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HISTOIRE DES TREIZE

LA DUCHESSE DE LANGEAIS

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BALZAC

HISTOIRE DES TREIZE

LA DUCHESSEDE LANGEAIS

Introduction, notes, chronologie et bibliographiepar

Michel LICHTLÉ

Édition mise à jour (2008)

GF Flammarion

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© 1988, Flammarion, Paris.Édition mise à jour en 2008.ISBN : 978-2-0812-1315-9

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INTRODUCTION

La Duchesse de Langeais est à n’en pas douter l’unedes œuvres les plus connues de Balzac. Le cinéma,qui s’est emparé d’elle, l’a encore popularisée. Il ytrouvait, en effet, le trésor d’une aventure émou-vante et romanesque, séduisante et tragique, parfai-tement unifiée de surcroît autour d’un grand rôleféminin. Est-il personnage plus attirant qu’uneduchesse de Langeais pour une Edwige Feuillère 1,se demandent René Jeanne et Charles Ford dans unarticle consacré à « Balzac et le cinéma 2 » ? « Ce quele public attend du spectacle cinématographique »,ajoutent-ils, « ce sont des histoires, de bonnes, debelles histoires d’où tout romanesque ne soit pas sys-tématiquement banni au bénéfice d’une réalité tropsouvent sordide. Or Balzac, il ne faut pas craindrede le répéter, est le plus extraordinaire inventeurd’histoires romanesques et en même tempshumaines que le roman ait eu à son service, et leromanesque balzacien est précisément celui auquelse complaît le cinéma, celui dont il a besoin pourrépondre aux goûts, aux désirs de la plus importantepartie de sa clientèle, celui-là même que ses auteursimaginent lorsqu’ils volent de leurs propres ailes[...]. Une coquette qu’un amant, las d’être bafoué,va marquer au fer rouge comme une criminelle del’Ancien Régime, c’est La Duchesse de Langeais, maisc’est aussi, à des nuances près, Forfaiture d’Hector

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Turnbull et Cecil B. de Mille 3... » Excellent balza-cien, Jacques Rivette a transposé cette poignante his-toire de malentendu amoureux avec beaucoup depoésie, et somme toute d’exactitude, en 2007, dansNe touchez pas à la hache, titre qui n’est autre quecelui qu’eut d’abord l’écrit de Balzac.

Second épisode de l’Histoire des Treize, le romansupporte cette lecture. Il ne s’y réduit pas. Ce n’estpas sans raison qu’au titre primitif Balzac a préférécelui de La Duchesse de Langeais 4 : la valeur del’œuvre tenait moins aux qualités du conte cruel qu’àla séduction de son héroïne. Antoinette de Langeaisfascine comme une nouvelle Célimène. « Souverai-nement femme et souverainement coquette », elle est« Parisienne surtout », et fournit le « type le pluscomplet de la nature à la fois supérieure et faible,grande et petite, de sa caste 5 », l’aristocratique fau-bourg Saint-Germain. C’est dire la richesse, psycho-logique et symbolique, d’un personnage que Balzacdécrit, de plus, en évolution. C’est même de rupturequ’il y a lieu de parler dans la vie de l’héroïne qui,après avoir repoussé la passion de Montriveau, seconvertit à l’absolu de l’amour, et en meurt consu-mée dans le Carmel qu’elle s’est choisi, non sansdéfi, pour retraite. Coquette et amoureuse, reine deParis et obscure servante d’une religion qui estl’amour, Antoinette de Langeais méritait, comme laPrincesse de Clèves, mieux que Béatrix ou la Prin-cesse de Cadignan, de donner son nom au romanqui la faisait vivre.

