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3 19re Revue de réflexion théologique 0 \ La crainte du SEIGNEUR est le commencement de la sagesse ,T1,T nNTr,Ib:n nbnn

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319re

Revue de réflexion théologique

0 \

La crainte du SEIGNEUR est le commencement de la sagesse

,T1,T nNTr,Ib:n nbnn

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HOKHMAest la transcription d.'un mot hébreu signiliant << sagesse >.

Née de rencontres d'étudiants de dillérentes facultés de

théotogie francophones, cette revue a pour ambition de

devenir un instrument de travail, pour les étudiants en

théologie d'abord, mais aussi pour ceux qui, pasteurs ou

Ia'iques, sont désireux d'approfondir et de penser leur foi.<< Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cæur, de

toute ton âme, de toute ta pensée (ou << de toute ton intel-

Iigence >) et de toute tq force. >> (Marc 12.30). Aimer Dieu

de toute sa pensée signilie obéissance et ioie, mais aussi

risque : risque inhérent à tout abandon de son autonomie'

La crainte de Dieu est pourtant Ie caractère sans lequel

aucune théologie ne saurait s'édifier en << sagesse >>. C'est

pourquoi, tout en utilisant les instruments de travail scien-

tifiques existant pour étudier la Bible, HOKHMA recon'

naît en eIIe seule son autorité. C'est là un présupposê que

nous déclarons sans crainte, espérant démontrer par cette

revue qu'il n'est pas dénué de fondements.HOKHMA - trois fois par an - essaiera de mériter

son nom:Etre science dans Ia crainte du seul sage.

Le Comité

N. B. - Pour des raisons typographiques, nous écrirons désor-mais HOKHMA sans Point sous le H.

Tout en souscrivant généralement au contenu des articles publiésdans HOKHMA, le Comité de Rédaction laisse à leurs auteursla responsabilité des opinions émises.

Réciproquement, I'auteur d'un article ne s'engage pas à sous-crire à tout ce qui est exprimé dans HOKHMA.

Couverture : Elisabeth Ray, Atelier Orange, Cossonay-Ville (Suisse)

Impression: Atelier JS&E Grand, Romanel*Imprimerie Cornaz SA,Yverdon (Suisse).

Sommaire de ce numéro en 4e page de couverture.

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a t .ùommalre

L'<< aile gauche >> de la Réformeou la << Réforme radicale >>

par Richard STAUFFER

page 1.

L'herméneutique selonPaul Ricæur

par Henri BLOCHER

page 11

De Josué à Salomonpar K. A. KITCHEN

page 58

La valeur historiquedes Actes des Apôtres

par W. GASQUE

page 82

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L',,aile gauche de laRéforrne"

ou la,,Réforme radicale"

ANALYSE ET CRITIQUE D'UN CONCEPTA LA MODE *

par Richard STAUFFER

Directeur d'études à l'Ecole des Hautes Etudes (Sorbonne)Professeur à la Faculté de Théologie protestante de Paris

Il est de bon ton aujourd'hui, dans certains milieux pro-testants tournés essentiellement vers une < théologie poli-tique >, de se réclamer de l'< aile gauche de la Réforme >>ou de la < Réforme radicale >. La Réforme (classique)ayant fait long feu, il s'agirait, pour les tenants de la< théologie politique >, de s'inspirer désormais des mou-vements que Luther, Zwingl| Bucer et Calvin ont com-battus en même temps que I'Eglise romaine, ces mouve-ments ayant été animés, s'imagine-t-on, d'un sens social,voire politique, qui aurait fait défaut aux grands réforrna-teurs.

Cet appel à l'< aile gauche de la Réforme > ou à la< Réforme radicale > a impressionné déjà plus d'une âmecandide. Suffit-il, cependant, à donner aux partisans d'une< théologie politique >> les fondements historiques dontcertains d'entre eux (ceux qui ont encore quelque intérêtpour le passé) voudraient se prévaloir ? Nous ne le pen-sons pas. Comme nous nous proposons de le montrerdans cet article, il n'existe en effet, au XVIe siècle, aucuneentité qui puisse être qualifiée d'< aile gauche de la Réfor-me > ou de < Réforme radicale )), au sens du moins oùI'entendent les tenants d'une << théologie politique >>. L'<< ailegauche de la Réforme > ou la < Réforme radicale > est un

* Nous dédions cet article aux étudiants de la Faculté de Théo-logie de l'Université de Lausanne qui, en 1975 et en 1976, ontsuivi nos conférences sur la vraie et sur la fausse << Réforme radi-cale >.

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concept, séduisant peut-être, mais dépourvu de réalité his-torique. Nous allons en retracer la genèse et en marquerIeslimites.

* * *

L'expression d'< aile gauche de la Réforme ) remonte,croyons-nous, à I'historien américain Roland H. Bainton,un des grands spécialistes des non-conformismes du XVIesiècle. S'inspirant peut-être du titre que notre maître JohnT. McNeill avait donné, une année auparavant, à sa contri-bution à I'histoire du christianisme éditée par ArchibaldG. Baker r, Lelt-Wing Religious Movements, Baintonpubliait en effet, en 1.941., dans la revue de la Faculté dethéologie de I'Université de Chicago, un article intituléThe Lelt IVing ol the Reformationz. Dans cette < ailegauche de la Réforme >, il rangeait, classés dans l'ordrechronologique, les prophètes de Zwickau, Thomas Mùnt-zer, les Anabaptistes suisses, les Melchiorites (c'est-à-direles disciples de Melchior Hoffmann), les insurgés de Mûn-ster, les Mennonites, les disciples de Hutter, les partisansde Schwenckfeld et les Sociniens. L'appellation d'< ailegauche de la Réforme > devait être reprise en 1,962 etvulgarisée, si l'on peut dire, par I'historien mennoniteHeinold Fast dans une remarquable anthologie qui, sousle titre de Der linke Fliigel der Reformations, rassembledes textes provenant de quatre grandes familles spirituel-les : les Baptistes, les Spiritualistes, les Illuminés (< Schwâr-mer >) et les Antitrinitaires.

Mais quelles sont les caractéristiques de cette prétendue< aile gauche de la Réforme > ? Bainton en distingue qua-tre. Ce seraient un certain intérêt pour l'éthique, le désirde retourner au christianisme primitif, un sens aigu deI'eschatologie (avec une touche d'anti-intellectualisme), lavolonté, enfin, de séparer I'Eglise de l'Etat. Les caracté-ristiques relevées par Bainton ne nous paraissent pas déter-minantes. En effet, aucune des << notes > attribuées àl'< aile gauche de la Réforme > par I'historien américainn'est étrangère à la Réforme classique. Jamais dans celle-ci la doctrine de la justification par la foi n'a aboli larecherche de la sanctification. Jamais I'idéal de I'Egliseprimitive n'y a été perdu de vue. Jamais l'attente de la

I A Short History of Christianity, Chicago, 1940, pp. 127-L32.On remarquera que McNeill, guidé par un sens historique trèssûr, se garde bien de faire des ( groupes gauchistes > du XVI" siè-cle (ii parle en effet de < leftist groups >, p. 127) 1es représentantsd'une Iléforme plus conséquente que la Réforme classique.

! Tite Journal of Religion, Chicago, L94I, pp. 124-134.r Volume IV de la collection < Klassiker des Protestantismus >>.

Car l Schùnemann Ver lag, Bremen, 1962,432 p.

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fin des temps n'y a été oubliée. Jamais enfin le souci dernénager une certaine distance entre I'Eglise et l'Etat (carla notion d'une séparation radicale entre l'Eglise et I'Etatne s'est imposée, au XVIe siècle, qu'aux Baptistes zurichois et à leurs émules) n'y a été négligée.

Les remarques que nous venons de faire sont corrobo-rées, indirectement, par la description que Heinold FastConne, de son côté, de l'< aile gauche de la Réforme >.Après avoir caractérisé celle-ci par le fait que les diversrrouvements qui la composent auraient eu, en commun,une aptitude plus grande que les Réformateurs à rompreavec << le passé ecclésiastique immédiat >> a, I'historien men-nonite déclare, bien conscient des limites de sa descrip-tion : < Je ne voudrais pas définir de manière plus pré-cise ce qui distingue I'aile gauche des autres directions depensée (sous-entendez : du XVIe siècle)... Il y avait àl'intérieur de l'aile gauche des différences si profondesque tout essai de définir avec plus de précision un com-mun dénominateur offre le danger de juger injustement telou tel groupe. Les différences ont plus de poids que lesconvergences. s >> L'aveu est de taille ! Aux yeux de Fastlui-même, l'< aile gauche de la Réforme )) ne présente au-cune unité profonde. Elle est un concept qui recouvre unercal i té in f in iment b igarrée.

Si, de I'aveu même de Fast, l'< aile gauche de la Réfor-me > ne constitue pas un ensemble homogène, que faut-ilDenser de l'appellation < der linke Fltgel der Reforma-tion > ? Elle nous paraît des plus contestables. Elle pré-suppose en effet qu'il existe entre la prétendue < aile gau-che > et la Réforme de type classique un noyau commun.Or. Fast est bien obligé d'en convenir, les mouvementsqu'il considère comme les parties intégrantes de l'< aile gau-che de la Réforme > sont, à maints égards, plus proches du\loy'en Age, de sa mystique par exemple, que de la théo-lc'rgls ds5 Réformateurs 6. Pourquoi donc parler alorsd'naile gauche de la Réforme>? Il vaudrait mieux utili-ser. comme le fait d'ailleurs à plus d'une reprise l'historiennennonite lui-même 7, I'expression de < courants para-r';clésiastiques > pour désigner les mouvements du XVIesiècle qui, après avoir rompu avec I'Eglise romaine, se:ont inscrits en marge des Eglises de la Réforme. Quoiqueces mouvements aient eu tendance à se constituer en Egli-ses dès que les circonstances leur onI été favorables

1 Cf. la préface de Der linke Fliigel der Reformation,p.Xl.3 Cf . ibid., p. XI.ô Cf. ibid., p. XXV.1 C|. ibid., p. IX et X où Fast emploie trois fois l'expression de

n ebenkirchliche Strômungen >.

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(l'exemple le plus frappant en ce domaine est sans doutela constitr.rtion d'une Eglise schwenckfeldienne aux Etats-Unis), l'appellation de < courants para-ecclésiastiques >a le mérite de rappeler la diversité d'une part, et, d'autrepart, l'originalité par rapport à la Réforme classique desmouvements que le concept d'< aile gauche de la Réfor-me > entend réunir en une seule entité.

La critique du concept d'<< aile gauche de la Réforme >à laquelle nous venons de nous livrer est corroborée par lejugement de deux historiens d'origine fort différente, Leo-nard Verduin et Bernhard Lohse. Dans un ouvrage mal-heureusement méconnu en Europe, The Relormers andTheir Stepchildrens, Verduin, un réformé américain peususpect d'antipathie envers les courants para-ecclésiasti-ques du XVIo siècle puisqu'il a traduit en anglais les æuvrescomplètes de Menno Simons, rejette I'expression de < leftwing of the Reformation > pour deux raisons. L. La Réfor-me classique se distinguant à juste titre, aux yeux de Ver-duin, par sa redécouverte de la justification par la foi,l'< aile gauche de la Réforme > aurait dû, pour répondreà son titre, enseigner le < sola fide > de manière plus radi-cale que les Réformateurs. Or tel ne fut pas le cas ! Lesmouvements de la prétendue < aile gauche >> ont désavouéen général la doctrine de la justification gratuite pour res-taurer les droits des æuvres. Dans leur conception du salut,ces mouvements ont été plus près de Rome que de Lu-thers. 2. Les courants para-ecclésiastiques du XVIe sièclene constituent pas une Réforme < sui generis >. Ils sont,estime Verduin, la résurgence de tendances et d'opinionsqui se sont manifestées tout au long du Moyen Age ro.

Le second argument de Verduin se retrouve, bien queles deux auteurs ne se connaissent pas, sous la plume deBernhard Lohse, luthérien allemand, professeur à I'Uni-versité de Hambourg. Dans son article Die Stellung derSchwàrmer und Tiiufer in der Reformationsgeschichtel,Lohse montre que maints représentants de la prétendue< aile gauche de la Réforme >, Thomas Miintzer par exem-ple, dépendent beaucoup plus de la mystique de la fin duMoyen Age, de Jean Tauler en particulier, que de MartinLuther 12. A cet argument, Lohse en ajoute un autre : ilrelève que de nombreux spiritualistes rangés dans l'< aile

8 Editions William B. Eerdmans, Grand Rapids (Michigan),1964,292 p.

e Cf. Op. cit., p. 12.10 Cf . Op. cit., p. 14.11 ln: Archiv liir Reformationsgeschichte, Gi.itersloh, 1969, pp.

5-26.12 Cf. ert. ci t . , p.9.

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:auche )) n'ont eu aucun désir de réforme, et que, par con-iéquent, faire d'eux des Réformateurs est un véritable non-sens 13 .

Ainsi, le concept d'< aile gauche de la Réforme > utilisérar Roland H. Bainton et, avec plus de réserve, par ltreinoldFast, présente deux défauts capitaux qui devraient le dis-,tualifier à jamais. D'une part, il attribue à des mouvementsrrès divers une unité qu'ils ne possèdent pas. D'autre part,il fait de ces mouveménts qui, pour la plupart, ont répudiéla découverte réformatrice de Luther, des représentants deia Réforme n'ayant eu pour seul dessein que de vivre celle-ci avec plus d'intensité ou plus de conséquence.

A l'expression d'<< "u"

;;; de la Réforme > qui luiparaissait avoir des consonances trop politiques la, GeorgeÈuntston Williams, professeur à I'Université Harvard, asubstitué celle de < Radical Reformation >. C'est dans I'an-thologie qu'il a publiée avec Angel M. Mergal, en 19_5-7-,sous le tiire Spiritual and Anabaptist Writers ts, que Wil-liams a proposé pour la première fois le terme de < Réfor-me radicalê u, une Réforme radicale qu'il oppose à laRéforme classique qu'il qualifie de < magistérielle > parcequ'elle s'est faite avec le concours et sous I'autorité dupouvoir temporel 16. L'expression de << Réforme radicale >>devait faire fortune, popularisée par I'ouvrage monumen-tal que Williams a publié en 7962 et qui s'intitule, préci-sément, The Radical Relormation r7.

Mais quelles sont, pour Williams, les caractéristiques dela < Réfôrme radicale > ? Si nous essayons de synthétiserles données, souvent diffuses, de l'anthologie et de l'ou-vrage de I'historien américain, nous en retiendrons quatre.Sani nous arrêter, en effet, aux différences qui existeraientdans les domaines de la christologie et de la doctrineeucharistique (la < Réforme radicale )), par opposition à lan Réforme magistérielle >, mettrait I'accent sur le corpscéleste du Christ et défendrait une conception << mystico-

r3 C i . a r t . c i t . ,p .25 .14 Cf. p. 22 de l'anthologie Spiritual and Anabaptist Writers

mentionnée plus loin.r5 Volumè XXV de la collection < The Library of Christian

Classics >, The Westminster Press, Philadelphie, 1957. Cette antho-iogie a pour sous-titre: Documents lllustrative of the RadicalRe t' o r mat ion and Ev an g elical C at holi cis m.

1o Cf. I'introduction de The Radical Relormation, p. XXIV'17 The Westminster Press, Philadelphie, 1962, 924 p. Il faut

relever (c'est un signe d'ouverture digne d'être noté) que ÏhtWestminster Press qui a publié et I'anthologie et l'ouvrage de Wil-liams est la maison d'édition des presbytériens américains.

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physique > de la cène), différences sur lesquelles, et pourcause, Williams n'insiste pas, les traits suivants distingue-raient de manière décisive la < Réforme radicale > de la<< Réforme magistérielle > : L. la séparation de l'Eglise etde I'Etat ; 2. l'idéal de < restitutio > ; 3. Ia notion d'<< imi-tatio > ; 4. \a réalisation du sacerdoce universel.

Examinons chacun de ces points. La séparation deI'Eglise et de I'Etat tout d'abord 18 ! Cette première carac-téristique, soulignée partout aujourd'hui, semble bien fon-dée : la << Réforme radicale > se serait distineuée de laRéforme classique (mais aussi de l'Eglise romàine) en cequ'elle aurait rompu avec la notion de < corpus christia-num> pour mettre en valeur laréalité du <corpus Christi>.En fait, cette caractéristique ne résiste pas à un examensérieux. Williams lui-même doit reconnaître que toutes lesfois que les circonstances le leur ont permis, les représen-tants de la < Réforme radicale > se sont appuyés sur lepouvoir temporel re. Ainsi, Balthasar Hubmaier a acceptépour son groupe de disciples la protection des princes deMoravie. Chez les Hutterites, la communauté religieuse etla communauté civile se confondent. L'idéal de-ThomasMûntzer et, plus tard, celui des Anabaptistes de Mûnsterest l'établissement d'une théocratie révolutionnaire oùI'Eglise et l'Etat sont un. Les Antitrinitaires, enfin, n'ontpas refusé les appuis politiques qui se sont offerts à euxen Transylvanie et en Pologne. Au total, les exceptionsqu'on peut citer sont assez nombreuses pour que soit rejetél'argument selon lequel tous les partisans de la < Réformeradicale > se caractérisent par leur refus de toute allianceavec l'Etat.

L'idéal de < restitutio > serait, en deuxième lieu, unedes caractéristiques de la < Réforme radicale )), par oppo-sition à la < Réforme magistérielle >> qui, elle, s'en seraittenue à la notion de < reformatio > 20. En parlant de < res-titutio > zt, Williams s'inspire vraisemblablement de l'En-chiridion militis christiani d'Erasme, encore que I'ouvrageprincipal de Michel Servet s'intitule Christianismi restitu-lio. L'opposition entre la < restitutio > et la <( reformatio )est séduisante, au premier abord. Pour l'historien améri-cain, elle implique deux démarches de nature fort diffé-rente. La < restitutio > est la recréation d'un modèle ori-ginel, sans égard pour le passé le plus proche. La < refor-matio >, en revanche, a pour but de restaurer ce qui était

18 Cf . Spiritual and Anabaptist Writers, pp.2I et 25.le Cf. ibid., p.22.20 Cf. I'introduction de The Radical Reformation, p. XXVL21 C'est-à-dire : le rétablissement, ou, dans un sens moins fort,

la réparation.

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:.tiré ou déformé ; elle implique un certain respect du:assé, dans la mesure tout au moins où il a conservé des',estiges du modèle originel. Tout intéressante qu'elle est,i opposition entre la << restitutio > et la < reformatio >>qu'établit Williams ne résiste pas à la critique. Sans comp-:--r que < restitutio )) et ( reformatio )) sont souvent syno-r\ mes en latin, il faut relever en effet que, comme nousl'avons déjà dit, maints représentants de la Réforme dite

radicale > sont beaucoup plus inféodés au passé médiévalque les Réformateurs classiques.

La notion d'< imitatio >> et, plus précisément, d'imita-i,on du Christ, constituerait la troisième caractéristiquecle ia < Réforme radicale >>22. Bn d'autres termes, celle-ciaurait consacré à la question de la régénération un intérêtque ne lui aurait pas porté la Réforme classique. En argu-mentant de la sorte, Williams oublie de souligner que,restaurant la religion des æuvres par le biais de la notiond'imitation, les tenants de la < Réforme radicale > cessentd'être des représentants d'une Réforme < sui generis >. Et,qui plus est, I'historien américain méconnaît, nous semble-t-il, la préoccupation de la sainteté qui a animé les Réfor-mateurs. Si, incontestablement, Luther s'est méfié de lanotion d'imitation (parce qu'elle implique l'idée d'une col-laboration possible entre I'homme et Dieu dans le domainedu salut), il s'est attaché, en revanche, à la notion de con-formité avec Christ qui, elle, sauvegarde les droits de lasrâce. Quant à Zwingli, Bucer et Calvin, ils ont voué auproblème de la vie nouvelle une incontestable attention.

La quatrième caractéristique de la < Réforme radicale >

serait, enfin, d'après Williams, la mise en æuvre du< sacerdoce de tous les croyants ) 2e, c€ sacerdoce univer-sel qui, dans certains milieux protestants qui oublient.oufeignent d'oublier que la Réforme n'a jamais nié la spéci-ficité du rninistère pastoral, a êté élevé au rang de schob-boleth. L'historien américain est, cependant, un trop bonconnaisseur du passé pour insister sur cette dernière< note >. S'il relève que les < laïcs >> 24 ont joué un certainrôle dans la < Réforme radicale > (mais si I'on songe ài'influence de Mélanchthon dans le luthéranisme et à cellede Calvin qui ne fut jamais ordonné, on pourrait faire la

22 Cf. l'introduction de The Radical Reformation, pp. XXV-XXVI.

23 C[. ibid., pp. XXIX-XXX.24 Il est curieux de constater que Williams utilise ce terme, alors

que, à la suite de Luther (cf. la Lettre à la noblesse chrétienne deIà nation allemande),la Réforme a aboli la distinction entre clercset laTcs pour n'admettre qu'un seul < état > (< christlicher Stand >),qu'une seule condition chrétienne.

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même remarque à propos de la Réforme classique !), ilconcède aussi que le ministère n'y a jamais été aboli. Bienplus, il souligne que les prêtres qui y ont adhéré y ont étéréordonnés, alors que, dans la < Réforme magistérielle >,Luther, Zwingli et Bucer en sont restés à leur ordinationsacerdotale.

Au total, aucune des caractéristiques relevées par Wil-liams ne nous paraît décisive. Telle que l'historien améri-cain nous la décrit, la < Réforme radicale ) est une pureabstraction, une étiquette (on nous pardonnera cette com-paraison) qui recouvre des denrées diverses qui, dans leurmajorité, n'ont rien de commun avec le nom par lequelon entend les désigner. Notre jugement rejoint une foisde plus celui de Leonard Verduin et de Bernhard Lohse.Dans I'ouvrage que nous avons déjà cité, The Relormersand Their Stepchildren, Verduin écrit en effet : < Le nomde Réforme radicale est... inadéquat, car i1... implique queles représentants du Second Front 25 étaient tout à faitsemblables aux Réformateurs, à cette nuance près qu'ilsétaient plus décidés qu'eux. Mais la différence entre lesRéformateurs et les hommes du Second Front n'était passimplement quantitative ; elle était qualitative... Les hom-mes du Second Front étaient radicaux, indéniablement,mais ils se distinguaient des Réformateurs non pas sim-plement par une différence de degré, mais par une diffé-rence de nature. ,, z0 Quant à Lohse, il montre dans I'arti-cle que nous avons mentionné plus haut, Die Stellung derSchwàrmer und Tiiufer in der Reformationsgeschichte,que les divers groupes qui sont censés constituer la< Réforme radicale )) ne possèdent aucun dénominateurcommun 27, et que le seul trait peut-être qui les rapprocheest leur incapacité de s'adapter au monde solidementordonné du XVIe siècle 2e. Donner à ces groupes dispa-rates le nom de < Réforme radicale >>, c'est leur attribuerune unité qu'ils n'ont pas. C'est, en même temps, refuser

25 En employant I'expression de << Second Front >, Verduin seréfère à la lettre de Zwingli à Vadian, lettre du 28 mai 1525 danslaquelle le Réformateur de Zurich déclare à son collègue de Saint-Gall que la Réforme doit mener un double combat : contre I'Egliseromaine d'une part, et, c'est le Second Front, contre les tenants dela prétendue < Réforme radicale > d'autre part. Aux yeux deZwingli, le combat contre I'Eglise romaine est un ( jeu d'enfants >comparé à celui qui doit être engagé contre les théologiens queFast et Williams nous présentent dans leurs anthologies. Zwinglin'est pas seul à considérer que la Réforme doit lutter sur deuxfronts. Luther dans ses Articles de Smalcalde et Calvin dans sonEpître à Sadolet sont du même avis que lui.

28 Cf. Op. cit., pp. 72-13.27 Cf. art. cir., pp. 18-19.28 Cf. art. cit., pp.24-25.

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Je voir qu'ils dépendent plus des courants millénaristes ou:ibliquei du Moyen Age que de la Réforme cl-assiquc'.Pasplus"donc, que i'appellati'on d'< aile gauche de la Réfor--e , propos ê" par Bàinton et par Fast' celle de << Réformeradicale u aétendue par Williams n'est légitime devant letribunal de I'histoire.

Si l'< aile gauche a" ,".;r:rme>, chère à Bainton età Fast ou la I Réforme radicale > définie par Williams estdépourvue de réalité historique, n'existe-t-il pas' cepen-dant, au XVIe siècle, un mouvement dont on pourrait direqu'il s'est proposé de conduire la Réforme jusqu'à ses ulti-mes conséquences ?

A cette question, nous n'avons pas le loisir de répondremaintenant de manière approfondie zs. Aussi nous bor-nons-nous à relever que, fàisant nôtres les conclusions duregretté Fritz Blanke qui considérait le baptisme zurichoiscùnme un < protozwinglianisme réalisé > 30' nous regar-dons Conrad

-Grebel, Félix Mantz et leurs disciples, les

< Frères suisses >, comme les authentiques représentantsd'une << Réforme radicale >. En mettant I'accent sur letémoignage de l'Esprit dans la conscience du croyant,.surla notÏon"d'Eglise-éommunauté des saints, sur le baptêmedes adultes

"*nfitt, e.t distinguant ainsi, de manière très

"Àtt", tu u Christengemeindà> (communauté chrétienne)

àe ta .. Bûrgergemeiide u (communauté civile),les Baptis-tes de Zuriih sr ont bien été les élèves conséquents du

20 Nous renvoyons le lecteur à I'article que nous publierons

prochainement sui ce sujet dans La Revue réformée's0 C'est tlans son remarquable article < Wiedertâufer >> dt Lexi-

kon liir Theologie und Kiiche (2 éd.,,.I965), que Blanke recourtuùi i"i-"t de i realisierter Frûùzwinglianismus >' Notons ici, car

c'est un magnifique exemple de probité intellectuelle, que-c'est enpréparant l'àditio; critiquê de I'ouvrage-de Zwingli contre les Ana-6àpiiité., In catabaptistàrum strophas elenc-hus, que Blanke, connujusqu'alors comme un des meillèurs spécialistes du Réformateurâe Zurich. est devenu le défenseur du petit cercle constitué par

Grebel et Par Mantz.s1 Friti Blanke en a retracé l'histoire dans un remarquable- petit

fiv." qui ui"nt d'êt." rêêdité: Brùder in Christo- Die Geschichteder iilîesten Tiiufergemeinde (Zoilikon 1525), TVZ Verlag, .Zvich,iôisl-ïô- p. C.ti.

"ttittoi." tiènt en gqelques d-ates' En décembretszS', ài'iendemain de la seconde

-Dispute . de Zurich, Grebel,

fvfuni, .t leurs amis refusent l'< Avis > de Zwingli qui estime que,

riiu iAne est seule conforme à la Parole de Dieu, il convient tou-iàfài. oé procéder avec prudence, car !e peuple 9st divisé là-dessus,à la s,tppiession de la messe. Le 21 janvier 1525, après s'est f-ait

G"l Uàpii't"t far Grebel, I'ancien prêtre Blav-roch (re) baptise les

à4"ù"i ià.i"irOte. c]nez Mantz. Le 7 mars 1526, après une longuesérie d'entretiens entre les Réformateurs (Zwingli, Iud, Engelhard

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jeune Zwingli, même si celui-ci fut amené à les combat-tre 32.

Ces Baptistes et leurs héritiers mennonites ne courentpas le risque d'être revendiqués aujourd,hui comme desancêtres possibles par les tenànts de la < théologie politi-que >. Leur abstentionnisme civique, leur pacifisme incon-ditionnel et leur désengagement du monàe ne sauraientservir de modèles, en effet, à ceux qui, dans le protestan-tisme actuel, estiment que la mission des chrétiens consisteessentiellement, en recourant à la force s,il le faut, à ins-taurer une société nouvelle Bs.

et Myconius) et les Baptistes, les autorités de Zurich décrètent quela peine de mort sera appliquée à ceux qui combattront le péâo-baptisme. Te 5 janvier L527, enlin, tragiqùe conclusion, Maniz estnoyé dans la Limmat en vertu de I'ordonnance du 7'mars 1526.-.On remarquera.qu'à Ia suite de Blanke nous ne qualifions pasd'Anab-aptistes, mais de Baptistes (car ils considéraient Ie baptêmedes enfants comme nul et non avenu), Grebel, Mantz et leurs^amis.32 Pourquoi Zwingli fut-il contraint de combattre Crebel. Mantzet leurs partisans ? A cette question, nous pouvons répondre encitant (nous traduisons) les lignes suivantes tirées de farticle deFritz Blanke Tàulertum und Refonnation : < Les Baptistes vou-laient la séparation de I'Etat et de l,Eglise à Zurich. Le Conseild,e Zurich s'y opposait. Il voulait absolument maintenir Ie christia-nisme d'Etat. Ce Conseil avait rendu possible la Réforme à Zurich,et Zw.ingli lui en était reconnaissani. Si Zwingli avait approuvéou môme soutenu le développement d,une Eglise libre, la Iiêformezurichoise tout entière aurait été réprimée-par I'Etat et Zurichserait redevenue catholique. Il est clair que lê Réformateur devaitrejeter ce tournant... La < faute > des Baptistes (intentionnellementje mets le mot < faute > entre guillernets-, parce qu'il ne s,agit enaucun cas-d'un crime) réside dans le fait qu'ils allâient trop vite enbesogne. Le conflit entre la conception baptiste et la conceptionzwinglienne de I'Eglise est l'antagônisme tiagique de deux idéestrès importantes : I'une d'entre elles (il s,agit, évidemment, de laconception baptiste) était prématurée, c'est-à-dire qu'elle esi appa-rue avant que_ les temps soient suffisamment mûri pour la rete_uoir.> (Aus der Welt der Reformation, Zwlngli Vêrlag, Zurich,1960, p. 79.) - Dans la communication que nous avons-présentééau Colloqu-e sur I'Anabaptisme organisé en 1975 (450 anjaprès lafondation de Ia première communauté baptiste) par la Facùlté deThéologie protestante de l'Université de Stiasbouig, communicationintitulée Zwingli et Calvin, critiques de la Confàssion de Schleit_heim et publiée dans les Actes du Colloque (pp. 126-147) à paraîtreprochainement chez Martinus Nijhoff à Lâ Haye, nous âvonsrelevé ce que le Réformateur de Zurich et, aprés'lui, celui deGenève, ont reproché aux Frères suisses et sud-ailemandi, héritiersde I'idéal des Baptistes zurichois..

33 Le modèle des partisans d'une < théologie politique > est évi-demment Thomas Mlintzer, < théologien dé Iâ révôlution >, unThomas Mûntzer interprété dans le iens marxiste d,Ernst Bloch(cf. de cet auteur I'ouvrage intitulé précisément Thomas Miinzer(sic), théologien de la révolution, qui, paru en traduction fran-çaise aux Editions Julliard, en 1964-, vient d'être réédité dans Iacol lect ion 10/18).

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L'herméneutiqueselon

Paul Ricæurpar Henri BLOCHER

professeur à la Faculté de Théologie de Vaux-sur-Seine

Dans ce deuxième article*, M. Blocher poursuit sa pré-tentation du problème herméneutique en analysant l'im-?ortante contribution de Paul Ricæur.

La collection < Philosophes de tous les temps >, aux édi*tions Seghers, compte parmi ses titres deux noms de pro-testants français : ceux de Jean Calvin (No 12) et de PaulRicceur (No 72). Rapprochement incongru ? Les deuxhommes ne se ressemblent ni par la vocation ni par ladoctrine, et rien ne permet d'envisager pour le philosophecontemporain une importance historique comparable àcelle du Réformateur. Mais il reste que Paul Ricceur (néen 1913 à Valence) figure sur une liste autorisée de gloiresintellectuelles comme le premier représentant du christia-nisme réformé en France depuis la Réforme. Qu'un hom-me averti, un directeur de collection, ait choisi son por-trait pour l'accrocher dans la galerie des grands penseurs,ce n'est qu'un détail, mais qui peut nous alerter : il signalele prestige dont jouit Paul Ricæur parmi les connaisseurs,et quelle envergure on reconnaît à son æuvre.

On ne l'accueille pas chez les seuls protestants. En cetemps de frontières confessionnelles devenues poreuses,les catholiques lui font fête ; associé depuis longtemps àl'équipe d'Esprit, Ricæur publie, par exemple, dans Con-cilium. Et ce n'est pas en France seulement que son in-fluence rayonne : elle est forte en Suisse romande ; Ricæurest un grand ténor, sinon le grand ténor, du Colloque inter-national de philosophie qui se réunit chaque année àRome; depuis sa démission du décanat de Nanterre (1970),il a séjourné plusieurs fois aux Etats-Unis, invité par

* Cf. H. Blocher, L'herméneutique selon Rudolf Bultmann,HOKHMA No 21L976, pp. Il-34.

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diverses universités. De jeunes chercheurs se tournent verslui : on dit qu'il dirige un nombre record de thèses dedoctorat.

