HISTOIRE DES IDÉES ÉCONOMIQUES DE WALRAS...

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ÉCO HISTOIRE DES IDÉES ÉCONOMIQUES DE WALRAS AUX CONTEMPORAINS JEAN BONCŒUR HERVÉ THOUÉMENT 4 e édition

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HIS TOIRE DES IDÉES ÉCO NO MIQUES DE WALRAS AUX CONTEM PO RAINSJEAN BONCŒURHERVÉ THOUÉMENT

4e édi tion

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Col lec tion Cur susCet ouvrage est pré cédé de His toire des idées éco no miques, tome 1 : de Platon à Marx, nou velle édi tion 2013

Dans la même col lec tion

Bruno Marcel, Jacques Taïeb, Les grandes crises, nou velle édi tion, 2012Serge Bosc, Stra ti fi cation et classes sociales, nou velle édi tion, 2013

Ouvrage publié sous la direc tion de Claude- Danièle Échaudemaison1re édi tion Nathan Uni ver sité, 1998

© Armand Colin, 2014, pour la pré sente édi tionArmand Colin est une marque de

Dunod Édi teur, 5 rue Laromiguière, 75005 Paris

ISBN : 978‑2‑200‑28216‑5

sommaireIntroduction l9

Une his toire qui s’accé lère l9

L’ana lyse éco no mique et son envi ron ne ment l11

Première partie La « révolution marginaliste »

Chapitre 1l Un nou veau para digme l15

1. La spé ci ficité de la « révo lu tion marginaliste » l171.1 Envi ron ne ment et dyna mique interne l181.2 Professionnalisation de la dis ci pline l20

2. Des clas siques aux néo classiques l222.1 Une nou velle ana lyse de la valeur et de la répar tition l222.2 Une vision dif fé rente de la société et de l’acti vité éco no mique l232.3 Un dépla ce ment du centre d’inté rêt l25

Chapitre 2l L’homo oeconomicus l27

1. De l’équi libre du consom ma teur à l’expres sion de la demande l281.1 Une pre mière repré sen ta tion de l’uti lité l281.2 L’éga li sa tion des uti li tés mar gi nales pon dé rées par les prix l301.3 Les débuts de la théo rie de la demande l321.4 La demande ana ly sée à par tir de l’équi libre du consom ma teur l331.5 De l’uti lité car di nale addi tive à l’uti lité ordi nale l351.6 La cri tique de Veblen l37

2. De l’équi libre du pro duc teur à l’expres sion de l’offre l382.1 La « loi des ren de ments décrois sants » l392.2 Le choix de la tech nique opti male l402.3 Le choix du volume de pro duc tion en courte période l422.4 Le choix du volume de pro duc tion en longue période l452.5 Firme repré sen ta tive et éco no mies externes l45

Chapitre 3l L’équi libre des mar chés l48

1. Les repré sen ta tions de l’équi libre l481.1 Équi libre par tiel ou équi libre géné ral l481.2 De la théo rie de l’échange à la théo rie de la pro duc tion l501.3 Le béné fice des entre pre neurs à l’équi libre l531.4 La réa li sa tion de l’équi libre l55

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2. Valeur et répar tition l572.1 À la recherche d’une « cause » unique l572.2 Les approches syn thé tiques l59

3. L’opti mum de Pareto l623.1 Un argu ment en faveur du libé ra lisme ? l633.2 Un cri tère d’effi ca cité, et non d’optimalité l65

Chapitre 4l Capi tal et mon naie l66

1. La théo rie walrasienne de la capi ta li sa tion l67

2. Capi tal et temps : la ten ta tive de Böhm- Bawerk l712.1 L’inté rêt l732.2 La tentative de Böhm- Bawerk l74

3. La théo rie symé trique de l’inté rêt de Fisher l77

4. La théo rie quan ti tative re visitée l804.1 Ser vice d’appro vi sion ne ment et encaisse dési rée l814.2 L’équa tion des échanges l81

Deuxième partie Les remises en cause de l’entre-deux-guerres

Chapitre 5l Concur rence impar faite et pla ni fi ca tion l87

1. La concur rence impar faite l871.1 La cri tique de la théo rie symé trique de la valeur l901.2 De la concur rence par faite au mono pole l91

2. Le débat occi den tal sur le cal cul éco no mique en régime socia liste l942.1 La thèse de l’impos si bi lité du cal cul éco no mique

en régime socia liste l952.2 Le mar ché simulé par le pla ni fi ca teur l98

3. Le débat éco no mique des années vingt en Union sovié tique l1013.1 La ques tion des rap ports agriculture- industrie l1013.2 La solu tion sta li nienne l104

Chapitre 6l Fluc tua tions et crises l106

1. Délais de fabri ca tion et durée de vie des équi pe ments l1081.1 Les effets du délai de réa li sa tion des inves tis se ments l1081.2 Les effets de la durée de vie des inves tis se ments l110

2. Créa tion moné taire et varia tion du détour de pro duc tion l1122.1 Le pro ces sus cumu la tif de Wicksell l1122.2 L’effet d’accor déon de Hayek l113

3. Inno va tions et cycles l1163.1 L’entre pre neur schumpeterien l1163.2 L’inno va tion, phé no mène dis continu l119

Chapitre 7l La « révo lu tion key né sienne » l122

1. Une crise anor male l1241.1 Les éco no mistes libé raux face à la crise l1251.2 Le point de vue de Keynes l127

2. Du chô mage invo lon taire à la pré fé rence pour la liqui dité l1282.1 L’équi libre « clas sique » de courte période l1292.2 La ques tion du sta tut de la mon naie l1322.3 Une théo rie moné taire de la pro duc tion l134

3. Les déter mi nants de la demande effec tive l1343.1 Consom ma tion et inves tis se ment l1363.2 L’inté rêt l1373.3 La réa li sa tion de l’équi libre épargne- investissement l1403.4 Prix et salaires l142

4. Les remèdes à la crise l1454.1 Faux remèdes l1454.2 Mon naie et bud get l1464.3 L’effi ca cité éco no mique de la pro tec tion sociale l147

Chapitre 8l Le capi ta lisme a- t-il un ave nir ? l149

1. Le capi ta lisme vic time de son suc cès l1501.1 Pour comprendre le capi ta lisme : Marx plu tôt que Walras l1501.2 Méta mor phose de l’inno va tion l151

2. La mon tée du pla nisme l1542.1 Un tout indis so ciable et menacé l1542.2 Reprendre la bonne route l157

3. L’inévi table « re- socialisation » de l’éco no mie l1583.1 L’éco no mique « encas tré » dans le social l1593.2 L’inno va tion ricardienne l160

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Troisième partie La synthèse imparfaite de l’après-guerre

Chapitre 9l La macro économie des « trente glo rieuses » l167

1. Le rai son ne ment key né sien for ma lisé l1721.1 Keynes relu par Hicks l1731.2 Keynes trahi ? l177

2. Le puzzle complété l1782.1 Poli tiques bud gé taire et moné taire en éco no mie ouverte l1782.2 Salaires, prix, chô mage l1792.3 L’ana lyse du sys tème pro duc tif l181

Chapitre 10l Les déve lop pe ments de la microé co nomie l185

1. Le renou vel le ment de la théo rie du consom ma teur l1851.1 L’aban don de l’hypo thèse d’uti lité mar gi nale décrois sante l1861.2 Une théo rie de la demande plus complexe l189