Le personnage, on le sait, est né d’un des épisodesles plus douloureux de la vie de Balzac : son aventuremanquée avec la marquise de Castries, dont il auraittiré vengeance en créant la duchesse de Langeais.Claire-Clémence-Henriette-Claudine de Maillé de laTour-Landry, marquise puis en 1842, à la mort dupère de son mari, duchesse de Castries, appartenaità la plus haute aristocratie. Par son père, elle se rat-tachait à l’une des familles les plus illustres deFrance, dont les titres étaient attestés depuis le

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INTRODUCTION 7

XIe siècle. Son grand-père, selon L.-J. Arrigon 6, étaitlieutenant général, gentilhomme de la Chambre ducomte d’Artois, duc héréditaire par brevet depuis1784, et son père, lui aussi gentilhomme de laChambre du comte d’Artois, maréchal de campdepuis 1814, duc-pair héréditaire depuis 1820. Parsa mère, elle descendait des Stuarts, et le ducÉdouard de Fitz-James, l’un des chefs les plus envue du parti légitimiste dans les premières années dela monarchie de Juillet, était son oncle. Née en 1796,elle avait épousé à l’âge de vingt ans, enoctobre 1816, le jeune marquis de Castries, de neufans son aîné, également issu d’une brillante famillepuisque son père était lui aussi duc à brevet depuis1784, lieutenant général et duc-pair depuis laRestauration 7. À l’éclat de sa naissance et de cettealliance, elle ajoutait celui de son esprit et de sabeauté : Philarète Chasles dira d’elle que, quand elleentrait dans un salon, au sommet de sa splendeur,« sa robe nacarat tombant sur ses épaules dignesd’un Titien, elle effaçait littéralement l’éclat desbougies 8 ». Ces qualités la désignaient pour être,dans les années qui suivirent son mariage, à l’imagede l’héroïne balzacienne, une reine du faubourgSaint-Germain. Quand Balzac la connut, elle menaitpar la force des choses une vie beaucoup plus retirée.À défaut de trouver le bonheur dans son ménage,elle s’était passionnément éprise, en 1822, du princeVictor de Metternich, fils aîné du célèbre chancelierd’Autriche, dont elle avait eu, en 1827, un fils. Deuxans plus tard, la phtisie lui ôtait son amant, mort enItalie dans ses bras. Totalement séparée de son mari,comme la duchesse de Langeais, meurtrie par sonpassé, elle l’était de plus dans sa chair depuis qu’unegrave chute de cheval l’avait rendue presque infirme.Sa société, désormais, se bornait à un cercle intimed’amis privilégiés, et d’hommes de lettres.

Tout avait commencé pour Balzac, d’emblée de lafaçon la plus fausse, en septembre 1831, par unelettre que la marquise lui adressa sous un nomanglais. Par la réponse que lui fit le romancier, nous

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savons que cette première lettre, « pleine de tou-chantes élégies naturelles dans un cœur defemme 9 », avait forme de procès : l’auteur de laPhysiologie du mariage, de La Peau de chagrin, lecréateur de Fœdora en particulier, s’y voyait repro-cher avec une intéressante franchise son manque de« foi », de « conviction », de « douceur » dans sa pein-ture de la femme. Sans doute piqué de curiosité,Balzac se défendit longuement, comme écrivain(« La Physiologie, Madame, fut un livre entreprisdans le but de défendre les femmes ») et commehomme (« vous vous tromperiez si vous me suppo-siez autrement que solitaire, vivant de la pensée etjaloux d’être compris par les femmes ») 10. Quelquesmois plus tard, la marquise, ayant jeté le masque,l’invitait à lui rendre visite en son bel hôtel de la ruede Grenelle-Saint-Germain.

Où en était alors Balzac ? Dans sa lettre d’accepta-tion, les assurances de respect se mêlent déjà d’ami-tié, les remerciements sont « affectueux ». Quelleconfidence dans la crainte exprimée « de perdrebeaucoup à être connu personnellement 11 » ! Cettetimidité-là est profonde chez Balzac, conscient deslimites de sa séduction. Il faut donc prendre ausérieux la conclusion de sa lettre : « j’espère près devous devenir meilleur et suis persuadé que je ne puisque gagner dans le commerce d’une âme aussi nobleet aussi douce que l’est la vôtre 12 ». Rhétorique,certes, qui informe du rôle qu’entendait jouerMme de Castries ; mais indice également d’une« cristallisation » en cours. Devenu au printemps1832 un familier de la marquise, il lui adressemanuscrits et lettres de plus en plus passionnées :« quand l’âme et l’imagination se réunissent, ellesvont très loin 13 » ; « mon vœu perpétuel n’est qu’unereconnaissance sans bornes ; car, vous m’avez si bienaccueilli, vous m’avez accordé de si douces heuresque je crois qu’il n’y a plus de bonheur pour moique par vous et je voudrais vous rendre comme Dieuvous rendra dans le ciel, le centuple de vos bonnesœuvres en joies, les belles journées que vous