Michel Philibert, en faisant sans retenue l'éloge de saphilosophie, montre quelle ferveur dans l'admiration Ri-cceur inspire à ses amis. Après lui avoir appliqué lesexpressions de I'hymne à la charité (1 Co. 13), Philiberts'écrie : < On n'avait point vu jusque-là une philosophiedont I'envergure, dont l'essor, dont la liberté même, ma-nifestent avec une pareille gloire I'influence séminale dela foi, de l'espérance et de la charité. > I Moins lyrique,nous noterons Ia combinaison de I'esprit de géométrie etde I'esprit de finesse, le second surtout à un degré insur-passé. Maître en architecture, comme l'attestent la compo-sition de ses grands ouvrages et I'art consommé du déve-loppement de chaque conférence, Ricæur est I'homme desnuances, dites avec un charme discret. Et sa finesse s'allieencore à I'extrême mobilité : Ricæur distingue pour mieuxrelier par d'agiles médiations ; il trouve toujours le moyende dialectiser les antithèses, ou de faire espérer la réconci-liation des penseurs anciens et modernes à qui, d'abord,il donne la parole. Car la sensibilité et la souplesse de sonesprit font merveille dans le symphilosophieren (ce motvient cle Jaspers), la poursuite de la réflexion philosophiqueen dialogue avec d'autres - au point que Ricæur se sentsouvent contraint de dénoncer l'éclectisme, < faible >,< plat >, ou ( paresseux )), parce qu'il sait qu'on va I'enaccuser. 2 En réalité, Ricæur assimile si bien les empruntsque la pensée produite porte toujours sa marque person-nelle, avec retour régulier de quelques thèmes favoris.

L'éclat d'un tel talent mérite bien qu'on le salue etqu'on s'intéresse à l'apport ricæurien. Alors que Ricceurnous paraît le plus riche des penseurs du christianisme libé-ral de l'époque < post-post-bultmanienne > et que son in-fluence est une évidence, on s'étonne qu'il soit paru si peusur son compte. M. Philibert, lui-même le principal com-mentateur, relève < la rareté des critiques qui lui sont con-sacrées >>. 3 Les articles, souvent plus difficiles à lire queRicceur lui-même, se bornent en général à résumer sa pen-

r Dans le livre évoqué plus haut, No 72 de la collection < Phi-losophes de tous les temps >>, Ricæur ou la liberté selon I'espérunce(Paris: Seghers, 1971), p.40.

2 Dans le seul Conllit des interprétations (Paris: Seuil, 1969),il répudie cinq fois l'éclectisme qui n'est qu'une caricature de ladialectique, pp. 58, 119, 176, 330,450. Ricceur a dû être touché auvif par une insinuation comme celle de Henry Duméry en 1950 :< La disgrâce éclectique est-elle évitée ? >>, in Regards sur la philo-sophie contemporaine (Tournai-Paris: Castermann, L957), p. 150.

3 Philibert, p. 93.

L2

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::3 €t De cherchent pas à sonder les fondations, ni à véri-=r les enchaînements. C'est une raison de plus pour que

-, rus rassemblions notre courage, et que nous tentions de:,-::rbler tant bien que mal une partie du manque...

C'est l'herméneutique de Paul Ricæur, ou sa réflexion.-: l'herméneutique, qui retiendra notre attention. Le phi-l.'rphe y a consacré le meilleur de ses forces depuis plus

:: quinze ans. Dans le débat ouvert à ce propos par Bult---.ann, il s'est acquis l'autorité de I'arbitre ou, mieux, celle::r sage qui voit les choses de plus haut et qui sait conduire:lus loin. Nous ne trouverons pas guide plus compétent.l nous voulons poursuivre notre examen des notions, des:risupposés, des fondements ou des prolongements ontolo-: lques.

Le mieux, pour se familiariser avec elle, c'est d'observerson herméneutique in fieri, et même ses préparations an-Jir-nnes. Comment Ricæur est-il venu au problème de I'in-:crprétation ? a

L'itinéraire

On peut découper trois phases, de longueurs inégales,dans la carrière de Paul Ricæur, au moins telle qu'on se lareprésente par ses livres.

A son retour de la captivité allemande, il s'imposed'abord comme historien de la philosophie, comme inter-prète, surtout, de penseurs existentialistes qui I'influencent

a Dans les notes, nous utiliserons les abréviations suivantes pourles ouvrages majeurs :VI

HF

: Le volontaire et I'involontaire, premier vol. d'unePhilosophie de Ia volonté (Paris : Aubier-Montaigne,19s6), 464 p.

: L'homme faillible, deuxième vol. (même éd., 1960),1,64 o.

SM : La symbolique du nrcl, troisième vol. (même éd.,1960), 33s p.

HV : Histoire et vérité (Paris : Seuil, 2e éd., 1,964), 336 p.F - De I'interprétation, essai sur Freud (mème éd., 1965),

534 p.A : Le conllit des interprétations, essais d'herméneutique

(même éd., 1969), 506 p.EII - Exégèse et herméneutique, travaux présentés lors du

Congrès de I'Association Catholique Française pourI'Etude de la Bible, Chantilly, 1969 (même éd., 1977),366 p.

MV : La métaphore vive (même éd., 1975),4I4 p.Exegesis : Exegesis, problèmes de méthode et exercices de lec-

ture, travaux publiés sous la direction de FrançoisBovon et Grégoire Rouiller (Neuchâtel et Paris : De-lachaux et Niestlé, 1975),37I p.

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à coup sûr. Sa sympathie manifeste pour Gabriel Marcel ret Karl Jaspers n'entame cependant pas l'indépendancede son jugement.

Sans cesser de pratiquer l'interprétation de ses devan-ciers, ni de réfléchir à cette tâche même 6, Ricæur s'em-barque ensuite dans une ambitieuse entreprise. Il com-mence à bâtir une Philosophie de Ia volonté. Le premiervolume, sa thèse principale de doctorat, révèle en lui lepionnier d'une voie nouvelle et prometteuse (1950).

Cogito, mais...

Le mot-clé n'est pas encore < herméneutique > maisphénoménologie. Ricæur reprend la méthode d'EdmundI{usserl, qu'il traduit et commente dans sa thèse complé-mentaire ; surtout, Ricæur met en æuvre cette méthodedans un domaine que Husserl avait laissé de côté, le do-maine de la vie affective et volitive. z Il pratique dans lechamp du < volontaire > la description des structures, la< réduction eidétique > de Husserl.

Ricæur a bien soin, certes, de répudier le << platonismedes essences > et l'idéalisme de I'Ego transcendantal que lepenseur allemand a successivement combinés à sa métho-de. e Mais il ne s'imagine pas pour autant tenir une mé-thode philosophiquement neutre, un simple instrument. Illui importe, avant d'introduire les éclairages originaux quiseront la nouveauté ricæurienne, de se réclamer de lagrande tradition réflexive à laquelle Husserl appartient aus-si. Ricæur prend son point de départ dans le < Je pense >,Cogito, cartésien (le livre cite d'ailleurs souvent Descar-tes). Il hérite de la révolution copernicienne de Kant, quifait tourner la connaissance autour du sujet et non plus deI'objet, comme Copernic fait tourner la terre autour dusoleil. Le premier front sur lequel il combat, c'est celui dela défense du Cogito : contre le naturalisme courant, con-tre I'empirisme objectivant, il faut < que soit sans cesse

5 Ricæur confesse qu'il a reçu de G. Marcel < le choc philoso-phique décisif > (cité par Philibert, p. 6). Dans ses derniers ouvra-ges, Ricreur ne le nomme pratiquement plus et dialogue plutôtavec Kant, Hegel ou Heidegger ; G. Marcel ne doit plus lui sem-bler assez rigoureux.

6 Cf. la première partie de HV (dont la première édition est de1955), sous le titre < Vérité dans la connaissance de I'histoire > ;I'appendice de P. Ricæur à I'Histoire de Ia philosophie allemandede Bréhier (Paris : J. Vrin, 3e éd., 1967), < Quelques figures con-temporaines > (de Husserl à Heidegger), est de 1954.

7 L'enquête dans ce domaine exauçait un væu de Husserl, cf.Barthel, Interprétation du langage mythique et théologie biblique(Leyde : E.J. Bri1l, 1963), p. 287.

8 VI, pp.7,8,5I. Sur l ' idéal isme de l 'avant-dernière étape deHusserl, voir l'appendice à I'ouvrage de Bréhier, pp. 192 ss.

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:.conquis sur I'attitude naturaliste le Cogito en première:ersonne));e contre la théorie Gestaltiste qui veut tout ré-iuire à un champ causal dynamique;1o contre la cosmo-oeie thomiste, qui éclaterait si le sujet y était davantage

ieconnu. l l

La solidité de ce premier ancrage philosophique est aussi;elle de l'édifice. C'est à partir du Cogito que Ricæur peut:spérer décrire les structures humaines fondamentales eniaisant abstraction aussi bien de la faute que de la Trans-;endance. double abstraction dont les deux faces sont insé-parables. rz Le Cogito doit être un appui assez ferme pourque la réflexion puisse mettre entre parenthèses les don-nées de I'expérience, le mal et la Transcendance. Dansl'expérience concrète, la liberté est asservie aux passions,esclave du Rien, et la grâce intervient pour I'en racheter.Les volumes suivants, promet Ricæur, en parleront. Dansle premier, c'est I'autonomie du < Je pense >>, conduitecomme méthode phénoménologique, qui permet de décrirela liberté comme telle, sans tenir compte ni du péché nide Dieu.

Cette description, cependant, ne se déroule pas commeHusserl I'avait espéré. Elle n'atteint pas cette < intelligibi-lité sans mystère, qui est I'atmosphère ordinaire des étudeshusserliennes )) ; <( le Cogito est intérieurement brisé >.13L'expérience intégrale du Cogito, découvre Ricæur, exigeque nous retrouvions en son sein même le corps : << L'ex-périence intégrale du Cogito enveloppe le < je désire, jepeux, je vis > et, d'une façon générale, I'existence commecorps. > ra Husserl l'a oublié, 15 mais en analysant ce quesignifient < décider, agir et consentir >, Ricæur le fait appa-raître. Il développe alors les intuitions de Gabriel Marcelsur le mystère de mon corps, et I'incarnation comme pointde départ d'une philosophie concrète: il le confesse, laméditation de Gabriel Marcel est à l'origine de son livre, raque d'ailleurs il lui dédie. Alors s'explique le titre de l'ou-vrage, Le volontaire et I'involontaire. La description faitapparaître partout leur amalgame ou leur entrelacs. Onrencontre partout, dans le plus intime de la volonté, leparadoxe de I'existence choisie et de l'existence subie:n Audace et patience ne cessent de s'échanger au cæurmême du vouloir. La liberté n'est pas un acte pur, elle esten chacun de ses moments activité et réceptivité ; elle se

n VI, p.12 ; cf. aussi pp. 318 et 335 ss. sur I'exemple de la carac-térologie.

10 21, pp. 210ss. 11 71, pp. 182 ss. 12 VI,p.3L.t3 V I ,p . 17 . la V I ,p . '13 . rE YI ,pp .L9s .16 VI, p. L8.

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fait en accueillant ce qu'elle ne fait pas: valeurs, pouvoirset pure nature. >> 17

La phénoménologie ne peut pas aller plus loin. MaisRicæur esquisse un dépassement. Le paradoxe, qui expri-me l'inéluctable tension, n'est pas le dernier mot : << IJneontologie paradoxale n'est possible que secrètement récon-ciliée. La jointure de l'être est aperçue dans une intuitionaveuglée qui se réfléchit en paradoxes. )) 18 La pesanteur deI'involontaire qui s'attache au volontaire pourrait bien êtreson salut: Ricæur annonce son intention < de comprendrele mystère comme réconciliation, c'est-à-dire comme res-tauration ... du pacte originel de la conscience confuseavec son corps et le monde. >> le Il est bon pour le Cogitod'être humilié; s'il abandonne (son vceu d'auto-position>>,il peut < accueillir une spontanéité nourricière et commeune inspiration qui rompt le cercle stérile que le soi formeavec lui-même >>.20 Ainsi s'opère (< une deuxième révolu-tion copernicienne qui décentre l'être, sans pourtant retour-ner à un règne de l'objet>.zr Cette deuxième révolutionrapporte la subjectivité à la transcendance inobjectivable,évoquée, invoquée, grâce à ses chiffres et dans I'espé-raîce.22

Quels chiffres ? < Le tout qui m'englobe est la parabolede l'être que je ne suis pas.)) 23 << Que Ia conscience, renon-çant à se poser soi-même, accueille l'être avec émerveille-ment et cherche dans le monde et dans l'involontaire unefigure de la Transcendance...>>2a << L'admiration est possi-ble parce que le monde est une analogie de la Transcen-dance. >> 25 << La spontanéité de la vie d'en-bas peut à sontour servir de métaphore à la vie d'en-haut. >> 26 << Peut-êtrele corps est-il une figure infirme de la Transcendance.>>27Métaphore, analogie, figure: Ricæur ne parle pas encorede symbole ni d'interprétation, mais en est-il si loin ?Quand il s'écrie : << Je suis aussi lecteur de chiffres... > 28,c'est une réminiscence jaspersienne, mais on peut y enten-dre I'annonce de la future herméneutique. On devine dès1950 les racines de la philosophie de I'interprétation.

C'est pourquoi nous avons rendu compte sans nous pres-ser de la première expression majeure de la pensée ricæu-rienne, moins connue, sans doute, des théologiens que lessuivantes. Des indications un peu plus rapides suffiront àbaliser la suite de I'itinéraire.

rz VI, p. 454 (cf. toute la conclusion et la p. 156, etc.).18 V1,p .22 . 18 VI ,p .2 I . 20 VI ,p . 17 . 2 r V( ,p .35 .22 VI, pp. l8I, 44I, 443 s., 448 ss.zs VI, p.444; cf. p.441 : ( total i té du monde, . . .chif fre de la

Transcendance >.21 V l ,p .449. 25 VI ,p .45 l . 26 YI ,p .39O.28 V l ,p .399.

16

27 YI, p.36.

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Transitlon

En 1960, quand paraît le deuxième volume de la Philo*':phie de Ia volonté, ce n'est pas encore l'Empirique pro-:rise. Ce n'est même pas la Mythique concrète qui avait.::r mentionnée en 1950 et que Paul Ricæur voit mainte-:.art dans un rôle agrandi, passage indispensable s'il veut:r'er << I'abstraction de la faute >. Avant de méditer le lan-

-:aee mythico-symbolique de l'aveu (troisième volume), seul:;cès au mystérieux surgissement du mal' on peut conduirela phénoménologie jusqu'à la frontière, jusqu'au discer-nement de la faillibilité. L'homme laillible est encore unouvrage de réflexion < pure >, mais qui considère la réa-lité humaine plus amplement que Le volontaire et l'invo-iontaire; il dévoile la disproportion essentielle qui fait lafaiblesse constitutionnelle de I'homme, à la fois fini et in-fini, et qui aide à comprendre sa chute.

< L'impression d'aisance, de sûreté, de souveraineté quedonne L'homme laillible est sans seconde > écrit M. Phi-libert ; il y voit < sans doute l'ouvrage le plus parfait quenous ait à ce jour donné I'auteur>.2e Nous nous rallionsà ce jugement, mais nous nous bornerons à relever un seulpoint qui intéresse notre étude : I'insistance de Ricæur suri'obleciivité de sa méthode et sur son pouvoir : < la ré-flexion transcendantale est d'emblée au niveau de I'imagi-naire >.30 Le ton serait-il plus sec qu'en 1950 ?

L'avant-propos, certes, lance le mot clé d'herméneuti-qr.re. Seulement, il s'agit du volume suivant, La symboliquedu mal - l'2v31f-propos de L'homme laillible introduità la fois aux deux ouvrages. Et que dit-il ? La manièredont Ricæur présente la méthode nouvelle qui va prendrepour lui le relais de la phénoménologie est fort éclairante.Il en ressent le besoin en méditant le caractère énigmati-que du langage de la confession des fautes. Tout se passe( comme si I'homme n'accédait à sa propre profondeurque par la voie royale de I'analogie, et comme si la cons-cience de soi ne pouvait s'exprimer finalement qu'en énig-me et requerrait à titre essentiel et non accidentel une her-méneutique >>.s1 IJn peu plus loin, Ricæur définit ce qu'ilentend par < recours à une herméneutique )) : << c'est-à-dire àdes règles de déchiffrement appliquées à un monde desymboles >>, et il désigne comme < plaque tournante de toutItouvrage > l'aphorisme de Kant < le symbole donne àpenser >>.92

2B Philibert, p. 64.It HF,p. lL.

so HF,p .95 (c f . p .21) .e HF,p, 12.

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Herméneutique des symbolesAlphonse de Waehlens a salué dans la Symbolique du

rnal << Lrn effort sans exemple dans la pensée contemporai-ne )>.33 C'est le livre dont le théologien retirera le plus. Sasensibilité et sa culture en font un festin pour l,esprit-.

Le gros du travail dépend encore d'une phénoménolo-gie: cette fois, celle de G. van der Leeuw et de M. Eliade.la. phénoménologie de la religion. Ricæur s'y montre aussitrès au fait de la science biblique (côté critique). Il va dess-ymboles primaires, souillure, péché, culpabilité, aux my-thes qui les développent, en ajoutant I'universalité et iemouvement temporel. Les mythes se ramènent à quatretypes principaux : mythe du chaos primitif, comme à Ba-bylone ; mythe tragique, du dieu méchant ; mythe adami-que, dans la Genèse ; mythe de l'âme exilée, dans I'Or-phisme. Ils communiquent de façon souterraine, et leur< dynamique > est une polémique, le mythe adamiques'opposant polairement aux autres, au mythe tragique sur-tout. Un concept émerge, que le symbolique << donne àpenser >, si on peut le penser: le concept de serf-arbitre,.< d'un libre-arbitre qui se lie et se trouve toujours déjàlié>>.34 Mais son étude, avec celle de tous les < symbolesspéculatifs >, est repoussée à plus tard.gs Ricæur avertitseulement contre la tentation gnostique, que l'orthodoxiecombattant la gnose n'a pas évitée en construisant le dogmedu péché originel : seule une compréhension symboliquepeut justement en triompher. 36

Qu'est-ce donc que ce symbole auquel Ricæur accordemaintenant tout le prix ? Il << n'a rien à voir avec ce quela logique symbolique appelle de ce nom )). s7 fl ne fàutpas le confondre avec I'allégorie et le distinguer des signesordinaires, qui ne disent que ce qu'ils veulent dire. Le sym-bole donne son sens < dans la transparence opaque del'énigme et non par traduction >>.38 Il < est le mouvementdu sens primaire qui nous fait participer au sens latent etainsi nous assimile au symbolisé sans que nous puissionsdominer intellectuellement la similitude >.se Ainsi la souil-lure : elle n'est pas une tache, elle est comme une tache ;nous ne pouvons pas analyser ce <( comme ), et nous nepouvons pas nous passer du symbole pour dire le vécu.Ajoutons que trois dimensions, cosmique, onirique et poé-tique, < sont présentes en tout symbole authentique >, se-lon que < Cosmos et Psyché sont les deux pôles de la

s:| Cité par Barthel, p. 286. ta HF,p. 13. B6 SM,p. 17,note.,u

,S_V,p. 12, et l'étude sur le péché originel, également de 1960,recueillie dans Cl, pp.265-282.

t z SM, p .23 .

1 8

38 lbid. 3e SM, p .22 .

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::::ne " expressivité" ; je m'exprime en exprimant le mon--; . r0 Le symbole nous parle (< comme index de la situa--:: de I 'homme au cæur de l 'être >. 11

La modernité a faim et soif de la spontanéité nourri-- :re des symboles : < par-delà le désert de la critique,:-".rs voulons à nouveau être interpellés >. a2 Nous devons: -'ur cela < dépasser la critique par la critique >), ( gâgeure:.:nense )), et << tendre vers une seconde naiveté >>.a3 Les:::;nes indiquent bien qu'en aucun cas la philosophie ne::-..rt renier le serment de la rationalité autonome44' seu-:rÊnt, dans cette autonomie, elle s'abuserait si elle croyait

.- passer de présupposition: elle doit partir du plein du-rsage et se ressouvenir. a5 A l'herméneutique de le lui:.r'.mettre. Le philosophe s'enfoncera dans le cercle hermé--:utique

; il acceptera de croire pour comprendre comme. cherche à comprendre pour croire. a6 Il transformera

-: cercle en pari ; il justifiera le recours au symbole en.'r'mployant ( comme détecteur et déchiffreur de la réalité.-.umaine )). 47 Il découvrira par lui, enfin, que < le Cogito:sr à I'intérieur de l'être et non l'inverse >, la seconde:aïr'eté constituant ainsi < une seconde révolution coperni---ienne >>. 48

Formules familières : leur retour marque Ia continuité:"ec L€ volontaire et l'involontaire. ll n'est pas difficile:: repérer les correspondances: au mystère du corps et:e I'involontaire correspond dix ans plus tard la donationJe sens des symboles ; à la lecture des chiffres, I'hermé-reutique. S'estompe, cependant, I'intérêt pour le para-i r lX9.

Le détour par la psychanalyse

Avant de tenir ses promesses et de réaliser la suite de:a Philosophie de la volonté, Ricæur sait qu'il ne peut évi-:3r une rencontre, celle de la psychanalyse. ae C'est aussiune herméneutique des symboles ! En 1960, Ricæur nelaraît pas avoir choisi qui, de Freud et Jung, lui servira.r'interlocuteur, 50 mais il se décide bientôt : ce sera le pre-nier. Freud, plus coriace, sera plus utile à cause de sarlus grande fermeté et de sa rigueur;51 il est aussi davan-:3ce respecté de la gent philosophique parisienne. Pendant.:s premières années de la décennie, Ricæur se plonge

t t S M , p p . 1 8 , 2 0 .t2 SM, p. 325." SM, pp .323,325.16 ,SM, pp. 326 ss.'6 SM, p. 331.'o SM,pp. 19-20.5e C/, pp.3L1-329.

ar SM, p .331.a 3 5 M , p . 3 2 6 .a5 5M,p .324.a? SM, p. 330.as HF, pp. 12--13.tt F, p. '177

; cf . CI, p. 206.

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dans une étude incroyablement soigneuse et pénétrante dela doctrine freudienne ; il approfondit beaucoup ce qu'ilen avait déjà dit dans Le volontaire et I'involontaire. Dès1962, il présente au Colloque de Rome une première es-quisse de ses réflexions sur Freud,rz et elles aboutissentau gros ouvrage de 1965, < Essai >, qui n'est pas un coupd'essai mais le développement persuasif d'une puissantestratégie.

On peut schématiser la stratégie ricæurienne en y distin-guant trois démarches. Ricæur se montre d'abord beaujoueur en concédant aux freudiens la validité de leur ana-lyse : I'herméneutique de Freud, dont le propre est de secombiner toujours avec une économique ou énergétiquedes pulsions (la pulsion cachée qui explique le symptômeconscient se tient à la flexion de la force et du sens),I'herméneutique de Freud ne peut être récusée. Puis Ri-cæur, habilement, désigne dans la théorie freudienne lesindices de sa limitation : les concepts opératoires non thé-matisés, les concepts thématisés discordants avec I'ensem-ble, les problèmes non résolus, montrent que la psychana-lyse appelle un complément. 53 Sur I'herméneutique régres-sive doit s'articuler dialectiquement une herméneutiqueprogressive ; sur I'archéologie du sujet, une téléologie àla manière de Hegel. sa On doit comprendre le symbolerégressivement, comme phantasme produit de I'Inconscient,mais aussi comme moment de cette dialectique montantedes figures qu'est I'Esprit au sens hégélien. Quand onreconnaît l'étroitesse (légitime) du point de vue de lapsychanalyse, on peut lui trouver place à I'intérieur de laphilosophie du Cogito, comme un détour utile dans lacompréhension de soi - c'est I'aimable Anschlu,rs quepropose Ricæur. La phénoménologie offre une < structured'accueil >> : elle reconnaît que sur la certitude inébran-lable du <Je pense> peut se greffer l ' i l lusion sur soi55;la méthode phénoménologique est précisément une ascèsequi vise à purifier de cette illusion, une décantation dusoi qui ressemble à I'humiliation par Freud du narcissis-me. Ce qu'ajoute Freud, c'est la barre entre les systè-mes conscient et inconscient. la barre du refoulement etde la censure qui cache le sens des symptômes, et qui ne

53 Cf. le résumé dans F, p. 457.sq Cl,p.119 ajoute: <I l faudrait encore comprendre que, dans

leur opposition, le système des figures tirées en avant et celui desfigures qui toujours renvoient à une symbolique déjà là, sont /emême. Cela est difficile à comprendre et je le comprends à peine.>(Texte de 1966).

ss F, p. 409. La proposition de Husserl se lit: < Dans une évi-dence, I'adéquation et l'apodicticité ne vont pas nécessairement depair. >

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teut être traversée que par un travail d'interprétation.5oÈn Ie reconnaissant, Ricéur dépasse sa thèse de 1950 sansia renier; Ia phénoménologie ne suffit-P3t, u l'enracine-nent de ia réilexion dans la vie n'est lui-même comprisdans la conscience réflexive que comme vérité herméneu-lioue ,r. rz'Dans

l'affrontement de Ricæur à Freud, le conceptd'herméneutique semble avoir pris du poids. Les défini-rions sont plus nettes qu'en 1960 : < I'interprétation .c'esti'intelligenie du double sens >> 58 ; Ricæur- trace une lignede partage qui tranche dans le champ sémantique, entrele signe ét lè symbole, << entre les,expressions univoqueset lei expressions multivoques )). Il ajoute : < C'est cettedistinction qui crée le problème herméneutique >,-.et:

" Vouloir diie autre chose que ce que I'on dit, voilà lafonction symbolique >.5e En même temps' on remarque u-ndéolacemént d'ac-cent : le livre de 1965 célèbre moins lepouvoir mystérieux du symbole ele 19 processus dialecti-àue de l'éducation de l'humanité (Bildung), le devenir soiculturel par les figures qui montent de I'Inconscient 6o etqui guidênt I'exploration de l'être, de I'avenir de I'homme''

RIcæur devaii rencontrer Freud. Dès 1963, cependant, ilI'associait à deux autres ( pères > de la mentalité contem-poraine ; il les appelait, dans une formule qui a fait for-iune, lei u maîtiei du soupçon >, maîtres d'herméneuti-ques réductrices qui soupçonnent la conscience : Marx etiietzsche. or En ioulignant la convergence des trois, Ri-cæur suggère d'user à1eur égard de la même stratégie, deles suivrâà titre de détour, en acceptant la blessure qu'ilsinfligent au Cogito et qui lui est salutaire.- Leur iconoclas-me ést purificateur, mais Ricæur s'appuie sur Hegel ouHeideggèr pour montrer leurs limites et les englober.62

Le détour structuraliste

Une fois au moins, Ricæur donne à Freud d'autres com-pagnons. Il inclut le soupçon freudien dans ce qu'il nom-me- u le défi de la sémiologie >>. 63 La sémiologie, c'est lascience des signes, et la psychanalyse peut se classer souscette rubrique puisqu'elle déchiffre le comportement cons-cient comme lê signe de l'économie pulsionnelle. Mais la

56 F, p. 441.. 57 F, p. 443. tt {, p. .18.

'n F, p. ?1.,. it',i. 425: c'est mâintenant le ça freudien qui < donne à pen-

t"tu?'u L" critique de la religion et le langage de la foi >, Bulletin

du Centre Proîestant d'Etuàes (Genève, 16e année, No 4-5' juin

1964), p.7 (rencontre de 1963) ; F, pp. 40 ss.s2 CI , pP' I47 ss., 440,452 ss., 463. ss.ut cI',pp.233-262 (d'abord publié en anglais' 1967)'

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sémiologie, c'est surtout cette constellation de < sciences (?)humaines > que gouverne la linguistique post-saussuriennqet que le grand public évoque, avec leur retentissementidéologique, sous le nom de structuralisme. Ricæur réslaitencore ses comptes avec Freud que déjà commençai-t lagrande vogue du structuralisme (ou des structuralismes) !L'hydre de la contestation, de la dé-construction, du sujetpoussait les têtes nouvelles de cette sémiolosie ! pas derépit, donc, pour notre philosophe, mais un iouveau dé-tour, plus long que le précédent.

Les structuralistes s'appuient sur la linguistique ; Ricæurdécide d'assimiler la science des linguistes jusqu,en sesderniers développements. Avec leurs armes, iL délendra laphilosophie du sujet. Dès 1963, dans la réplique à ClaudeLévi-Strauss qu'il compose pour le Colloque de Rome etqu'il retouche pour Esprit, Ricæur annonce son projet :< reconnaître à la fois le bon droit du structuralisme et seslimites de validité >. 6a Le structuralisme impose une << dis-cipline de I'objectivité > à travers laquelle Ricceur a << I'es-poir de conduire I'herméneutique d'une intelligence naiveà une intelligence mûrie >.65 Maurice Merleau--ponty, ad-met-il plus tard, a brûlé indûment I'étape de la sèienceobjective, il a sauté d'emblée à la question de la parolesans s'arrêter au système de la langué. 66 Ricæur ferà pas-ser sa philosophie du sujet < par le long détour des si-gnes ), dont I'obligation signifie, en dernière analyse, l,en-racinement dans l'existence, la priorité du << Je suis > surle < Je pense >. 6z Ainsi Ricæur s'efforce-t-il de faire droità toutes les réclamations ; Philibert Secrétan le voit entreHeidegger et les structuralistes comme Platon entre Par-ménide et les sophistes - entre la philosophie de la pré-sence et son dire presque ineffable et la manipulationexperte des signes que le sens a désertés. 0e

On sent au fil des ans le ton s'affermir et s'enrichir lesressources ricæuriennes. En 1963, Ricæur est encore surla défensive. Il plaide la polarité : I'analyse structuraleconvient particulièrement au totémisme mais laisse échap-per I'essentiel des mythes bibliques, à l'autre pôle ; impos-sible de réduire au désordre dans le svstème la traditionqui constamment les ré-interprète. 6e E; 1967, rI exploiteà fond la distinction saussurienne fondamentale de là lan-

6a La formule se trouve dans la version d'Esprit No 322 (nov.1963), p.596 ; en substance dans C1, pp. 33 s.

a5 lbid., p. 597 : CI, p.34.66 C/, pp. 244,249.87 C| ,pp .254,260s .68 Dans sa contribution à Exegesis, pp. L72 s.8e CI, pp. 36, 44 s.

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sue et de la parole : l'événement de la parole requiert lesujet ; la linguistique elle-même montre dans la structure,langue) un moment abstrait du processus réel ; autrementdit. la sémiologie a besoin du relais de la sémantique. Ri-;æur s'appuie victorieusement sur les progrès de la lin-_ruistique (Noam Chomsky) et glisse une petite phrase mor-Jante : < J'espère que I'anthropologie et les autres scienceshumaines sauront en tirer les conséquences, comme ellesie font en ce moment avec l'ancien structuralisme, au mo-nent où son déclin commence en linguistique. > 70 Eni975, sa dernière étude de grande ampleur, La métaphorer ile, atteint une telle technicité que la contribution n'estrlus seulement philosophique mais scientifique ; elle réfuteavec autorité la théorie structuraliste de la métaphore. Ona même I'impression que Ricæur ne s'intéresse plus autantqu'avant à I'adversité structuraliste, comme s'il la jugeaitJésormais domestiquée. Au passage, le vétéran donne aurrillant cadet que le monde célèbre, Jacques Derrida, deuxbelles leçons de rigueur philosophique - il ne suffit pasd'avoir des idées, il faut respecter les textes... 71

Si I'herméneutique reste au centre des préoccupationsricæuriennes, du symbole il est moins question. A l'écoledes linguistes, Ricæur I'analyse en termes de polysémie etd'isotopies sémantiques. zz Puis c'est le problème de lamétaphore qui le passionne, et celui de l'æuvre littéraireet poétique, hardiment assimilé à celui de la métaphore.73Faisant le point sur ses travaux, il rappelle, certes, I'avan-tage qui reste au symbole : le symbole garde des racinesnon-sémantiques, qui plongent dans le pouvoir mystérieuxqui nous porte, ( I'expérience ténébreuse de la Puissan-ce >. 74 Mais au symbole, l'herméneutique n'est plus stricte-ment réservée : il y a herméneutique du témoignage, 75 et,plus généralement, des < textes >. La grande question (quin'est pas nouvelle chez Ricæur) s'énonce: comment peut-on introduire une instance critique dans la conscience d'ap-partenance, comment faire place à I'explication objectivedans l'acte de la compréhension ? z6

10 CI, p. 92.tt MV, pp,25-28, notes,362-374.,, CI, pp. 69 s.,77 s., 93 s.tt MV,la 7e éttde1' cf. p. 279, la métaphore est ( un poème en

niniature >.;r < Parole et symbole >>, Revue des Sciences Religieuses 7975,

\o 1 -2 , pp . 151 s . , 154ss . 161 ; c f . 8H,p .84 .;5 < L'herméneutique du témoignage>>, in Le témoignage, Actes

Ju Colloque de Rome 1"972, pu'bliê par les soins d'E. Castelli (Pa-:is : Aubier-Montaigne, 1972), pp.35-61.

