Histoire de Paris

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Yvan Combeau. Collection Que sais-je?

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QUESAIS-JE?

HistoiredeParis

YVANCOMBEAU

DrofesseurdesUniversitésenhistoirecontemporaine

Huitièmeéditionmiseàjour

18emille

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Introduction

aris,filledelaSeineetduroi,est,selonl’expressiondePaulValéry,«lavillelapluscomplètequisoitaumonde».Complète?Cariln’envoitpoint«oùladiversitédesoccupations,desindustries,desfonctions,desproduitsetdesidéessoitplusricheetmêléequ’ici».

Ence sens, tout au longdecetouvrage,notreambitionpremièrea étédemarquer lesdimensionsexceptionnelleset laplacesingulièredeParissurplusdevingtetunsièclesd’histoire.Notre lignedirectriceétaitfixée:comprendrelaconstructiondecettecapitalepolitique,économique,culturelleetsaisirlamesuredesaprééminencedansl’histoiredeFrance.Dansleslimitesduprésentlivre,ilnousfallaitopérerdeschoixetadopterdesanglesd’analyse.Selonlespériodesétudiéessesontimposésles thèmes qui apparaissaient les plus significatifs, qu’il s’agisse de la croissance de la ville, del’organisation de son espace ou du rôle du pouvoir, de la capitale et de ses habitants dans la viepolitiquefrançaise.

Enécrivant lespagesdecettecourteHistoiredeParis,nousavonscontinuellementgardéà l’espritcesversdupoètePierreHarel-Darc:«QuelleautrevillequeParis?,quelleautrevilleaumondeenpourraitdireautant?…»

P

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ChapitreIGenèsed’unecitéI.Unsiteexceptionnel

Évoquer et comprendre l’histoire de Paris, c’est en tout premier lieu reconnaître la placedéterminanted’unsitequiaétéforméentrelePaléolithiqueetleNéolithique.Élémentessentieldecesiteetdesonunité:lefleuvedeplusieurskilomètresdelargeurqueconstituelaSeinepréhistorique.Lecoursd’eau,àl’origine25mau-dessusduniveaudelamer,s’estlentementdéplacédulitcreuséaupieddescollinesnord(Chaillot,Montmartre,Belleville)àsontracéactuel(est-ouest)aveclepetitaffluentlaBièvre.En1910,lesfortesinondationsparisiennesontd’ailleursfaitréapparaîtrelebrasnordinitialdufleuve.

Paris a le privilège de naître au cœur d’un carrefour, au milieu d’une convergence naturelle(Beaujeu-Garnier).LaSeineestlecentredubassin.Aunord,surlarivedroitejusqu’àMontmartre,setrouve tout d’abord une large zone demarécages (leMarais) ceinturée par une chaîne de collinesentre70et130mdehauteuravecdeuxétroitesvallées (colsdeMonceauetdeLaChapelle). JulesCésar évoque un «marais continu » qui se déverse dans le fleuve. Dans le fond du lit du fleuvepréhistorique, la boucle dessinée laisse émerger de nombreuses petites îles, premiers refuges despopulations : l’îleLouviers (réunie à la rive droite en 1848), l’île auxVaches et l’îleNotre-Dame(rattachéesdèslexviiesiècle),l’îledelaCité.Surlarivegauche,lamontagneSainte-Genevièveestleplushautpoint(65m).

Lesous-soldubassinsédimentaireestd’unegranderichesse:argile,calcaire,sableetgypse.Autantdematériauxqui,aveclesimmensesforêtsentourantlaville,sontàlabasedelaconstructiondelaville. Dès le Paléolithique inférieur, il est possible de parler d’un habitat dispersé (Montmartre,Grenelle…)surlesitedelafuturecapitale.AuNéolithique(IVeetIIIemillénairesav.J.-C.),lelieuestoccupé par une population sédentaire (élevage, agriculture). À cette période existent déjà deséchanges. La Seine et ses affluents jouent un rôle moteur dans la circulation des hommes et desproduits.Indicesdecescommunications,ladécouvertedanslefleuvedehachesvenuesdel’Europeorientale.

ÀpartirdumilieuduiiiesiècleavantJésus-Christ(entre250-225),âgedufer,lesParisii,peupleceltequi va donner son nom à la ville, s’installent sur l’île de la Cité. Sur cet oppidum (position dedéfense),lesParisiifondentleurcapitaleLucoticia(Lutèce).Unmurd’enceinteestbâtiautoutdébutduiiesiècle.Despontsremplacentlebac.Lesspécificitésdusiteexpliquentgrandementlerôleetlesactivités de ces populations, qui profitent des échanges sur l’axe de circulationMéditerranée-îlesBritanniques et se livrent à un important commerce sur la Seine.Le commerce fluvial,mais aussiroutier,lestaxesappliquéesauxéchangeslorsdespassagessur(etsous)lesdeuxpontsrejoignantlesdeuxrivessontàl’originedelaprospéritédeLutèce.Lesnautes(corporationdesbateliers)occupentd’ailleursunepositiondominantedanslaviedel’île.Lesstatèresd’or,monnaiefrappéeengrandequantité (l’avers présente un profil humain ; le revers, un cheval), témoignent de l’intensité del’activitééconomiquedelaville.Lesrécentesfouillesarchéologiquessurlesitenéolithique(Bercy)confirmentl’existenced’échangescommerciaux.

II.Duvillagegauloisàlacitégallo-romaine

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Endécidant(53av.J.-C.)letransfertdel’Assembléedespeuplesgaulois(probablementdanslaplaineduLandit,entreLutèceetSaint-Denis),CésarrenforcelapositiongéographiquestratégiquedeLutèceetluiconfèreunefonctionreligieuse.Ungesteimpérialquinepeutêtredissociédel’échecdeCésardans sa tentative de débarquement en Bretagne et de sa volonté de soumettre les Carnutes et lesSénons. Sa présence lors de la clôture de l’Assemblée souligne la symbolique de sa décision etl’importancequ’ilattacheàlafidélitédesParisii.

L’année52perturbecedessein.LesParisiirallientlechefarverneVercingétorixquiestàlatêtedusoulèvement gaulois. La bataille deLutèce règle ce conflit.Ces combats nous sont principalementconnusparlelivredeJulesCésar(LaGuerredesGaules).Untextediscutable,puisqueCésarn’apasparticipéàcescombats.Pourlapremièrefoisdansl’histoireécrite,«lavilledesParisii,situéesurune île de la Seine », est évoquée. Alors que César s’engage contre les Arvernes, son lieutenant,Labienus,entreprendlareconquêtedeLutèce.Faceàseslégions,l’AulerqueCamulogèneorganiseladéfensedel’île.AprèssavictoireàSens,Labienuslancehabilementsonattaqueàtraverslemarécageparisien.L’échecdecetteoffensiveleconduitàmodifiersesplans.LestroupesromainessedirigentversMelunoùellesparviennentàfranchirlefleuve.Prisàrevers,Camulogèneprendladécisiondedétruire lespontsetdemettre lefeuà l’îledelaCité.AprèsunsimulacredemanœuvreànouveauversMelun,Labienusparvientàatteindreavecunepartiedesonarméelarivegauche.LaphasefinaledecescombatssedérouledanslaplainedeGrenelle.Affrontementsdesplusinégauxauregarddunombredesoldatsdechaquecamp:labatailledeLutèces’achèvedansunbaindesang.Camulogènemeurt,lavictoireestromaine.

Romeadésormaisentrelesmainsunevilledétruiteparlesincendies,maiselleareconquisaveccesuccèsmilitaire une position cruciale dans laGaule chevelue, et plus largement dans son empire.Lorsque les Romains prennent possession de Lutèce, l’oppidum n’existe plus. La ville est àreconstruire.Dèsledébutduiersiècle,lecadreestfixéavecunquadrillagerégulieràpartirdesdeuxaxes fondamentaux. Le cardo (nord-sud) est l’axe principal. Il lie la rive gauche et la rive droite(Grand-PontetPetit-Pont) et correspondaux ruesSaint-Jacquesde la citéSaint-Martin.Sur la rivegauche, un cardo secondaire se situait à l’emplacement du boulevard Saint-Michel. Le decumanus(est-ouest) recoupe les ruesCujas,Soufflot et desÉcoles.Ces routes largesdeplusieursmètres etpavées de larges dalles de grès sont bordées de villas. Dès le Haut-Empire, parallèlement à l’axepremierconstituéparlecardo,lesRomainsconstruisentsurlarivedroiteunesecondevoie(actuellerueSaint-Denis)conduisantversRouen.Surcettemêmerive,aprèsleGrand-Pont,laroutedel’Est(Saint-Antoine, Saint-Honoré) conduit vers Melun. Ces voies ont une vocation essentiellementcommerciale.L’îledelaCitémaintientsafonctionportuaire(portprèsduPetit-Pontdebois)etabritelesiègedel’administrationromaine.

"«C’estaudébutduiiiesièclequeLutèceatteignitsonplusgranddéveloppement.C’étaitalorsunepetitevilledenégociantsquifaisaientuncommerceactifsurlaSeineetl’Yonne,queparcouraientdeSens à Lillebonne les barques de sesmarchands. Elle était en relations avec les villes voisines deChartres, Rouen, Beauvais, Senlis, Melun et Orléans auxquelles conduisaient ces belles voiesromainespresqueindestructibles.»(HenriLemoine.)"

Ledéveloppementdesnouvellesconstructionssefaitprincipalementsurlarivegauche(environ44ha), davantage protégée des crues.Dans l’esprit desRomains, la civilisation est fondamentalementurbaine. En haut de lamontagne Sainte-Geneviève se trouve le Forum découvert en 1860 par Th.Vacquer. Il se situe entre le boulevard Saint-Michel et la rue Saint-Jacques et couvre donc sur sa

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longueur(prèsde180m)l’actuellerueSoufflot.Cebâtimentavaitunelargeurde100m.Ilréunituntemple, une basilique civile et un portique intérieur où se placent des boutiques. Il regroupe lesactivités commerciales et constitue le lieu privilégié des rencontres et le centre de la vieadministrative.

Sur cettemême rive se situent aussiun théâtre etdes arènes.Lesarènes sont en faitun somptueuxthéâtre-amphithéâtreàscène(36étagesdegradins)quelesfouillesentreprisesàlafinduxixesiècle(1867)etletravailderestaurationontremisàl’honneurdansl’espaceparisien(situérueMonge).Cesont plus de 10 000 spectateurs qui pouvaient se réunir dans cet hémicycle de gradins (un chiffresupérieuràlapopulationparisienne).Làsedonnentlesreprésentationsthéâtrales,lesjeuxducirque,lescombatsd’animaux…

Parmilesélémentscaractéristiquesdel’urbanisationromaine,ilfautévoquerleréseauhydrauliquemisenplaceàpartirdes sourcesdesbassinsdeRungisetWissous.L’aqueducquiamèneceseauxverslesthermesestlongde16km.Ledébitétaitde2000m3enunejournée.Lacitépossèdetroisthermes(rueGay-Lussac,rueSaint-Jacques,Cluny).Lespluscélèbres, lesthermesdeCluny,datentde la fin du iie siècle.Les dix années de fouilles commencées en 1946 (sous la direction dePaul-MarieDuval) ontmis en valeur unmonument exceptionnel, témoin du faste et de la grandeur destravauxromains.Cesthermess’étendentsurunpeuplusde6000m2.Lesmursdel’entréeontjusqu’à2,50md’épaisseur.Lagrandefaçadenords’ouvrepar14baiessurlefleuve.L’édificecomporteunfrigidarium (21msur11,14mdehauteur).LeseauxdeCluny s’écoulentparunégout jusqu’à laSeine.Endehorsdelavillesesituent,commeleveutlareligion,lescimetières.C’estlàunindicateurdeslimitesdel’espacehabité.LesfouillesdeVacquerontpermisdedécouvrir,auSuddeLutèce,unegrandenécropoleromaine(ruePierre-Nicole).UnesecondenécropoleaétélocaliséeprèsdelaplaceBaudoyer.

LaPaxRomanaestunepériodefastepourlacitégallo-romaineoùviventprèsde6000habitants.Lavilleestuncarrefourd’échanges,bien reliéepar ses routesversOrléans,Senlis,Soissons,Reims,Rouen,Chartres…Expressiondecetteprospérité:l’édificationparlarichecorporationdesnautesdupiliervotifenl’honneurdel’empereurTibère(14-37)etdeJupiter.Lesnautesparticipentd’ailleurstrès largement (évergétisme des iie et iiie siècles) à l’histoire monumentale de Paris (thermes deCluny).Cepilierexprimeaussilesconvergences,cequin’estpasfusion,desdeuxpolythéismesenprésence(gauloisetromain),puisquesontreprésentésJupiter,Mars,Mercure,maisaussiCerunnosetSmertios.Cependant,laciténedoitpasêtreconsidéréecommelecœurdelaprovincedeQuatrièmeLyonnaise au sein de l’Empire romain. Sens demeure la capitale de la province. Une donnée quiexpliquejusqu’auxviiesiècleladépendancedeParisvis-à-visdel’archevêchésensois.

III.LacitadelleduBas-Empire

Auiiiesiècle,lespremièresattaquesdesGermains(lesAlamansdès275)entraînentunmouvementd’unelargepartiedelapopulationversl’îledelaCité.Larivegaucheestjugéepeusûre(pillages,incendies sur lamontagneSainte-Genevièveque les fouillesduxixe siècle ont révélés), et le replis’impose. Cette migration partielle des habitants s’accompagne d’une démolition des grandsmonumentsde larivegauchepourconsolider l’enceinteautourde l’île. Il fautcependantsegarderd’unevisionpar tropcaricaturale.Larivegauchecontinueàvivre.Demême,plusieurshabitationsapparaissentsurleshauteursdelarivedroite,longtempsabandonnée.

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En ce siècle, le nom de Lutèce disparaît au profit de l’expression « cité des Parisii » (CivitasParisiorum)avantquelenomdeParissoitdéfinitivementadopté.Lavieetlesactivitésdeshabitantsse concentrent sur les quelques hectares de la ville fortifiée. Dans ces années marquées par lesaffrontementsmilitairessurlafrontièreduRhin,Parisoccupeunefonctiondebasearrièrepourlesarméesromaines.Entre358et360,lacitéaccueilleJulien,filscadetdeJulesConstanceetneveudeConstantin le Grand, et Valentinien (365-366). Après chaque campagne militaire (victoire sur lesAlamansàStrasbourgenaoût357),Juliens’installeàParispour lasaisond’hiver.Àlasuitede ladécisionde l’empereurConstancede lui retirerunepartiedesonarmée,ses troupes leproclamentempereur(élévationsurlepavois)enfévrier360devantlepalaisdel’îledelaCité.AvantdequitterlacitéetdemenerbataillecontrelesPerses,JulienarédigéplusieurstextessursachèreLutèce.Sesrécitssoulignentcombienilprendplaisiràvivredanslaville(douceurduclimatetsplendeursdelavégétation). Il nous laisse aussi un témoignage précieux sur la citadelle romaine qu’était devenueParisencettesecondemoitiéduivesiècle.

« Il se trouvait que je cantonnais, cet hiver-là, dans ma chère Lutèce : c’est ainsi que les Celtesdésignent le fort des Parisiens. C’est une île de faible étendue au milieu du fleuve, et le rempartl’entoure en cercle de toutes parts ; des ponts de bois, partis de chaque rive, y donnent accès. Lefleuve, au milieu duquel elle est étendue, est paisible et régulier : son eau est très agréable àcontempler,tantelleestlimpide;elleestaussitrèsbonneàboire,etleshabitantsviennentlapuiseràlarivière.L’hivern’yestpasrudeetlaclémencedelatempératureestsigrandequ’onvoitcroître,auxenvironsunevignedebonnequalité…»(l’empereurJulien).

C’estaumilieuduiiiesiècle(règnedeDecius)quelechristianismefaitréellementsonapparition.Latradition dépeint l’évêque évangélisateur saint Denis comme le bâtisseur de l’Église de Paris. Laconfusion,entretenueparl’ouvragePassiond’Hilduin,abbédeSaint-Denisauixesiècle,entresaintDenisetDenis l’Aréopagite,discipledesaintPaul,n’estplusdemise.Maisnousnepossédonsquepeud’élémentssursavieetsonrôle,souventexagéréparlesessaishagiographiques(GrégoiredeTours).Lalégendeasurtoutretenulescirconstancesdesamort(vers250)surlemontdesMartyrs(Montmartre).Arrêté,avecRustiqueetÉleuthère,par lepréfetFescenninus, ilestdécapité. Ilauraitalorsramassésatêteetmarché6000pasjusqu’aubourgdeCatulliacus,actuelSaint-Denis(miracledelacéphalophore).Ledéveloppementduchristianismenousestconnuparquelquesfaitsetdates.Lepremier évêque de Paris est Victorin. En 360 se réunit un concile. Quant à la première égliseparisienne,saconstructionestdatéeduivesiècle.ElleseradédiéeàsaintMarcel,neuvièmeévêque(morten435).

Dèslespremièresannéesduvesiècle,lesinvasionsbarbaressontplusnombreuses.En406,leRhin,prisdans lesglaces,n’estplusunobstacle.LesWisigoths, lesBurgondes, lesFrancs, lesAlamansoccupentlaGaule.Épargnédansunpremiertemps,ParisfaitfaceàpartirdumilieuduvesiècleauxattaquesdesHuns.En451,Attila, aprèsavoirdévastéTrèves,MetzetReims,prend ladirectiondeParis.Personnagecentraldel’histoireparisiennedecevesiècle,sainteGeneviève(422-502),néeàNanterre,saintepatronnedelacité,appelleàlarésistance.Elleestprésentéedansdenombreuxtextescomme une bergère, guérisseuse de malades par des onctions d’huile, ayant réalisé plusieursmiracles. La principale source de ces légendes (La Vie de sainte Geneviève) est cependant undocumentessentielpourlerécitdecesévénementsetl’histoiredeParisauvesiècle.SainteGenevièveimposelecombatauxParisiensquipréféraientlafuiteetillustreainsilaperted’influencedel’arméeromainedanslaprovince(476:dernierempereurRomulusAugustule).LesHunsdécidentfinalementdemarcher surOrléans et se détournent de Paris. Ce n’est qu’un court répit, puisque, en 470, les

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FrancssaliensconduitsparChildéricIer(436-481,pèredeClovis)pillentlescampagnessurl’Ouestde Paris et assiègent la ville.Ce siège dure un peu plus de dix années. SainteGeneviève réussit àbriser leblocusetà ravitailler lapopulationparisienneavecdubléde laBrieetde laChampagnegrâceàlacirculationd’uneflottilledebateaux(11péniches)surlaSeineetl’Aubejusqu’àArcis-sur-Aube.En481,Clovis,âgéde16ans,règnesurunterritoirecomprenantlaBelgiqueetunepartieduNord de laGaule.Cinq ans plus tard, il abat le dernier symbole de l’Empire romain (Syagirus) àSoissons.Sansmenerdeguerrecontrelaville,Clovisparvient,enaccordavecsainteGeneviève,àoccuper Paris. Il est désormais maître de toute la partie de la Gaule située au nord de la Loire.Converti au catholicisme par son épouse (la reine Clotilde, princesse burgonde catholique) et lesévêquesAvitetRémi,ilestbaptiséàReimsparsaintRémiaumilieudesessoldatsenl’an496.Parisdevientlacapitaledesonroyaume.

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ChapitreII

Lavillemédiévale

I.Lavillemérovingienne partir de 486,Clovis règne pendant près d’un quart de siècle surParis. SainteGeneviève, qui a

acceptédepactiser,meurten502àl’âgede80ans.En507(Vouillé),ClovisécraselesWisigoths.En511,Clovis est proclamé roi des Francs rhénans. En 508, Paris, siège du roi, peut désormais êtreconsidéréecommelacapitaleduvasteRoyaumemérovingien.

SousClovisIer,puissonfilsChildebert,Parisaconfortésonautoritépolitique,maiselleexerceaussiuneforteinfluencereligieuse.DanslaviedeParis,laplacedureligieuxestdeplusenpluséclatante.Elle semarque toutd’abordpar les trèsnombreusesconstructionsd’égliseset abbayes.Comme lenote Alfred Fierro : « Paris se couvre d’églises sous les Mérovingiens. » Elles se localisentprincipalement sur la rive gauche. Clovis décide l’édification (507) d’une église en l’honneur desapôtresPierreetPaulsurlehautdelamontagneSainte-Geneviève(prochedel’ancienforum).Ils’yfaitenseveliren511.Sontaussibâties,encettepériode,l’égliseSaint-Marcel,l’églisedeSaint-Julien-le-Pauvre, proche du Petit-Pont. En 543, Childebert fonde la basilique Sainte-Croix-Saint-Vincent(Saint-Germain-des-Prés)oùsontconservéesdesreliquesroyales.Plusieurscouventss’implantent:Saint-Christophe et Saint-Martial dans l’île de la Cité, pour les femmes ; Saint-Laurent et Saint-Vincentsurchaquerive,pourleshommes.Laforcedureligieuxestaussiremarquablelorsquel’ondénombrelesconcilestenusàParis(sixdanslasecondemoitiéduviesiècle).

Auve-viesiècle,lapopulationsesitueentre15000et20000habitants.Malgrél’incendiequi,en585,ladévastepartiellement,l’îledelaCitédemeurelecœurdelaville.Laforteresses’ouvreaunordetausudpardeuxlargesportessituéessur le tracéducardo.Àl’intérieurseretrouvent lespouvoirsroyaux,religieuxetl’embryondesfuturscentresd’enseignement.LagrandecathédraleSaint-Étienne,unedesplusgrandeséglisesdeGaule,estbâtiesouslerègnedeChildebert.Situéesurl’emplacementdel’actuelleNotre-Dame,ellesecomposedecinqnefs.

Lesactivitéséconomiquesdel’îlesonttoujoursétroitementliéesaucommercefluvialavecAuxerreetRouen,àlafabricationd’orfèvrerie(prèsduPetit-Pont)oudeverreries.Delaportenordàlaportesud, les rues sont bordées demagasins. L’atelier parisien d’émissions desmonnaies (le deuxièmeaprèsMarseille) frappe les trémisses, pièces d’or qui circulent tant enGaule qu’enAngleterre.Laprésencedemarchandsvenusd’Orient (Syriens, Juifs)confirme l’intensitédeséchangeset l’attraitdesportsetdesfoiresdelacité.LacommunautéjuiveestregroupéeprèsdelaporteduMididanslaruedesJuifs.L’époquemérovingiennevoit lacroissance (habitantsetédifices)desdeux rives.LeséglisesSaint-Jacques-de-la-Boucherie,Saint-GervaisetSaint-Jean-de-Grèvesontconstruitessur lesdeuxhauteursdel’Estdelarivedroite.Surcettemêmerive,leport(laGrève)estunpôletrèsactifdel’économieparisienne.

À

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ÀlamortdeClovis, son royaumeestpartagéentresesquatre fils.Parisdevientunenjeupoursessuccesseurs.DeChildebertàClotaireII,lavilleconserve,voirerenforcesonautoritépolitique.Maiselle est surtout une place convoitée qui légitime nombre de rivalités entre les trois royaumes(Austrasie,Neustrie,Bourgogne).ÀlamortdeChildebert,sesfils(ClotaireetCaribert)sedéchirentpourlapossessiondeParis.ÀpartirdelamortdeCaribert,lacapitaleestlebiencommundetouslesroyaumes mérovingiens. Aucun des souverains ne peut y résider sans le consentement des deuxautres.

LafinduviiesièclemarqueledéclindurôlepolitiquedeParis.DéjàClotaireIIinstallesonpalaisàClippiacus (Clichy). Autre signe tangible de cette perte d’influence : l’absence de toute nouvellemonnaie au coursdu siècle.Lepouvoir est désormais caractérisépar son errance.Lesmonarques(dits rois fainéants) se déplacent de palais en palais. La victoire de Pépin II de Herstal, maire dupalais,àTertry (687) raffermit lepoidsde l’Austrasie, l’axedominantconstituépar lavalléede laMeuse, laforcedeladynastiedesPippinidesetacontrario l’abaissementde laNeustrieetdoncdeParis.C’estd’ailleursàSoissonsen751quePépinIIIleBref(filsdeCharlesMartel)sefaitélireroi.Son successeur, Charlemagne, construit sa résidence principale à Aix-la-Chapelle. Sous lesCarolingiens,Parisestréduiteàl’ordinaire:unevilledesecondrang.

C’estunmouvementextérieurauRoyaume,lesattaquesnormandes,quiparadoxalementredonnesonprestigeàParis.

LesinvasionsnormandesdébutentvéritablementdanslesannéesquisuiventlafindurègnedeLouislePieux(840).Dès845,laSeinedevientleprincipalvecteurdecesvaguesd’envahisseursvikings.En856-857, ilsoccupent la rivegauche,pillant etdévastant leséglises, abbayeset les terrescultivées.L’abbayedeSaint-Germain-des-Présestdétruiteet incendiée(861).Plusque jamais, l’îledevient lelieudurepli.Le24novembre885,cenesontpasmoinsde40000Normandset700vaisseauxsouslecommandementdeSiegfriedquiseprésententdevantParis.L’évêqueGozlin leur refuse lepassageversl’amontdufleuve.Lesiègededeuxannées,lesassautsdesenvahisseurs,l’héroïquecombatdesParisiens(lecélèbreépisodeduPetit-Pont,le6février886),lecourageducomtedeParis,Eudes,filsaînédeRobert leFort,noussontlargementconnusparlerécitd’Abbon(moinedeSaint-Germain-des-Prés). Si les rives sont fréquemment dévastées, l’île-forteresse (constructions de tours sur lesponts)résisteàtouteslesoffensives.Lesprotectionss’étendentafindepréserverlebourgdeSaint-Germain-de-l’Auxerrois. En 887, le prestige de la ville est redoré. Non seulement Paris availlammentdéfendusonespace,maisencorelesParisiensontcombattupourladéfensedel’intégritéduRoyaume.

II.LacapitaledesCapétiensAu-delà de ces batailles se prolonge l’ascendant du comte de Paris, Eudes, et de la dynastierobertienne.Inversement,CharlesleGrosestdéconsidéréparsacapitulationdevantlesenvahisseurs.Ilestdestituéen887.Àsamort(888),lesgrandsduRoyaumeprocèdentàl’électiond’Eudescommeroi.CharlesleSimple(filsposthumedeLouisII)n’acceptepasladésignationd’unnon-Carolingien.Sacréen893,ilnerègnevéritablementqu’aprèslamortd’Eudes(898).Cesdifférendsdynastiquesnesontpourtantpasconsommés.En922,Robert Ier, frèred’Eudes, est élu roideFrancieoccidentale.Après la dominationd’Hugues leGrand (habile politique entre lesCarolingiens et lesOthoniens),sonfils,HuguesCapet,estproclaméroideFrance(987).Pendanttroissiècles,lesCapétiensfontde

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Paris leur capitale.Avant de tenir le premier rang (vers le xiie siècle), la ville doit dans unmêmetempssortirdelasituationcatastrophiqueissuedesinvasionsetreconquérirsaplacefaceauxcitésconcurrentesdespuissantsvassaux.Lessuccesseursd’HuguesCapetnevontpascesserdebataillerpendant plusieurs décennies pour redonner à Paris un espace, un pouvoir. Philippe Ier annexe leGâtinais,Gisors,Bourges.LouisVIassurelasécuritédudomaineroyal.PhilippeAugusteagranditcedomaine(lemultipliantparquatre)ets’imposeàsesvassaux.Pariss’estainsiaffirmée.

Pourtant,lavilleestencoreprofondémentmarquéeparcettelonguepérioded’invasions.LecomtédeParis (civitas) garde de profondes traces des dévastations normandes. Sur la rive gauche, la plustouchée,nombred’églisessonttoujoursàl’étatderuine.En1111,lesdeuxpontsdel’îledelaCitésontencoreincendiésparleseigneurdeMeulan(situésurleshauteursdeSaint-Gervais).

Dansl’îledelaCitéseconcentre toujoursunelargepartiedelapopulationetdeshabitationsdelaville.Roietévêqueexercentunedominationconcurrente.LarestaurationparRobertlePieux(970-1031)dupalaisdelaCité(Ouestdel’île)estlesymboledelareconquêtedel’autoritéroyaledanslaviedesParisiens.Larésidenceroyaleestétabliepourplusieurssiècles.Jusqu’aumilieuduxvesiècle,lePalaisestlademeuredesroisdeFrance.

L’îlesecaractériseparsesponts,sespetitesruelles,seséchoppes,sesmarchés(parvisNotre-Dame)etsonport.Lespontsonttoujoursétédesélémentsvitauxpourl’île.LePetit-Pontlarelieàlarivedroite ; le Grand-Pont, à la rive gauche. Il faut ajouter « les Planches de Mibray », passerelleconstruiteenbois (pontNotre-Dame).Axemajeurducœurde laville : le tracécouvrant la rueduPetit-Pont, la rue de la Juiverie, la rue de la Lanterne et la rue de laVieille-Draperie. Le nombreimportant deboutiques souligne le renouveaudu commerce et la circulationdesmarchandises.LahalleaublésesituedanslaruedelaJuiverie.Surlescôtésdecesruesétroites(4-5m)sedressentlesmaisons des plus humbles (deux ou trois étages construits en torchis et en bois), des demeuresbourgeoises(aveccheminéeetcuisine)etdeshôtelsopulents.

Dans l’espacede l’îlede laCité, l’Égliseest fortementprésente (richesseduclergé,églises…).LePalaisépiscopal(àl’est)seprésentecommelependantduPalais-Royal.L’évêquepossèdeunelargefraction des terres parisiennes (Cité et les deux rives). La cathédrale Notre-Dame romane(reconstruiteenpartieaprèslesinvasionsnormandes)estuneimposanteconstructionlocaliséeàl’estde l’ancienne église Saint-Étienne. Son parvis, place encore de petites dimensions, accueille unmarché. La force spirituelle semarque aussi par la création, dans les premières décennies du xiiesiècle,detroisparoisses(Saint-Pierre-des-Arcis,Saint-Pierre-aux-BœufsetSainte-Croix).

