneau dumarch et Microsoft, saisissant lopportunit, a achet (et nonpas invent, comme le voudrait la lgende) pour 50 000 dollarsle systme Q-DOS dune PME appele Seattle Computer. Acro-nyme qui signifiait avec humour Quick (rapide) and Dirty(sale) Operating System .

    Microsoft en a fait MS-DOS, dont IBM a acquis la licence.LIBM-PC tait de bien moins bonne qualit que lApple II, maisla puissance commerciale et le service dIBM ont fait la diff-rence. Les vendeurs IBM disaient en substance leurs clients :prenez nos PC. Sils tombent en panne, nous nous engageons

    les rparer ou les changer dans les quarante-huit heures. LesApple II, eux, taient vendus par les gars qui distribuaient dela hi-fi !

    Mais IBM na jamais pris cette affaire de PC au srieux : lemammouth na pas pris la peine dacheter MS-DOS, ni mmede sen assurer lexclusivit. Rsultat : Microsoft a ensuite puvendre MS-DOS puis son successeur Windows tous lesconcurrents de Big Blue , comme on surnommait alorsIBM. lpoque, les constructeurs de machines dominaientlindustrie. Personne ne se doutait quavec la standardisationautour des produits Intel et Microsoft et lapparition des clo-neurs asiatiques, tous les profits et le pouvoir de la micro-informatique se concentreraient dans les puces et les systmesdexploitation. Vous connaissez la suite.

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    La formidable russite de Microsoft ne peut pourtant pas trerduite une srie de hasards et de coups de chance. Quelles sont lesqualits dont Bill Gates et son quipe ont su faire preuve pourrussir ?

    On a dj vu, avec lexemple IBM, que les fondateurs deMicrosoft taient ds le dpart des hommes daffaires pragma-tiques, plutt que des visionnaires de la technologie. Ils ont suremarquablement bien identifier les opportunits, et occuperla place avant les autres, ft-ce avec des produits mdiocres. Sibien que depuis dix ans, Microsoft affiche une croissanceannuelle moyenne de son chiffre daffaires de 42 %, et de sesprofits de 48 %. Pour lexercice clos en juin 1998, Microsoft a

    ralis 4,5 milliards de dollars (27 milliards de francs) de bn-fice net sur un chiffre daffaires de 14,48 milliards de dollars(87 milliards de francs). Ne sachant plus quoi faire de sa pile decash, qui dpasse les 60 milliards de dollars, la socit rachtemassivement ses propres actions.

    Il faut en tout cas reconnatre Microsoft ce talent particulierde toujours coller parfaitement au march, ce qui na malheu-reusement rien voir avec la qualit de ses produits. Sa racti-

    vit face la monte du phnomne Internet, par exemple, at spectaculaire. Microsoft na vraiment pris conscience dupotentiel de ce rseau mondial quavec la popularit croissantedu navigateur de Netscape. En 1995, il na fallu que quelquesmois ce mastodonte de vingt-cinq mille employs pour virersur laile et faire dInternet son axe de dveloppement privil-gi. Linformatique en rseau lui tait pourtant totalementtrangre. La preuve : les premires versions de son tableurExcel ne prvoyaient pas la facult, pour des utilisateurs de dif-

    frents pays, dchanger des donnes. Le langage de macros un petit langage de programmation utile pour manipuler lesfeuilles de calcul tait cod dans la langue du pays o le pro-duit tait distribu, si bien que les tableurs Excel dun Franaiset dun Anglais, par exemple, ne se comprenaient pas, alors

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    quune lve de premire anne dinformatique luniversitaurait su comment sy prendre pour quils puissent communi-quer correctement !

    Mais Microsoft, au fil du temps, a acquis une remarquable

    aptitude transformer des checs techniques en succs com-merciaux. Si ses nouveaux logiciels sont souvent catastrophi-ques, lartillerie lourde du marketing arrive les vendre quandmme, en attendant que les versions suivantes corrigent peu peu les bugs pour en faire des produits plus stables, ventuelle-ment en rachetant ou en copiant les produits souvent meilleursde ses concurrents. Microsoft a ainsi russi la prouesse de faireconsidrer les dfauts de ses logiciels comme normaux, et lacorrection de ses dfauts comme des perces technologiques.Mieux : cest le consommateur qui paie le processusdamlioration !

    Aujourdhui, lentreprise est si riche quelle peut se permettrede ttonner et dinvestir quelques centaines de millions de dol-lars droite ou gauche, juste pour voir Si le projet naboutitpas, on le modifie jusqu ce que a marche. Cest exactementce qui sest pass avec le service en ligne MSN. En 1994, Micro-soft simaginait quil lui suffirait de lancer un service en ligne

    propritaire, avec une icne daccs dans Windows, poursimposer face aux tnors du secteur comme America Online.Pourtant, mi-1998, MSN plafonne 2 millions de membres,contre 13 millions pour AOL. Le service franais MSN a tfusionn avec le service Wanadoo de France Tlcom ; le ser-vice allemand ferm. Alors, encore une fois, ce quil ne peut pasobtenir par ses mrites propres, Microsoft le rachte : lentre-prise a acquis, aux tats-Unis, le service de courrier lectroni-que gratuit HotMail, qui compte 9 millions de membres.

    En dpit de son succs spectaculaire, la firme de Seattle a tmaintenue par ses dirigeants dans un tat de paranoa mobili-satrice. Seuls les paranoaques survivent , aime rpter lecofondateur dIntel, Andy Grove. Les dirigeants de Microsoftsont motivs par ce sentiment de vulnrabilit et aussi par

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    leurs stocks-options. Depuis son introduction en bourse, en1986, la valeur de laction a t multiplie par plus de 300 !

    Les offensives de Microsoft et de Bill Gates russiront-elles dans

    tous les domaines ?

    Il suffit de regarder lhistoire des produits Microsoft pour serendre compte que ce risque est bien rel. La premire ver-sion du tableur Excel contenait de telles erreurs de conceptionque jaurais mis un 0 point lun de mes tudiants sil lavaitcrite. Or, Excel tient aujourdhui en France plus de 87 % de cemarch. Le systme dexploitation Windows 3.0 avait au moinsdix ans de retard sur le Mac OS dApple ; ses successeurs Win-

    dows 95 et Windows 98 contrlent aujourdhui 90 % du mar-ch mondial, contre moins de 4 % Apple. Regardez galementce qui se passe sur les serveurs dentreprise : le systme dexploi-tation WindowsNT de Microsoft a, en deux ans, dj grignot36 % du march des nouveaux serveurs (Unix continue cepen-dant dominer ce march, en raison de sa base installe).Mme chose pour le fureteur Internet Explorer qui a, en moinsde quatre ans, gob 55 % du march. Dans tous les cas, les pro-

    duits Microsoft taient, au dpart, trs nettement infrieurs ceux de la concurrence, et dans certains cas, ils le demeurentencore aujourdhui.