î8 Exegesis, p, 199 (cf. p.I79).

Z J

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Une herméneutique du détourEn suivant Paul Ricæur dans son cheminement, nous

avons vu se préciser la physionomie de son herméneutique.Mais, pour achever le portrait, il faut repasser sur les traitsles plus importants et en ajouter quelques autres.

Pour présenter les conceptions de Ricæur, on pourraitpartir de la comparaison avec celles de Bultmann, mieuxconnues. Ricæur se réfère assez souvent au théologien deMarbourg et aux herméneutes dont il s'est dit I'héritier,Schleiermacher et Dilthey ; la procédure serait donc justi-fiée. Commodément, on pourrait noter I'accord avoué surla démythologisation, mais le refus par Ricæur de la démy-thisation - tandis que Bultmann confond les deux. zzRicæur recommanderait plutôt une << remythisation >,78conquête de la < seconde naïveté >>. Nous avons recourujadis à cette présentation 7e ; elle semble moins opportuneaujourd'hui, puisque Ricæur s'est enfoncé dans l'étude dulangage, le domaine que Bultmann avait laissé en friche.

Interpréter, comprendre

La définition de l'herméneutique chez Ricæur n'est pasrestée immuable, nous l'avons déjà remarqué, mais unemême notion s'y laisse reconnaître. Un temps, le philo-sophe voulait la cantonner strictement au champ des sym-boles : < Quelle est la fonction de l'interprétation des sym-boles dans l'économie de la réflexion philosophique ? J'ap-pelle ce problème, pris dans sa généralité la plus vaste,ie problème herméneutique, si nous entendons par hermé-neutique la science de I'interprétation > (1962) 80 ; la no;tion mise en æuvre par Aristote dans son fameux traitéPeri hermeneias est trop < longue > (1965). 81 Quelquesannées plus tard, la définition s'est élargie : < la théorie dece que c'est que comprendre en relation avec I'explica-tion des textes en général >.82 Ce < qui appelle un travaild'interprétation >>, c'est ce caractère très général des lan-gues nàturelles, la polysémie des mots. 83 Mais on peut déjà

77 SM,PP.326ss-78 F, p. 49 ; rnais démythisation , CI , p. 331.7e < Actualisation ou

- démythisation du message biblique >, in

Les trois amis,livre issu de la Conférence francophone sur l'évan-gélisation à Lausanne (Paris-Lausanne-Vevey: Carnets de < Croireét Servir >, Ligue pour la lecture de la Bible, Groupes Missionnai-res, 1967), pp. 43-55.

80 CI, p. 311'.81 F, PP.29 ss.ez ElH, p.47 ; presque identiquement, Exegesis, p. I79.$ Exéiesis, p. rSO ; cf. CI, pp. 71,, 78 (< ainsi s'évanouit I'illu-

sion que le symbole serait une énigme au plan des mots ,), p. 94.

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trouver dans le livre de 1965 l'herméneutique rapportée àI'exégèse d'un texte,sa et, surtout, dans les-exposés plusrécents, Ricæur n'abandonne aucunement le thème du dou-ble sens. Au lieu d'être le privilège du symbole opposé ausiqne 85, le double sens appartient à certains ensembles :., "Pour

I'herméneute, c'esf le texte qui a un sens multi-ple. > eo Plus précisément, le sens se pluralise quand leiontexte, au fièu de filtrer, << laisse se dérouler plusieursiéries sémantiques appartenant à des isotopies discordan-res )) 87 ; tel eit I'art du poème, << langage en fête >. e8

Depuis l'analyse de la métaphore, Ricæur s'intéresse davan-tagè à la référence (dénotation, Bedeutung) -qu'au senstS-inn). La poésie - ç'g5f elle maintenant qui-< donne àpenser )) 8e se caractérise par la < référence dédoublée > :èlle suspend la référence du langage ordinaire 1u profitd'une rêférence de second rang à un niveau d'être plusprofond. < Le langage se dépouille de sa fonction de des-ôription directe pôui accéder au niveau mythique où.safonction de découverte est libérée. ,t eo Que découvre-t-il ?

" Ce que le discours poétique porte au langage, c'est unrnonde pré-objectif où nous nous trouvons déjà de n-ais-sance, rÀais aussi dans lequel nous projetons nos possiblesles plus propres. > s1 Ainsi, l'interprétation selon Ricæuru toulorr.. pôur objet une profondeur qui-se cache sous lasurfaôe et qu'on ntatteint pas d'emblée ; le problème her-méneutique naît de l'impossibilité d'une saisie directe.

Confirmation : quand Ricæur situe historiquement laquestion herméneutlque, il la rattache à la nécessité d'undétour. Ainsi la question adhère au christianisme parceque < la parole prêchée dès le début n'a pas pris 19 .19-cburci Ae ta signitication immédiate, mais toujours le dé-tour d'une signification seconde réinterprétée >> ; elle arendu parlant l'événement central < en se donnant un lan-gage indirect, en reprenant des figures disponibles... > e2

Le problème s'est aiguisé pour nous parce que le NouveauTesiament est devenu << lettre >, parce que la distance cul-turelle s'est creusée, et parce que la critique biblique im-pose de < départager >> ce qui est proclamation dans le livreiune autre distanciation).nu La cause est entendue : pourRicæur, la voie herméneutique, c'est le renoncement auxfacilités de l' immédiat.

s, F, p. 18. 85 F, p.21. "u c!.P. 66; -cf. p.260. -." ir, p. 9s. 87 cI , p. 77 . es MV , p. 39-8 (cf. p. 325).go MV, p. 3Ll ; cf. pp. 288, 290 et Exegesis' p' 2L2.tt MV', p. ZSI'"t Eiàsesis, p. 2I2, ou < Parole et symbole >>, Rev'

des sciences religieuses, pp. 153 s.ee <Foi et lângage,-Bultmann, Ebeling>, Foi'Education, 37e

anrrée, No 81 (oct.-déc. 1967), p.20.ss lbid., pp. 20-2L.

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Pourquoi le détour est-il nécessaire ? Ricæur ne se lassepas de répondre à cette question. Il y répond face à Hei-degger qui a choisi une voie courte s4 lace à la traditionrationaliste (on sent cet interlocuteur présent); face auxherméneutes soupçonneurs et aux sémiologues qu'il en-rôle malgré eux comme compagnons de périple ; avecreconnaissance à Jean Nabert, enfin. e; Jean Nabert a dis-cerné < I'inégalité de l'existence à elle-même (...) qui met,au centre de la philosophie, la tâche de s'approprier l'af-firmation originaire à travers les signes de son activitédans le monde ou dans l'histoire >. e6 Le thème rappellela < disproportion > de L'homme faillible.. I'homme fini-infini n'est pas intermédiaire topologiquement entre l'angeet la bête, mais de soi à soi, parce qu'il opère des média-tions. e; Avec vigueur, Ricæur expulse tout malentendu :

<<...la réllexion est I'elfort pour ressaisir l'Ego de I'EgoCogito dans le miroir de ses objets, de ses æuvres et fina-lement de ses actes. Or, pourquoi la position de l'Ego doit-elle être ressaisie à travers ses actes ? Précisément parcequ'elle n'est donnée ni dans une évidence psychologique,ni dans une intuition intellectuelle, ni dans une vision mys-tique. Une philosophie réllexive est Ie contraire d'une phi-losophie de I'immédiat. La première vérité - je suis, jepense - reste aussi abstraite et vide qu'elle est invinci-ble ; iI lui laut être < médiatisée > par les représentations,les actions, les æuvres, les institutions qui I'objectivent ;c'est dans ces objets, au sens le plus large du mot, quel'Ego doit se perdre et se trouver. >> s8

La réflexion est ré-appropriation de soi, elle est < latâche d'égaler mon expérience concrète à la position : lesuis >>, et cette position a deux aspects fondamentaux queRicæur évoque souvent. Le désir d'être (Eros) et l'effortpour exister (conatus) dont ont parlé respectivement Pla-ton et Spinoza. ss Le double sens herméneutique, c'est Iadualité de l'effort - désir originaire et de ses expressionsou objectivations, expressions qui toujours voilent et dévoi-lent en même temps. 1oo

Le plus souvent, dans cette perspective, Ricæur parlede la compréhension de soi,' dans sa conversation avecLévi-Strauss, il s'écrie : < Si le sens n'est pas un segment

s4 CI, pp. 7-28 (surtout 14 s., 20 ss.).s5 CI, pp. 2L1,-221.st CI, p.2I9. e7 HF, p. 23. es p, p. 51. 00 F, p. 53.100 I{icceur dans les Incidences théologiques des recherches ac-

tuelles concernant le langage (cours polycopié de I'Institut desEtudes Oecuméniques, Institut Catholique, Paris, s.d.), p. 56, citeHans Jonas; pour Jonas, il est de la structure de l'esprit de s'ob-jectiver, et < pour se rejoindre lui-même, il doit prendre le détourpar le symbole objectivé >.

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de la compréhension de soi, je ne sais pas ce que c'es1 )).lorCependant, dès les ouvrages anciens, cette compréhension,loin de signifier repliement sur soi, implique I'ouverture surl'être qui dépasse I'homme, et la redécouverte de racinesontologiques nourricières. L'herméneutique va permettre,selon l'Essai sur Freud, < I'exploration sur un mode sym-bolique de notre rapport aux êtres et à l'Etre >. r02 De plusen plus, Ricceur glisse la notion de monde :

<< Loin qu'un sujet tout constitué proiette sur le texte lesa priori de son auto-compréhension préalable, il faut plu-tôt dire que I'interprétation donne au sujet une nouvellecapacité de se comprendre lui-même en lui offrant un nou-veI être-au-monde dont il est agrandi. )) 103

L'accent tombe parfois sur l'habitation du monde, grâceà la poésie assimilatrice, dans l'apaisement et la réconci-liation. 104 La << seconde naiveté )) t0d, n,est_ce pas le retourlucide au pacte de la conscience confuse avec son corps etla vie ? Mais, surtout, le monde en cause est le mondepossible. Ce que Ricæur reproche par-dessus tout à Marx,Nietzsche et Freud, c'est d'avoir parlé pour la nécessité ;philosophe de I'espérance, Ricæur veut donner le derniermot au possible. 106 l3 chose du texte, c'est une < propo-sition de monde >>, et comprendre, c'est < s'exposer au texteet recevoir de lui un soi plus vaste, qui serait la propositionrépondant de la manière la plus appropriée à la proposi-tion de monde >. 107 (Jne telle compréhension prend placedans une chaîne ininterrompue de réactualisations : < l'in-terprétation et la tradition sont I'envers et I'endroit de lamême historicité > 108 ; elle s'insère aussi dans l'édificationde I'Esprit au sens hégélien : < La conscience... n'est pasla présence à soi... mais l'aptitude à relaire le parcoursdes figures de I'Esprit. > tos

S'il faut faire un détour - plusieurs détours - pourainsi comprendre, par où faut-il passer ?

La méthode historico-critique

Pour nous, modernes, l'étude critique du texte est lepremier passage obligé. Ricæur semble une fois en faire

101 ln Esprit,No 322, p. 636. 1o2 F, p. 529.103 << Evénement et sens dans le discours >. inédit de Ricæur à la

fin de Philibert, p. I87. ,oo cI, pp. 453, 456.105 Thème de SM, pp.326 ss. ; F, pp. 36s., 477 s. ; C1, p. 294 (cf.

237) ; MV, p. 3I9 ; préparé VI, pp. 74, 79 s.108 <( La critique de la religion et le langage de la foi >, Bulletin

dt Centre Protestant d'Etudes, Genève, 16e année, Nos 4-5 (juin1964), p.25 ; F, pp. 44,528 s.

t0? Exegesis, p. 2L4, cf. pp. 2I2 et 193 : comprendre < c'est dé-ployer la possibilité d'être indiquée par le texte >.

tos EH, p. 291, loe CI, p. I20.

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la traversée du < désert >), mais il se hâte d'ajouter quel'approche critique, avec la démythologisation qu'elle im*plique < est I'acquis irréversible de la véracité, de I'hon-nêteté intellectuelle, de I'objectivité >. 110 Il n'hésite pas :( pour nous, la Bible n'est plus un livre à part des aulreslivres, mais... nous devons avoir, et avons, à son égard, lamême attitude critique qu'à l'égard de n'importe quel textede la littérature (...) il a fallu profaner [ce livre] de parten part. . . > 111

Certes, plus récemment, Ricæur a reconnu que la mé-thode n'est pas < innocente )), qu'elle est liée à I'histori-cisme 112 ; mais il conclut qu'elle est irremplaçable, mêmes'il lui faut, sous le choc du structuralisme, abandonnerquelques illusions. 113 Il continue de croire à l'objectivitéde la science, < I'autonomie de la recherche scientifi-que )) 114, sans doute I'autonomie que la philosophie ré-flexive attribue à la pensée rationnelle.

L'lconoclasme indispensable

La critique décape ; les herméneutiques du soupçon fontune plus profonde blessure. Ricæur ne nous permettra pasd'y échapper. Marx, Nietzsche et Freud, en s'attaquant àI'illusion, ôomplètent la démythologisation par la démystifi-cation ; or, estime Ricæur, < la démythologisation est péri-phérique, la démystification est centrale t rrr. psssment,

il déclare : < Nous devons tenir pour un bien la critiquede l'éthique et de la religion menée par l'école du soup-

çon > 110 ; < j'aperçois une articulation essentielle entre lacritique de la religion à la façon de Marx, de Nietzsche etde Freud et l'auto-compréhension de la foi )) 117 ; < toustrois dégagent l'horizon pour une parole plus authentique,pour un nouveau règne de la Vérité... ; 118 ; << cet athéis-me, concernant les dieux des hommes, appartient désor-mais à toute foi possible (...) Une critique marxiste del'idéologie, une critique nietzschéenne du ressentiment, unecritique freudienne de la détresse infantile, sont désormaisdes voies par lesquelles doit passer toute espèce de médi-tation sur la foi. > l1e

Une formule favorite résume le rôle positif de la des-truction : meure I'idole, vive Ie symbole. Le propre del'idole est de donner I'illusion d'un accès direct au sacré.

1r0 SM, pp. 325 s. 1r1 << Foi et langage ",

p. 2L.112 EH, p.36. 113 EH, P.292.115 ( Le symbole et le mythe >, Bulletin du Centre Protestdnt

d'Etudes (Genève), 15e année, No 6 (oct. 1963), p. 19.116 C|,p.437. 117 Exegesis,p.227. 118 F,p,4l .110 ( La critique de la religion >, CPE, p. 12.

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L'iconoclasme porte sur des convictions traditionnelles sa-crées pour en ruiner le sens apparent :, cette ruine mêmepe.me^t la recherche d'un sens caché, donc une interpré-tation symbolique. 120

Pourquoi faùçil faire le détour iconoclastique- ? Ricæursoulisne avec une force croissante que le Cogito qui sepose-n'est pas seulement vide, mais faux; la consciencen'est pas sêulement privée de la vérité : narcissique, ellelui réiiste 121. Ç'gsf là vérité qui blesse : Ricæur préconisele < Cogito blessé >, et sa thèse sur la liberté s'énonce :o Non f,Ius te libre arbitre, mais Ia libération )). 122 C'estpourqr.rôi le dernier mot reste à cette loi : la décentration,le deisaisissement de soi. 123 pn15 plusieurs textes assezrécents, Ricæur a soin de préciser cette appropriation.:n L'appropriation cesse alors d'apparaître comme une pri-se de posiession ; elle implique plutôt.un moment de dés-appropriation du moi avâre et narcissique. ;s r2a ls soi delâ

^compréhension s'obtient ( en échange du moi avare

qui auàit refusé la longue médiation de I'acte d'existerpar tous les mondes > des textes, ouverts par les textes 125'

i-e moi est < le plus archaÏque de tous les objets > : < ilfaut perdre le moi pour trouver le je > rz0.

Par de telles paroles, Ricæur se montre étonnammentfidèle à I'esprit de Gabriel Marcel. On remarq,ue aussiI'opportunité de sa concentration sur la symbolique dumàt- si le Cogito se présente aliéné. Pourquoi cette sym-bolique est-efie privilégiée, < peut-être même la terre na-tale de toute symbolique, le lieu de naissance du problè-me herméneutique > ?1zz pu."" que le langage de.l'aveu,entre tous, donne à penser le besoin d'une désaliénation,donc d'une démystification ; il signifie l'échec du ratio-nalisme direct (avec ses Théodicées), donc la nécessité dudétour par I'interPrétation.

Reste la mise en pratique. Ricæur donne deux exem-ples de l'intégration de la psychanalyse dans son travailà'interprétation. Avec un brio étincelant, il reprend le

120 Cf. p. ex., F, P. 61.n p f,. zlq <i6te 33 : faux Cogito, -Cogito écran, Cogito résis-

tance) ; pp. +ff ss. ; C1, pp. I52, 172 s.,239.r22 CI, p. l9l.r:s P, PP. 61 s. (cf. C1, PP. 450 s.).rzr ., Eï-énemeni et seni... > (Philibert), p. I87 ; même pensée EÉI'

p. 53 et Exegesis, P. 215.' tis pg, Ë. sr. ï est amusant de remarquer I'inversion du choix

a" uo"rtTtâite. En 1950, Ricæur écrit : < Le Soi est le moi aliéné >(VI, p.32). Vingt ans après, soi n'est plus.péjoratif mais glorieux

ict.'Ct, p. L75 : i t'enjeri est le Soi ou Esprit r) ; le moi est devenuhaïssable.

128 Cl,p.24.cz p ,'{.48 (note) ; cf. p. 506 et SM, p. 13 ; CI ' pp. 327 s'

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mythe ædipien et englobe l'analyse de Freud dans uneméditation plus vaste, où la question du père se révèle se-crètement alliée à celle de la vérité 128: puis, dans uneautre étude, il déroule tout le procès de << la paternité : dufantasme au symbole > tze, €t suit dans la Bible < la dia-lectique de la paternité divine >, depuis les réticences deI'Ancien Testament à nommer Dieu père, jusqu'à la mortde Dieu en son < fils > ; cette mort achève le mouvementde la solution non névrotique du problème ædipien (selonFreud), < I'acceptation de la mortàlité du père u tao. 4l6iRicæur tient-il sa promesse implicite : < Surmonté commeidole, I'image du père peut être recouvrée comme sym-bole. > 131

L'objectivlté de l'écrit

L'analyse structurale pratique elle aussi une < archéolo-gie > du sujet, elle démonte elle aussi le fonctionnementd'un inconscient - linguistique et non plus pulsionnel.Mais le style diffère tant, et la motivation de même, queRicæur ne la classe pas avec les herméneutiques du soup-çon ; d'ailleurs, I'analyse structurale ne se veut pas hermé-neutique, elle ne prétend qu'à I'objectivité. Le détour sé-miologique se présente donc à part. Il doit permettre àRicæur de résoudre l'alternative de Dilthev. < ruineuse >à ses yeux, et de conjoindre << expliquer >

- (distanciation,

dans I'objectivité) avec <comprendre> (appartenance, dansla présence) 132. Avec une sagesse qu'on apprécie, il invo-que l'autorité du langage quotidien, gui u résiste à cettedichotomie : quand on ne comprend pas, on demande uneexplication ; et ce qu'on a compris, on est capable de I'ex-Pliquel > rsr.

Pour relever le défi structural, Ricæur s'adonne très sou-vent à une présentation triple. Il distingue trois < niveauxde signifiance >> et trois points de vue pour < sortir du fana-tisme des querelles d'école >> : de la linguistique structu-rale ; d'une phénoménologie de la parole; d'une ontologicdu discours 13a. du premier niveau, celui de la forme de lalangue, il accorde presque tout aux structuralistes : la clô-ture de l'univers des signes, la comparaison avec le jeu

128 F, pp. 495_499.12e Titre de C1, pp. 458-486.132 Exegesis, p. I79.

130 C1, p. 481.18r CI, p. 457.

r33 << Evénement et sens... > (Philibert), p. 187..

t'n C!,,pp. 80-97; < Contribution d'une réflexion sur le langageà-une thé-ologie de la parole >, Revue de théotogie et de philoio-p.hie, 19681Y-VI, pp. 355 ss. ; < Problèmes actuels de I'intèrpréta-tion >, Bulletit dtt Centre Protestant d'Etude et de Documeniation(Paris), nouv. série, No 148 (mars 1970), pp. 51. ss. ; Les incidences.,,pp. 7 ss. ; éléments ailleurs. Notre résumé renvoie à ces texres.

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d'échecs ; il semble même tenir pour acquise la réussitede la sémantique structurale. Tout son effort consiste en-suite à montrer la différence du deuxième niveau. Ilexploite la célèbre et fondamentale distinction saussuriennede la langue et de la parole, reconnue par d'autres lin-guistes sous des noms divers : schéma-usage, code-message,compétence-performance. Il développe le cri du cæur qu'ilavait lancé à Lévi-Strauss : < Ce sont les discours parti-culiers qui ont un sens ) 135. Il le fait en s'aidant de lascience de Benvéniste, en montrant la nouveauté qu'in-troduit la phrase, et qu'avaient déjà vue Platon et Aris-tote : ( C'est la phrase qui est vraiment le pivot de laparole; 136 ; << c'est au plan de la phrase que le langagedit quelque chose : en dessous n61 ; 137. Dans l'acte deparole, quelqu'un dit quelque chose sur quelque chose àquelqu'un, le sujet et le monde sont impliqués ; ainsi lelangage < est le médium, le < milieu > dans quoi et parquoi le sujet se pose et le monde se montre > 138. Ricceur,cependant, ne se contente pas de cette phénoménologiescientifiquement consolidée. Inspiré par Heidegger et sonoracle < la langue parle >, Ricceur privilégie enfin un troi-sième niveau, celui du dire qui précède le parler ; il chanteI'ouverture ou, mieux, l'aperture du langage, de la poésiesurtout 139 ' ou encore, ce qui revient au même, le non-voilement, la manifestation de l'être, qui se laisse capturerpar < l'acte de violence du poète ou du penseur > qu'est lemot humain u0. I's1pllçation structurale concerne ainsiun niveau langagier parmi plusieurs ; elle ne peut exclureles deux autres.

Dans les textes généralement ultérieurs, la faveur deRicæur se porte vers une dialectique de l'événément etdu sens 141. (< L'événement se dépasse dans le sens > ; cedépassement s'achèr'e et se consolide dans l'écriture, quidétache l'æuvre de son auteur. A cause de cette dualité,un intervalle se creuse dans la production du texte à inter-préter, < I'effectuation du discours comme texte > ; l'æuvreécrite acquiert une objectivité qui réclame le traitementobjectif de l'< explication >. << L'æuvre de discours présenteen effet des caractères d'organisation et de structure quipermettent d'étendre au discours lui-même les méthodesstructurales qui ont d'abord été appliquées avec succès aux.-ntités de langage plus courtes que la phrase, en phonolo-

135 In Espril, No 322, p. 640.137 C1, p. 88.t}s cI, p. 97.

136 Les incidences... p. 1-3.138 CI, p. 252.

140 < Contribution d'une réflexion... >>, Rev. Théol. Phil., p. 3461al << Evénement et sens dans le discours >> ; Exegesis, pp. 201 ss. ;

ébauchée dans < Problèmes... >>, CPED.

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gie et en sémantique )) r12 ; comme telle, l'æuvre de dis-cours a pour < vraie destination > la mise par écrit 143.

Notre avant-dernière citation exprime un ralliement àI'approche structurale des grosses unités de langage. < Lecoup de génie de l'analyse structurale, admet Ricæur, c'estd'avoir gagné en postulant I'homologie, I'identité de logosentre les lois du discours dans ses srandes unités et de lalangue dans ses petites unités. v ra+ çefts5, Ricceur réagitvigoureusement contre le commentaire du mythe d'(Edipe- encore lui - par Lévi-Strauss; il va jusqu'à parler de< manipulation... artificieuse )). t+5 \{ais c'est qu'il refuseI'idée d'arrangements qui combineraient de simples unitésalgébriques sans référence ; au contraire, plaide-t-il, lastructure opère avec des phrases signifiantes, les opposi-tions et les médiations concernent les situations-limites deI'expérience humaine. L'analyse est d'autant plus instruc-tive : elle fait toucher du < sémantique vif >> ou une u sé-mantique profonde >. Ricceur a pratiqué le < détour struc-tural > en lisant Genèse 1 146, plus en détail en traitant durécit de l'Hexateuqu"ttz, et il se demande s'il convientà la prophétie 148. Le détour fait apparaître un sens plusprofond, libéré de < l'anecdote >>, de la < chronologie ap-parente >>, du sens que perçoit la Iecture narïe.

Et le kérygme ?

La compréhension, approchée avec tant de méthode (s),a-t-elle avec la lol quelque rapport, du moins dans la lec-ture des textes bibliques ? En 1960, Ricæur distingue net-tement : << Que Jésus soit le point de convergence de toutesles figures sans être lui-même une figure, cet Evénementdépasse les ressources de notre phénoménologie des ima-ges. (...) C'est donc en deçà du Kérygme chrétien que setient notre exégèse des figures. )) 1le Chez saint Paul, écritRicæur, le < poids ontologique > des types leur vient de lafoi que Jésus les accomplit. Ricæur réserve donc stricte-ment le kérygme, comme annonce d'événement.

En 1965, il remarque que la problématique de la foirelève d'une dimension nouvelle, et souligne, en se récla-mant de Barth et de Bultmann ensemble, que le kérygmeest interpellation du Tout-Autre : < Il s'annonce lui-mêmecomme Tout-Autre en anéantissant son altérité radica-

laz Exegesis, p.209.1a3 << Evénement et sens... > (Philibert), p. 180.144 Les incidences, p. 84.145 lb id. p. 38, cf . pp.36-42; cf . <Problèmes.. .>, CPED, pp.

61 ss., 67 ss.148 EH, pp. 72 ss. 147 Les incidences, pp.67-85.148 l b i d . , p . 88 . 14s SM,pp .252s . t 50 5M,p .257 .

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le )) 151. A cause de cet anéantissement même, l'interpella-rion n'est perçue que par I'interprétation des symboles du'acré, et, ajoute Ricæur quelques pages plus loin, < à tra-r ers I'exercice impitoyable de I'herméneutique réductri-.-s ; 152. C'est idolâtrie que I'objectivation du Tout-Autre.Evoquant enfin I'Eros dont Freud a parlé, Ricæur suggèreque < la foi comme kérygme de I'amour >) est (< une parti-cipation à Ia source d'Eros ,, 153. f,n L965, la cloison estdcvenue poreuse entre la manifestation de l'être par les.r'mboles et l'interpellation de la foi.

Les textes plus récents rapprochent encore le kérygmeet le mystère du < dire >. Ils font de I'unique verbe lanranifestation centrale et décisive de la manifestation uni-verselle de l'être chez les poètes et les penseurs, la manifes-ration selon Heidegger. Pourquoi y a-t-il < plus dans len.rot Dieu que dans le mot être > ? Parcc qu'il a capté les:ignifications flottantes, et qu'il se centre sur le < symbolefondarnental> du Serviteur souffrant, le s1'mbole de I'amourplus fort que la mort, et sur < l 'événemcnt-sens > de larésurrection. La foi, < souci ultime > suscité par la < cho-sc > du texte, ne saurait être séparée de l'interprétationqui u l 'élève au langage > 154.

Essai d'appréciation

Il n'est pas facile de commenter Ricceur ! Philibert le sou-ligne et explique ainsi la rareté des critiques qui lui sontconsacrées : Ricæur se prête tant aux autres qu'il pressentet prévient le regard qu'ils vont porter sur lui. Nousobsen'ons aussi que son æuvre reste inachevée : malgré lesmilliers de pages publiées, il faut se contenter, sur bien despoints, d'allusions éparses. Aux lisières de la théologie (qu'il:onnaît bien), il se retranche derrière la barrière qui séparephilosophie et théologie : < je ne suis pas dogmaticien > ;ce qui ne suffit pas au théologien suffit au philosophe;le philosophe n'est pas le prédicateur... 156 Si, théologien,ncus osons tenter une appréciation, c'est que nous croyonscette barrière mystilicatrice : philosophie et théologie sontdcux entreprises de sqgesse ; leurs jardins communiquent ;pour toutes deux ensemble vaut le même principe : lacrainte du SEIGNEUR, principe de la sagesse. Certes,nous n'imaginons pas rivaliser de finesse avec un Ricæur !

rst F, pp. 504 s. 152 F, p. 510. 153 F, p. 515.r5a Pour le paragr., < Contribution... >>, Rev. Théol. Phil, pp. 347

's. ; les incidences, pp. 15 s. ; Exegesis, pp.224 s.\36 Cl, pp. 265, 341, 436, 450.

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Notre foi, seulement, inclut cette confiance : I'attachementà I'Ecriture sainte nous permettra de bénéficier de sa lu-mière, lumière de la sagesse.

En bref : la pensée-de Ricæur nous paraît la plus res-ponsable et la plus perspicace, la plus sensible à la véritébiblique parmi les pensées que I'on propose au nom duchristianisme moderniste ; mais, hélas ! c'est bien côté< modernisme > qu'il faut la classer. Et si elle se gauchitgravement malgré son apparente vigilance, c'est à la faveurd'ambiguïtés, de fausses symétries, d'abus de ces méta-phores dont le nombre confère un si grand charme à laprose de Ricceur.

Les fruits de I'interprétation

La (première) naïveté a le droit de poser la premièrequestion : qu'en est-il du message biblique ? Est-il préservéou appauvri, restitué ou corrompu ? L'herméneutique ri-cccurienne, appliquée à I'Ecriture sainte, donne-t-elle l'im-pression d'une élucidation libératrice ou d'une mutilationmalheureuse ? Malgré la discrétion de Ricceur sur les résul-tats, il est possible d'aboutir à une évaluation approxima-tive.

On pourrait faire état, en son nom, d'un bel actif. Larichesse des brefs commentaires de Ricæur contraste avecle dépouillement bultmannien. Nul n'a mieux saisi que luiI'intention du récit adamique, la dissociation rigoureuse ducommencement de l'être (< très bon >) et du commence-ment du mal (après) ; il a perçu sa consonnance uniqueavec la confession des péchés et I'esprit pénitentiel, sonorientation vers le monothéisme moral r57. Q'ssf l'apportmajeur. S'il redessine pour nous les figures bibliques, Ri-cceur le fait avec sympathie et sans les jouer, comme fontcertains, les unes contre les autres ; nous lui sommes re-connaissants d'avoir placé au centre la figure du Serviteursouffrant, élément-clé de sa christologie et de sa théolo-gie rre. Il a le courage et la lucidité de défendre I'usagedes catégories juridiques 15e. fs compte rendu sémantiqueet biblique sur le témoignage pourrait servir de modèleà tous ; il nous offre le plaisir d'une correction du Kittel :< On serait tenté de dire que la confession de foi a éliminéle récit des choses vues (Kittel, dans l'article mertus,Theolog. lVôrrcrbuch zum N.T., 12, oppose constamment

157 SII, pp. 175, 192, 219, 227 s., 285 s.158 Nous ne lui en voudrons pas de ce qui est sans doute un

lapsus, mais significatif et sympathique, dans un article récent :< Ainsi dans la tradition hébraïque, Dieu est appelé... ServiteurSouffrant... >, in << Parole et Symbole >>, Rev. Sc. ReI., p. L57.

t 's SM, pp.252,257 s.

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:ernoin des faits et confesseur de la vérité). Il n'en est-lsn. v 160 < Le témoin, dit-il, est témoin de choses arri-r ées. > 161 Même si d'autres déclarations renversent en dé-;eption la joie qu'on éprouve devant pareille sagacité, lekérygme ricæurien semble garder plus de consistance que.'eiui de Bultmann ; Ricæur se défie clu subjectivisme et\ eut respecter un moment d'objectivité.