2. La théo rie moderne de l’équi libre géné ral l1912.1 Exis tence et sta bi lité de l’équi libre géné ral l1922.2 Sur plus dis tri buables et éco no mie de mar chés l194

3. La théo rie du commerce inter na tional l1963.1 Le théo rème d’Hecksher-Ohlin-Samuelson l1963.2 Le para doxe de Leontief l1993.3 L’échange inégal l200

4. L’éco no mie du bien- être l2014.1 Un pro gramme d’action pour les pou voirs publics l2024.2 Des dif fi cultés d’appli ca tion consi dé rables l2044.3 Un ava tar sovié tique de l’éco no mie du bien- être l206

Chapitre 11l Cambridge contre Cambridge l215

1. Le débat sur la crois sance l2101.1 L’insta bi lité de la crois sance selon Harrod et Domar l2111.2 La crois sance équi li brée de Solow l2131.3 Accu mu la tion et par tage de la valeur ajou tée l215

2. Le débat sur le capital l2182.1 Résur gence ricardienne l2202.2 De Ricardo à Böhm- Bawerk l2222.3 La contro verse sur le « retour des tech niques » l2242.4 La trans for ma tion des valeurs en prix re visitée l2262.5 De l’impos sible trans for ma tion au « théo rème mar xien

fon da men tal » l228

Chapitre 12l L’État- providence en ques tion l231

1. La contre- révolution libé rale l2321.1 L’inef fi ca cité des poli tiques de la demande l2331.2 Les effets per vers de l’inter ven tion publique sur l’offre l2371.3 Une nou velle lec ture de l’État et de ses rela tions avec le mar ché l239

2. La fin de l’His toire ? l2422.1 L’adieu au commissaire- priseur l2422.2 Compor te ments stra té giques, incer ti tude radi cale,

ratio na lité limi tée l2452.3 Coûts de tran sac tion et diver sité des arran ge ments

ins ti tution nels l2472.4 Crois sance endo gène et déve lop pe ment humain l248

3. Éco lo gie et éco no mie l2483.1 Une rela tion his to ri que ment fluc tuante l2493.2 Res sources natu relles l2533.3 Biens envi ron ne men taux l2573.4 Ser vices écosystémiques l2613.5 « Gou ver ner les communs » l263

UNE HIS TOIRE QUI S’ACCÉ LÈRE

Ce deuxième tome se veut un guide d’accès aux grands cou rants qui ont mar qué la réflexion éco no mique depuis le der nier tiers du xixe  siècle. Comme le pre mier tome, ce guide n’est nul le ment exhaus tif, la lisi bilité ne fai sant pas bon ménage avec l’encyclopédisme dans un ouvrage de cette taille. Si l’inconvé nient de l’arbi traire qu’implique la sélec ti vité n’est pas nou veau, la proxi mité du présent accroît encore la dif fi culté des choix : alors que l’absence de recul rend les effets de mode moins dis cer­nables, l’his toire semble s’accé lé rer. En effet, la période cou verte par ce volume est celle de la professionnalisation de l’ana lyse éco no mique : aux phi lo sophes, méde cins, ecclé sias tiques, hommes d’affaires, pro phètes de la révo lu tion et autres bri co leurs ins pi rés de l’éco no mie poli tique, suc­cèdent les gros bataillons d’éco no mistes pro fes sion nels, reliés entre eux par un réseau dense d’ins ti tutions, de publi ca tions spé cia li sées et de colloques et appli quant métho di que ment au champ qu’ils cultivent le prin­cipe smithien de la divi sion du tra vail. Il en résulte une crois sance consi­dé rable de la pro duc tion de lit té ra ture éco no mique et une élé va tion rapide de sa tech ni cité.

Rendre compte de cette évo lu tion foi son nante, avec conci sion et sans ver ser dans l’éso té risme, relève cer tai ne ment de la gageure. L’affaire est d’autant moins simple que la muta tion socio lo gique évo quée ci­ dessus n’a pas fait dis pa raître les bizar re ries qui affec taient jusque­ là l’his toire de la pen sée éco no mique : celle­ ci reste ponc tuée de résur gences doc tri nales et la concur rence entre para digmes rivaux, mal gré la sophis ti cation crois sante des méthodes d’ana lyse, se solde rare ment par des résul tats indis cu tables (Texte 1). En effet, l’expé ri men ta tion reste en éco no mie une opé ra tion hau­te ment pro blé ma tique (Texte 2), et les pré fé rences doc tri nales conti nuent à inter fé rer avec les ana lyses posi tives (Texte 3).

INTRO DUC TION

10HIS TOIRE DES IDÉES ÉCO NO MIQUES DE WALRAS AUX CONTEM PO RAINS INTRODUCTION

TEXTE 1. MALINVAUD – La concur rence des modèlesUn éco no miste éprouve des sen ti ments mixtes lorsqu’il s’inter roge sur la por tée des modèles éco no mé triques qui sont des ti nés à pré pa rer de façon objec tive la poli tique macro écono mique. D’une part, ces modèles font par tie du corps des connais sances rela tives aux phé no mènes éco no miques, puisque, par tant des spé ci fi ca tions fon dées sur les concep tions qui pré valent quant à ces phé no mènes, ils ont été ajus tés aux séries sta tistiques et révi sés à la lumière de l’expé rience accu mu lée à tra vers le monde depuis une ving taine d’années. Un éco no miste qui négli ge rait les modèles éco no mé triques res sem ble rait à un phy si cien igno rant les expé riences qui se déroulent en labo ra toire. D’autre part, la per for mance de ces modèles n’est pas impres­sion nante, et la repré sen ta tion qu’ils donnent des phé no mènes éco no miques n’est pas facile à inter préter […]. Même quand ils se rap portent à une éco no mie par ti cu lière ils dif fèrent entre eux par cer taines de leurs spé ci fi ca tions, et les dif fé rences sont sou vent essen tielles, aucun modèle ne domi nant clai re ment ses prin ci paux concur rents.

Edmond Malinvaud, Essais sur la théo rie du chô mage, Calmann- Lévy, Paris, 1983, p. 19-20.

TEXTE 2. LEONTIEF – Les dif fi cultés de l’expé ri men ta tion en éco no mieÀ la dif fé rence de la plu part des sciences phy siques, nous étu dions un sys tème qui n’est pas seule ment extrê me ment complexe mais qui est en constant état de mouvement. Je fais ici allu sion non pas aux varia tions évi dentes des variables telles que pro duc tions, prix ou niveaux d’emploi, que nos équa tions sont cen sées expli quer, mais aux rela tions struc­tu relles fon da men tales que décrivent la forme et les para mètres de ces équa tions. Pour savoir ce qu’est à tout moment la confi gu ra tion de ces rela tions struc tu relles, il nous faut les main te nir sous sur veillance constante […]. Au niveau rela ti ve ment super fi ciel auquel l’ana­lyse éco no mique empi rique opère actuel le ment, même les plus inva riables des rela tions struc tu relles qui décrivent le sys tème changent rapi de ment. À défaut d’un apport constant de don nées nou velles, le stock exis tant d’infor ma tions à base de faits devient très vite périmé. Quel contraste avec la phy sique, la bio lo gie ou même la psy cho lo gie, où la gran deur de la plu part des para mètres est pra ti que ment constante et où les expé ri men ta tions et les mesures essen tielles n’ont nul besoin d’être répé tées chaque année !