    Cette longue srie de prcdents milite pour la plus grandevigilance : il est en effet trs facile dimposer un mauvais pro-duit en liant sa vente celle dun produit sur lequel vous avezle monopole Si Microsoft avait conquis ces marchs loyale-ment avec de bons programmes, fabriqus dans les rgles delart, si lentreprise ne confortait sa puissance que par son excel-

    lence, personne ny trouverait rien redire. Or, le Dpartementamricain de la justice a ouvert une procdure antitrust contreMicrosoft ds 1993. Il sagit de la plus grosse enqute mene,depuis deux dcennies, aprs les exemples fameux de la com-pagnie ptrolire Standard Oil (1911) 6 , du constructeur infor-

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    matique IBM (1984, mene par la CEE) et de loprateurtlphonique AT & T (1988). Pourquoi, sil ny avait pas un pro-blme grave avec les pratiques de Microsoft, un gouvernementqui rvre le libralisme conomique et lve le succs entre-

    preneurial au rang de valeur suprme chercherait-il rogner lesailes dune de ses plus belles socits ?

    Faisons le point sur ces actions en justice. Quest-ce qui est exacte-ment reproch Microsoft ?

    Dans la saga juridique de Microsoft, il faut distinguer laplainte du gouvernement, celle des tats amricains et cellesde ses nombreux concurrents et partenaires flous. Nous ver-

    rons plus loin que certains dentre eux accusent Microsoft demodifier ses logiciels pour mettre hors jeu les produits concur-rents. Vingt tats amricains se sont par ailleurs regroups pourenquter aussi sur les abus de position dominante de Microsoftsur le march des logiciels bureautiques, comme Office. Pour cequi est du gouvernement, prcisons dabord le calendrier.Loffensive du Dpartement amricain de la justice a com-menc ds 1993. Mais deux longues annes denqute nont

    dbouch, en 1995, que sur un arrangement lamiable, ou Consent Decree , de porte rduite. La division antitrust dudpartement de la Justice estime aujourdhui que Microsoftnen a pas respect les termes. Do les plaintes dposes enmai 1997. Et la poursuite dune enqute plus large sur les com-portements commerciaux de Microsoft.

    Pour rsumer simplement des annes daccumulation dedocuments et des procdures juridiques complexes, le gou-vernement amricain reproche Microsoft trois types de

    chose : premirement, le fait dimposer ses partenaires, lesconstructeurs informatiques, des contrats lonins exclusifs.Les Dell, Compaq et autres IBM nont apparemment pas ledroit, sils veulent obtenir les logiciels des prix comptitifs,de vendre des micro-ordinateurs dpourvus du systme

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    dexploitation Windows, ou munis dun autre navigateurquInternet Explorer. Ce qui prive le client final de choix (voirles dtails au chapitre 3).

    Ce volet-l de la plainte semble le moins difficile prouver :

    on se dit que les partenaires de Microsoft eux-mmes neseraient pas fchs de reprendre un peu de marge de manuvrepar rapport au gant du logiciel. Mais la crainte de rtorsion esttrs forte : dans le march du matriel, la diffrence du mar-ch du logiciel, les marges sont trs faibles, et personne ne peutprendre le risque de se voir priv dune licence Microsoft plusavantageuse. Chaque constructeur attend donc quun autrejette Microsoft la premire pierre.

    Deuximement, le gouvernement reproche Microsoft delier la diffusion de ses nouveaux logiciels Windows, sur lequellentreprise est en quasi-monopole. Cela veut dire que, pourchacun de ses produits lis hier le programme de bureauti-que Office, aujourdhui le navigateur Explorer ou le logicieldagenda Outlook demain, qui sait, un programme de recon-naissance vocale , plus un concurrent nest en mesure de con-currencer Microsoft, mme avec une offre de trs bonnequalit. Enfin, un ensemble de pratiques coercitives envers

    Intel, IBM, Apple, aussi bien que les fournisseurs daccs Inter-net, les diteurs de contenu sur le Web ou certains concepteursde logiciels de transmission audio et vido sur le Net sont dansle collimateur des hommes de lantitrust.

    Mais la justice entre l sur un terrain dlicat, puisquil y a trspeu de jurisprudence en matire de hautes technologies. EtMicrosoft en profite pour essayer de faire passer ces volutionsde Windows pour de linnovation dans lintrt du consomma-teur. Aux tats-Unis, ce petit jeu risque de se rvler gagnant : ila dj t facile de faire dire la Cour suprme quil nappar-tient pas aux juges de dfinir quelles fonctionnalits un sys-tme dexploitation informatique devait comporter. Leproblme est que ces arguties juridiques masquent les vraisenjeux dun contrle monopoliste de linformation.

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    Quesprez-vous de la justice amricaine ?

    Laissez-moi tout dabord exprimer mon tonnementdevant des tribunaux qui, quand ils jugent certains agisse-ments illgaux, nimposent pas au coupable de dommages etintrts consquents. Or, cest exactement ce qui sest pass en1995. Car, au lieu de se voir infliger une amende financire,Microsoft a simplement d signer un accord lamiable pro-mettant de mieux se tenir Accord quil a ensuite pu contour-ner, tant sa formulation tait imprcise. Tout se passe commesi un tribunal jugeant un voleur de Mercedes pris en flagrantdlit, lui expliquait quil peut garder le vhicule, condi-tion de ne plus jamais voler cette mme voiture, exactement

    de la mme faon !Pour revenir au fond, la dcision la plus efficace celle

    laquelle appelle Ralph Nader, le clbre dfenseur amricain dela cause des consommateurs serait de scinder Microsoft enplusieurs divisions. On peut imaginer des filiales spcialisespar secteur : un, les systmes dexploitation ; deux, les logicielsde bureautique ; trois, les activits Internet. Aprs tout, Stan-dard Oil avait t coup en 33 ! Une telle restructuration seraitdailleurs bonne pour lentreprise : cela obligerait les program-meurs concevoir, publier et utiliser des interfaces claires entreleurs logiciels. Cest--dire mieux crire les programmes. vi-demment, cela forcerait aussi chacun de ces produits conqu-rir des parts de march sur ses mrites propres et non plus enfaisant jouer le levier Windows.

    Vous croyez vraiment quun tribunal pourrait casser Microsoft enmorceaux ?