Le passif, pourtant, n'est pas nul. Signalons pour mé-noire (mais c'est par cette lésion, au fond, que la maladie:inètre dans le corps doctrinal) le rejet de la doctrine apos-:olique de l'Ecriture ; Ricæur ridiculise < un concept psy-;hologique d'inspiration, comme si les auteurs répétaient'.ine parole qui leur a été murmurée à I'oreille ; 162. p25-

sons. Le premier déficit dont il faut ensuite prendre cons-cience concerne le sujet qu'il a tant travaillé, la symboli-clue eui dit le surgissement du mal. Après avoir si biendiscerné I'originalité de la Genèse, après avoir si bien com-pris la portée d'un récit qui donne un commencement /ris-rorique au mal, Ricæur tombe dans I'illusion qu'il peutlairc < comme si > : i l veut garder le profit de sens, sépa-rer avec la Bible < finitude et culpabil ité>>, cornnte si lachute était historique, tout en supprimant I'historicité r6e-.r Ce que nous savons en hommes de science des débutsde I'humanité ne laisse pas de place pour un tel ér'éne-ment primordial. > 164 Bigre, quelle assurance ! Il est pos-sible d'être plus circonspect 165. Ricæur se montre très durpour le dogme orthodoxe du péché originel : < histoireabsurde >, < spéculation pseudo-rationnelle >, < historicis-me naïf du fondamentalisme )> 166. Lui qui toujours se mon-tre si courtois pour ses adversaires, glisse dans la railleriefacile : <( ... non pas un singulier monsieur très ancien, toutseul avec sa femme dans un jardin, et qui aurait transmispar voie de génération physique sa méchanceté très singu-lière et très privée )> 167. Et ce n'est pas impunément : Ri-cæur ne peut pas faire totalement << comme si > ; le senss'altère. On s'en aperçoit quand Ricæur, commentant le(comme si> déjà présent chez Kant, rejette le <<en Adam>

1d0 <(L'herméneutique du témoignage>, Le témoignage, p. 45.En réalité, I'article du Kittel n'est pas de Kittel mais de Strathmann.

t9t Ibid. p. 46.182 Exegesis, p.224.163 SM, pp. 234 s. (non plus succession mais surimpression) ; cf.

p.220 note: <I1 faut garder I ' idée d'événement comme symbole... >164 5M,p .220.tes psnsn (!) parlait de petites < sciences conjecturales > pour

désigner l'histoire ; que dire de la préhistoire ? Cité par NicolasCorte, Zes Origines de I'homme (Je sais - Je crois, No 29 ; Paris :A . Fayard , 1957) ,p .79 .

ras c ( ,P .280; c f . sM,p .224.to1 HV, p. tI5.

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biblique au profit d'un << comme Adam > qui n'est quepélagien roa. Qn s'en aperçoit surtout quand Ricæur re-vient de la nette division entre finitude et culpabilité. Ainsiil juge le mythe tragique, le mythe du < Dièu méchant >(du mal comme catégorie de I'Etre), ultimément < invin-cible > 16e. Il consent à < enténébrer aussi le divin > 170. Jlse méprend, croyons-nous, sur les données qu'il invoquepour ainsi mitiger les premières thèses : la présence duserpent de la Genèse, le livre de Job. Et s'il se méprend,c'est qu'une pensée sur le mode du < comme si >> n'a pasla force de résister victorieusement à l'attrait des interpré-tations métaphysiques du mal.

Lorsqu'il se place sous I'influence du pôle tragique, Ri-cæur attaque la < vision éthique > du monde et le < mono-théisme moral > 1?1. Certes, si nous acceptions de définirI'essence de la vision morale du monde et du mal comme< " explication " mutuelle du mal par la liberté et de laliberté par le mal >> 1?2, nous la refuserions nous aussi. Nousaffirmons le monothéisme trinitaire strictement moral (lepéché est faute ; la faute, péché) mais nous refusons d'<< ex-pliquer > le mal par la liberté : I'origine du mal demeuremystère impénétrable, sous la souveraineté de Dieu qui estlumière (nous n'essayons même pas de commencer l'expli-cation à I'aide d'un concept de faillibilité métaphysique) ;et nous refusons vehementer d'expliquer la liberté par lemal (Ricæur résiste-t-il à cette tentation? r7B). Mafu queRicæur n'en ait pas seulement contre une vision que nousréprouverions avec lui, qu'il rejette la vision morale del'Ecriture, voilà qui est, hélas ! évident. Ainsi, pour lui,< ce qui peut et doit être démystifié c'est la fausse trans-cendance de I'impératif > ; c'est idole qu'un devoir préten-dûment édicté par Dieu ; il n'y a d'obligation que dansI'exigence de notre désir d'être 174. L'aversion de Ricæurpour la morale du commandement et son effort pour tirerl'éthique du désir s'annonçaient d'ailleurs dès 1950 175. Lesconsequences ne surprennent guère: <...Ie dieu de I 'accu-sation et de la condamnation. Tel est le dieu qui aéchoué. > 1?6 Ricæur appelle de ses væux le < prédicateur

1æ CI, p. 425.188 SM, pp. 242,289ss. (291 : destin qui est faute, <inéluctable

culpabilité >), 299, 304.170 CI, p. 305. 171 P. ex. SM, pp.299,303.tzz CI , p. 297 ; cf . HF, p. 14.173 SM, p.237 note; péché, <promotion de la conscience de

soi > ; pp. 255 s.t74 CI, pp. 33I,336 s.; cf. pp. 442s. (le reproche fait à Kant,

plus lucide sur ce point, paraît embarrassé).175 V!, pp. 77, 25L ; cf. pp. 24, 72.t78 CI, p. 436.

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prophétique > qui actualiserait le message de I'Exode en

.te prononçant < jamais un mot d'interdiction et de con-

damnation > rzz. Qu'on relise Michée ou Jérémie sur cegenre de prophètes... ! L'apôtre Paul sert de caution, avec

ia doctrine de la justification, mais il est compris d'une

rnanière antinomienne, illégitime 1?8. l3 conséquence laplus désastreuse, c'est le rejet virulent de la < théologiepénale > ; le Serviteur souffrant, figure centrale, n'a pas,

pour Ricæur, < porté nos iniquités )) au sens biblique de

i'expression, il nta pas subi à notre place-le châtiment que

nous avions mérrtér7s. La critique ricæurienne s'habille depsychanalyse : u Que la mort du Christ puisse être ins-

ôrite dans la lignée des rejetons du fantasme du meurtreparternel... celi ne fait pas de doute > pour lui, mais il

èroit que ce fantasme peut être élevé au symbole ; au con-

traire u I'histoire de la théologie abonde en interprétationspurement punitives et pénales du sacrifice du Christ qui

àonnent entièrement raison à Freud : tant le fantasme du

meurtre du père et du châtiment du fils est tenace ) 180'

Cette < mytho-logique > est < la plus captative, la plus fal-

lacieuse ',ier. quelie âpreté ! Elle trahit la difficulté de

Ricceur devant les textes. Il a l'æil assez exercé pour per-

cevoir que la < théologie pénale paraît indissociable du

christianisme, du moins en première lecture ; 182. p6$31-

rassé, il recourt, pour la déconsidérer, à une caricature de

la loi de rétributi,on si nette dans la Bible (voir Rm. 2. 5-

8, et aussi 3.25 . les péchés laissés impunis au temps d9

li tolérance vétéro-tesiamentaire devaient être expiés) : il

s'agirait, selon Ricæur, de l'équivalence d-'yn mal physique

et â'un mal moral - absurdité dont la dénonciation n'est

pas une prouesse I 183 Jl ne peut nier que la justification

ielon saint Paul s'exprime dans un '< cadre juridique.>,

mais il en fait une simple < mise en scène > ; il ne peut nier

que I'acquittement, < pris à la lettre, est encore un acte

liOiciaire >>, mais il poie la question rhétoriqu-e : << le- ver-

âi"t d'acquittement n'esçil pas un non-verdict ? > 184 L'ha-

bileté se iait trop voyante... Ricæur ignore la rigueur logi-

que du développemênt pauliniet (RT.., 3 ; Ga. 3) et il

Àuttq.r" le vrai- o paradoie > de la justification : que Dieu

se màtrtre iuste tout en iustifiant, qu'il ne laisse pas lespéchés impunis tout en acquittant le coupable. S-egfe laiatisfaction vicaire le permettait, et c'est pourquoi il n'apas été possible que cétte coupe s'éloigne du Fils. Quandili"æur écrit des ihéologies de la satisfaction vicaire qu'el-

177 CI, p. 438. 1?8 Déjà SM, pp. 135 ss.17s SM-p. 302 ; F,p. 515 ; CI, pp. 348-369, 482.r8o c/, pp. 480,482.s t ç i ,n .365. ' Lez C1,p .352. ns C l ,p .349. 184 C l ,p .367.

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les ( restent des théologies de la peine et non du don de lagrâce >> ter, c'est l'incompréhension la plus désespérante ducæur de I'Evangile.

A la place Ricæur célèbre une < logique de la surabon-dance >>, qu'il rattache au <( combien plus > de Romains 5.Ce < combien plus > paraît résumer ion évangile, souventassocié aux formules <( en dépit de... > (en dépit du mal)et < grâce à... > (grâce au mal, qui se montre, a posteriori,mystérieusement nécessaire) tao. Serait-ce une réminiscencede la générosité de I'Etre chère à Gabriel Marcel ? < Eco-nomie de la surabondance >, < logique du surplus et deI'excès >, < folie de la Croix > : les belles phraies de Ri-cæur caressent I'esprit, mais elles négligent le sens du< combien plus > dans I'argumentation a fortiori fort pré-cise de I'apôtre Paul (Rm. 5) et surtout elles laissent leIccteur dans Ie vague là où I'Ecriture l'enseigne sans équi-voque : sur le comment du don de la grâce et l'æuvre duchr is t en sa mol t rN7.

Sur la résurrection, nous devons lire entre les lignes, tantles allusions sont brèves. Le tombeau vide, les apparitionsmiraculcuses, semblent bien pour Ricæur un langàge d'épo-que pour dire la victoire sur la mort, et qu'il faut démytho-logiser 188. En réponse à une question précise sur ce point,Ricæur se situe très près de Bultmann 18e. Il paraît approu-ver Hegel quand celui-ci interprète la résurrection du Filscomme la transfiguration de sa mort < en l'universalité del'esprit qui vit dans la communauté > 1e0. Quelle consis-tance garde donc l'événement localisé, daté, qu'attestentles témoins oculaires ?

Quelle consistance garde l'événement chrétien, globale-rnent considéré ? Telle est peut-être la question décisiveque provoque I'interprétation ricceurienne de la Bible.Pierre Barthel, malgré sa sympathie pour l'herméneutiquedes symboles, s'inquiétait dès 1963 d'une tendance au< symbolisme théologique >, qui méconnaîtrait I'agir deDieu 1e1. Ricæur, depuis, semble avoir cédé davantage auxinfluences de Bultmann, Freud, Hegel, Heidegger. Avecune constance alarmante, Ricæur parle de la Croix comme

18s C l ,p .369.: 'u SM,pp. 254 s . ; F , pp . 507 s . ; C I , pp . 306s . , 367s . , 400s . ,

429.- _

1e7 Le langage de Ricæur reste étrangement chosiste. En 1960,Ricæur admet que le < mal subi > par le Serviteur rachète le u maicomnris>> (SI. l , p.301,), mais comment? I l aff irme qu' i l y a dansla chrisloiogie une < inversion > du tragique ; mais la métaphore deI'inversion, spatiale, n'est pas expliquée (SM, pp. 305 s.).

188 (< La critique de la religion >>, CPE,p. L4.rse Entretien rapporté dans Foi-Educarion, No 81, pp. 54 s.lso CI, p. 483. te1 P. Barthel, op. cit., p.380.

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s))mbole, et ne paraît pas lui attribuer un autre rôle. Lanouvelle alliance, le royaume de Dieu, la nouvelle nais-sance, ne font pour lui qu'une proposition de monde, com-me le < dire > du poète. Les signes bibliques éduquent etiorment la foi, < souci ultime > Qui, sans eux, resteraitmuet ; la conclusion confirme : < c'est d'abord à mon ima-gination que le texte parle en lui proposant les < figuratifs >de ma libération rv 1e2. |rJe semble en vue que l'éducationt9ildung) par les images (Bilder). Les images issues del'involontaire qui donnent à penser, manifestent l'être etpermettent d'habiter le monde. Le kérygme, interpellationdu Tout-Autre, ne diffère plus radicalement du sentimentde la Présence, de la manifestation de l'être qui remplitles symboles ; mais il s'exprime dans un symbolisme pri-vilégié, assez fort pour organiser autour de lui < I'espacede gravitation > des significations religieuses.

Ricæur parle parfois d'événements-signes: aurait-ilquand même autre chose en vue ? Hélas ! alors qu'il insistesur le caractère historique de la foi d'IsraëI, il sépareHistorie et Geschichle ; il envisage < un devenir, un ér'é-nement, rnais qui n'est pas chronologique, mais (qui est)celui même qui est confession... >, une < histoire de lavenue de l'être > qui n'est pas < I'histoire vraie que I'his-toire scicntifique rétablit t re:l. l'6$jectivité de l'événementvacille, et sa fonction reste celle du signe (dire de l'être).Ce n'est pas pour nous l'événement rédempteur de la pro-clamation apostolique. Plus énigmatique, la proposition desubstituer à une <<logique de l'être>> une <<histoire sensée>>'<un devenir de l'être>> où le tragique du mal'.. serait à lafois reconnu et surmonté > fait davantage penser à un agirdivin objcctil roa, et de même l'idée que le passage de l'éco-nomie de la loi à celle de la surabondance serait < commeun événement dans le divin, comme un avènement dansle Sacré ; 1e5. piç611r, c'est clair, ne veut pas réduire l'évé-nement à la seule décision de I'individu, à son auto-com-préhension au sens étroit. il cherche à le lester de poidsontologique. Mais comment ? D'après le contexte, Ricæurprend ici ses distances de Hegel au moment où il se rap-proche de lui: il objecte à une logique de l'être parce quela nécessité de la logique étouffe le possible ; il ne dit rien

192 Les données des dernières phrases sont prises d'Exegesis, otu'vrage récent, pp. 222-228. En 1964, Ricæur disait déjà que la <<.thé-maiique fondâmentale de la Révélation >>, c'est < l'éveil... de I'ima-gination du possible >, in < La critique de la religion... >>, CPE,' p.3I-

1s3 Les incidences, pp.79, 81. Même l'article exceptionnellementpositif, ( L'herméneutique du témoignage >, retombe dans la théo-iie d'une tension entre confession et narration, pp. 47 s., 54 s'

1ea CI, p. 310.tss CI, p. 369 ; cf. SM, pp. 305 s.

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contre l'idée que I'histoire du monde serait la vie de Dieu.L'événement dans le divin (dans le divin) ne peut guèrese comprendre comme l'intervention, ephapax, d'un Sei-gneur qui domine I'histoire ; puisque l'être, I'absolu, semanifeste dans la dialectique des figures culturelles, l'ab-solu est engagé dans l'émergence des figures nouvellesassociées au kérygme chrétien ; ainsi il devient dans ledevenir des hommes. Il n'y a pas agir divin en face del'agir des hommes, mais avènement du divin dans I'avè-nement des signes ; il n'y a pas vis-à-vis (alliance) maisprofondeur et englobement leo. Le tragique du mal peutêtre incorporé à cette histoire parce que c'est lui qui im-pose le dessaisissement de soi: or le dessaisissement de soipourrait bien être la loi première et dernière, I'autre nompour I'amour.

Ricceur ne cache d'ailleurs pas sa sympathie pour I'in-terprétation hégélienne de la mort de Dieu, < mort de latranscendance séparée rr, du ,. Dieu là-haut > remplacé parle < Divin comme esprit immanent à la communaul$ > 1e?.Il y voit le suprême dessaisissement. Il peut traiter de< conversion diabolique > I'objectivation < de la métaphy-sique qui fait de Dieu un étant suprême > 1e8. Si, depuisNietzsche et Freud, le dieu du monothéisme moral et des< arrière-mondes > est réfuté, Ricæur espère montrer< I'identité profonde du Toi suprême (de Kierkegaard) etdu Deus sive natura (de Spinoza)> ; il souscrit au théorè-me spinoziste : << I'amour de Dieu envers les hommes etI'amour intellectuel de l'âme envers Dieu sont une seule etmême chose >, théorème qui détruit la structure de vis-à-vis entre le Créateur et la créature lee. Tout et Tout-Autre (l'accent se déplace du second thème au premier),le divin selon Ricæur reste asservi à I'oscillation du mo-nisme et du dualisme, comme toute théologie païenne. Decette oscillation, I'Ecriture délivre par sa métaphysique ori-ginale, si on veut I'appeler comme ça, la révélation duDieu trinitaire, Créateur unique et souverain, capable de

1s0 Dans < L'herméneutique du témoignage >, texte exceptionnel,I{icceur va jusqu'à parler de d.eux actes: ( L'acte d'une consciencede soi qui se dépouille et tâche de se comprendre, I'acte de témoi-gner par quoi I'absolu se montre dans ses signes et ses æuvres r, (p.59). i\4ais (1) la problématique reste celle des signes et de la mani-festation ; (2) \a réciprocité des deux actes s'explique ainsi : < Réci-proques sont la promotion de la conscience et la reconnaissance deI'absolu dans ses sigles > (ibid.) ; les deux actes sort humains (cf.p. 60: I'acte du témoignage est l'acte d'une autre conscience humaine).

107 CI, p. 482; il dit même : la mort du < Tout-Autre > ; nousserions surpris, cependant, s'il reniait le Toi kierkegaardien.

1s8 -F', p. 509.lso F, p. 527 et CI , p. 347.

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susciter un partenaire d'alliance radicalement distinct ettotalement dépendant de lui.

On n'a pas assez noté l'étonnante affinité avec la penséede Paul Tillich, dont nous n'avons jamais lu le nom sousla plurne de P. Ricæur. Certes, les styles s'opposent. Lalourdeur teutonique, l'assurance imposante de celui-là, tan-dis qu'il boucle le système, contraste avec l'élégante agilité,le chatoiement de suggestions peu appuyées, chez notrephilosophe. Mais Tillich s'en prenait aussi au Dieu qui estun être. Son monisme se mâtinait de dualisme (il conser-vait une dialectique), et son < Etre-même > était censé sesituer au-delà du personnel et de l'impersonnel (Toi etTout). Il faisait (d'une façon grossière si on compare avecRicæur) grand usage de la notion de symbole. Pour luiaussi, Ie péché n'était pas < transgression d'une loi, maisséparation, déracinement > 200. Son interprétation de lakénose de Jésus comme le Christ peut correspondre au des-saisissement de soi ricæurien, voire à I'inversion du tragi-que. et le < Nouvel Etre > à la seconde naïveté (Ricæur asans doute pensé à la nouvelle naissance, car naiveté estnativité). Nous gardons I'espoir que Ricæur préserve da-vantage de la vérité révêlée que Tillich ; les convergencesdes cierlr penseurs, néanmoins, nous attristent ; nous nepouvons pas dissimuler la désastreuse déperdition q,uei'herméneutique ricæurienne entraîne. L'arbre est-il mala-de pour que ses fruits soient si décevants ?

Les pail les de l 'épée

Parmi ies penseurs du siècle, Ricæur se signale par lesoin qu'il apporte à la preuve : il cite ses autorités, il exposeses raisons, il enchaîne patiemment les considérations per-suasives. Il ne vaticine pas comme tant d'autres, ni nephilosophe par calembours. Nous lui en sommes immen-rément-reco.tnaissant. Néanmoins, quelques pailles affai-blissent I'acier du glaive démonstratif. Nous osons endésigner quelques-unes, quitte à courir le risque d'uneréplique en termes de poutres !

L'effort pour assimiler la science des linguistes tient duprodige ; peut-on faire, ébloui, totalement crédit ? Ricæurapporte lui-même une excellente preuve qu'il est un hom-me faillible : il se corrige parfois lui-même. Nous avonsdéjà noté l'évolution qui concerne le symbole. D'abordbrutalement séparé du signe, et nimbé de mystère' le sym-bole est expliqué plus tard comme fonctionnement parti-culier de la polysémie que connaissent tous les mots deslangues naturelles. Autre exemple : en 1966, sous I'influen-

zoo polmsls tillichéenne de Ricæur, CI, p. 363.

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ce de Jakobson, Ricæur faisait correspondre au ( rapportsyntagmatique >> de Saussure, qui << enchaîne (dans le dis-cours) des signes opposés dans une relation in praesentia >>,la métonymie, alors que la métaphore correspondait au< rapport paradigmatique puisquq pour opérer des substi-tutions, elle sélectionne parmi des signes âbsents (groupésdans le code mémorisé, ou paradigme) 201. Nous- aviônsobjecté: < La métonymie n'enchaîne pas ln praesentia maissélectionne in absentia >, et ainsi substitue, elle aussi 202.Or, en 1975, Ricæur expose longuement Ia thèse de Jakob-son et en fait une critique qui nous ravit : il observe qu'ellenéglige la coupure entre langue et parole (avec la nou-veauté de Ia phrase) 20s ; et c'es| lui qui fait valoir que lamétonymie est une substitution | 204 Fort éclairante aussi lacomparaison de deux textes déià cités : < Evénement etsens dans le discours > (1971) eit manifestement une ver-sion remaniée de < Problèmes actuels de l'interprétation >(1970). En 1970, Ricæur faisait de la mise pai écrit unecoupure radicale : < la relation écrire-Iire n'est pas un casparticulier de la rclation parler-répondre >>; < le l ivre éta-blit une sorte de fossé entre I'acte d'écrire et I'acte delire, et entre ces deux actes il n'y a pas de communica-tion > ; le texte est mis <( comme hors situation )> pour seplacer dans < le quasi-monde des textes > ; d'où tà tégiti-mité de I'approche structurale : < la langue constitue ainsiune sorte de langage sans auditeur, sans < parleur >, etc'est cette espèce de solitude de la langue par rapport àla parole qui sert de modèle à la solitude du texte parrapport au dialogue >) 205. En 1971, 11 se défend de tenir<< comme J. Derrida, l'écriture pour une racine distinctede la parole > ; < I'inscription... est la vraie destination dudiscours > ; en répudiant toute idéologie du texte absolu,Ricæur rend au texte sa référence, et il reconnaît que dansl'écrit : < le lien du locuteur au discours n'est pâs aboli,mais distendu et compliqué > 206.

Malheureusement, Ricæur ne tire Das toutes les consé-quences de redressements qu'il opère. Ainsi (restons dansle dernier exemple), I'interprétation continue à ses yeux de< porter le texte à la parole )), un texte prétendûment< muet > :r07 ; mais le texte est parole si la coupure discours

201 CI, pp. 71 s.20: ( Paul Ricæur dans le conflit des interprétations >, Ichthus,

No 10 (février 1971), p.26, note.2o3 MV, pp,224,228.zoa MV, p. 229.205 < Problèmes actuels... >, CPED, pp. 57, 58, 60.206 <<Evénement et sens...> Philibert, pp. 179, 180, 181 ; cf. EH,

pp. 47 ss. (publ ié en 1971).207 lbid.,p. I84.

À.,

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parlé I discours écrit n'est pas radicale ! Ricæur va jusqu'àcette thèse... inconsidérée, << la reprise du sens n'a rien àvoir avec la répétition de I'intention initiale de la situationoriginelle > zoe. 12 reprise du sens de l'épître aux Romainsn'a rien à voir avec I'effort pour retrouver et adopter I'in-tention de Paul ! Ricæur a-t-il suivi cette règle en interpré-tant le < combien plus > de Romains 5 ? Quelques annéesplus tard, il semble oublier de nouveau que le lien dulocuteur au discours écrit n'est pas aboli: < l'écriture rendle texte autonome à l'égard de I'intention de I'auteul ; 20e.

Nous nous inscrivons en faux contre la séparation arbitrairede la parole et de l'écrit (il suffit de mettre des majusculespour deviner l'enjeu théologique). Ricæur ne rend plausi-ble la séparation qu'en choisissant des extrêmes : tout lemonde sent une différence entre les modalités de la con-versation et de l'imprimé littéraire ; mais si on compareune lettre intime et une conférence savante, c'est la lettrequi a les privilèges que Ricæur attribue à la parole, et laconférence, I'objectivité qu'il lie à l'écrit ! En réalité, lelien du locuteur à son discours peut être compliqué den-rille manières, et la mise par écrit n'est qu'un des facteursdc cette complication ; jamais le lien n'est aboli, et qui veutfaire comme s'il l'était maltraite inéluctablement le donné.L'erreur n'est pas innocente. L'effacement du locuteur,dans la croisade ricæurienne contre le psychologisme, re-flète l'effacement de Celui qui parle dans le texte qui estParole de Dieu ; il sert au fond à dissoudre le monothéis-me moral. Plus consciemment, Ricceur détache le texte deson auteur pour justifier le détour structural, pour faireplace à I'explication objective dans le procès de la compré-hension : il en a besoin parce que sa < compréhension >a le caractère d'une appartenance immédiate (tendancemoniste) et son objectivité scientifique une stricte autono-mie (tendance dualiste) ; la structure biblique Créateur-créature permet de rejeter, sans antinomie, aussi bien cetteirnmédiateté que cette autonomie.

Nous ressentons une gêne semblable devant la dialecti-que de l'événement et du sens, qui s'associe à la séparationparolelécrit. Ricæur affirme : < De même que la langue,en s'actualisant dans le discours, se dépasse comme sys-tème et se réalise comme événement, de même, en entrantdans le procès de la compréhension, le discours se dépasse,cn tant qu'événement, dans 1a signification. )) 210 Ricæur vajusqu'à parler de << suppression de l'événement dans le

2r8 lbid., p. L86.rts Exegesis, p.209 ; cf. p. 210.210 Exegesis, p.204 ; cf. < Evénement et sens... >, pp. I79,183.

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sens ) 211. Il oppose la fugacité de I'un et la permanencede I'autre, et même << I'irrationalité de l'événement et larationalité du sens ) 212. Nous n'estimons pas ce langageadéquat, et nous ne pensons pas qu'un linguiste nous don-nerait tort. La langue se dépasse-t-elle dans la parole ?Un organon ne se dépasse pas quand on s'en sert ! L'évé-nement du discours, sa profération, se dépasse-t-il ? Il alieu, cela suffit, et subsiste à jamais le fait qu'il a eu lieu(< parfait >), avec les éventuelles conséquences. L'événe-ment se dépasse-t-il dans le sens ? C'est la notion la plusbizarre : à la rigueur comprendrait-on qu'il se dépasse dansun état, ou dans un processus, peut-être dans une institu-tion. Et pourquoi le dire irrationnel ? Une autre idée, sou-vent répétée, nous semble sujette à caution. Ricæur pensequ'il faut la structure pour encadrer et discipliner la poly-sémie, sans quoi on aboutit à une < hémorragie du sens >>,les mots veulent trop dire et ne veulent ainsi plus rien dire ;souvent Ricceur ajoute que l'économie biblique, la struc-ture de I'histoire du salut, discipline ainsi la polysémie desmots clés de la Bible zrn. Or, si I 'on se place au point devue structural que Ricæur semble adopter, il n'y a pas desens d'un terme avant la structure : le sens est relation destructure ; pas question de discipliner ce qui n'existe pas.Si on conteste la réduction du sens aux relations structu-rales (ce que nous ferions), il ne faut pas dire que la struc-ture limite la polysémie : elle n'empêche pas la métaphorevive d'ajouter librement à la polysémie ; la seule limile,ce sont les conditions d'efficience de l'organon (à tropmétaphoriser on ne se comprendrait plus). D'autre part,nous refusons de confondre la structure de la langue avecl'économie de la Parole biblique (même le structuralistedénoncerait la confusion du structural et du structurel).Ailleurs encore, nous mettrons des points d'interrogationen marge des textes ricceuriens. C'est instituer une curieusesymétrie entre langue et parole que de faire du mot unéchangeur entre elles ztr ; y a-t-il échange entre un organonet son usage ? Si l'étude de la métaphore progresse avecrigueur, ne généralise-t-on pas trop vite quand, du chan-gement de référence qu'opère la métaphore, on saute àcette théorie démesurément élargie : < la > littérature et< Ia > poésie suspendent la référence ordinaire pour se ré-férer à l'être comme pouvoir-être, à un monde pré-objectif,

211 << Evénement et sens... >, p. 179,2r2 Exegesis, p.207.'13 CI, pp. 61-63 (atténuê, p. 94); <Contribution d'une ré-

flexion... >>, Rev. Théol. Phil., p. 339 ; < Problèmes actuels ), pp.53 s. : Les int'idcnces, p.

'1.5.

214 CI, p.93 (pp. 80, 86: antinomie langue-parole, dit Ricæur).

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anté-prédicatif et pré-catégoriel, en un mot: heideggerien?Ricæur nous oblige soudain à des bonds vertigineux, etsans crier gare ! Et pourquoi encore ce langage < chosiste >,:ânS c€SSe, pour le sens ? Il est question de sens < inerte >Jans le texte, de < surplus >> de sens, jusqu'au risque d'hé-:rorragie... Et ces métaphores ont I'air d'être prises litté-:a lcment .

C'est enfin toute la théorie des trois niveaux du langage,iangue-parole-dire, qui pipe les dés. Nous applaudissonsçuand Ricæur résiste au terrorisme de l'idéologie structu-raliste, et qu'il fait valoir ce que décrit une phénoméno-losie de la parole. Nous le suivons avec gratitude. Mais;a célébration du troisième niveau fait retomber de lanarole à la langue (< la langue parle >) ; le < dire > indé-:crminé, où personne ne dit rien de précis à personne, nese précise guère quand Ricæur ajoute les expressions, va-cues à souhait, de < proposition de monde > et de < pro-rection des possibles les plus propres >. Un tel dire n'existepas ; si certaines paroles tendent vers lui, comme le mythequi n'est < ni dans la langue ni dans la parole t, 215, c'estdans un effort pécheur pour paraître par soi, paroles irres-oonsables, qui veulent se soustraire au jugement de Dieu'En réalité, toujours quelqu'un dit quelque chose à quel-11u'un, vrai ou faux. Certes, nous croyons aussi qu'il y fautun fondement ontologique, que la réalité soit dicible ; etnous confessons qu'elle l'est parce que toute réalité a étéformée par la Parole de Dieu et subsiste par son soutien(Hé. 1. 3 ; 11. 3). La dimension ontologique n'enlève rienà la netteté de la notion de parole - toujours, dans I'Ecri-ture, commandement, jugement, promesse, etc. On peutd'ailleurs noter que même la phénoménologie de la parolereste chez Ricæur en deçà de cette netteté: par la parole,conclut-il, < le sujet se pose et le monde se montre >. Ilfaut dire bien plus : le sujet juge le monde, et il est appeléà le faire en conformant son jugement à celui de Dieu.

Les défaillances en matière linguistique ne sont pas in-nocentes. Presque toutes, elles facilitent I'opération quidétrône la parole au profit du < dire >. Si Ricceur concèdetant aux structuralistes, s'il fait le détour pour les enrôler,c'est qu'ils servent son dessein : exalter le < dire )> sanslocuteur défini, sans contenu de jugement, sans obligationde répondre oui, oui, ou non, non.

Le soupçon crédule

Le détour par I'herméneutique réductrice, soupçonneuse,sc solde lui aussi par des concessions regrettables.

2t5 Les incitlences, p. 35 (suivant Lévi-Strauss).

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C'est un combat valeureux que mène Ricæur pour limi-ter les prétentions des soupçonneurs. Nous n'hésitons pasà exploiter les succès qu'il remporte. Nul ouvrage n'a pluscontribué que I'Essai sur Freud à former notre compréhen-sion de l'æuvre freudienne, et nous ne l'oublions pas. Ri-cæur a bien vu que nous serions sots de gober tout cequ'ont dit Marx, Nietzsche et Freud : il faut soupçonner ennous ce qui soupçonne, a-t-il su avertir, il faut << faire vacil-ler I'assise de notre discours présent > zto.

Que n'a-t-il fait davantage ? Plus qu'aucun autre, il enaurait eu les moyens. Mais il a reculé devant la duretéd'une contestation radicale. Il a fait comme si l'æuvre deces hommes s'imposait en tout état de cause. Il a préféréincorporer leur athéisme à sa foi, accorder à Freud que lamort du Christ est un rejeton du fantasme ædipien (ce quimontre à quel point la Croix est pour lui de I'ordre dusigne culturel, du symbolisme; ztz. Ricæur aurait pu remet-tre en cause, profondément; d'autre ont eu le courage dele faire, avec plus ou moins de bonheur 218. Il n'a pasdénoncé les mythes qui orientent et désorientent les hermé-neutiques rivales. Il n'a pas discerné I'incroyable crédulitéqui se cache dans le soupçon.

L'insuffisance de la critique ricæurienne ne s'expliquequ'un peu par le tempérament, le væu d'amabilité, I'intelli-gence assimilatrice plutôt que tranchante. Si notre philo-sophe n'a pas résisté davantage, c'est que sa pensée possé-dait bel et bien des < structures d'accueil >> toutes prêtes ;par exemple, dès 1950, le < courage (!) de le biffer (ledésir de Dieu) de la cosmologie objective >) 21e. Le consen-tement ricceurien à tous les détours procède de I'optimismericæurien et de sa notion de vérité, de son < espérance >,pour user de son langage, que tous les grands penseurs sont< finalement dans la même vérité de l'être > 220. Cette < es-pérance > se brise sur le jugement de Dieu qui taxe defolie la sagesse des Grecs (1 Co. 1) ; car, si Dieu a crééles hommes droits... (Qo. 7. 29). Mais, bien sûr, Ricæur

ztd q f3 critique de la religion >, CPE, p. L8.217 Jl y a peut-être un rapport entre l'(Edipe et la mort du Fils

de Dieu, mais il faut renverser d'abord l'ordre freudien : compren-dre que la paternité humaine (que l'(Edipe concerne, dans sa con-dition déchue) est le reflet institué par Dieu de la paternité divine(Ep. 3.15); que le Fils éternel, un avec le Père, assumant la res-ponsabilité de ses frères, s'est librement placé sous le châtiment queméritent et redoutent les fils rebelles dans la situation ædipienne- dont ils redoutent, plutôt, l'analogue obscurci et déformé parle péché.

