HISTOIRE DE L’ARC (suite)

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HISTOIRE DE L’ARC (suite) LES PREMIERS INDICES Où le premier arc fut-il bandé? et quand? voilà qui demeure un mystère. Il est extrêmement rare de découvrir du bois conservé depuis le Paléolithique et, des projectiles utilisés, il ne reste donc que les pointes en os, en ivoire ou en bois de cervidé. Et il est particulièrement difficile de trancher en présence de pointes de dimensions moyennes : venaient-elles armer des sagaies ou des flèches? Parfois, la forme et la taille permettent de conclure: une pointe en bois de cervidé de 30 cm de longueur pour 15 mm d'épaisseur n'aura certainement pas été emmanchée sur une flèche. De même, une hampe massive n'aura pas été armée de minuscules et friables pointes de silex. Pointe en os , Parpallo Espagne -17000 ans En règle générale, on place la limite entre la hampe de flèche et la hampe de sagaie aux alentours de 10 mm, mais il est toujours risqué de projeter des considérations modernes sur les techniques du Paléolithique. Pointe à cran en silex ,Parpallo Espagne -17000 ans En Espagne et au Portugal, la découverte de pointes de flèches en silex de petites dimensions pourrait indiquer la présence de l'arc et de la flèche vers 17'000 av. J.-C. déjà. Comme les hampes en bois ne se sont pas conservées, il est difficile de dire si ces pointes venaient armer des flèches ou des sagaies. De manière générale, on constate que les pointes de Parpallo, Comunidad Valenciana, Espagne, sont vraiment trop petites pour constituer des pointes de sagaies efficaces (fig. 8-10). La largeur du pédoncule oscille entre 3 et 9 mm seulement. Les pointes en os et les pointes on silex munies d'une encoche latérale découvertes sur le même site présentent aussi des dimensions inférieures à celles utilisées au nord des Alpes. Elles conviendraient mieux à des flèches qu'à des sagaies.

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Page 1: HISTOIRE DE L’ARC (suite)

HISTOIRE DE L’ARC (suite)

LES PREMIERS INDICES

Où le premier arc fut-il bandé? et quand? voilà qui demeure un mystère. Il est extrêmement rare de découvrir du bois conservé depuis le Paléolithique et, des projectiles utilisés, il ne reste donc

que les pointes en os, en ivoire ou en bois de cervidé. Et il est particulièrement difficile de

trancher en présence de pointes de dimensions moyennes : venaient-elles armer des sagaies ou des flèches?

Parfois, la forme et la taille

permettent de conclure: une pointe en bois de

cervidé de 30 cm de

longueur pour 15 mm d'épaisseur n'aura

certainement pas été

emmanchée sur une flèche. De même, une hampe

massive n'aura pas été armée de minuscules et

friables pointes de silex.

Pointe en os , Parpallo Espagne -17000 ans

En règle générale, on place

la limite entre la hampe de flèche et la hampe de sagaie

aux alentours de 10 mm, mais il est toujours risqué

de projeter des

considérations modernes sur les techniques du

Paléolithique.

Pointe à cran en silex ,Parpallo

Espagne -17000 ans

En Espagne et au Portugal, la découverte de pointes de flèches en silex de petites dimensions pourrait indiquer la présence de l'arc et de la flèche vers 17'000 av. J.-C. déjà. Comme les

hampes en bois ne se sont pas conservées, il est difficile de dire si ces pointes venaient armer des flèches ou des sagaies. De manière générale, on constate que les pointes de Parpallo,

Comunidad Valenciana, Espagne, sont vraiment trop petites pour constituer des pointes de

sagaies efficaces (fig. 8-10). La largeur du pédoncule oscille entre 3 et 9 mm seulement. Les pointes en os et les pointes on silex munies d'une encoche latérale découvertes sur le même site

présentent aussi des dimensions inférieures à celles utilisées au nord des Alpes. Elles

conviendraient mieux à des flèches qu'à des sagaies.

Page 2: HISTOIRE DE L’ARC (suite)

Le site de Stellmoor, près de Harnbourg, a livré la preuve la plus ancienne au monde de

l'existence de l'arc et de la flèche, avec la découverte de flèches en bois de pin. A la fin de la dernière période glaciaire, vers l0'000 av J-C, les chasseurs de rennes qui parcouraient la toundra

d'Europe septentrionale fabriquaient des hampes de flèches absolument parfaites sur le plan technique. En bois de pin refendu, elles étaient munies d'une partie distale amovible qui assurait

un échange simple et rapide.

