Histoire de la langue française - le français du Québec

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Histoiredelalanguefrançaise:lefrançaisduQuébec

parJiaRongShao

Histoiredelalanguefrançaise

LefrançaisduQuébec

JiaRongShao

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Introduction

PARTIEI:LAFRANCE

GrandSiècle(1594-1715)

SiècledesLumières(1715-1789)

Révolutionfrançaise(1789-1799)

PARTIEII:LEQUÉBEC

Régimefrançais(1608-1760)

régimebritannique(1760-1840)

Canada-Uni et Confédération de 1867

(1840-1960)

Révolutiontranquille(1960-1970)

L'avenirdelalangueauQuébec

Histoiredelalanguefrançaise:

lefrançaisduQuébec

JiaRongShao

Tabledesmatières

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Introduction

L'imagelaplusexactedel'espritfrançaisestlalanguefrançaise

elle-même.

—JeanMarieNapoléonDésiréNisard

Lorsqu'onparledelalangue,lemot«culture»nousvientàl'esprit.Malgré

que ces deux semblent ne rien avoir en commun, elles sont des éléments

importants de l'identité d'un individu. Dans le cas de la sociologie et des

sciences humaines, la culture assure une fonction de différenciation et

permetà l'individudesedéfinircommemembred'ungroupeà l'exclusion

de toutautre.De l'autre côté, l'aspectpatrimonialde la culturenousdicte

que cette dernière fait partie de notre identité, de qui nous sommes. La

langue, elle, est un facteur d'organisation de la pensée et d'intégration

sociale. Ce phénomène révolutionnaire de la communication dépasse

l'expressiondesesbesoins,maiss'étendplutôtverslamanifestationdeses

penséesetdesesdésirs.Voilàjustementcequidifférencielaracehumaine

desanimaux!

Dans lemême ordre d'idées, la division d'une société réflète l'image de la

langue. Plus une communauté est diversifiée, plus le nombre de sous-

culturesetdedifférenceslinguistiquesaugmente;d'autrepart,siladivision

du travail se faisait de manière minimale et les membres de la société

vivaient dans des conditions socio-économiques similaires, la culture et

l'idiomepopulairesseraientextrêmementrépandus.

Le français à l'aube de l'Histoire du Canada était un dialecte étrange ; la

disparité socialedu royaumedeFrance,ainsique ladivisionde la langue,

ontfaitensortequelescolonsfrançaisnes'entendaientqu'àmoitié.Avecle

temps,lalanguefrançaise,qui,autrefois,étaitsimaladroite,s'épanouitetse

normalise.Malheureusement,lafinduRégimefrançaisindiqueledéclindu

statutde la langue.LesCanadiens,victimesd'assimilation,durentsurvivre

plusde200anssousladominationbritannique.Cecinefaitquerenforcerle

sentimentdeprotectiondel'identité.

Aujoud'hui encore, la langue est un enjeu important sur le territoire

québécois ; on l'associe souvent à la culture et à l'identité collective de la

nation.Lerécitsuivantdétailleleseffetsquelesaspectssociopolitiquesdela

vie commune peuvent avoir sur la langue parlée, tout en explorant

l'évolution de la langue française en France et au Québec, du XVIe siècle

jusqu'aujourd'hui.

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PartieI:LaFrance

GrandSiècle(1594-1715)

Jedéfendraijusqu'àlamortlapuretédelalanguefrançaise.

—FrançoisDeMalherbe

LeGrandSiècle, surnomméainsi en raison de la prospérité du royaume

français, est une période de stabilité sociale et économique. C'est aussi à

cetteépoquequenaîtlalanguefrançaisemoderne.

HenriIV(1553-1610)

RoideFrancede1589à1610,lalanguematernelled'HenriIVfutl'anglais.

Parcontre,ilatoujourspossédéunamourpourlalanguefrançaise.