218 A propos de Freud, signalons les travaux extraordinairementstimulants d'Alain Besançon (Ecole Pratique des Hautes Etudes ;tevùe Contrepoint).

21s VI,p. 181. 220 HV, pp. 10,55 ss.

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:efuse ce Dieu distinct du monde, personnel et souverain,:r'ec qui nous sonmes en guerre ou en paix, menteurs ouJociles, transgresseurs de l'alliance ou serviteurs-fils gra---iés.

L'il luslon de I'autonomle

Affirmer, avec l'Ecriture, l'égarement de la pensée dupécheur, I'obscurcissement de son <( cæur >>, c'est nier I'au-ronomie de cette pensée. Aborder ce problème, c'est tou-cher un point sensible de la philosophie ricæurienne: àcause de sa lucidité, de son exceptionnelle lucidité !

Ricæur, nous I'avons vu, affirme I'autonomie de la pen-sée rationnelle, scientifique et philosophique; il préservel'héritage cartésien, l'auto-position du < Je pense )> 221. Maisson apport original est ailleurs. Le savoir que le Cogitotire dè-lui-même, souligne-t-il, est abstrait, vide et vain;il a besoin d'être nourri par les symboles, formé par lesfiguratifs. De plus en plus Ricæur dénonce le narcissismedu Cosito initial : sa certitude est sans vénté ; c'est unfaux C-ogito qu'il faut humilier. Il semble rejoindre, alorsla révélation biblique de I'aliénation du ccur et de sespensées.

Attelage disparate, pensons-nous. L'autonomie radicalen'est pas compatible avec l'aliénation radicale. Ricæura conscience d'un premier problème, car on le voit manæu-!'rer pour éviter l'écueil : comment une philosophie auto-nome peut-elle se laisser instruire par ce qui est autre qtJela raisôn ? Cette question, traitée à la fin de la Symboli-que, puis au début de l'Essai sur Freud, le préoccupe -en-core àans le dernier chapitre de la Métaphore vive : 1l yétablit I'autonomie du discours spéculatif à l'égard du poé-tique, en même temps qu'il invite la philosophie à usern àes ressources métàphoriques du langage pour créer dusens >> 222. Comment est-ce possible ? Ricæur répond quela pensée spéculative en a besoin, et que l'opération- estpossible grâie au lien du langage : les symboles sont dansie langagé, la poésie est au service du langage, comme l'estaussi le discours du philosophe. La réponse ne reste-t-ellepas trop loin du næud de la difficulté - qui-est la-riiffi-ôulté du næud ? Qu'on montre que la jonction doit se faire ;

,21 En 1950, Ricæur paraît exclure I'auto-position (VI, pp. I7,31. 32) mais i l I 'aff i rme en 1960 (SM, p.331 : <l 'être qui se-poselui-même dans le Cogito >), très fort en 1965 (F, p. 50)' et le re-cueil publié en 1969 (Ct, pp.322s.). En fait, la pensée- est la mê--me : âuto-position non pai-ontologique mais épistémologique-(cf.F, p. 442 i < non-autonomie > du connaître, comme enraciné dansl'existence).

222 MV, p. 395.

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qu'on montre que la jonction doit pouvoir se faire ; onn'a pas montré comment elle peut se faire dans le cadrequ'on a tracé. Qui dit autonomie pratique une coupureabsolue ; il refuse toute commune mesure ; comment iètte-rait-il un pont sur la discontinuité ?

Le second problème nous intéresse encore davantage.Exclamons-nous : quelle lourde panoplie Ricæur accroc*heau seul clou du Cogito ! Autrement dit : l'autonomie dela pensée rationnelle, à partir du << Je pense >, joue un rôlemajeur dont la possibilité même fait question si le Cogitoest aliéné.Si le savoir du sujet qui se pose est abstrait, videet vain, si on trouve la conscience d'emblée mvstifiée. d'oùvient I'assurance de la phénoménologie dans sa prétentiond'atteindre l'originaire, de la critique historique dans saprétention de démythologiser, des maîtres du soupçon dansleur prétention de démystifier enfin ? Le mot < réflexion >n'est pas un mot magique qui résoudrait la difficulté; caril faut conduire sa réflexion. Ricæur semble présupposer(sans le dire) que I'aliénation laisse intact un pouvoir devérité, qu'elle laisse intègre une capacité de voir sans défor-mer, de juger avec une sûreté indiscutable, de démasqueret dissiper les illusions. Mais il est pressé des deux côtés :s'il affirme ce pouvoir (qui ne peut s'exercer sans inclurela connaissance des critères), il rend presque superflueson herméneutique : il suffit au philosophe de laisser cepouvoir se déployer. S'il le nie, par lucidité supérieurequant à I'aliénation, il remet tout en cause ; il ne lui resteplus qu'à prendre un tout autre chemin, sans détour.

La captivlté du mauvais motifLe dogme trompeur de I'autonomie accompagne fidèle-

ment le motif fondamental de la pensée humaniste. L'in-fluence cachée de ce motif d'origine religieuse (apostate)dément la prétention d'autonomie qu'il fait revendiquer.Ce motif antinomique Nature-Liberté tient I'herméneutiquede Rudolf Bultmann captive de I'erreur; I'herméneutiquede Paul Ricæur n'a pas réussi à s'en dégager.

Où Bultmann affirme et répète, avec une simplicité pres-que brutale, Ricæur joue, agile, des ressources d'un voca-bulaire varié ; il multiplie les médiations, change les éclai-rages, dialectise sans fin. On discerne, cependant, I'em-prise de la même antinomie. Ricæur ne la nomme qu'àI'occasion par le nom que nous lui avons donné, à la suitede Dooyeweerd, et qu'a retrouvé I'analyse de Bultmann ;ainsi Ricæur peut déclarer qu'il n'y a pas ( de solutionharmonieuse, de système de la nature et de la liberté > 223 '

zzs VI, p. 350.

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la réconciliation cherchée dans toute l'æuvre et par I'her-méneutique est < le retour de la liberté à la nature par lareprise du désir dans l'æuvre de culture ) 224. Plus souvent,le motif s'habille de couleurs diverses, au gré des contexteset des saisons : dans I'ordre de l'æuvre, c'est la dualité deI'ir;volontaire et du volontaire ; de la vie et de la volonté ;de la nécessité et de la liberté; de I'objectivité et de lasubjectivité zzs ; du fini et de l'infini ; de la perspectiveet du Verbe; du caractère et du bonheur; du désir vital etde l'anrour intellectuel ; du bios et du logos; de la force etdu sens ; du ça et du Soi; de la pulsion et du discours ; del'énergétique et de la sémantique ; du destin et de I'histoi-re:26 ' de < I'expérience ténébreuse de la puissance > et dela venue au langage ; de la compréhension et de I'expli-cation ; de l'appartenance et de la distanciation scientifi-que ; voire de la poésie et de la spéculation. Ces versionsne se recouvrent pas exactement. L'objectivité se loge par-fois du côté de la nature, qui prend un visage < positiviste >(comme chez Bultrnann) ; à d'autres moments, c'est plutôtla subjectivité : la nature se fait plus < romantique >>, et leCogito institue I'objectivité critique quand il s'arrache àI'immédiateté de la Présence. Les variations ne sont pasdues au hasard. Elles confirment la grande thèse ricæu-rienne de l'intrication des deux termes, et de leur conjonc-tion privilégiée dans les lieux que Ricæur aime habiter -

symbolisme, fantasme, figures de I'Esprit, poésie. Où Bulçmann aiguise impitoyablement l'antithèse, Ricæur ne mé-dite < sur la négation qu'avec l'ardent désir de la surmon-ls1 ss 227 ; il espère une synthèse : il promet une < dialecti-que à synthèse ajournée >) 228. Entendons-nous bien,l'ajour-nement n'est qu'une métaphore, car < le Dernier jour, pourla philosophie, ne peut être le rêve de quelque happy endà I'horizon fantomatique de nos combats )) 22e. L'antinomie,menacée de solution par I'idée-limite de synthèse ou deréconciliation, reste maîtresse du jeu.

L'influence de l'antinomie, même atténuée, cause les ten-sions que nous avons décelées. Grâce à I'atténuation, Ri-cæur peut épouser beaucoup mieux que Bultmann I'expé-rience vécue,l'Erlebnis. Mais, si fidèle que soit la descrip-tion de leur association dans le concret, le philosophe n'apas rendu compte de leur amalgame tant que les notions,antinomiques, s'excluent. Dans la vision biblique, les dis-

re4 F, p. 503 : nous n'avons pas eu accès à son article << Natureet liberté > cité en note.

225 VI, p. 398.228 F, pp.452 s. (nous ne donnons pas de référence pour les élé-

ments suffisamment documentés par I'exposé, supra).ztz yl, p. 419. 228 HV, p. L6. 22s HV, pp. 16 s.

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tinctions sont réelles sans donner lieu à division radicale:parce qu'elles appartiennent à l'ordre de l'unique créationdu Dieu unique. Le fondement de l'union vécue du volon-taire et de I'involontaire, etc., c'est la condition créée duvouloir : il n'est pas seulement borné, bordé, porté, parI'involontaire (ainsi Ricæur) ; il est comme vouloir unmode de dépendance, un < être déterminé > par le Dieusouverain qui produit en nous le vouloir et le faire selonson bienveillant dessein. Ricæur voit bien que la référenceà Dieu peut guérir la dualité de la nature et de la liberté,mais au lieu de remettre franchement en cause les deuxnotions pour honorer le SEIGNEUR dès le commencementde ses voies, il se contente d'une référence vague à unetranscendance nébuleuse, à un Etre sans visage: et I'anti-nomie subsiste.

Le motif Nature-Liberté provient de la sécularisation dela vision biblique ; il est post-chrétien. Bultmann a pousséle plus loin possible la logique de cette sécularisation sansque I'antinomie s'effondre sur elle-même. A quoi corres-pond l'atténuation ricceurienne ? Pour I'essentiel, ce n'estpas une marche arrière sur le même trajet. Ricæur n'estpas, simplement, plus < modéré > que Bultmann. Nousosons suggérer que Ricæur vient en aide au motif huma-niste affolé par une injection de vieux paganisme. Noustrouvons au Divin qu'il invoque, Tout et Tout-Autre, l'airgrec. Nous avons fait entendre l'écho de I'hymne à l'Eros.Nous avons commenté I'incorporation du tragique dans lafoi. La restauration de Job, démythologisé par Ricæur, ale même sens que Ia méditation pré-socratique du /ogoset de la physis : < IJne fois encore, écrit-il, le Livre de tobet les fragments d'Héraclite disent une seule et même cho-ss;230. Le dernier livre célèbre encore cette physis quiétait pour les Grecs principe divin des choses 231. Ainsi,pour remédier aux insuffisances de la théologie bultman-nienne, divisée entre un athéisme théorique et un théismeexistentiel, Ricæur rapproche singulièrement le Divin de lanqtLtre naturante; le panthéisme (à l'état seulement detendance larvée) est plus commode que le paradoxe bult-mannien ; peut-être est-il moins chrétien encore.

Le vieux paganisme, au contact d'une pensée post-chré-tienne, passe d'ailleurs par une mue. Le Tout ne peut plusne pas être historique. La physis, principe de la générationde ce qui croît, s'est révélée dans la dialectique des figuresculturelles. C'est pourquoi nous jugeons parentes I'inspira-tion paienne et I'inspiration hégélienne du dernier Ricæur.Il avoue son mouvement vers Hegel, fascinant et inquié-

230 CI, pp. 454 s. 2tt MV, p. 392.

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tant : pour lui, < une philosophie de I'interprétation n'estsérieuse que si elle est quasi-hégélienne, en tout cas tou-jours en débat avec Hegel > ; ce sera < une philosophiehégélienne malheureuse > 232.

Non, le logos de saint Jean n'est pas celui de Hegel zss,ni celui d'Héraclite. Le Divin qui met d'accord Kierkegaardet Spinoza n'est pas le Seigneur de l'Alliance. C'est pour-quoi la décentration du moi n'est pas sa réformation parDieu. La blesswe du Cogito n'est pas le crucifiement deIa chair. La < seconde révolution copernicienne >> n'est pasla conversion de la pensée saisie par la Parole et I'Esprit.

Pour une herméneutiquede la

repentance et de la confession

Etre plus radical : c'est de nouveau le mot d'ordre. Parsa radicalité exemplaire, et cependant insuffisante, RudolfBultmann nous l'avait appris. L'ceuvre de Paul Ricæurnous le fait entendre aussi, tout autrement ; l'échec de tantde finesse et de tant de savoir, l'échec, malgré la richessedes leçons dont nous avons tiré profit, nous crie de veillersur notre cæur plus que sur tout autre chose. Dans le cæurse forme le motif radical ; dans le cæur, la vérité du Créa-teur livre bataille aux mythes des hommes. Il n'y a de salutpour I'herméneutique que si la Parole de Dieu l'informe(au sens le plus fort) dès sa première démarche.

Une brève esquisse suggérera ce que pourrait être unetelle < information >.

Orientation premlère

Le premier présupposé d'une herméneutique qui con-sonne avec son objet, édifiée dans la foi, c'est le Dieu de laBible : le Dieu un et trine, donc autarcique - qui n'estpas comme I'Un des philosophes corrélatif d'un Multipleextérieur à lui 2e4 ; le Dieu éternel et vivant dont I'agir sedistingue de l'être, sans qu'il y ait en lui de changementou ombre de variation ; le Dieu créateur qui suscite devantlui une créature réellement distincte de lui, et totalementdépendante, sans monisme ni dualisme ; le Dieu souverain

e32 < Hegel aujourd'hui >, Etudes théologiques et religieuses, 49eanrrêe (1974), No 3, pp.353,354.

23s lbid., p. 355 (en réponse à une question, Ricceur déclare lerapport < extrêmement étroit >).

234 On reconnaît les expressions chères à Cornelius van Til.

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qui opère tout selon le conseil de sa volonté, et abhorrele mal qu'il permet ; le Dieu de I'alliance avec I'homme,image de Dieu pour lui répondre, et dont la réponse estdon de Dieu ; le Dieu qui condescend à parler aux hommesleur langage, sans s'aliéner ; le Dieu qui s'est incarné sanss'anéantir.

Il n'y a de sens que par le dessein du Seigneur. Le sensde tout être et de tout événement, c'est sa place au plande Dieu. Le sens s'abolirait dans un monde livré au hasard,monde impensable qui ne serait pas un monde ; le senss'abolirait sous le règne d'une aveugle Nécessité ; il s'abo-lirait sans référence au projet libre d'un Absolu Souverain.Si les choses prennent pour nous des sens divers, selon quenous projetons à Son image, c'est en vertu de leur inclu-sion et de la nôtre dans le plan de Dieu. Et nos paroles ?La même condition ontologique les rend possibles et leurpermet d'être sensées. Elles s'inscrivent dans le projet devériré, vocation inaliénable de I'homme comme image deDieu - elles s'inscrivent dans ce projet, fût-ce pour letrahir. Elles veulent dire le sens que le plan de Dieu déter-mine pour toute réalité, elles veulent se conformer à laParole fondatrice de Dieu - elles le veulent ou elles lerefusent, mais la référence est alors la même. Le sens relèvedes discours particuliers, comme Ricæur le fait valoir enses meilleurs moments, sans que jamais la sémantiquepuisse se résorber dans la syntaxe, ni la dénotation tota-lement clivorcer de la significallsn 235. Il requiert ainsi bienplus qu'une ouverture de l'être qui se manifesterait dans lelangage : un Dieu personnel qui juge le monde formé parsa Parole. Le < sens > du mot isolé (cette abstraction, iln'existe pas) c'est la gerbe du souvenir de ses emplois dansdes phrases ; ce n'est pas le mot qu'on prendra pour lieuprivilégié du sens ; il reste au service de la parole.

Priorité à la parole ! La langue ne parle pas, le langagen'éclaire rien, mais la lumière de la Parole I 236 La langue,réseau de signes par lesquels le parleur vise la réalité pouren juger, ne peut jamais se poser en réalité rivale, < anti-nomique > de la parole : I'innovation linguistique montreplutôt la parole en train de faire la langue, de se forgerI'organon qu'elle veut - reflétant ainsi, peut-être, I'ceuvrede la Parole créatrice. On peut observer, semble-t-il, unecertaine homologie, une similitude de rapports, entre pa-

235 La manière dont Jean Ladrière oécrit I'entrecroisement desdeux mouvements, cette < incessante odyssée >, nous paraît admi-rable (Ricæur I'apprécie) : < Le discours théologique et le sym-bole>>, Revue des sciences religieuses, 49e année, No 1-2 (janvier-avril 1975), pp. 129 ss.

236 Contre la confusion faite dans F, p. 38 ; CI, p.3L5.

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role et langue d'une part, Dieu et sa création d'autre part.Chez Bultmann, la Parole de Dieu perd son caractère lin-guistique, comme Dieu déserte le monde. Chez Ricæur, auniveau du < dire >, parole et langue tendent à se confondre,tandis que s'estompe la distinction de Dieu et du monde,Deus sive natura. Dans la vision biblique, la parole ne seconfond pas avec la langue, mais la langue dépend de laparole, un peu comme il en va du Créateur et de la créa-ture.

Ces fondations permettent-elles de bâtir ?

lnterpréter, comprendre

Restons sobrement tout près de I'acception courante duntot. Interpréter, c'est exprimer le sens d'une façon et dansun langage qui en facilitent la compréhension. L'interpréta-tion sera fidèle si les expressions, dans les deux langages,sont équivalentes.

Nous supposons deux langages, dont il faudra franchirla distance, capables de servir à l'expression du même sens.Le fossé culturel (par exemple, de I'antiquité biblique ànous), qui rend tant de nos contemporains sensibles aubesoin d'une interprétation, ne s'est-il pas trop élargi pourque nous maintenions notre canon de la fidélité ? Aucunelangue ne se sépare d'une situation socio-historique : il fautdonc que les situations ne soient pas radicalement autres,qu'il y ait entre elles suffisamment de communauté etd'analogie pour fonder des équivalences. Le relativismemoderne en désespère. La vision biblique de l'unité deI'histoire conduite par le Dieu souverain garantit la possi-bilité de I'interprétation. Comme I'a vu Pannenberg, c'estbien dans I'histoire que s'opère la < fusion des horizons >- mais il y faut, ce qu'il ignore, I'histoire unifiée par ledessein du Seigneur.

Qu'on ne se méprenne pas ! Nous ne réduisons pas l'in-terprétation à la technê de la traduction trans-culturelle.Même si le conteur et I'auditeur sont du même temps etparlent tous deux français, chacun a son langage intime,une certaine appréhension personnelle de la langue com-mune : subsiste une distance langagière à franchir. Laplasticité, l'imprécision des langues naturelles, la polysé-mie (comme I'a noté Ricæur), obligent à un travail pourlever toute équivoque: I'interprète, par ce travail, parvientà redire le sens dans un langage qu'il connaît mieux. Pascie communication, donc, sans quelque interprétation.L'herméneutique ne concerne pas seulement la circonscrip-tion des symboles, trop sèchement coupée du reste du lan-gage; elle n'entre pas en scène à la faveur des détours dudevenir-soi, mais parce que l'échange de signes, de messa-

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ges codés, entre deux consciences oblige le récepteur à untravail de décodage-recodage 237.

Nulle différence radicale, ici, entre le discours oral etle texte écrit.

L'interprétation, ainsi définie, sert la compréhension.Qu'est-ce que comprendre? C'est, dirons-nous, recevoir lesens défini par la parole d'autrui. Le sens précède objectivement sa saisie, et sa réception est \n acte: le sens estpensé deux fois. Nous comprenons quand nous voyons àla fois par les yeux d'autrui et par les nôtres propres,quand nous intégrons à notre pensée ce qu'il a le premierconçu. Car I'interprète n'est pas le producteur, encoremoins le créateur, du sens. Il est incorrect de réduire lacompréhension en général à la compréhension de soi :comme décision pure, opposée à toute explication causale,ou comme Bildung et appropriation de l'affirmation origi-naire. Je comprends la Parole du Seigneur (c'est la com-préhension de cette Parole qui finalement nous importe)

quand je me décide en face de possibilités d'exis-tence que j'avais déjà analysées et que le texte me repré-sente ;

quand je me laisse nourrir par les symboles retra-vaillés par la culture, ou éveiller à une imagination nouvellepar des figuratifs ;mais quand le jugement du Maître s'assure la dominationde mon esprit et réforme ce que je pensais, quand jeconfesse la vérité de son dire : Amen ! Oui, Seigneur ! Lepsalmiste reflète cette compréhension dans Ie verset cherà saint Augustin : << Dans ta lumière, nous voyons la lu-mière >' (Ps. 36. 10), et la louange du Fils nous offre leparadigme suprême : < Exomologoumai soi, Pater u (Mt.1r.2s).

Voir avec ses propres yeux en même temps qu'avec lesyeux d'autrui: la pleine intelligence d'une parole inclutune estimation de sa valeur et une opinion sur sa forma-tion. Il en résulte qu'on peut distinguer deux < moments >indissolublement unis dans la réalité: celui de la < lectu-re >> (c'est-à-dire < cueillette >) selon que la pensée d'autruipénètre en nous, et celui de la < reprise )) selon que je lapense et apprécie, moment de décision. Quand les vues encause s'éloignent I'une de l'autre, la reprise se donne deplus en plus l'allure d'un discours indépendant. La com-préhension juste, dans la vérité, n'exige pas seulement que

rrr Quand les deux situations sont éloignées, I'interprétation sedéploie entre deux pôles: le pôle exégétique (si on veut) d'une ex-pression du sens référé au contexte historique de I'auteur, et IepôIe herméneutique (si on veut) d'une expression du même sens ré-féré au contexte historique de celui qui doit comprendre.

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I'interprétation soit fidèle, mais que la pensée qui intègrele seni proposé soit elle-même dans la vérité.

Si la Paiole de Dieu me touche, le heurt est inévitable,avec ma vision truquée des choses. La pré-compréhension,en effet, par l'effet du péché sur le cæur, est pré-mécom-préhension 2s8. Ou je prétends retenir la vêrité dans la pri-son de mon injustice, je persévère dans ma folie et ne com-prends pas vraiment, ou la Parole, marteau jérérr,rien quitrise le }oc, fait éclater le vieux motif de ma pensée et melibère par la sagesse de Dieu. La compréhension est repen-tance !

La puissance de la Parole, c'est alors, identiquement, lapuissance de I'Esprit qui accompagne la Parole. C'est sonillumination qui triomphe, par et avec la Parole, de monaveuglement. Mais le rôle de l'Esprit de la compréhensionne s'arrête pas là. Comme arrhes ou prémices, il fait con-naître la réalité nouvelle qu'annoncent les textes, le réfé-rent. Sans lui, l'homme naturel peut manipuler les signes :il ignore ce qu'ils désignent et le livre demeure pour luiu scellé > alois même qu'il croit comprendre. C'est ici laparcelle de vérité qu'entrevoit l'interprétation moderne du< cercle herméneutique >, aussi reprise par Ricæur : le cer-cle de l'événement proclamé et de I'existence du sujet (lamort et la résurrection du Christ, la << mort >> et la < résur-rection > du croyant) ; nous devons rejeter I'idée du cercle,avec sa symétrie ; nous devons respecter I'entière objecti-vité de I'Evénement sans le confondre avec I'appropriationde ses effets ; mais nous pouvons affirmer que I'implicationexistentielle dans la réalitê du salut, grâce à I'Esprit, ne sesépare pas de la compréhension.

L'aciivité du Saint-Esprit ne rend pas superflue la mé-thode en interprétation. Au contraire : il nous relève pourla responsabilité ; c'est par la discipline d'un travail qu'ilveut nous faire progresser chaque jour dans la compré-hension, c'est-à-dire dans la repentance et la confession.

Voici le chemln

Les Réformateurs ont formulé le principe normatif quidoit guider I'interprétation et engendrer les méthodes :Scriptura semetipsam interpretans. On ne peut dire autre-ment quand l'æil s'est ouvert sur la Seigneurie du Dieu dela Bible et la comrption de I'intelligence naturelle.

Mais les Réformateurs n'ont guère expliqué commentI'Ecriture s'interprète elle-même. Si c'est par le contenu

2ss Nous rejoignons une thèse de Schleiermacher : le Missver'stehen précèdé lé Verstehen (cité par Ricæur, Les incidences, p.23; Exegesis, p. 182).

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de c-ertains enseignements, par quelle interprétation y accé-der ? Nous sommes au rouet. Une herméneutique- rigou-reuse doit procéder, croyons-nous, en se guidant par l'auto-interprétation du texte. Ricæur parle bien d'une Selbstdar-stellung de la << chose >> du texte zre, mais on ne I'atteintque par le texte et son interprétation. Nous pensons àI'auto-présentation du texte lui-même (ou sa présentationpar I'auteur). A l'émetteur du message, l'initiàtive ! Il sesaisit du langage, il choisit codes et sous-codes, adopte ouadapte un genre littéraire, fournit des indices sur la fonc-tion et le caractère de son discours, inséparables d'une si-tuation concrète 2a0. Ç'ss[ cela qui, tout en premier, touchele destinataire et règle I'interprétation ; même blanchi parla poussière des bibliothèques, le message se présente aulecteur. Quant à la Parole de Dieu, son autorité souverainefait de ce principe I'unique norme de I'herméneutiquescrlpturalre.

Pour développer les conséquences, il faudrait une autreétude; I'auto-présentation de la Parole scripturaire estdouble : même et autre que les paroles courantes. Elle estcommune par le langage (koinê !), ainsi que l'exige la com-munication. Elle est unique par I'auteur (< la bouche deI'Eternel >) et par la vé,rité du message. En se présentantsous une face commune, l'Ecriture nous commande d'userdans son interprétation des règles habituelles : Dieu nouscommande de l'écouter comme un homme. Nulle exclu-sive : la philologie, I'histoire, I'analyse structurale corres-pondent aux aspects de la Parole étudiée, purgées de I'in-fluence des motifs apostats. Mais la singularité absolue deI'Ecriture - ç'gsf le Seigneur qui parle, au moyen d'hom-mes dont il restaure miraculeusement le pouvoir de direla vérité - entraîne une sinsularité corresoondante del'herméneutique < sacrée >. Elle"exige le degré^absolu de lasympathie toujours souhaitable chez un interprète ; jamaisI'interprète ne dressera contre elle son jugement. En segardant d'harmonisations forcées, il se confiera en l'har-monie des Ecritures. Il se mettra à l'école de la Bible quandelle offre des exemples d'interprétation, quand Zachariedistille < la quintessence des prophètes >, et les apôtrespratiquent le midrash pesher chrétien. Il interprétera selon< I'analogie de Ia foi >.

zts Exegesis, p.226.:40 Ricæur vient assez près de notre suggestion quand il écrit:

< I'interprétation est dans le texte lui-même comme un travail dutexte sur lui-même >, in < Problèmes actuels... >>, CPED, p. 69. Maisnous disons: travail de I'auteur, pour I'expression, et qui déter-mine I'interprétation.

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Dans l'æuvre de Bultmann, dans l'æuvre de Ricæur, laméthode. les résultats et le motif fondamental se révèlentétroitement solidaires. Nous prévoyons que le lecteur trou-vera une pareille homogénéité dans nos propositions - etpensera peut-être à l'influence de l'autre protestant fran-çais étudié dans la collection Seghers...

Naïveté (première) ? Peut-être. Nous ne cherchons quela saveur du pain, non I'excitation des épices ni le scintille-ment des liqueurs.

Ce n'est pas en tout cas la naïveté naturelle, cette rouéequi aime les mythes sophistiqués et que démange I'envied'entendre des choses agréables.

Timidement, nous osons espérer que la naiveté de notreherméneutique soit un autre nom de la simplicité de la foi,de la crainte du SEIGNEUR.

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L'Ancien Testamentétudié dans son contexre

T \ T f

UE JOSUEà Salomon

par K.A. Kitchen,

Professeur à I'Université de Liverpool

Cette étude poursuit l'évaluation générale des livres del'Ancien Testament examinés dans le contexte objectil duProche-Orient ancien où ils ont été écrits. Elle se limitenécessairement, de même que les articles précédentsr, auxgrandes lignes du sujet traité. Les six articles de M. Kitchentraiteront de tout I'Ancien Testament et devront être appré-ciés dans leur ensemble.

La conquête et I'installation1. Le plan du llvre de Josué

L'essentiel de Josué est un récit direct (1-11; 22-24)auquel s'ajoutent une liste de rois vaincus (12) et surtoutun compte rendu de la répartition territoriale entre lestribus (13-19), avec le nom des villes de refuge et desvilles attribuées aux prêtres et aux Lévites (20-21). Le livren'offre aucun cadre général et formel. Il se présente sousl'aspect d'une narration, dans laquelle s'insèrent des listes.

2. La formation et le rôle du livre de Josuéa) La lormation : i) à première vue, les récits contien-

nent fort peu de données datant sans équivoque d'uneépoque postérieure à la mort des < anciens qui vécurentencore après Josué> (Jos. 24.31; Jg.2.7; cf . 10)2. I tapparaît donc normal de supposer que l'auteur anonyme

I Cf. HOKHMA, No 1/1976, pp. 1.6-37; HOKHMA,No 2/t976.pp.45-66.

2 Cf. paragraphe 2, iii-iv, l'étude de deux éléments plus tardifs.

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de tosué 3 utilisa directement des annales et des listes écri-les ou orales, ou bien écrites e/ orales. A ce sujet inter-vient la preuve de I'existence de documents écrits : Josuéet ses collaborateurs (le fait est noté dans le livre) utili-sent eux-mêmes l'écriture. Sur I'autel élevé au mont Ebal,Josué inscrit le texte de I'alliance alors récemment renou-velée (Jos. 8.30-32; cf. Dt.27.t-8). Plus tard, pour déli-miter les terres à répartir entre les tribus, Josué ordonne àsept hommes de parcourir le pays et de < l'écrire >> 4 ensept parts (Jos. 18. 4, 6, 8, 9), ce qu'ils font dans un< livre )), ou mieux, <( par écrit >, spr 5. On peut considérerque ces écrits sont à la base du contenu de Jos. 18 et 19.Enfin, avant sa mort, Josué renouvela I'alliance, transmet-tant les commandements à Israël (Jos. 24, v. 25 en parti-culier) et il < écrivit ces mots > dans le livre de la I-oi deDieu 6. Ainsi, le livre de Josué peut (au plus tôt) avoirété composé à partir de documents originels (et de souve-nirs perionnels du peuple ?) environ vingt ans après lamort de Josué, lorsque les anciens lui ayant survécu pas-sèrent de vie à trépas.

ii) Néanmoins, il ne saurait être question d'accepter uneesquisse chronologique aussi < maximale ) avant d'avoirtout d'abord analysé dans le livre les traces de I'auteur etdes indications possibles d'une date postérieure. L'auteurde Josué donne très peu de détails sur sa propre positionpar rapport aux événements relatés ; sa principale indica-tion est I'expression < jusqu'à ce jour > z. Elle s'appliqueà des repères de l'époque de I'auteur qui lui servent derappel des hauts faits de Josué : c'est le cas pour Guilgal(5. 9), pour Akor (7. 26), pour Aï (8. 28-29) et pour Maq-qéda (10. 27). Selon Alt et Noth en particulier, I'expres-sion < jusqu'à ce jour > classe les récits qu'elle accompa-

3 Il peut avoir été luimême témoin oculaire d'événements aux-quels il a assisté dans sa jeunesse et qu'il relate à la fin de ses jours.Je laisse de côté - sans la moindre excuse - I'analyse de Josué,luges et Samuel selon les méthodes de la critique littéraire clas-sique: el le repose sur les mêmes < cri tères > erronés que ceuxqu'on utilise en général pour étudier le Pentateuque; ses conclu-sions ont à plusieurs reprises été réfutées sur la base des donnéestant internes qu'externes; sur ce dernier point en particulier, cf.AO.tOT, pp. 112-146, et Kitchen, Pentateuchal Criticism dnd Inter-preîation (TSF, 1965), avec références.

a Le terme hébreu est katab, c'est-à-dire < écrire >, accompagnédu complément d'objet direct.