Les encoches observées à une

extrémité des flèches apportent la preuve qu'elles étaient tirées à l'arc,

puisque c'est là que venait se placer

la corde. Les arcs eux-mêmes n'ont malheureusement pas été mis à

jour. Deux fragments éventuels, en

bois de pin et provenant également de Stellmoor, ont été détruits en

même temps que les hampes de flèche au cours de la Seconde

Guerre mondiale. C'est d'un sous-

sol gorgé d'eau depuis la préhistoire que proviennent ces

trouvailles : un petit lac s'était

formé dans une dépression, alimenté en eau par une langue

glaciaire qui resta en place après le retrait des glaciers. Les troupeaux

de rennes, obligés de suivre ici

l'étroite vallée, étaient une proie facile : on découvrit les ossements

de plus de mille animaux.

fig.13:Pointes de

flèche en os fichée

dans une vertèbre de

loup, découverte à

Stellmoore. D'après

Rust 1943

A de nombreuses reprises, on put observer des fragments de pointes de

flèches en silex encore fichés dans les

os. Des milliers de flèches firent sans doute tirées lors de ces véritables

massacres. L'archéologue allemand

Alfred Rust en mit au jour plus d'une centaine dans les années trente. Les

flèches étaient formées d'une hampe principale, longue de 70 cm environ

empennage compris, et d'une hampe

amovible de 15 à 20 cm. La pointe de pierre venait se fixer sur cette

dernière.

Page 3: HISTOIRE DE L’ARC (suite)

Fig. 14: Hampes amovible en bois de pin,

certaine avec pointe de silex encore en place,

preovenant de Stellmoor, Allemagne.- D'aprés

Rust 1943

Certaines hampes

étaient simplement

taillées en pointe, mais elles servaient

bel et bien aussi à

la chasse, comme le montre l'os d'un

jeune loup traversé par une pointe de

bois encore

conservée. Si une pointe était

endommagée il

était facile d'échanger la

hampe amovible contre une

nouvelle. Mais le

chasseur devait absolument

entourer le tout d'un tendon animal,

travail qui requiert

un grand soin, afin d'éviter que la

flèche ne se fende

au prochain tir.

Fig.11: Flèche en bois de pin entièrement conservé de

stellmoor, Allemagne, datant de la fin de la dernière

glaciation, encore munie de sa hampe amovible. A

côté,le couteau de poche de l'auteur.-D'aprés Rust

1943

Fig.17:Flèche de chasse en viorme ou en cornouiller avec pointe de flèche en silex à tranchant transversal.

Vissenberg, Danemark. Vraisemblablement Mèsolithique

Page 4: HISTOIRE DE L’ARC (suite)

Les plus anciens arcs connus an monde viennent de Scandinavie. Deux douzaines de

pièces ont été mises au jour au Danemark, parmi lesquelles on compte plusieurs arcs complets. C'est du non du lieu de découverte des deux premières pièces que l'on qualifie

les arcs mésolithiques du type de Holmegârd. Quelques trouvailles proviennent également

du nord de l'Allemagne et du sud de la Suède. Ces armes très abouties sur le plan technique appartenaient à des chasseurs-cueilleurs de l'ère post-glaeiaire, ayant vécu entre

8000 et 5000 av. J.-C. Sur le plan technologique, les arcs de ces périodes reculées ne

pouvaient guère être améliorés, exception faite du bois utilisé, qui aurait pu être plus adapté. A une exception près, un arc d'enfant en bois de sorbier provenant du sud de la

Suède, tous les arcs mésolithiques sont en orme. S'il est vrai que ce bois n'est de loin pas aussi adapté que le bois d'if, ce qui importait à cette époque était de disposer en suffisance

de bois droits et sans nœuds.