En ce qui concerne la politique du royaume, c'est Henri IV qui entama

l'imposition de l'absolutisme monarchique, un système où le souverain

possèdetoutlepouvoir,soit l'autoritéabsolue.Cerégimepolitiquedevient

caractéristiquedelaFrancejusqu'àlaprisedesTuileries(insurrectiondu10

août1792annonçantlachutedelamonarchie).

Dans la seconde moitié du XVIe siècle, le conflit religieux entre les

catholiques et les protestants a mené à une terrible guerre civile dans le

royaume de France ; les nouvelles idées n'étaient pas tolérées par les

catholiques.Cettegrandedisputeadéchirél'État,etl'incertitudedupouvoir

royalentrelarépressionetlatolérancereligieusen'aqu'aggravélestensions

entre les deux groupes. La guerre de religion ne s'achèva qu'avec la

promulgation de l'Édit de Nantes par Henri IV. Signé en 1598, ce décret

promutlalibertédereligion.

Enfin,c'estgrâceàHenriIVqueleroyaumedeFranceatteintsonapogéeau

XVIIesiècle.Eneffet,lorsdel'AncienRégime,l'héritaged'HenrileGrandet

la stabilité politique qu'il a apportée au royaume ont permis à ses

descendants, les futurs rois de France, et leurs bras droits (Richelieu,

Colbert)d'encadrerlepaysauniveaupolitiqueetlinguistique.

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L'AcadémiefrançaiseetleDictionnaire

LecardinaldeRichelieu,premierministresous lerègnedeLouisXIII(roi

deFranceetdeNavarreentre1610et1643),futunhommed'État français

qui s'estbattupour renforcer lepouvoir royal, et ainsimettre enplaceun

régime absolutiste en France. Avec la permission de son roi, il fonde

l'Académie française en 1634, dont l'objectif était d'épurer la langue

françaiseetdeluidonnerdesrègles.Pourcefaire,l'Académiecomposaun

dictionnairequiserviraitderéférencepourtouteslesquestionsportantsur

lalanguefrançaise,leDictionnairedel'Académiefrançaise.Cependant,les

sujets et le registre de langue traités dans cet ouvrage se retrouvaient

rarementdanslediscoursfamilier; ledictionnairedel'Académieétaitpeu

populaireparrapportàceluidesesconcurrents.Nonobstant,sonfuturrôle

dansl'authentificationdelalanguefrançaisedanssescoloniesaméricaines

esttrèsimportant...

Colbertetlalangue

Sous le règne de LouisXIV, leministre Jean-Baptiste Colbert était connu

poursapolitiquedemercantilismeetsacontributionàl'enrichissementde

l'industrie française.Auniveau linguistique, il imposait la langue française

demanièreassezimpérialisteetdénigraitquasimentleslanguesrégionales

deFrance;eneffet,cespatoisperdirentmomentanémentleurprestigedans

les provinces nordiques proches d'Île-de-France, sans pour autant

disparaître.Malheureusement,Colbertn'eutpaslesrésultatsdésirés,carles

languesrégionalessurvécurentàl'attaque.

Deplus,larévocationdel'ÉditdeNantes(1685)aportéuncoupbrutalau

nombredefrancophonesetdetravailleursenFrance;lafuitedescerveaux

serésumaalorsaudépartde300000commerçants,hommesd'affaireset

intellectuels huguenots. Cependant, le départ de ces gens instruits

permettaitaussiladiffusiondufrançaisdanslespaysoùceux-ciimmigrent,

commedanslecasdelaSuisseromande.Cetteémigrationappauvrissaitle

royaumedeFrance,etenrichissaitlespaysd'accueil.

Lalangueduroyaumede1643à1715

Au début de l'époque de Louis XIV, la langue parlée ne définissait pas

encore la classe sociale du locuteur. En France, moins d'un million

d'habitants sur une population totale de vingt millions comprennent la

langue officielle, dont environ 4000 individus de rang noble qui parlent

couramment

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couramment le français aristocratique. Avec le temps, le français devient

peu à peu une langue littéraire, synonyme de noblesse, de richesse et

d'importance.