Wassily Leontief, Essais d’éco no miques, trad. fran çaise Calmann- Lévy, Paris, 1974, p. 16-17.

TEXTE 3. FRIEDMAN – L’inter fé rence des juge ments de fait et de valeurComment se fait­ il qu’après près de deux siècles de tra vaux éco no miques pré ten du ment scien ti fiques (ils prirent leur essor à par tir de La Richesse des Nations, d’A dam Smith, publié en 1776), après de nom breuses études empi riques très éla bo rées, après de tout aussi nombreuses dis cus sions entre éco no mistes, ces der niers puissent encore n’être pas d’accord sur des ques tions aussi simples que l’inci dence d’une aug men ta tion d’impôt sur la pres sion infla tion niste, l’effet de la poli tique moné taire sur le niveau des taux d’inté rêt, et la

11HIS TOIRE DES IDÉES ÉCO NO MIQUES DE WALRAS AUX CONTEM PO RAINS

INTRODUCTION

rela tion entre le prix de l’or et le pro blème de la balance des paie ments, en dehors même de tout débat sur la mise en appli ca tion des mesures rete nues ? […] Bien que je demeure per­suadé que les conflits d’ori gine scien ti fique sont beau coup plus impor tants que les oppo si­tions se rap por tant aux juge ments de valeur, cette convic tion souffre cer taines excep tions dont il m’a fallu tenir de plus en plus compte. Il se pro duit ainsi de nom breuses inter ac tions entre les pro po si tions scien ti fiques et les juge ments de valeur […]. Une per sonne comme moi, qui consi dère la liberté essen tielle pour le bon fonc tion ne ment des rela tions entre les indi vi dus, et qui pense (cette fois, non plus sur le mode de la convic tion, mais avec des preuves scien ti fiques à l’appui) que pour pré ser ver la liberté il faut limi ter le rôle du gou­ver ne ment et accor der une impor tance pri mor diale à la pro priété pri vée, au libre mar ché, et aux accords de volonté, sera natu rel le ment por tée à ne pas dou ter des effets pré cis que pour raient avoir des mesures favo rables à une poli tique fon dée sur la libre concur rence. D’un autre côté, celui qui consi dère le bien­ être ou la sécu rité comme pri mor diaux et qui pense (encore une fois en fonc tion d’une ana lyse rigou reuse) que ces objec tifs ont le plus de chances d’être atteints par des actions gou ver ne men tales des ti nées à contrô ler et à régu­la ri ser l’acti vité pri vée, fera taire ses doutes sur le bien­ fondé d’une poli tique de diri gisme éco no mique. Cha cun trou vera éga le ment des rai sons qui plai de ront en faveur de l’inter ven­tion gou ver ne men tale ou du « laisser­ faire ».

Milton Friedman, Infla tion et sys tèmes moné taires (1968), trad. fran çaise Calmann- Lévy, Paris, 1976, p. 40-41 et p. 45-46.

L’ANA LYSE ÉCO NO MIQUE ET SON ENVI RON NE MENT

La professionnalisation de la réflexion éco no mique semble sou vent dis­tendre le lien que celle­ ci entre te nait avec son envi ron ne ment. Il serait pour­tant naïf de croire qu’en s’habillant d’équa tions, cette réflexion a quitté le monde de l’his toire et de ses rebon dis se ments impré vus pour se trans for mer en un vaste Mec cano : de la crise de 1929 à celle de 1974, de la révo lu tion d’octobre à l’effon dre ment du commu nisme, les grands évé ne ments du xxe siècle bous culent les idées éta blies. Aussi ne nous abstiendrons­ nous pas de les évo quer lorsque cela nous semble utile, cou rant le risque de mécontenter les « abso lu tistes » (qui veulent expli quer l’his toire d’une dis ci­pline essen tiel le ment par sa dyna mique interne), sans véri ta ble ment satis­faire les « relativistes » (pour qui le contexte explique tout ou presque). Nous espé rons l’indul gence du lec teur pour les incer ti tudes épis té mo lo giques de ce « rela ti visme modéré ».

La pre mière par tie de ce second tome est consa crée à la « révo lu tion marginaliste » qui, à la char nière des xixe et xxe siècles, fonde la théo rie néo­classique, axe cen tral de la pen sée éco no mique au xxe siècle et, aujourd’hui

12HIS TOIRE DES IDÉES ÉCO NO MIQUES DE WALRAS AUX CONTEM PO RAINS INTRODUCTION

encore, réfé rence majeure de la plu part des éco no mistes. Pour tant cette nou­velle théo rie sus cite rapi de ment des inter ro ga tions et des remises en cause, qui marquent par ti cu liè re ment la période trou blée de l’entre­ deux­guerres et font l’objet de la seconde par tie : y seront pré sen tés les débats sur la nature de l’orga ni sa tion éco no mique et les formes de la concur rence, les fluc tua­tions et les crises, les conjec tures sur l’ave nir du capi ta lisme, et bien sûr la « révo lu tion key né sienne » qui, dans une large mesure, consti tue l’acte de nais sance de la macro économie moderne. La troi sième par tie aborde quelques­ uns des déve lop pe ments de l’après­ guerre (en fait sou vent amor cés dès les années trente) : après l’ambi tieuse syn thèse des idées néo classiques et key né siennes que les éco no mistes cherchent à construire pen dant la période des « trente glo rieuses » (1945­1974), on exa mi nera les lézardes qui appa raissent dans l’édi fice et, à la faveur des dif fi cultés s’accu mu lant à par tir des années soixante­dix, en viennent à l’ébran ler sérieu se ment. Ce petit livre tentera, pour finir, de don ner un aperçu des débats qui agitent les éco no­mistes, depuis que l’opti misme des « trente glo rieuses » a fait place à des juge ments plus nuan cés sur notre capa cité à domp ter le tigre…

Par rap port à la pré cé dente édi tion de ce volume, la pré sente édi tion se carac té rise par deux ajouts : un cha pitre, dans la 2e par tie, consa cré aux conjec tures sur l’ave nir du capi ta lisme for mu lées pen dant la Seconde Guerre mon diale et une 3e sec tion, dans le der nier cha pitre de l’ouvrage, consa crée aux rela tions entre éco no mie et éco lo gie dans la pen sée éco no mique de la fin du xxesiècle.

PAR TIE 1LA « RÉVO LU TION MARGINALISTE »

CHA PITRE 1. UN NOU VEAU PARADIGMECHA PITRE 2. L’HOMO OECONOMICUSCHA PITRE 3. L’ÉQUI LIBRE DES MAR CHÉSCHA PITRE 4. CAPI TAL ET MON NAIE

CHA PITRE 1UN NOU VEAU PARA DIGME

1. LA SPÉ CI FICITÉ DE LA RÉVO LU TION MARGINALISTE2. DES CLAS SIQUES AUX NÉO CLASSIQUES

L es années 1870­1914 sont celles du capi ta lisme triom phant dans les pays gagnés par la révo lu tion indus trielle, où une nou velle vague d’inno va­

tions, concer nant notam ment les indus tries chi miques et élec triques, dyna mise la crois sance à par tir de la fin du xixe siècle. L’expan sion ne se fait cepen dant pas sans heurts : le pro ces sus de crois sance reste entre coupé de réces sions pro­fondes, et la riva lité entre grandes puis sances s’aiguise dans le cadre du par­tage du monde qui se réa lise à cette époque (cf. tome I, cha pitre 9).