Ces arcs, hauts comme un homme, frappent

par leur design

technique remarquable. Les branches sont en

règle générale relativement plates et

larges. La face externe

bombée correspond à l'extérieur de la

branche, dont seuls ont été enlevés l'écorce et

le liber. Les fibres du

bois ne sont interrompues à aucun

endroit, ce qui favorise

la résistance à la cassure lors de la

tension, La face interne plane a quant à elle une

forme idéale pour

résister à la pression. Tandis que l'extérieur

de l'arc doit s'aIlonger

lorsqu'on le bande, l'intérieur doit pouvoir

se contracter. Compte-tenu des contraintes

physiques, les arcs du

Mésolithique présentent donc une

section idéale.

On peut observer

d'autres détails raffinés

On estime approximativement

la force de tension

nécessaire pour un arc d'adulte

mesurant de l m 40 à l m 90 entre 21 et 32

kg, resp. 45 à 70 lb.

Cela permettait de tirer des flèches de

chasse légères à une vitesse située entre

120 et 180 km/h. Au

Mésolithique, les flèches ont d'abord

été réalisées en pin,

puis ultérieurement aussi en noisetier, en

viorne (flburnum) ainsi que dans

d'autres bois. Pour

chasser des petits animaux, on utilisait

des flèches

présentant un renflement en forme

de massue à la place de la pointe. Le petit

gibier peut en effet

être abattu par le seul impact du tir,

qui permet également

d'immobiliser le

Page 5: HISTOIRE DE L’ARC (suite)

sur certains des arcs. La poignée et la partie

extérieure des branches sont parfois fortement

amincies. Plus la

poignée est mince, moins la flèche subira

de déviation latérale. C'est pour cette raison

que les arcs modernes

présentent des encoches servant de

fenêtres de tir

"permettant un center shot" parfait. Plus les

extrémités sont étroites, plus elles sont

légères, ce qui

demande moins de force pour resserrer les

branches et donne une meilleure accélération

à la flèche. À côté des

grands arcs d'adultes, il y avait également des

arcs plus petits pour les

enfants et les adolescents.

A fig. 15: 1) Fragment d'un arc en orme découvert à Holmegârd, Danemark, mesurant environ 1 m

70.- 2) Arc en orme découvert à Holmegârd, long

de l m 54.- Datation des deux pièces: vers 6500 av

j-C Musée national, Copenhague. 3)

Reconstitution de l'Arc d'adoIescent de

Mollegabet, Danemark, mesurant à I'origine près

de I m 15.- Vers 5400 av j-C.-Langelands

Museum, Rudkobing.

plus grand gibier. L'avantage de ce

type de tir, s'il n'est fait à pleine

puissance, est que la

fourrure ou le plumage ne sont pas

endommagés...

Page 6: HISTOIRE DE L’ARC (suite)

À partir de 4500 av. J.-C., on n'a plus utilisé en Europe centrale et de l'ouest que du bois d'if (Taxus

baccata) pour réaliser les arcs. En raison des mauvaises conditions climatiques de la dernière période

glaciaire, ce n'est que dans des régions reculées, par exemple dans des vallées protégées, que l'on

trouvait des peuplements forestiers conséquents. A la fin de l'ère glaciaire, vers l0 000 av. J.-C., les

arbres se sont à nouveau répandus, mais l'if qui croît lentement, a mis beaucoup plus de temps que les

autres espèces. Aujourd'hui encore, l' if est considéré comme le meilleur bois pour faire des arcs et

c'est dans ce bois que les constructeurs d'arcs traditionnels réalisent les pièces

les meilleures et les plus recherchées. Le bois d'if se compose de deux couches

de couleur différente: la partie extérieure est jaune clair, le cœur brun-rouge.

L'aubier est souple et élastique, tandis que le cœur est plus dur et plus cassant,

ce qui a des conséquences importantes pour la confection d'un arc: un arc en if

doit en effet avoir sur sa partie avant une couche d'aubier, afin d'éviter la

cassure; le cœur du bois utilisé pour l'intérieur garantit quant à lui de hautes

performances. Ce n'est qu'en associant les propriétés spécifiques des deux

parties composant le bois d'if que l'on obtient des performances supérieures.

Cette règle était déjà prise en compte au Néolithique: sur de nombreux arcs en if mis au jour, on peut

attester l'utilisation des deux types de bois, détectables par leur couleur ou par des caractéristiques de

séchage particulières.