5 Pour spr, cf. HOKHMA No 1/1976, p. 36 et n. 59 ainsi queNo 211976, p. 51 et n. 6.

s C.-à-d. probablement à la fin d'un rouleau du (proto-) Dea-téronome.

z Sauf dans losuê 22.3, 16 et 23.8,9 oùr cette expression appa-raît dans les discours de Josué et d'autres membres du peuple'

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gne dans la catégorie des < étiologies >>, c'est-à-dire delégendes inventées pour ( expliquer >> I'existence de cer-tains traits contemporains ; en conséquence de quoi unebonne partie de l'histoire de Josué pourrait être considéréecomme pure fiction. Mais hélas pour Alt et Noth, il estpossible de prouver la nullité de cette théorie des originesen I'appliquant - comme l'a si bien fait Bright 8 - àdes faits vérifiables de différentes époques de I'histoire.Leur théorie doit donc être rejetée. Remarquons en outreque Ia plupart des cas accompagnés de l'expression < jus-qu'à ce jour >> ne comportent pas de signes susceptiblesde recevoir pareille < explication >. Ainsi, les pierres deJosué, à jamais hors de vue dans le lit du Jourdain (4. 9),ne nécessitent aucune < étioloeie >. Rahab de Jérichohabite en Israël < jusqu'à ce joui > (6.25) mais non com-me un monolithe silencieux, vêtu comme dans les contesde fées s ! Et le même type d'objection s'applique aux Ga-baonites (9.27), aux héritiers de Caleb (14.14) et surtoutau groupe des nations cananéennes non expulsées (13. 13 ;15.63;16. 10), < mémorial > de l'échec très réel (et noni nraginaire) d' IsraëI.

iii) On a cru voir deux indications possibles d'une dateplus tardive dans une référence au < livre de Yashar > (10.13) et dans le fait que certaines localités nommées dansles listes n'ont été fondée que longtemps après l'époquede Josué. < Yashar > ne nous est autrement connu que par2 Samuel 1. 18 10. Il contenait donc au minimum une réfé-

8 Cf. J. Bright, Early Israel in Recent History Writing (SCMPress, 1956), pp. 91-100 ; cf. également le scepticisme de Y. Kauf-mann, The Biblical Account of the Conquest of Palestine (Ma-gnes Press, Jérusalem, 1953), pp.70-74.

0 A moins que I'on ne considère cette référence comme s'appli-quant aux descendants de Rahab, le verset indiqué suggère que letemps écoulé entre la chute de Jéricho et la composition des élé-ments de base du livre de Josué correspond à la durée de vied'une femme, ce qui favorise I'idée d'une date de composition trèsproche des événements relatés. Au suiet de Rahab. cf. aussi y.Kaufmann. op. ci t . , pp.73-74.

1o Mot à mot, les versets 17-18 se traduisent ainsi : < David selamenta (avec) cette complainte sur Saûl et sur son fils Jonathan.Et il dit (c.-à-d. il ordonna) d'enseigner aux fils de Juda << I'Arc >>- voici, ce qui est écrit [ou: (il est) écrit] dans [e livre de Yashar(le juste)>; puis, vient aussitôt après la cômplainte. <L'Arc> n'estprobablement rien de plus qu'un titre bref par lequel on désignaitcette complainte à l'époque de David, par suite de I'allusion à< I'arc de Jonathan )) au verset 22, à la fois centre et sommet de lacomplainte. Je ne partage pas Ie point de vue de Harrison -Introdwction to the Old Testament (Tyndale Press, 1970), p. 670 -qui m'apparaît plus ingénieux que convaincant: I'existence dechants d'entraînement des archers reste à prouver, qu'il s'agissede temps héroïques ou non ; néanmoins, avec Harrison, il est cer-tainement possible de rejeter comme secondaire et fausse la soi-

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rence poétique au soleil et à la lune d'Ayyalôn (Iosué)d'une part, et la complainte de David sur Saiil et Jona-than, d'autre part. Si la première composition du < livrede Yashar )) remonte à l'époque de la monarchie, I'auteurde Josué ne pouvait évidemment pas le citer auparavant- sauf si la mention de Josué 10. 13 n'est qu'une gloseadclitive. Toutefois, il semble possible que Yashar ait sim-plement été un recueil de poèmes épiques, commencé avecIe nomadisme ou la conquête et enrichi de pièces nouvellesau moins jusqu'au temps de la monarchie unie. MaisYashar demeure si peu connu qu'il ne peut servir de fa-çon décisive pour déterminer la date du livre de Josué.

iv) La question géographique est plus importante, no-tamment la suggestion d'une datation archéologique desvilles appartenant à la section < désert > de la liste desvilles de Juda (Jos. 1.5.61-62, cf. la frontière 15. 6-7). Ala suite d'une étude et de premières fouilles, Cross, Wrightet Milik ont identifié la < vallée de Akor, (15. 7) avecle Buqe'ah moderne, au sud-est de Jérusalem, et identifiédans la même région trois sites de l'âge du Fer II (duIXe su VIIo s. av. J.-C.) avec des lieux nommés dansJosué77; ces derniers témoigneraient de travaux exécutéspar Josaphat (2 Ch. 17. 1,2) et peut-être par Ozias (2 Ch.26.l0). Cross, Wright et Milik estiment que, d'après cesdocuments archéologiques, c'est du temps du règne deJosaphat (env. 860 av. J.-C.) que datent les listes des villesde Juda. Si ces éléments d'identification présentent en effetun certain attrait, les déductions qu'en tirent Cross, Wrightet Milik apparaissent par contre beaucoup trop généraleslorsqu'on considère leur base limitée 12 ; notons qu'il s'agitseulement de cinq ou six emplacements sur un total decent dix noms indiqués dans Josué L5. En outre, la véri-table histoire de ces listes est sans doute bien plus simpleque ne I'imagine quelqu'un comme Notl, ou même Crosset Wright. Ainsi, on peut suggérer le relevé initial fait parles hommes de Josué (Jos. 18. 2-9 ; cf. auparavant Nb.13) qui auraient dressé une liste des différentes parties de

disant référence à Yashar mentionnée dans la version LXX de 1Rois B. 53.

11 Cf. F.M. Cross, Bl 19 (1956), pp. l2-I7, à la suite de Crosset Milik, BASOR I42 (1956), pp.5-17. Cf. aussi Cross et Wright,Journ. Bibl. Lit .75 (1956), pp.223-226; Y. Aharoni, The Land ofthe Bible (Burns et Oates, 1967), pp. 302-304 et carte 26; au sujetd'Akor, cf. M. Noth, Zeitschrift d. Deutschen Paliistina-Vereins 71-(1955), pp. 42-55, en particulier 50, 52-55.

12 Le partage en douze parties des territoires de Juda pourraitremonter à n'importe quelle date, y compris à celle de la conquêteelle-même ; cette répartition reposerait (par ex.) sur des regroupe-ments d'anciens < cités-royaumes > cananéens.

6 l

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Canaan en fonction : a) des frontières << naturelles >> etb) des sites existant à l'intérieur de chacune de ces zones.Par la suite, I'auteur de Josué aurait puisé dans ces docu-ments pour décrire (de façon sélective) un tracé des fron-tières et des régions très proche de celui que I'on trouvemaintenant dans Josué 13 à 2l rg. Plus tard, quelquesnoms à peine auraient exceptionnellement été rajoutésdans le cadre existant des frontières et des régions ; ainsis'expliquerait le cas des emplacements dans le < désert >>de losué 15.61-62, si les découvertes de Cross et Miliks'avèrent exactes 1a. En conclusion, on peut considérerque I'essentiel du livre de Josué remonte au commence-ment de l'époque des Juges 15, avec peut-être quelquesajouts limités durant le IXe s. av. J.-C. au moins.

b) Le rôIe du livre de losué. Les récits de Josué ne ces-sent d'insister sur l'importance d'une obéissance fidèle àDieu pour que s'accomplisse avec succès son dessein pourIsraëI. Dans 1. 7 ss., par exemple, Josué doit observer le< livre de la Loi > ; le chapitre 5 marque également, à tra-vers les circonstances dans lesquelles se déroule la circon-cision, la nécessité d'une soumission à Dieu. Au chapi-tre 7, l'échec devant Aï provient de la désobéissanced'Akân, tandis que la mésalliance contractée avec Gabaondécoule de ce que les enfants d'Israël n'ont pas toutd'abord consulté Dieu (9. 14). Le peuple exécute les pres-criptions mosaïques sur le mont Ebal (8. 30)ss.) et lors deI'attribution de villes de refuge et de villes lévitiques (20-21). Les tribus de la rive est du Jourdain se recomman-dent par leur fidélité (22.l-6) quoique l'élévation de leurautel commence par donner lieu à une interprétation con-traire (22. 16 ss.). Enfin, Josué, devenu vieux, enjoint lepeuple et ses responsables d'obéir à l'alliance par suitede la fidélité que Dieu leur a témoignée (23-24). Durantles jours de << flottement > consécutifs à la mort de Josuéet des anciens qui < connaissaient toute l'æuvre que le

t.r C'est au sujet de Juda que figure la description la plus détail-lée du lot échu en partage: le fait reflète peut-être I'appartenancetribale de l'auteur d.e Josué, ou, par exemple, résulte simplementde ce que les autres tribus n'avaient pas encore occupé I'ensembledes territoires lorsque I'auteur de Josué écrivit ce livre.

la Il faut parfois aussi compter avec d'autres possibilités: unnom désigne (par ex.) un site à la fin de l'âge du Bronze, mais unchangement survient à l'âge du Fer, qui déplace le site et le nomvers un autre lieu proche du premier (cf. Aharoni, op, cit., pp.rr2-113).

15 A l'argument que représente Rahab (n. 9, ci-dessus) s'ajoutele fait que la migration partielle des Danites vers le nord - men-tionnée dans Jos. 19.47 et davantage encore dans Ig. 18 - remonteà une période très proche de la < conquête > initiale puisque lelévite (18. 30) est petit-fils de Moise.

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Seigneur avait faite pour Israël "

(24.31 b; Jg. 2.7), lelivre de Josué dut rappeler avec éloquence et à-proposles bénédictions d'un passé de soumission et d'unité (ainsique le châtiment des infidélités) ; son rôle était aussi deconvaincre Israël de la nécessité d'une unité d'action etsurtout d'une incessante obéissance à son divin Seigneurafin d'entrer pleinement dans I'héritage promis.

3. Le plan du livre des Juges

A I'opposé de losué - simple narration, directe et ac-compagnée de listes, sans cadre formel particulier - lesJuges présentent, comme toile de fond des principaux récits,un cadre et une formulation très caractéristiques.

i) Israël après Josué.'les tentatives et les échecs (1. 1-3. 6).

Li) Les époques de décadence et les libérateurs (3.7 -16.31)I) Otnielil) Ehoud et ShamgarilI) Débora et Baraq

iii) Israël sans roi (17-21).

ry) Gédéon, et d'autresV) Jephté, et d'autresVI) Samson

Le plan indiqué ci-dessus fait apparaître les trois par-ties fondamentales de la composition du livre des Juges.La première est une introduction ; elle sert de transitionentre Josué et les Juges et elle met en place, en termesgénéraux, le schéma: désobéissance, oppression, repen-tance et délivrance. La deuxième partie contient six gran-des sections (de longueur variable) qui, par les exemplesdécrits, suivent Ie schéma historico-théologique (I-VI) ; ils'y ajoute également d'autres données. La troisième partie- ou pièce finale - comporte deux récits montrant l'étatlamentable de la vie en Israël peu après Josué et avantla royauté.

4. La formation et le rôle du livre des Juges

La première et la dernière parties de l'ouvrage ainsianalysé le mettent en relation avec Josué et avec l'épo-que qui suit. Juges 1. 10-15 (cf.20) est pratiquement iden-tique à Josué 15. 1,4-19 et fait allusion aux mêmes événe-ments (mais en parlant de Caleb, au lieu de la mentionplus générale de < Juda >). Les exploits de Caleb etd'Otniel se déroulent durant la vie de Josué. Par contreI'expression < après la mort de Josué , (Jg. 1. 1) placeles hauts faits de Juda et de Siméon - dans Juges 1.1-9 16 - à une date ultérieure. Quant aux brèves données

t8 Jg. 1.10-15 serait alors une rétrospective des premiers efforts

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relatives à d'autres tribus (1. 21,-36), elles sont, à stricte-ment parler, sans date et peuvent se rapporter à desévénements postérieurs au temps de Josué. Dans Juges2.1 à 3.6 - où la chute dans I ' infidélité contrasteavec Josué 2.6-1.0 - se développe le schéma des dé-faites répétées d'Israël devant le défi que représenteCanaan. Les deux Écits (17-21) de la fin du livre re-montent, de par leur contenu, aux premiers temps de lapériode des Juges : la migration danite est contemporained'un petit-fils de Moise (18. 30) et, lors de I'incident avecBenjamin, le grand-prêtre qui officie est Pinhas, petit-filsd'Aaron (20.28).

On rernarquera toutefois dans les derniers chapitres (17-21) les références discrètes et cependant insistantes (à qua-tre reprises) qui apparaissent soudain : < En ces joursJà,i l n ' y ava i t pas de ro i en I s raë l > (17 .6 ; 18 . 1 ; 1 ' 9 .1 ' ; 21 .25), avec, par deux fois : < chacun faisait ce qui lui plai-sait > (17. 6 ;21.25). La seconde de ces formules se rap-porte aux tristes mæurs d'Israël telles que les décriventles chapitres 11 à21 ; la première implique que, sous un roijustc, Ies faits décrits ne se seraient pas produits. Le poidsde ces éléments intervient dans la détermination de la dateautant que du but du livre des Juges. Les quatre référen-ces à la royauté évoquent une date postérieure à I'instau-ration de la royauté ; mais à cette date, la royauté étaitencore considéréc comme un très réel moyen de ramenerIsraël vers des voies plus proches de la volonté de Dieupour la vie du peuple. Le règne de Saiil ne correspondguère à ces données 1?, non plus que la dernière partiede celui de Salomon (1 R. 11) ; et quant à la monarchiedivisée, avec ses périodes de décadence répétées sur lesplans de la foi et de la vie pratique, elle en demeure pluséloignée encore. Un point de vue comme celui énoncé plushaut ne semble vraisemblablernent remonter qu'au tempsdu règne de David, ou du début du règne de Salomon.Pour préciser davantage, on pourrait suggérer les premiersjours de la royauté davidique, alors que s'était déjà mani-festé - sous Saiil - le noble caractère de David et queson accession au trône paraissait pleine de promesses.L'élaboration du livre des Juges se situerait donc dansles premières années de la royauté de David 18, peut-être

de Juda ajoutée aux versets 1-9; les versets 16-19 en feraient-ilségalement partie ?

17 Comme en témoignent I'opposition initiale de Samuel à laroyauté (1 S. 8), et l'échec progressif de Saûl (t S. 13. 13 ss. ; 15.17 ss.

18 Sur l'ensemble du livre, la seule indication possible d'une dateplus tardive est l'allusion de Jg. 18.30 aux lévites qui servirent

ô4.

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même durant la décennie précédant sa prise de Jérusa-l em 1e.

Le livre des Juges devait alors servir à enseigner à Israël- à partir des échecs de son histoire 20 - la nécessitéd'une obéissance et d'une unité déjà enseignées dans le livrede Josué mais pas observées par IsraëI. Le livre des Jugesillustrait ainsi abondamment les méfaits de la désobéis-sance et de la division. En l'absence d'un roi - instru-ment de la souveraine justice de Dieu - le peuple avaitagi comme il lui plaisait et sombré très bas moralement ;un monarque obéissant, juste et puissant pouvait doncdevenir I'agent essentiel d'un renouvellement de la soumis-sion du peuple d'Israël au Dieu de I'alliance et du relève-ment de sa manière de vivre. en accord avec cette alliance.

5. Les autres livres précédant ia royauté

a) Le l ivre de Ruth retrace, avec pittoresque et iraturel.la destinée d'une farnille vivant sous les Juges ; l'histoirese termine par la naissance du grand-père de David ( l. 1

Dan < jusqu'à l'époque de la déportation du pays > (le nord duterritoire de Dan). Ici, Dan, en tant que partie d'IsraôI, serait tom-bée au pouvoir de l'Assyrie en 722 av. J.-C., au plus tard. Maisarrparavant, Tiglath-Piléser III s'était emparé de la région en 733a;,. J.-C. (cf. I 'attaque mentionnée dans 2 R. 15.29; Avel-Beth-Maaka appartient au nord du territoire de Dan), cf. Y. Aharoniet M. Avi-Yonah, MacÀ[illan Bible Atltts, 1968, p. 95 et car-tes 147-748. Et plus tôt encore, la partie nord de Dan fut conquisepar Ben-l{adad I de Aram-Damas (1 R. 15. 2O; 2 Chr. 16.4), enfi90 av. J.-C. Chacune de ces datcs pourrait correspondre à cellede la déportation mentionnée au verset 18. 30, considérée commeune glose tardive insérée dans le texte à la suite de I'une de cesinvasions. Cependant, A.E. Cundall, Judges (Tyndale Press, 1968),p. 792, fait observer que ce verset se situe dans le contexte duverset 31 d'après lequel I'idole de Mika demeura dans le nord deDan << aussi longtemps que subsista la maison de Dieu à Silo > -c.-à-d. non pas jusqu'à 1'époque de quelque incursion sous laroyauté divisée, mais seulement jusqu'au noment de la destructionde S i lo par les Ph i l i s t ins (c f . Ps . 78 .60 ; Jér . 7 . I2 ,74 ;26 .6) , à lasuite de la prise de l'arche (1 S. 4), peut-être vers 1070 (?) av. J.-C.(,na date). Pal ailleurs, David n'aurait sans doute pas toléré à sonépoque le maintien d'un pareil culte au norcl du tefritoire danite(Cundall, loc. cit.). Si c'est le cas, Jg. 18. 30 ne remonte évidem-nlent pas à une date postérieure à celle du reste du livre.

10 Ceci, à la lumière de Jg. 1. 2L, qui mentionne l'échec desBenjamites à propos de I'expulsion des Jébusites hors de Jérusa-iern (ies Jébusites habitèrent à Jérusalem, parmi les Benjamites< jusqu'à ce jour >). Néanmoins, comme le remarque Cundall, p. 5ti,les Jébusites y demeurèrent sous David (2 5.24. 16), si bien quel.2l ne constitue pas un critère de datation sûr - à moins qu'ilne soit compris dans un sens impliquant une dominallol jébusite.

2c Echec qui montre le déclin progressif d'Israël au fur et àrnesure que s'écoule 1e temps, cf. J.P.U. Lilley, TB 18 (1967), pp.9B-99.

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à 4.Il). La généalogie de la fin (4. 18-22) rattache soli-dement ce récit aux traditions familiales de Juda et deDavid. Il n'y a pas de raison valable de faire remonterce petit bijou à une date postérieure au règne de David 21.Le livre de Ruth offre un aperçu des origines familiales deDavid et témoigne de l'action de Dieu au sein de son peu-ple dans la vie quotidienne.

b) Le livre de Samuel embrasse la fin de l'époque desJuges, avec Samuel lui-même (1-8), la royauté de Saiil(1 S. 8-31) et le règne de David (2 S.). De même queJosué, Samuel consiste en narration directe, sans cadreformel comme celui des Juges ou des Rois. Au plus tôt,Samuel pourrait dater des dernières années de David ou(mieux encore) du début de la royauté de Salomon. Sessources furent probablement les écrits de Samuel, de Na-than et de Gad (1 Ch.29.29), divers rapports de cour etdes renseignements obtenus personnellement par I'auteuranonyme de Samuelzz. Ce livre visait probablement àmontrer, tout d'abord, l'échec de l'ancien < ordre des Ju-ges >, puis de la royauté de Saiil - dans son auto-suffi-sance - avant de présenter David, avec ses points fortset ses points faibles, comme le souverain selon le cæur deDieu. Il est possible qlue Samuel ait rempli un double rôledynastique à l'égard du jeune Salomon za : i) par le sou-tien immédiat qu'il apportait à la légitimité de son règne,en tant que fils promis de David, et ii) par la véritablevaleur prophétique qu'il prenait en exposant les normes(à la fois positives et négatives) d'après lesquelles devaitgouverner le nouveau souverain. 2a

c) Les aulres documents.' jusqu'à la royauté, divers do-cuments se sont bien sûr accumulés. Les uns - comme lesgénéalogies de 1 Chroniques 1 à 10 et les traditions quis'y rattachent - ont en définitive trouvé place dans lesécrits canoniques actuels. Les autres - comme le << livrede Yashar > ou du < Juste >, cf. ci-dessus - sont tombésdans I'oubli, et à peine en connaît-on encore aujourd'huil'existence passée.

21 Atr sujet de Ruth, cf. L. Morris, Ruth (lié à Cundall, Judges,Tyndale Press, 1968), surtout pp. 229-242 sur la date et le but deI'ouvrage.

22 Il s'agissait peut-être d'un prophète, comme Natan et Gad.eB Tel est le point de vue (par ex.) de R.N. Whybray, The Suc-

cession Narrative (SCM Press, 1968), pp. 50-55; ses doutes au sujetde l'historicité intégrale du texte (pp. 15-19) ne reposent - et en-core, très faiblement - que sur le prétendu secret absolu dediverses conversations ; le respect du < secret > n'offrait pas davan-tage de garantie alors que maintenant. Cf. aussi mon bref compterendu dans The Churcltntan 83 (L969), pp.71-72.

24 Cf . NPOT, pp. LL-12.

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6. Le contexte proche-orlental

a) La conquête: Les récits de Josué indiquent une suc-cession de campagnes rapides qui mettent temporairementhors de combat toute une série de < cités-royaumes )) cana-néens: au centre-est (Jéricho et Aï) au sud et au norddu pays. Ces batailles ouvrent la voie à une occupationen profondeur (entreprise fort différente) qui aurait dûs'opérer en totalité à la suite des < conquêtes initiales > 2r.

Elle débute en partie sous Josué - et les anciens de sonépoque - mais après lui et ses successeurs, < le reste dupays dont il faut encore prendre possession est considéra-ble > (Jos. 13.1.-6; cf. Jg. 3. 1-5), comme I'atteste Juges 1.Ce fait élimine la théorie surannée qui supposait l'existenced'une contradiction entre une prétendue conquête << géné-rale > par Josué (non historique) et une lente pénétrationdes tribus (Jg. 1 ; historique) 26. Plusieurs sites témoignentde destructions intervenues à la fin du XIIIe s. av. J.-C.27 :Hazor (Tell el-Quedah), Debir (sans doute Tell Beit Mir-sim), Lachish (Tell el-Duweir), Beitin (Bethel ?) 28, etc...Si certaines couches prouvent la réalité de destructionspeut-être attribuables à des agents différents (les Philistinsà Lachish, par exemple), les Israélites demeurent la seulecause principale et évidente d'autres dégradations (à Ha-zot, par exemple). Il est des sites où la couche inférieurede la culture qui remplaça, en Canaan, celle de la fin deI'Age du bronze semble refléter la présence de nouveauxarrivants : les Hébreux2e.

On a beaucoup spéculé sur les soi-disant développementslittéraires relatifs aux listes de lieux nommés dans Josué13-19. Mais on a prêté fort peu d'attention aux matériaux

2s Vaincre simplement des rois (Jos. 12) et leurs meilleurs guer-riers n'est pas la même chose que de prendre possession des terres(pour les cultiver et y élever des troupeaux) et des < villes >.

26 Théorie répandue par G.F. Moore et d'autres; pour une autreconception, cf. G.E. Wright, JNES 5 09aO, pp. 105-114, qui s'ap-puie aussi sur des données archéologiques.

2? Pour plus de détails et davantage de références, cf. Kitchen,AOIOT, pp. 61-69, y compris à propos de Jéricho et d'Aï (cf.NBD, pi. 2L5-2L6, 612-613); au sujet des sites particuliers, cf.NBD passim, et le tableau pp. 72 ss.

28 Identification classique, à présent mise en doute, pour desraisons géographiques, par D. Livingstone, Westminster Theol.Iournal 33 (1970), pp. 20-44. Tout changement de ce genre dans lalocalisation de Bethel affecte automatiquement celle d'Ai. Desdoutes quant à Et-Tell en tant que site d'Aï ont dêjà étê exprimésdans AOIOT, pp.63s., en particulier du fait que I'histoire de l'oc-cupation de ce lieu correspond davantage à I'histoire connue deBeth-Aven (cf. J. Grintz, Biblica 42 (1967), pp.201-216).

20 Comme I'a depuis longtemps suggéré G.E. Wright, Iourn-Bibl. Lit. 60 (1941), pp. 30-33; pour d'autres références, cf. AO/OT, p. 68, n. 45.

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se rapportant au contexte de leur élaboration. Pourtant,le Proche-Orient biblique offre de nombreuses attestations- et non des moindres pour les XIVe et XIIIe s. - à lafois de descriptions de frontières et de listes de villes.Et comme c'est le cas dans Josué, celles-ci ne se limitentpas à de sirnples énumérations de noms ; elles peuvent éga-lement contenir une variété de phrases à caractères géogra-phiques ; beaucoup de manuscrits présentent des variationsmineures, ce qui se retrouve à nouveau dans losué. D'au-tres documents attestent encore I'existence de listes devilles, avec de longues énumérations d'emplacements 30. Onretrouve des listes de cités - provenant d'Ugarit, en Syriedu Nord 31 - ç6111parables aux listes de villes réservéesar.rx prôtres et aux Lévites (Jos. 21). Et des archives de lamême époque révèlent I'existence de villages et de terri-toires, etc... attribués aux temples et à leurs prêtres ez.

b) Autre arrière-plan.' L'emploi d'espions et d'hommesenvoyés en éclaireurs (Jos. 2. 1 ss. ; 1,8.4 ss. ; cf. Nb. 13)est déjà connu au Proche-Orient à une époque aussi recu-lée que celle des patriarches 33, et le XIIIe s. av. J.-C. 3aconsidère comme tout aussi ancienne la tactique de l'em-buscade (Jos. 8 ; Ig.2O) gr. I l se peut que Rahab de Jéri-cho ait tenu une auberge plutôt qu'elle n'ait vécu de prosti-tution :]6. Les cinquante sicles d'or, les deux cents siclesd'argent et la somptueuse cape babylonienne suffirent pourtenter fatalernent Akân (Jos. 7. 21) ; mais le tout restaitun trésor modeste en vérité à côté, par exemple, de la dot- cornposée de plus de mille sept cents sicles d'or, de

:r0 Il en est ainsi à Ugarit ; cf. M.E.J. Richardson, TB 20 (1969),pp.97-i00, pour un aperçu solide et concis des données essentiel-les ; au sujet des frontières d'Ugarit, cf . pRU, IV, pp. 10 ss. Untraité ci.licien-hittite témoigne de l'existence de phénomènes fronta-liers analogues, cf. A. Goetze, Kizz.uwatna (Yale U.P., New Haven,1940), pp. 48 ss. En ce qui concerne un traité égyptien relat i f à desroutes et à des villes en Syro-Palestine au XtrII" s. av. J.-C. (Papy-rus Anastasi I, 18.3 - 28. 1), cf. Pritchard (éd.), Anc. Near E.'fexÆ, pp. 476-478, et carte 45 dans Aharoni et Avi-Yonah, Mac-rni l lsn Bible Atlas, p.39.

::f1 Cf. Virolleaud, Syria 2l (1940), pp. 123 ss. (liste établie pourdes raisons fiscales).

32 Ainsi en est-il en territoire hittite, pour le temple d'Iskharaet de ses prêtres, cf. le document traduit par Goetze, Kizzuwatna,i940, pp. 67-67.

il Mari, cf. J.M. Sasson, The Military Establishments at Mari(Font. Bibl. Inst. 1969), pp. 39-40 et références.

sa Cf. les espions hittites battus devant Ramsès II, à la bataillede Quadesh, Sir A.H. Gardiner, The Kadesh Inscriptions ol Rames-ses 11 (Oxford, 1,960), frontispice.

35 Cf. Sasson, op. cit., p. 43 (n. 33 ci-dessus); la bataille deQuadesh, grande embuscade placée devant Ramsès II.

,6 Cf. D.J. Wiseman, THB L4 (1964), pp. 8-11.

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Ili

rnille soixante-dix sicles d'argent, de vêtements d'Hur etcl'autres richesses - d'uns princesse d'Amor épousant unroi d'Ugarit 32.

En cé qui concerne I'histoire du Proche-Orient, 1200 à1000 av. J.-C. représente une < période obscure > pour lesobservateurs modernes, du fait de la disparition de gran-des puissances et de l'insuffisance de la documentation 38'

Touiefois, il demeure possible de suivre le développementde la puissance des Philistins, 3e et de constater l'appari-tion dô nouveaux Etats en Syrie du Nord a0' Du point devue culturel, Juges 5 éclate comme un hymne de triomphe,au même titre qu'Exode 15 ; il s'agit d'une forme bienconnue en Egypte du XVe au XIIe s. av. J.-C. a1. L'écri-ture n'est pas absente de l'époque des Juges ; lâncienTestament (par ex. Jg. 8. 14) ou la Palestine du XIIe s.(des têtes dé flèches portent des inscriptions) rz en témoi-gnent. D'autres travaux archéologiques permettent de re-irouver le contexte de divers incidents des Juges aB.

La rovauté unie

7. Saûl et les débuts ae rl roY"utea)L'instauration de la royauté. 1 Samuel 8 : La conduite

coriompue des fils de Samuel amène les anciens d'Israëlà exiger de Samuel, pour qui Dieu est le véritable souve-rain, la désignation d'un roi humain. Dieu I'incite à accep-ter. En accédant au désir du peuple, Samuel l'avertit ducoût de la nouvelle institution (1 S. 8. 10-18). Les spécia-listes de I'Ancien Testament ont souvent mal interprété cepassage en le considérant comme I'expression - écrite à

:r7 Nougayrol, PRU, III, PP. 182 ss.:ra 4itttf, le mystérieux Koushân-Rishéataïm d'Aram-Naharain

(ig. 3. B-10) peut avoir été un usurpateur dans le royaume connuau Proche-Oiient sous le nom de Hanigaibat, vers 1200 av. J'-C.,peu avant la destruction f inale - par les < peuples de la mer > -

de I'ancien ordre politique établi en Syrie.30 A ce sujet, cf. T.C. Mitchel l . dans D.W. Thomas (éd.\ Ar'

chaeology and Old Testanlent 'lrrrdr' (OUP, 19671. pp. 405-427-' etKitchen-dans Wiseman (éd.), Peoples of the Old Testarnent (OxfordUniversity Press).

ao Sujét largement traité dans HHAHT, à paraître.It Références, Kitchen, Pentateuchal Criticisnt and Interpreta-

tion, 1965, Lecture III. Sur les débuts de la poésie hébraïque, cf.P.C. Craigie, TB 20 (1969), pp.76'94.

4, Cf. Mil ik et Cross, BASOR 134 (1955), pp. 5-15, et A.R. Mil-lard, THB 1,1, (1962), p. 4 et n. 3 avec d'autres références.

ai Par ex. le temple de Baal-Bérith à Sichem, Ie.9.4; cf- G.E.Wright dans Thomas (éd), Archaeology and OT Study, 1967, pp.360 ss. et pl. XV.

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une date beaucoup plus tardive aa - d'gas vision amèreet déformée de la royauté. Mais il n'en est rien. Samuel nefait qu'indiquer concrètement le prix à payer, à l'époque,sous une royauté humaine. Une comparaison - effectuéepoint par point depuis longtemps par Mendelsohn a5 -entre 1 Samuel 8 et les annales des royaumes de Alalakhet d'Ugarit en donne la preuve.

b) Le règne de Saill.' Il semble s'étendre sur une pério-de assez longue 46, puisque Saûl est encore jeune hommelorsqu'il devient roi (1 S. 9.2, 16; 10. 1, 23-24) et que,peu après la mort de SaûI, son fils cadet Ishbosheth montesur le trône à l'âge de quarante ans (2 S. 2. 10). Il résideà Guivéa de Saiil - probablement au Tell el-Ful - justeau nord de Jérusalem. Des fouilles y ont mis à iour lestraces d'un fort 47.

8. David

a) L'aspect historique.' aussitôt qu'il demeure seul àrégner, David s'empare de Jérusalem pour en faire sa capi-tale (< la cité de David u, 2 S. 5.6-9). Il reçoit une aidetechnique du roi de Tyr, Hiram I (2 S. 5. tt; ae. A la suitedes guerres engagées contre ses voisins hostiles (2 S. 8,10 ; 1 Ch. 18, 19), David devient le maître d'un royaume- que Salomon réussira à garder au début (1. R. 4.21;2 Ch.9.26) - allant de I'Euphrate aux confins de la Phi-listie d'une part, et au Sinaï d'autre part. L'ensemble dece royaume se compose de trois types de territoires : i) les< territoires nationaux > de Juda et d'Israël ; ii) les terri-toires conquis à l'est (Edom, Moab, Ammon) et au nord(Aram), et iii) les territoires gouvernés par des alliés, sujetsde David : c'est le cas de Toi de Hamath, vers le nord.On sait que I'Etat de Hamath atteignait I'Euphrate, si bienque, comme allié et suzerain de Hamath, David règne jus-qu'à I'Euphrate ae. Les doutes parfois exprimés sur l'éten-

aa Par ex., O. Eissfeldt, Camb. Anc. Hist. 2, II, ch. 34 (The He-cf. AOIOT, pp. 158 s.

rs Cf. son article, classique, dans BASOR 143 (L956), pp. 17-22;cf. AO/OT, pp. 158 ss._

46 Il est possible de reprendre 1 S. 13.1 de manière à y lire queSaùl avait trente ans et qu'il régna trente-deux ans; j'espère mepencher à nouveau ailleurs sur ce point et sur la question de lachronologie conespondant à la période des Juges. Cf. aussi lesquarante ans d'Actes 13. 21.

