HISTOIRE ET POÉTIQUE DE LA LUMIÈRE AU THÉÂTRE

HISTOIRE ET

POÉTIQUE DE

LA LUMIÈRE

AU THÉÂTRE :

LE RÔLE DE LA

CONCEPTION

LUMIÈRE DANS

L’ART

MÉMOIRE 2019/20

SCÉNOGRAPHIQUE

HÉLÈNE FABBRI

MÉMOIRE ENCADRÉ PAR :HENRI ROUVIÈREFRANÇOIS BARTHELEMI

DPEA "ARCHITECTURE ET SCÉNOGRAPHIE

2 MÉMOIRE DPEA architecture et scénographie

HISTOIRE ET POÉTIQU DE LA LUMIÈRE AU THÉÂTRE : LE RÔLE DE LA CONCEPTION LUMIÈRE DANS L'ART SCÉNOGRAPHIQUE

Mémoire rendu le 15.09.2020

3MÉMOIRE DPEA architecture et scénographie

SOMMAIRE

PREFACE

INTRODUCTION

1. HISTOIRE DE LA LUMIÈRELES GRANDES PÉRIODES DE L’HISTOIRE DE L’ÉCLAIRAGE,

TECHNIQUES, ÉCONOMIQUES ET SOCIALES

1.1 DES CHANDELLES AU GAZ

1.1.1 Chandelle, bougie et lampe à huile

1.1.2 Eclairage au gaz

1.2 ARRIVÉE DE L’ÉLECTRICITÉ

1.2.1 L’arc électrique

1.2.2 Courants et ampoule électrique

1.2.3 Conduite lumière et pupitre numérique

1.3 NOIR ET LUMIÈRE

2. CREATION LUMIERE ET CONCEPTEURS ANALYSE D'UNE OEUVRE LYRIQUE À TRAVERS LE TEMPS, LE TRIO

METTEUR EN SCÈNE/SCÉNOGRAPHE/ECLAIRAGISTE

2.1 TRISTAN UND ISOLDE, L’ŒUVRE

2.2 L’ŒUVRE À TRAVERS LE TEMPS

2.2.1 Tristan und Isolde par Adolphe Appia

2.2.2 Tristan und Isolde par Patrice Chéreau

2.2.3 Tristan und Isolde par Pierre Audi

CONCLUSIONBIBLIOGRAPHIE


« Méditer sur l’éclairage au théâtre et son histoire c’est aussi rêver sur ce qu’est le théâtre, et sur ce qu’il

devrait être. »1

« Qu’est-ce que l’art de la mise en scène sinon l’art de projeter dans l’espace ce que le dramaturge n’a pu projeter que dans le temps. »2

« L’éclairage devient art de la lumière, qui engendre des

émotions que les artistes des siècles passés ne pouvaient

concevoir avant l’avènement de l’électricité. »

« [La lumière est] la vie du théâtre, la grande fée de la décoration, l’âme d’une mise en scène. »

1- Sabine CHAHOUCHE, Jean-Yves VIALLETON, « Introduction | L’éclairage au théâtre (XVIIe – XXIe siècles) », Revue d'Histoire du Théâtre numéro 273 [en ligne], mis à jour le 01/01/2017, p9

2- Denis BABLET, Marie-Louise BABLET, Adolphe Appia (1862-1928): Acteur, espace, lumière, éditions L'Age d'Homme (3 juin 1964), Editions l’Age d’Homme, Zurich, 1981, p12

Des lumières et des ombres, Henri Alekan, 1998

Antoine, l’invention de la mise en scène, André Antoine, 1999

PRÉFACE


INTRODUCTION

Le théâtresedéfinità la foiscomme«unédificedestinéàlareprésentationdepièces,despectaclesdramatiques»etcomme«l'artdra-matique,considérécommeungenreartistiqueetlittéraire»d’aprèsledictionnaireLarousse.Maislethéâtreestaussietavanttout,commelesontl’opéraetlessallesdeconcert,unlieud’évasionetdedivertissement.Lespectateuryvientpourrêveretoublierletempsd’uninstantlemondeextérieuretlestracasquotidiens.Lespectaclevivantestunefabriquedemondesquisontlefruitd’uneétroitecollaborationdetroispointsdevue:celuidumetteurenscèneetdesescomédiens,celuiduscénographeetdesesdé-cors,etfinalementceluidel’éclairagisteetdesaconceptionlumière.L’éclairagiste,souventoubliéparlegrandpublic,travailleurdel’ombredepuislaquelleildirigeseseffetsdelumière,jouepour-tantunrôleprimordialdanslaperceptiond’uneœuvre.Danssadéfinitionlapluscourante,lalu-mièreestunphénomènephysiquequiproduitunesensationvisuelle.Lesjeuxdelumièrefontappelàunsensprimordial:lavue.Lesjeuxdelumièresontaujourd’huiunatoutmajeurdanslessallesdespectacles.Chaquenouvellepro-ductionfaitl’objetd’unecompositionoriginale:ledéfin’estplusd’éclairerlascènemaisdeparticiperàcequis’ydéroule.Lalumièresenour-ritdujeucommelejeusenourritdelalumière.L’éclairageentantqu’expressiondelapoésiedudramesebasesurlesmodalitésd’expressiondelalumière:intensité,couleur,directionetmou-vement.Ilpermetdecréerdesatmosphères,demodifierl’apparencedelascène,dedessinerdesreliefsetdesvides,dehiérarchiserleses-paces.Lalumièreindiquedemanièresensibleunlieu,unmoment,untemps.Elleestégalementuncadrage,unefocale.Ellerendvisiblemaissur-toutelleopèreunesélectiondanslechampduvisible.Elleagitphysiquementsurlespectateur,focalisesonattentionsurunsujet,déplacesonregardd’unpointàunautre.Elleinfluencesonhumeurainsiquecelledel’acteur,enéclairantàpeine,àlalimitedel’invisibilité,ouaucontraireenéclairanttropjusqu’àl’aveuglement.Ilpeutsefairequelalumièren’aitd’autreobjectifqueceluid’êtrel’acteurprincipal,laseulechosequifassevibrerlespectateur.Lalumièreconstruit

l’espace,rendpossiblelamétamorphoseduvidedel’espacescéniqueen«plein»dematièrelu-mineuse.Bienqu’impalpable,elleprendqualitéde«masse»etmetdoncenrelationlesélé-mentsdelascène.

Lemétierd’éclairagisteouconcepteurlumièreestrécent.Leterme«éclairagiste»estapparuaumilieuduXXèmesiècletoutcommeceluidescénographe.Cettefonctionesttoutd’abordapparuedanslesthéâtresdel’avenueBroadway,àNewYork,pourpermettreauxmet-teursenscènedeconsacrermoinsdeleurtempsàlarecherchedel’éclairage3.AuxEtats-Unisl’associationdeséclairagistesestofficiellementreconnueen1962.EnFrancePierreSaveron,fi-dèlecollaborateurdumetteurenscèneJeanVilarquicréaleFestivald’Avignon,portalepremierletitrede«responsabledeslumières»au-delàdesonrôledechefélectricien.L’artde la lu-mièreaouvertunenouvelleèrequiamarquél’identitédesartistes,del’éclairagisteaumet-teurenscèneenpassantparlescénographe.Laconceptiond’unspectaclenepeutexisterqueparl’étroitecollaborationentrecestroisprota-gonistes.L’éclairagisteadésormaisenchargelascénographielumière.C’estluiquiconçoitleseffetscorrespondantà ladramaturgiedel’œuvreenproduction. Ildoitêtrepolyvalent.Eneffetilestàlafoisuntechnicienrigoureux,celuiquiconnaitlematérieletsonfonctionne-ment,etaussiunartisteimaginatifetinventifàl’écoutedumetteurenscèneetduscénographedontilmetlesidéesenlumière.CommeledisaitBaudelaire,laquestiondelalumièreauthéâtredoitêtreenvisagéesousl’angledelarêverie4. Laconceptiond’éclairagen’estpasqu’unoutil,c’estl’appréhensionartistiquedecequepeutamenerlalumièreàlareprésentation.

La lumière était autrefois un bienmalpartagé,unesourcededangeraussi.Denombreuxlieuxdereprésentationontdisparudanslesflammes.Lalumièreétaitfonctionnelle,auservicedelasociété,avantdedevenirunoutil au service de l’œuvre dramaturgique.DepuisledébutduXXème,avecl’avènementdel’électricité,letravaildelalumièreaprisune

3- Jean GERVAIS « L’éclairage électrique et son évolution au XXème siècle », Revue d'Histoire du Théâtre numéro 273 [en ligne], mis à jour le 01/01/2017, p40

4- Sabine CHAHOUCHE, Jean-Yves VIALLETON, « Introduction | L’éclairage au théâtre (XVIIe – XXIe siècles) », Revue d'Histoire du Théâtre numéro 273 [en ligne], mis à jour le 01/01/2017, p8


TRISTAN UND ISOLDE, ADOLPHE APPIA


touteautreampleur.Quel rôleentretient-elleaveclecomédiensurlesplanches,outrelefaitd’éclairersonespacedejeu?Lalumièreest-elleauservicedeladramaturgieouladramaturgieest-elle au service de la lumière ? Quelledimensionprendlaconceptionlumièredanslespectaclevivantauxcôtésdelamiseenscèneetdelascénographie?L’objetdecemémoireestd’interrogerlaconceptionscénographiquedanslespectaclevivantparlebiaisdelalumière.Ils’agiraaussidequestionnerlerapportentreunartetlesdispositifstechniquessurlesquelsils’appuie.

Cequestionnementseraàanalyserdansplusieurs champs disciplinaires : historique,sociologique,artistique.Iln’existepasdegrandtraitéstatuantsurl’utilisationdelalumièredanslespectaclevivant.Cependantdesouvragesinterrogeantl’éclairagepourlespectacleontétépubliésbienavantl’arrivéedel’électricité.En1637NicolaSabbattini,architecteetscénographeitalienbaroque,posedansPratique pour fabriquer scènes et machines de théâtrelesfondementsduthéâtreàl’italienne.Danssonmanuelildécritlesrudimentsdelascèneentantquemachine,lafabricationdetoilespeintesenperspectiveàpartirde« l‘œilduprince»-angledevuepermettantdevisualiserledécorenperspectivedemanière symétrique et sans déformation- ainsi que certaines méthodes d’éclairagescéniquequisefaisaitàl’époqueàlaflammedelabougie.En1640,dansleurtraitéArchitectura Recreationis, Leone de Sommi et JosephFurttenbachrecommandentdeplongerlasalledanslenoir.Depuisl’inventiondel’électricitéautournantduXXèmesiècleetsonutilisationdanslesthéâtres,denombreuxauteursontvalorisécettecomposantescéniquedansleurstravauxenapportantdesdonnéeshistoriquesettechniques.Onnoteral’undespremiersouvragesdeJulienLefèvreen1894L’électricitéauthéâtre.En1932,Stanley McCandless explique son procédéd’éclairageparzoneavecdesprojecteursdansA Method of Lighting the Stage ;ilymentionnenotammentleurpositionnementenfaceetselonunanglede45°pourunemeilleureperceptiondu visage du comédien et de sa silhouettesur lefond.Quelqueséclairagistesonteuenchargedanslesdernièresdécenniesdeformerleurssuccesseurs.OnretiendraparexempleenFrance,l’ouvragedeFrançois-ÉricValentinLumière pour le spectacleéditéen2010quiseprésentecommeunoutildeformationaumétierdeconcepteurlumière.

L’objectif de ce travail n’est pas derefaire toute l’histoire de la lumière dans ledétail.Ils’agitplutôtd’uneétudeaboutissantàl’analysedesvisionsdedifférentstriosmetteuren scène/scénographe/éclairagiste depuisl’arrivée de l’électricité jusqu’à aujourd’hui.Nous tâcheronsdedégagerdesesthétiquesdifférentes et tenterons de comprendrecommentlalumière«agit»surladramaturgiedanslespectaclevivant.Cetterecherchequientre dans le champ de l’esthétique de lascènes’appuieratoutd’abordsurunexamende l’histoirede l’éclairagedans lespectaclevivant.Fortsdecesocledeconnaissances,nouscomprendronsmieuxleprocessusquiaconduitl’éclairageglobalauserviced’unsystèmesocialversunéclairagedeplusenplusfocalisésurlascène,lesacteursetl’intrigue.Touteavancéetechnologique essentielle affecte les choixd’éclairageduprofessionnelquimetenœuvrelesmoyensqueluiprocuresonépoque.Ainsiils’agirad’analyserdansunsecondetderniertempslafaçondontl’éclairageaétépensépardifférentsconcepteurslumièreayanttravaillésurunemêmeœuvremaisàdesépoquesdifférentes,d’abordertroisesthétiquesdifférentes.Cetteétudeserabaséesurl’analysesuccessivedestravauxdetroisgrandsnomsduspectaclevivantqui se sont penchés sur l’opéra wagnérienTristanet Isolde (1865),œuvremaitresseaurépertoiredu«Festspielhaus»deBayreuthenBavière.Lespremièresscénographieslumièresontnéesenlienaveclamusiquedesopéras.L’analyseseraeffectuéesurdesreprésentationsqui onteu lieudansdes sallescloses,nouslaissonsdélibérémentlepleinairdecôtécarc’estdansl’obscuritéquesedévoilelacréativitédel’éclairagisteetquoidemieuxpourcontrôlercetuniversmagiquequ’estlespectaclequedecouperlespectateurdetoutrappeldel’extérieur.

Dans ce mémoire, nous nommerons«théâtre»àlafoislesreprésentationsappartenantaumondeduthéâtreetcellesappartenantaumondedel’opéra,quienglobentlesprincipalesbranchesduspectaclevivant.