Chezlesnobles,lepurismelinguistiquedominelaphrase;lesempruntsaux

languesétrangèressontrares.Enoutre, les tendancesprotectionnistesdes

classesaiséesserventàexpliquerl'appauvrissementrelatifduvocabulaireet

lenombrenégligeablede locuteurs.Enfin, l'élitisme linguistiquemanifesté

par les nobles contribua négativement à la situation linguistique de la

France.

Lalangueparlée—lefrançaisduRoy—n'arrivaitpasàprendrelaplacedu

françaispopulairepourplusieursraisons.D'abord,letauxd'analphabétisme

étaitd'environ99%partoutenEurope,toutcommeenFrance.Lesgensdu

peuple cultivaient la terre et n'avaient pas besoin d'apprendre le français

parléparl'élite.L'enseignementreligieuxnesefaisaitqu'enlatind'Égliseou

enpatois.Lesécolesenseignaientnil'orthographenilagrammaire,etseule

uneminoritédelapopulationyassiste;l'apprentissagedelalangueparlée

sefaisaitsurtoutàl'oral.Lapositiongéographiqueparrapportàlacapitale

française jouait aussi un rôle important dans la situation linguistique, car

moinsilyadenoblesoudebourgeoisdanssonentourage,moinslalangue

seraitinfluencéeparl'autreclassesociale.

SiècledesLumières(1715-1789)

C'estParisquifaitlesFrançais.

—CharlesDeMontesquieu

LedécèsduroiLouisXIVen1715annonçaledébutdusiècledesLumières.

C'étaitledébutdelaprépondéranceanglaiseetdel'anglomanie,ainsique

la fin de la domination française. Lors de cette période, les penseurs

européens remettaient en question la religion et émettaient des idées

nouvelles axées sur la raison. Cette époque de réflexion philosophique

entraîna ainsi la mise en cause de la monarchie et l'affaiblissement de

celle-cienEurope.

Expansionroutièreetexpansiondufrançais

AuXVIIIesiècle,lalanguefrançaisechangeaauniveaudelaprononciation.

Le vocabulaire s'enrichit en empruntant plusieurs éléments de la langue

anglaise ; laFranceaffichauneplusgrandeouvertured'esprit.Parcontre,

les dirigeants du royaume français ne se préoccupaient guère de

l'enseignement de la langue nationale, mais plutôt de ses difficultés

financières croissantes. À cette époque, on pouvait dénombrer vingt-cinq

millions de Français sur le territoire, dont moins de trois millions qui

pouvaient comprendre le français du Roy. Même parmi cette population

francisante, leur français n'était qu'une variante populaire et était

caractériséparlaprésencedeprovincialismesetd'argots.

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anglaise ; laFranceaffichauneplusgrandeouvertured'esprit.Parcontre,

les dirigeants du royaume français ne se préoccupaient guère de

l'enseignement de la langue nationale, mais plutôt de ses difficultés

financières croissantes. À cette époque, on pouvait dénombrer vingt-cinq

millions de Français sur le territoire, dont moins de trois millions qui

pouvaient comprendre le français du Roy. Même parmi cette population

francisante, leur français n'était qu'une variante populaire et était

caractériséparlaprésencedeprovincialismesetd'argots.

Enobservant les chiffres, nouspouvons conclureque, par rapport au4%

francophonedusièclepassédont0.4%étaitnoble,ilyadeplusenplusde

francisants, soit 12 % de la population totale. La popularité croissante du

dialectes'expliqueparl'améliorationduréseauroutier;lescommunications

entre les villages étaient facilitées et les gens côtoyaient des habitants

d'autresprovinces,provoquantainsiunestandardisationdelalangue.

De plus, avec l'avènement du règne de la bourgeoisie, l'idéal social de l'-

« honnête homme » ne s'appliquait plus : le « bon langage » n'était plus

celui de l'élite noble, mais plutôt un français populaire parlé par la

bourgeoisieparisienneetrépanduepartoutdanslenorddelaFrance.

