Histoire de plantes ArtichAut et cArdon Quels sont ces ... · — l’artichaut : Par œilletonnage...

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42 Histoire de plantes - Jardins de France 629 - Mai-juin 2014 De la famille des Astéracées (ex composées) et de la tribu des cynarées, Artichaut et Cardon, deux plantes très proches, sont des cultures légu- mières de plein champ et de jardins d’amateur. Le cardon se multiplie par semence alors que l’arti- chaut, au moins jusqu’à ces dernières années, se propage par drageons nommés œilletons. Ce sont des plantes de climat doux qui doivent être protégées contre le froid l’hiver en zones septen- trionales. Ils s’accommodent très bien du climat aux hivers peu prononcés de Bretagne. Le genre cynara L. est spontané dans le bassin médi- terranéen où l’on trouve plusieurs espèces dont le plus répandu est Cynara cardunculus L. qui serait à l’origine de l’Artichaut et du Cardon. D’ailleurs, l’espèce sauvage et les deux plantes cultivées sont parfaitement compatibles sexuellement. Il se présente sous la forme de rosette de feuilles attachées à un plateau épais emmagasinant des réserves pour le démarrage des bourgeons axillaires (œilletons) qui four- niront des hampes florales plus tard en saison. L’espèce sauvage est pérenne. On la trouve en Italie du Sud, en Sicile, en Sardaigne, en Corse, aux Baléares, en Tunisie et en Libye (Cyrénaïque). — BIEN AVANT NOTRE ÈRE — La consommation de chardons (Cirsium, Onopordon, Silybum) par l’homme est très ancienne (1 500 ans avant J-C) soit sous forme de capitules soit sous forme de jeunes ARTICHAUT ET CARDON QUELS SONT CES CHARDONS QUE L’ON MANGE ? Par Jean-Noël Plagès OUTRE SES QUALITÉS GUSTATIVES, L’ARTICHAUT OFFRE DES FLEURS TRÈS DÉCORATIVES © J.-N. PLAGÈS Histoire de plantes

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De la famille des Astéracées (ex composées) et de la tribu des cynarées, Artichaut et Cardon, deux plantes très proches, sont des cultures légu-mières de plein champ et de jardins d’amateur. Le cardon se multiplie par semence alors que l’arti-chaut, au moins jusqu’à ces dernières années, se propage par drageons nommés œilletons. Ce sont des plantes de climat doux qui doivent être protégées contre le froid l’hiver en zones septen-trionales. Ils s’accommodent très bien du climat aux hivers peu prononcés de Bretagne.

Le genre cynara L. est spontané dans le bassin médi-

terranéen où l’on trouve plusieurs espèces dont le plus

répandu est Cynara cardunculus L. qui serait à l’origine

de l’Artichaut et du Cardon. D’ailleurs, l’espèce sauvage et

les deux plantes cultivées sont parfaitement compatibles

sexuellement.

Il se présente sous la forme de rosette de feuilles attachées

à un plateau épais emmagasinant des réserves pour le

démarrage des bourgeons axillaires (œilletons) qui four-

niront des hampes florales plus tard en saison. L’espèce

sauvage est pérenne. On la trouve en Italie du Sud, en

Sicile, en Sardaigne, en Corse, aux Baléares, en Tunisie et

en Libye (Cyrénaïque).

— Bien avant notre ère — La consommation de chardons (Cirsium, Onopordon,

Silybum) par l’homme est très ancienne (1 500 ans avant

J-C) soit sous forme de capitules soit sous forme de jeunes

ArtichAut et cArdon Quels sont ces chArdons Que l’on mAnge ?Par Jean-Noël Plagès

outre ses qualités gustatives, l’artichaut offre des fleurs très décoratives © J.-n. Plagès

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pousses cuites ou en salade. En Sicile, les bergers de la

plaine de Catania consomment encore aujourd’hui du

chardon-Marie (utilisé par ailleurs comme plante médici-

nale). Par contre, on ne trouve pas de traces de la consom-

mation des côtes (pétioles charnus du Cardon qui serait

apparu plus tard).