Les hôpitaux, à l’instar de l’Hôtel-Dieu, accueillent les plus pauvres. Construits aux abords de lacathédrale ou d’un couvent, les hôpitaux sont l’œuvre de l’Église. Le personnel est uniquementreligieux. Lesmalades et les démunis reçoivent soins et nourriture.Au xiiie siècle est fondée parLouisIXlamaisond’aveuglesdesQuinze-Vingts.Unnomquiestdûaunombred’aveuglesreçus:300,soit15fois20.Ilfautattendrelexivesièclepourconstaterlaprésencepermanentedemédecinsetdechirurgiensdansleshôpitaux.

Dans les rueset lesvenellesdeParismarchent leshommesetgambadent lesanimaux.LamortduprincePhilippen’est-ellepascauséepar lapeurdesonchevalquisecabreet l’envoie frapperuneborne,devantledéferlementdecochonsdansunerueprèsdeSaint-Gervais?Quantauxeauxsales,ellescoulentsurlespavésetfinissentleplussouventleurcoursedanslaSeineoulaBièvre.

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Mais lacité-forteresseestunespace réduitdequelqueshectares.Désormais,horsdesmurailles, lenombre des habitants ne cesse de croître. À la fin du xie siècle, la rive droite se composeessentiellement de Saint-Germain-l’Auxerrois, Saint-Gervais et Saint-Martin-des-Prés. Lemouvementmarquant des xiie et xiiie siècles capétiens réside certainement dans l’essor de la rivedroite.CommelenoteJacquesBoussard:«Larivedroitefutlapremièreàsedévelopperenquartiercommerçant.»Certes,ilexistedéjàdesimplantations,maisledéveloppementduportlelongduquaideGrèveestà l’origined’unquartierdemarchands(viandes,poissons)etd’artisans.LepluslargedesbrasdelaSeineoffredemeilleurespossibilitésd’accostage.Làarriventlecharbon,lesvins,lebois,leseloulesgrains.Décisiondegrandeimportantepourlarive:l’aménagementduplusgrandmarché de Paris sur l’écart « lesChampeaux ».Un site des plus propices aux échanges, puisqu’ilassocielecommercefluvial,lesliensaveclaCité,lesroutesverslaMancheetleNordduRoyaume.Près du Châtelet, solide forteresse édifiée par Louis VI le Gros, se multiplient les métiers de laboucherie(ruedelaGrande-Boucherie,ruedelaTuerie).Quantauxchangeursdemonnaies,ilsseretrouvent sur leGrand-Pont (Pont-au-Change). Enfin, le drainage desmarais de l’ancien lit de laSeine apporte à la ville un espace maraîcher (fruits, légumes). Le développement du commercefluvial est à l’origine, au début du xiie siècle, de la naissance de la puissante corporation desmarchandsdel’eaudontlerôledanslaviedeParisserasidéterminant.

Auregardd’unetellecroissance,larivegaucheparaîtconnaîtreunephasedestagnation.Autourdestroisabbayes(Saint-Germain-des-Prés,Sainte-GenevièveetSaint-Marcel),lesiteseprésentecommeun territoirecouvertdechampsetdevignes.Sonessorestavant tout liéà lavitalitédu renouveauintellectuelentre lexiie et lexive siècle.Abélard symbolise cemouvement.ÉlèvedeGuillaumedeChampeaux (école du cloître deNotre-Dame), il ouvre sa propre chaire dans le cloître de Sainte-Geneviève.Pendantplusdetrenteannées,Abélard,lephilosophe,lemoine,sedémarquedupouvoirdel’évêqueetenflammeunepartiedelajeunessedeParis.Combattuparl’Église,condamnépar leconciledeSens,ilfinitsonexistenceàl’abbayedeCluny.Toutesavie,Abélardajouédeladispute,de l’argumentation. Il est un des pères de la future université de Paris. L’abbaye de Saint-Victordevientaufildesdécenniesunfoyeressentieldelaviereligieuse.Sonécole,fondéeparHuguesdeSaint-Victor, accueille de nombreux maîtres (Achard, Richard ou Thomas Gallus). Une fonctionperpétuéeàlafinduxiiesiècleparl’écoledeSainte-Geneviève.

III.L’empreintedePhilippeAugusteDansl’œuvredesCapétiens,PhilippeAuguste(huitièmedescendantdufrèred’Eudes)tientuneplaced’exception.Sonrègne(1180-1223)constitueunephased’accélérationdansl’histoiredeParis.C’estbien«entrelexiieetlexiiiesièclequePariscessed’êtrecesimplecarrefour»(JeanFavier).Leroifédère le pouvoir de la noblesse, de l’Église et le dynamisme commercial de la bourgeoisieparisienne.Audébutduxiiesiècle,Parisestencoreadministréeparleprévôtduroi,représentantdusouverain dans la capitale. La ville n’est pas une réelle municipalité au sens où elle n’a pas étédirectementconcernéeparlemouvementcommunaletn’estpasrégieparunechartecommeLaonouCambrai. Avec la croissance urbaine et la vitalité du commerce fluvial, la dualité des pouvoirs(prévôt du roi et prévôt des marchands) s’impose progressivement. La bourgeoisie acquiert unepositioncentraledansl’administrationdelaville.Dès1160,elledésigneunprévôtetquatreéchevins.Quels sont les grands travaux de ce souverain (« premier roi de Paris et second fondateur aprèsClovis ») ?PhilippeAuguste est à la fois unbâtisseur (rues pavées,Louvre…), l’unificateur de la

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ville(sécuritédel’enceinte,administrationaveclesbourgeois)etlefondateurdel’université.

Ce souverain se passionne pour l’urbanismede la ville qui compte alors près de 20 000 habitants(chiffreavancéparMichelRobin).Parunedécisiondatantde1186,ilentreprendungrandchantier:l’amélioration de la voirie. Depuis le pavage romain, les rues sont recouvertes d’une bouepestilentielle.Ils’agitdemettreuntermeauxdangersdelacirculationsurdetellesvoiesglissantes,àl’absenced’hygièneetaux trèsmauvaisesodeursqui incommodent toute laville.La rueBarillerie(entre la rue Calandre et la rue de la Draperie), qui fait face au Palais-Royal, est la premièreconcernée.Les principales artères (vers les ponts et les portes) et les places sont progressivementrepavéesdesolidespierrescarrées.LeroiestaussilepèredesfuturesHalles.Ilalargementimpulséle développement du quartier des Champeaux et les activités commerciales qu’il abrite. Lesmarchandsbénéficientdésormaisdedeuxhallescouvertes.MaisPhilippeAugusteestprobablementd’abordconnudesParisienspour l’enceintequ’ila faitconstruire.Cettemuraille(voir figure2,p.25)établitleslimitesdelavilleetlaprotègedesinvasions.Elleestl’expressiond’unevolontéroyaleconjuguant la défense et le souci de sécurité avant le départ du roi en croisade, et la concrèteréalisationd’unprojetassociantl’argentdelavilleetduroi.Dansunpremiertemps(1189-1190),cerempart de 2 m d’épaisseur ne concerne que les quartiers de la rive droite. Vingt années après,l’enceintesedéploiesurlarivegauche(mursde8mdehaut).Cesdeuxdemi-cerclesdechaquecôtédelaSeines’ouvrentsursixportesendirectiondeRouen,Dreux,Orléans,Sens…L’enceinteestunélémentunificateur (la conscienced’êtreuneunité)dans l’histoiredeParis.Ellemarqueuneétapedans la croissance des quartiers. En un quart de siècle, Paris devient la première place forte duRoyaume.Àcedispositif s’ajoute la forteresseduLouvre.Lenoms’expliquepar le lieu,anciennelouveterie, sur laquelle est dressé le bastion.À l’intérieur de l’enceinte, le roi décide l’édification(1190-1202) d’un donjon circulaire (à la base 15 m de diamètre, 31 m de hauteur, murs de 4 md’épaisseur)entourédequatretours(25mdehauteur).Danslesystèmedéfensifdelacapitale,c’estune pièce impressionnante qui domine la cité et permet de surveiller la campagne environnante.SymboleduRoyaume?CœurduRoyaume?LeLouvrenedevientrésidenceroyalequ’avecCharlesV.

Le xiie siècle voit la confirmation des pôles d’enseignement qui se sont développés sur la rivegauche.En1200, leroiaccordeauxécolesunprivilègeconsidérableen lesplaçanthorsduchampd’autorité duprévôt royal.Cet acte dePhilippeAuguste rédigé en cedébut de siècle a souvent étéconsidérécommel’actedenaissance(et,plussûrement,dereconnaissance)del’université.Ainsi,sonauteur est fréquemment présenté comme le père fondateur de l’université de Paris. Par-delà lapuissance royale, le débat se poursuit au sein de l’Église. L’opposition entre l’évêque et l’abbé deSainte-Genevièveestl’aboutissementd’unesituationnéedurefusdesmaîtresetdesétudiantsdesubirladominationduchancelierdesécolescathédrales.En1221,lepapeHonoriusIII(1216-1227),enserangeantauxcôtésdesainteGeneviève,renforcelapositiondecequivabientôtdevenirleQuartierlatin.

«Il[Abélard]avaitsemésurlamontagneSainte-Genevièvedesgrainesqu’aucunconcilenepouvaitextirper.Saméthoded’enseignement,repriseparsesdisciples,continuad’attirerdesétudiantsdetousles pays, et de former desmaîtres. Son «école » lui survécut si bien qu’elle dure encore ; elle futl’embryon de l’institution qui, moins de soixante-quinze ans après la mort d’Abélard, reçutofficiellementlenomd’universitédeParis.»(MauriceDruon.)

Dès1215, lespremiersstatutsde l’universitédeParissont fixésparRobertdeCourçon.Elleseule

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décerne les titresdebachelier, de licenciéoudedocteur.Unpas considérablevers l’autonomiedel’université est franchi avec la bulle papale Parens scientanorum (1231) signée par Grégoire IX(1227-1241). Les études s’organisent au travers de quatre facultés (arts et lettres, médecine, droitcanon,théologie).

Tout au long du xiiie siècle, le Quartier latin prend forme. Ce sont près de 10 000 étudiants quiétudient et vivent (tapage, jeux, rixes…) sur la rive gauche. Les collèges (Collegium pauperummagistrorum)–enfait,depetitshôtelsdemédiocreconstruction–accueillentles«escholiers»lespluspauvresquiysontlogésetnourris.Lepluscélèbre(leplusancien),futureSorbonne,estfondérueCoupe-Gueuleen1253(ouvertvéritablementen1257)parlechapelaindeSaint-Louis,RobertdeSorbon,quidevientl’undesprotecteursdel’établissement.Degrandsnomsdel’histoiredeFrance(Condé,RichelieuouMazarin) et desmaîtresprestigieux (GuillaumedeSaint-AmourouHenrideGand)contribuentgrandementàl’essordecetteinstitution.

IV.LabourgeoisieetlaguerredeCentAnsCette renaissance urbaine se prolonge sur près d’un siècle avec Louis IX, Philippe III leHardi etPhilippe IV leBel. La ville prend les allures d’une grande capitale. Elle connaît une période faste(activitéscommerciales,croissancedémographique).LeroirésideessentiellementàParis.LaCourdescomptes(Temple)etlaCourduparlement(Palaisdejustice)sontdeuxpiliersdel’organisationmonarchique.Lesprérogativesduprévôtroyal(Châtelet)couvrentlesaffairesmilitaires,depoliceetdejustice.Leguetroyaletleguetdesmétiersontenchargelasécuritédelaville.

AucœurdelaCité,lacathédraleNotre-Dameconnaîtd’importantestransformations.L’édificeromanestreconstruitsousl’autoritédel’évêqueMauricedeSully.Ilyconsacresavieetunelargepartdeses revenus.Pour faciliter l’ensembledes travaux (1160-1330), il établit unaxede circulation (rueNeuve-Notre-Dame)devantlacathédrale.Toutaulongduxiiiesiècle,JeandeChellespuisPierredeMontreuil donnent à l’édifice la splendeur que nous lui connaissons (les portails, les galeries, lestours sur une hauteur de 69m). Avec la Sainte-Chapelle, Louis IX offre à Paris un chef-d’œuvrearchitectural.Inauguréen1348,aprèscinqàsixannéesdetravaux,l’ouvrageexprimeadmirablementlamajestéetl’élégancedel’artgothique.

L’histoiredeParisnepeutêtredistinctedel’histoiredeFrance.En1328,lorsquemeurtledernierdesCapétiens directs, Charles IV, la ville est rapidement au cœur de la bataille dynastique qui opposeFrançaisetAnglais.

Dès1346,ParisdoitdenouveaufairefaceàlaguerrequeconduitÉdouardIII.Illuifautpréparersadéfense.Àcesambitionsdynastiquessejuxtaposeunconflitentrelesbourgeoisparisiensetleroiàpropos des exigences royales en matière d’imposition (croisades, rançon en casd’emprisonnement…). Depuis plusieurs décennies, les bourgeois ont le sentiment d’être durementtouchésparlestailles(aidesetmaltôtes).Aveclaguerre,lapressionfiscalenecessedes’accroître.Ennovembre1347,PhilippeVIréunitlesétatsgénérauxàParis.AulendemaindessévèresdéfaitesdeCrécy(août1346)etdeCalais(août1347),leroiagrand-peineàobtenirdesbourgeoislessubsidesnécessairespour renforcersonpotentielmilitaire (soldats,chevaux,navires…)faceà l’Angleterre.PhilippeVI puis Jean leBon profitent de cette période de non-guerre (1347-1355) pour lever unearmée et reconstruire sa flotte. En septembre 1355, le Prince Noir, fils d’Édouard III, débarque à

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Bordeaux. En quelquesmois, les états généraux sont convoqués à deux reprises (nov. 1355,mars1356).Ils’agitchaquefoisdedébattred’aidesfinancièresetdenouvellesimpositions.L’année1356est aussimarquée par deux dévaluations de la livre. La défaite française à Poitiers (19 septembre1356)et l’emprisonnementduroipermettentauprévôtdesmarchandsdeParis,ÉtienneMarcel,dejouer sa propre partition. Ce riche drapier est issu d’une des grandes familles bourgeoisesparisiennes. Accusant le monarque et la noblesse d’incapacité, le leader du tiers état exerce sadomination avec l’aidede l’évêquedeLaon (RobertLeCoq) sur les états généraux réunisdans leparlementdeParis(oct.1356).Ilcontraintlejeunedauphin,Charles,âgéde18ans,àlacréationd’unConseil de gouvernement (mars 1357). Cette ordonnance établit un régime d’assemblée et porteatteinteaupouvoirmonarchique.AlorsqueJeanIItented’obtenirlasignatured’untraitédepaixavecles Anglais, Étienne Marcel décide la construction d’une enceinte afin d’intégrer les nouveauxquartiers de la rive droite. L’enceinte, la troisième après lamuraille gallo-romaine et l’œuvre dePhilippeAuguste,porteralenomdeCharlesV(1338-1380).Saconstructionnécessiteprèsd’unquartdesièclede travaux,quisedéroulentdansunephasedepaix.Lamuraillecourtsur5km.C’estundispositif des plus impressionnants avec deux fossés larges et profonds. Le Louvre est désormaissitué à l’intérieur de l’enceinte. Six bastides (Saint-Honoré,Montmartre, Saint-Denis, Saint-Martin,TempleetSaint-Antoine) renforcent ledispositif.Piècemaîtressedecerempart, la forteressede laBastille(bastidedeSaint-Antoine).Sur larivegauche, l’enceintedePhilippeAugusteestremiseenétat.

ÉtienneMarcel compte dans sa stratégie personnelle sur le soutien de Charles leMauvais (1322-1387).Les tensionss’exacerbentaudébutde l’année1358.Chaquecampassassine : lemassacredeJeandeConflans,maréchaldeChampagne,etdeRobertdeClermont,maréchaldeNormandie,danslachambremêmedudauphinrépondaumeurtredePerrinMarc.ÉtienneMarcel,maîtredelaville,coiffeledauphinduchaperonauxcouleursdeParis(bleuetrouge).Ilveutmaintenantpropageràlaprovincecemouvementderévoltecommunale.Sil’onexceptel’engagementàsescôtésd’AmiensetLaon, les autres villes ne s’associent pas à ce dessein. Au contraire, Charles contre-attaque. Il seproclame régent et affirme ainsi sa volonté de régner. Avec l’appui de la noblesse des États deChampagne, il organise le siègedeParis.L’alliance tactiqued’ÉtienneMarcel avec la Jacquerie etGuillaumeCarleneluidonnequ’uncourtrépit.Pourcontinuerdes’imposerdansParis,ilserallieàCharlesleMauvaisetauxAnglais.Le22juin1358,lestroupesanglo-navarraisespénètrentdanslacapitale.ÉtienneMarcel est en fait isolé. Il ne parvient pas àmobiliser les villes flamandes, et lesbourgeoissemontrentdeplusenplushostilesdevantcetactedetrahisonparisienne.L’échevinJeanMaillardsymboliseceretournementd’unepartiedelabourgeoisedelavilleenfaveurdurégent.Le31 juillet 1358, alors qu’ÉtienneMarcel tente d’ouvrir auxAnglais les portes de la capitale, il estassassinéparMaillard.Le2août,lerégentrentredansParis.

ParisetCharlesseretrouvent.Lerégentréunitdanslacapitale lesétatsgénérauxduRoyaume.LesbourgeoisparisiensrefusentletraitédepaixdeJeanII(«traiténipassablenifaisable»)etconcèdentdenouveaux subsidespour lapoursuitede laguerre («ordonnèrentde fairebonneguerre auxditsAnglais»).ParisexprimelàcesentimentnationalquiprogressedansleRoyaume.CettevolontéderésisterauxAnglaissemanifesteencesannéespar les travauxde l’enceinteditedeCharlesV(roidepuis1364).En1380,CharlesVI,sacréàReims,faituneentréetriomphaledansParis.Cetteallianceentre lavilleetsonroinepeutcacher leclimatdetensionsqueconnaît lacité.Lesbourgeoiset lamonarchiesontconfrontésàcepermanentproblèmefinancier:commentsoutenirl’effortdeguerresansfairesubirauxParisiensunepressionfiscale(directeetsurtoutindirecte)quisoitinsupportable?Dansunevilleépuiséepar laPestenoire,affaibliepar lesmauvaisesconditionséconomiques, la

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moindre convulsion peut créer des émeutes dévastatrices.Ennovembre 1380, ce sont les Juifs quisont la cible (les boucs émissaires) du mécontentement populaire. En décembre 1381, HuguesAubriot, prévôt royal, est accusé par une foule regroupant étudiants, bourgeois et ecclésiastiques.Dans ce même contexte survient la révolte dite des Maillotins (mars 1382). À l’origine de cesoulèvementd’unepartiedelapopulation: lerefusdesimpôtsindirectsquipèsentdurementsurlepetitpeuple.Pendantplusieurs semaines,maîtresdesquartiers, ils circulentdans les ruesarmésdepetitsmailletsenplomb(d’oùlenomdonnéàcetteémeute)etoccupentl’HôteldeVilleetl’Arsenal.Ils s’attaquent aux collecteurs d’impôts, aux maisons des riches bourgeois. En janvier 1383, lesarméesroyalesréprimentbrutalementlesémeutiers.Le21janvier,danslagrandesalledesonPalais,CharlesVI sanctionne durement la ville : perte de toute autonomie, suppression de la prévôté desmarchands et de l’échevinat. Paris est privée temporairement de ses libertésmunicipales. La villeprofitedesluttesintestinespuisdelaguerrecivile(ArmagnacscontreBourguignons)liéesauxcrisesdefolieduroi.AvecJeanJouvenel,lacapitaleretrouveunprévôtdesmarchands.JeansansPeur,ducdeBourgogne,prometleretouràl’autonomiedel’administration(ordonnanceroyaledu20janvier1412) et compte ainsi gagner la sympathie de la bourgeoisie. L’année 1413 est dominée par lesémeutesdirigéesparSimonCaboche.Cetécorcheurdonnesonnomaumouvementditcabochienquiimposelaterreurdanslesquartiersparisiens.Aveclapuissanteetredoutéecorporationdesbouchers,il est l’instrumentpolitiquede Jean sansPeur.Durant le printemps et l’été1413, les cabochiens serendentmaîtresdelaBastille,rédigentlesordonnancesditescabochiennes(26au27mai),décidentladécapitationduprévôtduroiPierredesEssarts(1erjuillet)etcommandentauxParisiensd’arborerleur emblème (le chaperon blanc). Ces violences provoquent un revirement de la bourgeoisieparisienne,qui rejoint lacausearmagnac.La fuitede JeansansPeur (22août), l’entréedeCharlesd’Orléans, la répression des meneurs cabochiens ne constituent qu’une courte parenthèse. LesArmagnacs ne parviennent ou ne savent pas conserver Paris. Les Bourguignons multiplient lescomplots.Danslanuitdu28mai1418,lesportesdeSaint-Germain-des-PréssontouvertesàVilliersde l’Isle-Adam, quimassacre plusieurs centaines de partisans du futurCharlesVII. L’assassinat deJean sans Peur (10 septembre 1419) par lesArmagnacs sur le pont deMontereau renforcemêmel’adhésion des Parisiens au nouveau duc de Bourgogne (Philippe le Bon). Ce dernier contraint ledauphinàsignerletraitédeTroyes(21mai1420)quifaitduroid’Angleterre,HenriV,l’héritierdelacouronnedeFrance.Parisestdésormaisentredesmainsanglaises.Dèsle1erdécembre1420,etpendantseizeannées,lavilleestoccupéeparlestroupesd’HenriV,puisduducdeBedford(régentàpartirde1422).Unpeumoinsde200soldatssontprésents(principalementàlaBastille,auLouvre,àVincennes)etobtiennentlasoumissiondel’universitéetdelabourgeoisie,quiprivilégientladéfensedesintérêtsparisiens.LesacredeCharlesVIIàReims(17juillet1429),lapaixd’Arras(21septembre1435)puislamortdeBedfordaffaiblissentconsidérablementlespositionsdesAnglo-Bourguignons.Lesgestesdu jeune roiendirectionde lapopulationparisienne (amnistie,constitutiond’un«partifrançais»)luivalentleconcoursd’unefractiondeshabitantsregroupésautourdeMicheldeLaillier.La ville est reprise par les troupes royales le 13 avril 1436. «En avril 1436, Paris se libéra.Uneémeuteéclatale13,àl’instigationduBourguignonJeandeVilliers,seigneurdel’Isle-Adam,celui-làmêmequiavait jouéunrôleimportantdanslareprisedeParisauxArmagnacs,en1418,etdansladéfensede la capitale contre lesFrançais, en 1429, ainsi quedeMichel deLaillier, conseiller à laChambre des comptes. Son but était d’attirer les Anglais vers la porte Saint-Denis. Richemont enprofita pour forcer la porte Saint-Jacques. L’accueil de la population fut chaleureux. La garnisonanglaiseetles”Françaisreniés“lespluscompromis,réfugiésàlaBastille,purentseretirer,sousleshuéesde la foule.C’était l’effondrementde l’œuvredeHenriVetdeBedford.La reprisedeParisrefaisait l’unité du Royaume. Les cours souveraines s’y réunifièrent. Mais le roi et son conseilrestèrentenTouraine.CharlesVIInepardonnaitpasauxParisienslesépreuvesqu’ilavaitconnuesen

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1418. » Le 12 novembre 1437, Charles VII, en entrant dans Paris, mérite bien son surnom : leVictorieux.Ilfautcependantattendre1453pourqueprennevéritablementfincetteguerreditedeCentAns.

QuelleestlasituationdeParisencemilieuduxvesiècle?AlfredFierroécrit,trèsjustement:«ParisestrevenueauroideFrance,maislavilleest-elleredevenuelacapitaledelaFrance?»Laméfiance,ladéfiance,telssontlessentimentsroyauxdevantlerôleetlaplacedeParis.Trèsconcrètement,lescentresdupouvoir royal sousCharlesVII,puisLouisXI, sedéplacent.En1461,aprèssonsacreàReims, le roi installesongouvernementenTouraine.Villecrainte,Parisestaussiunecitéépuisée.Pendant plus d’un siècle et demi, elle vit au rythme de la guerre, des assassinats politiques, desrevirementsd’alliances.ParissubitaussilaPestenoire(1348-1349).Cefléau(pestebuboniquevenued’Asiecentrale)seconjugueàlaguerresurtoutleRoyaumeentre1347et1349.Touchéeaussipardeshiversterribles(lesloupssontdanslesfaubourgs)etdespériodesdefamine(1420-1440),lavilleperdprèsde100000habitants,etdenombreuxquartierssontabandonnésentrelafinduxivesiècleetlemilieuduxve.

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ChapitreIII

Lacitémoderne(XVIe-XVIIIe)

I.Lapopulationparisienneacapitales’étenddésormaisàl’intérieurdel’enceintedeCharlesVsurunesuperficiede439ha.Cet

espacesereconstruitprogressivementaprèsdesdécenniesdeguerre.Principalescaractéristiquesdecettecroissanceurbaine:laconstructiondenouvellesrues,d’hôtelsetladiminutiondessurfacesnonbâties. Le xvie et le xviie siècle voient le développement des faubourgs. Ces derniers (faubourgsSaint-Honoré, Saint-Martin,Montmartre…) constituent un élément de désordre pour la ville close.Lesoppositionsentrebourgeoisdelavilleethabitantsdesfaubourgssontdeplusenplusaiguës.Àcette rivalité s’ajoute le thème de l’insécurité. L’enceinte perd de son efficacité quand lesconstructions extérieures sont autant de points de force, de hauteurs et donc d’appuis pour lesennemiséventuels(Anglais,Espagnols)oulessièges.

La ville est découpée en secteurs distinguant les quartiers de ville et les quartiers de police. LesquartiersdepolicecorrespondentaudécoupageopéréparleChâtelet(siègedelaprévôtédelaville)en vue d’assurer la sécurité de la capitale. Au xvie et au xviie siècle, il existe parallèlement 16quartiers dont les superficies varient considérablement. Le découpage en 20 quartiers n’est réaliséqu’en1702,sousLouisXIV.

Lequartierestlacelluledebasepourdenombreuseschargesetactivitésdelavieparisienne(taxes,défense de la ville, nettoyage des rues…). À la tête de cet ensemble administratif se trouve lequartenier. Si, longtemps, il a donné au quartier son nom, l’ordonnance de 1588 modifie cettehabitudeetimposeleplussouventlenomdelaplusimportanteéglise(voirtableau1ci-dessous).

Tableau1.–Les16quartiers

1.Notre-Dame 9.Saint-Martin2.Saint-Germain-l’Auxerrois 10.DelaGrève3.Saints-Innocents 11.CimetièreSaint-Jean4.Saint-Honoré 12.DuTemple5.Saint-Eustache 13.Saint-Gervais6.Saint-Jacques-de-l’Hôpital 14.Saint-Antoine7.Saint-Jacques-de-la-Boucherie 15.Sainte-Geneviève8.Saint-Sépulcre 16.Saint-Séverin

Le dénombrement de la population au xvie siècle est un problème pour tout le Royaume. Les

L

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indicationsdesambassadeursvénitienssontleplusfréquemmentreprisesparlesdémographes.L’undesintérêtsdecessourcesestsanscontestedevenircomblerunvidedûauxdestructionsdel’HôteldeVille en 1871.À partir de ces données, il est possible d’estimer la population au début du xviesiècleà250000Parisiens.Àlafindusiècle,lavillecompterait300000habitants.Lesépidémiesdepeste(1580),lesiègedesguerresdeReligionexpliquentcettestagnation.Inversement,lexviiesiècleconnaîtunephasedeprogression:Parisrassembleprèsde450000personnes.

Auxvie siècle, lacapitales’affirmecommelachoseroyale.Leprévôtn’estplusqu’ungardede laprévôté.Lerois’inquiètedeleurascendantetlimiteleurspouvoirs(JeandeLaBarresousFrançoisIer).

LegouverneurpourParisetl’Île-de-Francenomméparleroiaenchargeledomainemilitaireetlaresponsabilitédel’ordrepublic.Ilestàlatêtedelanoblesseprovincialeetpremiermagistratdelacapitale.Cettepositionestoccupéepardesfamillesde lahautenoblesse(Bourbons,Montmorency,Rochefoucault).Quantàl’évêque,ilapparaîtdeplusenpluscommeunadjuvantdupouvoirroyal.

La Maison aux Piliers accueille, depuis 1357, le Bureau de la Ville (anciennement hanse desmarchandsde l’eau).Lepouvoirmunicipalestdéfinipar l’ordonnancede1415.LeBureau,quiestresponsabledel’approvisionnementetdesrentes,placementsdelabourgeoiseparisienne,estenfaitl’unionduGrand et duPetitBureau.LePetitBureau est le noyaude la gestion avec le prévôt desmarchands, leprocureurduroietdelavilleetquatreéchevins.LeGrandsestructureautourdecepremier ensemble auquel s’ajoutent 24 conseillers désignés par un corps électoral composé debourgeois.Lapremièrepierrede l’HôteldeVille,placedeGrève,estposée le15 juillet1533.Lestravaux débutent sous l’autorité du célèbre architecte italien Dominique de Cortone surnommé leBoccadoretdurentjusqu’en1628.Unetabledemarbreestapposéepourrappelercettefondation:

«LecorpsdelaVille,lepeupleetlesnoblesdelavilledeParis,ayantbienméritédelui,FrançoisIer,roideFrance,trèspuissant,leuracommandéetconfiélaconstructiondecetédificedestinéauxassemblées et au gouvernement des affaires publiques, l’an de grâce 1533, le 15 juillet. Gravé en1533,le13septembre.PierreViole,prévôtdesmarchands,ClaudeDaniel,JeanBarthélemy,MartindeBragelongne,JeanCourtin,échevin;DominiquedeCourtonne,architecte.»