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INTRODUCTION 9

m’octroyez 14 ». Et voici la réponse qu’obtenaient detels élans : « Je vous aime bien imprimé [...], cepen-dant je crois que je vous aime encore plus quand jevous entends. Ceci n’est pas une déclaration, maisune vérité. À demain n’est-ce pas 15 ? » On com-prend que Balzac ait eu l’imagination grisée par cettefemme à la douceur si insinuante qui par tant detraits semblait si pleinement correspondre à sonidéal, et dont la conquête eût tant flatté ses vanités,« une de ces beautés angéliques auxquelles on prêteune belle âme », écrit-il à son amie ZulmaCarraud 16, « la vraie duchesse, bien dédaigneuse,bien aimante, fine, spirituelle, coquette [...] et quidit m’aimer, qui veut me garder au fond d’un palais,à Venise 17 [...] et qui veut que je n’écrive plus quepour elle. Une de ces femmes qu’il faut absolumentadorer à genoux quand elles le veulent, et qu’on atant de plaisir à conquérir. La femme des rêves !... »

La marquise l’invita à la rejoindre en août à Aix-les-Bains : elle insista, dit son chagrin, fit part desdispositions qu’elle prenait pour qu’il pût y « resterincognito 18 » ; il l’accompagnerait ensuite en Italie,par la Suisse. La façon dont Balzac comprit l’invita-tion est clairement indiquée par l’intrigue de LaFemme abandonnée, dont l’héroïne, Mme de Beauséant,choisit précisément la Suisse pour renaître àl’amour 19. D’Angoulême, il envoya en outre unextrait fort significatif des lettres d’amour qu’ilvenait de composer pour Louis Lambert : « Je savaisbien que tu étais toute grâce et tout amour ; maisj’ignorais combien tu étais gracieuse ! Tout s’accor-dait à me conseiller ces voluptueuses sollicitations, àme faire demander ces premières grâces qu’unefemme refuse toujours, sans doute pour se les laisserravir ; mais non, toi, chère vie de mon âme, tu nesauras jamais d’avance ce que tu pourras accorder àmon amour, et tu te donneras, sans le vouloir peut-être ; car tu es vraie et n’obéis qu’à ton cœur 20 ! »Ainsi le désir tentait de forcer la réalité. Dans salettre suivante, que Balzac n’expédia pas, Lambert,mettant son « cœur à nu », dévoilait à Pauline

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l’ardeur de ses rêves, la « bouillante ambition » de ses« sens irrités par la solitude », combien il était « altéréde ces félicités inconnues que donne la possessiond’une femme 21 ».

Tel est l’état d’esprit dans lequel le romanciergagna Aix, à la fin du mois d’août 1832. Il y reçutun accueil plein de délicatesse. Dans la jolie petitechambre qu’on y a fait réserver pour lui, il ne voitpersonne et travaille à loisir. Chaque jour, « à6 heures » du soir, il descend auprès de la marquise :« nous dînons ensemble et je passe la soirée prèsd’elle 22 ». Là est son unique distraction. Qu’yobtient-il ? la douceur de consoler Mme de Castriesde sa solitude ; de l’appeler, lui seul, Marie. Ilsauront des souvenirs tendres, qu’elle lui rappelleraplus tard : « pensez au ruisseau, au moulin cassé, àla Chartreuse, suis-je donc seule à me rappeler 23 ? »Balzac, lui, songeait à livrer une bataille plus précise.Et il fut défait. La marquise était bien cette femmequi, quelques années plus tard, écrirait à Sainte-Beuve, devenu à son tour son ami : « je sens [...] quesi un homme osait, oubliant mon âge, ma position,me dire un mot d’amour, je le prendrais en haine àl’instant 24 ». Balzac, qui le redoutait, se le vit confir-mer brutalement. Le voyage en Italie n’eut pas lieu.Dans la nuit du 18 au 19 octobre, il quittait Genèveen direction de Paris, tandis que Mme de Castriesregagnait Aix.