    Il nest pas besoin den faire des socits spares. Ces divi-sions pourraient garder des actionnaires communs, condi-tion que leurs managements soient distincts et surtout quellesnchangent pas entre elles dinformations privilgies. Celasest dj produit pour IBM : lpoque, Big Blue fournissait

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    la fois les grosses machines, leurs systmes dexploitation et leslogiciels dapplication. Des concurrents comme Amdhal ten-taient de vendre aux entreprises le mme type de machines,meilleur march. IBM a alors modifi ses programmes dappli-

    cations pour quils ne fonctionnent pas avec les ordinateursAmdhal. Ctait facile dans la mesure o linterface entre lelogiciel et la machine tait secrte. Le jugement de 1985 aoblig IBM sparer ses activits matrielles, systmes dexploi-tation et logiciel, garder des interfaces ouvertes entre les troisentits et fournir les mmes informations aux concurrentsqu ses propres filiales. Ce qui fut appliqu la lettre 7.

    Plus gnralement, la justice peut-elle avoir prise sur des secteurstechnologiques voluant la vitesse de la lumire ?

    La vitesse est effectivement cruciale. Dans lindustrie infor-matique, le temps est une question de vie ou de mort : six moissuffisent pour construire un monopole et tuer la concurrence.Si la Justice arrive trop tard, certaines options ne sont plus dis-ponibles Impossible, par exemple, de dclarer Windows 98illgal quand il est install sur la moiti des micro-ordinateurs

    de la plante ! Cest pourquoi le Dpartement amricain de lajustice veut aujourdhui aller trs vite : il a insist pour que leprocs dmarre en septembre 1998.

    Microsoft, au contraire, ne cesse de demander des dlais, sousprtexte de mieux se prparer au procs, mais surtout pour ven-dre un maximum de copies de Windows 98 avec Explorer int-gr, avant toute dcision de justice. Dailleurs, mme si lestribunaux donnent dabord raison au gouvernement, Micro-soft portera ensuite laffaire devant la cour dappel du district

    de Columbia, qui ne se prononcerait srement pas avant leprintemps 1999 ; puis ventuellement devant la Coursuprme, qui statuerait en lan 2000 Dici l, Microsoft aurasorti un Windows 2000, et le jugement aurait le mme effetinsignifiant que le Consent Decree de 1995 !

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    La Commission europenne devrait-elle, votre avis, se mler dece dbat ?

    Tout fait. la limite, on peut comprendre que la justiceamricaine se montre clmente envers lune des entreprises quifait rentrer le plus de dollars aux tats-Unis. Mais lEurope, elle,devrait ragir de manire plus indpendante et plus forte. Car,alors que Microsoft ralise plus de 58 % de son chiffre daffaires linternational, lessentiel de la valeur ajoute produite parlentreprise retourne aux tats-Unis. Or, en 1995, les autoritseuropennes, qui avaient effectu leur propre investigation, sesont contentes de rprimander Microsoft pour ses comporte-ments, sans lui infliger de rparation financire. Pire : elles ont

    copi les termes du Consent Decree amricain jusquauxfailles juridiques permettant Microsoft de passer outre. Il sem-ble que la Commission europenne se soit entre-temps ressai-sie, et mne une enqute denvergure sur les pratiquesdouteuses de Microsoft. Mais, l encore, tout est une questionde vitesse. Et de puissance de lobbying.

    Les arbres ne montent pas jusquau ciel , dit un dicton populaire.Lempire Microsoft ne va-t-il pas scrouler naturellement sous son pro-pre poids, comme jadis lEmpire romain, ou plus rcemment IBM ?

    Jen doute. Dire que des gants comme IBM, AT & T ou StandardOil ont perdu du pouvoir tout seuls est erron. Ce sont dnormesbatailles antitrust qui ont affaibli ces groupes. Dailleurs, Micro-soft emploie des mthodes qui sont assez similaires celles de laStandard Oil, qui construisit des pipelines en copiant ceux de sonconcurrent Tidewater, puis baissa considrablement les prix pourle tuer 8. Je ne connais pas dexemple dentreprise monopolistiquedont le pouvoir se soit rod tout seul.

    Mais il y a un autre lment important : Microsoft est toutentier tourn vers la conqute. Son but nest pas de faire de bonslogiciels, mais de faire le maximum de bnfices et de rgner surtous les marchs dans lesquels il entre : dabord les systmes

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    dexploitation, puis les applications qui tournent dessus, puisInternet, puis les transactions sur Internet, puis la tlvisioninteractive, etc. La culture de Microsoft est entirement tenduevers lradication de la concurrence et le maintien de son

    monopole. Le dveloppement de ses produits nest pas dictpar le souci danticiper les besoins des consommateurs, maispar la logique financire : quand faut-il sortir le nouveau Win-dows pour assurer une maximisation des profits ? Quel crneaufaut-il occuper pour empcher Netscape ou Sun Microsystemsde trouver une faille dans notre cuirasse ? IBM, lui, ne raccour-cissait pas le temps de dveloppement de tel ou tel produit sim-plement pour arriver sur le march une date prcise.

    Vous ne croyez pas la rgulation librale, qui veut que la concur-rence sur les marchs fasse forcment merger les meilleurs produitsau meilleur prix ?

    Non, parce que cela ne correspond pas la ralit. Premire-ment, lconomie de march nencourage pas dvelopper lesmeilleurs produits (voir chapitre 2). Deuximement, la concur-rence nest efficace que quand les acteurs sont petits et ont un

    pouvoir limit, cest--dire, quand il ny a pas de monopoles.Mme les libraux les plus convaincus en sont conscients, etcest pour a que, au paradis du capitalisme, vous trouvez deslois antimonopole comme le Sherman Act. Or, les championsdu modle libral, les grosses entreprises amricaines, sont aucontraire les premiers violer les rgles de march quand ellesdominent un secteur, et ont les moyens de capturer les consom-mateurs. Elles savent que la comptition et la concurrence peu-vent remettre en jeu leur prminence et leur capacit

    imposer une taxe monopoliste. Dailleurs, lobjectif de Micro-soft semble bien tre de se mettre en position de percevoir cettetaxe, sans mme avoir vendre le produit : de passer dunmodle de vente de logiciels lunit celui dune rente sur lesflux dinformation !

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    Cette course folle des industries de linformation, o les marchset les tendances se font et se dfont en quelques mois, nest-elle pas lemeilleur garant quun comptiteur venu de nulle part, comme Nets-cape, dstabilise demain Microsoft ?

    Largument de Microsoft qui consiste dire nous ne som-mes pas un monopole parce que Netscape a pu se dveloppercomme il la fait est tout fait risible. Le navigateur de Nets-cape ne se positionnait en effet pas du tout sur le mme crneauque Windows, et il ntait donc pas un comptiteur direct deMicrosoft. Cest au contraire Microsoft qui a dcid de devenirun comptiteur de Netscape en rachetant la socit Spyglassles droits sur le navigateur Mosaic, qui est devenu Internet

    Explorer. Cet argument de Microsoft est surtout rvlateur delobjectif affich de lentreprise : obtenir le monopole non seu-lement des systmes dexploitation pour micro-ordinateurs,non seulement des suites bureautiques, mais de la plante destechnologies de linformation dans ses moindres recoins.