1. HISTOIRE DE LA LUMIERE LES GRANDES PÉRIODES DE L’HISTOIRE DE L’ÉCLAIRAGE, TECHNIQUES, ÉCONOMIQUES ET SOCIALES

1.1. DES CHANDELLES AU GAZ

Alacréationdelieuxclosdédiésàlare-présentationàlafinduXVIèmesiècle,lasalleetlascèneformaientuncontinuum:l’éclairageétaitd’intensitéégale,communauxdeuxparties.Cesespacesétaientéclairésàladiteépoquepardeschandellesdesuifadditionnéesdecire.Cedispositifproduisaitunefuméenoireetnéces-sitaitd’être«mouché»régulièrement.Laduréedevied’unechandelleétaitd’environvingtmi-nutes5.Larelationentrelalongueurdesactesetladuréedeviedeschandellesn’estpasavéréemaisdespauses,desentre-actes,étaientnéces-sairespourquelesmoucheurspuissentparcourirlesdispositifs,lesmoucheravantquelalumièrenefaiblissejusqu’àl’extinctionetlesremplacerpardesneuves.Lesbougiesentièrementencireétaientutiliséeslorsd’occasionsexceptionnellescommelaprésenceduroidansl’audience.Cesbougies-làproduisaientmoinsdefumée,l’odeurétaitmoinsforte,leurfeupluspâleetplusbrillantetellestenaientplusdansladurée.Parcontreellescoutaientpluscher,d’oùleurplusrareuti-lisation.Laquestiondelalumièreétaitencoredavantageliéeàunefonctionutilitairequ’àdesenjeuxdramatiques.

NicolaSabbatiniétabliten1637danssontraitéPratique pour fabriquer scènes et machines de théâtreunethéoriedel’éclairagelatéraldescène.AlafinduXVIèmesiècletoujours,danslespremièressallesdédiéesauspectacleenFrance,onaccrochequelqueschandellesenfonddescèneàlanuittombéeafind’éclairerlascènedelamanièrelaplusdiscrètepossible.AudébutduXVIIèmesiècle,àl’HôteldeBourgogneetauThéâtredumaraisàParis,lenombredechandellesaugmenteprogressivement,danslasallecommesurlascène.Lethéâtreàl’italienne,apparuàlafinduXVIIèmesiècleenItalie,im-poseraensuitedurablementsonmodèledanstoutel’Europenotammentd’unpointdevuedes

systèmesd’éclairagedelascène.Lacagedescèneàl’italienneestuneboîteouvertesurdeuxcôtés:l’ouverturefacepublic,etl’ouvertureau«ciel»oùsetrouventlesmachinerieshéritéesdumondenavalappelées«cintres».L’usagedel’éclairage«àl’italienne»esttrèsviteadoptéetlesdispositifssontappliquésdanslessallesparisiennes.Oncomptecinqdispositifsprinci-paux:larampe,lelustre,laherse,leportantetlatrainée.Larampe,situéeausolenavant-scène,estunesuccessiondechandelles,oudelam-pionsàgraissepourlaversionlamoinscouteuse,quiéclairentl’acteurdubasverslehautafind’éclairersonvisageetdevaloriserl’éclatdesoncostume.Onditquelespremièresrampessontapparuesdanslescompagnieslespluspauvresquin’avaientd’autremoyenpours’éclairerqued’alignerlessourcesdelumièreàl’avantdelascène,formantainsilespremièresrampesendehorsdesthéâtresàl’italienne.Larampeper-metdemettreenvaleurl’esthétiquedumoment,c’estàdirelecomédiendéclamantsontexteenavant-scènetandisquelerestedelascènerestepeuéclairéetpeuutiliséparlejeudesacteurs.Latoilepeinteenfondduplateauétaitégalementéclairéeàsabasepardeslampesalignéessurlemodèledelarampe6.Lelustre,élémentcomposédeplusieurschandelles,suspenduoubrasfixéaumur,estlefruitdutravailduscénographeitalienPeruzzi7dontlebutétaitdemettreenvaleurlespeinturesetlaperspectivedudécoràlafinduXVIèmesiècle.Leslustresencristauxsuspendusàl’avantdelascèneparunsystèmedecâbleetdepouliesapparaissentunedizained’annéesplustardetlenombredebougiesqu’ilsportentreflèteladimensionexceptionnelledelapiècequisejoue.Lesvariationsdelaconsommationdechandellesetdebougiespouvaientseré-vélerextraordinairesenfonctiondecertainesreprésentations.Parexempleen1660latroupedeMolièreauPalaisRoyalfitl’usagededouze

1.1.1 Chandelle, bougie et lampe à huile

5- Le Périscope (Nimes), De la lumière au théâtre6- Véronique PERRUCHON, «Esthétique de l’éclairage», Revue d'Histoire du Théâtre numéro 273, 2017, p81

7- Finot ANDRE, « L'éclairage dans les spectacles à Paris du XVIIIE siècle au milieu du XXe siècle », Annales historiques de l’électricité, 2009 (N° 7), p13


lustresdedixchandelleschacunetd’unerampedequarante-huitchandelles8.En1703,latragé-die-balletPsyché,œuvredeMolière,CorneilleetLullydonnéeaussiauPalaisRoyalfitparlerd’ellepourlecoutexorbitantdesaspectaculaire«miseenfeu»:pasmoinsdeonzelustresdedouzebougiesdecire,quatre-vingtlampionsàhuilepourlarampe,etsixcentbougiesrépartiesderrièreleschâssiscomposantledécor9. Les lustresseront remplacésplustard,dumoinsdanslacagedescène,pardes«herses».Lahersesuspendueau-dessusde lascène,deprincipeidentiqueàlarampe,estunegalerielumineusedelampions,généralementmobile,enliteauxdeboisformantundemicarré.Elleéclairedehautenbaslespartiesdedécorsurlesquellesonveutporter l’attention.Lespor-tantssesituentsurlescôtés,derrièrelecadredescèneetleschâssisdesdécorspeintsquisesuccèdentdanslaprofondeurdelascène.Cesontdesstructuresverticalessurlesquellessontfixéeslessourcesdelumière.Enfinlestrainéesaussiappelées«bain-de-pieds»10 sontdesar-maturessemblablesauxportantsmaisplacéescettefoisdemanièrehorizontaleetdisposéesausolderrièredessilhouettesoudesvolumesàmêmeleplancherfigurantunreliefminéralouvé-gétal,les«terrains».Acesdispositifsprincipauxétaientparfoisajoutésdeséclairagesautonomes,

des«gloires»11,desnacelleséclairéesarrivantdescintresenportantunpersonnage.

Ce système d’éclairage fut peu mo-difiéens’imposantdanslessallesdethéâtreeuropéennes. Dans leur traité Architectura Recreationis,LeonedeSommietJosephFurtten-bach(1640)conseillaientl’usagederéflecteurs,enavant-scène,afindedécuplerl’intensitélumi-neusedesflammes.Lapuissancedurayonnementlumineuxdesbougies,chandelles,lampionsétaitaccrueparl’usagedematériauxréfléchissantsoudiffusants.LavolontédeconcentrerlalumièredansunfaisceausetraduiradanslestravauxdePierrePatte,architecte,etAntoineLavoisier,phy-sicien,danslesannées1780parl’inventionduréverbèreparallèlementàl’arrivéedel’éclairagepublicdanslavillelumière.Lavoisierdécriraleréverbèredanssontraitéd’architectureen1782commeétant«unmiroirconcavedemétaldis-posédemanièreàaccueilliruneportiondelalumièrequiauraitétéperdueetladirigerversl’objetàéclairer»12.Cesystèmeréfléchitmieuxlalumièrequelesdispositifsquil’ontprécédéetilneproduitpasdefumée.LavoisieretPatteconstaterontlamauvaiserépartitiondelalumièreentreleszonesd’ombreetleszonestropéclai-réesparlarampeenavant-scènenotammentquipoureuxdéfigurelecomédien.Pattepréconisera

8- Op sit.9- Le Périscope (Nimes), De la lumière au théâtre10- Finot ANDRE, « L'éclairage dans les spectacles à Paris du XVIIIE siècle au milieu du XXe siècle », Annales historiques de l’électricité, 2009 (N° 7), p13

11- Ibid.12- Cristina GRAZIOLI «peindre avec la lumière : la naissance d’une esthétique au tournant des XVIIIe et XIXe siècles», Revue d'Histoire du Théâtre numéro 273, p58

Utilisation des lustres en avant-scène au Théâtre de la rue des Fossés Saint-Germain


l’utilisationduréverbèredepartetd’autreduplateaudelascènecommesolutionàcepro-blème.Grâceàcetoutilildevientpossiblededirigerlalumièreetdelamodeler,d’enfaireuninstrumentartistique.

Acettemêmeépoquelalumièrecom-mence à être étudiée et travaillée commeélémentartistique.Elledevientunattributdespersonnages,metenvaleurlesmachinesetlespanneaux,permetlespremierseffetsdejouretnuitdansunemêmereprésentation.Onidenti-fiepourlapremièrefoislefacteur«air»dontontientcomptepourexpérimenterlalumièrecommeune«masse»dansl’espaceetnonpluscommesurfaceprojetéeendeuxdimensions.Lespremiersélémentsdecolorationdelalu-mièreétaientdesverresoudumicadecouleur,commedesvitraux,oudesrécipientsenverreremplisd’eaucolorée.Lacolorations’effectuaitpartransparence.Ellepouvaitégalementêtreef-fectuéepardesélémentsdetoilelégèreethuilée.Afindecréerl’illusiondelatombéedelanuit,descaches-cylindresdefer-étaientabaisséssurlesflammesdeschandellesoubougies.Cesca-chespouvaientpivoterafindecolorerlasourcelumineuse.Cesdernièrespouvaientaussidispa-raîtreàtraversdestrappesaménagéesdansleplafond13.

C’estàpartirdelafinduXVIIIèmesièclequedébutelarévolutiondel’éclairagescénique,avecl’arrivéedela lampeàhuile.En1782, lephysicienetchimistegenevoisAmiArgandper-fectionnelalampeàmècheetinventelalampeàhuileàréservoirlatéraletdoublecourantd’air.L’intensitédelalumièreblanchedégagéeparlaflammeesttelle(elleestdixfoissupérieureàcelledeschandellesetdesbougiesdecire)qu’elleensembleéclatante.Argandsubstituaàlamèchepleinequiproduisaitbeaucoupdefuméeenbrûlantunemèchecreuseenformedetube.Quelquesannéesplustard,en1784,AntoineQuinquet,pharmacienparisien,commercialisaitlapremièrelampeàréservoirlatéralenajoutantsimplementunecheminéedeverresurunbecd’Argand.C’estsonnomquel’histoireretien-dra,etlalampeàréservoirlatéralleportera,onparlerade«quinquets».Danslamêmeannéelesquinquetsremplacentleschandellesetlesbougieslorsd’unereprésentationduFigaroàlaComédieFrançaise.Enmoinsdedeuxdécen-nieslalampeàhuileestparfaitementaupoint.Lesystèmeestadoptédanstouslesthéâtresdelacapitalefrançaiseetremplacesurscènetoutesleschandelles,bougiesetlampionstoutenconservantlesmêmesdispositifsd’éclairagequesontlarampe,laherse,etlesportants.Maiscommelesbougies,lalampeàhuiledemandeénormémentd’entretien.Lesbougiesetlalampeàhuilesecôtoierontdanslesthéâtresetrestenttoutesdeuxdesmoyensluxueuxetcherspourleurépoque.13- Pauline LEMAIGRE-GAFFIER « Lumières du théâtre, lumières de la ville | L’éclairage au théâtre (XVIIe – XXIe siècles) », Revue d'Histoire du Théâtre numéro 273, p14

Système de cache et système de poulis pour l'obs-cucissement de la salle. Dessin de Nicola Sabbattini dans Pratique pour fabriquer scènes et machines de théâtre

Lampe Quinquet murale, avec réservoir latéral, chemi-née en verre et équipée d'un réflecteur plaqué argent


1.1.2. Éclairage au gaz

L’éclairageaugazseraintroduitaudé-butduXIXèmesiècleenFranceparPhilippeLebon,enAngleterreparWilliamMurdoch,etenAllemagneparFrédéric-AlbertWinsor14. Il estlerésultatdelonguesannéesderecherchesmenéesnotammentparCavendish,PriesleyetLavoisierautourdethéoriessurlamaitrisedufeuetdelacombustionàpartirlesannées1780.Ondécouvrealorslerôledel’oxygènenécessaireauprocessusdecombustion.AlorsquelaFranceetl’Allemagnefonctionnentaugazdebois,assezcouteux,l’Angleterreprenddel’avancegrâceàsesgrandesressourcesenhouille.AinsidèsledébutduXIXèmesièclelesthéâtresanglaissontéclairésaugaz.Dès1813Londresestlapremièrevilled’Europeàinstallerunéclairagederueaugaz,quiseraensuiteadaptédanssesthéâtres.En1818PapillondelaFerté,intendantdesMenusPlaisirsduRoiLouisXVIII,estenvoyéparceder-nieràLondrespourrendrecomptedelaqualitédusystèmeanglaisetdeseffetsdel’éclairageaugazhydrogène.Legazferasonapparitiondanslespremiersthéâtresparisiensdanslesannées1820,notammentàl’OpéradelaruePeletieretauthéâtredel’Odéon,d’aborddanslescorridorsetlasallepuissurscène.Pendantlongtempslaramperestealimentéepardesquinquetsetcô-toieleshersesetleslustresàgaz.Lapremièreusineroyaled’éclairageaugazdehouille,aussiappeléegazomètre,estinstalléerueRicheràParisetremplaceralathermolampeaugazdeboisdePhilippeLebon15.Danslesannées1830legazd’éclairagefaitsonapparitiondanslesvilles.Ilfaudracependantattendrelesannées1840pourquel’usagedugazsegénéralisedanslesthéâtresfrançaisetallemands.Ilestinstalléen1843àlaComédieFrançaise.L’éclairageàl’huilen’estpastotalementabandonnéetpermetd’éclairerlesespacesdeservicessecondairesdesthéâtres.Pouréviterlesfrais,quelquessallessontéclairéesàl’huilependantlejourpourleservicedesrépétitions.