La blessure fut profonde. Certes, elle ne mit pasfin à leurs relations qui furent parfois tendues, par-fois à nouveau étroites, comme au moment de lamaladie de la marquise en août 1834 25. « Ah ! Sivous m’aviez connue, vous auriez pardonné mes exi-gences », lui écrira-t-elle le 29 octobre de cette mêmeannée 26. De son côté, évoquant dans une lettre àMme Hanska, à la fin de mars 1833, sa « cruelleaventure », « la grande déception dont tout Pariss’occupe », il affirme : « Je souffre par elle, mais je nela juge pas 27. » En vérité, à Aix, ne souffrait-il pasdéjà ? Il y a de l’amertume dans ce qu’il écrit dès ledébut de septembre 1832 à Zulma Carraud : « Ici,

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INTRODUCTION 11

je suis venu chercher peu et beaucoup. Beaucoup,parce que je vois une personne gracieuse, aimable ;peu, parce que je n’en serai jamais aimé 28. » Quelledétresse dans sa lettre à sa mère du 22 septembre :« Oh si tu savais comme j’ai besoin en ce moment depouvoir me jeter dans ton cœur, comme dans unasile d’affection entière [...] 29. » Et dans celle qu’ilécrit encore à Zulma Carraud, le 10 octobre : « J’aitant de peines que je ne puis vous en rien dire 30. »Il quitta Genève « maudissant tout, abhorrant lafemme 31 ». « J’ai rencontré une Fœdora », écrit-il enjanvier 1833 à Mme Hanska, « mais celle-là je ne lapeindrai pas 32 ».

Obsession de la femme aimée et perfide, ou enferdes contrats qui forcent l’écrivain, triste alchimiste,à transmuer sa douleur en or ? Force est de constaterqu’à la différence de ce que déclare ici Balzac,l’aventure d’Aix fit rapidement l’objet d’une trans-position littéraire. Rarement même épreuve fut en cesens plus féconde. Ce fut d’abord la premièreConfession du Médecin de campagne, dont on connaîtdeux états d’inégale longueur mais fort proches surle fond, le second 33 n’étant qu’une version dévelop-pée et complétée du premier. On sait que Balzacrenonça en définitive à ce texte pour son roman, etlui en substitua un autre, fort différent celui-là, quiprésentait l’action de Benassis comme l’effet duremords pour une faute de jeunesse. La premièreConfession, sans doute conçue dès octobre 1832, aau contraire pour héros « un homme fidèle à unamour méconnu », écrit Balzac à Mme Hanska, « àune femme qui ne l’aime pas, qui l’a brisé par unecoquetterie [...]. Au lieu de se tuer, cet homme laissesa vie comme un vêtement, prend une autre exis-tence, et, au lieu de se faire chartreux, il se fait lasœur de charité d’un pauvre canton, qu’il civilise 34 ».Ainsi hérite-t-il, dans ses causes et dans sa violence,de la déconvenue balzacienne. Récit fait par unhomme, la première Confession du Médecin de cam-pagne se prêtait tout naturellement à l’expression du

