Histoire National Geographic N°6 Septembre 2013

108
Nº 6 • SEPTEMBRE 2013 • 5,95 / BEL: 6,50 / CH: 11 FS L 16203 - 6 - F: 5,95 - RD L’EUROPE CATHEDRALE LES SPECTACULAIRES ÉDIFICES RELIGIEUX DU MOYEN ÂGE LA RÉVOLUTION DE 1848 L’ESPOIR D’ÉGALITÉ ET DE JUSTICE AVORTÉ CLÉOPÂTRE L’ÉGYPTE À SES PIEDS LA LÉGION ROMAINE UNE ÉLITE EN ORDRE DE MARCHE BABYLONE LA RÉALITÉ D’UNE CITÉ MYTHIQUE HISTOIRE 6 SEPTEMBRE 2013

description

...

Transcript of Histoire National Geographic N°6 Septembre 2013

  • N

    6

    SEPT

    EMB

    RE

    201

    3

    5,95

    /

    BEL

    : 6,5

    0

    / C

    H: 1

    1 FS

    L 1

    62

    03

    - 6

    - F

    : 5

    ,9

    5

    - R

    D

    BABY

    LON

    EC

    LOP

    TR

    EA

    RIST

    OT

    ELA

    LGIO

    NR

    OM

    AIN

    ELES

    CA

    TH

    DR

    ALES

    LAR

    VO

    LUT

    ION

    DE

    1848

    LEUROPECATHEDRALELES SPECTACULAIRES DIFICES RELIGIEUX DU MOYEN GE

    LA RVOLUTION DE 1848LESPOIR DGALIT ET DE JUSTICE AVORT

    CLOPTRELGYPTE SES PIEDS

    LA LGION ROMAINEUNE LITE EN ORDRE DE MARCHE

    BABYLONE LA RALIT DUNE CIT MYTHIQUE

    HISTOIRE

    N6 SEPTEMBRE 2013

  • www.histoire-immigration.fr PALAIS DE LA PORTE DORE PARIS 75012 Collections permanentes, du mardi au vendredi de 10h00 17h30, samedi et dimanche de 10h00 19h00 Mtro 8 Tramway 3a Porte Dore

    -

    Jac

    que

    s W

    ind

    enb

    erg

    er.PAS TOUS

    DES GAULOIS

    NOS ANCETRESN ETAIENT

  • L D I T O R I A L

    Bien rels ou mythis, voire imagins, les vestiges du pass sont souvent le reet dune immuable qute de perfection.

    Que reste-t-il de Babylone sinon des ruines et des reconstitutions ?

    Limage demeure dune ville sublime che au centre du monde, symbole

    de lharmonie cosmique cre par sa divinit suprme, le dieu Mardouk.

    Et quimporte si lon na trouv aucune trace des clbres jardins suspendus,

    une des Sept Merveilles du monde. Dans cette cit, le mythe est plus fort

    et les rcits merveills quen rent les anciens ont forg une ralit.

    Jetant au cur de lEurope catholique leurs profondes racines de pierre,

    les cathdrales sont, elles, bien relles et toujours en activit. Leur part

    symbolique nen est pas moindre. Merveilles dquilibre, emblmes

    de richesses et de puissance, tmoignages de la vitalit de la civilisation

    mdivale, elles sont le fruit dune extraordinaire aventure architecturale

    et spirituelle qui a boulevers les arts, les techniques, les rapports sociaux,

    la foi et le pouvoir. Si elles racontent lafrmation du rle de lglise,

    la croissance conomique du XIIIe sicle, la coordination des diffrents corps

    de mtiers qui ont permis les formidables progrs dans la construction,

    elles constituent aussi un nouveau tmoignage

    de cette qute ternelle dun idal de perfection.

    Voici ce mois-ci dans Histoire National

    Geographic deux exemples parmi dautres

    daventures humaines si lointaines et si proches.

    SYLVIE BRIETRdactrice en chef

    PR

    ISM

    A

  • 22 Babylone, cit biblique et mythiqueSi les archologues ont trouv les traces dune splendeur passe, les jardins suspendus demeurent une nigme. PAR JUAN LUIS FENOLLOS

    32 Cloptre, fine politiqueLa dernire reine dgypte avait comme objectif de prserver son pouvoir et lindpendance de son pays. PAR ANNE-EMMANUELLE VEISSE

    44 Aristote, la science infuseDepuis le ive sicle av. J.-C., son uvre plthorique a marqu lvolution de la pense et de la science en Occident. PAR CARLOS GUAL

    54 La lgion, une lite au pasLa lgion est peu peu devenue la colonne vertbrale de lEmpire romain. PAR JOS ANTONIO MONGE MARIGORTA

    66 Le temps des cathdralesAu Moyen ge, les villes mdivales se sont difies autour des grands sanctuaires catholiques. PAR MATHIEU LOURS

    82 1848, printemps sanglantLa rvolution marque lavnement de la IIe Rpublique, elle est suivie dune rpression sanglante. PAR DOMINIQUE KALIFA

    Dossiers Rubriques

    FEMME PORTANT UN OISEAU. DTAIL DUN RELIEF GRAV SUR LE LINTEAU DE LA GROTTE 26 AJANTA, INDE.

    NUMRO 6

    8 LES ACTUALITS

    10 LE PERSONNAGELe rgne dHliogabaleLempereur romain mena une vie sexuelle dbride et se consacra surtout au culte du dieu Elagabal.

    14 LVNEMENTLassassinat dHenri IVAyant chapp une vingtaine de complots, le roi savait que la mort le menaait tout instant.

    18 LA VIE QUOTIDIENNELes animaux en gypteCompagnons ou reprsentations divines, les btes occupaient une place centrale dans la socit.

    96 LA GRANDE DCOUVERTELes grottes dAjantaEn Inde, des officiers britanniques dcouvrent des grottes abritant de sublimes sculptures bouddhistes.

    100 LUVRE DART102 LES LIVRES ET EXPOSITIONS

    BARRICADE RUE SOUFFLOT LES COMBATS DU PANTHON EXPRIMENT LA DTERMINATION DES INSURGS, OUVRIERS, TUDIANTS ET BOURGEOIS LIBRAUX RUNIS.

  • LES DCOUVERTES QUI ONT CHANG LE MONDELES DCOUVERTES QUI ONT CHANG LE MONDE

    GRANDES IDES

    SCIENCE DE LA

    UNE COLLECTION RIGOUREUSE, ACCESSIBLE ET VIVANTE. Une nouvelle faon de parler de la science !

    DS LE 28 AOT, CHAQUE SEMAINE UN NOUVEAU LIVRE CHEZ VOTRE MARCHAND DE JOURNAUX !

    PLUS DINFORMATION ET ABONNEMENT SUR :

    www.grandes-idees-science.fr

    COMPRENEZ ENFIN LES THORIES QUI ONT CHANG LE DESTIN DE LHUMANIT..La gravitation, la relativit, la thorie quantique...

    EINSTEIN, NEWTON, MARIE CURIE, HEISENBERG, MAX PLANCKPlongez dans la vie et lpoque des scienti ques de gnies.

    2

    013

    RB

    A Co

    nten

    idos

    Edi

    tori

    ales

    y A

    udio

    visu

    ales

    . L

    dite

    ur s

    e r

    serv

    e le

    dro

    it d

    inte

    rrom

    pre

    la c

    olle

    ctio

    n en

    cas

    de

    mv

    ente

    . Vis

    uels

    non

    con

    trac

    tuel

    s.

    LE N1RECEVEZ C H E Z V O U S

    3,99SEULEMENTP O U R

  • JOHN FAHEY, Chairman and CEO

    Executive management TERRENCE B. ADAMSON, TERRY D. GARCIA, STAVROS HILARIS, BETTY HUDSON, AMY MANIATIS, DECLAN MOORE BROOKE RUNNETTE, TRACIE A. WINBIGLER, BILL LIVELY

    INTERNATIONAL PUBLISHING

    Vice President, Magazine Publishing YULIA PETROSSIAN BOYLEVice President, Book Publishing RACHEL LOVE, CYNTHIA COMBS, ARIEL DEIACO-LOHR, KELLY HOOVER, DIANA JAKSIC, JENNIFER LIU, RACHELLE PEREZ, DESIREE SULLIVAN

    RESEARCH AND EXPLORATION COMMITTEE

    PETER H. RAVEN, ChairmanJOHN M. FRANCIS, Vice ChairmanPAUL A. BAKER, KAMALJIT S. BAWA, COLIN A. CHAPMAN, KEITH CLARKE, J. EMMETT DUFFY, PHILIP GINGERICH, CAROL P. HARDEN, JONATHAN B. LOSOS, JOHN OLOUGHLIN, NAOMI E. PIERCE, JEREMY A. SABLOFF, MONICA L. SMITH, THOMAS B. SMITH, WIRT H. WILLS

    BOARD OF TRUSTEES

    JOAN ABRAHAMSON, MICHAEL R. BONSIGNORE, JEAN N. CASE, ALEXANDRA GROSVENOR ELLER, ROGER A. ENRICO, JOHN FAHEY, DANIEL S. GOLDIN, GILBERT M. GROSVENOR, WILLIAM R. HARVEY, MARIA E. LAGOMASINO, GEORGE MUOZ, REG MURPHY, PATRICK F. NOONAN, PETER H. RAVEN, EDWARD P. ROSKI, JR., JAMES R. SASSER, B. FRANCIS SAUL II, GERD SCHULTE-HILLEN, TED WAITT, TRACY R. WOLSTENCROFT

    NATIONAL GEOGRAPHIC SOCIETY

    Inspirer le dsir de protger la plante

    National Geographic Society est enregistre Washington D.C.,

    comme organisation scientifique et ducative but non lucratif dont la vocation est

    daugmenter et de diffuser les connaissances gographiques .

    Depuis 1888, la Society a soutenu plus de 9 000 expditions et projets de recherche.

    Licenciataria de NATIONAL GEOGRAPHIC SOCIETY,

    NATIONAL GEOGRAPHIC TELEVISIONPRESIDENTE RICARDO RODRIGOCONSEJERO DELEGADO ENRIQUE IGLESIASDIRECTORAS GENERALES ANA RODRIGO, MARI CARMEN CORONASDIRECTORA GENERAL EDITORIAL

    KARMELE SETIEN

    REVUE MENSUELLE DITE PAR RBA FRANCE SARL20, rue Cambon, 75001 Paris

    msopotamieFRANCIS JOANNESProfesseur d'histoire ancienne l'universit Paris 1 Panthon-Sorbonne o il enseigne l'histoire msopotamienne, les rapports entre la Bible et la Msopotamie, et les langues anciennes du Proche-Orient.

    grce SOPHIE BOUFFIERProfesseure dhistoire grecque luniversit dAix-Marseille, spcialiste de lexpansion grecque en Mditerrane entre le viiie et le iiie s. av. J.-C., notamment en Italie et en Gaule mridionale.

    moyen geDIDIER LETT Mdiviste, professeur luniversit de Paris Diderot-Paris 7. Il est spcialiste de la fin du Moyen ge, de lhistoire de lenfance, de la famille, de la parent et du genre.

    gypte PASCAL VERNUSgyptologue, agrg de lettres classiques, docteur d'tat. Directeur d'tudes en linguistique gyptienne et en philologie lcole Pratique des Hautes tudes (EPHE) de Paris.

    rome CLAIRE SOTINELProfesseure dhistoire romaine luniversit Paris-Est Crteil Val-de-Marne. Ancien membre de lcole franaise de Rome. Elle est spcialiste de lAntiquit tardive.

    poque moderne-contemporaine DOMINIQUE KALIFA Professeur dhistoire contemporaine Paris I o il dirige le Centre dhistoire du xixe sicle. galement professeur Sciences-Po, il est spcialiste de lhistoire du crime et des transgressions.

    Directeur de la publication : FRDRIC HOSTEINS

    RDACTION :Rdaction en chef : SYLVIE BRIET dition et actualits : QUENTIN DESCAMPS, ANTHONY CERVEAUXEmail : [email protected]

    Conseillers de la rdaction : JOSEP CASALS (directeur Historia National Geographic) IAKI DE LA FUENTE (directeur artistique)

    Ont collabor ce numro : JUAN PABLO SANCHEZ, GUILLAUME MAZEAU, DAMIEN AGUT, JUAN LUIS MONTERO FENOLLOS, ANNE-EMMANUELLE VEISSE, CARLOS GARCIA GUAL, JOS ANTONIO MONGE MARIGORTA, MATHIEU LOURS, DOMINIQUE KALIFA, MATTIA MURATORI, CARME MAYANS, MARC MECHENOUA.Traduction : ISABELLE GUGNON, ISABELLE LANGLOIS- LEFEBVRE, JULIETTE LEMERLE, ROMAIN MAGRAS, NATHALIE MOULARD.