Legazdonneunelumièreplusagréableàlavue,plusvivante.Sonpouvoiréclairantrepré-senteledoubledelameilleurehuilepourlampeàmèche.Dansleschroniquesdesannées1820salumièreestdécritecommeuneclartéjaunâtreetfusantequi«paraissaitvivanteparlemouve-mentdesaflamme»16.Ilestpossiblededonneràlaflammedenombreusesformesparunsimplechangementdebec.Al’origineunbecestune

sortedeboutonmétalliquepercéd’untrou.Ilpro-duituneflammedroiteetvacillante.Laformedubecévoluepourdonnerdesformesdifférentesàlaflammequis’enéchappe:lebecd’Argandluidonneuneformecylindrique,lebecàfenteuneformediteen«papillon»,lebecManches-terlaforme«queuedepoisson».AlafinduXIXèmesièclelebecbunsenpermetd’obteniruneflammebleueetchaude.Lalumièreestta-misée,quandcelaestnécessaire,parl’ajoutd’unglobedecristaldépoliautourdesaflamme. Constammentalimentéeengazpendantunereprésentation,laflammeestpratiquementinépuisable.Ellepeutêtrealluméeetéteinteàvolonté.Grâceàlafluiditédugaz,l’obscuritépeutêtreatteinteparuneextinctiontotaleduflux.Onjoueaussiplusfacilementdesvariationsd’intensitépendantlareprésentationenpassantdupleinfeu,audemi-feu,auquartdefeu.Cesmodulationsdesintensitéslumineuses,nuancespermisesparlarégulationàdistance,sontren-duespossiblesparunsystèmedetuyauterienommé«jeud’orgue»17.Larégularisationdugazdistribuéensériesefaisaitparunsystèmedetuyauxpartantd’unpointdecontrôleetpar-courantlesmursetlesplafondsdesthéâtres,etfaisaitpenseràunorguemusicaldeparsonapparence.Ilétaitcependanttechniquementdangereuxd’éteindrecomplètementlesbecsdegazdelasallependantunereprésentationsouspeinedenepouvoircontrôlercomplètementlesémanationsdegazetd’encouriruneintoxicationrespiratoiredel’auditoire.Leseffetsdugaz,ajou-tésàlachaleurmontantequeceux-làgénèrent,décuplaientleressentidesspectateurssituésdanslesgalerieslesplushautesetceluidesma-chinistesdanslescintresetlespasserelles.

Leseffetsdelumièredeviennentavecletempsplusfacilesàréaliser,laquantitédema-térielsurscènes’accroit,etlacentralisationdescommandesdujeud’orguepermetdeconcentrerdansunlocaltouslesrobinetsdecommandedesdiversestuyauteriesreliéesauxespacesdelascène.Grâceàcetéclairage,leplateaucommenceàêtreexploitédanssaprofondeur.AntoineLavoisier,danslapoursuitedesontravailentaméaveclalampeàhuile,consacred’ailleurstoutunmémoireaurééquilibragedel’éclairageentrelascèneetlasalle.Sontravailtendd’abordàchasserl’obscuritépuisàrechercherunmeil-

14- Mariglen SULEJMANI, « Événements lumineux : le gaz et l’élec-tricité à l’Opéra de Paris selon la presse (d’Aladin au Prophète) », Médias 19 15- Ibid.

16- Le Périscope (Nimes), De la lumière au théâtre17- Véronique PERRCHON, Noir. Lumière et théâtralité, Le temps du théâtre, Arts du spectacle – images et sons, Presses universitaires du Septentrion, 2016, p132


Esquisse de décor par Louis Daguerre représentant l'un des palais d'Aladin ou La lampe merveilleuse

leuréclairagequeceluidudispositifenplacedepuisleXVIIèmesiècle.Ilutiliseleréverbère,quinousapparaittoutbonnementcommel’an-cêtreduprojecteur,commemoyenpourdiffuserla lumière au-dessusdes comédienset desspectateurs.DanssonétudeLavoisierplacelesréverbères«au-dessusdel’avant-scèneende-dansduthéâtre,danslapartiequ’onappellelecintre»18.Toujoursselonlui,lesréverbèresontledoubleavantaged’augmenterlevolumedelumièreetdepouvoirdirigerlalumièreauloin.C’estlapremièrelumièredirectionnellerecenséedanslespectaclevivant.Cettelumièrepeutêtrecoloréegrâceàdesétoffeslégèrescommedesgazescoloréesplusoumoinsépaissesoudestoilesclaires.

Pendantplusd’undemi-sièclel’éclairageaugazrestesansrivalsurscène.Ilapermisunvéritablerenouveaudelamiseenscène.Grâceauxnouveauxeffetsqu’ilapporte,denouvellesconceptions apparaissent. L’introduction del’éclairageaugazenFranceest intimementliée à la représentation d’une pièce en par-ticulier,le6février1822:AladinoulaLampe

merveilleuse,opéra-féériedeNicolasIsouardditNicoloetAngeloMariaBenincorisurunlivretdeCharles-GuillaumeEtienne.Celle-cieutlieuà l’AcadémieRoyaledemusiquedans lanou-vellesalleinauguréeen1821.Onabeaucoupderaisonsdecroirequelechoixdecettepièceaétéfaitdanslebutprécisdemettreenvaleurlenouveléclairageaugaz.Lapresseenparlaencestermes:«jamaislethéâtredugrandOpéran'aoffertaupublicunspectacleàlafoisplusmagnifiqueetplusélégant»19,«ilétaitdifficiled'imaginerdestableauxplusenchanteursqueceuxdontilasiheureusemententourécepauvreAladin»20.Laclédusuccèsdecettepiècesetrouvedans«larichessedulustrequiéclaireoun'éclairepaslasalle»21.Lesélogesattribuésàlareprésentationserontengrandepartieliésàlaréputationdestroispalaisd’Aladin,décorspeintsdeCharlesCicérietLouisDaguerre.Cequiafrappélorsdelapremière,cesontlesjeuxdejouretdenuit,deseffetsdelumièrecolorée,quiaccompagnentunevariétédetableauxrompantavecl’habituelleunitédelieuetdetempsdelareprésentation.L’éclairage,aussiappelé«leluminaire»22,apermisdeseffetsremarquables

18- Op. sit. p5119- Mariglen SULEJMANI, « Événements lumineux : le gaz et l’élec-tricité à l’Opéra de Paris selon la presse (d’Aladin au Prophète) », Médias 19

20- Ibid.21- Ibid.


pourl’époquedesoleilmouvantdanslelointain,enarrière-plandupalais.Cequiacontribuéausuccèsdelanouvellemiseenscènen’étaitpasseulementlalumièremaisaussil’obscurité:«lepassagerapidedelaclartéauxténèbres,etdesténèbresaujourlepluséblouissant,aconfondulespartisansdesvieilleslumières»23.Unescèneenparticuliermarqualesmémoires,cellesedé-roulantdans«leboudoird'Almaziesurplombéparunecoupoleéclairéequitombedansl'obscu-ritéenuninstantmagique»24.L’éclairageréduitdelasallependantlareprésentationn’étaitpassansrappelerleseffetsdesfantasmagoriesoùapparaissaientdesspectreslumineuxdansdessallesobscures.LaLampemerveilleuseseraàtoutniveaulapiècederéférenceencedébutdeXIXèmesiècle,etnecesserad'attirerlesfoules.Laréussitedecettemiseenscènejustifierétros-pectivementlacréationdelaCompagnieroyaled'éclairageaugazquiouvrirad’autresusinesetalimenteralesthéâtresetlesopérasjusqu’àlafinduXIXèmesiècle.

L’éclairageaugazacependantétéàl’originedenombreuxincendiesetdestructionsdesallesdethéâtreetd’opéra.Lesthéâtres,àl’origineenstructurebois,semblentdestinésàdisparaitreparlefeu.L’incendieparexempledel’Opéra-Comiquele25mai1887provoquéparl’éclairageaugazd’uneherse,coutalaviedeplusdequatre-vingtspersonnesetmarqualafindel’éclairageaugazdessallesdelacapitalefrançaise25.

Bec Argand

Bec à fente

Bec Manchester


23- Mariglen SULEJMANI, « Événements lumineux : le gaz et l’élec-tricité à l’Opéra de Paris selon la presse (d’Aladin au Prophète) », Médias 19

24- Ibid.

25- Pauline LEMAIGRE-GAFFIER « Lumières du théâtre, lumières de la ville | L’éclairage au théâtre (XVIIe – XXIe siècles) », Revue d'Histoire du Théâtre numéro 273, p22


Le passage du XVIIIème au XIXèmesiècleestmarquéparlespremièresrecherchessurl’électricité.En1799,lecomteAlessandroVoltainventelapilevoltaïque,lapremièrepileélectrique.En1807,lephysicienetchimisteSirHumphryDavyparvientàcréeruneétincelleélec-triqueentredeuxbaguettesdecharbondeboisreliéesauxdeuxpôlesd’unepilevoltaïque.Entrelesdeuxélectrodesseformeuneflammepuis-sante,incurvéeenformed’arcdecercle.C’estàDavyqu’ondoitlespremièresexpérimentationssurl’arcélectrique.Ilfautattendre1844pourquelephysicienLeonFoucaultaitl’idéedel’utiliserpourl’éclairage.Ilimagineunrégulateuràarcquisecomposed’unelampeàarcportéeparunsupportdeboisetmunied’ungrandréflecteurparabolique.Ilmetaupointunmécanismed’hor-logeriepourmaintenirlescharbonsquis’usentàbonnedistancegrâceàunsystèmed’aimants.JulesDuboscq,opticien,s’emparede l’inven-tion,ladéveloppeetlacommercialisepourdesapplicationsindustriellesdès1870.Ildéclineraaussiuncertainnombred’appareils,desboitiersmunisderéflecteursparaboliquespermettantdeprojeterdesdisquesdelumièresurdesécransdesoie,pourdeseffetsspéciauxscéniques.L’arcélectriquefaitsapremièreapparitionsurscènele16avril1849lorsdelareprésentationduProphète,opéradeGiacomoMeyerbeer,surlesmêmesplanchesoùs’étaittenuAladinouLaLampemerveilleuse.LerégulateurinventéparFoucaultestadaptéparDuboscqauxbesoinsduspectaclevivantmêmesilatechniqueresteassezexpérimentale,on l’appelle la lanterneDuboscq.C’estcettedernièrequiapermisderecréerleleverdesoleilautroisièmeacteduProphète.L’enjeuestàlafoistechniqueetes-thétique.Ils’agitd’inventerunoutilspécifiquequisemetauservicedel’artdelamiseenscènedanslarecherched’uneffetvisuelnouveau.Lesoleil,systèmedeprojectiondelumièrederrièreunetoile,apparaitenfonddescènesouslesbranchagesdesarbresetdans«labrumedumatin»26inondantsoudainementd’unelumièrevivel’obscuritédanslaquelleétaientplongéslesspectateurs.Cesoleil,seulélémentfonctionnantàl’électricitélorsdecettereprésentation,enapparencemineuretponctuelmarquetoutefoisl’arrivéedel’éclairageélectriquesurlascène

desopérasetdesthéâtres.L’arcélectriquerestejusqu’en1915unoutilcomplémentaireàl’éclai-rageaugazcarleslanternessontdesmachinesencombrantesetbruyantes.

Legaz,introduitdanslesannées1820enFrancenouslerappelons,avaitchamboulélesmanièresdeconcevoirl’éclairagedescènegrâceàsamodularitéetgrandeflexibilitéd’uti-lisation.L’arrivéedel’électriciténefutpasunprogrèsdanscedomaine.Lalampeàarcneper-metaucunegraduationdel’intensitélumineuse.Lalanterneestàusagemobile,elleproduitunelumièrecinquantefoispluspuissantequecelleaugaz,maisellen’aaucunesouplessedanssesréglagesetsertauXIXèmesiècled’appointpourunéclairageprincipalementaugaz.

La lampe à arc pour l'effet de soleil levant du Prophète, positionnée derrière la toile de fond de scène.Tirée de L’Envers du théâtre, Jean Moynet, 1873

1.2. ARRIVÉE DE L'ÉLECTRICITÉ1.2.1. L’arc électrique

26- Mariglen SULEJMANI, « Événements lumineux : le gaz et l’élec-tricité à l’Opéra de Paris selon la presse (d’Aladin au Prophète) », Médias 19


1.2.2. Courants et ampoule électrique

Dès1878quelquessallescommel’Hip-podromedeParisfontleparidechangerleurinstallationmalgrél’opiniongénérale.Suiteauterribleincendiedel’Opéra-Comiquele25mai1887,laprioritéestencoredavantagedesécu-riserlesthéâtres.Lessallesdereprésentationremanient l’une après l’autre complètementleur installation d’éclairage, en remplaçanttousleséclairagesaugazpardesinstallationsélectriques jugéesmoins à risque.AudébutduXXèmesiècle,presquetouslesthéâtresenEuropeetauxÉtats-Unisontoptépourlesnou-veauxsystèmesélectriquesàlaplacedeleursinstallationsdésormaisvieillottesaugaz.Pourl’éclairageélectriquedetoutl’OpéradeParispasloinde7500becsàgazserontremplacésparplusde6000lampesàincandescence.Troissystèmessecôtoierontencoreen1886àlaCo-médieFrançaise:desquinquetspourlarampe,dugazpourleslustresetlacirculationdupublic,etselonlesbesoinsleslampesàarcdetypeDuboscqencomplémentsurscène.

«Lesanciensusagesdel’électricitémet-taientenjeudescourantsfaibles»27.Jusqu’àl’inventiondugénérateurélectriqueàcourantcontinuparl’électricienbelgeZénobeGrammeen1867, l’électricitéétaitconsidéréecommeaussidangereusequelegazentermesderisqueincendie.Lesnouvellesutilisationsdel’électri-citéontrecoursàdescourantsfortsetamènentdesrisquesnouveauxdufaitdestensionsem-ployées.Dès1880l’associationauxrhéostats,résistancesélectriquesréglablespermettantdevarierl’intensitéducourant,faciliteral’em-ploidessourcesd’éclairageélectriqueetleurmaniementàdistance.L’arrivéedelarésistancefutunetransitionsignificativenonseulementpourlaqualitédelalumièremaiségalementenraisonducontrôledel’intensitédelalumièreetparconséquentdelaréductiondesrisques.Celapermitunvéritablerenouveaudelamiseenscènethéâtrale,denouveauxeffets,denou-vellesconceptionsapparurent.Finalementlaféeélectricitéapportebienuneattractivitésupplé-mentaireàlamagiedesopéras.Elleserévèleau


Lever du soleil du 3e acte du Prophète grâce à l’arc électrique de la lanterne Duboscq.