En ce qui concerne leur mode de

fabrication, les arcs du

néolithique sont semblables à

ceux du Mésolithique. La

meilleure qualité du matériau

permet toutefois de réaliser des

arcs beaucoup plus minces. Dans

les grandes lignes, on peut dire

qu'il existait deux types d'arcs

pendant la période néolithique: un

type droit, en forme de baguette,

et un type arqué, dont la forme va

de la pale à la pagaye. Même s'il

est possible que les deux types

aient été utilisés conjointement,

les comparaisons ethnographiques

tendent à montrer que, dans un laps de temps restreint, dans des

zones géographiques limitées

possédant une culture homogène,

on utilisait plutôt un seul type

simultanément. Pour l'heure, nous

disposons toutefois d'un éventail

d'arcs bien trop restreint et trop

mal daté pour pouvoir affirmer de

façon plausible quand et où tel

type d'arc était utilisé

Fig. 22: Arc complets

appartenant à deux villages

voisin de la culture de Pfyn.

1)Thayngen (SH), vers 3800-

3600 av. J.-C. 2)Niederwil(TG),

3660-3585 av. J.-C.

Ces deux grands groupes d'arcs

présentent une multitude de détails

différents. Les différentes formes

d'attaches de cordes et de poignées

peuvent être considérées comme des

variantes plutôt esthétiques, tandis que

les variations dans la section des

branches de l'arc ont plus

probablement une explication

technique. La corde pouvait être fixée

par une simple encoche, un bouton

plus ou moins luxueux ou des

extrémités en forme de bouton ou de

cuiller. Les poignées ont aussi été

réalisées de façons très diverses.

Parfois, elles n'existent pas en tant que

telles, la zone de préhension étant

simplement le centre de l'arc. Sur

certains arcs, elles se présentent sous la

forme d'un rétrécissement latéral, sur

d'autres d'un renflement médian. Une

autre variante consiste en une zone de

préhension rétrécie et épaissie en

forme de bouton sur la face interne.

Les revêtements de poignées ainsi que

les poignées en cuir ne faisaient pas

partie des usages.

Page 7: HISTOIRE DE L’ARC (suite)

Fig.-21: Exemples de deux types d'arc

droit et en forme de pale.

1) Bodman, Allemagne, longueur 1m50,

non daté.- Rosgarten-

museum,Constance.

2) Onstwedde, Pays-Bas, longueur

1m72.- Vers 2600-2400 av. J.-C.-

Provinciaal Museum,Assen.

La section des branches de

l'arc est plus ou moins

semi-circulaire. La face

avant, bombée, correspond

à l'extérieur de l'arc, tandis

que la face interne est soit

plane, soit concave.

L'utilité de ménager une

telle gorge à l'intérieur de

la branche nous échappe

aujourd'hui. Au contraire

d'une face plane, elle

diminue sensiblement ta

résistance à la tension et

diminue objectivement la

qualité de l'arc. Peut-être

cet affaiblissement

délibéré était-il destiné à

diminuer la tension sur la

face externe pour atténuer

le risque de fracture. Il faut

attendre le Néolithique

récent pour qu'une

amélioration technique soit

apportée à l'arc, dont la

section est modifiée: en

laissant une mince face

plane sur l'extérieur, la

résistance à la tension est

sensiblement améliorée, ce

qui diminue les risques de

brisure. En dépit de cette

découverte, nombre d'arcs

ont encore été fabriqués

avec une gorge sur la face

interne. Tandis que les

notions utilisées en

archéologie s'appliquent à

des civilisations ayant duré

plusieurs siècles, les arcs

subissent des modi-

fications dans des laps de

temps beaucoup plus

courts. Un exemple du

nord de ta Suisse témoigne

de cette rapidité de

transformations. C'est ainsi

que t'on trouve des arcs de

types différents dans deux

villages de la culture de

Pfyn séparés d'à peine 24

km, Thayngen (511) et

Niederwil (TO). Tandis

Cliquer pour agrandir Fig. 23:

1) Pointe de flèche en silex avec brai de

bouleau, provenant de Taüffelen (BE).-

Néolithique.- D'après Müller-Beck 1965.

2) Manchon en bois de cervidé pour flèche à

extrémité arrondie découvert à Arbon (T~.-

Vers. 3370 av J.-C.- E. 1:1.- Cliché: Amt für

Archäologie, canton de Thurgovie.