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point de vue de Balzac sur le conflit amoureux quivenait de l’opposer à la marquise de Castries. Aveud’une souffrance, et nullement encore d’une faute,elle accablait la femme, et trouvait sa confirmationdans l’issue généreuse que l’homme trouvait à sondésespoir. L’aimée n’était pas quelque vagueFœdora, mais une femme « célèbre dans le monde »par « sa grâce, son esprit, sa beauté », douée surtoutd’une « belle âme ». Elle avait commis « une premièrefaute », et se trouvait donc « dans une de ces situa-tions sociales qui, selon la complaisante jurispru-dence de nos mœurs, doit permettre à une femmede se laisser aimer sans trop de scandale 35 ». Onreconnaissait sans trop de peine le modèle. Que luiétait-il reproché ? « Elle me promit et me donna toutce qu’une femme peut donner en restant chaste etpure. Ce fut alors l’infini des cieux, l’amour desanges, des délices que je n’ai pas même aujourd’huile courage de lui reprocher. Mais que sont toutesces choses sans la confiance qui les éternise, sans letémoignage sacré qui rend l’amour indissoluble 36 ? »Là est son crime, et il est donné pour atroce, égalaux pires forfaits : elle « a tué une âme heureuse »,elle « a flétri toute une vie ». Et cela de la façon laplus brutale : « La veille j’étais tout pour elle, le len-demain, je n’étais plus rien 37 ! » D’où le procès dela coquetterie : convaincue par son refus de l’ultimesacrifice de n’avoir jamais aimé, la femme atteintdésormais cette perfection, qu’elle n’incarne plusdans l’idéal, dans l’art de le contrefaire. Ce men-songe est profanatoire, et c’est pourquoi il n’est pasde vengeance à la mesure du crime. Le héros esttenté pourtant, comme sans doute Balzac, de « fairehaïr » l’aimée du monde entier, de la « livrer à tousles regards, attachée à un poteau d’infamie », de « lamettre, à l’aide du talent de Juvénal, au-dessous deMessaline 38 ». Le romancier se taira, et sans douteest-ce une des raisons pour lesquelles la premièreConfession du Médecin de campagne sera écartée.Son héros agira de même. Comme Balzac, il souffreà en « pleurer comme un enfant » ; mais dans son

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INTRODUCTION 13

désarroi, il reste ouvert au doute : « je suis [...]encore à chercher la cause de mon malheur 39 ». Sur-tout, en même temps que frère de Balzac, il demeureprincipalement protagoniste d’une œuvre qui décritune ascension spirituelle. Cet amour même qu’il avécu, il le voulait rédempteur de celle qu’une « pre-mière faute » semblait avoir privée à jamais desa « sainte innocence ». Authentiquement créateur– divin –, l’amour vrai donne sens à la vie et y intro-duit une rupture, y insuffle une énergie sans les-quelles certaines formes de progrès resteraient horsd’atteinte. La suite dira que la souffrance est unebonne maîtresse, qu’elle ouvre la voie de cet absoludont la passion faisait rêver. Balzac, lui, ne sera nichartreux, ni médecin de campagne. De sa souf-france si présente, si reconnaissable dans les pagesde la Confession, il ne retient dès cet automne 1832que ce qui convient au climat du roman en cours.« A-t-on jamais prouvé que Balzac ait commencé parconfier sa peine à une page errante ? », demande fortjustement R. Chollet, qui ajoute : « Il ne l’écrit, ilne la formule [...] que dans le cadre d’une œuvrepréexistante. Cette tranche de vie, c’est déjà la vieromancée 40. »

Elle peut l’être, en vérité, de plusieurs manières.Et le même critique a montré que Dézespéranced’amour, en octobre-novembre 1832, traitait sur lemode drolatique le même matériau biographiqueque la Confession. Sous ce titre fort grave, le dernierdes Contes drolatiques du second dixain rapportaitl’histoire d’un jeune sculpteur florentin, AngeloCappara, qui « n’estoyt poinct sot, avoyt ung grantcueur, de belles poëzies en la teste ; et de plus, estoythomme de haulte imaginacion 41 ». Rien n’égalaitson rêve d’amour, mais il était timide, se croyait laid,et se désolait « de porter ung cueur si chauld que,sans doubte aulcun, les femmes s’en garoientcomme d’ung fer rouge 42 ». Or voici qu’un jour oùil travaillait à Amboise pour le roi Charles VIII, unedame « de hault lignaige » s’intéressa à lui, s’étonna