Sur le plan des idées éco no miques, cette période est mar quée par un renou vel le ment de grande ampleur. Alors que la théo rie clas sique semble avoir atteint ses limites et que le mar xisme est ignoré de la plu part des éco no­mistes, une nou velle théo rie émerge dans les années 1870 à tra vers les tra vaux de Jevons, Menger et Walras (Repère 1). Par la suite appe lée « néo classique » ou « marginaliste », elle génère des habi tudes de pen sée, des repré sen ta tions, des tra di tions péda go giques dont l’ensemble res semble fort à ce que Kuhn appelle un nou veau para digme (cf. tome I, intro duc tion). Bien que sou vent contesté, ce para digme va domi ner la réflexion éco no mique jusqu’à nos jours, et à ce titre nous le retrou verons tout au long de cet ouvrage.

Les quatre cha pitres de la pre mière par tie sont consa crés à la for ma tion du « noyau cen tral » de la théo rie néo classique, qui s’effec tue globalement pen dant la période 1870­1914. On trou vera dans ce pre mier cha pitre une esquisse des traits dis tinctifs de la nou velle théo rie, et dans les trois sui vants

16HIS TOIRE DES IDÉES ÉCO NO MIQUES DE WALRAS AUX CONTEM PO RAINSUN NOU VEAU PARA DIGME

une ana lyse de ses prin ci paux compo sants : équi libre des indi vi dus et des mar chés, théo rie du capi tal et de la mon naie.

 REPÈRE 1 Les pères de la « révo lu tion marginaliste »

William Stanley JEVONS (1835­1882) : éco no miste anglais, pro fes seur de logique et d’éco no­mie poli tique à Manchester, Jevons est l’auteur de divers ouvrages de logique, d’éco no mie pure et d’éco no mie appli quée. Dans ce der nier domaine on lui doit notam ment des tra vaux sur les ques tions moné taires (en 1863, dans Une chute sérieuse de la valeur de l’or, il étu die, à par tir d’un indice pon déré de prix, le lien entre l’arri vée d’or d’Australie et l’infla tion) et sur les cycles éco no miques (son ouvrage de 1878 sur Les crises commer ciales et les taches solaires consti­tue une ten ta tive mal heu reuse pour expli quer les cycles éco no miques à par tir des effets sup­po sés des taches solaires sur les récoltes). Sur le ter rain de l’éco no mie pure, Jevons s’oppose aux concep tions de Stuart Mill, alors domi nantes en Grande­ Bretagne, se montre par ti san du recours aux mathéma tiques et pro pose une théo rie sub jec tive de la valeur fai sant appel au prin cipe mar gi nal ; si l’essen tiel de ses thèses en la matière se trouve dans sa Théo rie de l’éco­no mie poli tique publiée en 1871, c’est dès 1862 qu’il expose, dans une commu ni ca tion à un congrès, le concept de « degré final d’uti lité » (appelé par la suite uti lité mar gi nale).Carl MENGER (1840­1921) : éco no miste autri chien, pro fes seur à l’uni ver sité de Vienne, Menger publie en 1871 un ouvrage inti tulé Les fon de ments de l’éco no mie poli tique dans lequel il expose une théo rie de la valeur fon dée sur l’uti lité mar gi nale des mar chan dises. Éla bo rée indé pen dam­ment de celle de Jevons, cette théo rie est iden tique sur le fond, mais for mu lée en termes dif fé­rents : met tant l’accent sur la dimen sion psy cho lo gique de sa théo rie, Menger n’uti lise pas les mathéma tiques. Si son ana lyse s’oppose clai re ment à celle des clas siques anglais, c’est avant tout aux thèses de l’école his to rique (cf. tome 1, cha pitre 4), alors domi nante en Allemagne, que Menger s’attaque (Les erreurs de l’historicisme dans l’éco no mie alle mande, 1884).Léon WALRAS (1834­1910) : fils et dis ciple de l’éco no miste Auguste Walras (1800­1866) qui fut un des pion niers de l’appli ca tion des mathéma tiques à l’étude des ques tions éco no miques, Léon Walras fut élève de l’École des Mines, jour na liste, et devint pro fes seur d’éco no mie poli­tique à l’uni ver sité de Lausanne (Suisse). Les tra vaux de Walras sont regrou pés dans ses Élé­ments d’éco no mie poli tique pure ou théo rie de la richesse sociale (1874), ses Études d’éco no mie sociale (1896) et ses Études d’éco no mie appli quée (1898). Bien que Walras atta chât lui­ même une grande impor tance à ses tra vaux d’éco no mie appli quée et d’éco no mie sociale (où il étu die le pro blème de la jus tice sociale et se pro nonce pour la natio na li sation des terres), c’est essen­tiel le ment sa contri bu tion à l’éco no mie pure – qu’il consi dé rait comme une « science natu relle », ou encore comme « une branche des mathéma tiques » –  qui lui valut de pas ser à la pos té rité : outre une théo rie de la valeur sem blable à celles de Jevons et Menger mais éla bo rée indé pen­dam ment de ces deux auteurs, cette contri bu tion comporte une pre mière for mu la tion de la théo­rie de l’équi libre géné ral. Consi déré aujourd’hui comme un des plus grands éco no mistes de tous les temps, Walras fut pen dant long temps lar ge ment méconnu, sin gu liè re ment dans son pays.

17HIS TOIRE DES IDÉES ÉCO NO MIQUES DE WALRAS AUX CONTEM PO RAINS

UN NOU VEAU PARA DIGME

1. LA SPÉ CI FICITÉ DE LA « RÉVO LU TION MARGINALISTE »

La publi ca tion presque simul ta née des tra vaux de Jevons, Menger et Walras déclenche un phé no mène sou vent dési gné depuis sous l’appel la tion de « révo lu­tion marginaliste ». De façon indé pen dante et sous des appel la tions dif fé rentes (Jevons parle de « degré final d’uti lité », Menger d’« utilité­ limite », Walras de « rareté »), ces trois auteurs dégagent en effet la notion d’« uti lité mar gi nale » (Repère 2) à par tir de laquelle va se consti tuer la nou velle théo rie. L’émer gence de celle­ ci pré sente cer taines par ti cu la ri tés : rôle réduit de l’envi ron ne ment éco­no mique, trans for ma tion pro fonde des condi tions de la recherche.