    Oui, ce monde bouge trs vite. Mais Microsoft a dmontr plusieurs reprises sa capacit pouser ces rythmes et redfi-nir sa stratgie chaque grande inflexion, afin de mettre pro-fit la moindre occasion dtendre son monopole de nouveaux

    domaines. Alors, personne ne peut srieusement prdire si oucomment Microsoft va se faire doubler par un concurrent.Dautant que la domination de la sphre Internet doteraitlentreprise darmes sans prcdent : un vritable arsenalnuclaire . On entre l dans un nouvel univers, dont les loisconomiques restent crire. Et Bill Gates compte bien tenir la fois la plume et la calculette.

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    Jusquo irez-vous ? demandent les publicits de Microsoft.Lentreprise accrdite lide que ses logiciels sont le dernier cri de la

    technologie. Dans quelle mesure cela est-il exact ?Il existe vraiment, de ce point de vue, un foss important

    entre deux mondes. Dun ct, vous avez les gens qui ny con-naissent rien ou pas grand-chose, et qui se laissent facilementberner par les campagnes de Microsoft, qui frlent la publicitsubliminale. Dun autre ct, vous avez les gens avertis, cest--dire ceux qui peuvent soulever le capot pour regarder commenttournent les logiciels. Ceux-l sont bien daccord sur le fait que

    les programmes de Microsoft sont trs mal conus. Dans cer-tains cas, il serait mme difficile de faire pire ! Si lon regardelhistoire de Microsoft, cette mdiocrit a une explicationlogique : comme on la vu plus haut, lentreprise nest absolu-ment pas tendue vers lexcellence, mais vers des impratifsfinanciers.

    Regardons brivement le cycle de dveloppement dun pro-gramme informatique. Dans une entreprise de logiciels, ondveloppe dabord des prototypes. Aprs les avoir raffins unpetit peu en interne, on obtient ce quon appelle la versionalpha, encore trop instable pour tre montre lextrieur.Ltape suivante consiste supprimer le maximum derreurs(ou bugs), pour arriver une version bta. Cette version-l estnormalement donne un certain nombre de testeurs proches

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    de lentreprise, qui aident en contrepartie dtecter les derniersbugs. On obtient alors ce quon appelle la versiongold, celle quiest bonne tre presse sur des CD-Rom et vendue en masse.

    Or, Microsoft se contente souvent de vendre la version bta

    comme un produit final. Windows 3.0, par exemple, tait pra-tiquement inutilisable : il fallait tout le temps redmarrer enjargon informatique rebooter sa machine. Et il tait trs diffi-cile dimprimer. Une honte ! Alors, Microsoft a corrig les bugset sorti Windows 3.1 que les utilisateurs ont, bien sr, dacheter nouveau. Lditeur de Seattle utilise ainsi trs habile-ment ses dizaines de millions de clients de par le monde commeautant de bta-testeurs. Et, en plus, il a laplomb de les faire

    payer pour ce privilge ! Dailleurs, cela continue : la ver-sion bta de Windows 98, disponible au printemps dernier certains salons informatiques, cotait 30 dollars. Quon fassepayer une version bta inutilisable, cest du jamais vu danslindustrie du software !

    Ce qui me gne en tant quutilisatrice, cest dtre constammentoblige dacheter de nouveaux produits et de my adapter pourfaire peu prs les mmes tches. Mais cette folle fuite en avant nest

    pas une invention de Microsoft : elle caractrise lensemble delindustrie informatique.

    Ce nest pas tout fait vrai : il existe des entreprises dont lesproduits ne deviennent pas obsoltes aussi rapidement quecela. Lobsolescence programme est vraiment devenue unespcialit de Microsoft, parce quelle est lie la position hg-monique de cette entreprise. Pour un diteur de logiciels, ilexiste deux faons daugmenter son chiffre daffaires afin de

    dgager des profits croissants : soit il accrot sa part de march ;soit, quand le march est dj satur de ses produits ce quiest le cas de Microsoft , il arrive vendre de plus en plus sou-vent aux mmes clients. Il doit pour cela renouveler souvent seslogiciels. Les nouvelles versions, qui doivent sembler diffren-

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    tes, sont enrichies de gadgets pas forcment utiles, que Micro-soft prsente comme des innovations. Pire : pour sassurer queles utilisateurs ne puissent pas viter de suivre ce train denfer,Microsoft prend leurs donnes en otage, ce qui les contraint

    racheter chaque fois les logiciels les plus rcents simple-ment pour pouvoir continuer changer leurs donnes.

    Je sais que, malheureusement, quand on parle dinformati-que, les gens ont t conditionns considrer le sujet fort int-ressant, mais difficile. Ils renoncent alors se former leurpropre opinion et se fient aux conseils de soi-disant experts, quisont trop souvent les porte-parole plus ou moins directs desentreprises. Je vous propose donc daller voir un instant ce quise passe dans un monde imaginaire, que jai commenc explorer dans Pige dans le cyberespace 9 . Il sagit du paysdes Techno-Crtins, o une entreprise, appelons-la Macro-Presse, obtient peu peu le contrle absolu des imprimeries dela plante. Les diteurs lui confient leurs journaux imprimeravec des caractres MacroPresse, dont elle est la seule propri-taire. Un beau jour, lentreprise explique grand renfort depublicit, quelle a dcouvert des caractres beaucoup plusperformants : appelons-les les caractres klingoniens, daprs

    lalphabet des Klingons, dans la srie tlvise Star Trek. Et ellecommence imprimer tous les journaux et magazines en klingonien . Bien sr, ces caractres ne sont lisibles que grce la loupe MacroPresse, distribue dans tous les kiosques, auxfrais des diteurs de journaux. Le public, ravi dpouser lamodernit, sadapte et achte massivement la loupe.

    MacroPresse, forte de son monopole, change alors les carac-tres tous les deux ans, puis tous les ans. La vieille loupe ne peutpas lire le nouveau klingonien, et il faut, chaque version, quele public sen procure grands frais une autre. Flairantlaubaine, un comptiteur invente une mini loupe, aussi effi-cace et bien moins chre pour lire le klingonien. Mais les di-teurs, qui ont un contrat exclusif avec MacroPresse, refusent dela distribuer Pire : MacroPresse gagne un procs contre ce

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    concurrent, coupable davoir analys le klingonien pour con-cevoir sa mini loupe !

    Cela vous semble scandaleux ? Jamais je ne me ferais arna-quer de la sorte, pensez-vous ?