«Àpartirdelaposedelapremièrepierredel’édifice,laconstructiontraversauncertainnombredevicissitudes, d’arrêts et de reprises, suivant les circonstances du moment, selon la paix, selon laguerre, selon l’argent plus ou moins abondant. On trouve la trace de ces fluctuations dans lesdocumentsd’archivesetparticulièrementdanslesdélibérationsduBureaudelaVille.Cesont,sil’onpeutdire,lesdifférentesétapesdel’édification;ellessuivrontuncoursàpeuprèsnormal,de1533,datedupointdedépart,à1628,époquedel’achèvement.»

LesguerresdeReligion.–ParisestdurablementtouchéeparlesguerresdeReligion.LesdogmesdeLuther et deCalvin sont réfutés par laSorbonne.Les affrontements religieux commencent avec lamort de Jean Vallière, brûlé le 8 août 1523. L’Église réformée reçoit l’appui de Marguerited’Angoulême,reinedeNavarreaprèssonmariageavecHenriIV.Faceàl’influencedeNicolasCop,Jean Calvin ou Gérard Roussel, après les placards affichés sur la porte de la chambre du roi àAmboise,FrançoisIerorganiseuneâprerépression.Leroiquittesonhabitdesouveraintolérantetengage une lutte implacable. Paris connaît les persécutions, les processions antiluthériennes et lesbûchers contre les hérétiques. Henri II accentue cette guerre. Il est un adversaire inflexible du

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protestantisme parisien. Le 8 octobre 1547, la «Chambre ardente » semet en place pour juger etcondamneràmortleshérésies.En1551,l’éditdeChateaubriandinterditl’impressiondetoutouvragereligieuxsansl’avaldesthéologiensdelaSorbonne.L’éditdeCompiègne(24juillet1557)punitlesséjours à Genève et la possession de livres sacrilèges. La persistance d’une forte communautéprotestante(prèsde20000Parisiens)etlemaintiendeleursassembléesautempledePoppincourt,àlamaisonduPatriarcheouauPré-aux-Clercssuscitent lacolèreduparticatholique(lesGuise).Lemassacre de la Saint-Barthélemy déclenche ce qu’il est convenu d’appeler la quatrième guerre deReligion(1572-1573).Dèsl’aubedu24août1572,Parissubitsixjournéesd’horreur;5000à6000personnes(protestantsetcatholiques)sontvictimesdecettetueriequis’étendauresteduRoyaume.Lacapitalevaencoresouffrirdurantvingtannéessurcettebraise.Latentativedeconciliationd’HenriIIIavecleroideNavarreentraînelacréationdelaLiguededéfensedelasainteÉglisecatholique.Parisdevient,àpartirdemai1588, laforteressed’HenrideGuise,desJésuitesetdesFranciscains.Sonassassinat,puisceluid’HenriIII(1eraoût1589)placentlavilledansuneoppositiondirecteaveclefuturHenriIV.CinqannéesdesiègeassoientParisdanssonrôledecitadellecatholiquefaceauxhuguenots.Lavillesupportedesmoisdesacrificespourtenir.LesParisienssontaffamés,obligésdemangerchiens,chats,rats…maisnecèdentpas.Lechiffrede30000mortsestleplusfréquemmentretenu.Parisdoitêtrecontournéepolitiquementparlaconversionroyaleaucatholicisme.Laformuleestcélèbre:«Parisvautbienunemesse.»Le22mars1594,HenriIVentredansunevilleépuisée.

«L’étatdecettevilleétaitdéplorable,peudemaisonsentières, laplupart inhabitées, lescampagnesdésertesetenfriche.CependantParisnetardapasàrenaître.»

II.LarenaissanceurbaineAprès le tempsde ladisgrâce (le roi s’était installé sur lesbordsde laLoire),Paris retrouveavecFrançoisIeruneplacecentrale(1528).Ilestl’undesartisansdecerenouveauurbaindudébutduxviesiècle.

«Dans un siècle encore jeune qui croit au progrès et aux bienfaits de l’expansion, ainsi qu’à lamaîtrise de l’homme d’État sur les phénomènes socio-économiques, François Ier se réjouit del’explosionurbainedeParisetilenestfier.Bienplus,ilparticipelui-mêmeactivementàalimenterlemouvementendonnantàlotiren1543touslesgrandsdomainesinutilesqu’ilpossèdeencoreenville,suivant en ceci un exemple déjà donné par Charles V, contraire au dogme de l’inaliénabilité dudomaineroyal,ainsiqu’enfaisantouvrirlaportedeBucidel’enceintesurlebourgSaint-Germain,décisionquivadonneruncoupdefouetàlaconstructiondéjàtrèsactiveautourdelavieilleabbaye.»

Avec François Ier, la ville traverse une période d’embellissement. Les premiers plans précis de lacapitalesontimprimésencettepremièremoitiéduxviesiècle.

L’influence royale se traduit par tout le courant humaniste, l’ascendant de l’art italien, la place dugothique.Leroiaengagédesdizainesdeprojetsarchitecturauxdontl’achèvementintervientàlafinduxvie,voireaumilieuduxviie siècle.À laconstructionde l’HôteldeVille,déjàévoquée, il fautajouter la réalisationde l’aileoccidentaleduLouvre.PierreLescot signe làunouvrage inspirédunouveau style de la Renaissance. Sur le Clos des Tuileries, Catherine de Médicis décide (1564)

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l’édificationd’unpalais.Philibertdel’Ormeseralepremiergrandordonnateurdupavilloncentral.JeanBullantluisuccède.Maislarégentenerésiderajamaisdanslepalais.En1570,ellepréfèreuneposition plus sûre : l’hôtel de Soissons (aujourd’hui la Bourse du Commerce). Cependant, lesTuileriessontunenouvelleétape,dansl’agrandissementdelavillehorsdesonenceinte.

Le roi décide de bâtir ou de restaurer un nombre impressionnant d’églises. Le gothique – le «gothiqueflamboyant»–marquelaplupartdecesréalisations,qu’ils’agissedeSaint-Merry,Saint-EustacheouSaint-Victor.

Sur la rive gauche, deux quartiers (Sainte-Geneviève [Quartier latin] et Saint-Séverin) hébergenttoujours l’essentiel de la vie universitaire et intellectuelle. La population est majoritairementcomposéed’ecclésiastiques,demaîtresetd’étudiants.Lescollèges,dontnousévoquionslesaspectsmisérablesduxiie-xiiiesiècle,setransformentenauthentiqueslieuxd’enseignementetd’humanisme(latin, grec, hébreu), qui accueillent dorénavant aussi des étudiants fortunés. Les fils de grandesfamilles(noblesoubourgeoises)fréquententcesétablissements.En1556,lecollègeSainte-Barbeestfondé.En1530,FrançoisIerfaitouvrirleCollègedeslecteursroyaux.Danscetteconfrontationentrecollèges,lacompagniedeJésusconquiertàpartirdumilieuduxviesiècleunepositiontrèsinfluente.Larévolutiondel’écrit(imprimeries,librairies)atrouvésonespace.RueSaint-Jacques,laboutique«Soleil d’Or » est le haut lieu de l’impression des textes sacrés et de droit. Les métiers del’imprimerie, de la reliure, de la dorure sont présents le long de la rue Saint-Jacques ou rueMontorgueil.

Dans ces siècles, le problème central demeure lié à la croissance de la ville. La question del’extension des faubourgs, de l’augmentation de la population, ne peut être dissociée de la crainteroyale de voir la ville grossir d’une population incontrôlable et de sa volonté d’opérer plusglobalementunéquilibreentreParisetlaprovince.

CommencéesousFrançoisIer,lanouvelleenceinteestachevéeavecLouisXIII.CerempartbastionnéenserreexclusivementlarivedroitedelaportedelaConférenceàlaporteSaint-Denis.IlintègrelefaubourgSaint-HonoréetlequartierdelarueRichelieu.

«LavilledeParis,situéeaucentred’unebelleplainesansmontagnenicollinedanssonvoisinage,jouitd’unairparfait.Lavillesanslesfaubourgscompteenlignedroite3820pasdelong(mesuredeRome)et3650delarge;lesfaubourgsontchacunàpeuprès1000pas.LefaubourgSaint-Jacques,par où l’on entre dans la ville, dépasse les autres de 1 740 pas ; demême que le faubourg Saint-Marcel;lefaubourgSaint-Germain,leplusgranddetous,estcommeuneville;avantlesdernièresguerres,lapopulationenétait,dit-on,de18000âmes.Lavillea14portes,dont5toutenmaçonnerie»(extraitdeladescriptiondeParisdeFranciscoGrégoryd’Iernien1599).

Lerègned’HenriIVestunepérioded’importantesmodificationsdupaysagedelacapitale(hôpitaux,fontaines,ponts,places,rues).AvecMaximiliendeSullyetFrançoisMiron(prévôtdesmarchandsde1604-1605),leroiimpulseetconcrétisedenombreuxprojets.Cesopérationsarchitecturalesontfait«respirer » Paris en ouvrant des espaces, en facilitant la distribution de l’eau ou en améliorant lacirculation. Exemple emblématique de ces conceptions royales : le Pont-Neuf, dont les travauxcommencésen1578sousHenriIIIs’achèventenjuillet1606.C’estlàuneœuvredesplusoriginalesdueàl’architecteBaptisteAndrouetDuCerceau.Ilétablitlepremierliendirect(270m)entrelesdeuxrivesdufleuve.Ilprésenteaussilaparticularitéd’êtreunpontsanshabitationavecdelargestrottoirs

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rehaussés.Ildevientunaxedecirculationdepremièreimportance,maisaussiunlieudepromenades.Aprèslamortd’HenriIV,JeandeBologneréaliseunestatueéquestreduroi.LePont-Neufestrestécetraitd’unionaucœurdelaville(«LePont-Neufestdanslavillecequelecœurestdanslecorpshumain»,Louis-SébastienMercier).Enamont,laréuniondel’îleNotre-Dameetdel’îleauxVaches(1614)permetl’édificationdupontMarie(nomduconstructeur).

Autre trait remarquable de l’histoire monumentale de Paris sous Henri IV : les places. Entre cenouveaupontet lePalais, leroidécide(1607)laconstructiondelarueetdelaplaceDauphine.Lesouveraincélèbreainsi,sixansaprèssanaissance,ledauphin,futurLouisXIII.Laplacealaformed’un triangle isocèle dirigé vers le Pont-Neuf. Trois noms sont attachés à cette réalisationprestigieuse:JacquesAndrouet,ClaudeChastillonetLouisMétézeau.

Surlarivedroite, laplaceRoyale,quadrilatèrede144mdecôté,estconstruitesurlesterrainsquiabritaientl’ancienhôteldesTournelles(demeuredeCharlesVIIetLouisXI).EllenaîtdelavolontéformellementexpriméeparleroiHenriIVdansunéditde1605.

«L’édit de juillet 1605 expose le cahier des charges que les architectes et les futurs propriétairesdevrontrespecter:neufpavillonssurlesquatrecôtésd’uneplacecarréeavecfaçadesdebriquesetchaînagesdepierre.Derrièrelesfaçadesuniformes,chacunorganiserasonhôtelcommeilluiplaira.»

En 1612, deux ans après la mort du roi, la place est totalement achevée. Cette même année, elleaccueille les fêtes données en l’honneur du mariage de Louis XIII. En 1639, la statue du roi estdresséeaucentredelaplace.

Quelquesmoisavant sonassassinat,Henri IVa souhaitébâtir surdes terrainsmaraîchers (entre leMaraiset lemurd’enceinte)unetroisièmeplace.CetteentrepriseestconfiéeàClaudeChastillonetJacquesAlleaume.En1610,lestravauxs’arrêtent.LaplacedeFrancerestera,hélas,àl’étatdeplan.Àcesprojetsd’embellissements s’ajoutent la constructionde laSamaritaine (située sur lePont-Neuf,cettepompepermetunemeilleurediffusiondeseauxdufleuvedanslacapitale)etlarestaurationdeplusieurshôpitaux(Hôtel-Dieu,l’hôpitaldelaCharité,l’hôpitalSainte-AnneetSaint-Louis).

Soussonrègne,LouisXIIIprolongel’actiondesonpère.SousladirectiondeSalomondeBrosse,MariedeMédicisentreprend(1615)lepalaisMédicis,futurpalaisduLuxembourg,surlemodèledupalaisPittideFlorence,ettermineplusieursmonumentsparisiens.Richelieudirigede1624à1636laconstructiond’unnouveaupalais (Palais-Cardinal, futurPalais-Royal).En1622,datedécisivedanssonhistoire,Parisdevientlesièged’unarchevêché.

Lexviiesièclevoitlaformationdenouveauxquartiers.LesconstructionsimpulséesparMargueritedeValois auPré-aux-Clercs et la renaissanceduPont-Royal sont à l’originedudéveloppement del’élégant faubourg Saint-Germain. Les faubourgs Saint-Jacques et Saint-Honoré s’agrandissent. LequartierduMaraisprofitedel’attraitdelaplaceRoyale.Dansl’îleSaint-Louis,derichesfinancierss’installentdanslapartieorientale:c’estl’essordenouveauxespaces(créationdelotissements)liésdeplusenplusàlaspéculation.

III.LavillesousLouisXIVetLouisXV

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Paris est une construction royale et une cité impressionnante pour le reste du Royaume. VincentMilliotaétudiécephénomèneautraversdelalittératuredecolportage.

«Déjà,sousl’AncienRégime,ParisécraselesautresvillesduRoyaumedesamassedémographiquecommedelasomptuositédesonspectaclemonumental.Toutelasymboliquedespouvoirsinscritedansl’espaceetdanslapierreparlasoifdeconstructionmonarchiqueetreligieusepeutnourrirlesmythesetimpressionnerlesesprits.LavilleaunehistoirequiseconfondaveclaGestedesroisdeFranceetles conquêtes du catholicisme. Phare d’un monde urbain restreint au sein d’une Francemajoritairementrurale,ce”vastemondedeParis“affirmeencoresonoriginalitécommelieud’uneintensecirculationdeshommesetdeschoses.»

Ledernierquartduxviiesiècleetlexviiiesièclescellentcetteplaceexceptionnelledansl’histoireduRoyaume.

ParisestlavilledelaFronde(desparlementairesetdesnobles),lefoyerd’unepériodedetroubles(1648-1652).Profitantdelaminoritéduroi(néen1638),dumécontentementdevantl’augmentationdestaxes(«éditduToisé»),leparlementdeParisaffrontelecardinalMazarin.Aprèslajournéedesbarricades (26 août 1648), qui a mobilisé des centaines de Parisiens, la cour se retire à Saint-Germain-en-Layeetdécidedefaireassiégerlacapitaleparl’arméedeCondé.

«Des barricades, on n’en avait pas vues depuis lemois demai 1588,mais le souvenir s’en étaittransmis,trèsvif.Le26août1648,laLiguehantaitlesmémoires,ellearmaitparfoisbrasetpoitrinesdepiècesd’armementquiavaientdormisoixanteansdanslesgreniers.»

La paix deRueil (mars 1649) puis le retour de la cour à Paris (18 août) ne font que précéder dequelquessemaines laFrondedesPrinces.L’allianceentreCondé, leprincedeConti, lecardinaldeRetzetleducdeLonguevilleentraînelavilledansunenouvellephasededésordres.LejeuneroiestobligéunesecondefoisdefuirParis.Le2juillet1652,lefaubourgSaint-Antoine,quisesituehorsdel’enceinte,estlelieudeviolentscombatsentrel’arméedeTurenneetdeCondé.MlledeMontpensier(laGrandeMademoiselle), fille deGaston d’Orléans, offre la victoire à Condé en faisant tirer lecanon de la Bastille et ouvrir la porte Saint-Antoine. Deux jours plus tard, Condé s’oppose à lamunicipalité de Paris, ouvre le feu sur la foule devant l’Hôtel de Ville. Devant l’hostilité de labourgeoisieparisienne,leprincedeCondéquittelacapitale(13octobre1652)pourtrouverrefugeaux Pays-Bas espagnols. Une fois encore, Paris fête l’entrée d’un roi dans son enceinte. Le 21octobre, Louis XIV et Anne d’Autriche sont acclamés par les Parisiens. Les grandes fêtes enl’honneur du roi n’effacent pourtant pas les traces profondes des dramatiques événements qu’il asubis.Pourd’évidentsmotifsdesécurité,LouisXIVpréfèreleLouvreauPalais-Royal.IldemeureàParis jusqu’en1671.Le10février1671, le roiabandonne lacapitalepoursonpalaisdeVersailles.Dorénavant, lecentredupouvoir royalet lacoursontdistantsdeplusieursdizainesdekilomètres.SouslerègnedeLouisXIV,lavillecontinuepourtantdes’agrandiretdes’embellir.

«Avecses400000à500000habitants,Parisrestelacapitale,oùColbertespéralongtempsramenersonmaître.En1663,dansunelettrefameuse,illuireprochedepréférerVersaillesàParisoùministresetcourtisansontd’ailleursgardéleursrésidencesprincipales…Touteslesgrandesinstitutions,courssuprêmes et Parlement, justice et police, académies, établissements scientifiques, manufacturesroyales y sont restés. Mais c’est de Versailles et des conseils du roi qu’émanent les décisionsgouvernementales.Enrevanche,cequ’écrivaitColbertdanssonInstructionàsonfilsSeignelayreste

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vrai vingt ans plus tard,malgré l’installationdéfinitive àVersailles : ”Paris, estant la capitale duRoyaumeetleséjourdesroys,ilestcertain,quetouteslesaffairesdudedanscommencentparelle…“»

Pendant les années parisiennes du roi, la ville connaît d’importantes transformations. Colbert,surintendantdesbâtiments,rêvedefairedelacapitaleunenouvelleRome.IlsouhaiteainsiattacherleroiàsavilleetlierlenomdeParisetdeseshabitantsàlapuissancemonarchique.Pourmeneràbiensesprojets,Colbertpeutcomptersurlelieutenantdepolicedelaville,NicolasdeLaReynie.Aveccesdeuxhommesseconjuguentlesexigencesdegrandeuretdepropreté.Lesgrandstravauxdecettepériodeentrentbiendanscedoubledessein.Lesprincipauxarchitectesquidonnent leurnomàcesprojetssontLouisLeVau(1612-1666),Françoisd’Orbay(1634-1697),LibéralBruant(1637-1697)etJulesHardouin-Mansart(1646-1708).

LaCourcarréeduLouvre (ailenordpuis sud)est achevée.L’architecte-sculpteur italienBerninneparvient pas à imposer ses vues, et Claude Perrault fait édifier la célèbre Colonnade (1670). LesTuileriess’agrandissentaveclepavillonnorddessinéparLeVauetlemagnifiquejardinréaliséparLeNôtre.L’hôpitaldesInvalides,construitaprès l’Hôpitalgénéral(LaSalpêtrière),apourmissiond’hébergerlessoldatsblessés.AucœurdelaplainedeGrenelle,cesplendideensemblearchitectural(avecdeuxéglises)ouvresesportesen1674.Deuxgrandesplacessontédifiéesenl’honneurduroi.Ceturbanismecourtisanse retrouvedans laplacedesVictoires (1689)et laplaceVendôme(1698)réaliséesàl’initiativedumaréchaldeLaFeuilladeetdeLouvois.

«Toutes ces réalisations ont donc été l’œuvre de courtisans. Tout ce qui s’est fait àParis, à cetteépoque,aétéaxésurlapersonnedeLouisXIV[àqui]quelquesindividuss’appliquentàplaire.Ensomme,lapersonneroyaleéclipselespréoccupationsd’urbanisme,s’ilenfût,et lacomparaisondeParisaveclaRomeantiqueprocèdeaussi,directement,decesoucideflatterie.»

AvecLouisXIV,Parisdevientunevilleouverte.LessuccèsmilitairesdelaFranceparaissentassurerlasécuritédelacapitale.Àlafindesannées1660,laFrancepossèdelapremièrearméeeuropéenneetvient, par la signature du traité d’Aix-la-Chapelle (mai 1668), d’annexer Lille et une partie desFlandres.Trenteannéesaprèsl’achèvementdel’enceintebastionnée(«enceintedesFossés-Jaunes»),leroifaitraserlesremparts.Ladécision(ordonnancedu7juin1670)estd’importanceetrévèleunchangementcompletd’orientation.Letracédurempartpréfigurelesgrandsboulevardsparisiens.Lavilleadésormaisdevastesespacesdecirculationplantésd’arbres(«leNouveauCours»).En1672et1676,deuxarcsdetriomphe(porteSaint-DenisetporteSaint-Martin)célèbrentcegesteroyal.

«LaporteSaint-Denis,dresséedanslaruedumêmenom,laVoieroyaleduParisd’alors,quiconduitdelabasiliqueSaint-Denisàl’îledelaCité,estconstruiteauxfraisdeville,en1672.Elleexaltelavictoire du roi sur la frontière du Rhin, les 40 places fortifiées conquises en moins de deux mois.Architecture trop pesante et dépourvue de colonnes, l’ensemble est sans grâce ; les bas-reliefs desfrères Anguier, illustrant le passage duRhin côté Paris et la prise deMaëstricht côté opposé, despyramidescouvertesdetrophées,raviventunpeulepremierdesarcsdetriompheparisiens.LaporteSaint-Martinestégalementl’œuvredeBlondel,maiselleestconstruiteparsonélèvePierreBulleten1674. Elle commémore la prise de Besançon et les défaites des armées allemande, espagnole ethollandaise.Ellecomprendtroisbaiesetdesbas-reliefssignésDesjardins,Marsy,LehongreetLegros.LeroiyfigureenHercule,nuetperruqué.»

La ville gagne encore des espaces sur les faubourgs. Conséquence de cette situation, le nouveau

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lieutenant général de police,Marc René Le Voyer de Paulmy d’Argenson, applique l’ordonnanceroyaledu12décembre1702etscindelavilleen20quartiers.

Aveclamortduroi(1715),laRégences’accompagned’unretourrapidedujeuneroi(5ans)danslacapitale (le 12 septembre 1715). Paris redevient pour quelques années la ville de la cour et desplaisirs.Rienneseraitpourtantsifauxquedeconsidérerquelacapitaleattendit1715poursedivertir.Depuisplusieursannées,lesspectaclesdethéâtresedonnaientdanslesnombreusessallesdejeudepaume. En 1643, Jean-Baptiste Poquelin s’installe rue Mazarine. La Comédie-Française, créée en1681,occupelejeudepaumedel’Étoile(ruedesFossés-Saint-Germain).Lesjardinsparticuliersetpublics, les ponts, les cours sont des espaces de distraction et de promenades.Le Jardin royal desplantesmédicales(jardindesPlantes),lesTuileries,leCours-la-Reine,lePont-Neuf…sontautantdelieuxàlamode,quiaccueillentdesmilliersdeParisiensvenuss’ymontrer,déambulerentrelesétalsdesmarchandsouapplaudirlesattractionsdessaltimbanques.Dansledernierquartduxviiesiècle,labourgeoisie parisienne goûte auxmerveilles du caféProcope (1686) lancé par l’Italien FrancescoProcopiodeiColtelli.

Réjouissanceetdrameéconomique : leprojetde l’ÉcossaisLaw installedenouveauParis (etplusparticulièrement la rue Quincampoix, siège de la Banque générale) sur le devant de la scène. Lacapitalevitpendantquatreannées(1716-1720)aurythmedesprojets(banque,monnaiedepapier)etdeladéroutedurichefinancieramiduducd’Orléans.

L’arrière-petit-filsduRoi-SoleillaisseàParissonempreinteavecl’aménagemententreleCours-la-Reine et lesTuileries de la statue équestre deLouisXV (future place de laRévolution, puis de laConcorde) inaugurée le20 juin1763.Le30mai1770, surcetespaceunegrande fêteestdonnéeàl’occasiondumariagedudauphinaveclajeunearchiduchesseMarie-Antoinette.Journéedeplaisirsavecunfeud’artificegrandioseetdeconsternation,puisquelaliesses’achèvedansunebousculademortelle. Le règne de Louis XV apporte quelques innovations dans le paysage parisien. L’Écolemilitaire (1773), tant souhaitée parMme de Pompadour, est construite par Ange-Jacques-Gabriel ;l’Écoledechirurgie,parJacquesGondoin(1775).L’hôteldesMonnaies(1768),œuvredeJacques-Denis-Antoine,inaugurelestyleditLouisXVI.LaconstructionduPanthéon(ancienneégliseSainte-Geneviève) occupe une grande partie de la secondemoitié du xviiie siècle. Plus de trente annéess’écoulententre lesplansdeSoufflot (1757)et l’exécutiondes travauxà laveillede laRévolution.Parallèlement,lavilleprofited’uneextensionnotableendirectiondel’ouestavecl’essorduquartierduRoule et la prolongation de la percée forestière des Champs-Élysées duRond-Point à la Butte(Étoile)puisjusqu’àlaSeine.LaquestiondeslimitesdeParis,delaséparationville-faubourg,estunsouciconstantdupouvoirroyalquiredoutecettecroissanceanarchiqueetcraintl’augmentationdelapopulation parisienne. Les ordonnances royales ne parviennent pourtant pas à stopper, voire àralentir,cemouvementd’expansionàlapériphérie.

Danslaville,toutaulongduxviiiesiècle,lepaysageurbainestaussitransfiguréparunesuccessionde touches liées à des ordonnances royales, des initiatives individuelles ou de la prévôté. Laphysionomiedelaruechange.Desplaques(enfer-blancouenpierre)indiquentlenomdelavoie,etun numéro permet dorénavant d’identifier chaque demeure. Les priorités (hygiène, sécurité,améliorationde lacirculation)définiespar les lieutenantsdepolice (Argenson,Sartine,Lenoir) seconcrétisent.L’éclairagepardes réverbères à l’huile segénéralisedans lesdernièresdécenniesdusiècle.LespompesàvapeurdeGros-CaillouetChaillotconstruitesparlaCompagniedeseauxdesbanquiersPérier(1777)perfectionnentlescircuitsdedistributioneneaupotableetl’alimentationdes

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bains publics. Les inventions de Nicolas Sauvage et de Blaise Pascal facilitent les déplacements àchevaux(fiacres,carrosses,cabriolets)entrelesquartiers.Leschaisesàporteursdisparaissentet,en1750,plusde10000carrossesdelouageetderemisecirculentdanslacapitale.Lamultiplicationdespompesàincendieetl’organisationduservicedespompiers(«lesgardesdespompesduroy»)parAntoineGabriel de Sartine (1729-1801) garantissent unemeilleure sécurité des habitants face auxpérils des incendies (le 8 juin 1781, l’Opéra du Palais-Royal avait été la proie des flammes). Lasalubritédesruesestunedesprioritésdelaprévôté.Parsoucid’hygiène,touslesprincipauxlieuxdepassage(cours,ponts, trottoirs…)sontarrosés.Lerejetdeseauxuséesestunproblèmecrucial.LaBièvre,coursd’eaudelarivegauche,jouedepuisdessiècleslerôled’égoutàcielouvert.Prévôtdesmarchandspendantonzeannées,MichelTurgotlanceplusieursgrandstravaux:lecreusementd’uncanaletd’unvasteréservoir(ruedesFilles-du-Calvaire).

IV.LarévolutiondanslacitéSixannéesaprèslaproclamationdeLouisXVIroideFrance,en1780,ParisserefermepartiellementaveclaconstructiondumurditdesFermiersgénéraux.Àterme,cettenouvelleenceinteviseàétablirun contrôle sur la circulation des denrées et à faire payer un droit de péage sur lesmarchandisesvenantdesfaubourgsverslaville.Ceprojetnepeutêtredissociédelaquestiondelacroissanceetdela définition, déjà évoquée, des limites de la capitale. Faire payer l’octroi, c’est à la fois enrichirl’État, la ville et poser physiquement unedémarcation entreParis et les faubourgs.LadécisionduministreAnne-RobertTurgot(1727-1781),filsdel’ancienprévôtdesmarchands,estunévidentcoupd’arrêtàlafraude.LesFermiersgénérauxobtiennentdonclaconstructiond’uneenceinteàpéage,quiaccentueladéfianceetlemécontentementdesParisiens(«lemurmurantParisrendParismurmurant»).Àl’extérieur,aucunemaisonnepeutêtreconstruiteàmoinsde100mdecenouveautracé,limiteadministrativedelacapitalejusqu’en1860.Lemurcourtsur25kmavecunehauteurde4à5met56portesavecdesbureauxderecette(«propyléesdeParis»)dessinésparl’architecteClaude-NicolasLedoux (1736-1806). Le Parisien d’aujourd’hui peut retrouver quelques traces de cet ouvrage àDenfert-RochereauetàNation.

«Voulez-vousjugerParisphysiquement?MontezsurlestoursNotre-Dame.Lavilleestrondecommeunecitrouille;leplâtrequiformelesdeuxtiersmatérielsdelaville,etquiesttoutàlafoisblancetnoir,annoncequ’elleestbâtiedecraie,etqu’ellereposesurlacraie.Lafuméeéternellequis’élèvedecescheminéesinnombrablesdérobeàl’œillesommetpointudesclochers;onvoitcommeunnuagequiseformeau-dessusdetantdemaisons,etlatranspirationdecettevilleestpourainsidiresensible»(Louis-SébastienMercier,TableaudeParis,1780).

Danscettecapitalede550000et600000habitants,soit3,5%delapopulationdupays(25millionsdeFrançais), la plus peuplée d’Europe, se propage laRévolution. Il n’est pas dans notre intentiond’étudierlaRévolutionfrançaiseàParis,maisdesoulignerlesgrandsmomentsd’unehistoirequiapourcadreParis.