    MARKETING ET DIFFUSION : Directrice marketing et diffusion : SOPHIE THOUVENIN ([email protected])

    VENTES AU NUMRO : SERVICE DES VENTES : PROMVENTE : (01) 55 51 83 62DISTRIBUTION : MLP

    ABONNEMENTS :I-ABO 11 rue Gustave-Madiot 91070 BondoufleTl. : 01 60 86 03 31 Fax : 01 55 04 94 01Email : [email protected]

    TARIF DABONNEMENT: 1 an 12 numros : 49,95

    SITE INTERNET : www.histoire-nationalgeographic.com

    PUBLICIT : MEDIA OBS 44, rue Notre-Dame-Des-Victoires 75002 Paris Tl. : 01 44 88 97 70 Fax : 01 44 88 97 79 Email : [email protected]

    Directeur de publicit : JEAN BENOT ROBERT 01 44 88 97 79Chef de publicit : AURLIE DESZ 01 70 37 39 76Studio : REINE VITRY 01 44 88 89 17

    Dpt lgal : Mars 2013ISSN : EN COURSCommission paritaire : 0418K91790OJD : EN COURS

    Fabrication : ROTOCAYFO (ESPAGNE) Ralisation : NORD COMPO, VILLENEUVE-DASCQRoutage : FRANCE ROUTAGEDirecteur Logistique : FRDRIC BARENNES([email protected])Directeur financier : MICHAEL TIBERGHIEN ([email protected])

    COMIT SCIENTIFIQUE

    LA SAINTE-CHAPELLE PARISPHOTOGRAPHIE : R. IAN LLOYD

  • E

    RICH

    LES

    SING

    / AL

    BUM

    JAYAVARMAN VII a dirig Angkor au xiie sicle, portant le rgne khmer son apoge. Il sest converti au bouddhisme et est lorigine de la construction dune nouvelle capitale, Angkor Thom domine par le magnifique temple bouddhiste de Bayon. Muse de Phnom Penh.

    pu localiser la cit. Lopration na dur que deux jours, mais cest pourtant la plus grande mission archologique de ce type lance dans le monde.

    100 km de routes La technologie LiDAR nous a permis de dcouvrir une ville entire dun seul coup. Pour obtenir de telles donnes, il fallait jusqu prsent travail-ler sur une dizaine dannes ou plus , explique Damian Evans, directeur du centre de recherches archologiques de luniversit de Sydney. Sous

    40 km au nord-est dAngkor, au Cam-bodge, des archo-logues ont dcouvert

    en juin dernier les vestiges dune ville entire, la cit per-due de Mahendraparvata, vo-que dans des textes anciens. Construite 350 ans avant sa voisine Angkor, la cit aurait t la premire capitale khmre, il y a prs de 1 200 ans. Cest grce une technologie trs sophistique, le laser LiDAR (voir ci-dessus), que lquipe darchologues australiens dirige par Damian Evans a

    lpaisse vgtation, les ar-chologues ont galement identifi un rseau dense davenues et de canaux im-possible distinguer depuis le ciel reliant les diffrentes cits et difices religieux comme Angkor Vat, Angkor Thom et Bayon, aux ruines moins frquentes de Phnom Kulen, Beng Mealea et Koh Ker plus de 100 km de dis-tance. Lampleur de cette ur-banisation apporte de nou-velles pistes aux chercheurs pour expliquer le dclin de la civilisation khmre.

    Une cit retrouve sous la jungle du CambodgeGrce une technique novatrice, une quipe darchologues a trouv les vestiges dune cit prs dAngkor et le rseau urbain qui les reliait.

    ASIE ORIENTALE

    PENDANT UNE SEMAINE, lquipe de Damian Evans a scann le sous-sol dAngkor laide dun hlicoptre quip du laser LiDAR, prenant des milliers de photographies. Le projet qui a cot prs de 190 000 euros a permis de rvler des structures totalement inconnues jusque-l sous le sol dAngkor, comme le montre limage ci-dessus.

    JA

    CQUE

    S SI

    ERPI

    NSKI

    / GT

    RES

    VUE ARIENNE DANGKOR VAT. LE TEMPLE HINDOUISTE CONSTRUIT POUR LE ROI SURYAVARMAN II AU MILIEU DU XIIe SICLE.

    M

    ICHA

    EL C

    OE

    L E S A C T U A L I T S

  • L E S A C T U A L I T S

    F

    LES FOUILLES de la spulture ont galement rvl plusieurs petites perles en coquille perfore. Longues de 10 mm, elles taient utilises pour les parures. Plus de 1 000 perles de ce type ont t mises au jour dans la spulture de la Grotte des Enfants, de Balzi Rossi, Vintimille.

    R

    ENAU

    D LI

    SFRA

    NC, I

    NRAP

    V

    RON

    IQUE

    ARB

    RUN,

    INRA

    Plibre, contrairement la tren-taine de spultures analogues mises au jour sur la pninsule italienne dans des grottes ou sous des abris rocheux.

    Cest en 2011 que les ar-chologues ont repr des petits silex taills puis des ossements fragiles singuliers. Il aura alors fallu attendre deux ans pour que ltat di-ligente une mission archo-logique confie lInrap. En approfondissant les fouilles, les chercheurs ont mis la main sur une tombe du palo-lithique. Ils en ont extrait un

    D e lAtlantique lOu-ral, seules 200 s-pultures de cette priode ont t ex-

    humes en Europe. Autant dire que la dcouverte faite, dbut juillet, par les archo-logues de lInrap (Institut national de recherches ar-chologiques prventive) dans une plaine prs de Cuges-les-Pins (Bouches-du-Rhne) constitue une trouvaille dex-ception. Cest mme, ont-ils prcis, la premire de cette poque connue en France. Et chose rare, la tombe est lair

    squelette dont le crne et les deux ranges de dents sont parfaitement conservs. Une datation au carbone 14 de lmail dentaire doit permettre de dterminer prcisment son origine. Cependant, on sait dj que cet individu a vcu la fin du palolithique, une poque o les hommes taient encore des chas-seurs-cueilleurs, poursuivant des cerfs ou des lapins. Des animaux bien plus petits que les mammouths que c-toyaient leurs anctres.

    ANTHONY CERVEAUX

    Exhumation dune tombe du palolithiqueUne spulture en excellent tat de conservation, datant de 11 000 12 000 ans avant notre re, a t retrouve dans le sud de la France.

    ARCHOLOGIE PRVENTIVE

    LE CORPS, PLAC EN POSITION REPLIE SUR SON CT GAUCHE, DE FAON

    CONTRAINTE, A T RECOUVERT IMMMDIATEMENT APRS LINHUMATION.

  • L E P E R S O N N A G E

    222

    Hliogabale, la dbauche dun empereur phmre

    JULIA DOMNA, MRE DE CARACALLA ET GRAND-TANTE DHLIOGABALE. BUSTE DU IIIe SICLE. MUNICH.

    Face l usurpateur Macrin, Hliogabale incarna la lgitimit de la dynastie des Svres.

    Hliogabale, Varius Avitus Bassianus de son vrai nom, monta sur le trne en lan 218. Durant les cinq annes de son rgne, Rome

    dut subir les frasques de cet empereur fantasque qui imposa le culte dlagabal, le dieu syrien dont drive son surnom. lius Lampridius, son biographe, afrme dans lHistoire Auguste que jamais il naurait pu crire la vie dHliogabale Antonin, qui fut aussi appel Varius, et faire savoir que les Romains eurent pour prince un pareil monstre, si dj avant lui ce mme empire navait eu les Caligula, les Nron et les Vitellius .

    Hliogabale appartenait la dynas-tie des Svres. Sous lempereur afri-cain Septime Svre et son pouse, la Syrienne Julia Domna, Rome connut une longue priode de stabilit, avant que des tensions ne surgissent sous le rgne de son successeur, Caracalla. Celui-ci fut assassin en 217. Lui succda un usurpateur , le gnral Macrin, simple membre de lordre questre, qui navait pas le rang de snateur et qui tait dpourvu dexprience poli-

    tique. Macrin sous-estima la famille de lempe-

    reur dfunt. La mre de Caracalla, Julia

    Domna, mourut peu de temps aprs lui, mais Julia Msa, la sur de celle-ci, tait toujours en vie, tout comme ses filles et ses petits-enfants : Julia Somias et son fils Varius Avitus Bassianus, ainsi que Julia Mamma et son fils Gessius Alexianus Bassianus. Macrin les maintint tous sous bonne garde en Syrie, tout en les laissant jouir de tous les biens qui leur appartenaient, mais il ne sut pas voir que les membres de cette famille impriale incarnaient une lgitimit dynastique qui pouvait venir contrarier son arrivisme.

    Les troupes soudoyesHliogabale russit devenir empereur grce la tnacit de sa grand-mre, Julia Msa. Elle regrettait la vie de cour Rome et ntait pas prte renoncer ses privilges. Elle fit courir le bruit que son petit-fils Bassianus tait le fils naturel de Caracalla et de Julia Somias (en fait, son pre tait le snateur Sextus Varius Marcellus), et elle employa ses richesses soudoyer les troupes sta-tionnes en Syrie.

    Bassianus, dont le physique rappe-lait fortement celui de Caracalla, tait un prtre du culte du dieu lagabal et, selon la lgende, il ne laissait pas indif-frents les soldats qui se rendaient au

    Cinq annes de folie sur le trne imprial

    vers 203Naissance de Varius Avitus Bassianus en Syrie, petit neveu de lempereur Septime Svre et neveu de Caracalla.

    218 14 ans, Bassianus est proclam empereur par les lgions de Syrie. Ses partisans vainquent Macrin Antioche.

    217

    219

    Plac la tte de lEmpire romain par des femmes de sa famille ds lge de 14 ans, Avitus Bassianus mena une vie sexuelle dbride et se consacra surtout au culte dlagabal.

    A

    KG /

    ALBU

    M

    Aprs lassassinat de Caracalla, Avitus Bassianus, un de ses parents, est envoy en Syrie par Macrin, nouvel empereur.

    Le nouvel empereur arrive Rome o il impose le culte du dieu oriental lagabal. Il prend le nom dHliogabale.

    Alexandre Svre, un cousin, arrive Rome. Piqu de jalousie, Hliogabale veut loccire, mais cest lui qui est assassin.

  • temple, fascins par la beaut effmine du jeune homme, que venaient encore rehausser les bijoux et les colliers de verroterie quil portait. Les pots-de-vin, les rumeurs et le charme du jeune Bassianus eurent leffet attendu : lorsquil se prsenta, accompagn de son prcep-teur Glannys, au-devant du centurion Publius Valerius Comazon et de ses troupes, il fut proclam empereur. Les autres lgions dOrient ne tardrent pas prter allgeance Bassianus et, en moins dun mois, Macrin tombait, vaincu, prs dAntioche. Au demeurant, le nouvel empereur sintressait plus

    son dieu quaux intrigues de palais. Le btyle sacr dlagabal quitta ainsi mse pour Rome, au rythme des danses de son plus fidle serviteur.

    Un sanctuaire ddi son dieuPendant ce temps-l, Julia Msa envoya au Snat romain un portrait de Bassianus, et lordre fut donn de rserver la mre du souverain, la trs auguste Julia Somias, une place sur le banc rserv aux consuls, endroit depuis lequel elle pourrait participer aux sessions. On institua mme sur le mont Quirinal un nouveau Snat,

    rserv aux matrones romaines, qui fonctionna sous la houlette de la mre et de la grand-mre de Bassianus. Ce dernier se fit officiellement appeler Marc-Aurle-Antonin, et on lui chercha une digne pouse, comme Julia Cornelia Paula, une dame de rang snatorial, et plus tard, Annia Faustina, descendante de lempereur Marc-Aurle. Or, ds son arrive Rome, Bassianus fit difier sur le mont Palatin un sanctuaire ddi son trs vnr dieu. Ds lors, le souve-rain fut connu comme Hliogabale, du nom du dieu quil adorait. En lhonneur dlagabal, un grand nombre de vaches

    EN RAISON DE SON GE i l rgna de 14 18 ans en tant quempereur, Hliogabale ne fit jamais que de la figuration, abandonnant lexercice effec-tif du pouvoir aux membres de sa famille, et en particulier sa grand-mre Julia Msa. Sa jeunesse explique peut-tre sa vitalit sexuelle et lardeur avec laquelle il officia comme prtre dlagabal. Par exemple, il dan-sait en public lorsque les dvts de ce dieu entraient en transe. Malgr la rpugnance que ces crmonies exotiques leur ins-piraient, les snateurs devaient y participer ; ils en conurent une profonde haine lgard de leur souverain.