47 Cf. Mitchell dans NBD, pp.466-467 et références.a8 Ce roi est également connu par l'intermédiaire de sources

classiques tardives; cf. Wiseman, NBD, pp. 527-528, et Kitchen,HHAHT, tableau III.

a0 Aux abords de I'Euphrate, Lu'ash n'est qu'une province duroyaume de Hamath (et n'a jamais été un royaume séparé); des

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due du royaume de David, puis de Salomon, s'avèrent doncinjustifiés. Dès les premiers jours d'adversité qu'il connaitsous le règne de SaûI, David s'entoure d'un groupe de< preux , (Z S. 23. 8 ss. ; L Ch. 11, 12). .Et ce sont cesu preux, qui deviennent chefs dans l'armée du roi (Joab)ef officiers affectés à sa garde personnelle (Benayahou) ;outre les principaux prêtres, l'administration compte urthérault et ïn scr ibe (2 S. B. 15-18; 1 Ch. 18. 14ss.) . Si2 Samuel traite davantage de la personnalité et des affairesfamiliales de David (11'-24),les ChroniEres apportent uncomplément d'information utile sur I'organisation du royau-me sir. Ainsi, chaque mois de l'année voit I'entrée en ser-vice actif d'un chef - sur douze au total - et de sadivision (sans doute dans la capitale et dans les forts defrontières, etc...) tandis que les onze autres - ainsi queleur division - sont réservistes, menant une I'ie nor-male en attendant leur tour (cf. 1 Ch' 27. l-15) ; plu-sieurs de ces chefs sont, à juste titre, issus du groupedes < Trente > preux. Cette forme d'organisation n'a ricnd'imaginaire 51 ' on la rencontre aussi en divers ro.r'au--"r à" Syrie, par exemple, où certaines, listes de villes(Ugarit ei Rtuiattt; portent les noms des conducteursàe"chars et des gueriiers (maril'annu, etc...) qui y rési-dent 52. 1 Chroniques 27.25-3I indique le nom des inten-dants des biens - parmi lesquels figurent aussi des vigno-bles, des oliveraies êt du bétait - du roi, aux yeux de quiimportent également les secteurs économiques (de mêmepour les roiJ d'Ugarit, d'Alalakh et d'ailleurs) 53. En outre,

textes hiéroglyphiques hittites, du royaume de Hamath, donnentaussi des inâications sur l'étendue de son pouvoir vers le nord;HHAHT, tableau V.

50 A propos des nombres élevés dans les Chroniques (et -parfoisailleurs), cf. J. Wenham, TB 18 (1967), pp' 19-53, en particulier 44-49, en ce qui concerne la royauté unie.'51

Com-me le suggère R. de Vaux, Ancient Israel (Darton, Long-man et Todd, 1961), p. 227 ; sa comparaison avec les < Trente >d'Eevpte ne se iustifie pas, puisqu'il s'agit dans ce cas de courti-sani'aïxquels esi confiéè une charge d'origine judiciaire ; cf'-Cami-nos, Latà-Egyptian Miscellanies (OUP, 1954), p. .234, et référencesaaÉ Brmariâ Grapow, Wôrterbuch der Aegyptischen Sp,rache,lI,p. 46.16, et Betegsiellen, II, pp. 69-70. Au sujet. de 1 Chroniques27,

"f. l;étude fai-te par Yadin, Art ol Warlare in Biblical Lands,

7963, pp.279 ss.ur' ôi. PRU III, pp. 792-193, < Tablet of chariotrv 9! -Tgyn -o-f

Bekani>; PRIJ, V, pp. SZ-SS (Nos 69-71, guerriers) et 102 (No 76,ho*ttt"t ctasséi pâr vrues) ; cf. M. Heltzer, < Problems of SocialHistory in Syria > dans Liverafi (éd.), L9 S-iria nel Tardo Bronzo(Rome, 1969i, p. 42. A Alalakh, cf. -D.J. Wileman, The AlalakhiabletS, tgS5, 6p. 11-12 ; Dietrich et Loretz, Die Weh des Orients3 (1966), p. 198, èt ibid.5 (L969), pp. 57-93 pas.sim.'53

Cl. iribut ou taxes en farine, bétail, vin, etc., payés par lesvilles d'Ugarit à la capitale, PRU III, pp. 188s., cf. l[, pp. 103ss'

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1 Chroniques 27.32-34 mentionne le nom des conseillersroyaux 54.

b) L'aspect religieux; depuis Josué, c'est surtout à Silo(Jos. 18. 1 ; Jg. 18. 31 ; 1 S. 1-4), puis à Nov (cf. 1 S. 21 ;22. 19) et enfin à Gabaon que se trouvent I'arche et letabernacle. Lors de sa deuxième tentative (2 S. 6 ; 1 Ch.13 ; 15 et 16), David dépose I'arche sous une nouvelle tentequ'il a dressée à Jérusalem, et le tabernacle reste à Ga-baon (1 Ch. 16. 39 ; 21,.29) jusqu'au temps du règne deSalomon (1 R. 8.4). 1 Chroniques 16 montre que Davidétablit des lévites musiciens pour qu'ils assurent - parleurs louanges psalmodiées et à I'aide de leurs harpes, Iyreset cymbales - un culte régulier et quotidienss. A Gabaon,où sont restés l'autel et le tabernacle, le même type d'ar-rangements accompagne le culte sacrificiel régulier (1 Ch.16.39-42, surtout 41-42). Le Chroniqueur indique enoutre que David entreprend < de grands préparatifs ) pourla construction du futur Temple (1 Ch. 22; cf. 28-29) etpour I'organisation du personnel qui y est affecté (1 Ch.23-26; c f . 6 . 31) .

i) Le personnel : Les prêtres assurent le service du Tem-ple à tour de rôle. Ils forment vingt-quatre équipes et sontdonc de garde pendant un demi-mois chacun (l Ch. 24.1-19). Certains lévites s'occupent de divers travaux à effec-tuer dans le Temple (1 Ch. 23.4,26 ss.), d'autres sontjuges et greffiers dans le pays (1 Ch.23. ab); à d'autresencore incombe en particulier le soin de la musique duTemple (1 Ch. 25). A unc époque aussi ancienne que leXe s. av. J.-C., pareils arrangements n'ont rien de nou-veau ni de révolutionnaire. En Egypte, par exemple, onrencontre depuis presque mille ans déjà une forme d'orga-nisation très proche pour le personnel des temples : lesprêtres, répartis en quatre sa ou équipes, assurent par pé-riodes d'un mois les services du culte. Les tâches à remplirfont l'ob.jet de prescriptions soigneuses ; les prêtres quiont terminé leur service remettent à ceux qui viennentprendre la relève des inventaires du matériel et des usten-siles du temple. Ces documents existent dès 2400 av. J.-C.et on en retrouve encore jusqu'en 320 av. J.-C. so Les

A Alalakh, cf. Wiseman, Alalakh Tablets, pp. 10, 15; vignobles,Dietrich et Loretz, Ugarit-Forschungen I (1969), pp. 37-64.

sr Cf. les < relations royales >>, mudu-sharrl, à Ugarit ; PRU, I[,p. 234, et références ; conseillers ou << amis du roi >, cf. aussi Rai-ney, "rNE,S 24 (1965), p. 19.

t5 Avec utilisation des Pss. 105, 96 et 106 d'où proviennent desextraits de 1 Chr. 16.8-36 ; textes < davidiques >> en raison de leurépoque d'origine mais non de leur auteur.

t0 Parmi les archives d'un temple royal modestement pourvu -

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inventaires du temple de Quatna - en Syrie - datent duXVe s. av. J.-C. sz Ainsi, le type d'arrangements dû, selonle Chroniqueur, à l'initiative de David n'appartient pasau pllr domaine de I'imagination, mais il s'inscrit dans unetradition déjà vieille d'un millier d'années 58.

ii) La musique : au Xe s. av. J.-C., la musique instru-rnentale et les hymnes ou psaumes d'adoration ne consti-tuent pas non plus une nouveauté. La Mésopotamie, parexemple, offre à l'époque de I'Ancienne Babylonie -

XIXe-XVIe s. av. J.-C. (et sans doute encore beaucoupplus tôt) - de nombreuses preuves de l'existence de cesdeux formes de musique dans les rituels du temple, rédigésen langues sumérienne et akkadienne (assyro-babylonien) ;e.

Les recueils de < psaunres ) sont bien connus 60 ; il en estde même des rituels, qui indiquent avec précision le chantde telle ou telle pièce musicale particulière en telle ou tellecirconstance donnée 6t.

c) L'aspect l i ttéraire.' ce point nous amène à étudier larelation possible entre les Psaumes et David 6e. On ne peutfeindre d'ignorer, ou considérer comme fictive, la célèbreprédilection de David pour la psalmodie. En plus de ,1ôhroniques 16 (voir ci-dessus), une ccuvre aussi proche de

des environs de 2400 av. J.-C. - on a retlouvé des plaques men-tionnant les détriils des travaux mensuels des prêtres, de leurs reve-nus, du matériel utilisé pour les fêtes, des inventaires, etc.; pourles textes, cf. Posener-Kriéger et de Cenival, The Abusir Papyri(Br. Ir,{us., 1968) ; poul les inventaires du temple de Maat, Karnak,de 320 av. J.-C., cf. Varille, Bulletin, Inst- Frttnçais d'Archéol.Orient. 4l (1942), pp. L35-"139 et planche. Au sujet des différentesclasses rle prêtres, cf. Kees, Orientalia 17 (1948), pp' 7I-90, 3la-325 Priestertum int Aegyptischen Staat (Brill, Leiden' 1953)' pp.300-30ti, eT Nachftdge, 1958, p.26.

57 Intitulés n invèntaire du trésor de la déesse Ninegal > ; pourde plus amples références, cf. Albright, BASOR 121' (1951)' pp. 21-22, et les nbtes. Sur la Mésopotamie, cf. Oppenheim, Ancient Me-sopotantia (Chicago U.P., 1964), pp. 106-109' 187-190 pour I'orga'nisation des ternples en ces l icux.

58 S'oppose au scepticisme sans fondement de de Yaux, AncientIsrael, L961, pp. 390 ss.

tn bf. pai èx. les références variées dans Gelb et al' (éds') ?àeAs.syrian bictionary, 2UZ (Chicago U.P.' 1961)' pp. 35-38 .(zamaru)plué des exer:lples'hittites. Divers types de psaumes sumériens ontêté étudiés paf E.n. Dalglish, Psalm Fifty-Orre (Brill, Leiden, L962),pp. 18-55; font davantage autori té: Falkenstein, Zeitschri f t f i i tÀssyriologiie 49 (1950), pp. 84-105, W.W. Hallo, Journ'. Ame.r.Ori 'ent. Sôcry.88 (1968), pp. 71 ss., et J ' Krecher, Sumerische Kult-/yrl (Harrassowitz, Wiesbaden, 1966), pp. 18 ss'

ao Références, Krecher, op. cit., pp.33-34.s1 Par ex. les calendriers rituels édités par Langdon, Amer.

Iourn. Semilic Lang. and Lit. 42 (1926), pp. 1'10-127.û2 Pour un survol de la littérature concernant les Psaumes, cf.

D.J.A. Clines, TB 18 (1967), pp. 103-L26, et ibid. 20 (1969), pp. 105-125.

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I'époque du roi que le livre de Samuel indique de façonexplicite l'origine davidique de la complainte sur Saûl ets-ur Jonathan (2 S. 2), du chant de délivrance (2 S. 22) etdes < dernières paroles > du << chantre favori d'Israël >; eS. _2.3, 1). De même, ne sauraient passer inaperçues lesprécisions relatives aux capacités musicales dê David (1S. 16. 16-23: le jeune David musicien au service de Saiil)ainsi que l'allusion - rapide mais tout à fait indépendanté- d'drn6s (6. 5). Environ soixante-treize psaumes du livredes Psaumes ont pour titre ou contiennent dans leur titrel-dwd, expression qui signifie < appartenant à David > etqui a souvent été interprétée de diverses manières 6e. D'unefaçon générale, il a été longtemps de bon ton - dans lecadre des études de l'Ancien Testament - de rejeter lestitres de psaumes en les considérant comme dépourvus devaleur pour nous renseigner sur I'auteur ou nous livrerdes allusions < biographiques >, vu leur caractère d'inser-tions musicales et liturgiques tardives. Cette attitude nerepose cependant sur aucune preuve respectable; de nom-breux élémcnts s'y opposent, au contraire. Ailleurs dansI'Ancien Testament, on peut constater que Habaquq 3. 1vise explicitement à attribuer au prophète Habàquq lepsaume énoncé ensuite ; avec autant de fermeté, Eiaïe38. 9 revendique en faveur d'Ezéchias la responsabilitéde la composition de la prière qui suit. Il n'y a aucundoute que 2 Samuel 22. 1 désigne David comme auteur de2 Samuel 22.2-51 et lui reconnaît comme Sitz im Lebenl'établissement de la paix politique après la victoire deDavid sur ses ennemis 6a. Etant donné que ce passage etles détails contenus dans son titre se retrouvent de façonpresgue identique dans le Psaume 18, aucun algumentobjectif ne permet d'écarter le nom de I'auteur ou les cir-constances d'élaboration mentionnées dans le titre de cepsaume. Il n'existe pas non plus de justification objectivepouvant autoriser le rejet du nom de l'auteur ou du Siteim Leben < biographique > précisés de même pour une dou-zaine de psaumes (Ps. 3 ; 7 ; 30 ; 34; 51 ; 52; 541' 56 ;57 ; 59 ; 60; 63 ; 7a\. Ainsi l'expression l-dwd demeuresusceptible de signaler avec netteté le nom de I'auteur aussibien que les relations entre le texte et lui; ce qui théori-quement aboutit à trois solutions possibles : i) les soixante

83 La préposition / a plusieurs sens: celui d'une possession (com-me sur les sceaux), celui du datif <à/pour> (emploi courant), et,plus largement, celui d'une relation <( concernant >i un sujet ou unepersonne (cf. n. 89 ci-dessous), en plus de son utilisation pourdésigner I'auteur de quelque chose.

sa Observons la place de ce psaume dans I Samuel, immédiate-ment après le chapitre 2l avec le récit des dernières guerres deDavid (contre la Philistie).

,1 À

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autres psaumes l-dwd ont été écrits par David, ii) cessoixante psaumes n'ont qu'une certaine relation avec David(< collection davidique > ou recueil analogue) ou iii) Davida composé une partie de ces psaumes, et une autre partiese rattache à une < collection > ou à un ouvrage similaire.Mais, en tout état de cause, il ne saurait être question de re-jeter définitivement le nom de David comme auteur possiblede ces psaumesos. Environ trente-neuf psaumes <davidi-ques ) portent aussi I'expression l-mnsh qui signifie ( appar-tenant au directeur (musical) > ; du fait que David et ce < di-recteur)) ne peuvent avoir été tous les deux en même temps,et chaque fois, auteurs d'un psaume donné, ce t)'pe d'intro-duction indique certainement une ( collection du directeur(musical) > qui inclurait en outre la plupart des douzepsaumes d'Asaf, le psaume 88, d'Hémân (mais non lepsaume 89, d'Etân), tous contemporains (plus jeunes ?) deDavid. Les remarques d'ordre musical - ainsi que cellesrelatives au < directeur (musical) > - remonteraient à unepériode allant de l'époque de David à celle qui suit I'exil ;on manque ici de preuves explicites 00.

1 Chroniques 16 (David) , 2 Chroniques 5. 12-13 ;7.6 ;8. 14 (louanges quotidiennes) et 9. 11 (également 1 R. 10.12, nouvelles harpes, etc.) i l lustrent le rôle de la psalmodiedans le culte. A la suite de très nombreuses spéculations,des spécialistes de l'Ancien Testament sont parvenus -

par dès tentatives téméraires et forcées - à classer pres-que tous les psaumes sous des < étiquettes cultuelles >variées (fêtes de I'Année Nouvelle ou du Couronnement,fêtes de I'Alliance, etc...) ; à peine trouve-t-on, dans lestextes vétéro-testamentaires eux-mêmes67, quelque tracede preuve explicite sur laquelle faire reposer cet ensemblede théories. En outre, ces érudits n'ont tenu aucun Çomptedes principaux documents de comparaison proche-orien-

65 Et même un total maximal (tout à fait possible) de 73 psau-mes écrits par David n'est qu'une production assez modeste parrapport à celle de Wesley, par exemple.

66 Pas très longtemps après I'exil et le retour, car ces remar-ques étaient déjà obscures et d'une compréhension difficile avantla traduction des LXX.

67 Cf. les études faites par Clines (n. 62, ci-dessus). 2 Ch. 8.12-15 implique clairement que le service du temple comprenait : i) lessacrifices quotidiens; ii) les offrandes périodiques (de sabbat, denouvelle lune), et iii) les trois grandes fêtes annuelles (Pâque, Semai-nes, Tabernacles) pour lesquelles des pèlerins montaient probable-rnent à Jérusalem et au Temple. - Cf. les craintes de Jéroboam I(1 R. 12.26-30), et les <<psaumes des montées > (120-734); le psau-me 92 est un psaume sabbatique. Le renouvellement de I'alliance- tous les sept ans (Dt. 31.10-13) - étâit trop rare pour faireI'objet de quelque remarque particulière. Ce schéma cultuel demeu-re à mille lieues des hypothèses invérifiables de Mowinckel ; cf.aussi AOIOT, pp. 102-106.

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taux réellement adéquats. En premier lieu, il convient denoter que des < psaumes > individuels de divers types exis-tent dans le contexte biblique du Proche-Orient, en mêmetemps ou en dehors de ce qui constitue le culte et les ritesdans leur aspect formel 68. En deuxième lieu, un psaumeou un hymne peut avoir plus d'un << Sitz im Leben >> ouplus d'un environnement culturel 0s : à Sumer, surtout dansla période tardive, < le même chant sert... à différentesoccasions ,, ;o ; et de même qu'il est possible de s'appro-prier pour usage personnel un hymne, il arrive qu'un psau-me à caractère personnel s'insère dans le culte formel zt.En troisième lieu, point n'est besoin que le contenu d'unpsaume corresponde de manière directe au rôle joué parce psaume dans le culte ; ce fait, noté à propos de psaumessumériens dans les rituels de la Mésopotamie z?, devrait,en ce qui concerne les Psattmes, servir d'avertissementcontre toute interprétation abusive d'allusions supposéesà tel ou tel sujet, ou bien à telle ou telle fête imaginaire.En quatrième lieu, I'usage de titres (en Egyptef et de< colophons > (au Proche-Orient), d'indications de classe-rnents techniques (comme maskil, miktam, etc... en hébreu)et de telmes musicaux n'a rien d'un phénomène tardifdans le Proche-Orient biblique : des annotations sem-blables accompagnent des psaumes de la Mésopotanieà partir de l'époque de l'Ancienne Babylonis 73, et il enest de même pour les documents hittites, un peu plus tard.En cinquième lieu, le fait que figurent des noms d'auteurCans les recueils de psaumes n'a rien d'étranger à ce genre

68 En Egypte, cf. les psaumes de < la religion des pauvres >, def)eir el Medina (Gunn, lourn. Eg. Archaeol. 3, L916, pp. 81-94 ;Pritchard (éd.), Anc. Near E. Texts, pp. 380-381 ; Dalglish, PsalmFifty-One, pp. 9-I2) qui sont des pièces indépendantes, non desportions de quelque rituel officiel.

60 Cf. déjà AOlOT,pp. 132-1.35, en part icul ier 134.?0 Cf. Krecher, Sumerische Kultlyrik, 1966, p. 27, en haùt, et

Ies combinaisons variées de chants-ershentma et d'introïts-ôa/as(ibid., p. 23 et n. 26,27).

?1 Un mot de mise en garde s'avère nécessaire contre toute ap-plication trop stricte des <catégories>> (Gattungen), surtout dansle cadre d'un contexte unique. Sur Sumer, cf. Krecher, p. 33, àpropos de la variabilité des usages. Observons aussi le fait que leshymnes de triomphe, composés séparément sous le règne et parsuite des exploits de Tuthmosis III et d'Aménophis III d'Egypte,furent ré-utilisés dans la composition des scènes triomphales clas-siques sur les portails et pylônes des Ramessides (Kitchen et Ga-balla, Zeitschr. f. Aegypt. Sprache 96 (1969), pp. 23-28, en parti-culier 27).

72 Cf. Krecher, Sumerische Kultlyrik, pp. 26-27 .?3 Tels sont les termes sumériens : balbale, adab, tigi, ershem-

ma, etc.; balag est un chant joué à la harpe, et ershemma wecomplainte jouée avec un tambour-shem, etc. (cf. Krecher, p. 21,n. 11).

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de littérature, ainsi que le montrent des exemples datantdu second millénaire égyptien et de la fin du troisième mil-lénaire mésopotamien 7a. Au sein de ce vaste contexte àmultiples facettes, il n'est pas impensable d'envisager l'in-tenzention de David dans la composition du livre desPsaumes 75.

9. Salomon

a) L'aspect historique: la plus célèbre entreprise de Salo-mon demeure la construction du Temple. De nombreuxdétails mériteraient quelques commentaires ; contentons-nous de noter ici que I'emploi de grandes quantités d'ors'accorde avec la façon dont les monarques du Proche-Orient décoraient les temples 70. Une part importante del'organisation du royaume sous Salomon - telle que rlousla ùpportent les Rois et les Chroniques - a de réellesanalosles dans les documents du Proche-Orient;:. Et laprièrJde dédicace du Temple exprimée par Salomon pro-vient non pas de quelque midrash deutéronomique, maisdu type de paroles de consécration auxquelles on peut

s'attendre dans ce contexte 28. On dispose actuellementd'une certaine lumière sur les relations entre l'Egypte etIsraël au temps de Salomon ?e ; au début de la monarchieégyptienne, le mariage d'une princesse égyptienne ne peut

sè-ôontracter hors des limites de la cour d'Egypte ; par lasuite - aux Xe et IXe s. av. J.-C. - il devient possible

?a A propos de l'Egypte, cf. (par ex.) les, documents relatifs àDeir el Medina, n. 68 ci-dessus, ainsi que d'autres, par ex. ceuxcités dans A. Barucq, L'expression de la louange divine et de Iaprière dans la Bible èt en Egypte (IFAO' Le Caire-Paris' 1962)' AuiLrjet de la Mésopotamie, cf- la prêtresse Enheduanna, po-étesse(Fiallo et van Dijk, The exaltation ol Inanna (Yale, New Hav91'iSOS), pp. 1ss., el dans Pritschard (éd.), Anc- N. E. Texts, 3e éd.Supplé ment, 1969, pp. 579-582.

?8 Spéciul"-"nt à la lumière des ressemblances toujours plusclaires de tant cle portions du livre des Psaumes avec des élémentsdu nord-ouest sémitique ancien (en particulier ougaritiques); re-présentés le plus largement dans M. Dahood, Psalms I' II, III(Doubleday, New York, 1'966-1970), qui situerait le livre des Psau-àes entre iês XI' et Vl' s. av. J.-C. QII, pp. XXXV-XXXVII); lespreuves offertes par les LXX et Qumran excluent toute date plustardive.

?0 En Egypte, la reine Hatshepsut mesure I'or au boisseau pourles travaux du temple de Karnak (Breasted, Anc. Records' Egypt'I I , 1906, g 319); pour des dal lages d'or et d'algent, cf. .TSFB.4-l '(1965). p.-19, g 13. Les rois de Babylone et Mitanni réclamaientI'or d'EÈypte pbur leurs temples et leurs palais - dans les lettresd'Amarna - cf. No 9, dans les éditions de Knudtzon ou de Mercer.

?7 Pour certains détails, cf. Kitchen, TSFB 41' (7965), pp. 17-20,NBD, pp. 43I-432.

?8 Cf. Kitchen, NPOT, pp. 12-73, 77 -19.7s CL. TSFB 41 (1965), p. 16.

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à un prince étranger à la cour égyptienne, ou même à unroturier, d'épouser une princesse d'Egypte so.

b) L'aspect littéraire: le livre des Proverbes est associéau nom de Salomon, mais non tout entier. Proverbes'1,-24forment un << livre > de Salomon complet, tandis queProverbes 25-29 constituent une autre de ses collections,éditée sous le règne d'Ezéchias ; Proverbes 30-31 relèventd'Agour et de LemouëI, par ailleurs inconnus. Le Proche-Orient nous livre ici encore l'essentiel du contexte danslequel se développent les éléments constitutifs de la formelittéraire des Proverbes. La collection de Salomon (25-29')- de l'époque d'Ezéchias - et les proverbes d'Agour etde Lemouël comportent un simple titre chacun, auquels'ajoute le corps du texte, ce qui est une forme littérairegénérale et ordinaire, répandue à partir du IIIe millénaireav. J.-C.81 L'æuvre principale de Salomon, Proverbes Ià 24, nous semble encore plus intéressante. Elle présenteun titre, une introduction (1-9), puis un sous-titre (10.1)et enfin le corps du texte (10-24), Ce canevas n'offre riend'artificiel, de tardif ou d'accidentel; il correspond aucontraire d'une manière frappante à une forme littéraireplus riche, également en usage à partir du IIIe millénaireav. J.-C. 82. A la lumière de ce que nous apporte laconnaissance de cette forme littéraire fixe et largementattestée par les documents, le fait de séparer Proverbes 1-9de ce qui suit ne se justifie pas. Et, en ce qui concerne1-9, ni la longueur des phrases, ni le vocabulaire, ni lesconcepts (p.

"^. les cas de personnification) ne peuvent

être qualifiés de tardifs ; tous les documents offrant despoints de comparaison importants remontent à une époqueplus ancienne, même de mille ans 83. Composant selon une

80 De même qu'avec les prêtres d'Amon durant la XXII" dynas-tie, et les chefs libyens en Egypte à la fin de la XXI" dynastie ;Kitchen, Third Intermediate Period in Egypt, à paraître ; et aussiKees, Priestertum, 1953 (cf. la fin de la n. 56 ci-dessus).

tt o Type I > ; en Egypte, tels sont Hardjedef, Merikare, < Sehe-tepibre >>, Homme pour son Fils, Amenemhat I, et Amenemope.

82 ( Type II > ; en Egypte, Ptahhotep, Khety fils de Duauf (Dua-kheti), le grand-prêtre Amenemhat, Amennakht, Anii, Onkh-she-shonqy ; Ahiqar au Proche-Orient.

83 Sur les concepts et le vocabulaire, cf. (par ex.) Kitchen lOlOT, pp. 126-127, L45; avec références. La dernière étude des Pro-verbes (W. Mc Kane, Proverbs (SCM Press, t970) lait quelqueusage de données du Proche-Orient, mais demeure encore tropmarquée par une approche dépassée pour les utiliser de façon ap-propriée et complète. Un point de vue réellement ( nouveau >paraîtra dans Kitchen, Proverbs and the Ancient Near East. Lavraie relation entre 1es Proverbes et Amenemope (pas une relationd'emprunt de l'un à l'autre) sera visible dans l'étude - à paraître- de J. Ruffle.

7B

II

I

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tradition vieille de deux mille ans, Salomon n'offre riende précoce.

Le Cantique des Cantiques possède aussi une riche < toilede fond >. En Mésopotamie, on connaît la poésie lyriquereligieuse depuis la troisième dynastie d'Ur (2100 av' J.-C.)-aa. punt un style beaucoup plus proche, il existe unesérie lyrique de poèmes d'amour provenant de l'Fgyptedes XiIIu- et XIIe s. av. J.-C. 85, et parfois d'une époqueplus tardive 80. Le texte des < signes > de Ludingirra, com-posé en sumérien vers 1700 av. J.-C. pour sa mère, illustre6ien le caractère ancien et particulièrement international(ainsi qu'interculturel) de la poésie lyrique. Cet ouvrage seiépand- de la Mésopotamie vers I'ouest, chez les hittites ;p.ris, aux alentourJ du XIIIe s., il prend place dans leiépertoire littéraire des scribes cultivés d'Ugarit - dansle nord du pays de Canaan - où I'on en retrouve unecopie écrite iur quatre colonnes parallèles et en trois lan-guès (deux formes de sumérien ; akkadien ; hittite) ez ! Lelu signes > témoignent du même style, très omé, que celuidu tantique des Cantiques et des poèmes égyptiens. Ladate et I'auteur du Cantique des Cantiques donnent ma-tière à discussion. Le domaine des références qui y figu-rent, son contenu poétique ancien 88, etc., le placeraient depréférence sous le règne de Salomon 8e. Les Psaumes 72 et

sa Cf. dernièrement S.N. Kramer, The Sacred Marriage Rite"'in Ancient Sumer (lndiana U.P., Bloomington, 1969).

s5 Traduction de Ermen et Blackman, Literature ol the AncientEsyptians (Methuen, 1927), pp. 242-251; réimpr.: The AncientEîybtians, A Source-book, aiec une nouvelle Introduction de va-tJul Ae W.K. Si-pton (Harper Torch-Eooks,.New York' 1'966)'cf. fp. XIV, XXXVI s. ; A.H. Gardiner, The Librarv ol A' ChesterBeitîy (LoÂdres, 1931), pp. 27-38; des exemples seulement dansPritchard, Anc. N. E. Texts, pp.467-469.

iu Il én reste un fragment dans l'éloge de la princesse Mutirdis,700 ans av. J.-C., Petr{e, History of Egypt, III' 1905' pp' 293 s' ;S. Schott, A ltaegy ptische Lieb eslieder, p. "l-00 -

87 Ediiée pai-Nougayrol dans Schaeffer et al., Ugaritica--V(Paris, 1968),- pp. 3i0-3i9 (surtout 315 ss. ; texte hittite, pp. 7'73-779) ; fragmenti précédents, de Civil, INES 23 (1964), pp. 1'-1,1-.. . -

..e'Poui les câractéristiques de la poésie primitive, cf. Albrightdans Hebrew and Semitic Studies... G.R' Driver (OUP, 1963)' pp.t . l .

8e L'expression <qui appartient à Salomon> pourrait-indiquerqu'il en eit I'auteur ou plutôt que le poème se rapporte à lui (com-rne les titres ugaritiqués, l-Aqht, l-krt, << appartenant à Aqhat >'< ... à Keret r, sur des tabléttes qui racontent leur histoire;H)KHMA Nô U1976, p.36, n.61),-ou alors qu' i l lui a été dédiépar un poète de la cour. Les termes iraniens, -souvent invoqués,iaopirvon, pardes) peuvent témoigner d'une <<édition> postexili-

àûé; bu -pèut-être

iésulteût-ils d'une vague de pénétration indo-aryenne antérieure ?

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I27 - sinon d'autres écrits - sont plus spécifiquement deSalomon so.

10. L'héritage de la Royauté unleTout porte à croire que cette époque est une période

de réalisations de grande envergure e1. Sur le plan litté-raire, elle a reçu du passé un riche héritage aveCles anna-les sur les origines d'IsraëI, I'alliance nationale, les ancien-nes pérégrinations et le renouvellement de l'alliance (Ge*nèse - Deutéronome), éléments groupés autour du nomde Moïse et auxquels est venu se rattacher losué. Dansd'autres documents se trouvent des généalogies des tribus,le psaume 90, des collections du type du

-u livre de Ya-

shar >>, ainsi que des poèmes (cf. Jg. 5). La royauté témoi-gne d'une nouvelle floraison littérairesz. La tradition < pro-phétique >> donne naissance aux Juges et à Samuel, dansla ligne des premières années de David et de Salomonrespectivement ; il s'y ajoute Ruth qui vient préciser l'ori-gine de David. Sous David e3, la psalmodie et la musiqueprennent un essor considérable, en particulier dans leculte et ses manifestations quotidiennes, périodiques etfestives. Avec Salomon, la < sagesse > atteint à son tourla phase de maturité, dont les fruits ne furent que partiel-lement préservés. Comme dans le reste du Proche-Orient,la littérature ne se contente pas d'< apparaître >> d'unemanière uniforme et mécanique avec le passage du temps ;mais elle jaillit lorsque I'esprit humain se voit poussé versde nobles entreprises.

00 Contrairement aux considérations ordinaires, l'Ecclésiaste neprétend pas, en réalité, provenir de Salomon, mais d'un < fils deDavid, roi de Jérusalem > ; ces épithètes peuvent s'appliquer àn'importe quel roi de Juda, depuis Salomon jusqu'à Sédécias (cf.< Fils de David > comme épithète de Jésus-Christ dans le NouveauTestament, Mt. 1. 1, 20, etc., etc.), et non pas seulement à Salo-mon. Par conséquent, la date de ce livre se situe sans doute entrele X" et le VI" s. av. J.-C., avec la possibilité d'une édition ulté-rieure si deux mots iraniens (pardes et pitgam) I'exigent.