C’estàVersailles,contrel’avisdescahiersdedoléancesdesParisiens,queLouisXVIréunitlesÉtatsgénéraux. Les Parisiens entrent en scène lors des journées des 12, 13 et 14 juillet. Le renvoi deNecker,lapeurdesrégimentsétrangersetlaprisedelaBastillefontdeParisunacteur,unmodèlerévolutionnaire.Le13,l’HôteldeVilleestoccupé.LaFayetteprendlatêtedelaGardenationalequidoitdéfendrelaville.Tempsfortdecemouvement,laprisedelaBastilleestunactesymboliquedont

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l’écho résonne dans les campagnes françaises et à Versailles. Jacques de Flesselles, prévôt desmarchands, et le gouverneur deLaunay sont assassinés. Le 17 juillet, le roi, qui vient de rappelerNecker, se rend à l’Hôtel deVille.Depuis le 15 juillet, Jean SylvainBailly estmaire de Paris. Lecélèbreastronomeestlereprésentantdelanouvelleorganisationdelaville.Lacapitaleadéjàmisàterreleshabitsinstitutionnelsdel’AncienRégime.Le17,BaillyaccueillelesouverainàChaillot(«Sire, j’apporte àVotreMajesté les clefs de sa bonne ville deParis.Ce sont lesmêmes qui ont étéprésentéesàHenriIV;ilavaitreconquissonpeuple,icilepeupleareconquissonroi»).Journéederéconciliation?LouisXVIportelacocardetricolore(bleuetrouge:couleursdeParis,et leblancroyal)et lamunicipalitéconçoit leprojetd’unestatueduroisur laplacede laBastille.Journéededupes?Le22 juillet, le lieutenantdepolice, représentantdu roi,Bertier deSauvigny, est arrêté etdépecé.

Le4octobre1789,lesParisienssortentdelaville.Laprotectionroyale,cetespace-tempsdequelquesheures entreVersailles et la capitale, s’efface enune journée.La révolte de la capitale se retrouvesous les fenêtres de Versailles. Le boulanger, la boulangère et le petit mitron sont ramenés auxTuileries. Paris s’est imposée : la famille royale, le gouvernement et l’Assemblée sont désormaisdanslacapitale.Cetteposition,cettefonctionpolitiquedeParisseretrouventdansledécretdu21mai1790définissantlenouveaustatutdelaville.Lavilles’émancipedupouvoirroyal.Elleestdiviséeen48sections.Lamunicipalité,définieparl’article5(voirci-dessous),estélueparuncollègerestreintcomposédes seuls citoyens actifs.Cinqcommissionsontpourmissiondegérer lesdossiersde lapolice,desfinances,dessubsistances,desétablissementspublicsetdestravauxpublics.

«Article 5 : La municipalité sera composée d’un maire, de seize administrateurs, de trente-deuxmembresduconseil,dequatre-vingt-seizenotables,d’unprocureurdelacommune,dedeuxsubstitutsquiserontsesadjointsetexercerontsesfonctionsàsondéfaut.»

Le2août1790,Baillydevienteffectivement,aprèssonélection,mairedeParis.Ilassureunmandatde deux ans jusqu’au 11 novembre 1791. Lui succèdent : Jérôme Pétion, Philibert Borie, RenéBoucher,NicolasChambonetJean-NicolasPache.Cedernier,girondinralliéauxmontagnards,estsurtoutconnuparladeviseLiberté,Égalité,Fraternité,qu’ilfaitgraversurlesédificespublics.

L’oppositionroyaleàlaConstitutioncivileduclergé,latentativedefuiteratéeduroialourdissentleclimatparisien.Lesouverainestsoussurveillance.Le20juin1792,plusde20000patriotesparisiensvenus des faubourgs Saint-Antoine et Saint-Marceau envahissent les Tuileries. Ils ne repartirontqu’après avoir obligé le roi à se coiffer d’un bonnet républicain. Dans ce contexte, la Communeinsurrectionnelle(288membres)du10août1792estuneréponseauxmenacesduducdeBrunswickcontre les Parisiens. La Terreur s’installe dans la capitale : suspects, emprisonnements, jugementsrapides,guillotine.Le21janvier1793,leroiestconduitàl’échafaud.Leslieuxdecultesontfermés,lacensures’exercesurlapresseetlethéâtre.LeComitédesalutpublicimposeseschoixpolitiquesàla Commune. Laminorité révolutionnaire, qui dirige la capitale et la France,met en scène sur leChamp-de-Mars la grande fête de l’Être suprême en l’honneur de Robespierre. Devant l’Écolemilitairesedresseletempledel’Immortalité.Cequiapparaîtence20prairialdel’anII(8juin1794)comme une manifestation de glorification est en fait l’exorde d’un dernier acte. Le 26 juillet (8thermidor), la Convention décrète l’arrestation de Robespierre, Saint-Just, Couthon et Lebas. LesdernièresheuresdumouvementsedéroulententrelesTuileries,lequaidesOrfèvres(administrationde la police), l’Hôtel deVille. La guillotine a été retirée de la place duTrône-Renversé pour êtredresséeplacedelaRévolution.LecouperetquifaittomberlatêtedeRobespierreannoncelaréaction

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thermidorienne et la République bourgeoise (1794-1799). Les Parisiens demeurent encore lespremiersacteursdelaviepolitiquedelafindelaConventionouduDirectoire.Symboliquement,laplacedelaRévolutiondevientplacedelaConcorde(14juillet1795),maislavilleconnaîttoujoursune situation de grande détresse face à la pénurie et de très vives tensions entre républicains etroyalistes.Le1eravrilet le20mai1795,laConventionriposteàuneinsurrectiondeshabitantsdesquartiers populaires et des faubourgs (les « ventres creux »). Émeutes de la faim, que l’armée dePichegru et Legendre réprime sévèrement. Le faubourg Saint-Antoine, principal foyer de cesrévoltes,estcernéetdésarmé.Le13vendémiaire(5octobre1795),cesontlesroyalistesquitententd’investirlaConvention.D’autresrevendicationsetsurtoutd’autresquartierssituéssurlarivedroite(rueSaint-Honoré,rueRichelieu)sontàl’originedecesoulèvement.Lesmonarchistessontdéfaitspar le jeune Bonaparte. L’ordre règne désormais dans la capitale. Le décret du 11 octobre 1795(antithèsedeceluiduprojetde1790)place laville sous la surveillancedu«Directoireexécutif».Paris est divisée en douzemunicipalités de quatre sections avec un bureau central de police et desubsistance. La crainte de la première ville française nourrit directement cette logique dudémembrement. Principe simple qui inspire les différents pouvoirs (empire, monarchie ourépublique):l’unitémunicipaleestundanger.LeConsulatpuisl’Empiregardentcecap.N’oublionspasquec’estàSaint-Cloud,loind’éventuellesémeutesparisiennes,quelecoupd’Étatdu18brumaires’organise.

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ChapitreIV

Lagrandevilleduxixesiècle

I.LavilleimpérialearissouslaRévolutionn’apasconnudegrandschangementsarchitecturaux.C’estparadoxalementdavantage levidenéde l’émigrationqui retient l’attention.Denombreuxhôtelsprivésetbâtimentsreligieux sont abandonnés. LaCommission des artistes (Verniquet,Wailly, Pasquier,Gombault…),chargéepar laConvention en1793de fairedespropositions envuede la réalisationdenouvellesvoies,netirepaspartidececontextesingulier.Illuiétaitpourtantpermisd’envisagerexpropriationsetdestructionsenl’absencedespropriétaires.Rienn’estmisenchantier,etilnerestedestravauxdecettecommissiondissouteen1797qu’unprojetdeplan,ditplandesartistes.

Sous lePremierEmpire, lavilleconnaîtuneévidente renaissance.«Renaissance» rime iciavec«surveillance».Napoléonprivelacapitaled’uneadministrationautonome.Certes,lavillecompte12mairesd’arrondissement,maisaucunmairedeParissiégeantàl’HôteldeVille.Leconseilmunicipalestavanttoutunorganed’enregistrementdesdécisionsministérielles.Dorénavant,deuxpréfets(delaSeineetdelapolice)ontenchargelesaffairesdelacommune.LepréfetdelaSeine(FrochotpuisChabroldeVolvic)devientlepersonnagecentraldel’organisation,delagestionparisienne:hommeligedupouvoir.

En1804,lacapitaleestendeçàdes580000habitants,c’estdirelespertessubiespendantlesannéesderévolution.Inversement,l’Empireestunephasedecroissancedémographique(700000hab.en1814).

Globalement, cette décennie impériale correspond à l’achèvement de plusieurs travaux initiésantérieurementetauxlancementsd’importantsouvragesterminésaprès1815.

« Le temps ne lui [Napoléon] permettra pas d’achever ce qu’il a entrepris, mais il laisserad’admirablesébauches.Entoutcas,tantquedurerasonrègne,ilmettratoussessoinsàembellir,àreconstruire, àassainir, à fortifier et à égayer cette villeuniquequ’il prenddans ladécrépitudeetqu’illaissedansl’épanouissement.»

Ainsi,l’axeconstituéparlaruedeRivoli(jusqu’àlaplacedesPyramides),projethéritéduConsulat(1801), voit le jour grâce aux architectes de l’empereur Percier et Fontaine. Et le grand desseinimpérial,quis’exprimedansl’édification,àlabarrièredel’ÉtoiledeNeuilly,d’unarcdetriompheàlagloiredesarméesimpériales,netrouvesaconcrétisationquele…29juillet1836.

L’histoire architecturale de la capitale doit bien souvent être rattachée aux épisodes de l’histoirenapoléonienne. Pour le sacre de 1804, le parvis de Notre-Dame est agrandi. La démolition deplusieurséglisesetletransfertd’unepartiedel’Hôtel-Dieudessinentunespacedeprèsde80mde

P

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côté. La colonne deVendôme (1806-1810) est édifiée parGondoin et Lepère sur lemodèle de lacolonneTrajaneavec les1200canonspris auxAutrichienset auxRussesen1805.Deuxvictoiresdonnentleurnomauxpontsd’Austerlitz(1802)etIéna(1807).Mêmeempreinteguerrièreavecl’arcdetriomphedel’Étoile,puisl’arcdetriompheduCarrousel(1806-1808),imitationpourcedernierdes arcs de Septime Sévère et Constantin. Napoléon réside peu à Paris. Jules Berthaut avance lechiffrede955joursdeprésencesurdixansderègne.Mais,dansceParisquifêtechaquenouvellevictoiremilitaire,lesparadesdel’EmpereurauCarrouselsontautantd’occasionsdevoirdéfilerlesrégimentsetd’organiserdesretraitesauxflambeaux.

Lacapitalebriseunepartiedesoncarcanmédiéval.LadestructionduGrandChâtelet(1802-1810)estune opération salutaire, qui règle considérablement les problèmes de la circulation entre les deuxrives.Lestravauxpourlepercementdel’avenuedel’ObservatoiredepuisleLuxembourgdébutenten1807 sous la direction de Jean-François Chalgrin (1739-1811). Le dégagement devant le PanthéonaveclaconstructiondelarueSoufflotestdécidéen1807.Lesanciennesterresdel’abbayedeSaint-Victorsontutiliséespour l’installationde laHalleauxvins.Aunord,AlexandreBrongniart (1739-1813)aménagelecimetièreduPère-Lachaise(nomduconfesseurdeLouisXIV)ouverten1804.Lecimetière duMontparnasse est terminé en1824.Brongniard se voit aussi chargédes travauxde laBourse(1808-1827).Nouvelleétapedansl’embellissementdufleuve:laSeineestbordéedequaissursesdeuxrives,etlesbergessontpavées.

Ledécretdu2mai1806faitdeladistributionconstanted’eauunepriorité(findestravauxducanaldel’Ourcq (1802-1808), long de 107 km, le chantier du canal Saint-Martin terminé en 1822 et laréalisationdetrèsnombreusesfontaines).AucentredelanouvelleplaceduChâtelet, lafontaineduPalmier est probablement la plus illustre parmi ces multiples créations de l’Empire (fontaine del’Égyptienne de la rue de Sèvres, des Lions sur la place du Château-d’Eau, d’Hygie rue Saint-Dominique…).Àpartirdu1ermars1812,l’eaupubliqueestgratuite.

Lacirculations’amélioreaveclaconstructionparl’ingénieurDillondupontdesArts,premierpontenferentrel’InstitutetleLouvre.Lanumérotationdesmaisons(pairsetimpairs)segénéralise.Lamultiplicationdeslanternesàhuileavecréflecteuretl’utilisationdugaz(1812)apportentunconfortévidentdansunevilleoùl’éclairageestencorebieninsuffisant.Enfin,lasécuritéfaceauxincendiesestrenforcéeaveclacréationle18septembre1811,parlepréfetPasquier,d’unbataillondesapeurs-pompiers.

Les derniers jours du régime replacent la capitale au cœur du conflit européen. Les forces de lacoalition sont aux portes de Paris. Dès le 29, sur ordre de l’Empereur,Marie-Louise et le roi deRome quittent la ville. Le roi Joseph installe son quartier général au Château-Rouge, entreMontmartreetLaChapelle.Le30mars,Pariscapitule.NapoléonestencoreàFontainebleau,alorsquelecomted’Artois,«lieutenantgénéralduRoyaume»,depuisParispréparel’arrivéedesonfrère.Le31mars1814,dans lavilleouvertedeLouisXIV, leroidePrusseet le tsardeRussiefont leurentrée(porteSaint-Denis)quelquessemainesavantLouisXVIII.LavilleestdésormaisoccupéeparlestroupesennemiesquicampentsurlesChamps-Élysées.L’arrivéedunouveauroi,avecladuchessed’Angoulême, fille de Louis XVI, est le signe de plusieurs journées de fête dans les jardins desTuileries.LesCent-Joursnesontqu’unecourteparenthèsequiramènel’EmpereurauxTuileries.Le20novembre,c’estàParisqu’estsignélesecondtraitédepaix.

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II.LeParisrévolutionnaireetromantiqueAprès un quart de siècle de conflits, Paris et la France sortent de la guerre. Manifestations duchangementderégime,quelquesnomsderuesetdepontssontmodifiés.LarueNapoléonredevientrue de la Paix, le pont de la Concorde reprend le nom de pont Louis-XVI. La statue d’Henri IVretrouve sa place sur le Pont-Neuf. Quant au drapeau blanc, il flotte sur le haut de la colonneVendôme.

Le romantisme (Chateaubriand, Nodier), qui se déploie dans ces premières années du siècle, nes’attaque pas à la Restauration. Il en est tout autrement à la fin des années 1920. Dans cetteconjoncture, la ville est à l’image d’unChateaubriand (« Jeme suis rencontré entre deux siècles,commeauconfluentdedeuxfleuves»).LaRévolutionn’estpasachevée,etParisn’estpaslacapitaledelaRestauration.En1815,lesParisienssontreprésentéspardesroyalistesauseindelaChambreintrouvable.Deuxansplustard,leslibérauxcommencentleurreconquête,etlesnotables(financiers,industriels,journalistes)dominentlaviepolitiqueparisienne.

Les romantiques, loyaux alliés dudébut du règnedeLouisXVIII, semontrent au fil desmois desadversaires redoutables. Le romantisme et la révolution se conjuguent et imprègnent lentement lacapitale.Aprèsdesdécenniesd’unemissioncollective(révolutions,guerres…),l’individus’affirmecommeuneforcepour(etdans)lasociété.L’élandumouvementromantiqueparisiennaîtdelapaixretrouvée. Les idées, les sensibilités romantiques recouvrent de nombreux aspects de l’histoire deParis(politique,littérature,arts…).Enruptureavecleclassicisme,leromantismeinfluencelapresse,leroman,lethéâtreoulaviedessalons.L’âmeromantique–alchimiedebonheur,dedésespoir,derévolte – marque les créations littéraires et artistiques parisiennes. En 1830, la bataille d’Hernani(depuislapremière,le28février)nepréfigure-t-ellepointlesjournéesrévolutionnairesdeJuillet?

«Lepublicsiffletouslessoirstouslesvers;c’estunrarevacarme,leparterrehue,leslogeséclatentderire.Lescomédienssontdécontenancésethostiles;laplupartsemoquentdecequ’ilsontàdire.Lapresseaétéàpeuprèsunanimeetcontinuetouslesmatinsderaillerlapièceetl’auteur.»

Contre la Restauration, le Paris des romantiques en appelle à la liberté. La rue, les assembléesrésonnentdesmotsentendusdanslesthéâtres.

«PeuàpeulaRestaurationdéçoit,etbeaucoup,passantd’unextrêmeàl’autre,vontdécouvrirunecohérenceentreleurrévolteesthétiqueetl’idéaldeliberté.C’estainsiqueV.Hugoassociedanssapréfaced’Hernanila”libertédansl’art“etla”libertédanslasociété“,sa”bataille“,le25février1830,offrantcommeunpréludelittéraireauxbarricadesdeJuillet.»

Le Paris romantique habille la révolution qui couve (conspirations, insurrections). Lemouvementhostile à la Restauration ne cesse de croître. En 1820, à la sortie de l’Opéra, le duc de Berry estassassinéparLouvel.En1821,laCharbonneries’organisedanslacapitale(3000à4000membres).Auseindeslibéraux,laplacedesétudiantsgrandit.L’écolededroitsemobiliseàplusieursreprises.Le3juillet1819,lesétudiantssoutiennentleprofesseurBavoux,sanctionnépoursesidéeslibérales.Le29avril1827,c’estunepartiedelaGardenationalequimanifesteauxcrisde«Vivelalibertédela presse ! » devant Charles X. Face à la montée des oppositions, Villèle décide de dissoudre (6novembre 1827). Paris, malgré le suffrage censitaire, accorde plus de 80 % des suffrages aux

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libéraux.LaparenthèsepolitiqueduministèreducomtedeMartignac(monarchistemodéréquioffreàChateaubriandl’ambassadedeRome)necalmepaslacapitale.Et,lorsqueleroinommeleprincedePolignac,Paris bruisse d’intrigues.La ville est bien en cette année 1830 le volcan annoncé parSalvandy. Les ordonnances de Juillet déclenchent l’éruption parisienne. Trois journées – les TroisGlorieusesdes27,28et29juillet1830–jettentlepeupledeParisàl’assautdelamonarchieetd’unmonarque, qui se réfugie à Saint-Cloud alors que les affiches de la bourgeoisie libérale (Laffite,Thiers),favorablesauducd’Orléans,recouvrentlesmursdelacapitale.Encesheures,oùsejouelabataillepourlepouvoir?Unefoisencore,c’estàl’HôteldeVilledeParisques’écritl’histoiredelaFrance. Le 31 juillet, le futur roi, de retour duRaincy, se rend place deGrève, là où s’affrontentrépublicainsetlibéraux.PhilippeVigierditicil’essentiel:

«C’estpourvaincrerésistanceetréticencesdel’"HôteldeVille"queLouis-Philippeetlesquelque90députésqui,maintenant,appuientsacandidature,décidentdegagnercehautlieuoùen1830,commeen1789et,plustard,enfévrier1848etseptembre1870,réside,endernierressort,lePouvoirennotreFrance”jacobine“dusiècle.»

Letableaududernieractedecesjournéesrévolutionnairesparisiennesestcélèbre.Surlebalcondel’Hôtel de Ville, Lafayette et le duc d’Orléans s’étreignent dans les plis du drapeau tricolore. Labourgeoisie parisienne vient de remporter la bataille.Le rideau tombeprovisoirement.Le 29 août1830,lacapitalefêtece(son)roi-citoyensurleChamp-de-Mars.

« Il n’a fallu que trois jours à la tempête romantique pour rompre les digues de l’ordre établi ; ledescendant de saint Louis, d’Henri IV, de Louis XIV, le dernier monarque absolu n’est plus qu’unfugitif.Quantàceluiquil’aremplacé,ils’apercevratrèsvitequecen’estpasunetâcheaiséequededemeurerdanslecœurdesParisiens.»

L’espritrévolutionnairedelacapitalenes’apaisepassouslamonarchiedeJuillet.Le14mars1831,lamesseàSaint-Germain-l’AuxerroispourleducdeBerrysetransformeencombatsderues,etlesaffrontementssepoursuiventàl’intérieurdel’archevêchédévasté.Le5juin1832,lesfunéraillesdugénéral Lamarque (1770-1832), mort du choléra, sont le point de départ de deux journéesrévolutionnaires.Lesrépublicainssontprésents toutaulongduparcourspourhonorerlamémoirede ce leader de l’opposition libérale. À la hauteur du pont d’Austerlitz, plusieurs étudiants tententd’entraînerlecharfunèbrejusqu’auPanthéon.Lechocentrelatroupeetlesrépublicains(150morts)seprolongetoutelanuitdevantl’égliseSaint-Merry.En1835,l’attentatratécontrelapersonneduroi(boulevard du Temple) par Fieschi fait 18 morts. Louis-Philippe est l’objet de huit attentats. LejournalLeCharivarititre,le26juillet1835:«LeroicitoyenestvenuàParisavecsasuperbefamillesansêtreaucunementassassiné.»

Le12mai1839,ArmandBarbès(1809-1870)etLouisBlanqui(1805-1881)envahissentlespostesdepolicedel’HôteldeVille.L’assautfaitcinqmorts.

Lacapitalevoitledéveloppementdesmouvementssociaux,dessociétésrévolutionnaires(LesAmisdelaVérité,LesRéclamantsdeJuillet)etdelapressed’opposition(LeNational,LaRéforme).C’estune période de fortes protestations ouvrières (cinqmois de grève chez les charpentiers en 1845).Dans cette agitation parisienne se perçoit le souffle des créations romantiques : Hugo (Ruy Blas,Notre-DamedeParis),AlexandreDumas(Antony),AlfreddeVigny(Chatterton),BalZAC,Mérimée(Colomba)ouRude(LeDépartdesvolontaires).L’action,lesacrifice,larévoltecontreleségoïsmesparticipentdecetespritde1848.

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Alors que le régime choisit la Résistance avec le gouvernement de François Guizot contre leMouvement,Parislancelacampagnedesbanquetsrépublicains.LepremiersetientàMontmartreaurestaurant du Château-Rouge le 9 juillet 1847. Après de nombreux rassemblements en province,l’interdiction du banquet final prévu le 22 février 1848 dans le 12e arrondissement enflamme lacapitale.LaGardenationale,unefoisencore,sedissocieduroiquidémissionneGuizotetnommeMollé à la tête du gouvernement. Ni les armes du général Bugeaud, chef de l’armée de Paris, nil’abdication royale en faveur de son petit-fils, le comte de Paris, ne parviennent à freiner lemouvement.Larévolutionestdéjàenmarchedanslesruesetsurlesbarricades.LeParisrépublicainetromantiqueestmaîtredelaChambreetformeàl’HôteldeVilleungouvernementprovisoire.LaSecondeRépubliqueestproclaméele24février.LouisAntoineGarnier-PagèsdevientmairedeParis.À l’Assemblée nationale, élue au suffrage universel, réunie le 4 mai, le romantique Alphonse deLamartine(1790-1869)triomphe:ilestlemieuxéludes34députésparisiens.

La République n’est qu’une courte parenthèse de quatre années. Quelques mois après cettemanifestationdu lienentre lapassionpolitiquede lavilleet le lyrisme romantique,Parisouvre lavoieàLouis-NapoléonBonaparte.Lessuffragesdelacapitaleleportentàladéputation(septembre).Et,le10décembre,avecprèsde60%dessuffragesexpriméssursonnom,Parisestàl’unissondupays.LenouveauprésidentdelaRépubliqueprendpossessiondupalaisdel’Élysée.Troisansaprès,préparédelonguedate,lecoupd’Étatdu2décembre1851installeleSecondEmpireauxTuileries.Parisneréagitqueles3et4.L’arméeareçul’ordred’écrasertouteslestentativesd’insurrectionquiont lieu dans le faubourg Saint-Antoine et sur les boulevards. Ce sont 400 morts, dont le députérépublicainBaudin (« Jevaisvousmontrercommentonmeurtpour25F»),qui accompagnent lanaissancedunouveaurégime.LepeupledeParisnel’oublierapas.

III. Les transformations, de Rambuteau àHaussmannLexixesiècleconforteParisdanssonstatutdepremièrevillefrançaise.Alorsquelescommunesdeprovinceconnaissentunestagnation(population,croissance),lacapitaleestplusquejamaislegrandpôle urbain du pays. Le nombre de ses habitants croît de manière spectaculaire. La rive droiteconstituantunsous-ensembledeuxàtroisfoispluspeuplé.

Parallèlement, lavilles’agrandit.Après les invasionsde1815, laconceptionde lavilleouverteestremiseencause.Laloidu3avril1841,aboutissementdesréflexionsmenéesdepuisplusdevingtanspar les comitésde fortificationsou la commissionditededéfenseduRoyaume, intègre lespetitescommunes périphériques (Auteuil, Passy, Batignolles, Montmartre, La Chapelle, La Villette,Belleville, Charonne, Bercy, Ivry, Gentilly, Montrouge, Vaugirard, Grenelle). De 1841 à 1845 seforme une nouvelle, et dernière, enceinte, qui prend le nom de Thiers, composée de 17 forts, 94bastionssur36kmavecdesfossésde15mdelarge.Le1erjanvier1860,l’annexiondel’espacesituéentre l’ex-mur des Fermiers généraux et ces fortifications permet à la capitale d’atteindre unesuperficiede7088ha,soitungainde3800ha,etunepopulationde1600000,soituneaugmentationde400000habitants.

Tableau2.–Populationparisiennede1801à1901

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1801: 548000habitants 1846: 1053000habitants1807: 580000habitants 1856: 1174000habitants1811: 624000habitants 1860: 1696000habitants1817: 714000habitants 1872: 1850000habitants1831: 785000habitants 1877: 1985000habitants1836: 867000habitants 1891: 2448000habitants1841: 935000habitants 1901: 2715000habitants

De 1815 à 1870, trois préfets de la Seine ont marqué la vie de la capitale (Chabrol, Rambuteau,Haussmann).

Chabrol.Joseph-GaspardChabroldeVolvicestrestéàcepostede1812à1830.SelonlemotdeLouisXVIII : « Monsieur de Chabrol est marié avec la ville de Paris. » Il est à l’origine de plusieurslotissements:Batignolles(1821),quartierSaint-GeorgesetFrançois-Ier(1823),Beaugrenelle(1824),le quartier de l’Europe (1826). Au cours de ces années, une soixantaine de rues nouvelles sontouvertes. Plusieurs sociétés privées sont parties prenantes dans l’aménagement de ces nouveauxquartiers. L’entreprise du financier Dosne investit le quartier Notre-Dame-de-Lorette ; la sociétéHagermann,lequartierdel’Europe.LesbanquiersAndré,CottieretsurtoutJacquesLafitte(députédeParisen1816)spéculentsurlesopérationsimmobilièresdanslequartierPoissonnière(ancienenclosSaint-Lazare).Lelotissementd’unepartieduquartierFrançois-Ierestdûà l’initiativeducoloneldeBrack.

Le passage devient l’un des éléments architecturaux caractéristiques de ces années 1815-1848. Lafamille d’Orléans avait créé en 1785 la première galerie au Palais-Royal. Depuis, ces passagescouvertsd’uneverrière,itinérairessécurisantsavecdenombreusesboutiques,sonttrèsappréciésdesParisiens.Parmilesplusfréquentés:lepassagedesPanoramas(1800),del’Opéra(1822),Vivienne(1823),Trocadéro(1824),Sainte-Anne(1829),Montesquieu(1830),delaMadeleine(1845)etdelaSorbonne(1846).

Dans ces décennies, l’éclairage se perfectionne.Dès le début des années 1820, les vieux quinquetssontremplacésparlegazdanslesgrandesartères(ruedelaPaix,ruedeCastiglione)etsurlesplaces(place Vendôme, place de l’Odéon) du centre de la ville. En 1830, plus de 1 000 Parisiens sontabonnésaugaz.

Rambuteau.LecomteBarthelotdeRambuteau,faitpréfetparNapoléonen1813,occupelafonctiondepréfetdelaSeinede1833à1848.Sonœuvreestconsidérableetnepeutêtrerésuméecommeunesimplepréfigurationdesprojetshaussmanniens.Enquinzeannées,letableauparisienchange.Cœurdelacité,l’hôteldevilleduBoccadorestagrandi.Pardécisiondu30avril1835,leconseilmunicipalconfie aux architectes Godde et Lessueur la direction de ces travaux. Ils coûtent 12 millions ets’étalentsurcinqannées(1837-1842).En1833,unenouvellestatuedeNapoléondominelacolonneVendôme.L’ArcdeTriompheestinauguréle29juillet1836.QuantàlaplacedelaBastille,elleestdésormaisdominéeparles52mdelacolonnedeJuilletavecleGéniedelaLiberté.Le25octobre1836, laplacede laConcorde, redessinéepar JacquesHittorf (1792-1867), accueille en son centrel’obélisquedeLouqsor(220000kg)offertparMéhémetAli,vice-roid’Égypte.Sixnouveauxponts(Bercy,Saints-Pères,Louis-Philippe)sontjetéssurlaSeine.En1847,l’îleLouviersestrattachéeàla

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rive droite. La monarchie de Juillet voit aussi s’achever les travaux de laMadeleine, des églisesNotre-Dame-de-LoretteetSaint-Vincent-de-PauletdupalaisBourbon.

Lanécessaire aérationde la ville («donner auxParisiensde l’eau, de l’air et de l’ombre», disaitRambuteau)entraînel’ouverturede110voies.Lesruessontélargies.Larued’Arcole(1837)traversel’îledelaCitéduparvisdeNotre-Dameàl’HôteldeVillesurunelargeurde12m.LarueRambuteau(1845),largede13m,réunitleMaraisauxHalles.Cettepercéeestlepremiervastechantierimposantexpropriationsetdémolitions.