3) Reconstitution d'une pointe de flèche

néolithique à extrémité arrondie.

4) Reconstitution d'une lèche avec pointe de

silex triangulaire, inspirée des exemplaires

découverts auprès d',"Otzi

Page 8: HISTOIRE DE L’ARC (suite)

que l'arc de Thayngen présente clairement des

extrémités effilées avec de

petits boutons

d'accrochage pour la corde,

ainsi qu'une surface

intérieure plane, les arcs de

Niederwil, plus récents d'à

peine 200 ans, sont des

arcs droits, avec des

extrémités

inhabituellement grandes,

en forme de cuiller et d'une

section concave avec une

profonde gorge interne.

Les plus anciens arcs de la

civilisation de Cortaillod

(env. 4100 - 3600 av. J.-

C.) sont droits, avec une

section semi-circulaire.

FABRIQUER UN ARC EN IF

Herminette en os

Page 9: HISTOIRE DE L’ARC (suite)

Refente & Ecorçage

Les gestes du constructeur d'arc Néolithique se reflètent particulièrement bien dans les ébauches et les pièces non achevées, en raison des traces qu'elles révèlent à l'œil exercé du

spécialiste: refente du bois, mise en forme grossière à la hache, travaux de finissage à l'herminette, traces de polissage ou parfois même de râpage. Ces traces le prouvent sans

aucun doute possible: le bois était travaillé encore vert, et non après un séchage de

plusieurs années, comme c'est le cas aujourd'hui pour la fabrication d'arcs traditionnels. Il n'est pas possible d'établir un standard des techniques de fabrication, car elles varient

fortement d'une pièce à l'autre, faisant d'un arc un chef-d'œuvre alors que d'autres sont de

qualité médiocre. Certains artisans faisaient preuve d'une grande virtuosité dans le maniement de l'herminette. Les traces de raclage observées sur quelques ébauches et

pièces achevées montrent que l'égalisation de la surface était réalisée à l'aide de lames ou de racloirs en silex. On apportait un tel soin au polissage qu'il est généralement impossible

de distinguer une quelconque trace de travail sur un arc d'adulte achevé. Les artisans

s'investissaient à fond dans la fabrication de, leurs arcs, sans doute parce que l'arc était un objet d'une importance toute particulière pour les hommes de l'âge de la Pierre.

Page 10: HISTOIRE DE L’ARC (suite)

Retrouver les gestes des

constructeurs d'arcs

néolithiques.

Afin d'estimer le temps nécessaire à la

confection d'un arc et de vérifier certaines hypothèses concernant les

techniques de fabrication de l'âge de

la Pierre, nous avons abattu deux jeunes troncs d'if, sans départs de

branches, mesurant près de l m 70. La fabrication d'un arc de chasse fut

menée à bien dans les jardins du

Musée Schwab à Bienne, avec pour tout équipement les outils dont

disposaient sans doute les

Néolithiques (image 1). C'est le cinquième jour après l'abattage de l'if,

d'un diamètre de 9 cm, que débutent les travaux, avec la mise en forme de

l'ébauche. Le bois, encore très

humide, est tendre. Vers midi, on fend le petit tronc d'if dans le sens de la

longueur, à l'aide de deux coins de bois et d'un maillet en buis (images 2

à 6). Nous constatons qu'il est plus

difficile d'en contrôler la direction qu'avec des outils modernes en métal.

Toutefois, le résultat est satisfaisant,

puisque l'une des moitiés du tronc semble convenir à la fabrication d'un

arc. L'opération de 1'écorçage se déroule sans aucun problème, puisque

l'écorce humide se détache facilement

en de grands lambeaux (image 7).

Refente du petit tronc d'if

Page 11: HISTOIRE DE L’ARC (suite)

Retrouver les gestes des

constructeurs d'arcs

néolithiques.

Pour donner sa forme à

l'ébauche, nous disposons de deux petites herminettes, la

première munie d'une lame en os de bovidé, et la seconde

d'une lame en bois de cerf.