Au Palais de Cristal lors de l’Exposition Électrotechnique de Munich en 1882, l'éclairage est à l'électricité, les arc électriques sont placé en coulisse entre les différentes toiles peinte. Gravure de Louis Figuier pour Les Nouvelles Conquêtes de la science, 1884

fildutempscommeétantpropiceàlacréationd’effetssinguliersparticipantàuneséductionplusintenseduspectateur.

L’éclairageélectriquemoderneutilisantdeslampesàincandescences’estrépanduauthéâtredurant lesvingtdernièresannéesduXIXemesiècle.L’électricienetchimistebritan-niqueJosephSwanquimenaitdesexpériencesdepuislesannées1840,inventaen1878lapre-mière lampeàfilament linéairedecarboneàpartirdefibresdecoton.En1879ThomasEdison,scientifiqueaméricain,eutl’idéedescellerdemincesfilamentsdefilscarbonisésetchauffésàtrèshautetempératureparuncourantélectriqueàl’intérieurd’uneampouledeverrevidéedesonair.Lalampeàincandescencedonneunelumièreplusfortequecelleaugaz,elleneconsommepasd’oxygène,neproduitdoncpasdesuienid’odeur et produit peude chaleur réduisantconsidérablement les risquesd’incendie.En1910lefilamentdecarboneestremplacépardutungstènetréfilé.Puisen1913onintroduitungazraredansl’ampoulepouréviterlenoircissementduverreetondonneaufilamentuneformede

spiraleafindeluidonneruneplusfortepuissance.AudébutduXXèmesiècle,lecourantélectriquegardelefilamentrougipendantunequarantained’heures.

Ons’estlongtempsbornéauxdisposi-tifsderampe,portantsethersespourl’éclairagescénique.Aleurarrivée,leslampesàincandes-cenceontprislaplacedesanciensbecsàgazetlesfilsélectriquescirculaientdanslatuyauteriedéjàenplacedujeud’orgue.Cetterépartitionétaitliéeàl’implantationdudécorentrompel’œil.Onnotequel’arrivéede«l’ampouleélectrique»influençaàsontourdurablementlamanièredeconcevoirlescostumes,lesdécorsetlalumière.Lalumièreplusforterendeneffetvisiblestouteslestromperies,lafausseperspectivedespein-tures, lestraitsdesvisagesaccentuésparlemaquillage.Chaquedétaildudécorouduma-quillage,mêmeleplusminuscule,estdèslorsmisenvaleur.Lalumièreélectriquedelalampeàin-candescenceaapportéunestabilitéàunfacteurperçudansunpremiertempscommeétrangeetdénaturé:l’ombre.Lesrayonsintensesdelalumièreélectriqueontpermisdeneutraliserles


zonesd’ombreduplateau.L’éclairagediffusdelalampenepermettaitpasderéaliserunevé-ritableconceptionlumière.L’ampoule,laisséeseule,diffusaitsalumièredanstouteslesdirec-tions.Associéesàunréflecteurquirécupèreetredirigelesrayonnementsdansunedirectionspécifique, les lampesélectriquesontfinale-mentpermisdebaignerlascènedelumière.Lascènesansombresatteintsonapogéeaudé-butduXXèmegrâceàl’associationd’unelampe,d’unelentilleetd’unréflecteur:leprojecteur,ou«spot»selonsonappellationanglaise,estné.En1876,PaulJablochkoffinventela«bougielumineuse»àl'originedel'ampouleélectriquequirévolutionnalafaçond’éclairerlascène28. Cesystèmepeutêtredisposélibrementdanslacagedescèneouensalle.Ilpermetdedoserlalumière,detravaillersadimensionplastiqueets’inscritdanslecadredelarecherchedramatur-gique.Leslentillesutiliséesdanslesdifférentsprojecteurs,tellesquelalentilleconvexeoulalentilleFresnel,ontpermisdecréerdeslumièresauxcaractéristiquesdifférentes,auxfaisceauxnetsouàbordsdiffus,etparticipentdoncaurenouvellementdel’esthétiquethéâtrale.

Afindecolorerlalumière,lesampoulesdesdifférentsdispositifsd’éclairageétaientini-tialementteintéespardesvernisspéciauxmaisqui se volatilisaient rapidement avec la cha-

leur.Les-premièresfeuillesdegélatineplacéesdansdeschâssisàglissièredevantlesappa-reilssontapparuesdanslesannées1910.Ellesfonctionnaient principalement avec les troiscouleursprimaires:vert,rouge,bleu.Lascèneétaitéclairéeparunebatteriedelampesàarcquiprojetaientleurlumièresurcinqbandesdesoie(blanc,noir,rouge,vertetbleu)tenduessurdesrouleauxquiàleurtourredirigeaientlalu-mièresurscène.L’usagedescouleursprimairesfutintroduitparMonroePevear29afind’obtenirleblancparsynthèseadditive.Apartirdesannées1950lesgélatinesfurentproduitesenacétate,matériauplusrésistantàlachaleur,puisrem-placéespardespolyestersoupolycarbonatesdanslesannées1980.Aujourd’huiencorelesgélatinessontlemoyenleplusutilisépourco-lorerunesourcelumineusesurunplateau,maisavecl’arrivéedesprojecteursàleds,ladonneachangécesdernièresannées.

Section d’une herse équipée d'ampoules électriques tirée des catalogues de la compagnie J.R. Clancy en 1894.

La bougie électrique de Paul Jablochkoff : les deux char-bons séparés par une plaque de verre restent statiques, l'arc électrique se forme à l'extrémité, suppromant ainsi les anciens mécanismes des lampe électriques.

28- Jean GERVAIS « L’éclairage électrique et son évolution au XXème siècle », Revue d'Histoire du Théâtre numéro 273, p33

29- Op. sit. p37


Entre 1940 et 1970 de nombreusesrecherches ont fait évoluer le contrôle del’éclairage,notammentenséparantlesgrada-teursdujeud’orgue,cedernierdevenantuneconsoledecontrôleàdistanceplacéeenfonddesalle. LesconsolesnumériquesapparuesdansladeuxièmemoitiéduXXèmesiècleper-mettentàl’éclairagisted’enregistrerplusieurspréparationsàl’avance,despresetsenanglais,mémorisantainsidesintensitésetdespositionsqu’illancerasurlestopsdonnésparlerégisseurdurantlareprésentation.AvecladiversitédesprojecteursquiaugmenteauXXèmesiècle,letravaildelalumièresecomplexifieetlatâcheestconfiéeauxpremierséclairagistesporteursdutitre,PierreSaveronenFranceouAbeFederauxEtats-Unis,decréerdesconduiteslumières.Uneconduitelumièreestundocumentquire-groupel’ensembledeseffetsdelumièredanslachronologied’unereprésentation.Ellepermetàceluiquisetientderrièrelaconsoledepouvoirenvoyerleboneffetaubonmoment.Unplandefeuxestundessinretranscrivantletypedepro-jecteur,laposition,l’orientationetlesréglagesdesprojecteurssurscène.Ilsertauxtechnicienslorsdumontagedumatériel.Lesystèmedepland’éclairagefutintroduiten1935parJeanRosen-thal30,l’unedespionnièresquifitdelalumièreunvéritablemétier,del’éclairagisteunmembreàpartentièredel’équipedecréation.C’estellequiintroduitlepland’éclairagedanslemétier.Alamêmeépoque,StanleyMcCandless,considérécommelepèredel’éclairagemoderne,expliquedansA Method of Lighting the Stage(méthodepouréclairerlascène)sonprocédéd’éclairageparzoneavecdesprojecteursdisposésenfaceà45°pourunmeilleuréclairagedesvisagesdescomédiens,sanslesécraser.AlafinduXIXèmesiècle, ladanseuseLoïeFuller,avaitdéjàdé-veloppéunrapportentrelumière,mouvement,couleuretombresentrainantundispositiflumi-neuxconséquent:ilnefautpasmoinsdeseizetechniciensinstallésencoulissesdirigeantàlamainlesprojecteursbraquéssurladanseuse31. Lalumièredechaquedanseestrégléeparsessoinssursespasetsesgestes.Ellemetenplaceunensembled’effetsincroyablepoursonépoqueetrenouvèleunartquimetlatechniqueauser-vicedel’artistique.Ellecréeenquelquesortelapremièreconduitelumière,ladramaturgiedelalumière,c'est-à-direunegestiondelalumière

auservicedu«drame».

L’éclairagemoderneestcomposéd’unecombinaisondeprojecteurs ingénieusementdisposés,ils’agitd’attribueràlalumièredesfonctionsdramaturgiquesautantqu’artistiques.Aujourd’hui,avecl’arrivéedesprojecteursau-tomatiquesouasservis(moving lights)etdespupitresdecontrôleàdistancenumériquesdeplusenplussophistiqués,lemétierd’éclairagisteévolueetsecomplexifieenmêmequel’évolu-tiondesesoutilsdetravail.Lesappareilsauxmouvementsmotorisésetcommandésàdis-tance,lemoving head et le moving mirror32,fontleurpremièreapparitiondanslesannées1980.Onlesobserveprincipalementsurlesscènesdesconcertsoudescomédiesmusicales,cettenouvelle technologie semble échapper auxthéâtresquiprivilégientleuréquipementplus«traditionnel».Lesprojecteursasservis,encoreaujourd’hui,ontuneconnotationliéeaushowbusiness.Eneffetleurutilisationgénèreunenou-velleesthétiquedanslaquelle«lemouvementchorégraphiquedesfaisceauxetlasuccessionrapide des changements chromatiques fontcorpsaveclerythmeetlesmodulationsdelamu-sique»33.Lebruitdesmachinesestcouvertparlamusiquetropforteduconcert,lesmouvementsdelumièrevisentlespectaculaire,quitteàcréerunsecondspectacleenparallèledupremieretdétournerl’attention.Cesdernièresannéesontamorcéuneréconciliationentrethéâtreetma-chinesasserviesauxmanipulationsdesquellessontdésormaisforméslesfuturséclairagistes.Depuisl’arrivéedesprojecteurs,leséclairagistesdoiventjouerdel’intensitédelalumière(delalueurd’unebougieàlabrillancedusoleil),desadirection(d’oùprovient-elle?encontre-jour,

1.2.3. La conduite lumière

30- Op. sit. p4231- Véronique PERRCHON, Noir. Lumière et théâtralité, Le temps du théâtre, Arts du spectacle – images et sons, Presses universitaires du Septentrion, 2016, p118

32- Olivier BALAGNA « Naissance du contrôle à distance et de l’automatisation des luminaires », Revue d'Histoire du Théâtre n°273, p4433- Op sit, p43

Le premier jeu d'orgue électrique en 1936


DANSE SERPENTINE, LOIE FULLER


surleslatéraux,àlaverticale?),desacouleur(moyenleplussubtilpourjouersurlasensibilitéduspectateur)etdesonmouvement(commelepassagedusoleilaumatinàl’horizonàlalumièreverticaledumidi).Aveclesnouveauxprojecteurscommelalyreautomatique,l’éclairagisteprenddésormaisencompteplusdedonnées:l’iris,lezoom,lefrost,lescouteaux,letilt(rotationver-ticale)etlepan(rotationhorizontale),autantdedonnéesàenregistrerdanslaconsoleavantlespectacle.Bienqued’uncertainpointdevuelesinformationsàentrerdanslaconsolesoientplusnombreusesetprennentplusdetemps,d’unautrecôtéilyaungaindetempsetdemaind’œuvrelorsdumontagedesprojecteurs.Enef-fet,unefoisquecesdernierssontenplacesurleurperchedanslescintres,touslesréglagespeuventêtreeffectuésàdistance.L’étapefas-tidieuseduréglageàlamaindisparaitauprofitd’unparamétrageeffectuédirectementparlepu-

pitreuràlaconsole.Celapermetaussideréduirelenombredeprojecteursàinstaller:imaginonsqu’ilfailletroisprojecteursPARpouréclairertroiszonesdanstroisdifférentesscènes,dorénavantilsuffiradepré-enregistrerlesdifférentesposi-tionssurunmêmeprojecteurautomatiquequichangeradepositionselonlesdonnéessauve-gardéesd’unescèneàl’autrepouréclairercestroiszones.Onpeutaussicraindreaveclagéné-ralisationdesmachinesautomatiquesunepertedediversitédesappareilsetdeleursspécificitésphotométriques34.Laplupartdesautomatiquesaujourd’huifonctionnentà la lumièreLEDen-gendrantladisparitiondenombreuseslampesetoptiques,cellesauxquellessontfamiliarisésdepuisplusd’unsièclelesgensduthéâtre.Peut-êtrenefaut-ilpascraindrecechangementcarledéveloppementdecettetechnologieestrapidenepourraqu’êtreunenrichissement.

34- Dominique BRUGUIERE, Penser la lumière, Le temps du théâtre, Acte SUD – Papiers, 2017, p50

Les installations scéniques pour la danse de Loïe Fuller. Il y avait un technicien par projecteur devant gérer selon des instructions pré-cises la couleur de la lumière grâce à système de roue chromatique positionnée à l'avant de l'appareil. A gauche : Image tirée de la revue Scientific American du 20 juin 1896.


Authéâtre, lenoirest lesigneannon-ciateurducommencementetde lafin.C’estpresqueunritequimarquelepassageduréelàlafiction,puisleretourauréel.Aujourd’huic’estdanslapénombrequeserévèlelalumière.Au-jourd’hui,«maitriserlalumière»etdonclenoir–carl’unn’existepassansl’autre-estunené-cessitépresqueobsessionnelleafindemaitriserl’environnementlumineuxdelascénographie.Lepassageritueldunoiràlalumièrepuisdelalumièreaunoiraucommencementetàlafind’unepiècemarquelepassagedelaréalitéàlafictionetinversement,lespectateursetientprêtàplongerdansunautreunivers,loindece-luidesessoucisquotidiens.Privéderepèresetdelienavecl’extérieur,c’estàcequ’ilsepassesurscènequ’ilserattachedansuneambiancepropiceaurêveetàlanarration.C’estainsiunefoisplongédanslenoirqu’ilentreenimmersiondansladramaturgiedumoment.