Lamêmeexigenced’airetd’hygièneconduit lepréfetdelaSeineàfairenettoyer lescontre-alléesdes boulevards. De même, la lutte contre l’insalubrité des rues (boue, eaux usées) passe par lamultiplication des voies bombées et des trottoirs. Dernière innovation : le bitume, qui fait sonapparitionauPalais-Royal.Lepaysageurbainchangeaussiaveclaplantationdemilliersd’arbresetl’intensificationdel’éclairageavec10000becsdegazen1848.

L’eaudemeurecertainementlagrandeprioritédeRambuteau.

Le percement du puits de Grenelle, l’installation de deux mille bornes-fontaines s’ajoutent auxcréations de nouvelles fontaines (Louvois, Saint-Sulpice, Molières). L’eau est au centre d’unimportantcommerce.LesAuvergnatsexercent lemétierdeporteurd’eau.Ils livrentcebiensurunchariot ou avec un joug et deux seaux au domicile des plus fortunés.Le nomdeRambuteau restelongtempsattachéauxurinoirsquisontconstruitssurlesboulevards.

Haussmann.LebaronGeorgesEugèneHaussmann(1809-1891)estnommépréfetde laSeinele29juin1853.IlsuccèdeàBerger(1848-1853).Encemilieuduxixesiècle,Parisest toujoursunevillemalade.Lesdescriptionsd’EugèneSuesontprécisesetprécieuses:ruesétroites,maisonsàétagesetforteconcentrationdepopulationsdanslesquartierspauvresducentre(plusieursmilliersd’habitantsaukilomètrecarré).

«Le 13 décembre 1838, par une soirée pluvieuse et froide, un homme d’une taille athlétique, vêtud’unemauvaiseblouse,traversalepontauChangeets’enfonçadanslaCité,dédalederuesobscures,étroites,tortueuses,quis’étenddepuislepalaisdejusticejusqu’àNotre-Dame…Cettenuit-là,donc,levents’engouffraitviolemmentdanslesespècesderuellesdecelugubrequartier;lalueurblafarde,vacillante,desréverbèresagitésparlabise,sereflétaitdansleruisseaud’eaunoirâtrequicoulaitaumilieudespavésfangeux.Lesmaisons,couleurdeboue,étaientpercéesdequelquesraresfenêtresauxchâssisvermoulusetpresquesanscarreaux.Denoires,d’infectesalléesconduisaientàdesescaliersplusnoirs,plusinfectsencore,etsiperpendiculaires,quel’onpouvaitàpeinegraviràl’aided’unecordeàpuits fixéeauxmurailleshumidespardescramponsde fer» (EugèneSue,LesMystères deParis).

AudébutduSecondEmpire, laville conserve soncœurmédiéval.Lesquartiers sontdevéritablestaudis.Lecholéraafaitdesmilliersdemortsen1832,1848,1849,1853et1865.

Danslamutationdel’espaceparisien,NapoléonIIItientuneplacecentrale.DepuissonélectionàlaprésidencedelaRépublique(1848),ilasouventexposéaupréfetBergersapolitiquepourParis.Lespremierstravaux(leprolongementdelaruedeRivoli)débutentdès1852.

«ParisestlecœurdelaFrance.Mettonstousnoseffortsàembellircettegrandecité,àaméliorerle

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sort de ses habitants, à les éclairer sur leurs véritables intérêts. Ouvrons des rues nouvelles,assainissons lesquartierspopuleuxquimanquentd’airetde jour,etque la lumièrebienfaisantedusoleil pénètre partout dans nosmurs, comme la lumière de la vérité dans nos cœurs » (Napoléon,1850).

Haussmann a justement rappelé dans sesMémoires ces directives impériales tracées sur le plan deVerniquetfixantavecdestraitsdedifférentescouleurslesnouveauxaxesdecirculationquidevaientmodifier la vie de la capitale. Lors de son exil londonien, le futur empereur a été convaincu desbienfaits de la destruction des quartiers insalubres et de la construction des larges artères, quimodifientlepaysageurbaindelacapitaleanglaise.

Avec Napoléon III et Haussmann, il faut désormais parler de politique urbaine. La ville estconsidérée, contrairement aux projets antérieurs, dans sa globalité. Il ne s’agit pas uniquement deréaliser quelques percées nouvelles, mais de réaménager les quartiers centraux, de faciliter lacirculationdeshommesetdel’airavecdesvoiesélargies,d’établirdesliensentrelapériphérieetlecœur,derelierlesgaresetlespôlesinternesdelaville,demultiplierleséquipementscollectifs…Lapercéehaussmanniennecassel’anciencadreurbain(leparcellaireetlesfortesdensitésdesquartiersducentre)etétablitdenouveauxaxes,plusdroits,pluslargespartantd’unegare,d’uneplaceoud’unmonument.Paris respiremieux,mais lesParisiens lesplushumblespartentvers lapériphérie.Lesexpropriationsfonteneffetplaceauximmeubleshaussmanniens.LesmaçonsduLimousinviventdesannéesd’or.

«IlsdégagentleLouvreetl’HôteldeVille.Jeuxd’enfantsquecela!Parishachéeàcoupsdesabre,les veines ouvertes, nourrissant 100 000 terrassiers et maçons, traversé par d’admirables voiesstratégiquesquimettrontlesfortsaucœurdesvieuxquartiers»(ÉmileZola,LaCurée,1872).

De 1853 à 1868,Haussmann est lemaître d’œuvre des grandes opérations quimétamorphosent lepaysageetlaviedesParisiens.Aveclamultiplicationdesexpropriationssimplifiéesparlesénatus-consulte du 25 décembre 1852, des milliers de déménagements imposés, des démolitions,d’importants percements, la ville bourgeoise est en construction. « De profondes tranchées, dontplusieurs sont déjà de magnifiques rues, sillonnent la ville en tous sens ; les îlots de maisonsdisparaissentcommeparenchantement,desperspectivesnouvelless’ouvrent,desaspects inattendussedessinent»(ThéophileGautier).L’haussmannisationdeParisnes’arrêteassurémentpasenjanvier1870 avec le renvoi du baron. Jusqu’au début du xxe siècle, plusieurs quartiers vivent au rythmed’opérationslancéesdanslesannées1860.

Enquelquesmois,l’îleduMoyenÂgeentre,souslescoupsdesdémolisseurs,danslexixesiècle.Àpartir de 1865, l’île de la Cité est, tardivement mais indéniablement, la plus touchée, la plustransforméepar lesprojetshaussmanniens.Unchantierdont l’ampleur s’expliqueenpartiepar lespeurs du pouvoir devant les émeutes populaires dans ce quartier. La phrase de René Héron deVillefosse:«Ledécormédiéval,surlequelveillaitNotre-Dame,futcoupéàblanccommeuneforêtmiseenfriche»,résumepertinemmentl’étatdeslieuxaprèslesdémolitionsréaliséesentrelepalaisde justice et la cathédrale, dont la restauration entreprise par Viollet-le-Duc est achevée en 1864.L’Hôtel-Dieuestmaintenu,lepalaisdejusticerénové,laplaceDauphineépargnée,maisdisparaissentdenombreusesrues,deshôtelsprestigieuxetdepetiteséglises.

Parmilesgrandesopérations:lagrandecroiséenord-sudetest-ouest(référenceautracéd’uncardo

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et d’un decumanus de l’Antiquité) constituée par la rue de Rivoli (de la rue Saint-Antoine auxTuileries)etlesboulevardsdeStrasbourg,Sébastopol(ouverten1858)prolongéesurlarivegaucheparleboulevardSaint-Michel(quiàl’origineavaitpournomboulevarddeSébastopolrivegauche).Danscetensemble,laplaceduChâteletetlaplaceSaint-Michelencadrentl’îledelaCité.Aunombredesprincipalesplaces-carrefourset lespercées, citons lamajestueuseplacede l’Étoile avec les12grandesavenuesquilarejoignent,laplacedel’Opéra(l’OpéradeGarnierestinauguréen1875)etl’avenue de l’Opéra (1864-1876), la rue de la Paix et la nouvelle rue du Dix-Décembre (futur 4-Septembre)etleboulevardHaussmann,lienentrel’Étoileetl’Opéra.LaplaceduChâtelet,entouréepardeuxthéâtres,estagrandie, légèrementdéplacéeafinde lasituerréellementdans laperspectivenord-sudetreliéeàl’HôteldeVilleparlacréationdel’avenueVictoria(1855)etauxpavillonsdesHallesdeBaltardparlaruedesHalles.

Surlarivegauche,laruedesÉcolesestpercée(1852).LechantierduboulevardSaint-Germainestouvert en 1855. Pendant de la rue de Rivoli, il doit rejoindre (avec le boulevard Henri-IV) laConcordeàlaplacedelaBastille.Étoilesuddudispositifhaussmannien,laplaced’Italieestlenœuddeconvergencesdenouveauxboulevards.

Avec l’ingénieurenchefdesPromenadesetdesPlantations, Jean-Charles-AdolpheAlphand (1817-1891),lebaronHaussmannoffreàlavillesongrandjardinier.L’empereur,làencore,influencéparson séjour anglais, a donné l’impulsion. Au nom d’Alphand, il faut aussi ajouter celui del’horticulteur Barillet-Deschamps et l’architecte Davioud. Leur bilan dans l’embellissement desquartiers et l’inventaire des plantations, des jardins, des squares, des kiosques, des pavillons estimpressionnant.Sontaménagésàl’ouestetàl’estleboisdeBoulogneetceluideVincennes,ainsiquetroisparcs(Buttes-Chaumont,Montsouris,Monceau).

Àchaquepercéeestassociéunalignementd’arbres.Lechiffrede82000arbresestavancé.Leplusbel exemple est probablement l’actuelle avenue Foch, anciennement la prestigieuse avenue del’Impératrice,largede140msur1,5km,avecsescontre-alléespourlescavaliersetunesuccessiondepelouseset4000arbres,entreleboisdeBoulogneetl’Étoile.

Dans cet ensemble napoléonien et haussmannien prennent place les gares, le réseau d’équipements(eau, égout) et les nouveaux bâtiments publics. Avec les constructions de l’architecte Raynaud etd’Hittorf(1792-1867),lavillecomptesixgaresàlafinduSecondEmpire(Saint-Lazare,Nord,Est,Lyon,Orléans,Rennes).

Au terme de ces pages, comment ne pas considérer que l’empreinte d’Haussmann est des plusprégnantes(etpourlongtemps)danslaviedelacapitale?

«CelaveutdirequeParisestdésormaisunevilleduxixesiècle.Cetteaffirmationsimpleetminimalefaitencorescandaleetpourtantonestbienobligédes’ytenir.Parisalevisagequ’elleatrouvéavecetsousHaussmann.Onpeutdétestercetteimageetrefuserdesepenchersurlemiroirquirenvoieunetellevérité,jugéeinsupportable.Quoiquel’onfasse,quoiquel’onpense,Parisn’estprincipalementpas une ville médiévale ni une ville baroque ni une ville néoclassique. Toulouse, Rome, Saint-Pétersbourg font mieux dans le genre. Paris est bien une ville du xixe siècle. Si les villes sontcomposéesdecouchessuccessives,ilsemblebienquelegrandmomentdelastratificationdeParisaiteu lieu dans la secondemoitié du xixe siècle sous les auspices d’Haussmann et qu’il ne soit pluspossibled’enséparerlatranchehaussmannienne.Parisestàprésentunevilleindivisible;elleaété,

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bienoumal,haussmannisée.»

IV.LascènerépublicaineetradicaleAudébutdumoisdeseptembre1870,lanouvelledeladéfaitedeSedanenfièvrelacapitale.Dèsle4septembre1870,Parisestaucœur(lecentre?)de laRépubliquenaissante.Desmilliersd’habitantsont envahi le palaisBourbon et exigent la déchéance du régime. Le corps législatif capitule, et lepouvoir est désormais, une fois encore, à l’Hôtel deVille. Il faut se rendre au plus vite place deGrève.Commel’affirmeJulesFavreaugénéralTrochu:«C’estlàquedoiventserendreleshommesquientendentcontribueràsauverlepays.»

Lacapitaleredonnelepouvoirauxrépublicainsetreprendledrapeautricoloreafindeprolongerlaguerrefranco-prussienne.

«Paris a l’habitude de gouverner la France. Depuis des siècles, dans ce pays centralisé, le motd’ordre vient de la capitale. Aussi, dès les premiers moments, personne ne s’étonna de voir Pariss’emparer,enquelquesorte,dupouvoirvacantetleconfieràsesreprésentants.

Paris était, d’ailleurs, dans une situation exceptionnelle. Place forte, camp retranché, rouageindispensableà lavienormalede lanation, ilallaitdevenirbientôt l’objectifprincipaldesarméesennemies.À tort ou à raison, on s’arrêtait à l’idée queParis enfermait, dans sesmurs, le salut etl’honneurdupays»(GabrielHanotaux).

Lacapitale se repliedès lespremières semainesde laguerrederrière ses forts.Lavilleprenddesalluresdecampretranchéalorsqueceuxquilepeuventencorefuient.Le17septembre,lacapitaleestassiégée par l’armée deMoltke, soit 300 000 Prussiens. Le dernier trait d’union entre la ville etl’extérieur:letélégrapheduchemindeferdel’Ouest,nefonctionneplus:ParisestisolédurestedelaFrance.

Étienne Arago occupe le fauteuil de maire de Paris et Jules Ferry les fonctions de délégué dugouvernementprèsdel’administrationdudépartementdelaSeine.

Dans son premiermessage aux Parisiens, lemaire en appelle au passé et à la continuité du Parisrévolutionnaireetpatriotique.

«Citoyens,

Jeviensd’êtreappeléparlepeupleetlegouvernementdedéfensenationaleàlamairiedeParis.Enattendant,quevoussoyezconvoquéspourélirevotremunicipalité,jeprends,aunomdelaRépublique,possessiondecetHôteldeVille,d’oùsont toujourspartis lesgrandssignauxpatriotiquesen1792,1830,1848.

Commenospèresontcrié,jevouscrie:citoyens,lapatrieestendanger!Serrez-vousautourdecettemunicipalitéparisienne,oùsiègeaujourd’huiunvieuxsoldatdelaRépublique.»

Leréférendum-plébiscitedu3novembreetlesélectionsdesmairesetdesadjointsd’arrondissementdes5-7novembreconfirmentlaconfiancedesélecteursparisienspourlegouvernementprovisoire.

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À la question : « La population maintient-elle, oui ou non, les pouvoirs du gouvernement de laDéfense nationale ? », les Parisiens répondent massivement par l’affirmative. Les résultats duréférendumluisontextrêmementfavorables:557996oui(90,1%),contre62638non.

Lesiègeetlesbombardements(àpartirdejanvier)desPrussiensimposentdeterriblesrestrictionsàla population. De novembre à janvier, les édiles ont avant tout en charge la gestion de la viequotidiennedesarrondissementsdansunepériodeoùlessouffrancesdesParisienss’accentuent.Dèsle9novembre,laneigerecouvrelacapitale,etlesconditionsdeviesedétériorentconsidérablement.Aucoursdecethiverdifficile(latempératurechuteendeçàde–10oC),lesParisiens,isolés,doiventcombattrelefroidetlafaim.

Pour les deux millions d’habitants, qui survivent dans la capitale, l’armistice du 22 janvier estpourtantmoinsunsoulagementqu’unetrahisondugouvernement.

Aprèsquatremois etdouze joursde résistance,Paris a le sentimentd’avoir été abandonnéepar lepays,puissacrifiée.

LesParisiensn’acceptentpasqueleur«combat»(prèsde80000mortsetblessés,centtreizejoursde privations au cours desquels Paris dans son blocus n’a guère senti le soutien de la province)s’achèvelorsd’unenégociation,dontilssontexclus,entreJulesFavreetBismarck.

Laruptureavecl’assembléedeBordeauxpuisdeVersaillesprolongel’isolementdelacapitale.DansuneAssembléemajoritairementconservatriceetrurale,éluele8février,lesdéputésparisiensrestentl’expression d’une capitale favorable à la République. Le fossé avec le reste du pays se creusedavantage.LesdéclarationshostilesdelamajoritémonarchisteàunretourdelaChambreàParis,leprojetdedécapitalisationsontautantdegestesetdesymboles,quiaccentuentlafractureentreParisetVersailles (le choix de Versailles comme siège de la nouvelle Assemblée nationale ne faitqu’accentuercettedéfianceréciproque).

Le 18 mars, l’opération militaire sur la butte Montmartre se solde par un échec et la mort desgénérauxClément Thomas et Lecomte : revers d’une reconquête du pouvoir parisien par l’arméerégulièreetdébutdel’insurrection.Thiersordonnel’évacuationdeParis.Mouvementderetraittoutaussimilitairequepolitique : la capitale est laissée aux comités révolutionnaires.LaCommunedeParisduresoixante-douzejours(18mars-28mai).Aprèslesscrutinsdu26mars,leConseilgénéraldelaCommuneexercelepouvoir.Quelquesdécisionssontprises:adoptiondudrapeaurouge,retourau calendrier révolutionnaire, vote de séparation de l’Église et de l’État, création d’une milicepopulaire,enseignementprimairelaïc,gratuitetobligatoire.LorsdelaSemainesanglante(21au28mai),l’arméeversaillaiseanéantitl’insurrection.Larépressionestimpitoyable.Pendantcesjournéesdeguerrecivile,Parisestenfeu.LesdernierscombatssedéroulentprèsduPère-Lachaise.Plusieursmonumentssontdétruitspartiellementoutotalementparlesflammes:lesTuileries,l’HôteldeVille,laCourdescomptes,leministèredesFinances,leConseild’État,lepalaisdelaLégiond’honneur…

LaCommunedeParisécrasée,legouvernemententendremettreParisaurythmedesconsultationsdel’ensembledupays.La loid’avril1871aplacé lacapitaledansuncadre,uncarcan législatif,dontl’uniqueobjetestdemaintenirlavilleetsonconseilmunicipalsoushautesurveillance.

Pourévitertoutepolitisationdesélections,lavilleestdécoupéeen80quartiers.Pourempêcherquelapolitiquenationalenes’installedanslesdébatsdel’HôteldeVille,lesconseillersmunicipauxvoient

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leursattributionslimitéesauxaffaireslocales.

Les élections municipales de juillet 1871 scellent la présence d’un fort courant républicain dansl’électorat parisien. Le premier président du conseil municipal est le conseiller du quartier (4earrondissement) : Joseph Vautrain. Dans les années 1873-1879, devant l’Ordre moral dugouvernementdeBroglieetl’autoritédeMac-Mahon,Parisaccentueseschoixrépublicainsàchaqueconsultation. En 1878, sur les 80 élus du conseil, 75 sont favorables à la République. Lesmonarchistes sont réduits à la portion congrue et ne représentent que des quartiers des 7e et 8earrondissements. Sur la scène politique nationale, la capitale est désormais un fervent acteurrépublicain.Lesannées1970consolidentlesliensquiunissaientParisetlaRépublique.

AvecladémissiondeMac-Mahonetl’installationdeJulesGrévyàl’ÉlyséeestdenouveauposéeladéfinitionmêmedupoidspolitiqueduconseilmunicipaldelapremièrevilledeFrance.Dèsledébutjanvier1879,lesrépublicainsradicauxexigentduministredel’Intérieur,deMarcère,lanominationd’unpréfetrépublicainetl’autonomiemunicipale(électiond’unmairedeParis,leconseilmunicipaldécidepar sesdélibérationsde toutes les affairesd’intérêt communal).Lecombat radical séduit lacapitalequidonneau radicalismeparisien lamajorité relative, voire absoluedes sièges de1881 à1900.Seuls,puisaveclessocialistes,lesradicauxdirigentlesaffairesmunicipales.Pendantprèsdevingtannées,Parisestunescènerépublicaineetradicale.Symboledecetteempreintepolitique:leschangementsdenomsderuesetlamultiplicationdesstatuesdanslesarrondissements.L’architectureurbaineexprime la forcede laRépublique laïquedans lacapitale.Ainsi,après l’inaugurationde laplace de la République (ancienne place du Château-d’Eau), le conseil municipal du 10 juin 1879propose que les trois somptueuses avenues Reine-Hortense, Joséphine et Roi-de-Rome soientrebaptiséesdes troisgénérauxHoche,MarceauetKléber,que leboulevardHaussmanndevienne leboulevard Étienne-Marcel (prévôt de Paris qui, dès le xive siècle, revendique les franchisesmunicipalesdemandéesparlesradicaux).

Cœurdelaviepolitiquedelacapitale,l’HôteldeVilleestreconstruitentre1874et1882.Le13juillet1882,JulesGrévy,Songeon,présidentduconseilmunicipal,etlepréfetCharlesFloquetinaugurentlenouvel édifice, «maison paternelle de la cité, antique berceau de ses libertésmunicipales, théâtresouvent glorieux, orageux quelquefois, et toujours attachant, des dramatiques événements quiremplissent son émouvante histoire » (Grévy). En 1883, l’imposante statue de la République estplacée au centre de la place dumême nom.Les ruines desTuileries sont définitivement rasées en1884.En1885,c’estunPanthéonlaïciséquireçoitlecorpsdeVictorHugo.Luiqui,en1867,écrivaitsapassionpourParis,cesemeurd’étincellesqui«asurlaterreuneinfluencedecentrenerveux.S’iltressaille,onfrissonne».

V.Àl’ombredelatourEiffelEn1889,Parisaccueilleunenouvelleexpositionuniverselle.Dansuncontextemarquépar lacriseboulangiste, le gouvernement veut faire du centenaire de la Révolution française une grandiosemanifestationrépublicaine.C’estlaquatrièmeExpositionuniversellequisetientdanslacapitale.En1855, réplique à l’expo de 1851 (Crystal Palace) et aux progrès économiques de l’Angleterre,l’exposition parisienne célèbre l’avenir industriel du Second Empire. L’ingénieur Alexis Barraultconstruitunvastepalaisde l’Industriedans lebasdesChamps-Élysées.En1867, sur leChamp-de-Mars,c’estunegrande fête impérialequ’organiseLePlay.Onzemillionsdevisiteursadmirent les

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réalisations napoléoniennes et haussmanniennes. L’Exposition universelle de 1878 est avant tout lacélébrationduredressementnational,aprèsladéfaiteetlaguerrecivile.SurlacollinedeChaillot,lepalais duTrocadéro deDavioud etBourdais est le centre de l’événement.Le bâtiment sera détruitpourlapréparationdel’Expositionde1937.

Symboledecettemanifestationinternationale : la tourEiffel.LeprojetdeGustaveEiffelestretenuparmilacentaineproposée.

«Chef-d’œuvredel’artdesingénieursduxixesiècle, la tourEiffel incarne le triompheducalculetl’irruptiondans lepaysagearchitecturalmodernedecette transparencepresquedématérialiséequepermet lemétal.C’estaussiunsymbolede la foidans leprogrèsscientifiqueet technique,dont lesexpositionsuniversellessontlesgrandescélébrations»(B.Lemoine).

En deux années (1887-1889), la Tour s’impose dans la capitale malgré les sévères pamphlets denombreux écrivains et architectes. Lemanifeste de «La Protestation des artistes » prend la formed’une lettre adressée le 14 février à Alphand, directeur général des travaux. Quelles signatures !Coppée, Dumas, Leconte de Lisle, Maupassant, Sully Prudhomme, mais aussi Charles Gounod etCharlesGarnier.

«Nousvenons,écrivains,peintres,sculpteurs,architectes,amateurspassionnésdelabeautéjusqu’iciintactedeParis,protesterde toutesnos forces,de toutenotre indignation,aunomdugoût françaisméconnu,aunomdel’artetdel’histoirefrançaismenacés,contrel’érection,enpleincœurdenotrecapitale,del’inutileetmonstrueusetourEiffelquelamalignitépublique,souventempreintedebonsensetd’espritdejustice,adéjàbaptiséedunomdetourdeBabel…»

Nonobstant ces attaques, laTour de 300m et de 7 300 t (2millions de rivets, 1 600marches) estachevéeàlafinmars1889.L’Expositionouvrele6mai.Le15mai,lepublicpeutaccéder…àpied(lesascenseursneserontenserviceque le26mai)audeuxièmeétage.LagaleriedesMachinesdeDuteretContaninconstituelesecondpôledel’Expositionuniverselle.Sousunenefdeverre(400mde long, 110 m de large, 45 m de haut), elle présente les grandes réussites industriellescontemporaines.

Jusqu’au6novembre(datedeclôture),l’Expoaccueille25millionsdevisiteurs.C’estunsuccèspourPariset…Eiffel.

Onzeannéesplustard,pourl’Expositionde1900,cesont50millionsdevisiteursquidonnentàParislesalluresdecapitaledel’Europedominante.Bienqu’éclairéegrâceàla«féeÉlectricité»,latourEiffeln’estplusl’attractionpharedelafête.Ellen’attirequ’unpetitmilliondecurieux,soitmoitiémoins qu’en 1889. C’est en effet le Pavillon de l’électricité qui fascine le public national etinternational.Pourcettemanifestation,àcôtédelaGrandeRoue(plusde100mdehaut,40wagons,1600passagers),situéeavenuedeSuffren,attractionmonumentale,sontconstruitslePetitetleGrandPalaisetlepontAlexandre-IIIenl’honneurdelavisitedutsar.

L’Expositionexaltetouslesprogrèsquiontchangélavieparisiennedurantcettedernièredécennieduxixe siècle (cinéma des frères Lumière (1895), automobile, téléphone, phonographe…). Lemouvement, la vitesse se traduisent dans la naissance du Métropolitain. Depuis les projets desingénieursFlachatetLeHir(1853-1854),laquestiondelaconstructionsouterrained’unchemindefer est posée. Le conflit de compétence entre la ville de Paris, le département et l’État est très

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largementà l’origineduretardpris.LetransporturbainsouterrainexisteàLondresdepuis1863,àNewYorkdès1868,àBerlinàcompterde1877etàBudapestàpartirde1896.Ilfautattendre1896-1897pourquedébutent,avecl’ingénieurFulgenceBienvenüe(1852-1936),lestravauxsousl’égidedelaCompagniegénéraledetractiondubaronÉdouardEmpain.Pendantdenombreuxmois,laviedelacapitaleestdenouveauparalyséeparleschantiersàcielouvert.Lamiseenservicedelaligneno1duMétropolitainélectriqueallantenvingt-cinqminuteset18stationsdelaportedeVincennesàlaporteMaillotalieule19juillet1900.LestyleGuimard(Modernstyle),bienquetrèscontesté,estassocié au travers des entrées de cette première ligne à l’architecture du Métropolitain. Le 13décembre, la ligne circulaire nord de la porte Dauphine à l’Étoile est ouverte. En 1914, la villecompte12 lignesqui nedépassent cependantpas lesportesdeParis.Par ces itinéraires internes etl’incompatibilitémétro-chemindefer,cejeunemoyendetransportaccentuepourdelonguesannéeslacoupureParis-banlieue.

L’Exposition de 1900 est aussi une grande fête républicaine. Le 22 septembre, dans le jardin desTuileries,sous4hadetentesdetoiles,unbanquetrépublicainprésidéparÉmileLoubet,présidentdela République, réunit 22 000 maires. Comme en 1889, ce banquet se veut une réplique auxmanifestationshostilesaurégime(mouvementsnationalistes,combatsdesadversairesdeDreyfus).

Àl’ombredelatourEiffel,Parisconnaîtdepuisdixannéesuneintenseviepolitique.Laplupartdescrisesetdes«fièvreshexagonales»(MichelWinock)sedéroulentsurlascène-capitale.Le14juillet1886,lesParisiensovationnentBoulanger,lerécentministredelaGuerre,lorsdelarevuenationale.LechansonnierPaulusamusetoutelacapitaleencélébrant«not«brav»général».

Àlafaveurd’uneélectionpartielledejanvier1889,àlaveilledel’Expositionuniverselle,BoulangerrevientàParis.IlestéludéputéaupremiertourcontrelerépublicainJacques.L’ampleurdusuccès,les manifestations d’enthousiasme sur les boulevards font naître les rumeurs d’un coup de forceboulangiste contre l’Élysée. Il n’en sera rien. La peur nourrit en revanche la réaction dugouvernement. Boulanger quitte la France le 1er avril. Le scandale de Panama relance l’agitationparisienne(bagarreauTivoli-Vauxhall,manifestations,duels).Lamobilisationcontreles«chéquards»entraîne ladéfaitedesdéputésFloquetetClemenceau (1893).Lesattentatsanarchistesdesannées1890endeuillentlapopulation.L’attentatdelaruedesBons-Enfants(8novembre1892)faitsixmorts.Après les actes de terreur de Ravachol, la bombe lancée par l’anarchiste Auguste Vaillant dansl’enceinte de l’Assemblée nationale blesse 40 parlementaires. Les manifestations nationalistes semultiplient dans les rues avec le développement de l’affaire Dreyfus. La Ligue des patriotes deDéroulèdeprendla têtedecetteagitation.Lapresseparisienneetnationales’engagedès1897.Auxcampagnesantisémitesd’ÉdouardDrumont répond, le13 janvier1898, l’articled’ÉmileZoladansL’Aurore.L’oppositiondreyfusards-antidreyfusardsnecessedes’exacerberdanslacapitale.LorsdesobsèquesdeFélixFaure,Déroulèdeéchouedanssatentativedecoupd’État(23février1899).Pouréchapperàunearrestation,JulesGuérin,chefdeligueantisémite,seretranchedansunhôteldelarueChabrol.Pendantplusd’unmois(12août-20septembre),ilsoutientcontrelapolice,etlepréfet,unsiège (« fort Chabrol ») qui capte l’attention des Parisiens. En mai 1900, quelques jours avantl’ouverturedel’Expositionuniverselle,lesélectionsmunicipalesdeParisrésonnentcommeuncoupde tonnerre.Aprèsvingtannéesd’unedomination radicale, lesnationalistesconquièrent l’HôteldeVille.Nouveausiècle,nouvellemajorité,Parissedémarquedurestedupays.Lagauche(radicaleetsocialiste)retrouveen1904unemajoritédesièges.Mais,ennovembre1909,unecriseinterne,liéeàl’attitude du conseil municipal après l’assassinat de l’anarchiste Ferrero, fait éclater l’Union desgauches. La droite reprend la direction des affaires municipales (Ernest Caron est président du

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conseil municipal). Jusqu’en 1914, l’Hôtel de Ville est un bastion républicain, national etanticollectiviste.