REPÈRE 2 Les gran deurs mar gi nales

La « révo lu tion marginaliste » doit son nom à l’impor tance que revêtent les gran deurs « mar gi nales » dans la théo rie néo classique : uti lité mar gi nale, pro duc ti vité mar gi nale, coût mar gi nal… Dans toutes ces expres sions, fami lières aux lec teurs des manuels de microé co­nomie, le qua li fi ca tif « mar gi nal » fait réfé rence à la notion de petite varia tion, ou varia tion « à la marge ». De façon plus pré cise, lorsqu’une variable Y dépend d’une autre variable X, la gran deur « Y mar gi nale » est le rap port :

dY / dXoù dX repré sente une petite varia tion de X, et dY la varia tion de Y qui en résulte. Si dX est posi tif, le rap port ci­ dessus repré sente la varia tion moyenne de Y par unité sup plé men taire de X (mathéma ti que ment, ce rap port est la déri vée de Y par rap port à X). Il est d’une extrême impor tance de sou li gner que ce rap port doit être cal culé toutes choses égales par ailleurs, ce qui signi fie que tous les élé ments, autres que X, qui sont sus cep tibles d’influer sur Y, doivent être main te nus « au repos » (lorsque Y est une fonc tion de plu sieurs variables, les mathéma­ti ciens parlent de « déri vée par tielle », et écrivent le rap port ci­ dessus ∂Y / ∂X). On pré sente ci­ dessous les trois appli ca tions les plus cou rantes de ce concept.1) Uti lité mar gi nale. Si la satis faction reti rée par un indi vidu de sa consom ma tion est repré sen tée par une note chif frée U (pour « uti lité »), on appelle uti lité mar gi nale de la consom ma tion du bien X pour cet indi vidu le rap port :

dU / dXoù dU est la varia tion du niveau de satis faction pro vo quée par une petite varia tion dX de la quan tité consom mée du bien X, toutes choses égales par ailleurs. Si dX est posi tif, l’uti lité mar gi nale repré sente le sup plé ment d’uti lité pro curé par la consom ma tion d’une unité sup plé­men taire de bien X (en termes approxi ma tifs, « l’uti lité de la der nière unité consom mée »)2) Pro duc ti vité mar gi nale. Lorsque la quan tité d’un fac teur X (par exemple le tra vail) employée dans la pro duc tion d’un bien varie légè re ment (les autres fac teurs res tant inchan­gés), la pro duc ti vité mar gi nale de ce fac teur est défi nie par le rap port :

dQ / dX

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où dQ est la varia tion de la pro duc tion engen drée par la petite varia tion dX de la quan tité uti li sée du fac teur X (si dX est posi tif, ce rap port repré sente le sup plé ment de pro duc tion obtenu par unité sup plé men taire de fac teur X, toutes choses égales par ailleurs).3) Coût mar gi nal. Si une petite varia tion dQ du volume d’une pro duc tion engendre une varia tion dCT du coût total de cette pro duc tion, on appelle coût mar gi nal le rap port :

dCT / dQSi dQ est posi tif, le coût mar gi nal repré sente la varia tion du coût total par unité sup plé men­taire pro duite (en termes approxi ma tifs, « le coût de la der nière unité pro duite »).

1.1 ENVI RON NE MENT ET DYNA MIQUE INTERNE

Par rap port au mer can ti lisme ou à la théo rie clas sique, il est plus dif fi cile de relier l’émer gence de la nou velle théo rie à l’évo lu tion de l’envi ron ne­ment éco no mique. Cer tains s’y sont essayés, tel le mar xiste russe Nicolas Boukharine (1888­1938) dans son Éco no mie poli tique du ren tier (1914), mais sa ten ta tive pour expli quer l’avè ne ment de la théo rie néo classique à par tir de celui d’une couche de bour geois ren tiers dans un capi ta lisme sup­posé en voie de déca dence ne semble aujourd’hui guère convain cante, si jamais elle l’a été. Remar quons au pas sage que la thèse fai sant du mar gi na­lisme une réponse idéo lo gique de la bour geoi sie au Capi tal de Marx néglige le fait que les pre miers marginalistes igno raient tout de cette œuvre (comme Marx semble avoir ignoré les tra vaux de Jevons, Walras ou Menger).

Bien plus que de l’évo lu tion du capi ta lisme contem po rain, la « révo lu­tion marginaliste » semble résul ter de la dyna mique interne de la réflexion éco no mique, confron tée à des pro blèmes sur les quels a choppent les ana lyses tra di tion nelles (en par ti cu lier la ques tion de la valeur), et expé ri men tant de nou veaux outils d’ana lyse. Sur ce plan, la grande nou veauté est le recours au for ma lisme mathéma tique. Même si tous les néo classiques ne par tagent pas l’enthou siasme de Walras pour cet ins tru ment, on peut dire qu’avec la « révo lu tion marginaliste » les mathéma tiques, déjà accli ma tées au milieu du xixe siècle par quelques pion niers comme Augustin Cournot (1801­1877), font leur entrée en force dans le dis cours éco no mique. Les méthodes uti li sées ont évo lué depuis lors, les théo ri ciens d’aujourd’hui ayant ten dance à délais ser les déri vées au pro fit de la topo lo gie ou de la pro gram ma tion linéaire ; mais la lec ture des manuels élé men taires comme celle des ouvrages avan cés indique clai re ment que la ten dance à la mathéma ti sation du rai son ne ment n’a fait que se ren for cer en éco no mie depuis les pre miers tra vaux sur l’uti lité mar gi nale.

Sans doute cette ten dance résulte­ t­elle, pour une large part, de la nature même de la démarche néo classique, fon dée sur l’étude de compor te ments

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UN NOU VEAU PARA DIGME

indi vi duels de maxi mi sa tion sous contrainte (voir ci­ dessous). Mais il faut aussi évo quer l’influ ence des sciences de la nature, en par ti cu lier la méca­nique clas sique. Celle­ ci consti tuait en effet, au xixe siècle, un modèle pour les cher cheurs des autres dis ci plines, qui sou vent essayaient de trans po ser à leur domaine les outils d’ana lyse ayant fait leurs preuves dans les sciences phy siques. L’éco no mie pure de Walras (Texte 4) illustre bien ce phé no mène : même concep tion de l’équi libre vu comme un état de repos résul tant de la neu tra li sa tion de forces oppo sées ; même concep tion du temps, dans laquelle les tra jec toires des objets étu diés sont par fai te ment déter mi nées à par tir de la connais sance de leur loi de mou ve ment et de « condi tions ini tiales » arbi­trai re ment don nées (le hasard, exclu du modèle de Walras, sera réin tro duit par ses suc ces seurs, mais dans leurs modèles le futur res tera soi gneu se ment cir conscrit par des lois de pro ba bi lité).

TEXTE 4. WALRAS – L’éco no mie et les sciences de la natureIl est à présent bien cer tain que l’éco no mie poli tique est, comme l’astro no mie, comme la méca nique, une science à la fois expé ri men tale et ration nelle. Et on ne pourra pas lui repro­cher d’avoir trop tardé à revê tir le second carac tère avec le pre mier. L’astro no mie de Kepler et la méca nique de Galilée ont mis de cent à cent cin quante ou deux cents ans à deve nir l’astro no mie de Newton et de Laplace et la méca nique de d’Alembert et de Lagrange. Or il s’est écoulé moins d’un siècle entre l’appa ri tion de l’ouvrage d’A. Smith et les ten ta tives de Cournot, de Gossen, de Jevons, et la mienne. Nous étions donc à notre poste, et nous avons rem pli notre tâche. Si la France du xixe siècle, qui a vu naître la science nou velle, s’en est complè te ment désin té res sée, cela tient à cette concep tion, d’une étroi tesse bour geoise, de la culture intel lec tuelle qui la lui fait par ta ger en deux zones dis tinctes : l’une pro dui­sant des cal cu la teurs dépour vus de connais sances phi lo sophiques, morales, his to riques, éco no miques, et l’autre où fleu rissent des let trés sans aucunes notions mathéma tiques. Le xxe siècle, qui n’est pas loin, sen tira le besoin, même en France, de remettre les sciences sociales aux mains d’hommes d’une culture géné rale, habiles à manier à la fois l’induc tion et la déduc tion, le rai son ne ment et l’expé rience. Alors l’éco no mie mathéma tique pren dra son rang à côté de l’astro no mie et de la méca nique mathéma tiques ; et, ce jour­ là aussi, jus tice nous sera ren due.