    CAPRICES ET OUTRAGES DUN ADOLESCENT

    B

    RIDG

    EMAN

    / IN

    DEX

    LES ROSES DHLIOGABALE. PEINTURE LHUILE (1888) DE SIR LAWRENCE ALMA-TADEMA. COLLECTION PRIVE.

  • L E P E R S O N N A G E

    LA TERRE DU DIEU. Ruines de lancienne cit de Palmyre, en Syrie, non loin du berceau dlagabal.

    et de moutons taient sacrifis chaque jour, dans des crmonies qui eurent parfois comme victimes des jeunes gens choisis au sein de la noblesse romaine et au cours desquelles les vins les plus raffins se mlaient au sang des sacrifis. Comme il navait de respect que pour la religion dont il tait le grand prtre, Hliogabale nhsita pas profaner la

    maison des Vestales, sur le Forum, et se choisir comme pouse une de ses vierges sacres. Rien ne sied mieux un prtre que de se marier avec une prtresse , dclara-t-il au Snat.

    Les frasques et les excs de cet empe-reur furent sans nombre. On raconte ainsi quil surprit le peuple de Rome avec ses naumachies, des batailles navales orga-

    nises au cirque, et dont les bateaux ne flottaient pas sur leau mais sur du vin, ceci afin dvoquer la mer, qualifie par Homre de vineuse dans LOdysse. Selon son humeur, Hliogabale, dot dun humour bien particulier, jetait des offrandes du haut de ses tours : des kilos de viande, des chiens morts ou des centaines daurei (monnaie) pour lesquels le peuple stripait. Lors des banquets, il aurait fait servir des mets

    en cire, en bois ou en marbre, et il aurait mme noy ses convives sous des milliers de fleurs jusqu leur en faire perdre la respiration. Dans dautres occasions, son caprice

    se bornait inviter dner huit hommes, chauves, borgnes ou gros, quil runissait pour samuser ensuite les voir se disputer un minuscule triclinium (lit de banquet).

    Hliogabale laissait libre cours sa sexualit quelque peu dbride. Il se fardait les joues pour les faire briller,

    UNE MORT PEU GLORIEUSE LGE DE 18 ANS, lempereur Hliogabale qui se savait menac - tait dcid se donner la mort mais il fut poignard. Son corps aurait t tran dans les rues de Rome avant dtre jet dans les eaux du Tibre le 11 mars 222 apr. J.-C. Malgr la damnation de mmoire laquelle lempereur fut condamn, il reste quelques portraits dHliogabale, dont ce buste en marbre.BUSTE DHLIOGABALE. IIIe SICLE. MUSE DU CAPITOLE, ROME.

    M

    ATTH

    IEU

    VERD

    EIL

    / AGE

    FOT

    OSTO

    CK

    A

    RT A

    RCHI

    VE

  • L E P E R S O N N A G E

    CONDUCTEUR DE QUADRIGELa relation tapageuse

    quHliogabale entretint avec laurige Hirocls scandalisa les

    habitants de Rome. Mosaque romaine du dbut du ive sicle.

    LE DIEU DE LA MONTAGNE

    LAGABAL. PICE DE MONNAIE DANTIOCHE (SYRIE) FRAPPE DU SYMBOLE DE CETTE DIVINIT. IIIe SICLE.

    avant de traverser en sautillant les pices du palais imprial pour aller offrir son corps dans les bordels. Il prenait une voix mielleuse, adoptait des postures obscnes et affectait une moue de fausse pudeur au spectacle de sa propre nudit. Une fois, il fit runir toutes les prosti-tues. Il se mit alors les haranguer, les instruisit de pratiques sexuelles. Une autre fois, il se prsenta au-devant delles habill en femme, avec de faux seins, leur promettant de les rcompenser avec largesse pour leurs prestations.

    Une luxure sans limitesLes auriges, les athltes et les esclaves assouvissaient la concupiscence dHlio-gabale. Il sprit dun conducteur de quadrige nomm Hirocls, lappela son mari et se mit lui-mme carder la laine comme sil avait t sa femme. Mais il ne lui tait pas fidle et il se lais-sait surprendre en compagnie dautres favoris, anim du dsir masochiste de se

    faire rosser par Hirocls. Hliogabale rendit publics les thermes impriaux, surtout afin de pouvoir en observer les usagers tout son aise, et faire ensuite rechercher par les rues et les ports ceux quil appelait les onobeli, les hommes membrs comme des nes . Ses ser-viteurs trouvrent ainsi Zoticus, un athlte de Smyrne dot de puissants attributs virils.

    Une devineresse syrienne avait fait savoir Hliogabale que sa vie serait brve et quil mourrait de mort violente. Dcid se donner la mort plutt que de prir assassin, lempereur fit une provision de somptueux poignards la lame dargent tremp et de toutes sortes de poisons, et il fit mme construire une trs haute tour recouverte dor et de diamants du haut de laquelle il comp-tait se jeter, le moment venu. Pourtant, sa fin ne fut pas glorieuse. Julia Msa le convainquit dadopter son cousin Gessius Bassianus Alexianus, qui avait

    12 ans et qui tait le fils de Julia Mamma. Ce dernier prit le nom de Marc Aurle Svre Alexandre, et on lui confra le titre de csar. Hliogabale sen repentit bien vite ; en voyant quel point son neveu gagnait en popularit, il essaya de lliminer, mais provoqua une sdition militaire. Alors quelle tait occupe protger le jeune Alexandre, Msa vit Hliogabale se faire poignarder par de simples soldats. Il ntait g que de 18 ans. Son corps fut jet dans le Tibre, l mme o venaient mourir les eaux du grand cloaque.

    JUAN PABLO SANCHEZDOCTEUR S LETTRES CLASSIQUES

    A

    RT A

    RCHI

    VE

    MSE (lactuel Homs, en Syrie) tait vnr un mono-lithe noir de forme conique appel lagabal, dieu de la montagne . Sur les pices de monnaie, le btyle, la pierre sacre du dieu, est ceint de couronnes, orn de guirlandes et escort par un aigle, sym-bole de son pouvoir cleste.

    B

    PK /

    SCAL

    A, F

    IREN

    ZE

    TEXTEHistoire Augustelius Lampridius, traduction et commentaires Andr Chastagnol,Robert Laffont, 1994.ESSAIHliogabale ou lanarchiste couronnAntonin Artaud, coll. Limaginaire , Gallimard, 1997.

    Pour en savoir plus

  • t couronne dans labbatiale de Saint-Denis. Pourtant, dans tout Paris, on murmurait que, bientt, le roi serait tu. Depuis longtemps, la peur dun attentat faisait partie du quotidien de la monarchie : Henri navait-il pas essuy une vingtaine de complots ? En 1594, navait-il pas survcu au poignard de Jean Chastel ? Instigateur dune politique de pacification aprs plusieurs dcennies de conflits religieux, Henri IV incarnait lquilibre fragile dune socit encore pntre dune culture de guerre civile. Ldit de Nantes, qui avait mis fin la

    Annonc en 2010, lvne-ment avait fait leffet dune bombe : la tte dHenri IV, que lon croyait perdue tout jamais, avait t

    retrouve. Aussitt, les passionns dhistoire se replongrent alors dans les vnements de la disparition du premier des Bourbon, survenue dans des circonstances clbres et tragiques, un vendredi du mois de mai 1610.

    Ce jour-l, le royaume stait lev dans une atmosphre particulire. La veille, la reine Marie de Mdicis avait

    dure rpression envers les protestants, navait que douze ans. De nombreuses plaies restaient ouvertes. Certains catho-liques dtestaient le roi, non seulement pour son pass de protestant, mais aussi parce quils estimaient que celui-ci tait all trop loin dans la rintgration des huguenots. Au nom de la dfense de la foi, les catholiques extrmistes de la Ligue, dfaits sur le terrain des armes, mais dsormais engags dans une rsistance clandestine, pensaient quil tait lgi-time de dposer ou mme de tuer un roi qui, ayant trahi lglise, tait devenu un

    Henri IV, chronique dune mort annonceLe 14 mai 1610, Ravaillac plante deux coups de couteau dans le cur du roi. Ayant dj essuy une vingtaine de complots, Henri IV savait que la mort le menaait tout instant.

    ARRESTATION DU RGICIDE juste aprs lagression du souverain. Dessin de William Hamilton, xviiie sicle, Muse national du chteau de Pau.

  • tyran. Critiqu, menac, Henri IV savait donc parfaitement que le risque de mort faisait partie de la routine du pouvoir, dont lassise ne cessait de vaciller sur le fil de la rconciliation nationale, dans une ambiance de crise permanente.

    Aprs avoir sacrifi aux rituels quo-tidiens et stre occup des affaires courantes, le roi dcida de quitter son palais du Louvre en dbut daprs-midi pour se rendre chez Sully, le surintendant des Finances et grand matre de lArtil-lerie, alors malade, afin dvoquer les

    derniers prparatifs de la campagne mili-taire qui sannon-

    ait. Le 19 mai,

    Henri IV devait en effet rejoindre les soldats rassembls en Champagne pour aller aider, aux cts de lAngleterre et de la Hollande, deux princes protes-tants dans leur combat contre le Saint Empire soutenu par lEspagne. Pour se rendre chez Sully, le roi devait aller jusqu lArsenal. En ce lendemain de festivits, Paris tait encore parcouru dtrangers et de Franais venus des provinces. La prsence dune population mobile et mal connue prs des lieux du pouvoir tait un des moments les plus redouts des forces de lordre, qui savaient par exprience que les temps de fte pouvaient aisment basculer dans la violence. Le long parcours royal

    dans Paris savrait donc particuli-rement prilleux. La veille et le matin mme, les proches du roi, sappuyant sur de funestes prophties et prdic-tions, navaient cess de le dissuader de sexposer publiquement. Prsentes aprs coup comme prmonitoires, ces peurs habillaient pourtant le quoti-dien de la monarchie. Linquitude tait devenue une habitude.

    Un trajet sans escorteRefusant lescorte de ses gardes du corps, le roi dcida donc de partir accompagn de quelques courtisans, qui le suivirent pied et cheval, ou sassirent ses cts. Il faisait beau. Le soleil entrait par les fentres ouvertes et, dans les cahots provoqus par les pavs, caressait le satin noir du costume royal. Afin de gagner la rue Saint-Denis, que le roi voulait revoir encore orne des embellissements de la fte, le cocher engagea les chevaux dans la rue de la Ferronnerie, un troit passage encombr de charrettes et dchoppes. BUSTE DHENRI IV, UVRE DE MATTHIEU JACQUET (VERS 1545-1611), MUSE DU LOUVRE.

    Aprs lassassinat dHenri IV, le peuple idalisa le monarque et le surnomma le Bon Roi .

    L V N E M E N T

    DUNE RELIGION LAUTRE...

    PEU ENCLIN AUX EXCS politiques et religieux, Henri IV sut se montrer tolrant. En 1572, aprs le massacre de la Saint-Barthlemy, il se conver-tit au catholicisme. Il redevint ensuite huguenot, puis, en 1593, pour la stabilit du royaume et la couronne, il retrouva la foi catholique. Do cette phrase, quon lui attribue : Paris vaut bien une messe , signifiant quil prfrait renoncer sa religion plutt que de perdre son trne.

    R

    EN-

    GABR

    IEL

    OJD

    A / R

    MN

    E

    RICH

    LES

    SING

    / AL

    BUM

    O

    RONO

    Z / A

    LBUM

    ENTRE TRIOMPHALE DU ROI HENRI IV PARIS. RUBENS, XVIIe SICLE, MUSE DES OFFICES, FLORENCE.

  • L V N E M E N T

    LA RUMEUR DU COMPLOT

    PORTRAIT ANONYME DU DUC DPERNON, GRAVURE SUR CUIVRE, FIN DU XIXe SICLE.