    Tel est pourtant le lot quotidien des clients de Microsoft. Eneffet, pas question de lire correctement un document crit enWord 7.0 avec un logiciel Word 5.0, par exemple. Ou desprerouvrir un fichier en Word pour Windows avec un traitement detexte Word 6.0 pour Macintosh. Je lai appris mes dpens enmescrimant un jour essayer douvrir un formulaire tl-charg sur un site dpendant de la Commission europenneRsultat : notre laboratoire a d acheter un gros PC avec Win-dows 95 et Office, dont on se serait bien passs, dans le seul butde pouvoir lire ces documents importants. La loupe klingo-nienne nest pas aussi imaginaire quon le croit.

    Chaque utilisateur est en outre oblig de racheter MicrosoftWord, chaque nouvelle version, juste pour pouvoir continuer lire les fichiers nouveaux des autres. Cette constante volu-tion des produits, prsente comme un gage de qualit, consti-tue en fait limposition dune vritable taxe monopoliste.Pourquoi faudrait-il racheter et rapprendre utiliser un nou-

    veau traitement de texte tous les douze ou dix-huit mois, alorsque la faon dcrire un curriculum vitae na pas chang en dixans ? Et si, par malheur, on avait achet un produit compl-mentaire pour Word 5.0, par exemple un dictionnaire despa-gnol, il faudra lacheter nouveau pour la version 7.0, le vieuxtant incompatible, alors que lespagnol, lui, na videmmentpas beaucoup chang en quelques mois.

    Il sagit en ralit dun kidnapping en rgle des informa-tions de chacun dentre nous. Car une fois vos donnesentres dans Word ou Money, si par hasard vous voulez chan-ger de fournisseur, il est trs difficile de rcuprer votre travailpour le transfrer sur un logiciel concurrent. Microsoft a bienveill ne pas vous fournir de convertisseurs efficaces versdautres formats.

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    Il est galement interdit, dans la lgislation amricaine,danalyser le format propritaire de Microsoft, en sorte quuneentreprise qui vendrait une mini loupe convertisseur seraitcoupable de violation de Copyright 10. Or, cest bien de nos don-

    nes quil sagit. Nous voil en plein Techno-Crtinisme !

    Pouvez-vous expliquer, dans des termes accessibles au commundes mortels, pourquoi vous considrez les logiciels de Microsoftcomme techniquement mauvais ?

    Dans les forums de discussion sur Internet, les gens quinapprcient pas Microsoft traitent ses logiciels de tous lesnoms : crapware ( merdiciels ), bloatware ( obsiciels ), etc.

    Je vous avoue que jai du mal les contredire. Pour commencer,mme un utilisateur novice remarquera que les produits Micro-soft ont une taille mmoire cest--dire un encombrementdu disque dur phnomnale. Pas tonnant, il sy cache dedrles de gadgets : des petits malins ont dcouvert quuneimprobable srie de commandes 11 lanait, dans le tableurExcel 7.0, un simulateur de vol qui vous emmne voir les nomsdes programmeurs ! Il existe dautres surprises de ce genre,

    notamment un flipper dans Word 7.0Plus srieusement, chaque fois que Microsoft sort une nou-velle version dun logiciel, il est plus gros et plus lent. Cettedgradation a commenc avec Word 3.0 (crit en langage deprogrammation C), qui tournait beaucoup moins vite que laversion prcdente (crite, elle, en langage machine).A priori,cette perte de vitesse tait acceptable, en change des bnficesdune programmation plus haut niveau. Mais le triste phno-mne se poursuit depuis, mme en labsence de changement de

    langage de programmation susceptible de le justifier. On en estarriv au point o il faut beaucoup plus de ressourcesaujourdhui pour faire tourner correctement les produitsMicrosoft que pour installer un serveur Unix traditionnel,pourtant quip de milliers de logiciels sophistiqus.

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    Ce qui nous amne noncer une vrit simple, trop souventocculte : un systme sophistiqu, dvelopp avec un souci dequalit, ncessite au dpart une quantit assez importante deressources, qui en revanche ne crotra pas beaucoup avec les

    nouvelles versions. Par contre, un systme dont le nom mmeavoue le bricolage (Quick and Dirty Operating System), rachet etrafistol la va-vite, est invitablement destin salourdirnormment au fur et mesure que Microsoft y rajoute, coucheaprs couche, dindispensables fonctionnalits qui navaientpas t prvues lorigine.

    Llgance et la frugalit ne peuvent tre obtenues quencommenant ds le dbut avec la bonne architecture. Malheu-reusement, dans le monde commercial, on ne rcrit jamaiscompltement un programme existant. On se contente delamliorer en rajoutant de nouvelles couches de code, ce quilalourdit considrablement. Cest comme a que, de laveumme des cadres de Microsoft, le code source de Windows 95compte plus de 10 millions de lignes sans mme parler desapplications. Si lon sait que ladministration amricaine delaronautique a d abandonner le projet de rorganisation dulogiciel de contrle du trafic arien, considr comme pharao-

    nique parce quil comptait 2 millions de lignes de code 12, cenest pas tonnant quil faille rebooter souvent les ordinateursquips dobsiciels Microsoft !

    Cest ce qui explique que lon soit aujourdhui obligs demettre au rebut une norme quantit de machines qui fonc-tionnent trs bien, mais ne sont plus en mesure de faire tournerWindows, alors quelles pourraient devenir des serveurs perfor-mants pour faire tourner lune des variantes dUnix pour PC.Cest aussi pour cela que le fabricant de microprocesseurs Intelpeut vendre des millions dunits ds quil sort une puce pluspuissante : les utilisateurs de logiciels Microsoft sont toujoursassoiffs de puissance pour les faire tourner une vitessedcente. Rappelons-nous que les premiers PC IBM (avec le 8088de Intel) tournaient une frquence dhorloge de 4,77 MHz.

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    Aujourdhui, les processeurs Pentium II dIntel tournent 400 MHz. Mais, presque quinze ans plus tard, Microsoft Wordest bien loin daller cent fois plus vite. Si ses nouveaux logicielssont lourds, cest pour apporter lutilisateur plus de fonction-

    nalits, se justifie Microsoft. Seulement, les tudes prouventque la plupart de ces fonctionnalits sont peu ou ne sont pasutilises. Alors, pourquoi devrait-on sacrifier argent et perfor-mance pour quelque chose qui ne nous sert pas ?

    Outre ce problme de taille-mmoire, les logiciels Microsoft sont-ils bien conus ?

    Absolument pas. Un premier exemple : depuis les origines,

    cest--dire le systme DOS, Microsoft utilise dans ses produitsune mthode obsolte de gestion de fichiers Si vous tes uti-lisateur de Windows, vous connaissez sans doute le logicielDeFrag. Quand vous le lancez, lordinateur affiche une pano-plie de petits carreaux de diffrentes couleurs qui bougent danstous les sens, pendant que le disque dur travaille intensment.Explication du manuel Windows : plus on utilise un ordina-teur, plus son disque se fragmente et plus la machine est lente.