Léon Walras, Élé ments d’éco no mie poli tique pure, pré face à la 4e édi tion (1900). LGDJ 1952 (extrait).

 La trans po si tion au domaine éco no mique des méthodes des sciences de la

nature appa raît tou te fois inop por tune à cer tains néo classiques, en par ti cu lier autri chiens. Repré sen tée dans la période récente par Hayek (Texte 5), cette ten dance réfrac taire à la mathéma ti sation de l’éco no mie dénonce, au nom

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du « sub jec ti visme » censé carac té ri ser les sciences sociales, les illu sions « objectivistes » que sus cite une telle trans po si tion (notam ment la concep­tion de la société comme une machine qu’un ingé nieur pour rait pilo ter).

 TEXTE 5. HAYEK – L’éco no mie et les sciences de la nature (suite)

Au cours de son lent déve lop pe ment au xviiie siècle et au début du xixe siècle, l’étude des phé no mènes éco no miques et sociaux fut essen tiel le ment gui dée dans le choix de ses méthodes par la nature des pro blèmes aux quels elle eut à faire face. Des tech niques adap­tées à ces pro blèmes se déve lop pèrent pro gres si ve ment sans beau coup de réflexion sur le carac tère de ces méthodes ni sur leurs rela tions avec celles des autres dis ci plines de la connais sance. Ceux qui s’a donnèrent à l’étude de l’éco no mie poli tique purent alter na ti ve­ment la décrire comme une branche de la science ou de la phi lo sophie morale ou sociale sans éprou ver le moindre scru pule sur la ques tion de savoir si leur sujet était scien ti fique ou phi lo sophique. Le terme de « science » n’avait pas encore acquis le sens spé cial et étroit qu’il a aujourd’hui. […] Dans la pre mière moi tié du xixe siècle, une nou velle atti tude se fit jour. Le terme de « science » fut de plus en plus res treint aux dis ci plines phy siques et bio lo giques qui commen cèrent au même moment à pré tendre à une rigueur et à une cer­ti tude par ti cu lières qui les dis tin gue raient de toutes les autres. Leur suc cès fut tel qu’elles en vinrent bien tôt à exer cer une extraor di naire fas ci na tion sur ceux qui tra vaillaient dans d’autres domaines ; ils se mirent rapi de ment à imi ter leur ensei gne ment et leur voca bu laire. Ainsi débuta la tyran nie que les méthodes et les tech niques des Sciences au sens étroit du terme n’ont jamais cessé depuis lors d’exer cer sur les autres dis ci plines. Celles­ ci se sou­cièrent de plus en plus de reven di quer l’éga lité de sta tut en mon trant qu’elles adop taient les mêmes méthodes que leurs sœurs dont la réus site était si brillante, au lieu d’adap ter davan tage leurs méthodes à leurs propres pro blèmes. Cette ambi tion d’imi ter la Science dans ses méthodes plus que dans son esprit allait, pen dant quelque cent vingt ans, domi ner l’étude de l’homme, mais elle a dans le même temps à peine contri bué à la connais sance des phé no mènes sociaux ; elle conti nue cepen dant non seule ment à dérou ter et à dis crédi­ter les tra vaux des dis ci plines sociales, mais on pré sente encore toute demande de pro grès nou veau dans cette direc tion comme la der nière inno va tion révo lu tion naire capable de leur assu rer – si on l’adop tait – une avan cée rapide et insoup çon née.

Friedrich Von Hayek, Scien tisme et sciences sociales (1952), trad. fran çaise Plon, 1953, cha pitre I (extrait).

1.2 PROFESSIONNALISATION DE LA DIS CI PLINE

La « révo lu tion marginaliste » inter vient à un moment où l’acti vité d’éco­no miste se professionnalise et s’orga nise. À cette époque en effet, on assiste à la créa tion de nom breuses chaires d’éco no mie poli tique dans les uni ver­si tés (1870 à Lausanne, 1871 à Harvard…), à la for ma tion des pre mières

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UN NOU VEAU PARA DIGME

asso cia tions de spé cia listes (l’American Economic Asso cia tion en 1885, la Royal Economic Society en 1890…) et à la mul ti pli cation des revues éco no miques (Economic Jour nal, Jour nal of Political Economy, American Economic Review…).

Ce mou ve ment a pour effet d’accé lé rer la dif fu sion des recherches à l’échelle inter na tionale, si bien que la « nou velle éco no mique » devient rapi­de ment le champ d’inves ti gation de cen taines de cher cheurs tra vaillant au sein d’ins ti tutions spé cia li sées, et non plus de quelques iso lés comme c’était le cas jusque­ là. L’éco no mie devient une dis ci pline uni ver si taire à part entière, et rapi de ment l’éco no mie uni ver si taire s’iden ti fie un peu par tout (à la notable excep tion de la France) à la nou velle théo rie. Tou te fois celle­ ci ne forme pas un bloc mono li thique, et l’on peut dis tin guer en son sein plu sieurs cou rants, entre les quels existent par fois plus que des nuances (Repère 3).

 REPÈRE 3 Trois cou rants de la théo rie néo classique

On dis tingue habi tuel le ment, au sein de la théo rie néo classique pen dant la phase d’éla bo­ra tion de son « noyau cen tral », trois grands cou rants (qui sont tou te fois loin de regrou per la tota lité des éco no mistes se rat ta chant à la nou velle théo rie). Ces cou rants sont dési gnés par leur implan ta tion géo gra phique ori gi nelle :L’école de Lausanne : repré sen tée par Walras et par son suc ces seur à l’uni ver sité de Lausanne, l’ltalien Vilfredo Pareto (1848­1923), cette branche de la théo rie néo classique se carac té rise par un for ma lisme mathéma tique poussé, et a comme thème cen tral la théo rie de l’équi libre géné ral, c’est­ à­dire de l’équi libre simul tané sur l’ensemble des mar­chés. Pareto complète cette théo rie par une très impor tante théo rie des états effi caces, dits « opti mums de Pareto ». La théo rie de l’équi libre géné ral res tera rela ti ve ment igno rée jusque dans les années trente, où elle sera tirée de l’oubli par le Bri tan nique John Hicks (1904­1989, prix Nobel en 1972). Elle connaî tra ensuite d’impor tants déve lop pe ments avec les contri bu tions de l’Amé ri cain Kenneth Arrow (né en 1921, prix Nobel en 1972 en même temps que Hicks), de l’Amé ri cain d’ori gine fran çaise Gérard Debreu (1921­2004, prix Nobel en 1983) et du Fran çais Maurice Allais (1911­2010, prix Nobel en 1988).L’école de Cambridge : domi née par la per son na lité d’Alfred Marshall (1842­1924), pro­fes seur d’éco no mie à l’uni ver sité de Cambridge (Angleterre), cette branche de l’école néo classique se pré sente comme moins mathéma tique et plus concrète que l’école de Lausanne (Marshall vou lait que ses ouvrages puissent être « lus par les hommes d’affaires »). Alors que l’ana lyse de l’équi libre géné ral repose sur l’inter dé pen dance entre les dif fé rents mar chés, Marshall cherche à se débar ras ser des compli ca tions nées de cette inter dé pen dance en déve lop pant la méthode d’équi libre par tiel, qui consiste à étu dier un mar ché sous l’hypo thèse « toutes choses égales par ailleurs ». On lui doit éga le ment la