À l’ombre de la tour Eiffel, Paris domine la Belle Époque, période de prospérité et d’inventionsallantdesannées1890àlaPremièreGuerremondiale.

«Témoin d’un âge d’or révolu, Jean Béraud est indissociable du Paris de la Belle Époque. Il aimmortalisé ses calèches, ses bicyclettes à l’ancienne et ses premières automobiles, ses lieux à lamodecomme lecaféTortoni, l’hippodromed’Auteuilou le théâtreduVaudeville, ses jolies femmes,élégantesàl’OpéraougrisettesdechezPaquin.»

Depuisle15mars1891,laFrancevitàl’heureuniqueduméridiendeParis.En1895,au44,ruedeRennes, les frères Lumière lancent le cinématographe. La première séance (L’Arrivée du train engaredeLaCiotat,L’Arroseurarrosé),publiqueetpayante,alieuauGrandCaféendécembredelamêmeannée.En1901,l’aviateurbrésilienSantos-Dumont(1873-1932)gagneleprixDeutsch-de-la-Meurthe pour son vol en dirigeable de Saint-Cloud à la tour Eiffel. Le 23 octobre 1906, il faitdécoller son aéroplanedepuis le terraindeBagatelle et parcourt 60met, le 12novembre, 220m.Parallèlement audéveloppement duMétropolitain, le premier autobus à essence assureune liaisonentre la Bourse et le cours de la Reine (1905). L’année suivante, les autobus Brillé-Schneider (30places)fontleurapparition.Lavieurbaineestdeplusenplustributairedesmerveillesdel’électricité.L’incendiedel’Opéra-Comique(25mai1887)accélèreindéniablementl’aménagementdel’éclairageélectrique,dontladiffusionestaussiassociéeàlaluttecontrelesinsécurités(violences,circulation).Lesappartementsbénéficient aussidecet apport.Quelquesvéhiculesélectriquesavecbatteries fontmêmeleurapparitiondanslesrues.En1898,unecoursedefiacresélectriquesestorganisée.Quinzefourgons électriques du service postal circulent en 1904.LaCompagnie parisienne de distributiond’électricitéestcrééele1erjanvier1914.

La télégraphie sans fil tire profit de la tourEiffel pourdéployer son champd’activité.Enoctobre1898,EugèneDucretet réalise la première liaison hertzienne jusqu’auPanthéon.LaTSF et la tourEiffeldébutentunelonguehistoirecommune.Cettenouvellefonctionassureàla«guitareduciel»(Apollinaire)une secondevieetunenouvelle concession,qui la sauvedudémantèlement envisagépour1910.Autremoyendecommunication:letéléphoneestencoreuninstrumentréservéàuneélite.LaSociétégénéraledutéléphone,puisleservicedesPostes-Télégraphes-Téléphones,necompteque60000abonnésen1914.L’incendieduprincipalcentral(Gutenberg)le20septembre1908souligned’ailleurs les dysfonctionnements du réseau. La place de ces innovations dans le quotidien desParisiensesttangiblelorsdesinondationsspectaculairesde1910.Auxconséquencesimmédiatesdesfortescruesde janvieretmarss’ajoutent laparalysieduMétropolitain, l’arrêtde ladistributiondel’électricité,lacoupuredutéléphone…

Si cette catastrophe a perturbé leur vie, ce sont, depuis plusieurs mois, d’autres inquiétudes quipréoccupent l’esprit des Parisiens et des Français. Les tensions franco-allemandes dominent ànouveaulaviepolitique.Le31juillet1914,caféduCroissant, rueMontmartre,prochedusiègedesonjournalL’Humanité,JeanJaurèsestassassiné.Le2août,Parissecouvredesaffichestricoloresannonçantlamobilisationgénérale.

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ChapitreV

D’uneguerreàl’autre(1914-1944)

I.ParisaurégimedeguerreesParisiensapprennentlanouvelledelamobilisationavecstupeuretconsternation.Encespremiers

joursd’août1914,Parisestpourtantpavoiséecommepourunjoli14juillet.Lesjoursdedépart,danslesgaresdel’EstetduNord,l’élanpatriotiqueetlavolontédereprendrel’Alsace-Lorraineanimentlafouleregroupéesurlesboulevardsetlesquais.LastatuedeStrasbourg,placedelaConcorde,estle lieuderassemblementsnationalistesetdepromessesvengeresses.OnchanteLaMarseillaise,LeChantdudépart;onhurle:«ÀBerlin!»;onécrit,surleswagons:«Onlesaura!»

Parisestenguerre.Sesportessontferméesde18heuresà6heures.LeMétropolitains’arrêteà19h30.Lesrestaurants,lescafésbaissentleurrideaudès20h30.Denombreuxcommercesetusinessontfermés.Lerationnements’installe.Lesréquisitionssemultiplient(automobiles,bâtiments).

Devantl’avancéedesarméesallemandes,lavillereçoitd’importantsrenfortsdetroupesterritoriales.Le2septembre,legouvernementfrançaisquittelacapitalepourBordeaux.Lelendemain,legénéralGallieni,gouverneurmilitairedeParis,s’engagerésolumentdansladéfensedelaville.

«LesmembresdugouvernementdelaRépubliqueontquittéParispourdonneruneimpulsionnouvelleàladéfensenationale.J’aireçu lemandatdedéfendrePariscontre l’envahisseur.Cemandat, je lerempliraijusqu’aubout»(Gallieni).

SurlaMarnes’engageunebatailleessentiellepourParis(6-9septembre).Parsécurité,lesœuvresduLouvre partent pour Toulouse. Épisode célèbre : des centaines de taxis sont réquisitionnés pourtransporter troupes et munitions sur le front. Les armées de von Kluck sont repoussées. Le 9septembre,lacapitaleestsauvée.

Jusqu’audébutdel’année1918,Paris,c’est«l’arrière»,éloignédufrontstabilisésurplusde700kmde lamer du Nord à la frontière suisse. Une partie de la population a quitté la ville, qui comptedésormais 1,8million d’habitants, soit 63% de la population de 1911. Les habitants subissent lesbombardements des aéroplanes ennemis (Taube) puis les raids des zeppelins.Carrefour dans cetteéconomiedeguerre,lavilleconnaîtundéveloppementdeplusieurssecteursindustriels.Les13e,14e,15eet18e arrondissements s’industrialisent.Ainsi, l’industrie automobile etd’armement (CitroënàJavel, Renault à Billancourt) fait un bond spectaculaire. Il s’agit de fournir des moteurs, desambulances,descamions,desautomitrailleuses,desobus…

Dèsl’automne,legouvernementretrouvesesministèresparisiens.Laviedesécoliersrecommence.Larentréescolairealieuenoctobredanslescollègesetlycéesetennovembredanslesfacultés.La

L

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presseestattentivementcontrôlée:leservicedelacensurejouedesciseaux.LaBoursereprendsescotations. De nouveaux spectacles sont à l’affiche. Il faut rendre à la ville sa vie culturelle etartistique, assurer des distractions et remettre au travail des milliers de salariés du spectacle. Lesthéâtres (Comédie-Française), l’Opéra-Comique, les salles de concert, les cinémas (le Tivoli etl’Omnia Pathé) rouvrent. De nombreuses revues et music-halls (Le Moulin-Rouge, Le ConcertMayol, l’Olympia, La Gaîté lyrique…) semettent au service des campagnes patriotiques. Pour saréouverture le 6 décembre, l’Opéra-Comique réserve 400 places aux blessés de guerre. Leprogrammeest au servicedumoraldes troupesetdes civils :LaFilleduRégiment,LeBalletdesnationsalliées,desfragmentsdePatrie, lamiseenscèneduChantdudépartetdeLaMarseillaiseavecMartheChenal,drapéedetricolore.

Lerationnementparticipeduquotidien.Lecharbonestd’autantplusviterationnéquelesprincipauxgisements sont occupés par lesAllemands. Durant ces hivers très rigoureux, le conseilmunicipalessaie de soutenir les familles les plus modestes en vendant à prix très modique des milliers detonnes. La carte de charbon est instituée en septembre 1917.Des limitations drastiques sont fixéespour la distribution du gaz et de l’électricité. Les produits de première nécessité sont sévèrementrationnés(pain,beurre,pommesdeterre,sucre).Lepainestvendudouzeheuresaprèssacuissonafindelimitersaconsommation.Lemardidevientjoursansviande.Lecoûtdelavienecessedecroître.Lesgrèvesde1916et1917,lesrevendicationspourl’obtentiond’uneprimedeviechèretémoignentdumécontentement des ouvriers de la capitale. La population, très affaiblie par ces privations, estaussidurementatteinteparlesépidémiesdetyphoïdeetderougeole.Dèsl’hiver1917-1918,lagrippeespagnoletuedesmilliersdeParisiens.

Au cours de ces années, les Parisiennes prennent progressivement la place des hommes partis aufront. Elles occupent des fonctions dans les administrations, les transports, l’enseignement et,principalement, l’industrie de l’armement. Dans cette économie de combat, « si les femmesemployéesdans lesusines s’arrêtaientvingtminutesde travailler, laFranceperdrait laguerre…»(Joffre).

En1917,lesnouveauxalliéssontannoncésparunecampagned’affiches(«VoilàlesAméricains»)représentant l’ombre imposante d’un soldat américain qui anéantit un soldat allemand sur le frontoccidental.LesParisiensfêtentl’IndependanceDay.LegénéralPershingvientserecueillir(4juillet1917)surlatombedeLaFayette.

Audébutduprintemps1918, les troupesallemandessontprochesde lacapitale.Depuis la forêtdeSaint-Gobain,lesobustirésparla«GrosseBertha»,canonde420mm,créentunvéritablesentimentdepaniqueparmileshabitants.Ilsmettentmoinsdetroisminutespourparcourirles120kmquilesséparentducœurdeParis.LejourduVendredisaint,le29mars,unobusfait88mortsdansl’égliseSaint-Gervais.Le16avril,troisobusdétruisentunepartiedel’usineSchneideretprovoquentlamortde17personnes.Le6juin,leComitédedéfenseducampretranchédeParisestcréé.Pourparfaireladéfense, des canons sont placés sur la tourEiffel et lemontValérien.Deux toutespetitespoupées,NénetteetRintintin,fontleurapparition,épingléessurlecoldesvêtements.C’estlefétiche,leporte-bonheur protecteur des Parisiens contre les obus. Probablement plus efficaces, des sirènes sontinstalléesdanslesarrondissementspourannoncerledébutdesbombardements.

Le10novembre1918,veilledelasignaturedel’armistice,lesboulevardss’animent.

« Paris se retrouve sur les boulevards, de la Madeleine à la République. On va et vient, on

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s’interpelle, on attend une nouvelle, la nouvelle ; mais il est trop tôt, le délai imparti par Fochn’expirequele11à11heures.Desmarchandspassentavecdesvoituresàbras,proposantdrapeauxetcocardes.L’éclairagepublicapparaîtlégèrementrenforcé:legouverneurmilitaireautorisedepuiscematinle”débleutage“desréverbères…»

Le11novembre,après1561joursdeguerre,Parisestdanslarue.Leconseilmunicipalproclame:

«HabitantsdeParis,

«C’estlavictoire,lavictoiretriomphante;surtouslesfronts,l’ennemivaincuadéposélesarmes,lesangvacesserdecouler.

«QueParissortedelafièreréservequiluiavalul’admirationdumonde.Donnonsunlibrecoursànotrejoie,ànotreenthousiasmeourefoulonsnoslarmes.

«Pourtémoignerànosgrandssoldatsetàleursincomparableschefsnotrereconnaissance,pavoisonstoutesnosmaisonsauxcouleursfrançaisesetàcellesdenoschersalliés.

«Nosmortspeuventdormirenpaix…Poureuxcommepournous,le”jourdegloire“estarrivé.»

Lafindel’annéeestunesuccessiondemanifestationspopulaires.Ledimanche17novembre,toutelapopulation semble être présente sur les Champs-Élysées, en présence de Poincaré et Clemenceau,pourcélébrerleretourdel’Alsace-Lorraine.Le16décembre,leprésidentWilsonestreçuàl’HôteldeVille.Et,en1919,laFêtenationaledu14juilletvoitdéfiler,devanttroismillionsdepersonnes,unimmensecortègecomposédesoldatsalliéssaluésparlesmaréchauxJoffre,FochetPétain.

II.Parisestunefête?Lapaixestd’abordle tempsde lareconstruction.Lavilleaccueille lesdémobilisés.Lacapitaleestsecouéeparl’agitationrévolutionnairequiagagnétoutel’Europe.Contrelaviechère,lechômage,les manifestations, les grèves se succèdent. Tous les secteurs d’activités (habillement, transports,automobiles, bâtiments…) sont concernés. Le printemps et l’été 1919 sont caractérisés par uneaccentuation des conflits dans les usines (Panhard, Pathé). Le 1er mai 1919 est une journéed’affrontements entremanifestants et forces de l’ordre (deuxmorts).LaCGT appelle à une grèvegénérale le21 juillet.Rapidementsepose leproblèmede la reconversiondesouvriers licenciésetdes usines de guerre de la capitale. Ainsi, l’usine d’armement d’André Citroën à Javel donnel’exempleetsortdésormaisdeseschaîneslespremièresautomobiles10HP.

Lesrestrictionsseprolongent,etlacarted’alimentationsubsiste(troisjourssanscharcuterie,300gde pain par foyer et par jour). L’inflation est une donnée nouvelle. En cinq années, les prix ontaugmentédeprèsde100%.Aveclesoutienduconseilmunicipal,legouvernementfaitinstallerlesbaraques dites Vilgrain (nom du secrétaire d’État chargé du Ravitaillement) qui proposent desproduits20à30%moinschers.

Dans le domaine des transports urbains, les tramways et le Métropolitain se voient imposer unecirculationauralenti.Pourlapremièrefoisdepuisl’ouverturedelaligneno1,leprixduticketesten

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augmentation.Enjanvier1919,d’importantescruesdelaSeineparalysentencoredavantagelaviedeshabitants. Le zouave du pont de l’Alma, indicateur officieux des Parisiens, a lesmainsmouillées.L’établissementdebainsdelaSamaritaine,pénicheamarréeauPont-Neuf,coule,victimed’unevoied’eau. Les gares d’Orsay et des Invalides ferment entre le 9 et le 12 janvier. La distribution del’électricitéestpartiellementinterrompuesurlarivegauche.

Lesstigmatesdelaguerrenes’effacentquelentementdelavieparisienne.Aveclasignaturedutraitéde Versailles (28 juin 1919), puis la grande Fête nationale du 14 juillet 1919, qui rassemble descentainesdemilliersdepersonnessurlesChamps-Élysées,Parisestunenouvellefoisàl’honneur.Lavilleestcitéeàl’ordredel’arméeetglorifiéeparGeorgesClemenceau:

«Capitale magnifiquement digne de la France. Animée d’une foi patriotique qui ne s’est jamaisdémentie,asupportéavecunevaillanceaussi fermequesouriantedenombreuxbombardementsparavionsetparpiècesà longueportée.A,de1914à1918,ajoutédes titres impérissablesàsagloireséculaire.»

La fête ? Elle commence peut-être avec cet exploit fou de l’aviateurVédrines, qui se pose sur lagrande terrasse des galeriesLafayette, remportant ainsi les 25000Fde récompenseofferts par lemagasin.La fêtede labourgeoisie,desartistes,de labohème…,c’estaussicelledesannées1921-1926quedécritErnestHeming-way(«Parisestune fête»).C’est ledébutdecesannées follesquicourenttoutaulongdesannées1920(«Jemesouviensdecettedécenniecommed’unperpétuel14juillet.Cefutunâgetricolore»,MauriceSachs).

La fête parisienne est en tout premier lieu, voire parfois exclusivement, celle du « Tout-Paris ».Déraisons, dérisions, comme une nouvelle et profonde respiration après quatre années de conflit,quelquesmilliersdeParisiensdédientleurvie(parisienne)àlafête.

«Lanuit, touteslesnuitsappartiennentàladanse.Depuisnovembreet lafinducauchemar,il fautdanser, le pays tout entier est la proie de la dansomanie. Le roi du moment, c’est le saxo, Sataninoffensifquiconduitlebal.Partoutdesdancings,desjazz,duchampagne,desfemmesdontlarobecommence aux seins et finit aux cuisses, des femmes coiffées en ”cul de dinde’ (dernier genre) etfumantsansrelâche,bongrémalgré,dansdesporte-cigaretteslongsde25cm…»

Plus populaire, la fête est également celle du cinématographe et des sports. Les réjouissancescommencentaveclaréouvertureducinémaMaxLinderenmars1919.Leseptièmeartmetàl’écrande nouveaux réalisateurs et des stars (Abel Gance, Louis Delluc, Marcel L’Herbier…). Charlot,DouglasFair-banks,RomanNovaroouRudolfValentinosuscitentlesriresetlespassions.Lecinémareçoit le don de la parole. Le sport participe à cette nouvelle existence parisienne : pratiquessportives, constructions d’équipements, intérêt pour les compétitions. La presse et la TSF sedéveloppent en promouvant les informations sportives. Des centaines de milliers de ParisiensattendentlanouvelledumatchGeorgesCarpentier-JackDempsey.GrâceauxinnovationsdelaTSF,lafouleregroupéeapprendquasiinstantanémentl’échecduFrançais.

Pariss’amuseaussidescréationsduthéâtredesChamps-Élysées(laRevuenègreetJoséphineBaker)et de la féerie des spectacles de Mistinguett au Moulin-Rouge. Les innovations artistiques de cesannées ont lieu au théâtre duVieux-Colombier (Jacques Copeau), à l’Athénée, à l’Atelier (Dullin,Copeau) ou à l’Opéra avec les balais de Serge Lifar. Le mouvement dada et le surréalisme fontexploserlavielittéraireaveclestextesd’AndréBreton,PhilippeSoupault,Aragon…

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AuBœufsurletoit,rueBoissy-d’Anglas,prèsdelaMadeleine,secôtoientJeanCocteau,ErikSatie,RaymondRadiguet(LeDiableaucorps),AndréBreton,MaxJacob…

«Lamusiquenègre,lesdébutsdujazz,lespremièreshardiessesd’unnouveaustyledécoratif,legéniede l’improvisation casseuse de vitres, l’acceptation et même la recherche, par les jeunes artistes,d’une anarchie, en somme légitime en ce désarroi d’après-guerre, toute cette lave bouillonnante,scories et métaux précieux, s’échappe d’un étrange cratère et c’est Le Bœuf sur le toit » (G.Delamarre).

MontparnassedétrôneMontmartreet lesBoulevards.Ledernierchic,c’estLeJockey,LeDôme,LaRotondeetbientôtLaCoupole.Ouverten1927,LaCoupoleestlerendez-vousdespeintres,despoèteset du jazz. La bohème se vit en cette fin des années 1920 entre le boulevard Montparnasse et lecarrefourVavin.

«Encetemps-là,beaucoupdegensfréquentaientlescafésducarrefourMontparnasse-Raspailpouryêtrevus,etdansuncertainsenscesendroitsjouaientlerôledévoluaujourd’huiaux”commères’desjournauxchargéesdedistribuerdessuccédanésquotidiensdel’immortalité»(ErnestHeming-way).

«JamaisParisnefitmontredeplusdepuissance,nefutsiéblouissantquecetteannée-là,jamaisilnedégageadavantaged’énergieintérieure,resplendissantd’uneabondantelumière:unrythmedifférent,plusvéhémentébranlelesrues,etceluiquijusqu’alorsgoûtaitlarespirationdouce,nonchalante,decette ville se trouve étonné et presque effrayé de sentir cette respirationmaintenant vibrer chaude,passionnée,quasifébrile.QuelquechosedeNewYork,dutempodesAméricainess’estintroduitdanslesavenues:unelumièreblancheetaveuglanteserépandsurlesruesbourdonnantesdemonde,lesaffiches lumineuses sautent de toit en toit et les maisons sont ébranlées jusqu’à leur faîte par legrondementdesautomobiles.Lescouleurs,lespierres,lesplaces,toutrougeoie,toutscintilleetbrûlesousl’effetdecettevitessenouvelle,jusquedanslesvrombissantstréfondsdumétro.Chaquenerfdecettevilleétincelantetressaille,etlamoindrefibredevotrecorpssemetàl’unisson»(StefanZweig).

D’avrilàoctobre1925,delaConcordeauCours-la-Reine,Parisfêtel’Expositioninternationaledesarts décoratifs et accueille 16millions de visiteurs. Dans le pavillon de l’Esprit nouveau, CharlesÉdouardJeanneret,ditLeCorbusier,imagineunenouvellepériphérieparisiennecomposéedegratte-cielàl’américaineetd’espacesverts,poumonsdelaville.LecouturierPoiretimposesonstyle.Lesartsdécoparticipentdorénavantdupaysageparisien.

La fête se prolonge dans les années 1930. Paris reprend les refrains deMireille, Trenet,MauriceChevalier.Lavillereçoitlesgrandsjazzmen(DukeEllington,LouisArmstrong).LessallesobscuresrassemblentchaquesoirdesmilliersdeParisiensvenusvoirlesœuvresdeRenéClair,MarcelCarnéoulesacteurspréférés(Raimu,Fernandel).

Parisabriteencesannéesdecriseéconomiqueetsocialedeuxexpositionsinternationales.En1931,Paris célèbre son empire colonial. Lemusée des Colonies des architectes Léon Jaussely etAndréLaprade rend hommage aux réalisations françaises dans le monde. La ligne de métro no 8 a étérécemment inaugurée pour permettre aux visiteurs de rejoindre plus rapidement l’Est de Paris. Ilsseront 33 millions à se rendre sur ce site. L’Exposition universelle de 1937 (Arts et techniques),ouverte avec retard le24mai,n’accueilleque34millionsdevisiteurs, soitnettementmoinsqu’en1900. Elle se situe sur les deux rives de la Seine et occupe une centaine d’hectares. Le palais duTrocadéro,datantde1878, souvent raillé,estdétruit (1936).Sur lacollineprendplace lepalaisde

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Chaillot, dessiné parAzéma,Boileau etCarlu, avec ses deux pavillons et son parvis. Le palais deTokyo (futurmuséed’Artmoderne)d’Aubert,Dastugue,Dondel etViardest construit.Àpartirduprojet de Paul Langevin et Jean Perrin, la partie ouest du Grand Palais devient un palais de laDécouvertepourlesenfants…etlesadultes.L’Expoabritelespavillonsdeplusieurspays.Dechaquecôté du pont d’Iéna se font face les symboles de l’Allemagne nazie (aigle et croix gammée) et del’Union soviétique (faucille et marteau). Cette exposition se déroule au milieu de grèves quiparalysent le fonctionnement de la manifestation. Le 25 novembre, jour de la fermeture, legouvernement,quisouhaitaitfairedecetteexpositionuntempsfortdelarepriseéconomique,nepeutqueprendrelamesured’unbilanhautementdéficitaire.

III.PopulationetréalisationsÀ la fin du premier conflit mondial, la capitale compte 2,9millions d’habitants (1921). Les troisrecensementsdel’entre-deux-guerrestraduisentunelégèrebaissedelapopulation:1926,2871000habitants;1931,2891000habitants;1936,2829000habitants.

Àl’intérieurdecetensemble,lesarrondissementsducentreperdent10à22%deleurpopulation.Le2earrondissementpassede53000à42000(moins20,7%);le4e,de91000à71000(moins21,9%). Inversement, les arrondissements périphériques (13e, 14e, 15e, 19e, 20e) connaissent uneaugmentationsensible.Le20egagne20000habitants,soit11%.Àcedoublemouvements’ajouteunévident déséquilibre de population entre un 1er arrondissement qui, en 1931, regroupe 42 000habitantsetun18equienrassemble289000.Inadéquationquis’exprimefortementlorsdesélectionsmunicipales, puisque chaque arrondissement (jusqu’en 1935) élit le même nombre (quatre) deconseillersmunicipaux.

Les faibles taux de natalité de la démographie parisienne (16 ‰ en 1926, 11 ‰ en 1936) sontcompensésparl’immigration.Lenombredesétrangersaugmentedanslacapitale.Fuyantlesrégimesdictatoriauxdel’Europe,Polonais,Russes,Italiens,AllemandsviennentvivreàParis.

Par la loi du 19 avril 1919, l’enceinte fortifiée de Paris est déclassée. La ville de Paris prendpossession des terrainsmilitaires des fortifications et de la zone de servitude non aedificandi.Lestravauxdébutent le28avril.Pendantl’entre-deux-guerres, laquestiondel’aménagementdelazonedesfortifsestl’unedesplusimportantesetdespluscrucialespourlacapitale.Lasurfacetotaledecetespacepériphérique(400mdelargeursurunecirconférencede30km)estde444ha;127hasontréservésàdesvoiesetdesbâtimentsmilitaires,auréseaudechemindeferetàdesadministrationspubliques.Lavillesedoitdoncd’aménager317ha

C’est ici leplusvastechantierparisienpendantplusdevingtannées. Ilpermetd’employernombredesdémobilisés,deconstruireunlargeboulevardetderépondreàl’unedesexigencespremièresdesParisiens:seloger.Lafindumoratoiresurlesloyers(1918)aentraînéimmédiatementdesretardsdanslespaiementsdeslocatairesetdenombreusesexpulsions.

Surcetteceinturepériphériqueallantdu12eau20earrondissement,38000logementssontbâtis.Ils’agit surtout d’HBM (habitats à bon marché) et de ILM (immeubles à loyers moyens), qui sontprincipalement construits avec le concours de l’Office public d’habitation à bon marché, créé en1913.Cesgrandsimmeublesdebriquesrougesontentresixethuitétages.Composésd’appartements

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avecplusieurspièces(cuisine,w.-c.etchambresisolées),ilsreprésententl’espoird’unevienouvellepourlesdizainesdemilliersdefamillesobligées,parl’augmentationdesloyers,devivredansdesgarnis.À cette politique immobilière s’ajoutent les aménagements liés à l’assainissement des îlotsinsalubres de plusieurs arrondissements (quartier Saint-Victor, Saint-Gervais, Clignancourt,Épinettes,Père-Lachaise…)

Aucoursdecesdeuxdécennies,plusieursréalisationsmodifientlepaysageparisien.

Le boulevard Haussmann, commencé en 1857, est achevé en 1927. Entre l’avenue Mozart et leTrocadéro, l’avenuePaul-Doumer,nomdonnéaprèsl’assassinatduprésidentdelaRépubliquele6mai 1932, est ouverte en 1933. Les rives de la Seine sont retouchées : rehaussement des berges,suppressiondel’éclusedelaMonnaie,rénovationdelapartieenamontdel’îledelaCité.Quantauxponts de laConcorde, de laTournelle, de l’Iéna, ils sont élargis.Quarante nouveaux squares sontouvertsaupublic.

Leprojetdelacitéuniversitaire,boulevardJourdan,estconduitparl’architecteLucienBechmann.Laconstruction débute en 1923. Destinée à accueillir les étudiants de province, des colonies et del’étranger,lacitéaccueilletoutd’abordlepavillondesétudiantsallemands,canadiens,japonais.Leséquipementssportifssemodernisentavec l’ouverturedustadeJean-Bouin(1929), lestadenautiquedesTourelles(1924),lapiscinedeMolitor(1929).LenouvelhôpitalBeaujonestinauguréen1935.

Les transports urbains connaissent plusieurs innovations. Les tramways disparaissentprogressivement. En 1929, le conseil municipal programme leur remplacement par l’autobus. Ledernier tramway, le 123-124, reliant la porte de Saint-Cloud à la porte de Vincennes, cesse defonctionnerenmars1937.Depuis1921,laSociétédestransportsencommundelarégionparisienne(STCRP) succèdeà laCompagniegénéraledesomnibus.Lecheminde ferde lapetite ceinture, siutile lors de l’Exposition universelle de 1900, cesse d’exister en 1931.La ligne d’autobus dite PC(PetiteCeinture)assuredésormaiscecircuitautourdelacapitale.

Le réseau dumétro se densifie. En 1920, il s’étend sur près de 95 km. Depuis 1916, les voituresfonctionnentavecdesportesautomatiques.Envingtans,leslignesgagnent67km(159kmdelongpour 14 lignes en 1939) et 130 stations (332 stations en 1939).Après les bénéfices financiers desannées 1920, les deux sociétés (Métropolitain et compagnie Nord-Sud) font face à d’importantsdéficitsd’exploitation.Pourtant,lenombredesvoyageursnecessedecroître:670millionsen1927,838millionsen1933.

Dans les dernières années de l’entre-deux-guerres se pose, déjà, avec acuité la question de lacoordinationdesdifférentstransportsencommun.

« Il s’agit d’amener, chaque matin, près de deux millions de personnes au lieu de leurspréoccupations, de les reconduire, chaque soir, à leur foyer et aussi d’assurer, pendant le jour, lesdéplacements qu’entraîne l’activité de la cité.Dans l’ensemble, le traficmoyen journalier dépassecinqmillionsdevoyageurspourlesseulsréseauxdesurfaceetsouterrainset600000voyageurspourlescheminsdeferdebanlieue»(G.Guillet,1935).

CettevolontéconduitàlaprolongationdeplusieurslignesdelacompagnieduMétropolitainverslabanlieue:ligneno1(fortdeVincennes),no9(pontdeSèvres),no12(mairied’Issy).