Nous tentons de reproduire les traces observées sur les

ébauches néolithiques, qui proviennent à coup sûr d'outils

au tranchant bien marqué. Une

lame de hache en os peut être davantage affûtée que celle

d'une hache en pierre, qui

s'effritera facilement. Nous optons pour ce type d'outil en

raison de la faible dureté du bois vert et nous nous

attachons à donner sa forme à

l'arc (images 5 à 11). Bien que les deux lames soient très

tranchantes au début des travaux, quelques coups

suffisent à les émousser

nettement, bien que le bois soit tendre. Nous en déduisons que

ce type d'outil ne convient pas

à la fabrication des arcs. Afin d'exclure le fait que ce

dommage ne résulte de notre manque d'expérience, nous

poursuivons notre travail à la

hache en os, à un rythme extrêmement lent, aiguisant le

tranchant très souvent. Après

deux heures de travail, l'arrondi de la face externe est achevé.

Bien que nous aiguisions constamment les haches, la

coupe du bois s'avère

impossible, ce qui nous oblige à effectuer un mouvement de

Mise en forme de l'ébauche

Page 12: HISTOIRE DE L’ARC (suite)

raclage particulièrement

astreignant. Les négatifs laissés par nos outils ne correspondent

en rien à ceux observés sur les

ébauches originales, puisqu'ils sont plus proches d'un

traitement à la paille de fer qu'à

des coups nets (images 12 à 13). Étant donné que nous ne

disposons pas sur place de haches de pierre adéquates,

nous terminons la mise en

forme de l'ébauche avec une herminette moderne à lame

d'acier, qui produit enfin des

traces identiques à celles observées sur les pièces

néolithiques. Avant de poursuivre notre travail, nous

devons laisser sécher l'ébauche

(image 15). Cinq heures ont été nécessaires à sa fabrication.

Cette première étape achevée, nous pouvons en conclure qu'il est impossible de travailler le

bois d'if même vert, à la hache en os ou en bois de cerf, et, secondement, que les traces

observées sur les ébauches néolithiques indiquent qu'on utilisait des haches pourvues d'un

tranchant particulièrement marqué. Il reste à définir s'il s'agissait de la hache de pierre

conventionnelle, au tranchant peu acéré, ou s'il faut prendre en compte d'autres matériaux.

On évoquera la néphrite, beaucoup plus dure et résistante, et qui peut donc être polie de

manière à lui conférer un tranchant particulièrement affûté. On peut aussi concevoir

l'utilisation de haches en cuivre, du fait que toutes les ébauches d'arcs néolithiques

découvertes à ce jour se placent dans une phase relativement tardive du Néolithique, lors

de laquelle le travail du cuivre n'était pas inconnu, bien qu'encore peu pratiqué.

Retrouver les gestes des

constructeurs d'arcs

néolithiques.

Huit jours après la mise en

forme de l'ébauche, Je bois a

perdu plus de 30% de son poids par évaporation. Dés

lors, il va rester pratiquement

stable. Avec ses 530 g, la pièce est déjà bien sèche, dure

Séchage, mise en forme par

raclage

avec des éclats de sile,

et premiers tests de flexion.

Page 13: HISTOIRE DE L’ARC (suite)

et sonore lorsqu'on la frappe. Malgré nos craintes, elle n'a

pas subi de déformation latérale durant le séchage.

L'arc est achevé 10 jours après

la mise en forme de l'ébauche, ou 15 jours après que l'arbre a

été abattu. Lors de la première étape de travail, nous nous

étions déjà bien rapprochés

des proportions définitives de l'arc, et nous poursuivons la

réduction de la pièce en la

raclant avec des éclats de silex, encore plus efficaces

lorsqu'ils sont brisés en deux (images 16 à 20). Plus l'éclat

est lourd, plus le travail

avance rapidement. L'amincissement des branches

de l'arc repose sur la seule estimation de l'artisan. Le plus

grand danger de gâcher un arc

est qu'il se fracture Il est donc indispensable de répartir la

courbure de manière régulière

sur l'ensemble de l'arc. Dès le Moyen Âge au plus tard, on

utilisait dans ce but une planche munie d'encoches

servant à augmenter

progressivement la tension. Les constructeurs d'arcs

néolithiques ne connaissant

pas de telles méthodes, ils devaient sans doute demander

à un compagnon de tendre l'arc afin d'en estimer la

flexion. Les parties trop

épaisses qui pouvaient entraver l'harmonie du

mouvement devaient être amincies, afin de dessiner une

courbe parfaite.