    Alors, pour pallier cet inconvnient, il faut rgulirement faireappel DeFrag, qui dfragmente le disque pour quil tourneplus vite. Ah bon ! Comment se fait-il alors que les machinesutilisant Linux, FreeBSD, ou tout autre driv dUnix naientpas cette contrainte ? Sur ces ordinateurs, au contraire, dansdes conditions dusage normales, le disque est toujours peufragment, et plus on lutilise, moins il se fragmente

    Cest que ces systmes fonctionnent trs diffremment deWindows. Pour rester dans un monde familier, imaginez un

    instant que votre disque dur soit le ministre des Finances. Etque vos fichiers, mmoriss sur le disque, correspondent auxdossiers que les fonctionnaires archivent dans une armoiregante, comportant quelques millions de petits tiroirs. Vouscomprendrez alors aisment que si vous cherchez un dossier

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    complet celui du Crdit Lyonnais, par exemple , votretche sera plus facile si ses divers lments constitutifs se trou-vent dans des tiroirs voisins, plutt quparpills aux quatrecoins de larmoire. Pour linformation, cest pareil : vous acc-

    derez plus facilement aux donnes qui vous intressent, si ellessont ranges dans des fichiers contigus, plutt que dispersesou fragmentes .

    Le problme est donc de garder cette armoire bien rangeaprs chaque utilisation. Or, que fait Windows ? Il agit commeun assistant peu scrupuleux : quand un dossier est boucl, iljette ses lments la corbeille. Et quand vous lui donnez lespices dun nouveau dossier, il les spare en petits groupes dedocuments, quil range au hasard dans les premiers tiroirs videsqui se prsentent. Du coup, il demande un budget supplmen-taire pour embaucher, tous les week-ends, une cohorte de sta-giaires (DeFrag), qui svertuent remettre larmoire en ordre.Linux, au contraire, se comporte comme un assistant modle :quand vous lui demandez de jeter des dossiers, il tablit syst-matiquement la liste des tiroirs ainsi librs. Ensuite, pour enranger un nouveau, il recherche dans sa liste une suite de tiroirsvides contigus de taille suffisante. Vous conviendrez avec moi

    que pas un responsable hirarchique ne serait assez fou pourembaucher le premier assistant, qui cote cher et qui travaillemal, au lieu du second, quasi bnvole et beaucoup plus effi-cace. Cest pourtant ce qui se passe tous les jours, quand des uti-lisateurs choisissent Windows.

    En rsum, la propagande commerciale de Microsoft embo-bine les utilisateurs en leur racontant que DeFrag acclre lamachine alors quen ralit, cest Windows qui la ralentit !Lentreprise est donc assez puissante pour engendrer de gravesdistorsions de ralit : elle fait passer les dfauts de ses logicielspour des atouts indispensables. Dans les milieux informati-ques, on emploie depuis longtemps une expression ironique,quand on tombe sur lun de ces dfauts : its not a bug, its afeature ! Ce nest pas un dfaut, cest une fonctionnalit !

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    Ces inconvnients ne sont-ils pas dus au poids de la compatibilitavec les couches de software les plus anciennes ? Autrement dit,lhritage de Microsoft, qui est sa gigantesque base installe,nimpose-t-il pas des architectures de programme compliques ?

    Cette histoire de compatibilit me semble surtout constituerun alibi. Mme dans le monde DOS-Windows, il existe des pro-grammes beaucoup mieux conus. Regardez les serveurs defichiers Novell, par exemple Il nest dailleurs pas technique-ment impossible de construire un systme de fichiers accepta-ble partir de lhritage mdiocre de DOS. Le besoin de DeFragvient du fait que le code qui fait lallocation de mmoire sur ledisque est mal crit. Lautre dfaut spectaculaire du monde

    Microsoft, cest la grande vulnrabilit du systme dexploita-tion la moindre erreur de manipulation. Prenez lexemple dulogiciel ScanDisk, qui a pour mission de rparer les disques dursendommags. Eh bien, il vous propose toute une srie de choixincomprhensibles, auxquels pas un utilisateur, mme averti,nest capable de rpondre. Or, il suffit dun seul mauvais choix un Oui au lieu dun Non et la procdure aboutit la des-truction pure et simple de la structure mme des dossiers. Alors

    que, la plupart du temps, les donnes taient encore rcupra-bles avant le passage de ScanDisk. vrai dire, lutilisateur Windows court un rel danger cha-

    que fois quil installe ou dsinstalle quelque chose de nouveausur sa machine. Un exemple ? Prenez le cas dun programmeuramricain jusquici fidle Windows, Steve Cohen. Devantlinsistance de son fils, Steve lui a donn son accord pour ache-ter une nouvelle version dun jeu de base-ball. Le gamin, cons-ciencieux, lance alors la procdure de dsinstallation de

    lancienne version du jeu sur Windows 95, et part chercher lenouveau programme au supermarch. En revenant horreur ! la machine est compltement gele. Impossiblede rebooter. Steve appelle son fabricant dordinateur, Gateway.Au bout dune journe de cauchemar, la seule chose quil par-

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    vient faire est de rebooter en DOS, car Windows refuse obsti-nment de se lancer. Steve, qui dite une lettre dinformationaux tats-Unis, saperoit ce moment-l que lensemble desdonnes quil gardait sur le disque dur apparaissent en mor-

    ceaux, sous des noms bizarrodes pleins de tilde (~). Cest queDOS nacceptait pas les fichiers dont le nom dpasse 8 caract-res. La possibilit, dans Windows 95, dafficher des noms defichiers longs nest obtenue que grce une couche logiciel quinest pas disponible sous DOS, mme pas le MS-DOS qui est aucur de Windows ! Impossible donc pour Steve, qui dans DOSessaie de retrouver ses petits, de savoir lequel, de BULLET~1 etde BULLET~2, est le bon Bulletindejuin1997 , par exemple.Steve Cohen a finalement d rinstaller entirement Win-dows, avec un norme sentiment de frustration.

    Cette anecdote est typique des dboires courants des utilisa-teurs de PC Windows, et montre bien les dangers que le mondeWintel fait courir tous les jours lintgrit de nos donnes.Cest la folie ordinaire du monde Microsoft. Un monde danslequel, pour installer un CD-Rom grand public, il faut savoirrpondre la question : Attention, tes-vous sr que voussouhaitez remplacer la librairie TrucMachin. DLL par Truc-

    MachinChose. DLL, qui est plus ancienne ? Oui ? Non ?Quest-ce que jen sais ? Mme moi, informaticien, je nen aipas la moindre ide. Alors, lutilisateur novice ! Les utilisateursde Windows apprennent tous, un jour ou lautre, leursdpens, que la belle interface graphique qui apparat quand ilsallument leur ordinateur nest quune couche superficielle delogiciel, applique sur une architecture antdiluvienne quisappelle DOS. Et lensemble DOS-Windows ignore les rgles debase de bonne conduite des systmes dexploitation, pourtantenseignes dans les dpartements informatiques de toutes lesuniversits de la plante.