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La rupture (physique et mentale) entre Paris et sa banlieue commence à s’estomper. En 1928, leComitésupérieurdelarégionparisiennevoitlejour.Pourrépondreàlahaussedutraficautomobile,la première section de la future autoroute de l’Ouest est mise en service (tunnel de Saint-Cloud-Rocquencourt).

Au nord de la capitale, depuis la fin de la guerre, l’aéroport du Bourget assure les liaisons avecLondresetBruxelles.

Endeuxdécennies, laviequotidiennedesParisienssemodernise.L’électricitépoursuitsaconquêtede la ville. Depuis 1914, la Compagnie parisienne de distribution d’électricité a en charge laconsommationde lacapitale.Lapremièrecommission internationalede l’éclairagese tientàParis(1921). Entre la fin de la guerre et 1939, le pourcentage des logements parisiens abonnés àl’électricitépassede19%à94%.Lenombredesabonnésà laCompagniedugazdeParisestenconstanteaugmentation(unmillionen1934).Lesécolesmunicipaleséclairéesjusqu’en1918avecdugaz sont en quinze années totalement équipées d’éclairage électrique.Magasins, ateliers de travail,monumentspublics,lalumièreélectriqueestpartieprenantedesactivitésdelaville.LaFoiredeParis(1923),puislesSalonsdesartsménagersvantentle«tout-électrique».

Danslesappartements,letéléphoneestencoreunmoyendecommunicationexceptionnel.Lenombredesabonnés (particulierset entreprises)estde250000à laveillede laSecondeGuerremondiale.Servicetéléphoniquesupplémentaire,l’horlogeparlantes’obtientenfaisantOdéon84-00.Lepremierjour,le14février1933,170000appelssontenregistrés.Laradioetlatélévisionsefraientuncheminencore trèsparisien.Lepostede radiodevientpeuàpeuunélément centraldu foyer.En1939,undemi-milliondefamillespeuventcapterRadio-Paris,lePosteParisienouRadio-Cité.Depuis1935,latélévision, contrôlée aussi par les PTT, offre un spectacle révolutionnaire à quelques centaines deprivilégiésdanslacapitale.

IV.UnHôteldeVillerépublicainetnationalLaPremièreGuerremondialeneconstituepasréellementunefracturepolitiqueàParis.L’évolutionversladroite,quis’engageaudébutdesannées1910,seconfirme.

Laviepolitiqueparisiennerenoueaveclesgrandsdébatsd’avant-guerre.

LeBlocrépublicainetnationalseréclamed’unedoublecontinuité:celleduParishéroïque,rempartfaceàl’ennemi,etcelledesmajoritésmunicipalesd’avant-guerre(1909-1914).LevotedesParisiensdoitprolonger lavictoireetpermettrede reprendre l’œuvredesnationalistes.Lagauche socialisteparaît renoncer à tout espoir de reconquête. Dénonçant l’inéquation suffrages-sièges et lasurreprésentationdesquartiersducentredelacapitale,lesocialisteLeTroquerparled’unsuffragecensitaireparisien.

Deuxsemainesaprès les législatives, lesmunicipales,marquéesaussiparun fort tauxd’abstention(36,1%),voientlesuccèsduBlocnationaldanslacapitale.Uneunionlarge,allantdeMarie-Pierre-Fortunéd’AndignéàLudovicCalmels,emporte49fauteuilsauconseilmunicipal.

Lesannées1920et1930sontdesannéesdegrandestensionspolitiques.LeParticommunistefrançais

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etlesliguesd’extrêmedroitedel’ActionfrançaiseauxJeunessespatriotess’affrontentverbalementetphysiquement dans les rues de la capitale. En 1925 et 1929, les élections municipales parisiennesdonnentlamajoritédessiègesauxconseillersrépublicainsnationaux(47édilesen1925,52en1929).

Aux scandales financiers (Marthe Hanau, Albert Oustric) s’ajoute au tout début de l’année 1934l’assassinatd’AlexandreStavisky,affairistequiavaitbénéficiédel’appuidequelquesparlementaires.Trèsrapidement, lacapitaleconnaîtuneviveagitationdel’extrêmedroitequidénoncelacollusionentrelegouvernementetl’escroc.CettecampagnemobilisatricemultiplielesmanifestationsentreleQuartier latin et le boulevardSaint-Germain jusqu’aux abords du palaisBourbon.Le président duconseil, Camille Chautemps, démissionne le 28 janvier. Dès sa désignation, le nouveau chef dugouvernement, Édouard Daladier, renvoie le préfet de police de Paris, Jean Chiappe, suspect decomplicitéavecleconseilmunicipaletl’extrêmedroiteparisienne.Ensignedesolidarité,ÉdouardRenard, préfet de la Seine, quitte ses fonctions. L’Hôtel de Ville est une nouvelle fois eneffervescence.Unappelàmanifesterestlancépourle6février.

Le6février1934estunedecesgrandesjournéesparisiennesquiontmarquél’histoiredeParisetdelaFrance.L’espace,lethéâtredesopérations,nedépassepasquelquesmilliersdemètrescarrésentrelaConcorde et l’Hôtel deVille, les grands boulevards et le palaisBourbon.Carrémagique où seretrouvent les principaux centres et pôles politiques de la République. À la Chambre des députéss’ouvre le débat sur l’investiture du nouveau cabinet dirigé par ÉdouardDaladier. Lamajorité duconseil municipal de Paris épaule les manifestants et soutient Jean Chiappe. La droite parisiennemanœuvredepuisplusieurssemaines.Elleentendétablirunepressionassezefficacepourmodifierles rapportsde forcepolitiquesnésdesélections législativesde1932.Ence sens, l’HôteldeVille,bastiondesidéesnationales,estunévident«centrepolitiquedelajournéedu6février».

Le7aumatinetle8,laFrancedécouvrelesréalitésd’unenuitsanglanteàlalecturedesarticlesetsurtoutau traversdesphotographiesnombreuses (visagesblessés,corpsallongésdans l’hôpitaldefortune qui s’installe au sous-sol de l’Assemblée nationale) publiées par la presse nationale,provincialeetlocale.Desclichéssurlesquelslanuitquientourelespersonnagesajouteunélémentsupplémentaired’inquiétude.L’émotionesttrèsfortedanstoutlepays.

Le 7 au matin, Daladier, de plus en plus isolé, adresse à Albert Lebrun, qui a déjà engagé desdémarches auprès de Doumergue, une lettre de démission. Le conseil municipal, les ligues et denombreuxdirigeantspolitiquesontatteintundeleursobjectifs:renverserleministère.Lapressiondesmanifestationsparisiennesacréélesconditionsd’unedémissiongouvernementale.Le8février,c’estunemanifestationd’enthousiasmedeladroiteparisiennequiaccueille,gared’Austerlitz,GastonDoumergue,nouveauprésidentduconseil.

Doit-onparlerdecomplot,d’opérationsubversive,d’uncoupdeforce,d’unemenacefascistesurlesinstitutionsdelaRépublique?

La gauche socialiste et communiste répond séparément à ce qu’elle considère commeunemenacefasciste.Elledésigne lesprincipauxresponsables : les« topazes»factieuxduconseilmunicipaldeParis.Aprèslamanifestationcommunistedu9,lajournéedu12févrierestuneréactionsyndicaleetpolitique.CommunistesetsocialistesmanifestentdansdescortègesdistinctsavantdefraterniserplacedelaNation.

Entre l’été 1934 et juillet 1935, le Front populaire se construit progressivement. Enmai 1935, les

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électionsmunicipalesparisiennespréfigurentlavictoirenationaledeslégislativesd’avril-mai1936.Lacampagnemobiliseleshommesdu12févriercontreceuxdu6février.PaulRivetestlepremierélumunicipal parisien du Front populaire. Il bat Georges Lebecq, conseiller sortant, président del’UNC.Maiscettevictoiresymboliquenedoitpourtantpascacherl’essentiel.Lamajoritémunicipalesortante est reconduite à la tête de l’Hôtel de Ville de Paris, et Jean Chiappe, candidat dans le 6earrondissement,estéluetdevientprésidentduconseilmunicipal.Parisestsolidementancréàdroite.

ÀParis,leFrontpopulaireestdéjàfêtélorsdel’imposantemanifestationdu14juillet1935.Legrandrassemblement organisé à la Bastille, lieu symbole, réunit plus de 500 000 sympathisants. Lesélectionslégislativestraduisentunmouvementfavorableàlagauchedanslesarrondissementsdelacapitale.Elleremporte27siègessurles41.Lacapitalevitceprintempsetcetété1936aurythmedel’enthousiasmenédelavictoire,desnégociationsdel’hôtelMatignonetdesgrèvesmassives(grandsmagasins,transports,constructionautomobile,bâtiments…).

En 1937, le Front populaire se disloque. Les grèves se suivent. L’Exposition universelle paiedurement cette situation sociale. Les tensions internationales grandissantes sont symbolisées par laprésentation dans le pavillon de l’Espagne républicaine du tableau de PicassoGuernica. Face auxcoupsdeforcehitlériens,l’opinionpubliquesedivise.L’accueildeDaladierauBourgetnedoitpasocculter l’existence d’un mouvement antimunichois. Les Parisiens perçoivent les prémices de laguerre. Le 2 février 1939, un mouvement grandeur réelle de défense passive se déroule dans lacapitale.Enmars,lespremiersmasquesàgazsontdistribuésàlapopulationcivile,lesemplacementsdesabris (squares, caves) encasd’attaques aériennesde l’ennemi sont affichés.Laguerre estdéjàdanslesesprits.

V.L’Occupation(1940-1944)Pendantprèsd’uneannée,lacapitalevitàl’heuredeladrôledeguerre.Le31août1939,lesenfantssontévacués.Avecbéretsoucasquettesetunepetitevalise,30000gaminsquittentleurquartierpourseréfugierenprovinceloindesdangersdesbombardements.L’évacuationconcerneaussilespiècesdesmusées. Les châteaux de la Loire et des abbayes abritent pendant cinq années tableaux, livres,statues…Denombreuxmonuments sont invisibles, recouverts de sac de sable.La ville se protègealors que les Parisiens entre peur et insouciance cherchent à se distraire dans lesmusic-halls, lescinémasoulesthéâtres.

«Deseptembre1939àjuin1940,uncertainParisavécucommesiriennes’étaitpassé;lescoursesreprennent, théâtres, cinémas, cafés, dancings, cabarets, spectacles, tout fonctionne comme avant.Dans ce domaine, il n’y a aucun rationnement. Le cinéma est plus accessible que le théâtre auxboursesmodestes.L’hiver,onybénéficied’unminimumdechauffage.Iln’yadoncjamaiseuautantdepublicquedurant laguerreet l’Occupation…Peut-êtreque,parréactioncontrelagravitédelasituation,semanifesteuncertainoptimismesuperficiel,parfoisteintéd’humour,quis’exprimedansplusieurschansonspopulairesàsuccès:Danslaviefautpass’enfaire,ToutvatrèsbienmadamelaMarquise…»

Dèsledébutdel’attaque(10mai1940),lesarméesnaziesserapprochentdeParis.LestirsdeDCA,lesbombardementsdesusinesCitroën(3juin),l’arrivéeenmassederéfugiés:lavilleestenalarme.

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Le10juin1940,danslapanique,legouvernementquittelacapitale.Le12,lespetitesaffichessignéesparlegénéralDentzannoncent:Parisestdéclaréevilleouverte.Le14, l’arméenazieentredanslacapitaledelaFrance.Cavaliers,fantassins,automobilesblindées,tanks,l’Occupationcommence.Cemême jour,ThierrydeMartel,grandprofesseurdemédecine, se suicide, refusantdevivresous labotte nazie (« Je ne peux pas », écrit-il avant de se donner lamort). Le 24 juin, Hitler arrive auBourget.Unevisitecourte,moinsde troisheures,où ilmeten scène,photographiéet filmésur laterrassedupalaisdeChaillot,sontriomphe.

Paris perd son statut de capitale. Philippe Pétain, successeur de Paul Reynaud à la présidence duconseil (16 juin), signe l’armistice le22 juin. Il installesongouvernementàVichyet, le10 juillet,obtientlespleinspouvoirsdeschambres.Pariscommenceàvivreàl’heureallemande(ilfautajouteruneheure)etauxordresdel’occupant.Elleestplacéesouslecommandementnazidelazoneoccupée(Militärbefehlschaber inFrankreich).Lesdrapeauxà lacroixgamméeflottentsur lavillequiadûretirertouslesdrapeauxtricolores.Lecouvre-feuentreenvigueurde21heuresà5heuresdumatin.Lessoldatsallemandssontomniprésents.Chaquejour,laparadedelarelèvedelagardesurl’avenuedesChamps-Élysées est l’affirmation de la domination de l’occupant et une humiliation pour lesParisiens.

«PasunAllemandnepeutsevanterd’avoirconnuParisentrele16juin1940etle19août1944.Oh!certes,ilsétaientlà,lesvainqueurs,enleurtenuefeldgraubienajustée…Touslesjours,àheurefixe,lelongdesChamps-Élysées,précédéed’unofficieràchevaletd’unegrossecaisse,unecompagniedeleurs guerriers automates l’affirmait d’un pas mécanique : nous sommes là. Et les drapeaux à”l’araignée gorgée de sang“, et les Soldatenheim et les Soldatenkaffee et les Soldatenkino… Ilsétaientlà…MaisParisétaitabsent.Notre-DamegardaitlaCité,laSeinedéroulaitsonrubansoyeuxsous les ponts chargés d’Histoire, entre les quais ornés de leurs boîtes immuables. Du château deVincennes au palais de Chaillot, du Panthéon au Sacré-Cœur, les hauts lieux poursuivent leursilencieuxdialogue, témoinsde tantde joiesetde tantde tristesse,de tantdegloiresetde tantderevers, se patinaient un peu plus de la nouvelle infortune. Et pourtant Paris était absent, commerecouvertd’unmasquemortuaire,telleunefemmecondamnéeàsubirlabrutequilasouilleàloisir,l’âmeenvoléeversunlointainamour»(AdrienDansette).

Durantquatreannées,lavieestfaitederestrictionsetdedébrouillardisespourmanger.Lacartederationnement fait son apparition en septembre 1940. Les tickets, les coupons constituent des biensprécieux pour obtenir nourriture, vêtements, tabac, charbon. Les files d’attente devant lesboulangeries, les boucheries sont le lot quotidien. À côté de ce circuit officiel, le marché noirs’organise.Inversement,lesoldatallemandbénéficied’untauxdechange(lemarkestà20F)quiluiassureuneviefacile.

Depuisjuin1940,lesséancesduconseilmunicipaldeParissontsuspendues.L’occupantrenforcelespouvoirsdesdeuxpréfets.Endécembre1941,Vichycomposeunenouvelleassembléemunicipale.Lapremière séance présidée par Charles Trochu se déroule le 12 janvier 1942. En avril 1943, laprésidencerevientàPierreTaittinger.

Danslacapitale,lesnazispoursuiventleurpolitiqueantisémite.LesJuifssontpersécutés:exclusionprofessionnelle, lieux interdits,portde l’étoile jaune.En liaisonavec lapolice française, les raflesdes16et17juilletsonteffectuéesdanstoutelaville.RegroupésauVel’d’Hiv,desmilliersdeJuifssont envoyés vers les camps de concentration.Dès le 11 novembre 1940, par unemanifestation à

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l’Arc de Triomphe, des étudiants organisent la résistance à l’occupant. Plusieurs groupements etréseaux combattent la collaboration et s’attaquent à l’armée d’occupation : attentats individuels,presseclandestine,inscriptionsurlesmurs.Enmai1943,rueduFour,sousl’autoritédeJeanMoulin,leConseilnationaldelaRésistancetientsapremièreréunion.LeComitéparisiendelibération(CPL)est crééen septembre1943.«LeCPLcomprenddesorganisationsquine sontpas représentéesauConseil national de la résistance, souvent d’inspiration communiste (Assistance française, Forcesuniesdelajeunessepatriotique,Uniondesfemmesfrançaises,Comitéspopulaires…).Celapermetdecomprendre les oppositions qui surgissent, dès la période de la clandestinité, entre le pouvoirgaullisteetleCPLqui,aprèslaLibération,devraexercerlesfonctionsdeconseilmunicipaldeParisetseradoncinstalléàl’HôteldeVille,lieuemblématiquedesrévolutionsde1830,1848etde1870.»Dans la guerre aérienne qui oppose les alliés aux nazis, la capitale et la banlieue sont souventbombardées.Danslanuitdu20au21avril1944,lesraidsalliésetles«tapisdebombes»surlagarede laChapelle (18e) provoquent650morts et détruisentdes centainesd’immeubles.Afind’assisterauxobsèquesdecesvictimes,lemaréchalPétainserendpourlapremièrefoisàParis.Le26avril,devant l’HôteldeVille,plusde500000Parisiens l’ovationnent.Lanouvelledudébarquementdu6juinestrapidementconnueparlapopulationparisienne.Le28,PhilippeHenriotestassassinéparleCPL. Parallèlement à l’avancée des troupes alliées, les mouvements de grèves ordonnés par larésistanceparisienneparalysentlescheminsdefer,lespostesetlapolice.Le19août,lesFFI,leCNRetlesCPLlancentlemotd’ordred’insurrectiondelacapitale.Lesbâtimentspublicssontoccupés,desbarricades dressées (« Toute la population doit, par tous les moyens, empêcher la circulation del’ennemi. Abattez les arbres, creusez les fossés antichars, dressez des barricades. C’est un peuplevainqueurquirecevralesAlliés»).

Eneffet,lorsqueladivisionLeclercentredansParis,le24août,lesParisiensontenpartielibéréleurcapitale.Le25,legénéralvonCholtitzsignelacapitulationallemande.LegénéraldeGaullearrivele26aoûtàl’ArcdeTriomphe.Parisestenliesse…

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ChapitreVI

Lerayonnementd’unemétropole(1944-2013)

I.LalibérationdeParisès le 22 août 1944, les nouveaux titres de la presse parisienne (Libération, Combat, Le Parisien

libéré…)résonnentdéjàcommedesgagesdelavictoireàvenir.LadivisionLeclercsedirigeverslesportesdeParis.

«Danscetimmensedécordepierresetd’eaux,toutautourdecefleuveauxflotslourdsd’histoire,lesbarricadesdelaliberté,unefoisdeplus,sesontdressées»(A.Camus,Combat,22.08.1944).

Le24,unmessagelancéd’avionannoncel’arrivéeimminentedes troupesfrançaises(«LegénéralLeclerc me charge de vous dire : « Tenez bon, nous arrivons », lieutenant-colonel Crespin »).Parallèlement,lesrelaisavecletéléphonepermettentauxParisiensd’êtreinforméssurl’avancedesAlliés. Le soir, le capitaine Dronne entre dans la ville avec trois chars – le Champaubert, leMontmirail,leRomilly–etrejointl’HôteldeVille.UnedélégationestreçueparlesmembresduCNRet du Comité parisien de la Libération. Les cloches de Notre-Dame, du Sacré-Cœur et de Saint-Sulpiceretentissent.Nuitd’espoir,maisaussiderniersgestes(incendieduGrandPalais,tirsdeDCAintenses, destructions de matériels) de l’occupant. Au matin, la capitale s’habille des couleurstricolorespour fêter la2e divisionblindéedeLeclercqui entrepar laported’Orléans.Legénéralinstalle son QG à la gare Montparnasse. L’hôtelMeurice, qui abrite le gouverneur de Paris vonCholtitz,estencercléetenvahipar lessoldatsdugénéralBillotte.Dans l’après-mididu25août,enprésenceducolonelRol-Tanguy,danslePCdeLeclerc,legénéralvonCholtitzsignel’actedéfinitifde la reddition allemande avec cessation des combats par toutes les troupes nazies. Plusieursaffrontementsmeurtriers se déroulent encore pendant quelques heures (palais Bourbon, École desmines,ministèredelaMarine,hôtelCrillon).Cemêmejour,deGaullefaitsonentréedanslacapitale.Il retrouve son bureau de juin 1940 auministère de laGuerre, rueSaint-Dominique.À l’Hôtel deVille,ilprononcesonpremierdiscours.

«Ilyalàdesminutes,nouslesentonstous,quidépassentchacunedenospauvresvies.Paris,Parisoutragé,Parisbrisé,Parismartyrisé,maisParislibéré.»

Le26août1944,laville,lacapitaleretrouvée,sembletoutentièredanslesruespourvivrecesheuresdelibération.

L’ArcdeTriomphe,lesChamps-Élysées,Notre-Dame…DeGaulleestsaluéparunefouleimmense–« la mer », selon l’expression desMémoires de guerre. Les images de cette journée, ce sont cesvisagesjoyeuxd’enfants,defemmesetd’hommes,lesovationslancéesversl’hommedu18juin,leslarmes chaque fois que retentit La Marseillaise, mais aussi les dernières salves tirées par des

D

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miliciensembusquéssurlestoitsdelaruedeRivoliouprèsdelacathédraledeParis.Danslasoirée,lesbombesdelaLuftwaffefrappentplusieursquartiers.

«Les rapaces s’enfuyaient vers l’est, couvrant encore de leur ombre rouge la ville en feu. L’aigleallemandlâchaitenfinlaproiequ’ilavaittenuequatreansentresesserressansavoirréussiàtuernisoncorpsnisonâme.»

Les Parisiens vont continuer pendant de longsmois à connaître les privations. L’impopularité desservicesduRavitaillement etdePaulRamadier estnotéedans lespremières enquêtesd’opiniondel’IFOP.LeComité de libération parisien intervient pour dénoncer ces pénuries. Jusqu’en 1949, lesfilesd’attente,lesticketsderationnementsontencorelelotdelaviequotidienne.Ledécretdu14mai1947établitcinqcatégoriesdeconsommateurs.Lacartedepainestsuppriméele1ernovembre1945,puisrétablieàlafindedécembre.Ilfautattendrefévrier1948pourquelaventedupainsoitlibre.Enmai1949,lerationnementconcerneencorelecafé,l’huile,lerizetlesucre.Cen’estqu’autoutdébutdesannées1950ques’achèveletempsdespénuries.

Paris retrouve progressivement la fête et renoue avec la liberté. L’esprit novateur s’exprime dansplusieurs secteurs. Le premier numéro du quotidien Le Monde paraît le 18 décembre 1944. LesNouvellesMessageriesdelapresseparisienne,dontlerôleestsiimportantdansl’ensembledupays,naissent le2avril1948.Lemuséed’Artmoderneouvre(juin1947).Enmars1945,LesEnfantsduParadis (Carné et Prévert) sont à l’affiche des grands cinémas de la capitale. Dans ce renouveaucinématographique,N.Védrèsprésentele25janvier1948unmontaged’archivesintituléParis1900.Maisc’estàCannesqu’est inauguré lefestivalducinémaen1946.Consolation : le3octobre1946s’ouvreleSalondel’autodeParis.La4CVRenaultestprésentéecommelavoiturepopulaire.EtlacapitaleaccueilleauGrandPalaislepremierSalondel’enfance(1949).

DansleParisdel’après-guerre,lajeunesseetl’existentialismeontinvestileslieuxetplacesdeSaint-Germain-des-Prés : leCafé deFlore, LesDeux-Magots, la brasserieLipp, les caves,Le Tabou. LamusiquedeSydneyBechet,latrompettedeBorisVian,lebe-bop,lejazzauclubdelaRoseRouge,les frères Jacques, JulietteGréco animent les nuits du quartier. La presse à sensation dénonce ceszazousdelaLibération.LarevueLesTempsmodernesnéeen1945réunitSartre,SimonedeBeauvoir,MichelLeiris.ÀlaSorbonne(1946),Sartrefaituneconférencesur«laresponsabilitédel’écrivain».Sespièces(MortssanssépultureetLaPutainrespectueuse)fontscandaleauthéâtreAntoine.

Lesexistentialistesparisienssontobjetdeplaisanterie(«Ilparaîtqu’uncyclisteanonymemanquantderenverserBeaufretdanslarueluiacrié:”Eh,vadonc,existentialiste!“etqu’àlaradiomêmeleschroniques sportives commencent par des badinages sur l’existentialisme », S. de Beauvoir) etd’articlesdanslapresseàscandale.

Paris renaît et fête en 1951 son Histoire. Pour son deuxième millénaire, le parc de Bagatellerassemblelesmairesdesplusgrandescitésdelaplanète.LesCahiersd’artetd’amitiéconsacrentunnumérospécialàlagloiredePariscélébréparlespoètesetlesécrivains:

«ÔParis,deuxmilleansd’immortellejeunesse!

Tunaquisdetonîledesable,entesyeux

L’eaupâledelaSeine,avecdelongscheveux

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DebrumeoùseberçaientlesroseauxdeLutèce.»

II.Réorganiserl’espace.UnGrandParis?L’après-guerremarque une légère augmentation de la population parisienne. La ville retrouve deschiffresprochesdudernierrecensementde1936.Lenombred’habitantsestde2725000(1946)etatteint les 2 850 000 en 1954. La même année, 135 000 étrangers vivent dans la capitale,principalementdesAlgériens,Marocains,ItaliensetEspagnols.Dèslemilieudeladécennie1930,ladiminution régulière de la population est sensible.On note les premiers indices de ce phénomèneentre1954et1962avecunebaisseannuellede0,3%puisuneaccélération(1,2%-1,7%)entre1962et1975.Parisneprofitequepartiellementdubaby-boomquicaractériseladémographiefrançaise.Lapremière ville française compte 2 753 000 habitants en 1962, soit une perte de près de 100 000habitants,etpassesouslabarredes2,3millionsen1975.Depuislafindesannées1970,lapopulations’eststabiliséeautourde2,1millions(2168000en1982,2152000en1990).

Aulendemaindusecondconflitmondial,laprioritéesttoujoursaulogement.Lanostalgied’unParisvillage ne doit pas occulter l’insalubrité de nombreux quartiers de la capitale. Aumoment où LeCorbusierdessinelesplansdeMarseille,lacapitaledoitengagerunepolitiquevisantàsupprimerlestaudisexistantsdanssesarrondissementsetlesbidonvillesdelapériphérie.Lacrisedulogementdel’entre-deux-guerres n’a pas été réglée. Le parc immobilier se caractérise par la vétusté deslogements,dontunbonnombreaétéconstruitavant1871(35%en1954),etparl’absencedeprojetsdeconstruction.En1954,81%deslogementsn’ontpasdesalledebains;55%pasdew.-c.

«Lapopulationparisienneaugmentaitdequelque50000personnesparan(379000habitantsdeplusentre1946et1954),alorsque l’anciennepopulationétaitdéjà trèsmal logéeetque les immeublesavaient été négligés pendant vingt-cinq ans, puis laissés à l’abandon durant le conflit. Cent millelogements,danslacapitale,étaientinsalubres;90000garnis,déclarésinhabitables,étaientencorehabités.Lamoitié,presque,deslogementsparisienssetrouvaitdansdesconditionsdéplorables:pasdew.-c.,pasdesalledebains.Latuberculosecontinuasesravagesaulendemaindelaguerre:sur100 000 personnes, elle en tuait chaque année 33 dans le quartier des Champs-Élysées, 142 enmoyennedanslesdiversquartiersdeParis,mais877parmileslocatairesdeshôtelsmeublés.»

Là où l’espace est encore libre, le plus souvent aux abords des gares, à la périphérie de la ville,vivent,dansdesassemblagesdetôlesetdebois,lesfamilleslespluspauvres.Laloidu1erseptembre1948,présentéeparEugèneClaudius-Petit,ministredelaConstruction,tentedecontrôlerlemarchéimmobilier.Àpartirdesannées1950,lesHLM(habitationsàloyersmodérés,loidu21juillet1950)commencent à sortir de terre. Sous le ministère Claudius-Petit et Courant, le nombre desconstructionsdelogementss’accélère.LaCaissedesdépôtsparticipeàceteffortnational.

En fait, l’obtention d’un logement demeure pour les familles une épreuve difficile.Les conditionsclimatiquesdel’hiver1953-1954révèlentdemanièredramatiquelasituationdessans-logis.L’abbéPierremènecampagneethébergedescentainesdefamillesdansdescampementssous tente.Le23mars 1954, l’organisation Emmaüs est créée. Le décret de 1953 fixe le 1 % pour le logement :obligationfaiteauxentreprisesdeplusdedixsalariésdeconsacrer1%delamassesalarialedanslaconstructionde logements.Sur lapériphériede laville,deszonesd’aménagementconcerté (ZAC)sont implantées (quartier de la Glacière, secteur du vieux Vaugirard). La capitale découvre les

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immeubles de plusieurs dizaines d’étages (barre, tour). Rue Croulebarbe (13e) s’élève en 1961 lepremiergratte-ciel,hautde67m.

Mais, au regardde l’accroissementdepopulationdecettepériode, lademandeest forte etdépassenettement l’offre. Pour se loger, un nombre de plus en plus grand deParisiens quitte son quartierpourlabanlieue.Horsdelacapitale,lesgrandsensemblessemultiplient:ainsiSarcelles(1954).

Danscetteorganisationde l’espace, l’État tented’intervenirdavantage. JacquelineBeaujeu-Garniernote,justement:

«Onconçoitqu’ilfûtimpossibledelaisserfaire.Lavilleavaitbesoind’êtreassainieetmodernisée;l’agglomération,disciplinée;larégion,freinéedanssondynamismedévorant.Freineretdiscipliner:telsdevaient être lesmaîtresmotsde ladécenniequi s’ouvrait…Parallèlementauxmesuresprisespour freiner l’expansion jugée trop rigoureuse de la région parisienne était préparée uneréorganisation interne destinée à discipliner la”pagaille“ qui y régnait et quimenaçait encore des’accroître jusqu’à rendre la vie impossible. La poussée d’urbanisation régionale était lourde deconséquences:unepartiecentralebourréeetquidébordaitlargementsurlapériphérie;unebanlieuelivréeauhasarddelaspéculation.Ilfallaitréagir.»