    Prise dans les embarras, la voiture dut simmobiliser. Les valets descendirent des portires, dcouvrant involontai-rement laccs aux fentres. Cest alors quun inconnu sauta sur la roue arrire, prit appui sur une borne adjacente et planta deux coups de couteau dans la poitrine du roi avant de se laisser arr-ter, saisi dhbtude. Tout alla trs vite. Port en catastrophe au Louvre, le corps

    royal tait dj sans vie. Quallait-on faire de lassassin ? Vingt et un ans plus tt, Jacques Clment avait t aussitt massacr aprs avoir assassin Henri III. Le mystrieux meurtrier roux et vtu de vert fut au contraire pargn. Pendant treize jours, il fut interrog et tortur lhtel de Retz et la Conciergerie. Dans ce contexte de culture du complot et de prparation la guerre, personne ne

    voulait croire un acte isol. Pourtant, Ravaillac, car ctait son nom, ne cessait de revendiquer la solitude de son acte et de rpter quil navait t induit par personne commettre ce quil a[vait] fait . Affirmant avoir des visions, sujet des transes, m par des sentiments de feu, de soufre et dencens , Ravaillac dfendait son geste comme un sacrifice politique et religieux permettant de sauver lglise dun mauvais roi.

    Le rgicide fut finalement excut le 27 mai en place de Grve, aprs avoir subi

    la torture des parricides. Influenc par les sermons des prtres qui

    appelaient llimination des tyrans, persuad dtre com-pris ou mme soutenu par les nombreux Franais eux aussi gagns par le fantasme

    du rgicide, Ravaillac incarnait la dfiance qui poussait de nom-

    breux protestants et catholiques dEurope dnoncer les usurpations

    RAVAILLAC A TOUJOURS AFFIRM quil avait agi en solitaire, mais certains ont voulu y voir une plus vaste conspiration, le principal suspect tant le duc dpernon, grand aristocrate la tte de la Ligue catholique. Il connaissait Ravaillac et un tmoin laurait entendu parler de tuer le roi une dame de la Cour.

    M

    ASSI

    MO

    BORC

    HI /

    CORB

    IS

    LE PALAIS DU LOUVRE tait lpoque dHenri IV la rsidence des rois de France. Aprs lattentat, on sempressa de conduire le roi au palais, sans parvenir le sauver.

    AKG

    / A

    LBUM

  • GUILLAUME MAZEAUHISTORIEN, PARIS 1 PANTHON-SORBONNE

    de leurs dirigeants, et mme souhai-ter leur mort. Plusieurs annes aupa-ravant, les souverains dAngleterre Elisabeth Ire et Jacques Ier, mais aussi le stathouder des Pays-Bas Guillaume dOrange, avaient, eux aussi, fait les frais de cette vague de violence.

    Une atmosphre de terreurTabou absolu, lassassinat du roi fit basculer le royaume dans une atmos-phre de terreur. En quelques heures, la nouvelle se rpandit, plongeant les Parisiens dans les sombres souvenirs des guerres de Religion. Selon Pierre de ltoile, lannonce de la mort dHenri IV causa un tel effroi et tonnement au cur de ce pauvre peuple enivr de lamour de son prince quon vit en un instant la face de Paris toute change . Alors que les tensions religieuses taient encore fortes, que la guerre sapprochait et que le dauphin tait encore mineur, lassassinat du roi et la perspective dune

    rgence prcipite taient de relles catastrophes. Le retour de la guerre civile semblait proche. Pourtant, le geste de Ravaillac eut des consquences inverses celles que celui-ci esprait. Aussitt, la transition politique sorganisa : le soir mme de lassassinat, le dauphin fut reconnu roi et le lendemain matin, la rgence confie Marie de Mdicis. Afin de rassurer ses sujets sur la conti-nuit de la politique monarchique, le 22 mai, le jeune Louis XIII publiait une dclaration confirmant tous les dits de pacification, dont celui de Nantes. Dployant une impressionnante ner-gie pour contrler la diffusion de la nouvelle et scuriser le royaume, les autorits monarchiques, aides par les corps de ville et les communauts citadines, russirent ensuite viter que la peur ne dgnre en violence gnralise. Un mois aprs lassassi-nat, la paix rgnait et Henri IV pouvait devenir un roi martyr.

    Le 14 mai 1610 nest pas un de ces pisodes qui auraient, comme dans un jeu de construction, fait la France . Si lassassinat dHenri IV est un vne-ment important, cest au contraire parce quil porte toutes les potentialits qui traversaient le royaume de France au dbut du XVIIe sicle. Un royaume qui hsitait encore entre son lourd pass de guerre civile et le rassemblement des Franais dont linitiative fut lan-ce par leur roi Henri IV, autour dun nouveau contrat politique.

    La n atroce du rgicide RavaillacLE 27 MAI 1610, aprs dix jours dinterrogatoire intense et de sances de torture prouvantes, le tribunal condamna Franois Ravaillac la mort. Il fut emmen place de Grve pour y subir lhorrible supplice des rgicides. Il a toujours dfendu son geste comme un sacrifice politique et religieux.

    A

    KG /

    ALBU

    M

    1 Lheure de la pnitence 15 heures, Ravaillac fut conduit en tombereau Notre-Dame de Paris, o il fit pnitence, un cierge la main, conspu par le peuple.

    2 LcorchementSur lchafaud, le bourreau le tenailla aux bras, poitrine, cuisses et gras des jambes pendant que des religieuses priaient pour son salut.

    3 Le soufre sur les mainsLa main droite rgicide fut brle avec du feu de soufre. Sur les blessures, on versa un mlange de plomb fondu et dhuile bouillante.

    4 LcartlementLes membres de Ravaillac furent ensuite attachs quatre chevaux et cartels. Dune grande robustesse, le prisonnier rsista plusieurs heures.

    4

    31

    2

    ESSAIS14 mai 1610, lassassinat dHenri IVRoland Mousnier, Gallimard, 1964.La Grande Peur de 1610, les Franais et lassassinat dHenri IVMichel Cassan, Champ Vallon, 2010.LAssassinat dHenri IVLHistoire, n 351, mars 2010.

    Pour en savoir plus

  • L A V I E Q U O T I D I E N N E

    tienne. La raillerie conduit lexag-ration. Toutes les btes ntaient bien videmment pas sacres aux yeux des gyptiens. Seuls certains spcimens soigneusement slectionns par les prtres pouvaient tre considrs comme divins. Limmense majorit des autres animaux aidaient les hommes dans leurs travaux ou les accompagnaient simplement dans leur vie quotidienne.

    Le prince qui aimait son chienLe chien est, sans surprise, lanimal de compagnie par excellence des anciens gyptiens. Liconographie des tombes thbaines et memphites les montre aux

    ce stratagme, les Perses balayrent larme pharaonique et souvrirent la route de Memphis.

    Ce nest bien videmment pas la crainte de tuer ou de blesser les btes elles-mmes qui aurait contraint les hommes de Psammtique III rete-nir leurs coups. Toutes les divinits gyptiennes, ou presque, sont en effet thriomorphes : elles peuvent revtir un aspect animal. Si le taureau, la vache et le blier constituent assurment les formes les plus prises, aucune bte ne semble avoir t juge indigne dtre associe une divinit. Cratures domes-tiques ou sauvages, utiles ou nuisibles, petites ou imposantes, presque toute la faune dgypte mme les petites musaraignes peuvent cacher un dieu. Cest donc la peur du sacrilge qui aurait pouss les soldats de Psammtique III reculer devant lassaillant. Nous savons que lanecdote rapporte par Polyen est en ralit une pure fantasmagorie destine moquer la zooltrie gyp-

    Lhiver 526 av. J.-C. voit le Perse Cambyse se ruer sur lgypte. Pour contrer son adversaire, le pharaon Psammtique III se porte au-devant de lui et, avec

    beaucoup de rsolution, fait fortier en hte le dbouch de la piste que son ennemi a emprunte pour traverser le Sina. Lhistorien grec Polyen, qui vcut au milieu du IIe sicle apr. J.-C., rapporte au sujet de la bataille qui sensuivit une anecdote singulire. Pour contrer le barrage mis en place par larme du pharaon, Cambyse aurait dcid de faire ranger en premire ligne de ses troupes des chiens, des moutons, des chats, des ibis et tous les autres animaux que les gyptiens considraient comme sacrs . Brillante ide puisque les gyptiens arr-

    trent immdiatement leurs oprations de peur de

    blesser les animaux, quils tiennent en grande vnration . Grce

    Les animaux, compagnons de lgypte antique

    LA VIE AVEC LES SINGES LES SINGES taient des animaux de compagnie trs apprcis des gyptiens. On les retrouve sur quelques peintures jouant avec des enfants. Lorsque ces animaux poussaient leurs cris au lever du jour, les gyptiens croyaient quils rendaient un culte au dieu soleil.

    B

    RIDG

    EMAN

    / IN

    DEX

    LES CHATS ont occup une place primordiale dans diffrents domaines en gypte antique, de la maison la religion. Peinture lhuile dEdwin Long, 1878.Towneley Hall Art Gallery and Museum, Burnley, Lancashire.

    Des animaux de compagnie aux reprsentations divines, les btes occupaient une place centrale en gypte.

    STATUETTE DU DIEU THOT REPRSENT PAR UN BABOUIN. MUSE DU LOUVRE.

    A

    LBUM

    / AK

    G

  • cts des bergers, accompagnant des chasseurs ou gardant une maison. On retrouve aussi ces btes dans les nom-breuses scnes dintrieur. Au Nouvel Empire (1550-1069 av. J.-C.), on aime les chiens allongs et hauts sur pattes que lon rapproche des lvriers arabes actuels, les fameux sloughis. Malgr leur prsence dans la maison, aucune image ne montre un homme esquissant un geste daffection envers lanimal ; le chien des peintures gyptiennes na pas droit la moindre caresse. Lattachement aux btes se lit cependant dans le conte du Prince prdestin dont nous poss-dons une version incomplte datant du

    Les gyptiens, premiers vtrinaires de lhistoireCOMMENT TRAITER une vache malade ou un taureau enrhum, comment gurir un chien dun ulcre d la prsence de vers ? Fractures, castrations, traitements prventifs avec bains froids et chauds, frictions, cautrisations... Toutes ces pratiques

    sont minutieusement dtail-les sur le papyrus de Kahun, considr comme le premier trait de mdecine vtrinaire document de lhistoire de lhumanit. Ce texte fait partie dune collection de papyrus (dont certains sont dans un tat dplorable) dcouverts par

    lgyptologue britannique Flinders Petrie dans la rgion du Fayoum, en gypte, la fin du xixe sicle. Le papyrus de Kahun, rdig en criture hiratique, date du Moyen Empire, vers 1800 av. J.-C. Il a t restaur et traduit par lgyptologue Francis Llewellyn Griffith.

  • L A V I E Q U O T I D I E N N E

    TOUTANKHAMON LA CHASSE, ACCOMPAGN DE SON CHIEN. VENTAIL. MUSE GYPTIEN, LE CAIRE.

    Les lvriers aidaient leurs matres chasser les lions, les antilopes et les oryx.

    COLLIER DE CHIEN PRSENT LORS DE LEXPOSITION TOUTANKHAMON ET LGE DOR DES PHARAONS, LONDRES, 2007.

    XIIe sicle av. J.-C. Cette histoire met en scne un jeune prince royal dont un oracle prdit la mort du fait dun crocodile, dun serpent ou dun chien. Pour le soustraire ce destin funeste, le roi, son pre, lui impose de vivre reclus dans une maison isole btie sur un plateau dsertique. On imagine bien que le jeune prince nallait pas demeurer enferm toute sa vie : Lorsque lenfant eut grandi, il monta sur son toit et vit un chien, qui suivait un homme qui cheminait. Il demanda son serviteur qui se tenait auprs de lui : Quest-ce qui suit lhomme qui vient sur le che-min ? Cest un chien. Fais-moi

    apporter le mme ! Connaissant la prophtie qui pesait sur la tte de son jeune matre, cette demande plongea le domestique dans lembarras. Il fit nanmoins remonter la demande au pharaon qui finit par cder. Le jeune prince eut donc un chien avec lequel il put aller chasser le gibier du dsert. Aprs de nombreuses pripties qui le conduisirent quitter lgypte, il parvint en Haute-Msopotamie o ses talents athltiques lui permirent dpouser la fille dun potentat local. Quelque temps aprs leur mariage, le prince confia sa femme le risque que lui faisait courir la prsence de ce compagnon quatre

    pattes qui, depuis lgypte, lavait suivi la trace. Fais tuer le chien qui taccom-pagne ! lui rpondit-elle. La princesse msopotamienne sattira une rplique cinglante : Folie ! Je ne vais pas faire tuer mon chien que jai lev quand il tait petit. Malgr le risque que lani-mal lui faisait courir, le jeune prince aimait son chien. La fin de lhistoire est malheureusement perdue.