Pourtantiln’enapastoujoursétéainsi.Eneffetàleurstadeleplusprimitif,lesspec-taclesavaientlieuenpleinairdanslesthéâtresantiquesgrecs.Lethéâtreétaitunartdepleinair,tributairedesvariationsdelalumièredujour.AuXVIèmesièclelesreprésentationsavaientlieul’après-mididansleséglisesaprèslamesse.AlaRenaissance,lescomédiensetlescompagniesseprofessionnalisent.Ilsjouentdansdeslieuxclosàcielouvertetfontpayerlesentréescommeparexemplepourlesthéâtresélisabéthains.Aveclacréationdesallesspécialiséesetledécalagedelareprésentationverslafind’après-midi,àlanuittombéequelqueschandellesfontleurap-paritionenfonddescènetoutenrestantleplusdiscrètespossible.Ilfautnoterquelongtempslasalleestrestéepluséclairéequelascène.Alorspourquoiplongerlasalledanslenoiraujourd’hui?

Plongerlasalledanslenoirestunphé-nomènequiremonteautournantduXIXèmeauXXèmesiècle.Plusieurstraitéssurlalumière,dèslafinduXVIèmesiècleavaientrecommandéderéduirel’éclairagedelasalleàsonminimumaudébutdelareprésentationvoiredelaplongertotalementdanslenoirafindecréeruncontrasteentrelesespacesscèneetsalle.«Unhommequisetientdansl’obscuritévoitbeaucoupmieuxunechosequiluitauloin,qu’ilneleferaits’ilsetrouvaitdansunendroitdeclarté»36disaitLeonedeSommien1556.Ilseréfèrelààunerèglesimplede l’optique :unspectateurpercevramieuxunesourcedelumièreplacéeàdistances’ilestd’abordplongédanslenoir.AngeloInge-gnierdanssonTraitédesartsdelascènedatantde1598ajouteque«pluslasalleserasombre,pluslascènesembleralumineuse»37.En1637,NicolaSabbattiniécrivaitdansPratiquespourfabriquerscènesetmachinesdethéâtrequepourfaire«naitrel’aurore, ilseranécessairedecommencerparobscurcirtoutelascène»38. LesouhaitderéformerlalumièredessallesdespectacleetcelledelascèneetdepasseràlamiseaunoirdelasalleadoncétéplusieursfoisexprimédansdestraitésduXVIèmeetXVIIèmesiècle,maissaréalisationseferaattendre.Cesintentionsbienqu’écritesrestèrentthéoriquesetnefurentpasappliquéesdanslessallescontem-porainesàcesécrits.Jusqu’àlafinduXVIIIèmesiècledanslesthéâtresàl’italienneilyavaitplusdelumièredanslasallequesurlascène.Levéritablespectacledecessallesnéesdanslescoursprincièresétaiteneffetceluidonnédanslasalleparleshautsdignitairesdelasociétéitaliennedel’époque.Commenousavonspulevoirprécédemmentavecl’éclairageàlabougie,ladébauchedelumièrehonoraitlesouverainetproclamaitsymboliquementsonpouvoirsursonpeupleetsurlanuit.Lalumièreétaitunluxealorsquel’obscuritéétaitunepreuved’indigenceetrappelaitl’insécuritédesruesnonoumaléclai-rées.Cen’étaientpastantlesacteursetleurjeuquiétaientmisenvaleurparlalumièrequelespersonnesdelanoblessequifinançaientlesditeslumières.Lalumièreétaitsignedepouvoir.Sapossessionétaitpreuvederichesseetreflétaituneformedenarcissismesocialtoutcommelaformeenferàchevaldesthéâtresàl’italienne.Lalumièrec’estavanttoutleconfortsocial:elle

35- Christine RICHIER, «La plongée du spectateur dans le noir», Revue d'Histoire du Théâtre numéro 273, p8036- Christine RICHIER, «La plongée du spectateur dans le noir», Revue d'Histoire du Théâtre numéro 273 [en ligne], p7637- Op sit, p77

38- Véronique PERRCHON, Noir. Lumière et théâtralité, Le temps du théâtre, Arts du spectacle – images et sons, Presses universitaires du Septentrion, 2016, p32 39- Dominique BRUGUIERE, Penser la lumière, Le temps du théâtre, Acte SUD – Papiers, 2017, p21

1.3. LUMIÈRE ET NOIR

« Le théâtre est une fabrique de mondes, dont certains ne peuvent

se construire qu’à partir de la remise à zéro que le noir opère

dans l’œil du spectateur. »35


estunbienenvié,unattributdepouvoir,maisellesymboliseaussilasécuritéparcontrasteaveclesruessombresetmalfaméedesvillesplongéesdansl’obscuritédelanuit.IlfautattendrelafinduXVIIIèmesièclepourquelespremiersparterressoientplongésdansl’obscuritédansunsoucidecapterl’attentiond’unpublicdistraitparlespec-tacledelasalle.AudébutduXIXèmesiècle,laclartédelasalleestconsidéréecommenuisibleauxeffetsscéniques.L’intensitédel’éclairagedesalleestdoncréduiteafind’accroitrel’impactdesillusionsdescèneetdefocaliserleregardduspectateursurl’intrigue.Lenoirtrouvepro-gressivementsaplaceetdevientunerichesseesthétique.

OnattribueàRichardWagner,composi-teurallemand,lepremiervéritablenoirdelasallelorsdel’inaugurationduFestivaldeBayreuthen1876.Ill’adoptedéfinitivementenserendantcomptedel’étatderéceptivitéprovoquéchezlespectateur.EnFrancec’estàAndréAntoine,comédienetmetteurenscène,quel’ondoitdeplongerlasalledel’Odéondanslenoircompleten1906.Dansleprincipedeson«théâtrelibre»ilprendmêmelepartid’éteindrelarampeetmanipulelalumièrepourluidonnerunrôledanslacohésionduspectacle.Lalumièren’estalorsplusdestinéeàmontrerlebeaumondemaiselleinterpellelasensibilitédechacun,ellepermetàl’individunonplusd’êtrevumaisdevivresonspectacle.«Si la luminositérelieetœuvreàlaconstitutiond’unpublic,l’obscuritéisoleetprivilégielacommunicationindividuelle»39.Dé-sormaislepublicnesedonneplusenspectacle,lescomédiensdeviennentlecentred’attention.

LedécorateuretmetteurenscènesuisseAdolpheAppiacritiquaitl’esthétiquedu«voirlepluspossible»dudébutduXXèmesiècle.Pourluisurunescènetoutestombreetclarté.«Onnerendralavie[àlascène]qu’en[lui]rendantl’ombre»40.C’estainsiqu’enfinonfaitlenoiretontravaillel’ombre.Ilsupprimelarampedesesconceptions,sansretour,carcettelumièredefaceselonluietselond’autresmetteursenscènedecetteépoque,écraselesvolumesetdéformelesvisages.Ilfavoriseleplaisirduspectateuravecdescontrastesetdesombres.Ledécora-teurnecherchepasdanssescréationsàobtenir

lenoircompletdelasalle.Ilchercheàdonnerl’impressiondel’obscurité.Lafaibleluminositédevaitêtrepriseparl’œilpouruneobscuritéto-taledanslaquellelespectateurnedistingueraitrien.PourAppiafinalementc’estdelanécessitéderenforcerl’effetd’illusionquenaitlebesoind’unvéritablenoirdelasalleetdesombressurlascène.La«boîtenoire»,nomdonnéàlacagedescène,estaujourd’huidevenuelanormeinitialepourdesraisonsesthétiquesliéesàl’usagedesprojecteursélectriques:c’estdansunécrindeveloursnoirabsorbantlalumièreques’installelagrandemajoritédesreprésentations. Lepleinfeu,oul’absenced’obscurité,auraaussidusuccèsjusqu’àlafinduXXèmesiècle notamment dans les conceptions demetteursenscènetelsqueJean-FrançoisSiva-dierouArianeMnouchkinedanslasuccessiondeBertoltBrechtetson«théâtreépique»outhéâtrepolitique41.Brecht,dramaturgeetmet-teurenscèneallemanddelapremièremoitiéduXXèmesiècle,appliquaitàsesmisesenscèneunelumièreblancheetuniformequin’avaitaprioripasdequalitéesthétique,seulementlafonctiondedonneràvoirsansriencacher.Lessourcesdelumièresontégalementrenduesvi-siblesauspectateurafindeleperturberdanssonstatutpassifdesimpleobservateurquicroitencequ’ilvoitetdeluipermettredeprendredeladistanceparrapportàcequ’ilobserve.Ceprocédéestappelél’effetde«distanciation»42. Lenoir,oul’absencedenoir,prendenchargeàlafoisladimensionpoétiqueetpolitiqueduthéâtre.

39- Dominique BRUGUIERE, Penser la lumière, Le temps du théâtre, Acte SUD – Papiers, 2017, p21 40- Véronique PERRCHON, Noir. Lumière et théâtralité, Le temps du théâtre, Arts du spectacle – images et sons, Presses universi-taires du Septentrion, 2016, p135

41- Op sit, p8542- Ariane MARTINEZ, «Eclairer l’interprète en scène», Revue d'Histoire du Théâtre numéro 273 [en ligne], p94


2. CREATION LUMIERE ET CONCEPTEURS ANALYSE D'UNE OEUVRE LYRIQUE À TRAVERS LE TEMPS, LE TRIO METTEUR EN SCÈNE / SCÉNOGRAPHE / ECLAIRAGISTE

2.1. TRISTAN UND ISOLDE, L’ŒUVRE

TristanundIsolde,opéraentroisactesinspirésdelalégendemédiévaleceltiqueTris-tanetIseut,aétécrééentre1857et1859parlecompositeurallemandRichardWagner.Ils’agitdelamiseenmusiquedupoèmeduconteori-ginel,dontWagnerlui-même,influencéparleromantismeallemandetlaphilosophiedeScho-penhauer43,synthétiseral’écriture.Ens’inspirantdecette légende,Wagner toucheaux fonde-mentsdelaconceptionoccidentaledel’amour44. L’histoiredeTristanetIseutreprésentel’amourimpossiblededeuxâmes.L'œuvreestsouventconsidéréecommel'unedesplusimportantesduthéâtrelyriqueoccidental.Elleapparaitd’ailleursdanslalistedesdixœuvresjouéesauFestivaldeBayreuthdepuis1876.Premièreœuvreducom-positeurcrééesouslepatronagedeLouisIIdeBavière,lapièceestjouéepourlapremièrefoisen1865auThéâtreRoyaldelaCourdeBavièreàMunichdevantleroideBavièrelui-même.Enmoyenne,unereprésentationdecetopéradurequatreheures.

Pourcomprendrecomplètementl’argu-mentdel’œuvre,ilestpréférabledeconnaitrelesfaitsantérieursàl’histoirequiyestcontée:afind’empêcherlatentatived’affranchissementdelaCornouaillesàlasuzerainetéduroid’Ir-lande,Morold,fiancédelaprincessed’IrlandeIsolde,estenvoyéenexpéditionàlatêted’unbataillondansl’objectifdematerlarévolte.IlestcependanttuéparTristan,neveuduroideCornouailles,leroiMarke.SatêteetsonépéeébréchéesontrenvoyéesenIrlandeensignedetribut.MalheureusementpourTristanblesséparlalameempoisonnéedeMorold,Isoldeestlaseulepersonneàdétenirl’antidotedupoison.Tristansefaitalorspasserpourunnaufragé.Ilestrecueillietsoignéparlaprincessed’Irlande.Cettedernièredécouvredanslaplaiedel’étran-gerunmorceaudelalamedeMoroldetserendcomptedesavéritableidentité.AlorsqueTris-tandort,Isoldes’apprêteàvengerlamortde

sonamant.MaisTristans’éveilleetsonregardbouleversantfaitlâcherpriseàlaprincesse,quilesoigneetlerenvoitdanssonpaysafindeneplusjamaiscroiserceregard.Quelquesannéesplustard,lapaixentrelesdeuxpaysdoitêtrescelléeparlemariagedelaprincesseIsoldeetduroiMarke.TristanestalorsenvoyéenIrlandeentantqu’ambassadeurafind’assurerlevoyageentoutesécuritédelapromise.Lorsdeleursretrouvailles,ilss’étaientpromisd’oublierlesévènementspassés,promessevaine.MaisIsolde,éprisedeTristan,nepeutconcevoirdedonnerendotsonpaysàlaCornouaillesquiétaitau-trefoisvassaled’Irlande.Lorsquel’acteIdébute,Tristanetsonécuyer,Isoldeetsasuivantesontàbordd’unbateau.Isoldeagacéedel’indifférencequeluitémoigneTristan,raconteàsasuivanteBrangänesessentimentssansissue.Laprin-

cesse luidemandepar lasuitedeconcocteruneboissonmortellepourquelesdeuxamantspuissentéchapperàleursituationparlamort.Brangäne remplace lebreuvageparunfiltred’amour.Aulieudemourir,TristanetIsoldesontplusquejamaiséprisl’undel’autremaispensantmourirsouspeuilss’avouentleuramour.L’arri-véeauportàlafindel’acteIinterromptleursdéclarationsd’amour.Durantledeuxièmeacte,Isoldeestdésormaisl’épouseduroiMarke,mais

« Je veux encore élever au plus beau de tous les rêves un monument où, depuis le commencement jusqu’à la fin, cet amour s’accomplira cette fois jusqu’à saturation: j’ai dans la tête l’ébauche d’un Tristan und Isolde, le projet musical le plus simple, mais le plus rempli de sève qui soit.»Lettre à Frantz Liszt, Richard Wagner, 1854


retrouveensecretTristan lorsd’unechasseroyaleàlatombéedelanuit.DémarrealorsunduoamoureuxaucoursduquelTristanetIsoldes’abandonnentàleurpassion.Ilsenappellentàlamortquiseraitunedélivranceàleuramourinterdit.IlssontsurprisaumatinparleroideCor-nouaillesavertiparMelot,amideTristan.TristaninviteIsoldeàlerejoindredanslamortetsejettesurl’épéedeMelot.Ainsidébutel’acteIII:Tristan,mortellementblessé,estveillédanssonchâteauparsonécuyer.Souffrantdel’absenced’Isoldeetdélirantilarrachesespansements.LorsquelareinedeCornouaillesarriveilesttroptard,Tristanmeurtdanssesbras.Elleestsui-viedepeuparleroiMarkequi,mitaucourantduphiltred’amour, vientdonner sonpardonauxamants.Isolde,n’écoutantpluspersonne,s’enfoncedanslanuit,rejointTristanetmeurtd’amouràsescôtés.