Le ramassage et la consommation des capitules les plus

gros (les plus charnus) ne permettent pas de dater avec

précision (aux environs du Ier siècle, en Grèce) la mise en

culture de Cynara cardunculus L. seuls ou avec d’autres

espèces de ce genre. Les écrits du début de notre ère

parlant de cardon et d’artichaut sont nombreux (Pline

l’Ancien, Apicius, Columelle). Les deux plantes sont très

proches sauf que le Cardon a un pétiole charnu avec des

feuilles bordées d’épines (bien que des sélections récentes

aient donné des variétés sans épines).

Sur une mosaïque conservée au musée du Bardo à Tunis

(www.bardomuseum.tn, salle Diane et Vénus), on peut voir

des capitules (donc d’artichaut) et peut-être du cardon sur

une mosaïque au musée de Sousse.

Le passage ramassage-culture (domestication) s’est donc

effectué entre le IIIe siècle avant J-C et le Ier siècle de notre

ère.

— réaPParition au Xive siècle — Après une longue période où les informations manquent,

l’artichaut réapparaît vers le XIVe siècle et se développe au

milieu du XVe en Espagne et en Italie (Andalousie, Toscane

en 1466 et région de Naples). De nombreuses illustrations

ont été faites par des botanistes comme Matthiole (1550),

Gerarde (1596) et Besler (1613).

Ce sont les Italiens qui ont développé cette culture à grande

échelle. Elle est arrivée en France en 1531, peut-être intro-

duite en Languedoc, à la suite des guerres d’Italie. De

là, elle va gagner la vallée de la Loire et l’Ile-de-France.

Olivier de Serres publie en 1600, un chapitre sur la culture

de l’artichaut et du cardon. Vers la fin du XVIIIe siècle, les

cultures se développent autour de Roscoff, de Macau en

Gironde et, surtout, de Nice et Ollioules.

L’artichaut aurait été introduit en Grande Bretagne vers

1548 mais la culture s’est ralentie probablement à cause

du climat.

— le cardon, une culture locale — En France, la culture du cardon est très localisée à la

région lyonnaise avec des modes de préparation culinaire

très spécifiques (cardon à la moelle par exemple). Il est

multiplié à partir de semences (25 graines au gramme).

Leur longévité est de 6 à 7 ans dans de bonnes conditions

de conservation. Bien que vivace, il est conduit en plante

annuelle. Le semis s’effectue en pots à chaud (en février-

mars) ou en pleine terre (en fin avril-mai). Le cardon est

exigeant en température. Rien ne sert de le semer très tôt,

d’autant plus que la consommation n’interviendra qu’à

l’automne.

Il pousse bien en sols profonds, riches, bien ameublis et

demande de fréquents arrosages. Les distances de semis ou

de plantation varient de 0,70 m à 1 m sur le rang et de 1 m

à 1,50 m entre rangs.

une variété inerme, le cardon vert de vauX en velin @ PéPinières Jacques Briant

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— À Blanchir — Il faut attendre le complet développement de la plante

avant de le préparer pour la consommation. En effet, il doit

être blanchi pour attendrir les côtes. À cet effet, les feuilles

seront regroupées, liées et entourées d’un matériau

opaque (paille, papier kraft, plastique noir…) en prenant

soin de ne laisser dépasser que leur extrémité. Le pied sera

aussi buté assez haut. La durée du blanchiment est de 3 à

4 semaines. Une autre méthode consiste à mettre en cave

à l’obscurité dans du sable humide, les pieds entiers avec

leur motte. Le cardon est gélif et doit être rentré avant les

gelées.

Les variétés sont peu nombreuses et certaines très

anciennes : Épineux argenté de Plainpalais, Plein blanc

amélioré, Plein blanc amélioré Puvis, Vert Vaulx Velin (ces

3 dernières variétés sont inermes) et des variétés à côtes

colorées comme Rouge d’Alger, cardon violet et cardon à

côtes rouges. Le cardon est de plus en plus utilisé comme

plante décorative dans les massifs.