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de son caractère farouche, « puis l’invita gratieulse-ment à venir chez elle, à la vesprée 43 ». Cette dameétait fort belle, « elle estoit blanche et mince ; avoytune voix à remuer la vie là où elle est, à fourgonnerle cueur, la cervelle et le reste ; brief, elle mettoit enl’imaginacion les délicieuses images de la chose sansfaire mine d’y songier, ce qui est le propre de cesdamnées femelles 44 ». Le jeune homme s’en épritdonc. Heureux d’abord de voir et d’ouïr à loisir samaîtresse, il souhaita bientôt « faire tourner enactions » les « gentils propos » de sa dame. Il obtint« bon compte » de baisers, mais au-delà, rien. Tou-jours il se voyait opposer le retour du mari, et leprincipe selon lequel « son amant à elle debvoyt setennir saige 45 ». Bref, « ung peu tard, le paouvre Ita-lien vid bien que ce ne estoyt poinct ung nobleamour, ung de ceulx qui ne mezurent pas la joyecomme ung avare ses escuz », et devint « furieux àtout tuer 46 ». Avec la complicité d’amis qui se char-gèrent de retenir éventuellement le mari, il mit samaîtresse à l’épreuve, et ayant vérifié qu’elle avait« l’asme feslonne », se vengea d’une estafilade auvisage. Elle se mit dès lors à l’aimer. Quant à Cap-para, il échappa de peu à la justice du roi ; mais « detout poinct acquis à sa dame dont il ne pouvoytchasser le soubvenir 47 », il se fit religieux et devintmême cardinal.

On voit que Dézespérance d’amour reprend fortexactement le thème de la première Confession duMédecin de campagne : victime d’une coquette, unhomme ardent qui s’était constitué une image idéalede la femme est conduit à la vie religieuse – ou à unsacerdoce laïque – comme à la seule issue de sa viebrisée. La source autobiographique est non moinsproche : le charme physique de la femme aimée estbien le même dans les deux textes, la cause duconflit également. Le conte la nomme seulementplus crûment. Il est de façon générale plus précis,en dépit de sa brièveté, dans l’évocation des soiréespassées auprès de la dame. Ne faut-il pas recon-naître, comme le suggère R. Chollet, de secrètes

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allusions dans les batailles que livre Cappara, oudans les alibis de la dame ? L’amant mort de la mar-quise de Castries, Victor de Metternich, avait dansla mémoire de « cette Andromaque du faubourgSaint-Germain 48 » autant de vie qu’un mari.

Le conte toutefois est par nature plus schéma-tique ; il ne laisse guère de place à l’analyse psycho-logique profonde. Cappara se réduit donc, pourl’essentiel, à un jeune naïf que pousse l’urgence deson désir ; et de la dame, outre sa coquetterie, on nesaura rien. Ainsi toute l’aventure d’Aix devient-elleanecdote, et anecdote drolatique. La dérision desthèmes courtois appartient au genre. Mais comments’étonner qu’il entre quelque frémissement dansl’application de cette grille de lecture aux faits de vierécents ? Cappara fait-il totalement sourire quand ilse présente rêvant à sa sylphide ? Il « se racomptoytà luy-mesme en quelle ferveur auroyt une belle may-tresse ; en quel honneur seroyt elle en sa vie ; enquelle fidelitez il s’attacheroyt à elle ; de quelle affec-tion la serviroyt ; en quelle estude auroyt ses com-mandemens ; de quelz ieux dissiperoyt les legiersnuages de sa tristesse melancholique aux iours où leciel s’embruneroyt. Brief, s’en pourtraictant une parimaginacion figuline, il [...] luy parloyt à l’attendrir ;puys [...] la serroyt à l’estouffer, la violoit ung petitmaulgré son respect, et mordoyt tout en son lict deraige, quèrant ceste dame absente 49 » Avec l’amèrecomplicité du conteur, le sculpteur en détaille finale-ment les beautés charnelles dans la pierre. Maisl’émotion affleure, quand Cappara s’écrie, face àcelle qui se joue de lui : « Vous m’avez rendeu la viepoisante et maulvaise à toujours ; doncques, ie veuxvous faire esternellement songier à ma mort, quevous cauzez 50. » Cette réplique, dans le récit,accompagne un miracle : le conte drolatique assurele triomphe de l’ordre viril. À la différence du hérosde la Confession, celui de Dézespérance d’amour sevenge autrement que par le silence. Non seulementCappara a des compagnons tout disposés à lui prêtermain forte, mais l’aimée est elle-même émerveillée à

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la vue d’un « homme flambant de raige », auquel ellene demande plus qu’à céder. Tout finit bien, dèslors, et la rumeur dit que les amants finirent par êtreheureux : le rieur qui écrit les Contes drolatiques aaménagé en conversion de la femme à l’amour lesinterrogations du médecin de campagne sur lesambiguïtés de la coquetterie féminine.