CettehistoirepermetàWagnerdemettreenexerguelaquêtedel’éternitéàtraversl’amouretlamort.TristanundIsoldeestunhymneàlanuit.L’argumentsedérouledansunmondenoc-turnecherauxromantiquesallemands,lanuitglorifiéeestunpointessentieldel’esthétiquerecherchéeàcetteépoque.Alanuitestassociéelanotiondel’infini,desdésirsinconscientsetdoncdel’amour.L’arrivéedujoursymboliselere-touràlaréalitéetauxamoursdéfendus.Legrandduoamoureuxdesdeuxamants,quinedurepasmoinsdetroisquartsd’heureaudeuxièmeacte,s’installedanslamysticitédelanuit.L’analysedel’adaptationdecetteœuvreàtroisépoquesdifférentesetpartroismetteursenscènesdiffé-rentsnouspermettrad’observerlesdifférentestraductionsqueleséclairagistesontfaitdela«nuit»etlesensqu’ilsdonnentàtraversleurtravailaudécoretàlapièce.

« Mais aujourd'hui encore, je cherche en vain une œuvre qui ait

la même dangereuse fascination, la même effrayante et suave infinitude

que Tristan und Isolde. Le monde est pauvre pour celui qui n'a jamais été assez malade pour goûter cette

“volupté de l'enfer”.» Ecco homo, Friedrich Nietzsche, 1908


2.2. L’ŒUVRE À TRAVERS LE TEMPS

La fascinationpour leseffetsdenuitprécèdelemomentoùlatechniquepermetd’enréaliserparfaitementl’illusionsurscène.Lespre-miersmoyensétaientd’abaisserdescachessurleschandellesafindediminuerl’intensitélumi-neuse.AdolpheAppia,architecteetmetteurenscènesuisse,étaitunpionnierdanslesthéoriessurlethéâtremoderne.Ilmarquafortementl’es-sordel’éclairageauthéâtreduXXèmesiècle.Al’époqueoùilincombaitencoreaumetteurenscènedegérerdécorsetlumières,Appiaarendul’espacescénique«vivant»grâceàsamanièredeconcevoirl’espacescéniqueetl’éclairage«révolutionnaire»qu’ilamisenplace.Alorsquel’onvientseulementdefaireunedécouvertedetaille,l’électricité,ilfutl’undespremiers,aveclemetteurenscènebritanniqueEdwardGordonCraig,àfaireintervenirlalumièreélectriquemaisaussilalumièreengénéraldansladramaturgiedelascène.Selonluilalumièresepense,elleestactiveetdynamiselascène,elleinjectedel’énergiesurleplateau.Lalumièreestrévéla-triced’ombres,ouinversement.L’éclairageluipermetdemodulerl’imagescénique.Plusqu’unmoyenpourrenforceruneperspectiveillusion-niste,Appiadanssonconceptavant-gardistes’ensertpourmatérialiserdesrythmes,structu-rerl’espace,révélerdesvolumes.Cettepériodemarquelafindelascénographie«àl’italienne»,lalumièresesubstitueàlatoilepeinte.Appiarejettelalinéaritétraditionnelledelascèneetutilisel’espacedanstoutessesdimensions.

AdolpheAppiaadessinédenombreusesesquissesdedécorspourplusieurspiècesafind’illustrersesthéoriessurlascénographieetlalumièresansavoirlachancedelesmonterréel-lementdurantplusieursannées.SespremiersdessinspourTristanundIsoldedatentdesan-nées1890,ilneparviendraàmettreenscènecetopérawagnérienqu’en1923pourlaScaladeMilan.AlafinduXIXèmesièclesesidéesétaientconsidéréescommetropmodernes.Sontravailsurlalumièrefutprogressif,ilévoluaitenmêmetempsquel’évolutiondel’éclairageélectriqueprogressait.Sadémarcheétait liéeauxques-tionstechniquesdesonépoque.Parfoisses

théoriesétaienttropenavancesurlatechno-logieexistante, lamaniabilitédesmoyensneluipermettaitpaslasouplessedansleseffetsvisuelsqu’ilattendait.SiAppianepeutpasré-aliserdemanièreconcrètesesdécorstoutdesuite,ilpublieen1895La mise en scène du drame wagnérien,ouvragequiregroupesescroquisetplansd’éclairagepourpasmoinsdedix-huitopérasdeWagner.Ilydécritlerôleprimordialdel’éclairage,qu’ilplaceaumêmerangquelamusique,prônantmêmeunesynchronisationdusonetlalumière.Cetravails’inscritdavantagedanslathéorieetl’expérimentationquedansdesréalisationspratiques.

Ilrestetrèspeudevisuelsdescréationsd’AdolpheAppia,etprincipalementdescroquis.Onpeutcependantvoirsurcescroquisledé-cordeTristanundIsoldeetl’atmosphèrequ’ilydépeint.Icilascénographieseperddanslaprofondeurdunoir.Lamassenoiredomineàlalumière.Leslimitesdelascènesontrenduesin-visiblesparl’infinieobscurité.Ondevinedanslapénombreunmatérieldécoratifd’unesimplicitérigoureuseetréduitaustrictnécessairepourlacompréhensiondesespaces.Dans lesdé-corsduthéoriciensuisselaformeetlesymbolel’emportentsurl’objetlui-même:lesélémentsarchitecturauxprésentssurscènevontdroitàl’essentiel.Lesformessontsimplifiées,recon-naissablessansexcèsdedécorationetsansserattacheràuneépoqueouàunlieuenparticulier.Plusqu’unedescriptionspatialespécifique,Ap-piametenplaceunespacefonctionnelpourlejeudel’acteuretledrame,unezonespirituelle,uneatmosphèrequ’ilviendraanimeraveclalu-mièreetsesjeuxd’ombre.Lascèneestdiviséeendeuxniveauxreliésparunerampeàcour.Surleniveausupérieur,setrouventlabased’unetouretsaported’accès,unescalierfuitverslelointain.PourAppia«voirtoutc’estnerienvoir»45. Aveclalumière,ilcréédes«clairs-obscurs»,donnantlapartbelleauxcontrastesentreleszonesclairesetleszonessombres.L’espaceesticiéclairéparunflambeaudontlehaloil-luminelesespacesproches.Ils’agitsûrementd’unescènedel’acteIIoù,unsoir,Isoldeéteint

2.2.1. Tristan und Isolde par Adolphe Appia

45- Véronique PERRCHON, Noir. Lumière et théâtralité, Le temps du théâtre, Arts du spectacle – images et sons, Presses universi-taires du Septentrion, 2016, p237


laflammeàsaportepourfairesigneàsonbienaiméqu’ilpeutlarejoindre.Selonunedescrip-tiondelapièce,leszonesd’obscuritédutableaunocturnepermettaientaussideséparerlesper-sonnages46,commeunebarrièreàleuramourinterdit,unsymboledeleurmalheur.Icilalumièreparticipeausensdeladramaturgie.Lesémotionssonttraduitesenlumière.ChezAppialalumièreagitdemanièrecomplémentaireàl’espace,lesombress’ajoutentauxlimitesdudécorafindedélimiterles«airesdejeu»réservéesàl’action.

Danslestextes,iln’estpasprécisés’illeschangementsdedécorsaussiimposantsqueceuxpréconisésparAppiaétaientréalisables.Maislaprésencedecroquisdifférentspourlamêmeœuvrelaisseàpenserquelemetteurenscèneimaginaitl’actiondansdifférentsespaces,avecdifférenteslumières.Danscettesecondescène,toujoursdansundécorplussymbolistequeréaliste,onaperçoitundécorenmurdepierresreprésentantunespaceextérieur,une

courpeut-être,avecungrandarbreàjardin,unearcheaulointain,etunelumièrenetteprovenantd’unegrandeouvertureducôtécour.

Cesdeuxcroquisillustrentlesdeuxprin-cipesdelalumièred’Appia:danslepremierlalumièrediffuse,dans lesecond la lumièredi-rectionnelledite«active»,l’unequiéclaire«artificiellement»etl’autre«naturellement».Al-lantàl’encontredesusagestraditionnelsdesdispositifsd’éclairage,AdolpheAppia,d’abordsupprimelarampe,puisarecoursauxtradition-nelsbecsàgazsurscènepourunéclairagefaibleetdiffusauquelilajoutedeslampesàarcencoulissesousurlespontslumièredanslescintresafindefrapperlesobjetsetlesacteurparlecôtéaveccettefoisunelumièredirigée.Ladifférenced’intensitéentrelumièrediffuse(gaz)etlumièredirecte(électricité)engendreainsidesombresquirévèlentl’espace.Iln’yapasdelumièresansombres.Unenuanced’au-tantplusfortequelegazpeutêtrerégulé.La

Croquis de Adolphe APPIA pour Tristan und Isolde, 1890

46- Première, Adolphe Appia : biographie


lumière«active»,réaliséegrâceauxpremiers«projecteurs»,luipermetdeconcentrerlalu-mière,deladiriger,larendremobile.Elleluisertàaccentuerlessilhouettesdesobjetsetdespersonnagescommelalumièredusoleillefe-raitàtoutheuredelajournée.Parl’utilisationdecedoubleéclairage,Appiachoisitdemettrelalumièreauserviceducorps,qu’ilconsidèrecommeson«supérieurhiérarchique»47. Le titre d’undesesdiscoursdonnéen1919illustrebienl’importancedelahiérarchiedeschosesdanssaconception:«Acteur.Espace.Lumière.Pein-ture».Dèslors,pourlui,lalumièredoitêtreunmoyend’expressionàtraverslesjeuxsubtilsdesesdeuxformes,desesdeuxmodesd’existence.Appianeveutpasmontrer,ilveutfaireressentir.

Ilmodèlel’espace,l’élargit,lerétrécit,luidonnevie,lechargedetensionsetd’atmosphères.Ilcrééunerythmiquedel’espace.Lalumière,alorssimpleaccessoire,devientunvéritableoutilauservicedelaconceptionscénographique.Pourluilalumièreestlàpourguiderlegeste,initierl’action,entrainerlemouvement,permettreauxcomédiensd’explorerleurjeu.Elleréalisel’unionentremusiqueetensemblescénique.Appiaestaujourd’huiconsidérécommeunmaîtredeslumièresquiparticipaàinscriredanslesconcep-tionsscénographiquesetlesmisesenscèneduXXèmesiècletouteslescomposantesscéniquesetlesmoyenstechniquesauservicedeladra-maturgiedefaçonpermanente.

En haut : reconstitution en maquette du décor pour Tristan und Isolde d'Adolphe Appia

En bas :Croquis de Adolphe Appia pour Tristan und Isolde, 1890

47- Première, Adolphe Appia : biographie


TRISTAN UND ISOLDE, RICHARD PEDUZZI


PatriceChéreau,réalisateur,scénaristeetproducteuraucinéma,metteurscènedethéâtreetd’opéra,avaitmisenscèneen1976lemythewagnérienqu’estL’AnneauduNibelung(DerRingderNibelungenselonsontitred’origineenalle-mand),pluscommunémentappelésimplementleRing,cycledequatreopéraspourlequelilfutconsacré.Sibienqu’ilrefusapendantlongtempsdetoucherànouveauàuneœuvredeWagner,jusqu’àTristanundIsoldeen2007àlaScaladeMilan,jouésouslabaguettedeDanielBarenboim,dansdesdécorsdeRichardPeduzzietsousleslumièresdeBertrandCourdec.Cespectacleestaujourd’huiuneréférencetantdanssamiseenscènequedansl’interprétationfaitedel’œuvre.LescréationsdePatriceChéreausontgénéra-lementdebonsexemplesd’unelumièreliéeautemps,àlachronologiedudrame.Lacomplexitédesscènesdenuitrésidedanslefaitqu’ilfautréussiràfaireressentirlanuit,associéeàlapé-nombre,laclartédelaluneetdesétoiles,toutengardanttouslesélémentsclairementvisibles.

Auleverdurideau,ondécouvredanslapénombreunebrumebleutéeetlasilhouettesombreauloind’unvaisseauquiavancecommeuneombredanslanuitversl’avant-scènetoutentraversantunegrandemurailledebriquesuséeparletemps.Surcevaisseau,ondistingueunelumièrealluméeàunefenêtre.Plusieursfois,l’in-

tensitélumineusevariedelapénombreaunoir,dansunfondulent,alorsqu’unevoixd’hommerésonneauloin.Isoldeapparaitalorsdesdes-sousdescène,depuiscequisembleêtrelacaledubateau.Unelumièreblanches’intensifiealorsgraduellement,onpassedelanuitaupetitmatin.Leslueursdel’aubeinondentdemanièrediffuseleplateauetlebateautoutenlaissantlagrandemurailledanslapénombred’unelumièrebleutée.Lesparoisdelacoquedubateauconçuesenbiaisnesontpasfrappéesparlalumière,afindedétacherlevaisseaudusoldelascèneetl’isolerainsidecequisymboliquementreprésentelesflotssurlesquelsilnavigue.