    Mais cette histoire de folie ordinaire a quand mme undnouement extraordinaire, voire rvolutionnaire : SteveCohen na pas accept de se considrer, lui, comme responsable

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    de la catastrophe. Il a trouv inacceptable que le simple fait dedsinstaller un logiciel le force rinstaller tout son systmedexploitation, en risquant de perdre ses donnes. Il a estimque dans ce cas, la faute incombait bien Windows, et non pas

    au particulier qui na pas fait rcemment de copies de sauve-garde Steve a donc dcid de faire un peu de place sur son dis-que dur pour installer aussi le systme dexploitation Linux,dont on parle trop peu, mais qui na pas ces inconvnients. Carsous Linux, chaque utilisateur na accs qu ses propres don-nes. On ne lui demande pas et dailleurs il ne peut pas toucher aux donnes des autres, et surtout pas celles du sys-tme dexploitation, qui reste bien protg contre les faussesmanuvres (voir chapitre 5).

    Il devrait pourtant tre facile de changer la conception des syst-mes dexploitation, afin de verrouiller les parties sensibles duprogramme

    Certes. Mais cette possibilit de modifier les composantes dusystme dexploitation nest sans doute pas innocente. Lesconcurrents de Microsoft prtendent mme quelle a t syst-matiquement utilise par lentreprise pour saboter les pro-duits rivaux (voir chapitre 3). Outre le risque de dgts parinadvertance, cette vulnrabilit des parties vitales de lordi-nateur ouvre grande la porte tous les dangers, commencerpar les virus.

    Vous voulez dire que les ordinateurs quips par Microsoft sontplus vulnrables que les autres aux virus informatiques ?

    Sans aucun doute. On peut certes, de temps autre, tre vic-time de virus dans le monde Unix. Mais ils nont accs quauxfichiers sur lesquels moi, utilisateur, jai le droit dcrire pasaux donnes des parents ou collgues avec lesquels je partage lamachine ; et en aucun cas aux applications ou composantes sen-sibles du disque. Donc, sauf sil existe dans le systme une porte

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    dentre qui navait pas t dtecte, ces virus ne peuvent pascauser trop de ravages. Et les dfauts de scurit, dans le mondeUnix, sont rapidement corrigs. Du coup, les pirates trouventbeaucoup moins amusant de crer de nouveaux virus

    Par contre, dans le monde DOS/Windows, ainsi dailleurs quedans le monde Macintosh, un virus est un programme commeles autres. Il nexploite pas de bugs ; il se base simplement sur lefait que tout le monde y compris lui a le droit de toucher ausystme dexploitation. Alors, il peut modifier le systme, ensorte que chacune de vos initiatives, par exemple ouvrir unfichier, ait pour effet de raliser trente-six copies de lui-mme. Et,en plus, il peut causer au systme des dommages vitaux : modi-fier vos donnes, altrer la faon dont fonctionnent vos applica-tions, effacer entirement votre disque dur, etc.

    Il y a plus grave : avec la dernire gnration de logicielsMicrosoft Excel 6 et 7, Word 6 et 7 sont apparus ce quonappelle des macrovirus. Ces virus particulirement virulentsont normment simplifi la tche des concepteurs de virus, etaugment la difficult pour les utilisateurs non experts densouponner la prsence. Il faut savoir que lon peut placer, dansles documents crs par ces logiciels dapplication, des petits

    bouts de programme quon appelle des macro , crits enVisualBasic (une volution du Basic Microsoft). Cela peut treparticulirement intressant pour demander la machinedeffectuer des taches rptitives : par exemple, ouvrir ou fer-mer toutes les fentres. Le problme est que ces programmescontiennent aussi des instructions qui permettent dallermodifier, dplacer et effacer des fichiers. Il suffit de mettre dansun document Word (dont personne nimagine a priori quilpuisse contenir un programme) un bout de langage de macroqui, toutes les fois que vous ouvrez ce document, donne lordre pourquoi pas ? deffacer votre disque dur ! De plus, ce lan-gage de macro est le mme dans toutes les versions dOffice,quil tourne sur PC ou Mac. Donc, on peut dsormais transmet-tre des virus entre machines de famille diffrente, ce qui tait

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    trs difficile auparavant. Quelle innovation ! Avec VisualBasic,Microsoft a offert aux virus une plate-forme standard. Pour-tant, le professeur Harold Highland avait signal ds 1992 lesrisques de virus dus des langages de macro trop puissants.

    la Sorbonne, un groupe de littrature qui travaille en cemoment sur un projet douvrage collectif, auquel un grandnombre dauteurs extrieurs et dlves participent, a pu le vri-fier directement. Les animateurs du projet ont distribu tousles contributeurs, qui ont des quipements informatiques trsdiffrents, des disquettes en format Word. Or lun des partici-pants a attrap un virus qui inverse lordre des mots au hasard.Imaginez ce que cela peut donner en littrature Il la transmis

    tout le monde. Lun des participants a subi la perte de son dis-que dur. Et, ma connaissance, personne na encore trouv lamthode pour se dbarrasser compltement de cette bestiole sophistique, qui bloque la possibilit de sauve-garde du texte dans un autre format que Word.

    Enfin, si les virus taient compliqus crire en langagemachine, cest devenu aujourdhui un jeu denfant : il suffit desavoir cliquer, grce aux jolis outils fournis pour diter desmacros Dailleurs, on trouve en vente sur Internet (dsol, on

    ne vous donnera pas ladresse !) des kits de dveloppementde virus pour Word. Vous fabriquez votre virus, vous lexpdiez lintrieur dun document Word attach un courrier lectro-nique, par exemple. Et vous pouvez contaminer des milliers depersonne en quelques jours !

    Mais Microsoft ne peut pas arrter de sortir de nouveaux produits,sous prtexte que des gamins malfaisants passent leur temps crire

    des virus !Ne vous mprenez pas. Dans le cas des virus classiques

    (comme ceux qui interviennent sur le secteur de dmarrage),certains experts ont attir plusieurs reprises lattention deMicrosoft sur ces graves problmes de scurit. Padgett Peter-

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    son, un expert amricain, a mme t jusqu suggrer Micro-soft des solutions simples, qui ne supposent que de lgresmodifications des logiciels : quelques lignes de code changes,et la faille tait colmate Mais lditeur de Seattle na jamais

    ragi. Comme si la lutte contre les virus tait le cadet de sessoucis ! Cest dailleurs ce que suggrent en priv des responsa-bles de Microsoft : Windows 95 est un systme dexploitationgrand public. Un produit pour la mnagre de moins de cin-quante ans , pourrait-on dire par analogie au monde audio-visuel. Et ce public-l, aprs tout, ne fait pas grand-chosedimportant avec son micro : il peut bien perdre son temps rebooter son PC et attraper des virus. Les gens srieux, main-

    tenant, doivent acheter la version professionnelle du systmedexploitation : WindowsNT (qui, dailleurs, ne vous met pasbeaucoup plus labri des macrovirus, mais a, on se garde biende vous le dire).