    La meute du roi Antef IIAutre preuve de cet attachement aux btes, le pharaon thbain Antef II (2103-2054 av. J.-C.) a fait reprsenter sa meute sur une stle funraire place lentre de sa tombe situe El-Tarif prs de Thbes. Chacune des cinq btes est mentionne par son nom. Une statue de chien avait par ailleurs t dresse devant le tombeau. Cette uvre ne nous est malheureusement connue que par la description quen firent les magistrats chargs dinstruire laffaire des vols

    UN HOMME arrose son jardin avec son chien,

    son dle compagnon. Peinture sur une tombe

    de la XIXe dynastie Deir el-Mdineh.

    A

    GE F

    OTOS

    TOCK

    LA VIE TERNELLE POUR LES CHIENS

    DE NOMBREUX MATRES ont fait graver le nom de leur chien sur leurs stles funraires. Une inscription de la VIe dynas-tie (2345-2173 av. J-C) nous parle de lamour dun roi pour son chien Abutiu, Oreilles pointues : Sa Majest a ordonn quil soit enterr avec crmonie, quil lui soit donn un cercueil du Trsor royal, du linge fin et de lencens.

    C

    ORBI

    S / C

    ORDO

    N PR

    ESS

    B

    RIDG

    EMAN

    / IN

    DEX

  • commis dans les tombes royales sous le rgne de Ramss IX (1129-1111 av. J.-C.). Un autre chien appartenant la meute dAntef II portant le nom de Bha est par ailleurs mentionn sur une stle place dans le temple funraire de ce souverain. Antef II entendait manifestement que ses compagnons canins participent sa vie dans lau-del.

    Une dcouverte archologique rcente est venue remettre en question lide selon laquelle la domestication du chat serait intervenue tardivement en gypte. Labsence complte de reprsentation du petit flid dans liconographie des tombes de lAncien Empire (2700-2200 av. J.-C.) a conduit certains gyptologues supposer que les chats dgypte taient demeu-rs sauvages jusquau dbut du IIe mil-lnaire av. J.-C. Cependant, la fouille dune tombe situe Mostagedda en Haute-gypte impose de rviser cette analyse. Cette spulture date des pre-miers sicles du IVe millnaire av. J.-C.

    livra en effet le squelette complet dun chat, roul dans un linge, qui avait t lov contre le corps dun homme. La relation privilgie entre les gyptiens et les chats plongeait donc ses racines dans la prhistoire de lgypte.

    Des singes en laisseTout au long de la priode pharaonique, les singes jourent aussi le rle danimal de compagnie mais seulement dans les grandes familles qui seules avaient les moyens de soffrir un animal quil fallait aller chercher loin au sud. Les diff-rentes espces de singes plus ou moins domestiques qui partageaient la vie des anciens gyptiens sont loin dtre toutes identifies. La domestication de plus petits spcimens, comme les singes verts, tait possible si lon se prot-geait de leur agressivit. Liconographie montre ainsi des primates tenus soli-dement en laisse par leur matre ou matresse. Si le singe partagea la vie

    quotidienne des anciens gyptiens, ce fut donc avant tout comme un ani-mal sacr li au dieu Thot ou comme une figure littraire. Une fable rdige la toute fin de la priode pharaonique connue sous le nom de Mythe de lil du soleil met ainsi en scne un petit chacal-singe qui se rvle capable de convaincre la redoutable desse lionne Sekhmet de revenir vivre en gypte. Lacuit de lesprit, le sens de la repartie et les talents de conteur du petit ani-mal taient venus bout de la volont de lombrageuse fille de R. Mais les anciens gyptiens taient encore plus sages car, pour les accompagner dans leur vie quotidienne, ils prfrrent le chien fidle au singe trompeur.

    DAMIEN AGUTGYPTOLOGUE, CNRS

    Momier les btes, une coutume millnaireLGYPTE a livr de trs nombreuses momies animales. On embaumait ainsi indistinctement les animaux de compagnie comme les chiens et les chats, ceux destins tre consomms comme les poissons ou les canards, ou encore ceux qui taient sacrs comme les crocodiles ou les ibis.

    1 ChatLe chat aurait tenu compagnie lhomme partir du ive sicle av. J.-C.

    3 MangousteOn lassociait au dieu soleil R qui, chaque nuit, affrontait le serpent Apophis.

    2 PoissonOn a retrouv des poissons momifis dans les tombes de rois et de particuliers.

    4 ChienDs le IVe millnaire av. J-C, les chiens taient enterrs avec leurs matres.

    5 CrocodileDu viiie au ive sicle av. J-C, on offrait des momies danimaux aux dieux.

    1. SC

    ALA,

    FIRE

    NZE.

    2. AL

    BUM

    / M

    USE

    DU

    LOUV

    RE. 3

    . AKG

    / AL

    BUM

    . 4. C

    ORBI

    S / C

    ORDO

    N PR

    ESS.

    5. M

    USE

    GYP

    TIEN

    , LE C

    AIRE

    / CO

    RBIS

    .

    14

    532

    ESSAIBestiaire des pharaons Jean Yoyotte et Pascal Vernus, Perrin, 2005.

    Pour en savoir plus

  • JUAN LUIS MONTERO FENOLLOSPROFESSEUR DHISTOIRE ANCIENNE LUNIVERSIT DE LA COROGNE

    BABYLONECIT BIBLIQUE, CIT MYTHIQUE

    Au xixe sicle, la cit de Msopotamie ntait connue qu travers lAncien Testament. Si les archologues ont

    trouv des traces dune splendeur passe, les jardins suspendus et la tour de Babel restent nigmatiques.

    A

    GE F

    OTOS

    TOCK

    W

    ERNE

    R FO

    RMAN

    / GT

    RES

  • LE CHTIMENT DE NABUCHODONOSOR

    Une miniature de Beatus de Libana

    ( gauche) montre le roi de Babylone

    mangeant de lherbe comme un animal, un chtiment que

    Dieu lui avait inig pour le punir de son arrogance.

    LES JARDINS DU PALAIS

    Ce relief du palais assyrien de Ninive,

    avec un jardin luxuriant, a suscit

    des doutes sur la localisation

    des clbres jardins suspendus de

    Babylone. British Museum, Londres.

  • LA RSIDENCE DU ROIReconstitution du palais

    de Nabuchodonosor II Babylone. Cet dice grandiose mesurait au sol 275 m sur 183 m et

    comprenait les appartements du monarque, des bureaux

    et le harem royal.

  • Testament et les rcits des auteurs antiques, tous postrieurs au temps de la splendeur de la cit, sous Nabuchodonosor II. Lauteur le plus proche de cette poque est lhistorien grec Hrodote, qui a laiss des crits sur la cit msopotamienne datant du Ve sicle av. J.-C., soit cent ans aprs le rgne de Nabuchodonosor II. Lui, et dautres, dcrivent une Babylone de lgende o les donnes historiques sont fr-quemment dformes ou tronques. Cest la raison pour laquelle il est difficile de vrifier lexactitude de leurs informations.

    Hrodote et le pige de la murailleNous ne savons pas de source sre si Hrodote sest rendu Babylone vers 450 av. J.-C. Il a cependant laiss une description dtaille de la ville et du processus de construction de ses imposantes murailles. Mais bien que son tmoi-gnage semble fiable, on a toutefois limpression quil sest content de rapporter des informa-tions fournies par un guide, un interprte ou un habitant de la ville. Il parle notamment de murailles dune longueur totale de 480 stades (soit 85 km !) alors quon sait aujourdhui quelles ne mesuraient que 8 km. Sil est un texte qui a contribu universaliser et immortaliser

    Phare de la civilisation. Centre du monde. Symbole de lharmonie cosmique cre lorsque sa divinit suprme, le dieu Mardouk, a vaincu les forces du chaos. Babylone est devenue le cur spirituel et intellectuel de lan-cienne Msopotamie, entre le viie et le vie sicle av. J.-C.

    Aux yeux de ses contemporains, le prestige de Babylone tait sans gal. Les souverains les plus puissants ont voulu la conqurir pour

    lembellir, comme Alexandre le Grand entre 331 et 323 av. J.-C. Dautres, comme le roi assyrien Sennachrib en 689 av. J.-C., voulaient la dtruire. Il faut considrer quil nexiste pas une seule Babylone, mais plusieurs. La plu-part des ruines archologiques qui ont sub-sist sont celles de la cit difie sous le rgne de Nabuchodonosor II (605-562 av. J.-C.). Ce dernier a entrepris dimportants travaux de reconstruction, faisant de la ville lune des mtropoles les plus clbres de lAntiquit. Mais la civilisation babylonienne est le rsultat de laccumulation de traditions millnaires : on ne peut comprendre sa culture sans tenir compte des peuples msopotamiens qui lont prcde.

    Les Babyloniens taient dj conscients de la grande anciennet de leur civilisation. Leur dernier monarque, Nabonide (556-539 av. J.-C.), connu dans lhistoriographie moderne comme le roi archologue , a t une sorte dantiquaire et de collectionneur duvres dart. Il a multipli les efforts pour dfendre et exhumer les traditions architecturales et culturelles les plus anciennes de la rgion, en particulier celles lies lEmpire akkadien, qui avait domin la Msopotamie au IIIe millnaire av. J.-C. Lhomme du XIXe sicle ne connaissait Babylone qu travers lAncien

    G

    IOVA

    NNI M

    EREG

    HETT

    I / A

    GE F

    OTOS

    TOCK

    E

    RICH

    LES

    SING

    / AL

    BUM

    DANS LE TEMPLE DE MARDOUKLEsagil tait le temple principal du dieu Mardouk et le plus important de Babylone. On plaait prs de cette divinit des stles comme celle-ci, die en lhonneur dAdad-etir par son ls. ixe sicle, av. J.-C. British Museum, Londres.

    C H R O N O LO G I E

    UNE CIT CONVOITE PAR SES ENNEMIS

    xvie-xie s. av. J.-CLes Kassites, originaires du Zagros, conquirent Babylone et en font une cit trs puissante.

    xie-viie s. av. J.-C. Les Chaldens et les Aramens dominent Babylone, mais le roi assyrien Sennachrib attaque et dtruit la ville en 689 av. J.-C.

    xixe-xvie s. av. J.-C. Hammourabi, 6e roi de la Ire dynastie amorrite, fait de Babylone sa capitale. Le roi hittite Mursili Ier conquiert la cit.

    STATUETTE EN BRONZE DANS UNE ATTITUDE DE PRIRE DDIE HAMMOURABI, ROI DE BABYLONE. ELLE A T RETROUVE LARSA, CIT QUHAMMOURABI ANNEXA SON EMPIRE. MUSE DU LOUVRE.

    E

    . LES

    SING

    / AL

    BUM

    viie-vie s. av. J.-C.Nabopolassar triomphe de lEmpire assyrien en 612 av. J.-C. Babylone est vaincue par Cyrus II en 539 av. J.-C.

  • LA TOUR DE BABELLa ziggourat de Babylone

    aurait inspir le rcit biblique de la tour de Babel.

    Pieter Brueghel lAncien, dans une peinture lhuile

    de 1563, imagina ainsi ldice mythique.

    Kunsthistorisches Museum, Vienne.

  • le nom de Babylone, il sagit bien de lAncien Testament, en particulier lpisode de la Gense sur ldification de la tour de Babel. Celle-ci devait aller jusquau ciel mais sa construction fut interrompue par Dieu. En colre contre les hommes et leur orgueil dmesur, il les fit parler diffrentes langues et les dispersa aux quatre coins de la Terre. Aujourdhui, il ne subsiste aucun doute sur le lien entre la Babel biblique et la Babel msopotamienne. Son nom biblique vient dailleurs du nom original de la cit, Babili : la porte divine en akkadien. Ltymologie du mot Babel indique dans la Gense, qui mentionne la racine hbraque confondre ou mlanger , est donc incor-recte. Babel nest pas la cit de la confusion prsente dans le texte sacr.