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dis tinction entre courte et longue périodes. Deve nue hégé mo nique en Grande­ Bretagne, la doc trine de Marshall est reprise et déve lop pée par Arthur Cecil Pigou (1877­1959) qui lui suc cède à Cambridge. Elle fera cepen dant, à par tir des années vingt, l’objet d’impor­tantes cri tiques de la part de cer tains de ses dis ciples, dont le plus célèbre est Keynes (cf. 2e par tie).L’école de Vienne : fon dée par Menger, la branche autri chienne de l’éco no mie néo classique a comme prin ci paux repré sen tants Friedrich von Wieser (1851­1926), Eugen von Böhm­ Bawerk (1851­1914), et plus tard Ludwig von Mises (1881­1973) et Friedrich von Hayek (1899­1992, prix Nobel en 1974). Les néo classiques autri chiens sont des adeptes rigou reux de l’indi vi dua lisme métho do lo gique (qui amè nera Hayek à reje ter toute forme de macro­économie), mettent l’accent sur la dimen sion psy cho lo gique de leur doc trine, refusent d’uti­li ser les mathéma tiques, et sou tiennent des posi tions libé rales intran si geantes. Étran gers au for ma lisme de l’équi libre géné ral, ils pro posent une théo rie cau sale de la valeur dans laquelle celle­ ci, déter mi née par l’uti lité, « remonte » des biens de consom ma tion vers les biens de pro duc tion (appe lés « biens d’ordre supé rieur »).

2. DES CLAS SIQUES AUX NÉO CLASSIQUES

Sug gé rant que la nou velle théo rie consti tue un simple pro lon ge ment de l’ancienne, le terme « néo classique » prête à confu sion. Certes il y a des points communs aux deux écoles, en par ti cu lier une large adhé sion aux prin cipes du libé ra lisme éco no mique, à la loi des débou chés et à la théo rie quan ti tative de la mon naie (cf. tome I, cha pitres 4 et 6). Pour tant les fon da teurs de la nou velle théo rie insistent sur leur oppo si tion aux thèses clas siques. Même si par la suite Marshall met l’accent sur les liens qui unissent « anciens » et « modernes », il semble bien, en effet, que les élé ments de dis conti nuité l’emportent.

2.1 UNE NOU VELLE ANA LYSE DE LA VALEUR ET DE LA RÉPAR TITION

Ce point est sans doute le plus évident : s’oppo sant à Smith et Ricardo, les néo classiques renouent avec les théo ries « sub jec tives » de la valeur autre­fois défen dues par Condillac, Turgot et Say (cf. tome I, cha pitre 5). Smith, rappelons­ le, refu sait de relier valeur d’échange et uti lité, en met tant en avant son para doxe de l’eau et du dia mant (en dépit de sa valeur d’usage beau coup plus forte, l’eau a nor ma le ment une valeur d’échange beau coup plus faible que le dia mant). Cette cou pure radi cale entre valeurs d’usage et d’échange devait être reprise par Ricardo et Marx, qui sur cette base allaient déve lop per des ver sions quelque peu dif fé rentes d’une théo rie « objec tive » de la valeur d’échange : la théo rie de la valeur­ travail.

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UN NOU VEAU PARA DIGME

Pre nant le contre­ pied de cette approche, les néo classiques ana lysent la valeur d’échange à par tir de l’uti lité. Leur inno va tion consiste à intro duire le prin cipe mar gi nal dans la vieille théo rie de la valeur­ utilité : les prix des biens de consom ma tion sont sup po sés pro por tion nels à leur uti lité mar gi­nale, c’est­ à­dire à l’uti lité de la der nière unité consom mée de chaque bien. Cette inno va tion per met de sur mon ter l’objec tion de Smith, car l’uti lité mar­gi nale est sup po sée varier en sens inverse de la quan tité consom mée (voir infra, cha pitre 2) : ainsi l’eau, géné ra le ment abon dante par rap port au dia­mant, a une uti lité mar gi nale faible par rap port à celui­ ci, d’où le faible prix de l’eau rela ti ve ment au dia mant.

Oppo sés sur la ques tion de la valeur, clas siques et néo classiques le sont évi dem ment aussi sur la ques tion de la répar tition : alors que les pre miers traitent les reve nus des capi ta listes et des pro prié taires fon ciers comme des « déduc tions » sur la valeur créée par le tra vail, les seconds consi dèrent ces reve nus, au même titre que les salaires, comme la rému né ra tion de « ser vices pro duc teurs ». Une nou velle fois les néo classiques rejoignent les vues de Say et, là encore, leur inno va tion majeure consiste à intro duire dans l’ana­lyse le prin cipe mar gi nal, en mon trant que les prix des ser vices pro duc teurs sont pro por tion nels aux pro duc ti vi tés mar gi nales des fac teurs.

2.2. UNE VISION DIF FÉ RENTE DE LA SOCIÉTÉ ET DE L’ACTI VITÉ ÉCO NO MIQUE

Der rière le désac cord sur la ques tion de la répar tition se trouvent deux visions dif fé rentes de la société. Alors que celle­ ci est, selon A dam Smith, struc tu rée en classes « dont les inté rêts ne sont nul le ment les mêmes », pour les néo classiques qui sont des par ti sans décla rés de l’indi vi dua lisme métho do lo gique (démarche consis tant à ana ly ser les phé no mènes sociaux à par tir des compor te ments indi vi duels), elle est peu plée d’indi vi dus sou ve­rains effec tuant des choix : tra vailler ou se repo ser, consom mer ou épar gner, man ger du pain ou de la brioche, etc. Les choix effec tués par chaque indi vidu résultent, non d’une quel conque logique de classe, mais du souci de tirer le meilleur parti des res sources dont il dis pose compte tenu des objec tifs qui lui sont propres, et qui sont sup po sés hié rar chi sés au sein d’une struc ture cohé rente. Ce souci défi nit l’indi vidu ration nel au sens de la théo rie néo­classique, « homo oeconomicus » pas sant le plus clair de son temps à éva luer les diverses pos si bi li tés qui s’offrent à lui, et sélec tion nant infailli ble ment celle qui maxi mise le niveau de sa fonction­ objectif (uti lité, pro fit) compte

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tenu des contraintes aux quelles il est sou mis. Le mar ché, pièce maî tresse de la vision néo classique de la société, est le lieu de ren contre de ces compor te­ments indi vi duels de maxi mi sa tion sous contrainte.

Les objets d’échange sont, pour une large part, des pro duits. La pro duc­tion est ana ly sée par les néo classiques comme une combi nai son de ser vices ren dus par des « fac teurs de pro duc tion » : tra vail, res sources natu relles (terres culti vables par exemple), machines… De cette vision de la pro duc­tion se dégage une dis tinction fon da men tale entre deux types de rôles éco­no miques : d’une part les entre pre neurs, qui orga nisent la combi nai son pro­duc tive, d’autre part les pro prié taires des fac teurs, qui louent ceux­ ci aux entre pre neurs, et uti lisent les reve nus tirés de cette loca tion à l’achat de pro­duits (Repère 4). Même si, dans la réa lité, l’entre pre neur coiffe plu sieurs cas quettes, d’un point de vue théo rique il est ainsi radi ca le ment dis tin gué des pro prié taires de fac teurs, et notam ment des « capi ta listes » pro prié taires des biens capi taux. En revanche, ces der niers sont rap pro chés des pro prié taires de terres et des pro prié taires de force de tra vail que sont les sala riés. Voi sine des idées de Say, cette vision de l’éco no mie est fort éloi gnée de celles de Smith ou de Ricardo, pour qui la dis tinction entre capi ta listes et entre pre­neurs était sans inté rêt théo rique.