L'école,ennemiedelaconnaissance

Malgré lesprogrèsquiontété faitsauXVIIIesiècle, l'écoledemeurait l'un

des enjeux les plus problématiques en ce qui concerne la diffusion de la

languefrançaise.L'éducationétaitcontroléeparl'Étatet l'Église;cesdeux

groupesessayaientàtoutprixd'empêcherladiffusiondesconnaissances.En

1782,unintendantdeProvencejustifiacettedécisionendéclarant:«Non

seulementlepeuplen'enapasbesoin,maisj'aitoujourstrouvéqu'iln'yen

eut point dans les villages. Un paysan qui sait lire et écrire quitte

l'agriculturesansapprendreunmétieroupourdevenirunpraticien,cequi

estuntrèsgrandmal!»Selonl'Église,lesenseignementsreligieuxdevaient

se faire en latin ou en patois, car ces deux langues étaient familières aux

gensdupeuple.Parconséquent,lefrançaisestlaissédecôté.

L'apogéebritannique

Au milieu du XVIIIe siècle, les changements qui ont eu lieu dans la

séparation des pouvoirs en Angleterre ont éveillé la curiosité des

Européens ; le parlementarisme anglais était si différent du système

monarchiqueetabsolu,etunpouvoir royal limitésemblait impossibleaux

Français. À cette époque, les grands penseurs et hommes d'influences

voyageaient jusqu'enAngleterre,puis ilsadoptaientdesmotsanglaiset les

diffusaientdans leurpaysd'origine.C'est ainsique laFranceacquiertune

soixantaine d'ajouts lexicaux dans ses dictionnaires (5e édition du

Dictionnaire de l'Académie française). L'anglomanie s'est emparée du

continenteuropéen:lalangueanglaiseetlaculturebritanniquesontmises

surunpiédestal,alorsquelaFrancesefaittrèsviteoublier.

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Français. À cette époque, les grands penseurs et hommes d'influences

voyageaient jusqu'enAngleterre,puis ilsadoptaientdesmotsanglaiset les

diffusaient dans leur pays d'origine. C'est ainsi que la France acquit une

soixantaine d'ajouts lexicaux dans ses dictionnaires (5e édition du

Dictionnaire de l'Académie française). L'anglomanie s'est emparée du

continenteuropéen:lalangueanglaiseetlaculturebritanniquesontmises

surunpiédestal,alorsquelaFrancesefaittrèsviteoublier.

Révolutionfrançaise(1789-1799)

LaRévolutionfrançaisefutunerévolutionduverbe.Lesmots

sontdesarmes.

—DenisGuedj

L'ouverturedesÉtatsgénéraux(mai1789)marqueledébutd'unepériode

de trouble dans l'histoire de la France. À la veille de la Révolution, la

répartition inégaledesclassesetdesrichessescausait lemécontentement

de80%de la population. Le peuple payait la grande partie des impôts,

alors que lesnobles et l'Église remplissaient leurspoches.Labourgeoisie

financière, elle, n'était pas du tout satisfaite, car elle se voit refuser à

plusieurs reprises le pouvoir politique. Finalement, la révolte éclate et la

Franceselivreàunconflitsanglantquiperdureencorebienaprèslafinde

laRévolutionfrançaise.

Lenationalismelinguistique

Avant1789,lalanguenesymbolisaitquelestatutsocialdulocuteur.Puis,au

débutdelaRévolution,lemouvementpatriotiquecommençaitàassocierla

langue française avec l'appartenance à la nation française : l'idée d'une

« République unie et indivisible » s'est étendue jusqu'au domaine

linguistique.Cettenouvelleidéologienetouchaitpasencorelesdialectesde

la France, mais au moment où les parlers régionaux sont devenus des

obstaclesàladiffusiondufrançais,lachasseaupatoisfutdéclarée.

«LamonarchieavaitdesraisonsderessembleràlatourdeBabel;dansla

démocratie,laisserlescitoyensignorantsdelalanguenationale,

incapablesdecontrôlerlepouvoir,c'esttrahirlapatrie...Chezunpeuple

libre,lalanguedoitêtreuneetlamêmepourtous.»