Lorsdusecondacteunelumièreoran-géeprovientducôtéjardinetnimbelascèned’uneatmosphèredefindejournée.Silalumièrereprésentelacoursenaturelledesastres,alorsl’estoùlesoleilselèveestàcouretl’ouestoùilsecoucheestàjardin.Lacouleurestimpor-tantepourtraduiredesambiances,elleporteenellelapuissanced’uneatmosphère.Unelu-mièrechaudeetorangéeàl’horizonrappellelesrayonschaudsd’uncoucherdesoleil.C’estparleseffetsdelumièrecoloréequ’onatteintlasensibilitéduspectateurenfaisantréférenceàdesimagesquiluisontfamilières.Onnoteraquedanslanature,lesoleiln’estjamaisendes-sousdel’horizontale,ilenvademêmepoursa

2.2.2. Tristan und Isolde par Patrice Chéreau

Tristan und Isolde, Patrice Chéreau, Acte I: le bateau s'avance à travers la muraille


Tristan und Isolde, Patrice Chéreau, Acte II: les deux amants se retrouvent à la nuit tombée

Acte I : le voyage en bateau Acte I : les deux amants séparés à l'arrivée au port

Acte II : Arrivée dr roi Marke au petit matin Acte III : Tristan mourant


représentationauthéâtre.Lagrandemurailleesttoujoursprésente.Uneparoi,positionnéeperpendiculairementàlascène,divisel’arrièreduplateauendeuxespaces,plongeant l’unedesdeuxdanslapénombredesonombre.Degrandsélémentsverticauxenavant-scèneàcouretjardinarrêtentlacoursedelalumière,carlalumière,invisibleetimpalpable,neserendvisibleànotreœilquelorsqu’ellefrappeunesurface.Surlatranchedeceséléments,onpeutvoirquelalumièreorange«descend»aufuretàme-surequelanuittombeetlaclartébleuedelanuitlaremplace.C'estlanuit,ChéreauplanteledécoraupieddelaforteresseduRoiMarke.Unlampionàlaflammevacillante,setrouvantdansunrenfoncementdelaparoicentrale,formeunpointlumineuxdanslapénombredelascène.Isoldes’enempareetl’éteintpourappelerTris-tan.Toute la scènes’éteintenmême temps.Commesil’œils’habituaitàlapénombredelanuit,unelumièreblanchereprésentantlesrayonsdelalunefaitdoucementsonapparitionàcour.Ondécouvreundoublefond,derrièrelamuraille,dessinéparlesrayonsdela«lune».Aulointaindegrandscyprèsformentunemassenoire.AufuretàmesurequeTristanetIsoldechantentleuramour,l’astrenocturnepoursuitsacourse.Grâceauxombresportéessurlesoletlesparois,ondistinguecommentlasourcedelumièresedéplacepetitàpetitverslecielpuisredescendàjardinavantdedisparaitre.AlorsquelesamantssontsurprisparleroiMarkeaupetitmatin,lalu-mièredel’aubearriveencontre,depuisl’arrièredelamurailleoùl’ondistingueplusclairementunjardin.Lalumièreencontre-jourainsiquelalumièrelatéralesontutiliséespourdétacherlessilhouettesdufonddescène.Aveclesoleilenlatéralouencontre-jour,leschosessemblentprendreviedifféremment,prendreunevaleurdifférente,parlamiseenvaleurdesvolumesetdesreliefs.Lasilhouettedel’ouvertureestalorsprojetéedansladiagonaledelascène,depuislecôtéjardin.Lalogiqueselonlaquellel’éclairages’attacheàreprésenterlacoursedesastresau-raitvouluquelalumièredujourarriveducôtécour..

Lorsqueletroisièmeetdernieractedé-bute,lascèneestéclairéeparunesourcedelumièreblancheàjardin.Lesvolumesd’unes-calieràjardinetd’unlitàcour,surlequelestallongéunTristanagonisant,nousindiquentunchangementdelieu.Aulointain,dansledouble

fonddudécor,unegrandemassenoires’ouvresurl’infininéant,aussisymboled’éternité.Lalu-mièreblancherévèlelacouleurgrisedesbriquesetl’ambiancefroidedelamort.AlorsqueTristanmourantrampeausolpourrejoindreIsoldequivientd’arriver,unepoursuitevientmarquerleurdernièreréuniondanslemondedesvivantsetbraquerleregardduspectateursurcettescène.Isoldesemeurtalorsd’amourdanscettelumièreartificielle,symbolisantpeut-êtrelalumièrequel’onaperçoitauboutducouloirversl’au-delà.

Lorsd’uneinterview,RichardPeduzziévoquelamiseenlumièredesesdécors:«malumièreprovientprincipalementd'unétrangegris-blanc.J'aimepartirderien,commesirienn'existait.Lalumièreestl'unedesprincipalesactrices,ellesemanifestedansunedansedelu-mièreetd'obscurité.Commedansunediscussionentrelesoleiletlalune,entrelejouretlanuit,quicréentensuitemesformesetmescouleurs»48. Iciilévoquelalumièrecommeunecomposantemêmedesondécor,unélémentinscritdèsledépartdanssaconception.PatriceChéreau,ar-rivanttoutdroitdel’universducinéma,expliquequ’ilnepeutpasvenirauthéâtresanslesHMIquifournissentunelumièredirectionnellecontras-téeetprécise49.Ilutiliselalumièreblanchedecesprojecteursenparticulier,claireeténergé-tique,toutenfuyantl’identificationdessourcesparlespectateuretpréférantquel’œildécèleplutôtdesensembles.Miseenscène,décorsetéclairage,bienqu’étanttroisdisciplinesdis-tinctesréaliséespartrois«artistes»différents,sontindéniablementliéesici.Ilarriveparfoisquepourfaireavancerletravail,lemetteurenscènepensedécoretlumière,etlescénographepensemiseenscèneetlumière.Selonlesparolesdudécorateur,icilalumièreestunetraductiondelavisiondumetteurenscèneetdesonscéno-graphe:lacoursedesastresdansleciel.DansladroitelignéedeGiorgioStrehlermetteurenscènecontemporain,Chéreaudésireunéclai-ragequirestituel’expériencedel’écoulementdutemps.Ilmetenvaleurlesmodificationsdeluminositéliéesauxsaisonsouàl’intensitédesrayonssolaires.L’éclairageentretientunerela-tionavecletempsdansdesnuancessubtilesdeblancetdelumièrecolorée,leplateaus’assimileàunegrandehorloge.Lalumièreprendnaturelle-mentsaplacesurscène,ilsecréeunealchimieentredécoretlumière.PourChéreau,letempsestunpersonnageimportantdeladramaturgie.

48- Amaranta PEDRANI, « L’incontro con Richard Peduzzi a Parigi », LuceWeb, 10 aout 2016

49- Dominique BRUGUIERE, Penser la lumière, Le temps du théâtre, Acte SUD – Papiers, 2017, p23


TRISTAN UND ISOLDE, PIERRE AUDI


PierreAudi,directeurartistiquefranco-li-banais,atravailléàlatêtedel’OpéraNationald’Amsterdampendanttrenteans,de1988à2018,oùilacréélaplupartdesesmisesenscènedontlaproductionintégraleduRingdeWagner.Ilestdepuis2018directeurartistiqueauFesti-vallyriqued’Aix-en-Provence.IlmetenscèneunTristanundIsoldedirigéparDanieleGattiauThéâtredesChamps-Elyséesen2016,avecàsescôtéslescénographeChristofHetzeretl’éclai-ragisteJeanKalman.

C’estdansledécortrèsépurédeChris-tofHetzerquevontévoluer lespersonnages.Aufuretàmesurequel’intriguesedéroule,lascénographiesefaitdeplusenplusabstraite.Lepremieractesedérouledevantunimmensecycloramarétroéclairéparlebasdevantlequelcoulissentdegrandspanneauxmobiles.Lecy-cloramaestunegrandetoiletendueenfonddescènegénéralement,deformeplateouconcavedanslecasprésent,etpermetdefigurertrèssouventlecielpardesjeuxdelumièreoudepro-jectionvidéo,maisaussidesdécorsdethéâtrenumériques.Lecycloramaestutilisépourdon-

neruneplusgrandeprofondeuràlascène,uneperspectivedelumière.Alorsquelespremièresnotesdechantrésonnent,TristanetIsoldeainsiquelesgrandspanneauxéclairésencontreàlafoisparlalumièrediffuseducycloramaetlalumièredirectedeprojecteurs, apparaissentcommedesombreschinoises.Lespanneauxverticaux,àl’apparenceindustrielleetrouillée,nousrenvoientàl’imaginairedel’universnaval,notammentlacoquedegrandsvaisseauxoulesparoisdescontainersqu’ilstransportent.Lesdifférentsassemblagesdespanneauxdivisentlascèneendifférentsespacesdejeupourlesacteurs.Ilspermettentd’ouvriroufermerdeses-paces,d’installerdesbarrièresentrelesamants.Cespanneauxseparentfurtivementdecouleursetsontaniméspardesvidéos-projectionsd’AnnaBertsch,commelemiroitementdel’eausurlacoquedubateau.

Aulieud’unpalais,c’estdansuneforêtdecôtesgéantesd’uncétacéquel’onretrouvelespersonnages.C’estdanscetossuairequeTristanetIsoldesuccomberontàleuramourin-terdit,devantuncycloramaàlalumièreverdâtre

2.2.3. Tristan und Isolde par Pierre Audi

Tristan und Isolde, Pierre Audi, Acte I: les silhouettes des panneaux et des amants se détachent du fond grâce au cyclorama et à l'éclairage en contre.


Acte I : le voyage en bateau

Acte II : Arrivée de Marke au petit matin

Acte II : les deux amants se retrouvant de nuit

Acte III : Tristan agonisant dans son palais

Tristan und Isolde, Pierre Audi, Acte III : lors de la dernière scène, Isolde apparaît dans un dernier halo de lumière


etungrandcarrénoirdescendudescintres,dé-signéparlescénographecommelesymboleduvidedoncdel’éternité.Lenoirdelaformecarréeàl’actedeux,parsonabsencedelumièreetsastylisationextrême,formecommeuntroudansl’espace,onnesaitpascequ’ilyadel’autrecôténipournous,nipourlesdeuxamants.Lalumièreoul’absencedelumièreévoquelamort.Alorsquelesamantschantentleurpassiondebout,quasiimmobilesdevantlatoilenoire,unraidelu-mièrevientcouperl’espaceendeux,symbolisantlesbarrièresqueleuramournepourrajamaisfranchir?AlorsquelatrahisondesamantsestdécouverteparleroiMarke,uncercleauxbordsdiffusapparaitàlalimitedel’horizonenbasducyclorama,commeunsoleillevant.C’estlafindelanuit,plusd’infini,lesoleilmarquelamiseàjourdeleuramourinterdit.Lorsdecettescène,JeanKalmanjoueénormémentdeséclairageslaté-rauxquiviennentdétacherles«côtes»danslaprofondeurdelascène,marquerlasilhouettedeTristanetIsolde,etprojeterdegrandesombressur le sol.

Lahauteurducycloramaestplusexploi-téedansledernieractedel’opéra.Onretrouvelefondrétroéclairéparlehautetlebas,révélantunegrandesurfaceblanche.Surscènefiguredésormaisuneboitenoiredans laquelleTris-tanagonise,entouréed’unpaysagedésoléfaitdegaletsetdebranchesmortesdedifférentestailles.Al’intérieurdelaboitenoireperceunrayonde lumièreprojetésurunesurfacemi-roitante.L’éclairageglobaldescène,toujoursmajoritairementlatéral,illuminelesvisagesdescomédiensetdétachelesdifférentsobjetsdufond,quiapparaitraientcommedesimplessil-houettesnoiressanscela.Alafindel’acte,lecycloramaestdenouveauéclairéuniquementàsabase,etsedégradedoncverslenoirenhautenpassantparlegris.L’éclairagelatéralestrem-placéparunéclairageverticalquiisolelaboitenoireenprojetantsonombreausol.Lefonddelaboites’ouvrepourdévoilerlasilhouettenoired’Isoldequisetientdeboutdansunhalodelu-mièreaveuglante.ElleapparaitunedernièrefoistelunangedelamortàunTristanmourant.

ContrairementàlavisiondePatriceChé-reau,dontlalumièreestassimiléeautempsquipasse,icil’interprétationdePierreAudietledé-cordeChristofHetzerontamenéJeanKalmanàpenser l’œuvredansdes jeuxsymboliques

declartéetd’obscuritéporteursdusensdeladramaturgie.Lecycloramaenarrière-plan,toilecourbesurlaquelleestprojetéedelalumière,principalementrétroéclairéparlebasouparlehaut,permetdecréerdesdégradésdelumièrecoloréeetdesprojectionsdehaloslumineux.Lecycloestéclairéleplussouventàl’aidedepro-jecteurshorizoidesoudecycliodeshalogènes.L’utilisationducycloramapermetdecréerunesortedeprofondeurdanslalumière,profondeurqueledécorn’offrepas.Acetéclairagediffus,viennents’ajouterdeséclairagesdirectsplussubtilespourdétacherlesélémentsdécoratifsdufonddelumière,parlehautouleslatérauxprincipalement.L’aspectdiffusquedonnelecy-clorama,donnel’impressiond’êtreplongéd’unboutàl’autredel’opéradansunépaisbrouillardquinesedissipepas.L’éclairagedonneainsil’impressiond’unelumièretoujoursbasse,d’unsoleilquipeineàselever,uneatmosphèreaus-tère,allantdugrisouverdâtreenpassantparlestonsbleutés.L’éclairagedépassedifficile-mentl’horizonplongeantainsil’œuvredansuneambianceassezsombre,symboled’unamourimpossiblesurlequellesoleilneselèverajamais.L’éclairagepeutparaitre«éblouissant»,danslesensoùàplusieursreprises(ledébutetlafin,çaterminecommeçaacommencé)onnepeutdistinguerlesvisages,etlalumièredel’horizonarrivedirectementdansl’œilduspectateurvialecyclorama.Ainsiestmisenavantunfonddescènedontlesvariationslumineusessuiventcelledelapoétiquescéniquesansseréclamerd’aucunréalisme.