CesdébatsetcesprisesdedécisionsontlieudansuncontextemarquéparlapublicationdulivredeJean-FrançoisGravier,Parisetledésertfrançais(1947).

Lacapitale subit très rapidement les effetsd’unepolitiquededéconcentration.Laville connaîtunenotable désindustrialisation. Plusieurs grandes entreprises (Citroën, Say, Panhard, Snecma)abandonnent les arrondissements périphériques où elles s’étaient implantées. La loi de 1955 faitobligationauxindustrielsd’obtenirunaccordgouvernementalpourtouteconstructionsupérieureà500m2. Cette désindustrialisation court sur les décennies 1950 et 1960. Cinq millions de mètrescarrés de surfaces industrielles sont détruits. Ce bouleversement dans le paysage urbain toucheparticulièrement les 13e, 15e, 19e et 20e arrondissements. Les nouvelles constructions (bureaux,commerces,banques)façonnentuneautrecartedesactivités.

« L’équilibre global entre destructions et constructions nouvelles est presque parfait, mais leréaménagement proposé dessine une nouvelle répartition des activités dans Paris, qui renforce lesanciensclivagesque lesbouleversementshaussmanniensavaientcontribuéàaccentuer.Les”beauxquartiers“del’Ouestparisien(8e,16eet17earrondissements)concentrentplusdutiersdelasurfacenouvelleofferteauxbureauxprivés,uncinquièmeseulementdenouveauxlocauxdeservicespublics,unvingt-cinquièmedenouveauxlocauxindustriels.Lecentreancienoffreplusdesurfacenouvellequede locaux détruits, mais il se désindustrialise très rapidement, en particulier sur la rive gauche…Enfin,lavocationindustrielledeParisn’estconfirméequedanslapartienord-estdelacapitale,du18eau20earrondissement,leseulensembleoùlesnouvellesconstructionsindustriellessontpresquecomparablesauxsuppressionsetoùlapartdesbureauxetserviceestmaintenueàunniveautrèsbas»(MauriceGarden).

Paris conserve les activités de direction et de haute technicité et devient « le centre de gestion desaffairesfrançaises»(PierreGeorge).

Concomitamment, les réponses aux problèmes de la capitale sont de plus en plus fréquemment

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replacéesdansuncadrepluslargequiprendencomptelesrapportsentreParisetlabanlieue,Parisetla province. L’État intervient de plus en plus dans le contrôle de la région parisienne afin derééquilibrerlaplacedelacapitaledansl’ensembleFrance.Résumantcettenouvelledonnenationaleetparisienne,MarcAmbroise-Renduacettejolieformule:«UnpiedsurlefreinpourParis,unautrechatouillant l’accélérateur pour la province, telle sera durant trente ans la conduite de ceux quiprônentl’aménagementduterritoire.»

Danscesdécennies1950et1960,auregarddesapopulationetdesondynamisme,Parisestlaseulegrande ville française à avoir une dimension européenne. À titre de simple comparaison,l’Allemagne de l’Ouest compte alors plusieurs cités d’un million et plus d’habitants (Hambourg,Munich,Francfort…).L’échelledesréponsesauxproblèmesdulogement,destransports,dépasselaville pour englober les départements de la Seine et de la Seine-et-Oise. Le projet Prost de 1932(aménager la région parisienne) est remis sur les rails. Le padog (plan d’aménagement etd’organisationgénéraledelarégionparisienne),impulséparM.Gibel,devientréalitéenaoût1960.LedistrictdeParisestcrééen1961.SadirectionestassuréeparPaulDelouvrier,déléguégénéral,nommé par le gouvernement. Cet établissement public bénéficie d’une autonomie financière. Samission est considérable, puisqu’il lui faut organiser l’aménagement et l’équipement de toute larégion.En1964,septdépartementssortentd’undécoupagedel’ancienneSeineetSeine-et-Oise.Cetteloidu10juillet1964faitdeParisunemunicipalitéetundépartementetporteengermelaquestiondufuturstatutdeParis(1975).

Le schéma directeur d’aménagement et d’urbanisme de la région de Paris est établi en 1965. Ilprivilégiedeuxgrandsaxesdedéveloppement(sud-est,nord-ouest)etproposelacréationdevillesnouvellessituéesàunedistancede25à50kmdelacapitale.

Dansledomainedestransports,lanouvelledonne(lafortecroissancedelapopulationdelabanlieueet la stagnationde lapopulationdeParis) imposed’importantesmodifications.À la findesannées1960,leVal-de-Marne,lesHauts-de-SeineetlaSeine-Saint-Deniscomptentunepopulationsupérieureà 3,1 millions d’habitants. Depuis 1948, la Régie autonome des transports parisiens, entreprisenationalisée, gère l’ensemble des moyens de transport urbains. Le réseau RER (Réseau expressrégional)établitlelienentrelemétroetlechemindefer.Lacoupurebanlieue/Pariss’estompeainsi.Lestravauxdurenthuitannées(1961-1969).LapremièrelignerelieNationàBoissy-Saint-Légeravecdenouveauxticketsmagnétiques.

Surcecanevasparisien,laquestiondelaplacedel’automobileestdeplusenplusaiguë.En1957,laconstruction du boulevard périphérique s’engage. Le premier tronçon (40 km), depuis la ported’Italie(autorouteduSud),estouverten1960.LaboucleautourdeParisestterminéeenavril1973.De1964à1968,lesbergesdelarivedroitesontaménagéesenvuedelacréationd’unevoieexpress.Leprojetàl’identiqueprévusurlarivegaucheestarrêtéen1974.

Chacune de ces transformations participe en premier lieu au développement de Paris et conduit às’interrogersurlaréalitédel’intégrationdelacapitaledanslarégionÎle-de-France.Danscedernierquartdusiècle,Parisentredavantagedansleshabitsd’unemétropoleeuropéennedevenantlepôlededécisionsetdegestions,cœurdesrelationsetdeséchangeshumains,économiques,financiers.Encedébut de xxie siècle, le développement de la région capitale est à l’ordre du jour de l’actiongouvernementale. La conception d’un « Grand Paris » s’établit à partir de quelques chiffres. Unecapitalede105km2entouréeparlepériphérique.Unepetitecouronnede762km2avec6,4millions

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d’habitants.Rappelonsquele«grandLondres»compte1580km2etprèsde7,5millionsd’habitants.Ce débat naissant (renaissant) sur une structure métropolitaine conduit à une large réflexion(transport,logement,environnement…)surl’organisationtouchanttantl’économique,lesocialquelepolitique.

III.UnmairepourParisPendantcedemi-siècle,Parisn’apascesséd’êtreunacteurdelaviepolitiquefrançaiseetunagitateurd’idées.En 1947, les tensions intérieures liées au renvoi desministres communistes parRamadiertouchentlacapitale.Lesnombreusesgrèvesdel’automne1947perturbentlequotidiendeshabitants.Auplusfortdecemouvement,le1erdécembre,Parisestprivéed’électricité.Letraficdumétroestinterrompupendantquelquesheures.Laguerrefroidesevitaussidanslesruesdelacapitale.Le11novembre1948,deviolentsaffrontementsopposentlesmilitantscommunistesetlapolice.Lesdeuxorganesdelapressecommuniste(L’HumanitéetCesoir)sontinterditsdeparution.Danscettebatailleentre partisans de chaque bloc, le Salon d’automne présente en septembre 1948 un tableau deFougeron, Parisiennes au marché, qui se veut la première contribution française au réalismesocialiste. Après l’opposition du PCF à la visite du général Eisenhower (janv. 1951), la venue dugénéralRidgwayentraîned’importanteséchauffourées(unmort,plusieurscentainesd’arrestations).

«PourleParticommuniste,ParisrestecemaillonessentieldansunechaîneduProgrèsquetouslesprogressistes,delapolitique,del’Idéecommedel’art,doiventdéfendreetillustrer.C’estàParisqueselivrentlescombatsidéologiquesetpolitiquescontrel’impérialismeaméricainetlecolonialisme,etpour la paix ; c’est à Paris que se mettent en scène les débats esthétiques essentiels autour dunouveauréalismeenart.LeParticommunisteadhèreetparticipeàcemythefondateurdeParisdontil se veut l’illustrateur, héritier des communards et des Lumières aussi bien que des prophètesromantiques.»

En 1958, le général de Gaulle choisit symboliquement la date du 4 septembre et la place de laRépubliquepourlancerlacampagneduréférendum.DevantundécordresséparAndréMalraux, ilprésenteauxParisienssonprojetdeconstitutionpourlaFrance.Durantlesderniersmoisduconflitalgérien,laviedesParisiensestmarquéeparlesattentatsdel’OASetdegrandesmanifestations.Le8janvier1962,l’appartementdeSartreestdétruitparunechargedeplastic;le17,uneséried’attentatssecouelacapitale.Le17octobre1961etle8février1962(métroCharonne),larépressioncontrelesmanifestationsd’Algériensetanti-OASfaitplusieursdizainesdemorts.

Dans les années 1960, plusieurs événements font l’actualité de la capitale et desParisiens.Lavillereçoitlavisitedesgrandsdelaplanète:M.K…(mai1960),JohnKennedy(juin1961).Et,enoctobre1969,lacitéfêteleshérosdel’expéditionApollo(Armstrong,AldrinetCollins).Encesannéestwist,Parisestlethéâtredugrandrassemblementdescopains,placedelaNation,danslanuitdes22au23juin1963.CettesoiréegratuiteorganiséeparlaradioEuropeno1etlemagazineSalut lescopainsregroupeplusde200000jeunesParisiensetdelabanlieue.Momentsd’émotiondanslacapitaleenoctobre1963lorsdesobsèquesd’ÉdithPiafaucimetièreduPère-Lachaise.Quantauhérosdel’année1967,c’estunpharaon:Toutankhamonattire1,2milliondevisiteursauGrandPalais.

En1968,delarueGay-Lussacàl’Odéon,delaSorbonneauxChamps-Élysées,lesjournéesdumoisdemaiontundécortrèsparisien.Aprèsunpremieractedanslesbâtimentsdelajeuneuniversitéde

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Nanterre, le mouvement des étudiants se déroule (jour et nuit) dans les rues, les boulevards, lesthéâtres de la capitale. Dès le 2 mai, l’agitation étudiante gagne le Quartier latin. Les défilés, lesbarricades,lesaffrontementsaveclesCRSrythmentlaviedeParis.Danslanuitdu10au11mai,lesdégâtssontconsidérablesdansplusieursrues.Lagrèvegénéraledu13mai,dixansaprèsl’arrivéedugénéraldeGaulle,s’accompagned’undéfiléimposantdanslesgrandesartèresdelaville.Cemêmejour,laSorbonneetl’Odéonsontoccupés.Etc’estenquittantParis,etlaFrance,quelechefdel’Étatparvientàcréerunchocdansl’opinionpublique.Sonallocutionradiodiffuséedu30maiseconjugueavecuneimportantemanifestationdesespartisansentrelaConcordeetl’Étoile.Le29juin,lorsdesscrutinslégislatifs,Parisrépondfavorablementàcetappel.L’ancrageàdroiteestconfirmé.TouslesdéputésparisienssoutiennentlenouveaugouvernementCouvedeMurville.

Àcôtédecetteplacepremièredansl’histoirenationalesereposelaquestiondustatutdelaville.Dèsl’été1944,leComitéparisiendelaLibérationaenchargeleconseilmunicipaletleconseilgénéraldelaSeine.Cetteparenthèsedureunpeuplusdesixmois(août1944-mars1945).Enavril1945ontlieu les premières élections municipales de l’après-guerre. Les Parisiennes (ce sont les premiersscrutinsauxquelsparticipentlesfemmes)etlesParisiensdoiventélireàlaproportionnelledanssixsecteurs90conseillers;108listessontencompétitionsurl’ensembledessecteurs.Encomparaisondes élections de mai 1935, ces consultations marquent un tournant en redonnant à la gauche unemajorité de sièges au sein du conseil municipal. Premier parti dans Paris, triomphateur de cettebatailleélectorale, lePCFobtient30,9%dessuffragesexpriméset27sièges.Ilretiresoncandidat(Henri Gourdeaux) à la présidence du conseil et permet ainsi le succès du socialiste André LeTroquer.Pendantdeuxannées (1945-1947), lagauche retrouve ladirectionde l’HôteldeVille.Lesmunicipales de 1947 bouleversent cet équilibre politique. Le RPF, créé en avril par le général deGaulle, est porté par 55% des votants à la tête du conseil municipal. Il compte 52 élus, soit unemajorité absolue de sièges. Pierre de Gaulle est élu au poste de président. La division du campgaullistepermeten1953lavictoiredeladroiteindépendanteetl’électiond’ÉdouardFrédéric-Dupontà la présidence de 1953 à 1954. Lui succèdent Bernard Lafay, Jacques Féron, Pierre Ruais. Lesscrutinsdemars1959marquentaveclesuccèsdePierreDevraigne(UNR)leretourdesgaullistesàladirectiondel’HôteldeVille.Laguerred’Algériediviseànouveauladroiteparisienne.En1962,Pierre-ChristianTaittingerconquiertlefauteuilprésidentiel.Aufildeceschangementsdepersonnelpolitique subsiste l’essentiel : Paris demeure une cité sous la tutelle de l’État. Parallèlement àl’élaborationd’unnouveauprojetde loi sur lenouveaustatutdeParis, ladroitegiscardienneet lemouvementgaullistes’opposentdeplusenplusdirectement.LessuccèsparisiensdeValéryGiscardd’Estaingàlaprésidentiellede1974accélèrentlechangement.Lechefdel’ÉtatespèrevoirélireàlamairiedeParissoncandidat.Laloidu31décembre1975donne(redonne)àlacapitaleunmaire.

«Après le débat au Parlement, la loi finalement votée comprend des différences sensibles avec leprojet du gouvernement. Le rôle municipal de Paris est privilégié par rapport à son rôledépartemental… Le nombre de conseillers est fixé à 109 : le gouvernement a refusé le chiffresupérieursouhaitéparlesconseillersdeParisetadmisparlaCommissiondeslois.Lesdispositionsconcernantladuréeetlenombredessessions,laconvocationduConseildeParis,l’électiondumaire,laconstitutionduConseilencomitésecretsontsupprimées, ledroitcommunétantappliquésurcesmatières.Lalimitationàdeuxmandatsdumaireestabandonnée.Lenombred’adjointsestfixéà27.»

Lacampagnemunicipaledemars1977prendrapidementlesalluresd’unebataillepourParis.Surleperron de l’Élysée, Michel d’Ornano, ministre de l’Industrie et maire de Deauville, annonce sacandidature (nov. 1976). La réaction gaulliste (ou chiraquienne) se prépare. Le 11 janvier 1977,

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JacquesChirac, ancien Premierministre, lance son offensive. Sa candidature donne à ces scrutinsmunicipauxunetoutautredimension.

«JeviensdanslacapitaledelaFranceparceque,dansnotrehistoire,depuislaRévolutionde1789,chaquefoisqueParisesttombé,laFranceaétévaincue»(J.Chirac).

Une fois encore, à un an des législatives, Paris est bien cette scène capitale de la vie politiquefrançaise. La ville devient, le temps d’une élection nationale, le centre d’un affrontement entre leprésidentdunouveauRPR(lemouvementaétécrééendécembre1976),principalecomposantedelamajorité parlementaire, et le chef de l’État au travers de la candidature duministre de l’IndustrieMichel d’Ornano. La gauche conduite parHenri Fizbin (PCF) etGeorges Sarre (PS) présente deslistesd’union.Autreintérêtdecesconsultations,laparticipationdutoutjeunemouvementécologistedeBriceLalonde.

LesvotesdesParisiensles13et20marspuisceluidesconseillersle25mars(67voixsur109)fontdeJacquesChiracletreizièmemairedeParis.

Lestatutdelavillen’estpourtantpasdéfinitivementétabli.Enjuin1982,legouvernementdePierreMauroy annonce un nouveau projet visant à redécouper la capitale en 20mairies. Jacques Chiracdénonceuneentreprisededestruction.

LaréformedustatutparisienouvreleshostilitésentrelemairedeParisetl’exécutif.Deuxansaprèsl’élection de François Mitterrand, dans un contexte de grandes tensions politiques, les électionsparisiennesvoientl’affrontementdeslistesdePaulQuilèsetdumairesortant.Enmars1983,legrandchelemélectoraldeslistesdeJ.Chirac(20mairiesgagnées)constitueunéchecpourlechefdel’État.CettedominationduRPRsurlacapitaleestconfirméeen1989.En1995,l’électiondeJacquesChiracàlaprésidencedelaRépubliquemetuntermeàunecarrièrededix-huitannéespasséesàlatêtedel’HôteldeVilleetouvreunesuccession.Le22juin,JeanTibéridevientmairedeParis.Latransitionpolitiqueestdesplusdifficiles :affairesjudiciaires,divisionsinternesentrelesdroitesparisiennes.Lamajoritémunicipaleseprésenteenmauvaiseposturelorsdelaconsultationmunicipaledemars2001. Dans un contexte national de cohabitation, les listes de la gauche plurielle remportent 12arrondissementsetsontmajoritairesensièges.BertrandDelanoë,sénateursocialiste,estélumairedeParis. La gauche reconquiert la capitale. En 2008, le bilan municipal de Bertrand Delanoë estlargement approuvé. Face à la liste UMP de Françoise de Panafieu, le maire socialiste sortantconfortesonancrageparisien.Lagaucheestmajoritaireenvoixsurlacapitaleetensiègesauseinduconseil de Paris. Lors de la présidentielle d’avril-mai 2012, François Hollande devance NicolasSarkozy.Le6mai,ilobtient55,6%dessuffragesexprimés.Surcetélan,lamajoritéprésidentielleremporte12des18députationsdeParis.Parmilesélusdel’UMP,FrançoisFillon,Premierministrede 2007 à 2012, s’installe dans le paysage parisien. Dans le calendrier électoral, les prochaineséchéancesmunicipalesconstituentunrendez-vousessentieldanslaviepolitiquedelacapitale…etdelaFrance.

IV.LesgrandstravauxLesgrandsprojetsettravauxquimodèlentleParisdecettefindesiècledébutentdèslesannées1950.Lecontexteéconomique(lesTrenteGlorieuses)estporteur.Àl’ouestdelacapitale,laconstruction

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du CNIT (Centre national des industries et techniques) achevée en 1958 constitue l’embryon dusecondcentredesaffaires.Lacapitales’offraitainsisonManhattandansunepériodemarquéeparlacroissance.En1969,lacréationsurlesited’unegareRERdonneàcequartiersavéritabledimension.

En1958,lespremiersettrèsmodernesbâtimentsdel’UNESCO(placedeFontenoy)sontinaugurés.Pendantplusdedixannées(1952-1963),laMaisondelaRadiodel’architecteHenryBernardestl’undesgrandschantiersdu16earrondissement.Des transformationss’opèrentdansplusieursquartiersparisiens(leMarais,Saint-Germain-des-Prés,Montparnasse,lesHalles).UnedesprioritésduconseilmunicipalaétélasauvegardeetlarestaurationduMarais(120ha),quiestconcernéaupremierchefparlaloide1962,présentéeparleministredelaCultureAndréMalraux,surlesquartiersd’intérêthistorique et archéologique à sauvegarder.De nombreux hôtels (le plus célèbre : l’hôtel de Sully,l’hôteldeRohan),lesjardinsdeSaint-Paulsontremisenvaleur.

Dès l’entre-deux-guerres, l’idéede la réorganisationduvastemarchédesHalless’est imposéeauxgouvernements. La réalité parisienne héritée de la fin du xixe siècle est en inadéquation avec lesbesoins de la région.Le déménagement desHalles est décidé dans les débuts de laVe République(1962).IlentraînelaconstructiondumarchédelaVilletteetdeRungis(Val-de-Marne)et l’amorced’ungrandchantierdanslecœurdeParis.LesabattoirsdelaVillettesontuneopérationdésastreusequiconjugueunscandaleetungouffrefinancier(unmilliarddefrancs).En1970,sansjamaisavoirétéréellementutilisés,cesabattoirssontferméspuisdétruits.QuantaudevenirdespavillonsBaltard,il reste sans réponse pendant près de dix années. Sur cet espace de plus de 2 ha sont finalementconstruitsleForum(commerces,cinémas,vidéothèquedeParis…),inauguréenseptembre1977,desespacesvertsetlecentreBeaubourg(prévuinitialementàlaDéfense),ouvertenjanvier1977.UndespavillonsBaltardestconservéàNogent-sur-Marne.

Les aménagements du quartier Montparnasse débutent en 1959. À la destruction des anciennesstructures de la SNCF et la reconstruction de la gare nouvelle (TGV) succède l’opérationMaine-Montparnasse.Unefoisencore,unetourcristallisedébatsetcontroverses.De1969à1973,ilfaut130000tdebétonpourédifierlatourMontparnassehautede210m.Unprojetabandonnéproposaitdeprolongerl’autorouteA10(radialeVercingétorix)jusqu’àcequartier.

Lesprojetsprésidentielsentrentdanscetensembledechantiersquitransformentlaville.Initiéesaucoursdumandat,cesopérationssontsouventinauguréesparunsuccesseur.

Sur le plateau Beaubourg, au cœur de la capitale, Georges Pompidou, le passionné d’artcontemporain,devientdès1969lemaîtred’œuvredufuturCentred’artetdeculturedessinéparlesarchitectesPianoetRogers.Danscevieuxquartiers’imposenonsanspolémiques,aufildesannées,un bâtiment métallique (42 m de haut, 60 m de large et 160 m de long) composé de tuyaux auxcouleurstrèsvives.L’inaugurationparleprésidentGiscardd’Estaingalieule31janvier1977dansun contexte politique dominé par la bataillemunicipale d’Ornano-Chirac.Depuis, le quartier s’estanimé (spectacles de rues, expositions) et dans cette zone piétonnière un lien (un itinéraire) s’estprogressivement constitué entre le centre Pompidou et le forum des Halles. Dans le 12earrondissement, le palais omnisports de Bercy recrée une animation sportive. La premièremanifestationlorsdesonouverture(févr.1984)marqueleretourdel’épreuvedessixjourscyclistesdeParis.

Dans l’Estparisien,ValéryGiscardd’Estaing lance lemuséedesSciencesetdesTechniquessur le

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terraindelaVillette(architecte:AdrienFainsilber).LaCitédessciencesestouverteen1986.Surcetespace coexistent la superbeGéode (1985), dédiée au septième art (salle de cinéma avec un écransphérique), et le Zénith (1984), consacré à lamusique. Lemusée d’Orsay naît aussi de l’initiativeprésidentielle. La gare construite à la fin du xixe siècle, inscrite à l’Inventaire des monumentshistoriques,devientlecadrespectaculaired’unmuséeconsacréauxproductionsartistiquesde1848à1914. La magnifique façade de cette gare est un atout prestigieux pour cette nouvelle opérationinaugurée en 1986 par F.Mitterrand,V.Giscard d’Estaing et J. Chirac. Le projet de création d’unInstitutdumondearabe(architecte:JeanNouvel)rencontreplusdedifficultés.Surlepapier,ilvoitlejour en 1974.Mais il ne trouve définitivement qu’en 1980 son lieu d’implantation, en bordure deSeineprèsdeJussieu.Ilestouverten1987.

Quelques mois après sa première élection à la présidence de la République, François Mitterrandannonce officiellement ses desseins pour la capitale. Ses deux septennats sont l’expression d’unevolonté,etd’unévidentplaisir,àinterveniretmarquerdesonempreinteunpaysageparisienquiluiestcher.Ildoit,enrevanche,renoncer(1983)àsonambitiond’organiseruneExpositionuniverselleàParisen1989.Lestravauxprésidentielsconcernentplusieursquartiers.LedossierduGrandLouvreest le plus célèbre. Il impose tout d’abord le départ des services du ministère des Finances. LesbâtimentsdeBercy (architecte :PaulChemetov), avancés sur laSeine, les accueilleront (1989).Laréalisationdelapyramidedel’architecteLeohMingPeiaétédansunpremiertempstrèsdiscutée.AucœurdelacourNapoléon,cettepyramidedeverreblanctranslucide(22mdehaut,35mdecôté)estunepièceessentielle,aujourd’huiappréciée,decetensemblearchitecturalinauguréenmars1989.

Avec la préoccupation de redynamiser les quartiers de l’Est, l’Opéra-Bastille est en préparationdepuisfévrier1982.IlouvreàlaveilledescérémoniesdubicentenairedelaRévolution,prisedelaBastilleoblige!Maisilneprendsonrythmedecroisièrequedeuxansplustard.LeprojetdeCarlosOttdemeurelepluscontestétantparl’aspectesthétiquedelaréalisationqueparsoncoût.

LaGrandeArche(uncubeévidéde112mdehaut)vientparacheverledéveloppementduquartierdesaffaires, déjà évoqué, de laDéfense.La construction de l’architecteOtto vonSpreckelsen s’inscritdans la continuité d’une perspective est-ouest du Louvre à la Défense. Le projet mitterrandienprolongeainsi lesdesseinsroyauxet impériaux,desTuileriesàlaConcordeetàl’Étoile.L’édificeinauguréle18juillet1989estàlafoisunarrêtduregardetuneouvertureau-delàdel’Archeelle-même.

"Uncubeouvert,

Unefenêtresurlemonde

Commeunpointd’orgueprovisoiresurl’avenue

Avecunregardsurl’avenir…

L’«Arcdetriomphedel’homme»severradeloindanstouteslesdirections.

Enapprochantdecettearche,ondécouvrequec’estunegrandeplacecouverteoùl’onpeutsemêlerauxautresetd’oùilest faciledepartiràladécouvertedechaquepiècedugrandcomplexe(JohanOttovonSpreckelsen)."

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LedernierdestravauxprésidentielsestlaBibliothèquedeFrance(architecte:DominiquePerrault),aujourd’huinomméebibliothèqueFrançois-Mitterrand.Cettebibliothèqueouverteen1996accueilleprogressivement la quasi-totalité des ouvrages de l’ancienne Bibliothèque nationale de la rueRichelieuetdevientunpôlepourleschercheursdumondeentier.EllesesituesurlaZACdeTolbiacdansun13e arrondissement rénovépar lesaménagementsde lavasteopérationParis-Rivegauche,quitransformelaphysionomiedesquartiersentrelagared’Austerlitzetlepériphérique.

En 2005, après douze années de travaux, le Grand Palais rouvre avec une verrière d’uneexceptionnelle beauté (coût de l’opération : 101 millions d’euros). L’année suivante, le panoramamuséal(etarchitectural)s’agranditavecl’inaugurationdumuséedesArtsetCivilisationsd’Afrique,d’Asie, d’Océanie et des Amériques. Sur le quai Branly, inauguré dans les derniers mois de saprésidence,cemuséedesartspremiersaétél’objetd’uneattentionparticulièredelapartdeJacquesChirac.

Cesgrandesréalisationsnedoiventpasfaireoublierd’autresprojetsquiconcernentlequotidiendemillions de Parisiens et de banlieusards. Dans le domaine des transports, la RATP ouvre la ligneMeteor(1995)quipermetuneliaisonentreBercy,Tolbiac,lagaredeLyonavecleChâteletetlagareSaint-Lazare.QuantàlaSNCF,elleétablituneligneallantdelaVilletteàlaDéfense(1996).Ajoutons,concernantlacirculation,lamiseenservicedutramway(1erdécembre2006)surlesboulevardsdesMaréchauxsud(Ported’Ivry–PorteGarigliano)avecpourfin2012uneprolongationverslenord(PortedelaChapelle)etlaréussitedutransportàvéloàtraversle«Velib»(réseaudelocationdebicyclettes).

Parisgagneaussidesespacesdeverdure(prèsde90haenunedécennie):squaredelaRoquette,parcGeorges-Brassens (avec sous la Halle aux chevaux un célèbre marché aux livres chaque fin desemaine), parc André-Citroën, parc de la Villette, parc des Buttes-Chaumont, plus récemmentl’itinérairevertallantdelaBastilleauboisdeVincennesetleparcdeBercy.Avecsesjardins,Parisestdevenuel’unedescapitaleslesplusvertesd’Europe.Etsymboliquementseredessinepour2013laplacedelaRépubliqueenuneplacepopulaireduxxiesiècle,pluschaleureuse,plusintime(avec30%d’arbresenplus).Oui,Paris-Panamecontinuedesurprendreetdeséduire…

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Conclusion

ncedébutdexxiesiècle,Paris,avecunesuperficiede105km2,compte2,2millionsd’habitants(au1er janvier2009).Lavilleest lecœurde l’Île-de-France (12000km2, 11,7millionsd’habitants en2009). Paris n’a pas cessé d’occuper une place singulière dans notre pays : capitale politique,économique, culturelle. Elle est le siège des plus importantes entreprises nationales. Les grandstravaux présidentiels de ces trente dernières années en ont fait un pôle culturelmondial. Places etquartiersillustrentlerayonnementnationaletinternationald’unecapitalequipeutprétendredétenirunrôledepremierplandansl’Europeduxxiesiècle.

Nostalgie?Poidsdupassé?Ville-musée?Parisdemeuresurtout lehaut lieud’unealchimie,d’unmythe,oùsemêlentimagesetimaginations.DanslespetitesruesduMarais,lelongdesquaisdelaSeine,surlePont-Neuf(fêtéen1985parl’artisteChristo),danslesalléesduLuxembourgouduparcMontsouris,aucœurduquartierNotre-Dame-des-ChampsoudufaubourgSaint-Antoine…,Parisagardélestracesdesonhistoire,etlepromeneur,l’éternelflâneur,leressent.Toutunpasséimprègneencorelacapitale…

«Imaginez-vouscettevilleuniverselle,oùchaquepassurunpont,suruneplace,rappelleungrandpasséoùàchaquecoinderues’estdérouléunfragmentd’Histoire»(Goethe).

E