    Pour dcouvrir les relations entre Jrusalem et Babylone au VIe sicle av. J.-C, les livres histo-riques et prophtiques de la Bible comme le Deuxime Livre des Rois et celui des Chroniques, ou les livres des prophtes Jrmie et zchiel constituent des documents importants. Ces crits sintressent particulirement la dpor-tation des Hbreux Babylone, dcrte par Nabuchodonosor II aprs la prise, puis la des-truction de Jrusalem, de 597 587 av. J.-C. Les Babyloniens y apparaissent comme les ennemis et oppresseurs des Juifs, pris en otage. Dans le livre de Jrmie, par exemple, on dit que Yahv apportera la paix au pays, mais fera trembler les habitants de Babylone .

    Des fouilles dcevantesLa lecture des textes grco-romains et, sur-tout, de lAncien Testament, a pouss de nom-breux voyageurs se rendre au Proche-Orient pour visiter les thtres des pisodes les plus connus de lhistoire biblique : notamment la ville sumrienne dOur, prsente dans la Gense comme le pays dorigine du patriarche Abraham, ou la tour de Babel. Ces premiers aventuriers europens du Moyen ge et des poques postrieures taient pour la plupart des religieux, militaires, commerants, mdecins ou diplomates qui rvaient de voir les lieux o avaient vcu les principaux protagonistes des Saintes critures. Du XIIe au XIXe sicle, beau-

    coup dEuropens ont ainsi sillonn la rgion dans lespoir de trouver Babylone. Pour ces pionniers, la cit monumentale tait un mythe, le symbole de la dmesure, de lopulence, du luxe et de la splendeur humaine.

    Le premier voyage occidental dont nous avons connaissance est celui de Benjamin de Tudle, un rabbin de Navarre qui, de 1165 1170, a entrepris un long priple travers la Syrie, la Msopotamie et lgypte. Il en tire un rcit, Les Voyages de Benjamin, dans lequel il rvle des informations prsentant un cer-tain intrt pour larchologie babylonienne : On trouve encore ici le palais en ruine de Nabuchodonosor, et les hommes craignent dy entrer cause des serpents et des scorpions quil y a lintrieur , crit-il.

    Il faudra attendre le XIXe sicle pour que Babylone veille la curiosit des premiers archologues, qui stablissent dans la rgion pour tudier les anciennes cits bibliques. En 1849, le Britannique Austen Henry Layard ralise les premires fouilles Babylone. Rawlinson et Rassam prennent la relve, respectivement en 1854 et 1880. Mais cest lAllemand Robert Koldewey qui, grce ses excavations effec-tues entre 1899 et 1917, est parvenu placer Babylone sur une chelle historique. Koldewey sest passionn pour larchitecture de la cit : il a localis des btiments et dessin des plans prcis de nombreuses constructions. Il voulait exhumer la vrit cache derrire le mythe, et seule la recherche scientifique pouvait lui permettre dy parvenir.

    Plus dun sicle aprs le dbut des fouilles Babylone, il reste encore de nombreux points rsoudre, comme les mythiques jardins suspendus, considrs comme lune des Sept Merveilles, et la clbre tour de Babel. Ces monuments sont entours dun halo lgendaire dange-reusement ml la vrit historique, ce qui pose un problme aux cher-cheurs actuels. Les archologues doivent donc commencer par se demander si des jardins slevant dans les airs et une tour colossale ont bel et bien exist Babylone. Si oui, O

    RONO

    Z / A

    LBUM

    CONQUISE PAR LES PERSESCyrus le Grand, de la dynastie perse des Achmnides, prit Babylone en 539 av. J.-C. Son vaste empire incluait lAnatolie, la Msopotamie et lIran. Ci-dessous, un bracelet achmnide en or. British Museum. Londres.

    W

    . FOR

    MAN

    / GT

    RES

    Du xiie au xixe sicle, de nombreux Europens voyagrent en Msopotamie, la recherche de Babylone, symbolisant dans la Bible lorgueil humain.

  • LA PORTE DE LA DESSE ISHTARNabuchodonosor II dota les murailles de Babylone de huit portes. Celle dIshtar, qui comprend trois passages successifs, mesurait 48 m de long et 18 m de haut. Muse de Pergame, Berlin.

  • taient-ils limage de ceux dcrits dans les textes antiques ? Une structure particulire a t identifie par les fouilles diriges par Koldewey un angle du palais sud de Babylone. Elle comportait deux ranges de sept salles, longues et couvertes de votes. La prsence de puits et de conduites deau a fait penser quil sagissait de linfrastructure sur laquelle reposaient les fameux jardins suspendus. Mais nous savons aujourdhui que ce secteur tait ddi aux activits de stockage. On y a dcou-vert de nombreuses jarres et archives de textes cuniformes datant de Nabuchodonosor II, traitant de la distribution dhuile de ssame, de grains, de dattes et dpices, des trangers et prisonniers de haut rang.

    La tour et les jardins perdusLes chercheurs ont t jusqu se demander sil y avait vraiment eu des jardins suspen-dus Babylone. Aucun texte de lpoque de Nabuchodonosor II ne les mentionne, ni mme Hrodote. Ensuite, les seules rfrences crites concernant ces jardins sont celles dauteurs romains comme Diodore de Sicile, Quinte-Curce, Strabon ou Flavius Josphe. videmment, aucun dentre eux na pu les voir de ses propres yeux, puisque leur poque, Babylone ntait dj plus quun champ de ruines.

    Et si la ville des jardins suspendus ntait pas Babylone mais Ninive, la capitale de lEmpire assyrien ? Dans les textes des auteurs grco-romains, la confusion entre lassyrien et le babylonien est frquente. Diodore de Sicile situe par exemple Ninive au bord de lEuphrate, alors que lon sait maintenant que la ville se trouvait au bord du Tigre. De plus, aucune scne de chasse telle que celle quil a dpeinte en voquant la capitale msopotamienne na jamais t retrouve Babylone. En revanche, ses descriptions concordent parfaitement avec les reliefs traitant de la chasse dcouverts dans les palais assyriens de Ninive. cette confu-sion sajoute le fait que certains monarques assyriens, comme Sennachrib (704-681 av. J.-C.), arboraient le titre de roi de Babylone. Le palais de Sennachrib aurait constitu un excellent emplacement pour les fameux jardins BPK

    / SC

    ALA,

    FIR

    ENZE

    Aujourdhui, on pense que la cit qui abritait les mythiques jardins suspendus ntait pas Babylone, mais Ninive, la capitale de Sennachrib, le puissant roi dAssyrie.

    LA GRANDE DESSEIshtar, lune des grandes divinits des Babyloniens, tait la desse de la fertilit. Elle apparat ici sous la forme dune statuette en albtre. iiie-iie sicle av. J.-C. Muse du Louvre.

    B

    PK /

    SCAL

    A, F

    IREN

    ZE

    ESSAISBabylone laube de notre culture Jean Bottro, Gallimard Dcouverte, 2008.Dictionnaire de la civilisation msopotamienne Francis Joannes (dir.), Robert Laffont, coll. Bouquins , 2001.Babylone Batrice Andr Salvini, PUF, coll. Que sais-je ? , 2012.

    Pour en savoir plus

    suspendus. Ninive, le roi assyrien est dail-leurs reprsent sur un bas-relief o lon voit de luxuriants jardins irrigus par un aqueduc.

    Quant la tour de Babel, le rcit biblique de la Gense ne la dcrit pas. Seuls y sont mention-ns les matriaux utiliss pour sa construc-tion, comme la brique et le bitume. Le texte napporte pas de prcisions sur laspect archi-tectural du monument, qui ntait rien de plus quune ziggourat, appele Etemenanki par les Babyloniens (la maison-fondement du ciel et de la terre ). La ziggourat tait un monu-ment religieux caractristique de larchitecture msopotamienne, avec une structure che-lonne compose de terrasses superposes de taille de plus en plus rduite. Des rampes ou des escaliers permettaient daccder au sommet o se trouvait le temple.

    Robert Koldewey a fouill les restes de la ziggourat de Babylone en 1913, mais les ruines dalors avaient dj t identifies quelques annes plus tt. Elle se trouvait dans une zone que les Arabes appellaient la pole ou le grill du fait de son aspect : un carr de 91 mtres de ct, pourvu dun long accs central. La scheresse qui sest abattue sur la rgion de fvrier juin 1913 a permis le premier trac scientifique des fon-dations de la clbre tour. Cest partir de l que les hypothses modernes sur laspect de la tour se sont dveloppes. Le dbat sest alors surtout concentr sur la hauteur de ldifice. Mais les modestes ruines de la ziggourat de Babylone, qui a pu mesurer une soixantaine de mtres de haut, dcouvertes par les archologues allemands, font pitre figure face au mythe de Babel ou la tour grandiose dont la coupole devait aller jusquau ciel. Une fois encore, larchologie a rduit nant les rves chafauds pendant des sicles par limagination humaine.

  • Babylone

    UNE BELLE ET COLOSSALE ZIGGOURAT

    Babylone, qui connut son apoge sous Nabuchodonosor II, tait lune des

    mtropoles les plus importantes de lAntiquit. Elle stendait sur 375 hectares et ses habi-tants la considraient comme un endroit o le luxe tait in-

    puisable , bien quentirement construite en briques dargile crue.

    Ses dimensions colossales excitrent limagination des auteurs antiques, tel point que lhistorien grec Hrodote rapporte que, alors que les Perses avaient dj pntr dans les faubourgs de la cit, les habitants des quar-tiers centraux ne se rendirent compte de rien et poursuivirent la fte quils avaient commence.

    BABYLONE LPOQUE DE NABUCHODONOSOR II, AVEC LA PORTE DISHTAR AU PREMIER PLAN. CETTE ILLUSTRATION DE GUDRUN STENZEL FUT PUBLIE EN 1931. MUSE DE PERGAME, BERLIN.

    B

    PK /

    SCAL

    A, F

    IREN

    ZE

    Vue densemble

    3

    4

    1 2

    3 4

    Voie processionnelleLongue de 900 m, elle conduisait au centre religieux ; lors des festivits du nouvel an, on y faisait dfiler la statue de Mardouk. Elle tait borde de murs orns de lions, lanimal sacr de la desse Ishtar.

    Porte dIshtarDcore de briques mailles bleues sur lesquelles se dtachaient des frises de dragons, ctait la plus grande des huit portes de la double muraille de la ville, laquelle stendait jusqu lEuphrate.

    EsagilLe nom de ce lieu sacr, form de grands difices et de vastes cours, signifie la maison au pinacle surlev . On y adorait bien sr Mardouk, sa pardre Zarpanitu et leur fils Nab, dieu de la sagesse.

    EtemenankiCette gigantesque ziggourat tait ddie Mardouk, la divinit tutlaire des Babyloniens. Acheve par le roi Nabuchodonosor II, elle mesurait 60 m de haut et comprenait six terrasses couronnes par un temple.

  • Temple de Ninmah

    Quartier du Merks

    2

    Bastion occidental

    Palais Sud

    Temple de Nab

    Palais Nord1

    PORTE DISHTAR TRAVERSE PAR LA VOIE PROCESSIONNELLE. ELLE EST DCORE DUNE FRISE DE LIONS EN BRIQUE MAILLE.

    RECONSTITUTION DU TEMPLE SITU AU SOMMET DE LA ZIGGOURAT ETEMENANKI, O LON ADORAIT LE DIEU MARDOUK.

    ILLU

    STRA

    TION

    S : A

    NTON

    IO M

    . GAR

    CIA

    DEL

    RIO

  • PROTGE DES DIEUXStatue de basalte de Cloptre. Sur son front apparaissent trois urus, ou cobras divins, protecteurs de la monarchie gyptienne. Muse de lErmitage, Saint-Ptersbourg.

    DDICACE CLOPTREDsigne sur cette stle comme desse Philoparor, qui aime son pre , Cloptre adopta la n de son rgne une pithte royale indite : Philopatris, qui aime sa patrie . Muse du Louvre.