— l’artichaut : Par œilletonnage ou semences — L’artichaut se multiplie généralement par bouturage

appelé œilletonnage. Le prélèvement de bourgeons végé-

tatifs latéraux se fait au printemps sur des pieds-mères

que l’on a protégés pendant l’hiver et en laissant en place

3  bourgeons. Il doit être fait avec précaution pour assu-

rer la reprise (nécessité d’un « talon »1). La plantation doit

être rapide, dans un sol meuble, riche en matières orga-

niques, profond et suffisamment pourvu en eau mais sans

excès. Un arrosage fréquent est nécessaire au moment de la

reprise. La plantation s’effectue en avril-mai en place ou en

juin-juillet après un passage en pépinière. Si les conditions

de cultures sont bonnes, la production de capitules se fera

dès l’automne (rendement plus élevé pour les plantations

de printemps).

Il peut aussi être multiplié par semences (25 graines au

gramme). L’utilisation de semences évite la transmission

de maladies cryptogamiques, virales et bactériennes. Il est

possible de semer sous abri en mini-mottes en février-mars

et de mettre en place en avril-mai. Les plantes peuvent

produire des capitules dès l’automne suivant.

Les températures basses (< à 7-10 °C, vernalisation) sont

indispensables à la floraison mais les besoins varient

suivant les variétés. Ainsi en Bretagne, la mise en place

après le 15 avril ne produira pas à l’automne.

Les températures élevées (> à 23-25 °C la nuit) induisent

une dormance bloquant l’apparition des hampes florales.

Les distances de semis ou de plantation sont de 1 m en

tous sens. On laissera en place pendant 3 ou 4 ans, suivant

l’état sanitaire des plantes qu’il est important de surveiller.

— gros vert ou Petit violet — Les variétés d’artichaut (environ 10 au catalogue français

et 40 au catalogue européen) sont groupées en deux types

1 Talon : partie ancienne du pied.

artichaut « camus de Bretagne » - © J.-n. Plagès

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suivant la forme du capitule : Les gros verts (issu de la très

vieille variété Globe) et les petits violets (de forme allongée

conique).

Parmi les variétés à capitule vert, citons le très ancien

« Gros vert de Laon » (déjà mentionnée en 1778, le plus

rustique), le « Camus de Bretagne » (70 % de la produc-

tion française), le Blanc hyérois, Pêtre, Vert de Provence et

quelques variétés issues de la sélection clonale améliorant

précocité et homogénéité comme Calico et Salambo et la

variété hybride F1 Sambo.

En types violets, on citera le Violet de Provence, le Violet

du Gapeau et les hybrides F1, plus vigoureux et surtout

plus productifs, OPAL et OPERA dont la culture est en

plein développement en Roussillon et en Provence 2. Les

capitules des types violets sont plus tendres car consom-

més plus jeunes (parfois crus).

— l’italie, leader de l’artichaut — La production mondiale actuelle est d’environ 1,3 Mt

dont 900 000 t produites en U.E. En Italie, la produc-

tion actuelle est de l’ordre de 500 000 t. En Espagne, la

demande du marché français vers 1965 a fait croître les

surfaces. Actuellement, elle produit environ 300 000 t. En

France, la production de 17 000 t en 1892 est montée à

160 000 t en 1962, puis est descendue à 60 000 t en 2004 en

raison des crises économiques et des aléas climatiques. La

consommation est en forte diminution.

Aux USA, après une introduction probable au XIXe siècle,

c’est la Californie qui produit aujourd’hui, les plus forts

tonnages.

Chez le jardinier amateur, on retrouve souvent artichauts

et cardons au fond du jardin. Il est très agréable d’y cueillir

les capitules que l’on mangera crus ou cuits et de cuisiner

des cardons à la moelle une fois dans l’année. Bon appétit !

2 Les variétés hybrides F1 sont obtenues par un semencier à partir du

matériel créé par l’INRA et l’Université de Jérusalem dans les années 1990,

elles utilisent une mâle-stérilité issue de matériel sauvage. L’artichaut étant

à fécondation croisée, la production de semences hybrides ne pose pas de

problème particulier.

À lire…• Histoire de légumes, M.Pitrat et C.Foury ; 2003 ; Éditions INRA

• Les légumes D. Bois, 1927 ; réédition 1995 COMEDIT-SNHF

• Les plantes potagères, Vilmorin-Andrieux, 1904

artichaut « camus de Bretagne » (détail) - © J.-n. Plagès

artichaut « Petit violet » - © J.-n. Plagès