    Ce problme continue avec la version bta de Windows 98.Jusquici, il tait pratiquement impossible dattraper un virussimplement en ouvrant son courrier lectronique : il fallait aumoins ouvrir un document attach au courrier. Eh bien, avecMicrosoft Outlook, un programme de courrier lectronique et

    dagenda intgr la version bta de Windows 98, la fonctioncourrier lectronique contient un nouveau langage de contrle(un langage de scripting) susceptible lui aussi de vhiculer unvirus. Dfaut signal encore une fois Microsoft par PadgettPeterson. Maintenant, vous pouvez attraper un virus simple-ment en ouvrant votre e-mail 13!

    Si les virus peuvent entrer, les pirates informatiques aussi

    Les dfauts de conception des produits Microsoft ouvrent eneffet grandes les portes qui veut en profiter. Et le problme estdautant plus grave que chacun dentre nous confie une partiecroissante de sa vie prive aux rseaux informatiques. Il y a eurcemment, en Allemagne, une dmonstration lourde de con-

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    squences concernant les dfauts de scurit lis ActiveX, unetechnologie propritaire de Microsoft. Mais curieusement, per-sonne ne sen est fait lcho dans la presse franaise. En Allema-gne, o la banque en ligne est trs populaire, un club

    dinformaticiens, le Chaos Computer Club de Hambourg, aprouv quActiveX permettait de voler facilement de largentaux utilisateurs dun programme de gestion financire en ligne(Quicken ou Microsoft Money), sur un PC Windows quip dunavigateur Internet Explorer 14.

    Examinons de prs cette intressante histoire. Pour contrerle potentiel de Java un langage de programmation qui per-met de faire tourner une application sur nimporte quellemachine, mme dpourvue des logiciels Microsoft , lditeurde Seattle a invent un autre langage, appel ActiveX, conupour dialoguer spcifiquement avec les autres produits Micro-soft. Ce langage permet en effet de lancer directement desapplications Windows et dchanger des informations avecelles. De cette faon, seuls les utilisateurs de Windows etdExplorer peuvent accder correctement aux sites Web qui uti-lisent ActiveX.

    Le problme est quen poursuivant cette stratgie monopo-

    liste, Microsoft a compltement nglig la scurit desutilisateurs : alors que Java sassure que les applications tl-charges en cliquant sur des pages Web ne peuvent pas fairenimporte quoi, ActiveX, lui, laisse toutes les portes ouvertes.Les internautes sont loin de simaginer quen cliquant surlicne dune page Web, ils autorisent leur machine donnerdes ordres leur insu. Les petits malins de Hambourg ont eneffet montr quil tait enfantin pour un escroc de concevoirune page Web qui, en utilisant ActiveX, devenait une machine arnaquer le visiteur.

    Comment a marche ? Trs simple : vous naviguez sur le Weben utilisant Internet Explorer, le seul fureteur qui supporte Acti-veX. Vous tombez sur une jolie page qui vous aguiche avec unebannire Voulez-vous devenir millionnaire en 5 minutes ?

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    Cliquez ici ! . Alors, vous cliquez Au bout de quelquessecondes, un message vous informe quune composante Acti-veX sinstalle sur votre machine. Ensuite apparat un joli des-sin, qui vous fait comprendre que vous ne deviendrez

    malheureusement pas millionnaire cette fois-ci. Mais entre-temps, vous avez contribu enrichir quelquun dautre, car lesinstructions ActiveX contenues dans la page Web ont lancQuicken (en tche de fond, cest--dire de manire invisible),avec lordre deffectuer un nouveau virement vers le compte dupirate, portant un nom banal.

    Quelques jours plus tard, vous vous connectez votre ban-que avec votre mot de passe, et cest ce moment-l que lordre

    pr-programm votre insu est transmis, certifi par vous-mme. la rception de votre relev de compte, vous nallezpeut-tre mme pas remarquer ce petit virement, ou bien vouspenserez quelque transaction que vous avez oublie entre-temps : aprs tout, qui aurait pu rentrer chez vous pour toucheraux donnes de votre ordinateur avec votre mot de passe ?

    Microsoft sest vertu minimiser cette dmonstration, et nonpas corriger les dfauts quelle mettait en vidence. Mais ActiveXouvre incontestablement une faille majeure dans la sret dInter-

    net Explorer, alors que Navigator, Opra et autres navigateurs nesupportant pas ActiveX ne prsentent pas ce dfaut.

    Le choix de Microsoft est le plus souvent justifi par la garantiequapportent sa marque et sa notorit. Est-ce lgitime ?

    Srement pas. Et cest bien l le plus triste. Le grand publicntant pas mme de juger le niveau de qualit des logiciels, ilne peut que faire confiance la publicit, aux revues spciali-

    ses et, en dfinitive, la marque. Quand Davos, Washing-ton ou Paris, Bill Gates rencontre dgal gal les P.-D.G. demultinationales, les ministres, ou les chefs dtat, le grandpublic a confiance dans sa marque. Il pense pouvoir se reposersur les paules solides du premier diteur mondial de logiciels,

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    qui doit srement prsenter de srieux gages de qualit. Or,dans le livret dutilisateur de Windows, la garantie se rduit trs peu de choses. Jusquau lancement de Windows 95, ilnexistait mme aucune garantie daucune sorte. Aujourdhui,

    le texte de licence de Windows 95 ou Windows 98 assure seule-ment que le fabricant de lordinateur garantit que le logicielpermettra une utilisation conforme, pour lessentiel, aux per-formances dcrites dans le manuel accompagnant le logiciel .Mais pas question videmment de responsabilit pour despertes ou dommages de quelque nature que ce soit . En casdaccident, ne sont couverts ni les dommages corporels, ni lespertes de bnfices, interruptions dactivit, pertes de donnesou toute autre perte de nature pcuniaire rsultant de lutilisa-tion ou de limpossibilit dutiliser le logiciel ou le matriel

    Je reconnais volontiers que, pour des systmes complexescomme les logiciels, on ne peut pas exiger le zro dfaut . Maison peut au moins attendre du premier diteur mondial lassuranceque le programme soit conu dans les rgles de lart. Cest--direquil intgre certaines techniques, connues de tous depuis long-temp