  • ANNE-EMMANUELLE VEISSEMAITRE DE CONFRENCES EN HISTOIRE GRECQUE, PARIS 1

    S

    ANDR

    O VA

    NNIN

    I / C

    ORBI

    S / C

    ORDO

    N PR

    ESS

    Malgr la place quelle occupe dans la culture commune pour ses amours avec Csar et Marc Antoine, son affrontement avec Octave et son suicide hroque, Cloptre, reine dgypte de 51 30 av. J.-C., est une figure historique bien nigmatique. Son rgne est

    en effet peu document par les sources directes et la souveraine est surtout connue par la littrature romaine, trs hostile sa per-sonne et trs tt contamine par la lgende. Pourtant, au-del du mythe, la dernire des Ptolmes reste lune des rares femmes avoir exerc un pouvoir personnel direct dans lAntiquit. nergique, ambitieuse, dote dun grand sens politique malgr son chec final, elle incarne aussi un itinraire original qui la fit passer de prot-ge partenaire, puis ennemie de Rome, au cours dun rgne qui clt lge des monarchies hellnistiques hritires dAlexandre le

    CLOPTREFINE POLITIQUE

    La dernire reine dgypte, qui sduisit deux grands chefs romains, Jules Csar et Antoine, avait comme objectif de

    prserver son pouvoir et lindpendance de son pays.

    A

    KG /

    ALBU

    M

  • Grand. Lointaine descendante du Macdonien Ptolme Ier, fils de Lagos, ancien compagnon dAlexandre et fondateur de la dynastie pto-lmaque (ou lagide), Cloptre est ne vers 69 av. J.-C. Alexandrie. Septime reine de la dynastie porter ce nom, elle est la fille du roi Ptolme XII, qui, proclam roi en 80 av. J.-C. faute dautre hritier, soccupa avant tout dassurer de bonnes relations avec le Snat romain, de manire conforter son pouvoir et prserver lindpendance de lgypte une poque o tout lOrient mditerranen tait

    en passe de devenir romain. Aprs des annes defforts, il obtint en 59 av. J.-C. le titre trs convoit d alli et ami du peuple romain mais dut entriner en change lannexion par Rome de

    lle de Chypre alors gouverne par son frre. sa mort en 51 av. J.-C., il laisse quatre enfants. Ane de la fratrie, Cloptre fut proclame reine mais dut, pour se conformer tant aux traditions dynastiques quaux dernires volonts de son pre, reconnatre comme associ au trne et comme poux son frre Ptolme XIII, alors g dune dizaine dannes.

    Une reine de culture grecquePrincesse dorigine macdonienne, Cloptre est donc devenue reine dgypte sans tre une gyptienne. Et si, daprs Plutarque, elle fut la premire de sa dynastie savoir parler gyp-tien, il ne faut peut-tre pas accorder trop de crdit cette affirmation dans la mesure o lauteur lui attribue aussi la connaissance de

    C H R O N O LO G I E

    51 AV. J.-C.RGNE. En accdant au trne, Cloptre, septime reine de la dynastie de ce nom, doit pouser son frre cadet, Ptolme XIII.

    48 AV. J.-C.EXPULSION. En lutte contre les partisans de son frre Ptolme XIII, la reine quitte Alexandrie et fuit vers la frontire palestinienne.

    XXXXXXXX

    LE PHARE DANS LE PORT DALEXANDRIE Cest cet immense phare que virent en premier Csar, Antoine et Auguste lorsquils atteignirent, tour de rle, la capitale de lgypte.

    ENTRE AMOUR ET POLITIQUE

    D

    AGLI

    ORT

    I / A

    RT A

    RCHI

    VE

    JULES CSAR. BUSTE EN MARBRE. MUSE ARCHOLOGIQUE NATIONAL DE NAPLES.

    SANCTUAIRE DISIS SUR LLE DE PHILACtait le plus grand centre de culte de la desse Isis, trs populaire en gypte. Cloptre elle-mme fut proclame la nouvelle Isis .

    AKG / ALBUM

    Y

    ANN

    ARTH

    US-B

    ERTR

    AND

    / COR

    BIS

  • T 48 AV. J.-C.ARRIVE DE CSAR en gypte, en qualit de mdiateur. Csar devient trs rapidement lamant de la reine Cloptre.

    41 AV. J.-C.RENCONTRE AVEC ANTOINE. Comme Csar, Marc Antoine est sduit par Cloptre ds leur rencontre Tarse.

    2 SEPT. 31 AV. J.-C.DFAITE. Les troupes dAntoine et de Cloptre sont vaincues par les lgions dOctave lors de la bataille dActium.

    12 AOT 30 AV. J.-C.MORT DE CLOPTRE. Faite prisonnire par Octave, Cloptre parvient se donner la mort.

  • la langue des Mdes, des Syriens, des Parthes, des thiopiens, des Hbreux, des Arabes et mme des Troglodytes. Ceci nempche quaux murs des temples gyptiens construits sous son rgne, Cloptre soit reprsente en Isis, comme lavaient t les reines ptolmaques avant elle. Ce type de reprsentation visait renforcer, par la reprise des traditions pharao-niques, la lgitimit des Ptolmes auprs de leurs sujets gyptiens.

    Mais il faut garder lesprit que ce visage gyptien de la dynastie ne sest manifest que dans des contextes bien particuliers. Si la littrature romaine issue de la propagande orchestre par Octave a fini par consacrer Clo-ptre comme l gyptienne , cest pour mieux

    la poser en ennemie de Rome, au mpris du fait que la culture propre de la reine, la cour

    et la pratique du pouvoir taient grecs. Sur les monnaies royales cest bien, de fait, un autre visage de la souveraine qui apparat : dans une iconographie purement grecque, Cloptre porte le diadme, lemblme de toutes les royauts hellnistiques ; seul signe

    des temps nouveaux, mais qui ne doit

    rien lgypte, les cheveux sont rassembls en un strict chignon la romaine. Et si le trait nest gure flatteur, il faut se rappeler que, daprs Plutarque, la beaut de la reine considre en elle-mme, ntait pas si incomparable , mais que cest son charme et son intelli-gence quil tait impossible de rsister. Deux qualits quelle sut mettre en uvre dans ses relations avec deux des hommes forts de Rome de lpoque : Csar puis Marc Antoine.

    La protge de CsarTrs vite, lassociation de Cloptre et de Ptolme XIII tourna laffrontement : avant lautomne 49 av. J.-C., la rupture tait consom-me et en 48 la reine senfuit vers la frontire palestinienne pour tenter dy lever des troupes. Cest alors quarriva en gypte Pompe, dfait par Csar Pharsale, qui esprait trouver un soutien la cour des Ptolmes. Les ministres de Ptolme XIII le firent assassiner peine dbarqu, ce qui suscita le courroux de Csar parvenu Alexandrie deux jours plus tard. Le conflit entre les souverains lagides inquita aussi le gnral romain car il devait obtenir le remboursement des immenses emprunts souscrits par Ptolme XII auprs du banquier Rabirius Postumus : il tait de son intrt que lgypte ne sombre pas dans la guerre civile et la faillite. Csar convoqua donc le couple royal Alexandrie Cloptre russissant sintro-duire dans le palais, selon la tradition, cache dans un tapis et imposa une rconciliation en mme temps que se nouait sa liaison avec la jeune reine. Il restitua mme la dynastie lle de Chypre annexe par Rome en 59 av. J.-C.

    Pourtant, quelques semaines plus tard, des partisans de Ptolme XIII, soutenus par une bonne part des Alexandrins, lui dclaraient la guerre : cest la fameuse Guerre dAlexandrie, urbaine et trs violente, qui dura quatre mois. Cloptre ne semble pas y avoir directement particip mais Ptolme XIII y trouva la mort, noy dans le Nil en janvier 47 av. J.-C.

    Cloptre se retrouvait alors seule matresse du pouvoir, mme si elle dut se rsigner asso-cier au trne et pouser son autre frre, Pto-lme XIV, g denviron 12 ans. Nanmoins, elle tait dsormais cite en premier dans le protocole des documents officiels. En avril 47 av. J.-C., Csar lui-mme quittait lgypte en y laissant trois lgions pour viter toute reprise des troubles : pour la premire fois, le pays tait clairement, dans les faits, un pro-

    LE NIL LPOQUE DE CLOPTRE. DTAIL DE LA

    MOSAQUE BARBERINI, Ier SICLE AV. J.-C., CONSERVE

    AU PALAIS BARBERINI DE PALESTRINA.

    DAGLI ORTI / ART ARCHIVE

    S

    CALA

    , FIR

    ENZE

    IA

    N M

    CKIN

    NELL

    / GE

    TTY

    IMAG

    ES

    LA CONQUTE DE LGYPTE PAR ROME

    Cloptre tenta de prserver lindpendance de lgypte en salliant avec Csar et Marc Antoine. Mais Octave Auguste la vainquit. La monnaie ci-dessous porte linscription gypt capta et commmore la victoire dAuguste.

  • LE TEMPLE DHATHOR

    DENDERAHIl fut construit pour

    lessentiel sous le rgne de Cloptre.

    Les images de la desse sur les

    chapiteaux de la salle hypostyle furent

    mutiles au dbut de lre chrtienne.

  • LA REINE DEVANT JULES CSARPour obtenir le soutien de Csar, Cloptre sintroduisit dans le palais dAlexandrie, enroule dans un tapis an de djouer la vigilance de ses ennemis. Tableau de Jean-Lon Grme, 1866.

    tectorat romain, mais dot dun protecteur dont la bienveillance tait acquise Cloptre.Un an plus tard, en mai ou juin 46 av. J.-C., la reine partit pour Rome avec son frre et une partie de sa cour, rpondant une convocation de Csar. Installe, au mpris du scandale, dans la proprit de ce dernier des bords du Tibre, elle y resta jusqu ce que lassassinat de son protecteur le 15 mars 44 av. J.-C. ne la fasse rentrer en hte Alexandrie.

    Elle commena par renforcer son pouvoir personnel en liminant sans tats dme son frre Ptolme XIV. Elle proclama alors comme nouveau corgent le fils qui lui tait n entre-temps (entre 47 et 44) et quelle avait nomm Ptolme Csar, afin quil ne subsiste aucun doute sur son ascendance :

    cest le Ptolme XV des historiens, que les Alexandrins surnommrent Csarion, petit Csar . Cloptre se trouvait plus que jamais seule dtentrice du pouvoir en gypte, mais elle restait dans une situation dlicate sur le plan extrieur en raison de la guerre civile rallume par les Ides de Mars. Entre les Rpublicains et le triumvirat form en 43 av. J.-C. entre Octave, Marc Antoine et Lpide, elle tenta de maintenir une politique de neutralit, avant de miser, avec raison, sur le triumvirat. Est-ce malgr tout pour lui demander des comptes quAntoine la convoqua en 41 av. J.-C. Tarse, en Cilicie ? Cette rencontre fut en tout cas soigneusement prpare par la reine.

    Avec un art de la mise en scne, celle-ci appa-rut telle une incarnation dAphrodite, dans un navire guid par un quipage de Nrides et de Grces. La liaison qui dbuta alors, et qui se poursuivit au cours de lhiver 41-40 av. J.-C. Alexandrie, neut pas immdiatement de consquences directes, hormis la naissance quelques mois plus tard des jumeaux Alexandre Hlios, Soleil , et Cloptre Sln, Lune .

    cette poque, Antoine avait dailleurs dj quitt lgypte pour la Syrie, envahie par les Parthes, puis pour lItalie ; lautomne 40 av. J.-C., il y pousait mme Octavie, la sur dOctave. En revanche, la relation entre Antoine et Cloptre reprit sur de toutes autres bases lautomne 37 av. J.-C. Antioche, o le triumvir tait venu mettre sur pied une grande expdition contre les Parthes et tenter de rsoudre une partie des problmes rencontrs par Rome dans la gestion des provinces orientales.

    Une nouvelle re partir de lhiver 37-36 av. J.-C., lgypte de Cloptre va ainsi devenir la pice matresse dune tentative de recomposition dun Orient romano-hellnistique . Dans un premier temps, Antoine remit la reine, en plus de lle de Chypre dj rtrocde par Csar, plusieurs portions du littoral syrien, une partie de la Cilicie et de la Crte ainsi que la Cyrnaque. Ctait un quasi-rtablissement de lEmpire lagide du IIIe sicle av. J.-C. En gypte mme, Cloptre clbra cette restauration par la mise en place dune nouvelle re de son rgne. Un peu plus tard, elle adoptait aussi une pithte royale jusqualors indite : philopatris, qui aime sa patrie . Antoine de son ct qui gardait le contrle militaire des territoires concds y gagnait le soutien indfectible de la reine et un

    Cloptre adopta lpithte royale philopatris, qui aime sa patrie .

    PRISMA

    S

    CALA

    , FIR

    ENZE

    PICE LEFFIGIE DE CLOPTRE ET MARC ANTOINE, BRITISH MUSEUM.