Page 14: HISTOIRE DE L’ARC (suite)

Retordage de la corde en lin. Taille de l'encoche.

L'arc est bandé pour la première

fois

Retrouver les gestes des

constructeurs d'arcs

néolithiques.

Nous tendons une première fois

notre arc avec une corde de lin,

et seul un segment très proche

de la poignée nécessite une

retouche (images 22 à 27). Nous

achevons donc le raclage à cet

emplacement, et nous obtenons

une courbure parfaite. Nous

avons consacré deux heures au

raclage. Avant d'aborder le

polissage, nous nous munissons

d'un petit grés tendre et d'une

poignée de tiges de prêles

(images 28 à 30). Au bout de

deux heures supplémentaires, la

surface de l'arc est entièrement

polie. Nous avons donc travaillé

en tout 10 heures à la confection

de notre arc, avec les difficultés

rencontrées et décrites plus

haut, réparties sur deux jours.

L'abattage et le transport ne sont

pas pris en compte dans ce

calcul. Hann Paulsen, du

Schleswig-Holstein, a réalisé un

arc néolithique semblable en 5

heures et 21 minutes seulement,

grâce à une hache plus

tranchante munie d'une lame de

silex, et de quelques autres

lames non emmanchées.

Polissage à l'aide de grès et de prêle,

essai avec l'arc achevé.

Page 15: HISTOIRE DE L’ARC (suite)

Le site de Stellmoor, près de Harnbourg, a livré la preuve la plus ancienne au monde de

l'existence de l'arc et de la flèche, avec la découverte de flèches en bois de pin. A la fin de la dernière période glaciaire, vers l0'000 av J-C, les chasseurs de rennes qui

parcouraient la toundra d'Europe septentrionale fabriquaient des hampes de flèches

absolument parfaites sur le plan technique. En bois de pin refendu, elles étaient munies d'une partie distale amovible qui assurait un échange simple et rapide.

Les encoches observées à une extrémité des flèches apportent

la preuve qu'elles étaient tirées à l'arc, puisque c'est là que venait

se placer la corde. Les arcs eux-

mêmes n'ont malheureusement pas été mis à jour. Deux

fragments éventuels, en bois de pin et provenant également de

Stellmoor, ont été détruits en

même temps que les hampes de flèche au cours de la Seconde

Guerre mondiale. C'est d'un

sous-sol gorgé d'eau depuis la préhistoire que proviennent ces

trouvailles : un petit lac s'était formé dans une dépression,

alimenté en eau par une langue

glaciaire qui resta en place après le retrait des glaciers. Les

troupeaux de rennes, obligés de suivre ici l'étroite vallée, étaient

une proie facile : on découvrit

les ossements de plus de mille animaux.

fig.13:Pointes de

flèche en os fichée

dans une vertèbre de

loup, découverte à

Stellmoore. D'après

Rust 1943

A de nombreuses reprises, on put observer des fragments de pointes

de flèches en silex encore fichés

dans les os. Des milliers de flèches firent sans doute tirées lors de ces

véritables massacres. L'archéologue

allemand Alfred Rust en mit au jour plus d'une centaine dans les années

trente. Les flèches étaient formées d'une hampe principale, longue de

70 cm environ empennage compris,

et d'une hampe amovible de 15 à 20 cm. La pointe de pierre venait se

fixer sur cette dernière.

Page 16: HISTOIRE DE L’ARC (suite)

Fig. 14: Hampes amovible en bois de pin,

certaine avec pointe de silex encore en

place, preovenant de Stellmoor,

Allemagne.- D'aprés Rust 1943

Certaines hampes

étaient simplement

taillées en pointe, mais elles

servaient bel et

bien aussi à la chasse, comme le

montre l'os d'un jeune loup traversé

par une pointe de

bois encore conservée. Si une

pointe était

endommagée il était facile

d'échanger la hampe amovible

contre une

nouvelle. Mais le chasseur devait

absolument entourer le tout

d'un tendon

animal, travail qui requiert un grand

soin, afin d'éviter

que la flèche ne se fende au prochain

tir.

Fig.11: Flèche en bois de pin entièrement

conservé de stellmoor, Allemagne, datant de la

fin de la dernière glaciation, encore munie de sa

hampe amovible. A côté,le couteau de poche de

l'auteur.-D'aprés Rust 1943