Ainsi se préparait Ne touchez pas la hache, où laprofondeur de la Confession se greffe sur un schémanarratif largement hérité de Dézespérance d’amour 51.Qu’il s’agisse ici d’une nouvelle transposition dumême drame originel, Balzac lui-même l’a écrit : « Ila fallu cinq ans de blessures pour que ma naturetendre se détachât d’une nature de fer ; une femmegracieuse, cette quasi-duchesse [...] qui était venueà moi sous un incognito [...] – hé bien, cette liaisonqui, quoi qu’on en dise, sachez-le bien, est restée,par la volonté de cette femme, dans les conditionsles plus irréprochables, a été l’un des plus grandschagrins de ma vie [...]. Moi seul sais ce qu’il y ad’horrible dans La Duchesse de Langeais 52. » La mar-quise révisa d’ailleurs le texte du roman 53. Quantà Balzac, ne le reconnaît-on pas aisément enMontriveau ? « Sa tête, grosse et carrée, avait pourprincipal trait caractéristique une énorme et abon-dante chevelure noire qui lui enveloppait la figure demanière à rappeler parfaitement le général Kléberauquel il ressemblait par la vigueur de son front, parla coupe de son visage, par l’audace tranquille desyeux, et par l’espèce de fougue qu’exprimaient sestraits saillants. Il était petit, large de buste, muscu-leux comme un lion 54. » À Mme Hanska, qui l’yreconnaissait trop bien, l’auteur crut devoir rétor-quer : « Mon Dieu, ne me Montriveautez pas. Sachezbien que j’ai la vie du cœur, et celle du cerveau, queje vis plus par les sentiments que par les caprices del’esprit 55... »

À l’évidence au demeurant, la transposition duvécu allait plus loin encore dans le roman que dansle conte drolatique qui l’annonçait. Ce n’était plus

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l’homme, mais bien la femme qui désormais occu-pait le centre de la toile. Et non plus seulementcomme cause de la souffrance virile. La souffranced’aimer, elle la partage ici, si bien qu’à la différencede ce qui se passe dans Dézespérance d’amour, c’estelle, à présent, qui finit ses jours au couvent. Ne tou-chez pas la hache apparaît ainsi comme tout lecontraire d’un récit vengeur : le fruit d’une matura-tion. Il avait fallu du temps à Balzac – mais commentle lui reprocherait-on ? – pour reconnaître en uneatroce fille d’Ève la promesse d’une sœur Thérèse,ou plus confidentiellement, d’une sœur Marie desAnges 56.

Plus que l’image de la carmélite, c’est pourtantbien celle, infiniment séduisante, de la jeune etcruelle reine du faubourg Saint-Germain qui retientle lecteur de La Duchesse de Langeais. Nous avonspris l’habitude d’apprécier en Balzac, plutôt que leconteur, le peintre réaliste des mœurs. Peut-êtreaussi le romanesque balzacien choque-t-il nos rêvesprosaïques. Puis les Treize sont misogynes 57, et lesecond épisode de leur Histoire en porte la trace.« Dans la pudeur qui s’empare d’un homme quandil aime », écrit par exemple Balzac dans notre roman,« n’y a-t-il pas toujours un peu de honte, et neserait-ce pas sa petitesse qui fait l’orgueil de lafemme 58 ? » Dans cette perspective, la coquetterieest de bonne guerre. Elle ne peut être que naturelleà la femme, elle représente pour elle « la consciencede son pouvoir 59 ». Tout pouvoir se mesure à lafaçon dont il est reconnu et particulièrement à laCour, on se distingue en attirant les hommages. Lacoquetterie, qui offre le double avantage de régnersur des cœurs et d’écraser des rivales, sera donc ladiplomatie des duchesses : Talleyrand, nous dit-on,aimait beaucoup Mme de Langeais 60.

C’est qu’elle excelle, en vérité, dans cet art. « Songenre de beauté », écrit Balzac, « ses manières, sonparler, sa pose s’accordaient pour la douer d’unecoquetterie naturelle 61 ». L’éducation a développéen elle un don inné de séduire, elle lui a donné une

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N° d’édition : L.01EHPN000203.N001Dépôt légal : mars 2008

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