Endéfinitive,qu’est-cequ’unspectacle?Ladéfinitionlaplussimpledudictionnaireledé-signecommeunereprésentationthéâtrale,maislespectaclec’estaussicequiseprésenteauregardetquiestcapabled’éveillerunsentiment,commeuncoucherdusoleil.Lanotionde«visuel»estàlabasedel’idéed’unspectacle.S’inter-rogersurladimensionqueprendlaconceptionlumièredanslespectaclevivantauxcôtésdelamiseenscèneetdelascénographie,c’estfinalementenveniràquestionnerladéfinitionmêmedu«spectacle»,quecelui-ciaitlieusurlesplanchesd’unthéâtreoud’unopéra,etàquestionnerlerôledesdifférentsintervenantsquiparticipentàsaconception.L’explorationdecequ’estaujourd’huilemétierd’éclairagistenousa toutd’abord fait remonterà lafinduXVIIèmesiècleaveclespremièressallesdédiéesentièrementauspectacleéclairéàlaflammedesbougiesetdeschandellesquipassèrentàlalampeàhuileàlafinduXVIIIèmesièclepuisaugazaudébutduXIXèmesiècle.Cetteder-nièrepériodefutégalementmarquéepar lespremièresrecherchessurl’électricité,véritablerévolution,quifitsonapparitiondéfinitivedanslesthéâtresautournantduXXèmesièclebienquel’arcélectriqueapparutpourlapremièrefoissurscènedèslesannées1850.Depuis,denom-breusesrecherchesontfaitévoluerlesmoyensd’éclairageetdecontrôledelalumière:delarampeetlaherseonpassaauxprojecteurs,d’unelumièresocialeàuneintentiondramaturgique,desmoucheursdechandellesàlaconsolenu-mériqueenpassantparlejeud’orgueaugaz.Lalumièreélectriqueapermisdedifférencierdeuxmanièresclefsd’éclairer:lalumièrediffuseetlalumièredirecte.Elleaaussipermisd’exploiterlascènedanstoutessesdimensions,agrandissantparlamêmeoccasionl’espacedejeudescomé-diens. Ilnes’agissaitpasdanscetteétudedefaireuneénumérationdesdifférentsdispositifsmisàdispositiondel’éclairagiste.Celan’auraitpasenrichicemémoired’informationsimpor-tantes.Certainsnomsdeprojecteursouautresdispositifsontétécitésdansl’analysedesdif-férentesproductionsdeTristanundIsolde,mais

CONCLUSION

« En définitive l’enjeu de la lumière au théâtre détermine les choix de ses créateurs et porte sur la manière dont le public reçoit les ambiances et les variations lumineuses, que ce soit d’un point de vue physique en tenant compte de la mécanique de la rétine, ou d’un point de vue esthétique, sensoriel, émotionnel ou encore historique et culturel. »«Esthétique de l’éclairage», Véronique Perruchon, 2017

« Je ne suis qu’un cuisinier de la lumière, […] c’est à lui [le metteur en scène] au final de me dire s’il y a trop de sel ou pas assez de sucre. » Lumière pour le Spectacle, François-Éric Valentin, 2010


50- François-Eric VALENTIN, Lumière pour le spectacle, Librairie théâtrale, 2010, p3251- Ibid.

52- Ibid.

cen’estpastantlatechnicitéderrièrelalumière,bienqueprimordialedanscemétier,quinousintéressait,maispluslamanièredontelleestauserviced’uneinterprétation,lafaçondontelletraduituneidée,unesensibilité.Iln’existepasqu’uneseulemanièredemettreenlumièreunemêmeœuvre.Ilaétésoulignéquecettemiseenlumièreestliéeauxavancéestechnologiquesd’uneépoque,c’estainsiquelesidéesd’AdolpheAppiaauraientététrahiesparsontemps,celanel’apaspourautantempêchédepenserlalumièreenavancesursontempsetdemettreenplacedesprincipesquiencoreàcejoursonteffectifssurscène.Durantcesdernièresdécennies,lemétierdel’éclairagisteconnaitunrenouveau,nonpasparl’inventiond’unenouvellesourced’éclairage,maisparlanumérisationetl’automa-tisationdesesoutilsqu’ilpeutdésormaismettreauservicedesacréativité.

Un spectacle n’est pas, n’est plus,l’œuvred’unseulhommeoud’uneseulefemme.C’estlefruitd’unecollaborationentreunmet-teurenscène,undécorateurouscénographeetunéclairagiste,toustroisartistesparticipantàlacréationd’unmondeautonomesurscène.Lemetteurenscène,dontlemétiertrouvesesracinesbienavantcellesduscénographeetdel’éclairagisteassuraitàl’origineuntravailquiaujourd’huireposesurlesépaulesdetroisper-sonnesdifférentes.Depuislesannées1950ils’agitdésormaisd’untravaild’équipe,letravaild’un« trio infernal»comme lenommeFran-çois-ÉricValentindanssonouvrage:«c’estdel’unitédestroisquejailliralestyledelalumièred’unspectacle»50.Aquoisertdoncunéclaira-giste?Enquoilalumièreest-elleunatoutpourlespectacle?Pourfairecourt:sanslalumière,pasdespectacle.Mêmeaveclameilleuremiseenscèneetlesdécorslesplusfabuleux,unereprésentationsansscénographielumièresem-bleraitbienplateetsansvie.Silalumièreapposeauthéâtresapropreécriture,l’éclairagisteap-posesapropreinterprétationdudrameetdudécor.Ilmetenlumièredemanièresensibleetimpalpableletexte,lamusiquemême,unimagi-naire.L’artdel’éclairagisteestdelesfaireexisteroudelesrenforcerpourfairecroireàleurvérité.Mêmesionparledutriometteurenscène/scé-nographe/éclairagiste,letravaildecollaborationsefaitenplusieursétapes,etlapremièreinter-prétationd’uneœuvreestd’abordfaiteparlemetteurenscèneetsonscénographe.Suiteàla

lecturedesdeuxpremiersacteursdelacréation,l’éclairagistepeutàsontouravoirunelecturepersonnelledeleurtravail,qu’ilvadevoiranalyser,intégrer,digérer.Lalumière,jumelledel’espace,prendunedimensionarchitecturale,construitlesespaces,secalculedanssestroisdimensionsetrévèlelaprofondeurduplateau.Enapportantsacompréhensionpersonnelledudécoretdesonimportancedanslareprésentation,l’éclairagisteassurelelienentremiseenscène,lieudécoréetcomédiens.Lalumièrepeutéclairer,protégerl’acteurenl’éblouissantafinqu’ilnevoiepaslasalle.Elleestrévélatricedujeuetpousselescomédiensàsedépasser.Penserlalumièreentrecertesdéjàenjeudansleconceptdumetteurenscèneetduscénographemaisl’éclairagisten’estnileserviteur,nilevaletdumetteurenscèneoudesonscénographe,nimêmedesac-teurs:iljouesonrôleenétroitecollaborationaveceux, touten restantautonomeetcohé-rent.Lemétierd’éclairagisteestencoreneufetilarrivesouventquedesmetteursenscèneetdesscénographesluidemandentsimplementd’appliquerleursidéesetleslumièresqu’ilsontl’habituded’utiliser.Aujourd’huiavecl’arrivéeprogressivedesprojecteursautomatiquesetdel’éclairageLed,lemétierserenouvellepleine-ment–nousavionsditquel’évolutiondumétierestpleinementreliéeauxavancéestechnolo-giquesdesontempsetinversement-pourfairefaceauxquestionnementsdesontemps.

La scénographieest rattachéeàunemaîtrisepresqueobsessionnelledel’environ-nementlumineux.Qu’ilsefassesimpleinterprètedesvolontésd’unmetteurenscèneetdesondécorateur(Couderc)oulaissetransparaitresapersonnalité(Kalman),l’éclairagistejouedescaractéristiquesdelalumière:sonintensité,sadirection,sacouleur,sonmouvement.Sanspourautantcréerunsecondspectacleenparallèledupremieretainsiendétournerl’attention,lalu-mières’ajouteàlareprésentationetensoulignelesensprofond.Unspectaclen’estpasqu’unemanièredemontrertouteslespossibilitésof-fertesparunjeud’orguenumérique,lalumièren’estpasgratuiteousimplementplaquéesurundécor.Elledoitcertesrendreles«imagesbelles»,mettreenvaleurmaissurtoutenrichiretpousserplusloinlesensdujeu:c’estlàquerésideladimensiondramaturgiquedelalumière.Aquilalumièrefaitelleplaisir?Auspectateur,aumetteurenscène,auxcomédiens?Aquoiserat-


tachel’éclairagiste?Lerôledel’éclairage,mêmesicelapeutparaitreplusqu’évident,estautantd’êtreunelumièrepourvoirlespectaclequ’unelumièrepourlemettreenvaleuretensoulignerlapoétique.C’estàl’éclairagistequ’ilincombedemaitriserla«chainevisuelle»51,c'est-à-direlechemineffectuéparlesrayonsdelumière,deleursourceàl’objetéclairé,puisdel’objetéclairéàl’œilduspectateur.Ildoitmaitriserlescontrastes.Unéclairagetropsombreoutroplumineuxfati-gueraitrapidementl’œilduspectateur.Au-delàd’unsimpletechnicien,commenousavonspulevoirdanscetteétude,unéclairagistedoitsanscessefaireappelàsonimagination,sacréativitépourproposerdessolutionsdemiseenlumièred’uneaction,d’unespace.Unéclairagedoitêtre«pensé»,ilserattacheaulieu,autemps(Ché-reau),ausens(Audi)52,quecesoitparlebiaisd’unelumièrecoloréeserattachantàunecer-taineréalitéouunpartiprisplusabstraitparlebiaisd’uncyclorama.Commedanstoutproces-susdeconception,lacréationpartd’uneidéequ’ilfautensuitetraduireparlamiseenplacedemoyenstechniques.Lematérielestchoisietadaptéàl’idéequiestfaitedelalumière.

En décrivant son expérience profes-sionnelleFrançois-EricValentinexpliquequedudécorateurauchefélectricien,surleplateautousparticipentàlalumière,aupointd’enoublierquiaeuquelleidéeaudépart.Voicisontémoignage:«durégisseursonaumetteurenscène,dudé-corateuraumanipulateurde laconsole, tousceuxquiétaientprésentsont,àunmomentouàunautre,proposéuneidée,chacunmodifiantlaprécédente,chacuneétantaussitôtvérifiéeconcrètement[…]àlafin,nousétionstousheu-reux,caronnesavaitplustropquiavaitdécidéquoi».

Lascénographielumièreestunenotionquidépasselesmursdesthéâtres.Elleatoutesonimportanceaucinémadetouteévidence,maisaussideplusenplusdans lesmusées.Eneffetdansdesexpositionsdeplusenplusludiques,oùl’ontfaitappelàdenombreusesmanipulationspourcommuniquerl’information,lalumièreprendtoutsonsenspouraccompa-gnerles«spectacles»quedeviennentceslieuxdetransmissiondelaculture.Quecesoitd’unpointdevuedelaconceptionoudumatérielutilisé,ons'interrogesurl'apportdesconcep-teursdelumièredespectacledanslemondede

l'expositionetdelamuséographie:quelestledevenirdumétierd'éclairagisteauprèsdesscé-nographessurlesquestionsdel'éclairagedesobjetsetdesœuvres?Lesprojecteurs,commeladécoupe,seminiaturisentafindeprendrelemoinsdeplaceetd’êtrelemoinsvoyantspos-sibledanslessallesd’expositions.Lejeud'orguepermetaussid'enregistrerdesvariationslumi-neuseenmuséographie.Eclairerdesœuvresetdesobjets,cequifinalementestcommunàlamuséographieetauspectaclevivant,estdevenutoutunartauXXIèmesiècle.


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-RichardWagnerTristanundIsoldeSottotitoliinitalianoURL :https://www.youtube.com/watch?v=sYst_tj_IIE&list=PLEi3BjUBWDd5uwJRulZ5Ior5qQpUiXqgq&in-dex=1

-Wagner-LiebestodScala2007BarenboinURL :https://www.youtube.com/watch?v=oOGs8TtnwoI&list=PLEi3BjUBWDd5uwJRulZ5Ior5qQpUiX-qgq&index=4

-Wagner:TristanundIsolde-DanielBarenboimURL :https://www.youtube.com/watch?v=WhsQt-PFC2o&list=PLEi3BjUBWDd5uwJRulZ5Ior5qQpUiX-qgq&index=5

-TristanundIsoldeURL :https://www.youtube.com/watch?v=tZNJNi8jacA&list=PLEi3BjUBWDd5uwJRulZ5Ior5qQpUiX-qgq&index=6

-TristanetIsolde,WagnerURL :https://www.youtube.com/watch?v=WhzBYf5nhpg

-TristanundIsolde,OperadiRomahttps://www.youtube.com/watch?v=oRgZEJ_QDVE

-TristanundIsolde:intervistaaDanieleGattiePierreAudiURL :https://www.youtube.com/watch?v=_oKpGIklGxs

-SuitedesrépétitionsdeTristanetIsolde,WagnerURL :https://www.youtube.com/watch?v=S1QLUZPPKjk

-Wagner:TristanundIsoldefromTeatrodell’OperadiRomaURL :https://www.youtube.com/watch?v=RiXSZP_hGgA

Lesjeuxdelumièrefontappelàunsensprimordial:lavue.Lesjeuxdelumièresontaujourd’huiunatoutmajeurdanslessallesdespectacles.Ledéfin’estplusd’éclairerlascènemaisdeparticiperàcequis’ydé-roule.Lalumièresenourritdujeucommelejeusenourritdelalumière.L’éclairageentantqu’expressiondelapoésiedudramepermetdecréerdesatmosphères,demodifierl’apparencedelascène,dedessinerdesreliefsetdesvides,dehiérarchiserlesespaces.Lemétierd’éclairagisteouconcepteurlumièreestrécent.S’interrogersurladimensionqueprendlaconceptionlumièredanslespectaclevivantauxcôtésdelamiseenscèneetdelascénographie,c’estfinalementenveniràques-tionnerladéfinitionmêmedu«spectacle»,quecelui-ciaitlieusurlesplanchesd’unthéâtreoud’unopéra,etàquestionnerlerôledesdiffé-rentsintervenantsquiparticipentàsaconception.

HISTOIRE ET POÉTIQUE DE LA LUMIÈRE AU THÉÂTRE : LE RÔLE DE LA CONCEPTION LUMIÈRE DANS L’ART SCÉNOGRAPHIQUE

HÉLÈNE FABBRI

HISTOIRE ET POÉTIQUE DE LA LUMIÈRE AU THÉÂTRE

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