01 Du point de vue archéologique, par ex., on peut s'en aper-cevoir en remarquant la planification architecturale unifiée visibleen différents sites, de Megiddo dans le nord et de Gézer à I'ouest,jusqu'à Ezion-Geber à l'extrême-sud, phénomène qui n'est possi-ble que sous une domination forte et unifiée, disposant des instru-ments appropriés (cf. par ex., Y. Yadin, The Art ol Warfare inBiblical Lands (Weidenfeld et Nicolson, 1963), pp. 287-289)..

02 En même temps qu'une modeste activité éditoriale (et peut-être une révision orthographique) de I'héritage du passé; pai ex.,probablement certaines phrases comme Gn. 36. 31 b, sinon la listedes rois qui suit. Cf. HOKHMA, No 1/1976, p. 33, n. 55.

i3 Asaf, Hémân et Etân étant des lévites contemporains de Da-vid, ils ont peut-être composé leurs psaumes plus spécialement pourle culte.

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Liste des abréviations utilisées

AO/OT

BA

BASOR

./NES

NBD

K.A. Kitchen, Ancient Orient and Old Tes-tament (Tyndale Press, Londres, 1966).

B iblical A rchaeologist,

Bulletin ol the American Schools of OrientalResearch.

Kitchen, Hittite Hieroglyphs, Arameans andHebrew Traditions (à paraître ; retardé pardes facteurs extérieurs).

Journal ol Near Easten Studies.

J.D. Douglas et al. (éds.) The Nev' Bible

Dictionary (Inter-Varsir,v Press, 1962 et ré-impr.).

HHAHT

NPOT J.B. Payne (éd.) lVerv Perspectives on theOId Testamen, (Word Books, Waco, 1970).

PRU, II-VI C. Virolleaud, J. Nougayrol, Palais Royald' U garit (Paris. 1955-70).

f@)B Tyndale (House) Bulletin.

TSFB Theological Students' Fellowship Bulletin.

Cet article est tiré du TSFB (Bulletin de I'Associationdes Etudiants en Théologie) No 67, 197'l'.Il a été traduitpar quelques étudiants de la Faculté de Théologie Réfor-mée d'Aix-en-Provence.

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La valeurhistorique des

Actesdes Apôtres

par W. cASeUE

M. Gasque, prolesseur de Nouveau Testament à RegentCollege (Vancouver, Canada), s'est pris d'amitié pourHOKHMA lors de son année sabbatique à la Facutté dethéologie de Lausanne. Il a bien voulu nous livrer, en deuxarticles, quelques éléments de sa thèse de doctorat sur lesActes.

Il n'est pas nécessaire de faire des études très pousséesen Nouveau Testament pour être confronté à un fait trou-blant : il existe une grande diversité d'opinions, parmi lesspécialistes, au sujet de quasiment chaque détail de la cri-tique et de I'interprétation du Nouveau Testament. L,étu-diant < naïf > qui entre à I'Université pour étudier la théo-Iogie pense qu'il va y trouver une réponse à toutes sesquestions ; il pense qu'il sera enfin en mesure de trancherentre les différentes interprétations des textes bibliquesentendues dans I'Eglise. Mais hélas, il apprend vite qu'iln'y a pas plus d'accord entre les spécialistes qu'entre lespasteurs ou les chrétiens en général, même sur les pointsles plus fondamentaux. Non seulement il ne trouve pas deréponse à toutes ses questions, mais il découvre encorebien des questions nouvelles.

On rencontre ce problème lorsqu'on consulte les meil-leures Introductions au Nouveau Testament, par exempleGuthrie 1 et Kûmmel 2. Chaque auteur a son propre polntde vue et il nous livre ses propres conclusions ; maii, en

1 D. Guthrie, New Testament Introduction, 3e êd., Londres.Tyndale Press, 1970.

. t

Y.Cr Kiimmel, Einleitung in das Neue Testament, I7e êd.rév., Heidelberg, Quelle & Meyer, L973.

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cours de route, il fait référence à une ahurissante vaiétéd'opinions, avancées par des centaines d'autres spécialis-tes ; et sur bien des sujets, ces deux manuels eux-mêmesdivergent. Le problème se complique encore lorsqu'on seréfère aux introductions plus brèves et plus populaires (parexemple Cullmann 3, Marxsen a, Perrin 5, Vielhauer 0, etc.)qui n'ont pas la place d'énumérer toutes les autres posi-tions et qui donnent souvent par là I'impression au lectenrnon informé qu'elles présentent < les résultats assurés de lacritique >>, alors qu'en fait, elles donnent leurs propres opi-nions sur les divers sujets, des opinions qui sont souventtrès discutées par d'autres spécialistes.

Il est donc impérieux que l'étudiant en théologie ap-prenne le plus vite possible à penser de laçon critique, àpeser le pour et le contre. Il ne doit jamais se contenterdu verdict de l'<< expert >, qu'il soit son professeur, l'auteurde l'ouvrage qu'il lit ou son pasteur. Il doit plutôt arriverà ses propres conclusions. Par-dessus tout, il doit s'assurerqu'il est pleinement informé sur l'état de la question, enlisant des ouvrages qui présentent différents points de vue,et non seulement ceux qui sont écrits dans une certaineoptique (que ce soit la sienne ou une autre).

Précisons que les différences d'opinions parmi les spé-cialistes du Nouveau Testament ont des causes bien com-préhensibles. Il y a premièrement I'incertitude provenantde la distance qui sépare deux époques: celle des docu-ments du Nouveau Testament (ce petit corpus littérairegrec écrit il y a près de dix-neuf siècles) et la nôtre. Il y atant de choses que les spécialistes aimeraient s3ysi1 - sfqu'ils pensent parfois avoir découvertes ! - qui ne peuventtout simplement pas être connues. Comme le disait en plai-santant le fameux critique littéraire anglais, C.S. Lewis :si les résultats de la critique sont si assurés, c'est que ceuxqui connaissaient vraiment les faits sont morts ! Il y adeuxièmement les différences de présupposés philosophi-ques entre spécialistes. Bien qu'il ne faille jamais rejeterles conceptions d'un auteur pour la seule raison qu'on dis-cerne dans ses écrits une certaine orientation qui nousest personnellement antipathique, il serait extrêmementnaïf de penser que les présupposés philosophiques n'ontque peu d'importance. Il y a troisièmement des différences

3 O. Cullmann, Le Nouveau Testamenl, Paris, Presses Universi-taires de France, 1966.

a W. Marxsen, Einleitung in das Neue Testament, Gûtersloh,Gerd Mohn, 1963.

5 N. Perrin, The New Testament : An Introduction, New York,Harcourt &Brace,1974.

6 P. Vielhauer, Geschichte der urchristlichen Literatur, Berlin,de Gruyter, 1975.

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de méthodologie : différents spécialistes représentent diffé-rentes traditions critiques; et ces différentes approches cri-tiques conduisent parfois à des conclusions radicalementdivergentes.

Ce problème apparaît clairement lorsqu'on étudie lesActes des Apôtres, le sujet de notre article. Si l'on com-pare, par exemple, les deux principaux commentaires desActes parus ces dernières années - celui de F.F. Bruce 7et celui de E. Flaenchen 8 rencontre des conclu-sions radicalement divergentes sur bien des points, en par-ticulier en ce qui concerne la valeur historique des Actes.

Selon Haenchen, les Actes sont avant tout un ouvragethéologique plutôt qu'historique. Leur auteur, qui appar-tient à une génération très éloignée de celle des premiersapôtres, cherche à nous donner un portrait du christianis-me primitif tel qu'il pense qu'il aurait dû être, plutôt quetel qu'il a vraiment été. Il a pour but de prêcher I'Evangileà son époque plutôt que de nous dire comment les apôtresle prêchaient à leur époque. En nous racontant I'histoiredu christianisme primitif telle qu'il désire la comprendre,il déforme parfois les faits historiques qu'il connaît et ilinvente parfois de la matière qui n'existait pas, mais quisert sa visée particulière. Par conséquent, seule une infimepartie de son æuvre nous donne une image sûre du chris-tianisme primitif e.

Selon Bruce, le livre des Actes, tout en étant certaine-ment théologique, nous donne un compte rendu historiquede haute valeur des trois premières décades de l'Eglise.Bien qu'il ne nous dise pas tout - il se concentre spécia-lement sur les premiers jours à Jérusalem, puis sur lesactivités missionnaires de Paul - ce qu'il nous dit est fia-ble. Effectivement, lorsqu'on teste les Actes selon les règles

7 F.F. Bruce, The Acts of the Apostles, 2e éd., Londres, Tyn-dale Press, 1952; cf. aussi son Commentary on the Book of Acts,< New London Commentary > - ( New International Commen-tary >, Londres, Marshall, Morgan & Scott ; Grand Rapids, Eerd-mans, 1954. Bruce est Rylands Professor de Critique biblique àI'Université de Manchester depuis 1959. Il a été président aussibien de The Society lor Old Testament Study que de la StudiorumN or i Tasta me n! i Soci (,1 us.

8 E. Haenchen, Kritisch-exegetischer Kommentar ùber das NeueTestament, 3. Die Apostelgescltichte, 10e éd., Gôttingen, Vanden-hoeck & Ruprecht, 1956; 1,4e éd., 1965. Haenchen était professeurde Nouveau Testament à Miinster.

0 Concernant la contribution de Haenchen à l'étude des Actes,cf. W. Ward Gasque, A History of the Criticism of the Acts olthe Apostles, Beitrâge zur Geschichte der biblischen Exegese 17,Tûbingen, Mohr/Siebeck, 1975, pp. 235-247. Dans une optique trèsproche de celle de Haenchen, on notera le petit ouvrage de H.Conzelmann dans le Handbuch zum Neuen Testament, Die Apos-t e I g e sc hi c ht e, Ttibingen, Mohr/Siebeck, 1963.

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ordinaires de la recherche historique, le résultat est positif :il est exact sur tous les points que l'on puisse contrôler.Bruce argumente ensuite en faveur de < Luc, le médecinbien-aimé > (Col. 4. 13) et parfois compagnon de Paul,comme auteur des Actes, et va jusqu'à montrer qu'il estplausible que les Actes aient été écrits très tôt (environ 62),bien que ni I'une ni l'autre de ces conclusions ne soientnécessairement fondamentales en ce qui concerne sa va-leur historique essentielle. 1o

Comment deux spécialistes de renommée internationalepeuvent-ils parvenir à des conclusions si opposées sur cettequestion fondamentale ? C'est qu'ils représentent, pour ré-pondre brièvement, deux traditions académiques de l'étudedes Actes des Apôtres qui diffèrent presque entièrement. 11Construisant sur des fondations différentes, ils aboutis-sent à des superstructures différentes.

Haenchen s'inscrit dans la tradition critique allemandequi a son origine dans les travaux de F.C. Baur et deI'Ecole de Tûbingen du dix-neuvième siècle, de F. Over-beck, professeur de Nouveau Testament et d'histoire deI'Eglise primitive à Bâle (1870-1897) et dans I'ceuvre plusrécente (et moins < radicale >) de Martin Dibelius. tz Quoi-que Baur se targue d'opérer une critique purement histori-que, contrairement à l'approche théologique traditionnelle,il est clair que son æuvre était dogmatiquement aussi orien-tée que celle des représentants de l'ancienne orthodoxie 13.Par < purement historique >>, Baur n'entendait pas < l'em-ploi des règles habituelles de la critique historique et litté-raire >>, mais plutôt une approche critique qui excluait déli-bérément Ia possibilité des miracles - ) çsplqencer parla résurrection de Jésus - et la compréhension orthodoxedes origines de I'Eglise 1a. En dépit de sa réputation de< père de la critique historique >> r5, Baur a fait relativementpeu de travail réellement historique ; il s'est plutôt concen-tré sur les aspects dogmatiques et théoriques, se livrant àtoute une série d'hypothèses brillantes et, pendant un cer-

10 Concernant le travail de Bruce sur les Actes, cf. Gasque,History, pp.257-264.

11 J'ai montré le développement des deux traditions critiquesdans deux articles : < The Historical Value of the Book of Acts :An Essay in the History of New Testament Criticism >>, The Evan-gelical Quarterly 4L (1969), pp. 68-88 ; et < The Historical Valueof the Book of Acts : The Perspective of British Scholarship >,Theolosische Zeitschrift 28 (1972), pp. 777-196.

12 Cf. Gasque, History, spécialement les chapitres 2,4,5 et 9.13 Cf. I'excellente monographie récente de H. Harris, The Tiï

bingen School, Oxford, Clarendon Press, 1975.14 lbid., pp. 250-252 ; cf. Gasque, History, pp. 27-31', 50-54.15 C'est un honneur qui conviendrait mieux à H.A.W. Meyer

(1800-1873), le fondateur de la célèbre série de commentaires.

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tain temps, très influentes dans plusieurs domaines. Nousne nous arrêterons pas ici 16 à sa Tendenzkritik, qt'il aappliquée aux Actes, ni à sa conception du christianismeprimitif comme une suite de conflits entre le judéo-chris-tianisme (pétrinien) et le christianisme hellénistique (pauli-nien), aboutissant à la synthèse du catholicisme primitif.Ce qu'il importe de voir, c'est que nous avons là les ori-gines de la critique de Haenchen, point de départ de cer-tains a priori qui lui sont parvenus par l'intermédiaire dela critique allemande de la fin du dix-neuvième et, plustard encore, par Dibelius. Il s'agit en fait d'une antipathiethéologique contre les écrits lucaniens (qu'on les ait appe-lés lrùhkatholisch est symptomatique !) tz estimant qu'onne peut se fier aux récits des Actes pour étudier l'histoiredu christianisme primitiT. Remarquons que cette dernièreconclusion n'est pas le résultat d'une recherche historiquesérieuse, mais un héritage de la critique de Tûbingen, quiest ainsi devenue une partie du bagage de tout un courantde Ia critique biblique allemande.

Il importe de se rendre compte que cette mise en douteradicale de la valeur historique des Actes des Apôtres n'ajamais été paftagée par la majorité des critiques du Nou-veau Testament. Premièrement, des spécialistes allemandstels que H.A.W. Meyer, F.A.G. Tholuck, G.V. Lechler etA. Ritschl ont d'emblée formulé des objections à la recons-truction du christianisme primitif telle que l'opérait l'Ecolede Tûbingen, et ils ont démontré à quel point elle était peuplausible le. Plus tard, ce sont des spécialistes aussi diffé-rents les uns des autres que le luthérien conservateur Zahn,le protestant libéral Harnack, le catholique romain Wiken-hauser et I'historien profane Eduard Meyer, qui ont ras-semblé de nombreux éléments probants contredisant lejugement négatif porté sur I'historicité des Actes le. Maisleur travail a été généralement ignoré des critiques alle-mands < radicaux > 20. Cette estimation négative de l'histo-ricité des Actes n'a jamais été acceplée de façon très largeen dehors de l'Allemagne, pour les raisons qui vont suivre.

1o Cf. Gasque, ITistory, pp.21-54.17 W.C. van Unnik, < Luke-Acts, A Storm Center in Contem-

porary Scholarship >, in Studies in Luke-Acts, éd. L.E. Keck et J.L. Martyn, New York et Nashville, Abingdon, 1966, pp. 15-32, faitapparaître clairement I'enjeu théologique qui est sous-jacent audébat actuel; cf. aussi l'étude célèbre de P. Vielhauer, <<ZumPau-linismus der Apostelgeschichte >, Evangelische Theologie 10 (1950/5l),pp. 1-1s.

18 Cf. Gasque , History, pp. 55-72.le Cf. Gasque , Flistory, pp. t42-1,63.2o Vielhauer, par exemple, considère que le travail de Meyer

n'est pas valable parce qu'il a étudié les Actes << avec les présup-

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Bruce s'inscrit dans la tradition académique anglaise del'étude du Nouveau Testament, qui a son origine dans lestravaux de J.B. Lightfoot (1818-1889) et de Sir WilliamM. Ramsay (1851-1939). Il nous faut souligner deux dif-férences essentielles entre les traditions allemande et an-glaise : 1. la critique anglaise n'a jamais été d'orientationanti-orthodoxe (contrairement à I'Ecole de Tûbingen ; atti-tude perpétuée par I'Ecole bultmannienne contemporaine),et 2. dès ses débuts, la critique anglaise a été solidementenracinée dans la recherche historique (plutôt que théolo-gique) 21. A la différence de Baur et de ses disciples enAllemagne, Lightfoot et les premiers critiques anglaisétaient formés en philologie et en histoire classiques plu-tôt qu'en philosophie spéculative et en théologie. Peuaprès, Ramsay, I'homme qui a mis au point, pratiquementà lui seul, la discipline académique de I'archéologie classi-que en Grande-Bretagne, appliqua toute son érudition àl'étude des Actes 22. Il devint ainsi un grand défenseur de<< Luc l'historien >> 2:r.

Nous n'aurions pas la place d'exposer en détail l'æuvrede Lightfoot et de Ramsay zr, mais une esquisse de leurcontribution à l'étude des Actes offrira un arrière-planutile à notre appréciation de la valeur historique de cetécrit. Lightfoot a écrit son premier ouvrage concernantles Actes en réponse au livre intitulé Supernatural ReIi-gion: An Inquiry into the Reality of Divine Revelation(La religion surnaturelle : une enquête sur la réalité de larévélation divine). Ce dernier, publié de façon anonymeen 1874 (son auteur était W.R. Cassels), cherchait, entreautres, à mettre en doute la valeur historique des Actesdes Apôtres sur la base des suggestions faites par les criti-ques de Ttbingen. La réfutation soigneuse et sereine dulivre de Cassels zr par Lightfoot a empêché de façon défi-

posés d'un historien de I'antiquité >, se méprenant par là sur << lanature de ses sources d'information et sur la façon dont elles sontarrangées >> par I'auteur. Art. cit., p.'14, n. 37.

21 Cf. Gasque, History, pp. 107-14I.22 Cf. W. Ward Gasque, Sir William M. Ramsay: Archaeolo'

gist and New Testament Scholar, Grand Rapids, Baker, 1966.23 Il vaut la peine de remarquer en passant que Rruce a com-

mencé sa carrière dans les disciplines classiques. ll a été formé audébut par Alexandre Souter à I'Université d'Aberdeen, où Ramsayenseigna pendant de nombreuses années. Cf. le discours présiden-tiel de Bruce à la rencontre de la Studiorum Novi Testamenti So'cietas, en 1975 : << The New Testament and Classical Studies >,New Testament Studies 22 (1976), pp.229-242.

2a Pour plus de détails, cf. TheollZeit 28 (1972), pp. 177 ss. etmon ouvrage History, pp. 174-123 ; 136-1'42.

25 Lightfoot a fait une critique de cet ouvrage dans The Con-temporary Review (déc. 1874), suivie d'une série d'articles (1875-

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nitive _l'implantation dans le monde académique anglaisdes théories de Baur et de ses disciples. Ce n'esf cepenâantpas cette critique détaillée d'un livre par ailleurs peu im-portant qui a suffi à elle seule à empêcher l,influence deBaur. Ce sont plutôt ses ouvrages non polémiques, sesgrands commentaires sur les épîtres de pàul zo ei sur lesPères Apostoliques zz qui ont démontré très clairementque la reconstruction du christianisme primitif selon Ttibin-gen n'était qu'une vue de l'esprit sans fondement histori-que réel 28.

Lightfoot avait envisagé d'écrire un commentaire com-plet sur les Actes, mais il ne I'a jamais achevé. Il a cepen-dant publié deux études importantes sur Ie sujet ze, âanslesquelles. il.faisait.apparaître à quel point il était difficileà un écrivain ancien d'être exact dans des questions dedétails historiques et, deuxièmement, à quel point I'auteurdes Actes se révélait soigneusement exact.

-Prenons par

exemple les détails du gouvernement romain pendant lesdeux premiers siècles. A partir de la réorganisation del'Empire par Auguste, il y avait deux sortes de gouver-neurs de province: c'est un proconsul (anthupatos) quigouvernait les provinces administrées par le Sénat, et c'estun propréteur (antistratégos) ou un légat (presbutès) quigouvernait les provinces placées sous la responsabilité di-recte de I'empereur, en sa qualité de chef de l'armée. Cetteterminologie était très différente de celle en vigueur àl'époque de la République, et la répartition des piovincesentre I'empereur et le Sénat a été soumise à de constantesrévisions. Par conséquent, à moins d'une connaissancede première main ou, en tout cas, historiquement très sûre,il était impossible de dire si telle province, à tel moment

1877). Ses études ont été rassemblées pour former le livre Essayson the lVork Entitled Supernatural Religion, Londres, Macmillan,1889.

28 Galatians (1865) ; Philippians (1868) ; Colossians and phile-mon (1,875); chacun de ces comrnentaires a été réimprimé plu-sieurs fois et est encore en vente.

27 The Apostolic Fathers, 5 vol. (1885-1890), comprenant uni-quement Clément de Rome, Ignace et Polycarpe. Une premièreédition de Clément avait paru en 1869 et en 1.8i7, mais elle a étéentièrement révisée en 1890. Lightfoot a non seulement prouvéI'authenticité de la Première Epître de Clément, mais auss^i celledes sept lettres d'Ignace, enlevant par 1à un soutien fondamentalà la conception des origines chrétiennes selon l'école de Tûbingen.Cf. S. Neill, TIte Interpretation of the New Testament, 1861-1961,Londres, Oxford University Press, 1963, pp. 33-57.

28 Neill. or'. cil.2s < Discoveries Illustrating the Acts of the Apostles )), un ap-

pendice à: Essays on... <<Supernatural Religion>>, pp.297-302;èt< Acts of the Apostles >, Dictionary ol the Bible, éd. W. Smith,vol. l , 1893, pp.25-43.

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précis, était gouvernée par un proconsul ou un propréteur.Le cas de la province de l'Achaïe est significatif. Quel-ques années avant la visite de Paul à Corinthe, de mêmeque quelques années plus tard, elle était gouvernée par unpropréteur. Au moment de la visite de Paul, cependant,c'est un proconsul mandaté par le Sénat qui la gouvernait,précisément comme l'indiquent les Actes 90. Autre exem-ple : Chypre était sous le gouvernement d'un proconsullors de la visite de Paul, mais la situation a ensuite changé'L'indication d'Actes 13. 7 est exacte.

Lightfoot écrivait à une époque où I'on commençait àfaire les recherches archéologiques qui se sont révélées siutiles pour l'étude du Nouveau Testament, et il fut le pre-mier spécialiste néotestamentaire de renom à en saisir l'im-portance. Les découvertes faites à Ephèse, par exemple,ont montré que la prospérité de cette cité était due au culted'Artémis, comme nous le rapportent les Actes. Lightfootsuggère qu'un grand nombre des inscriptions récemmentdécouvertes constituent un commentaire quasiment suividu récit d'Actes 19. Les découvertes faites dans les autrescités que Paul a visitées en Asie Mineure et en Grèce vien-nent confirmer la valeur des Actes jusque dans les pluspetits détails historiques ou géographiques. En comparantles Actes à d'autres ceuvres historiques anciennes, on n'entrouvera probablement pas une qui offre autant de pointsde contact avec l'histoire, la politique ou la géographiecontemporaine, permettant par là de tester son exactitudehistorique. Ce que Lightfoot n'avait que suggéré et illustréaccessoirement allait être démontré en détail par Ramsayet par d'autres 31.

Les spécialistes qui ne parlent pas I'anglais ou qui con-naissent mal l'æuvre de Ramsay ont parfois I'impressionerronée que c'est un apologète < fondamentaliste > ! 32 Ehbien non ! Il avait, à vrai dire, assez peu d'intérêt pour lesquestions théologiques et, à son départ pour l'Asie Mi-neure (où il allait réaliser son æuvre magistrale d'archéo-

:]0 La découverte de I'inscription de Delphes (publiée en 1905)allait être une confirmation encore plus importante. Elle mentionneL. Junius Gallio (Ac. L8. l2-I7), le frère de Sénèque, ce qui nousfournit l'une des dates pratiquement certaines de la vie de Paul.

31 Dans ce qui suit, nous nous intéresserons avant tout à la con-tribution de Ramsay, mais celles de Zahn, Harnack, Wikenhauseret E. Meyer sont tout aussi importantes.

32 Par exemple : M. Goguel, Intrcduction au Nouveau Testa-ment, Tome 3,Le Livre des Actes, Paris, Ed. Ernest Leroux,. 1922,p. 63 ; H.R. Moehring, < The Census in Luke as an Apologeti-c-De-vice u, in Studies in the New Testament and Early Christian Histo-rv, éd. D.E. Aune, Leiden, Brill, 1972.

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logie classique), il partageait l'opinion de l,Ecole de Tûbin-gen au sujet des Actes. Il écrivit plus tard :

J'avais lu passablement d'ouvrages de la critique moder-ne concernant ce livre et j'avais, comme il se doit, acceptéI'opinion courante qui voulait que les Actes aient été écritsau deuxième siècle par un auteur qui cherchait à inlluencerses lecteurs par une description hautement travaillée etimaginaire de l'Eglise primitive. Il n'entendait pas présen-ter une image lidèIe des laits survenus qux environs deI'an 50 après J.-C., mais il visait à produire un certain elfetsur son époque par le récit soigneusement coloré des évé-nements de cefie période ancienne. Il écrivait pour sescontemporains et non pour Ia vérité. Il n'avait cure desdonnées géographiques ou historiques des années 30 à 60après J.-C. Il ne se préoccupait que des années 160-180et de Ia façon dont il pourrait dépeindre les héros des tempsanciens dans des situations susceptibles de toucher laconscience de ses contemporains. La vérité historique ougéographique valait moins que rien dans une telle perspec-tive : quiconque s'attache à ces détails détourne son atten-tion de ce qui compte vraiment, c'est-à-dire de ce quiémeut I'âme des hommes du deuxième siècle. es

Au cours de ses recherches sur la géographie historiquede l'Asie Mineure, Ramsay n'accorda tout d'abord que trèspeu d'attention aux anciens textes chrétiens. Il ne s'inté-ressait pas particulièrement à la théologie et il pensait queces écrits théologiquement orientés ne pouvaient guèreavoir de valeur historique. Cependant, dans sa quête achar-née de toute information pouvant contribuer à éclaircir Iagéographie ou l'histoire de cette partie de I'Asie Mineureque nous appelons aujourd'hui la Galatie du Sud, il se mità étudier les voyages de Paul dans cette région, tels queles décrivent les Actes. I1 pensait y trouver des donnéesportant sur la seconde moitié du deuxième siècle aprèsJ.-C., c'est-à-dire sur l'époque à laquelle, à son avis, l'au-teur des Actes avait vécu. Mais ce qu'il découvrit I'amenaà changer complètement d'avis au sujet de la date derédaction et de l'environnement historique des Actes sa.

Le premier élément qui l'amena à douter de la conclu-sion qu'il avait adoptée au début de ses recherches fut

_ t' !h, Bearing of Recent Discovery on the Trustworthiness olthe New Testament, Londres, Hodder & Stoughton, 1915, pp. 37-38; abrégé BR.D.

34 La << conversion > de Ramsay est donc une conversioî intel-le-ctuelle, au sujet de la valeur historique des Actes des Apôtres,plutôt qu'une conversion évangélique à une approche chrétienneorthodoxe des Ecritures. Pour âutant que je le sàche, Ramsay n'ajamais pris de position particulière sur I'inspiration biblique. il necroyait certainement pas à I'u insllnass ,, pàs même des Actes. Il

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l'étude minutieuse du récit d'Actes L4. Il en déduisit qu'ilétait parfaitement exact dans le contexte historique reven-diqué par les Actes sr. Cette découverte I'amena à posercette question : si l'auteur des Actes se montre soigneuse-ment précis en ce qui concerne un point de détail, neserait-il pas vraisemblable qu'il le soit également sur d'au-tres points ?

On peut s'attendre à ce qu'un auteur qui se révèle exactet précis sur un seul point manifeste les mêmes qualités surd'autres points. Aucun auteur n'est exact par pur hasardni précis sporadiquement. Il est précis en raison d'une cer-laine tournure d'esprit. Certains sont précis par nature;cI'autres sont par nature vagues et imprécis ta.

Son attitude à l'égard du livre des Actes changea doncradicalement. Au lieu de partir de I'idée que ce livre estsujet à caution lorsqu'il décrit une situation historique, ilse met à étudier les Actes avec un esprit ouvert, en admet-tant qu'ils puissent, après tout, se montrer exacts dansn'importe quel détail. Il se rendit compte, comme I'a faitremarquer Bruce, que si la fiabilité d'un auteur est < véri-fiée sur des points qu'on peut contrôler, pourquoi penserque ce même auteur soit moins digne de foi là où nous nepouvons pas tester son exactitude ? > s7 Dorénavant, Ram-say allait au moins accorder à I'auteur des Actes le béné-fice du doute.

Au fil des années, Ramsay est devenu de plus en plusconvaincu que I'histoire des origines chrétiennes rédigéepar Luc était sans pareille en ce qui concerne la précision.Après plus de trente ans d'étude approfondie de l'environ-nement du christianisme du premier siècle, il écrivait :

Plus j'étudie le récit des Actes, ainsi que la société, lapensée, les coutumes et l'organisation gréco-romaines deces provinces, plus j'admire et plus je comprends. Iem'étais mis à rechercher la vérité sur cette région où laGrèce et l'Asie se rencontrent et c'est là que je I'ai trou-vée. Vous pouvez tester les indications de Luc plus quecelles de n'importe quel autre historien. Elles résistent àl'examen le plus minutieux et à l'étude la plus fouillée,à condition que celui qui les critique connaisse son suietet ne dépasse pas les limites de la science et de la iustice.sa

Il est très regrettable que la réputation académique deRamsay ait été quelque peu ternie par la suite parce qu'il

ne faut donc pas le considérer comme un simple < apologète évan-gélique > qui a une position à défendre.

35 BRD,pp.39-52; cf. Gasque, Sir W.M. Ramsay, pp.25 s.3s BRD, p. 80.37 Acts, p. 17.18 BRD, p. 89 ; c'est moi qui souligne.

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a accepté de jouer le rôle d'apologète populaire de Luc-Actes. Mais il faut se rappeler que les jugements qu'il avulgarisés sont des jugements auxquels il est parvenu ensa qualité d'archéologue scientifique, à vrai dire en tantqu'<< autorité de premier plan en topographie, en coutumesanciennes et en histoire de I'Asie Mineure antique. > se Iln'avait pas de raison particulière de rechercher la faveurde la piété populaire chrétienne. En soutenant que ledeuxième volume de Luc est < sans pareil en ce qui con-cerne son exactitude >, il défend la conclusion à laquelleses recherches I'ont conduit, une conclusion très différentede ce qu'il pensait au départ. Et la majorité des spécialis-tes anglais et américains, de même que les historiens del'antiquité grecque et romaine - pour ne pas mentionnerune foule d'autres spécialistes - ont reconnu la validité desa thèse ao.

Voilà donc I'arrière-plan de la position de Bruce (etd'autres spécialistes) concernant la valeur historique dulivre des Actes. Il importe de souligner que cette conclu-sion ne résulte pas d'une apologétique théologique etqu'elle n'est pas adoptée exclusivement par des théolo-giens de tendance conservatrice (quoiqu'elle soit évidem-ment conforme à I'orthodoxie). Il s'agit plutôt d'un pointde vue fondé sur la science historique, c'est-à-dire sur lesmêmes méthodes qu'on utilise pour tester l'historicité den'importe quel document ancien. Par contre, la positionreprésentée, entre autres, par le commentaire (célèbre àjuste titre) de Haenchen ne peut être défendue, à monavis, qu'en ignorant l'æuvre de Ramsay et de tous ceuxqui se sont livrés à une analyse détaillée des données his-toriques. Ainsi, tout en reconnaissant une grande valeur(en particulier en ce qui concerne l'interprétation théolo-gique) à l'æuvre de Haenchen et à celle d'autres théolo-giens qui ont une opinion négative de la valeur historiquedes Actes, je pense que, sur ce point fondamental, Bruceet ses confrères ont raison.

La deuxième partie de cet article, qui paraîtra dans leprochain numéro de HOKHMA, contiendra d'autres exem-ples de la façon dont le récit des Actes est confirmé lors-qu'on I'examine selon les règles de la recherche histori-que.

3e J.G.C. Anderson, Dictionary ol National Biography 1931-1940, p. 727.

a0 Cf. I'opinion de A.N. Sherwin-White, le dernier historienclassique à avoir étudié le problème de la valeur historique desActes. Il écrit : < Toute tentative de rejeter l'historicité fondamen-tale des Actes, même dans des questions de détail, est désormaisabsurde. > Roman Society and Roman Law in the New Testament,oxford' clarendon Press' 1963' p' 189'

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