    A

    GE F

    OTOS

    TOCK

  • LE GRAND TEMPLE DE

    KM OMBO Ce lieu sacr fut

    termin sous Ptolme XII Aulte, le pre de Cloptre. Il tait ddi au culte

    du dieu crocodile Sobek et du dieu faucon Haroris.

  • accs aux ressources stratgiques et cono-miques de lgypte dans le contexte de sa guerre parthe. Malgr les rsultats mitigs obtenus en la matire, en 34 av. J.-C., des crmonies fas-tueuses organises Alexandrie consacrrent lordre nouveau. Dans la capitale lagide, les enfants de Cloptre et dAntoine furent solennelle-ment proclams roi dArmnie et de tous les pays lest de lEuphrate (Alexandre Hlios), reine de Libye et de Cyrnaque (Cloptre Sln), roi dAsie Mineure et de Syrie (Ptolme Philadelphe, le troisime enfant n en 36), tandis que Ptolme XV Csar tait dit Roi

    des Rois et Cloptre Reine des Rois . Lassociation entre Antoine et Cloptre safficha aussi sur des monnaies figurant, sur une face, la souveraine hellnistique et sur lautre le triumvir.

    La propagande dOctave Rome, beaucoup trouvrent quAntoine avait largement outrepass ses fonc-tions et quil se comportait comme un roi hellnistique. Octave, de son ct,

    orchestra et amplifia cette indignation par une propagande trs virulente et trs efficace,

    dnonant la soumission dAntoine la reine dgypte et faisant de cette dernire lennemie du peuple romain tout entier.

    Cest dans le cadre de cette propagande que se fixent les grands traits qui resteront attachs la figure de Cloptre pour bien des sicles : gyptienne aux murs trangres, femme luxurieuse qui a sduit Csar et rduit Antoine ltat deunuque, monstre fatal , prosti-tue , abomination , reine insense qui travaille la ruine du Capitole ... linsti-gation dOctave, le Snat finit par dclarer la guerre la reine la fin de lanne 32 av. J.-C., Antoine tant volontairement ignor pour ne pas rveiller le spectre des guerres civiles. Moins dun an plus tard, le 2 septembre 31 av. J.-C., les troupes dAntoine et Cloptre taient dfaites Actium, dans les eaux du golfe dAmbracie. Ltau se resserra alors progressivement autour de lgypte : la fin de lhiver 30 av. J.-C., Octave fit dbarquer des lgions dans le delta, lt 30 il tait aux portes dAlexandrie, le 2 aot Antoine se suicidait et le 3 la ville tait prise.

    La fin des monarchies hellnistiquesCloptre, aprs avoir tent en vain de ngo-cier la survie de sa dynastie, fut considre comme prisonnire et place sous surveillance. Pourtant, le 12 aot, elle fut retrouve morte, pare de ses attributs royaux, ayant russi son suicide. Ptolme XV fut assassin peu de temps aprs Octave ne pouvait tolrer quun autre que lui se proclamt fils de Csar et les trois autres enfants amens Rome o ils furent pris en charge par Octavie. Si le sort des deux garons reste inconnu, Cloptre Sln fut plus tard marie au roi Juba II de Maurtanie et donna naissance un ultime Ptolme. Mais bien avant cet pilogue, la mort de Cloptre avait mis un terme lge des monarchies hellnistiques. Paradoxalement, la chute de la souveraine scella aussi la fin de la Rpublique romaine, tant fut grand limpact de la bataille dActium dans la lgitimation dOctave, proclam Auguste, en 27 av. J.-C., comme premier empereur romain.

    CSAR REMIT SON TESTAMENT LA MAISON DES VESTALES, PRS

    DU TEMPLE DE VESTA (REPRSENT ICI) ; LE TEXTE FAISAIT ALLUSION

    LENFANT QUI POURRAIT NATRE , PEUT-TRE LE FUTUR CSARION.

    G

    EORG

    E ST

    EINM

    ETZ

    / NGS

    WERNER FORMAN / GTRES

    ESSAISCloptre, au-del du mytheM. Chauveau. Liana Levi, 1998.Cloptre M. Colas. Larousse, 2001.Histoire politique du monde hellnistique 323-30 av. J.-C. Edouard Will. Seuil, 2003.

    Pour en savoir plus

    LE DERNIER ENNEMI DE CLOPTRE

    Csar nomma son neveu Octave, le futur Auguste (ci-dessous) comme hritier. Cest lui qui mit n au rgne de Cloptre et des Ptolmes. Muse national dart romain, Mrida.

    O

    RONO

    Z / A

    LBUM

  • CLOPTRE ET SON FILS

    La reine, en Isis, et son ls, en pharaon,

    rendent hommage la desse Hathor,

    sur les reliefs du mur postrieur du temple

    de Denderah.

  • Cloptre est sans doute un des personnages les plus clbres de lHistoire, CLOPTRE, UNE SOUVERAINE

    1 la cruaut

    La cruaut dont Cloptre aurait fait preuve de son vivant ne diffre pas de celle exerce par dautres personnages de lhistoire pour accder au pouvoir ou sy maintenir. Mais elle est devenue un des lments constitutifs de la lgende noire de la souveraine. Nous ne savons pas si laffirmation de lhistorien romain Plutarque est juste : selon lui, Cloptre ramassait toutes sortes de poisons mor-tels dont elle faisait lessai sur des pri-

    sonniers condamns mort.

    CLOPTRE TESTANT DES POISONS SUR UN CONDAMN MORT. TABLEAU DALEXANDRE CABANEL, 1887.

    2 Le luxe

    Le luxe dont sentouraient les monarques hellnistiques est lune des caractris-tiques les plus notoires et les plus m-prisables aux yeux de laustre tradition rpublicaine romaine. Toutefois, la reine et Marc Antoine savaient que ltalage de fastes en Orient pouvait servir leurs desseins politiques, si bien quils firent honneur la tradition en crant la so-cit des Inimitables, un groupe damis qui passaient leur temps organiser des ftes et des banquets inimaginables pour

    le commun des mortels.

    CLOPTRE SUR LA TERRASSE DU TEMPLE DISIS PHILA. TABLEAU DE FREDERICK ARTHUR BRIDGMAN, 1896.

    C

    ORBI

    S / C

    ORDO

    N PR

    ESS

    B

    RIDG

    EMAN

    / IN

    DEX

  • mais peut-tre aussi lun des plus dnaturs au l des sicles. MARQUE PAR LA LGENDE

    LA RENCONTRE DANTOINE ET CLOPTRE EN 41 AV. J.-C. TABLEAU DE LAWRENCE ALMA-TADEMA, 1883.

    LA MORT DE CLOPTRE, SOUVERAINE DGYPTE. TABLEAU DE JOHN COLLIER, 1890.

    4 La fin de la reine

    Mise sous surveillance par Octave aprs la prise dAlexandrie, Cloptre fut re-trouve morte le 12 aot. Russit-elle se procurer du poison ? Se suicida-t-elle en se faisant mordre par un serpent com-me le veut la tradition ? Pendant deux millnaires, sa mort a aliment les dis-cussions des historiens et des mdecins, ainsi que les reconstitutions des potes et des dramaturges. Sinspirant de textes dauteurs comme Plutarque, les peintres ont eux aussi immortalis la scne finale

    de la vie de Cloptre.

    3 La sensualit

    Les relations amoureuses de Cloptre firent sensation chez ses contemporains et fascinrent les gnrations suivantes, tonnes quune femme puisse deux fois de suite sduire le premier homme de Rome. La propagande dOctave se d-chana contre la suppose soumission dAntoine la reine dgypte : Romain devenu la proprit dune femme , et qui a abandonn toute la saintet des institutions ancestrales pour tre lun des

    joueurs de cymbale de Canope.

    C

    ORBI

    S / C

    ORDO

    N PR

    ESS

    B

    RIDG

    EMAN

    / IN

    DEX

  • UNE CURIOSIT INFINIEPenseur, philosophe et chercheur, Aristote se passionnait pour toutes les facettes de la connaissance. Buste en marbre. Muse national romain.

  • UN PIONNIER EN GRCE ANTIQUE

    ARISTOTE,LA SCIENCE

    INFUSE

    CARLOS GARCIA GUALPROFESSEUR DE PHILOLOGIE GRECQUE LUNIVERSIT COMPLUTENSE DE MADRID

    Philosophe passionn par la nature au ive sicle av. J.-C., Aristote tudia le vivant, de la zoologie la botanique, de la politique la

    psychologie. Son uvre plthorique a marqu lvolution de la pense et de la science en Occident.

    D

    AGLI

    ORT

    I / A

    RT A

    RCHI

    VE

  • ATHNES, CAPITALE DES PHILOSOPHESAristote se rendit Athnes pour tudier lAcadmie que Platon, lui-mme disciple de Socrate, avait fonde en 387 av. J.-C.

    Sur la fameuse fresque de Raphal, Lcole dAthnes, Platon et Aristote sont au centre de la scne, parmi les grands philosophes grecs. Leurs gestes sopposent : Platon montre le ciel de

    sa main, et Aristote la terre. Le grand peintre de la Renaissance illustre ainsi lopposition essen-tielle entre le penseur idaliste et le penseur raliste. Platon pensait que les ides consti-tuaient la ralit et que le monde terrestre et sensible ntait quune copie de ces modles clestes. Son disciple Aristote estimait, en revanche, que seul existe le monde que nous percevons par nos sens et que nous compre-nons par lobservation et le raisonnement. Cela explique quAristote ait rejet la thorie des ides de son matre (dans lAcadmie duquel il resta deux dcennies) pour se consacrer explorer la ralit quil avait devant les yeux.

    Le respect intellectuel quil ressentait pour Platon nempcha pas Aristote de dvelopper sa propre pense. Dans Lthique Nicomaque (ddi son fils), il explique en effet : Une recherche de ce genre est rendue difficile du

    C H R O N O LO G I E

    Matre dcole des grands

    384 av. J.-C.Naissance dAristote Stagire, au nord de la Grce. Son pre tait mdecin la cour du roi Amyntas III de Macdoine.

    342 av. J.-C.Philippe II de Macdoine convie Aristote pour quil soit le prcepteur du prince hritier, le futur Alexandre le Grand.

    347 av. J.-C.Le neveu de Platon, Speusippe, lui succde la tte de lAcadmie dAthnes. Aristote quitte la cit pour lAsie Mineure.

    323 av. J.-C. la mort dAlexandre le Grand, une rvolte contre la Macdoine clate Athnes et Aristote quitte la cit.

    367 av. J.-C.Aristote se rend Athnes pour tudier lAcadmie de Platon. Il y reste vingt ans, jusqu la mort de son matre.

    335 av. J.-C.Quand Alexandre devient roi de Macdoine, Aristote retourne Athnes. Il y fonde sa propre cole, le Lyce.

    347-342 av. J.-C.Aristote sinstalle Mytilne (le de Lesbos), o il enseigne. Il pouse Pythias, la lle du tyran Hermias, son protecteur.

    322 av. J.-C.Aristote meurt Chalcis, dans lle dEube. Dans son testament il mentionne sa seconde femme, Herpyllis.

  • fait que ce sont des amis qui ont introduit la doctrine des Ides. Mais on admettra peut-tre quil est prfrable, et cest aussi pour nous une obligation, si nous voulons du moins sauvegarder la vrit, de sacrifier mme nos sentiments personnels, surtout quand on est philosophe : vrit et amiti nous sont chres lune et lautre, mais cest pour nous un devoir sacr daccorder la prfrence la vrit.

    Nul nentre ici sil nest gomtre Aristote runissait les vertus du penseur abs-trait et celles du chercheur minutieux, exp-rimental, qui rassemble sans cesse des donnes, teste ses conclusions et analyse en profon-deur lesprit et la nature. Le fait que son pre ait t mdecin nest pas tranger cette soif de savoir. Bien plus que Platon, il fut un scientifique encyclopdique. Tout en mditant sur le sens de la vie humaine dans le cosmos, il souhaitait observer le vivant sous toutes ses formes : de lhumanit aux toiles, de la zoologie la botanique, de la psychologie la politique.

    Il renouait ainsi avec la tradition des premiers philosophes grecs, qui exploraient la physis (la nature) et le cosmos (lunivers).

    Daprs Aristote, il ne faut pas mpriser ltude des tres vivants les plus humbles : toutes les choses naturelles ont une part de merveilleux []. Il faut tudier toutes sortes danimaux, car ils reclent tous la nature et la beaut. De lhomme aux insectes, des vers aux crustacs, la nature offre au philosophe un spectacle bigarr digne de