 REPÈRE 4 Vue sché ma tique du fonc tion ne ment de l’éco no mie selon la théo rie néo classique

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UN NOU VEAU PARA DIGME

Commen taire1) Les fac teurs de pro duc tion comprennent les fac teurs pri maires (tra vail, res sources natu relles) et les fac teurs, appe lés capi taux ou biens capi taux, qui sont eux­ mêmes le résul tat d’une pro duc tion (machines…). La combi nai son des ser vices de ces fac teurs par les entre pre neurs donne nais sance à des pro duits, qui sont des ti nés à la consom ma tion finale, ainsi qu’au renou vel le ment et à l’accrois se ment du stock de capi taux.2) Les ser vices pro duc teurs cor res pondent à l’usage, pen dant une période déter mi née, des fac teurs de pro duc tion. Le mar ché des ser vices pro duc teurs peut donc aussi être défini comme le mar ché loca tif des fac teurs, et les prix des ser vices pro duc teurs ne sont autres que les loyers des fac teurs.3) En pra tique les entre pre neurs sont éga le ment pro prié taires de fac teurs de pro duc tion (ils pos sèdent au moins leur capa cité de tra vail per son nelle) et consom ma teurs. Ils jouent donc simul ta né ment deux rôles dis tincts.

2.3. UN DÉPLA CE MENT DU CENTRE D’INTÉ RÊT

Per sua dés que sur des mar chés concur ren tiels les prix assurent, dans la plu part des cas, le bon fonc tion ne ment de la « main invi sible », les néo­classiques placent au cœur de leur ana lyse la ques tion de la for ma tion des prix. Cette ques tion est éga le ment fon da men tale chez les clas siques, mais la perspec tive est dif fé rente. En effet ceux­ ci étu dient la valeur et la répar­tition en liai son directe avec la ques tion de l’accu mu la tion : leurs ana lyses sont cen trées sur l’évo lu tion à long terme de l’éco no mie, sur les res sorts qui lui assurent un cer tain dyna misme et les fac teurs sus cep tibles d’affai blir ces res sorts. Chez les néo classiques cette perspec tive s’estompe, et l’atten tion se foca lise sur « l’étude du compor te ment humain comme une rela tion entre des fins et des moyens rares qui ont des usages alter na tifs », selon la célèbre défi ni tion de la science éco no mique pro po sée par Lionel Robbins (Un essai sur la nature et la signi fi ca tion de la science éco no mique, 1932).

La rareté et l’équi libre deviennent alors les deux concepts cen traux (Texte 6) : rareté mani fes tant la ten sion entre des objec tifs et des res sources insuf fi santes pour les satis faire tota le ment ; équi libre des indi vi dus résul tant de cette ten sion ; équi libre des mar chés éga le ment, les compor te ments indi­vi duels don nant lieu à des pro po si tions d’échange que les prix sont cen sés rendre compa tibles. Sans doute la concep tion néo classique de l’éco no mie, syn thé ti sée par la défi ni tion de Robbins, n’inter dit pas de s’inté res ser à l’accu mu la tion du capi tal. Mais la théo rie néo classique de la crois sance est essen tiel le ment un pro lon ge ment de la théo rie de l’équi libre.

 

26HIS TOIRE DES IDÉES ÉCO NO MIQUES DE WALRAS AUX CONTEM PO RAINSUN NOU VEAU PARA DIGME

TEXTE 6. WALRAS/CLARK – Deux concepts fon da men taux de la théo rie néo classique1) La raretéJ’appelle richesse sociale l’ensemble des choses maté rielles ou imma té rielles (car la maté­ria lité ou l’imma té ria lité des choses n’importe ici en aucune manière) qui sont rares, c’est­ à­dire qui, d’une part, nous sont utiles, et qui d’autre part, n’existent à notre dis po si tion qu’en quan tité limi tée […]. Je dis que les choses sont utiles dès qu’elles peuvent ser vir à un usage quel conque, dès qu’elles répondent à un besoin quel conque et en per mettent la satis faction. Ainsi, il n’y a pas à s’occu per ici des nuances par les quelles on classe, dans le lan gage de la conver sa tion cou rante, l’utile à côté de l’agréable entre le néces saire et le super flu. Néces saire, utile, agréable et super flu, tout cela, pour nous, est seule ment plus ou moins utile. Il n’y a pas davan tage à tenir compte ici de la mora lité ou de l’immo ra lité du besoin auquel répond la chose utile et qu’elle per met de satis faire. […] Je dis que les choses n’existent à notre dis po si tion qu’en quan tité limi tée du moment qu’elles n’existent pas en quan tité telle que cha cun de nous en trouve à sa por tée à dis cré tion pour satis faire entiè re ment le besoin qu’il en a. […] On voit, d’après cela, quel est ici le sens des mots rares et rareté. C’est un sens scien ti fique, comme celui des mots de vitesse en méca nique et de cha leur en phy sique.

Léon Walras, op. cit., 3e leçon, « De la richesse sociale » (extrait).

2) L’équi libreC’est un état de mobi lité par faite sans mou ve ment – celui d’atomes prêts à se mou voir, au moindre contact, sans le contact qui les met trait en mou ve ment. Le para doxe sou tient même que c’est la mobi lité idéa le ment par faite, qui a existé dans le passé, qui exclut, posi ti ve ment, le mou ve ment dans le présent. À un moment, dans le passé, le tra vail et le capi tal se sont dépla cés, de groupe en groupe, jusqu’à ce qu’ils aient déter miné une adap ta tion telle qu’ils n’ont plus de mobile de chan ge ment ulté rieur. La sur face d’un étang reste immo bile, non parce que l’eau n’est pas par fai te ment fluide, mais parce que, bien qu’elle soit par fai te ment libre de cou ler dans une direc tion si elle y est pous sée plus par ti cu liè re ment, cha cune de ses par ti cules est éga le ment pous sée dans toutes les direc tions. C’est l’équi libre par fait qui empêche les par ti cules de chan ger de place, et c’est la flui dité qui a engen dré l’équi libre. De même, quand le capi tal et le tra vail peuvent pro duire, et obte nir, autant dans un endroit que dans un autre, ils sont atti rés avec autant de force dans une direc tion que dans une autre, et par suite, ne se déplacent pas. […] La science éco no mique doit tenir compte de ce que seraient les valeurs, les salaires et l’inté rêt dans cet état, quelque impos sible qu’il soit que la société y par vienne jamais réel le ment. Les valeurs, les salaires et l’inté rêt, sur un mar ché réel, tendent tou jours vers les taux qui s’éta bli raient si l’état sta tique se réa li sait.

John Bates Clark, Élé ments fon da men taux de théo rie éco no mique, New York, 1907, trad. fran çaise, Paris, 1911,

cha pitre 8 (extrait), « L’équi libre des groupes indus triels ».