—BertrandBarère(1755-1841)

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Àpartirde1793,leslocuteursdetoutelanguequin'estpaslefrançais(soit

des idiomes féodaux) furent pourchassés. Robespierre, président de la

République, signa le décret du 2 thermidor, an II, le 20 juillet 1794. Il

annonça le début de la terreur linguistique. Huit jours après avoir

sanctionnécetacte,MaximilienRobespierrefutexécutésansprocès.

L'école,adjuvantdelafrancisation

Durant le siècle des Lumières, l'éducation du peuple demeurait au bas de

l'échelle des priorités de l'État. Par contre, lors de la Révolution, la

bourgeoisieparisiennepritledessussurlesnobles,imposantainsisavariété

de françaissur lepeuple.Pourdiffuser leur langue (soitundialectequise

rapproche du français du Roy), la nouvelle élite mit l'accent sur

l'enseignementdufrançaisetmitl'instructionpubliqueàl'ordredujour.À

l'Assemblée nationale de 1791, l'homme politique Talleyrand (1754-1838)

proposaunepolitiqued'unificationlinguistique:

«Unesingularitéfrappantedel'étatdontnousnoussommesaffranchis,

estsansdoutequelalanguenationale,quichaquejourétendaitses

conquêtesau-delàdeslimitesdelaFrance,soitrestéeaumilieudenous

commeinaccessibleàunsigrandnombredeseshabitants[...].LesÉcoles

primairesvontmettrefinàcetteétrangeinégalité:lalanguedela

Constitutionetdesloisyseraenseignéeàtous;etcettefoulededialectes

corrompus,derniersrestesdelaféodalité,seracontraintededisparaître:

laforcedeschoseslecommande.»

Dorénavant, le français perdit sa politesse aristocratique et évolua en

parallèle avec la bourgeoisie de l'époque pour devenir la langue que l'on

connaîtaujourd'huienFrance.

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PartieII:LeQuébec

Régimefrançais(1608-1760)

Aveclamer,lelac,laforêt,larivière

Etlaneigedesinfinis

Lesracinesquifontéclaterjusqu'auxpierres

Etdusilencefontunbruit

Nousseronsgardiensdelaterre

Chacundenousseracepeupleetcepays.

—GillesVigneault

NomméparFrançois1erdeFrance(1494-1547)àlatêtedel'expéditionde

1534, JacquesCartier pris possessiondu territoire nordique sur les côtes

septentrionales du continent américain au nom de son roi. Durant les

décenniessuivantes, lesexpéditionsontpermisauxFrançaisdedécouvrir

des richesses inestimables sur le territoire du Canada. Malencon-

treusement, lesprojetsdecolonisation furentdeséchecs,car laFrancese

préoccupait plutôt des guerres de religion et du désarroi que ceux-ci

causaient.

Lesmodestesdébutsdelacolonisationfrançaise

À l'époque, les termes Canada et Nouvelle-France possédaient deux

définitionsdifférentes:laNouvelle-FranceenglobaitlavalléeduSt-Laurent

(leCanada),ainsiquelacoloniedel'Acadie,dePlaisance(TerreNeuve),de

la Baie d'Hudson, des Pays-d'en-Haut, du Pays des Illinois et de la

Louisianne.

L'histoire de l'arrivée des premiers explorateurs en Amérique précède

l'histoiredu françaisauCanada.Cettedernièren'acommencéqu'en1608,

aprèslafondationdelavilledeQuébecparlenavigateurfrançaisSamuelde

Champlain (1574-1635). C'est aussi à cette époque que débuta la véritable

colonisationdu territoirenouvellementacquis.Enfin,ondoitàSamuelde

Champlain un grand nombre des toponymes français présents dans le

vocabulairedespremierscolons.Sinon, lesautresélémentsduvocabulaire

de l'époque tirent leurs origines des différents registres linguistiques des

immigrants.

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Laprovenancedescolons

Selon une recherche menée par le PRDH (Programme de Recherche en

DémographieHistorique)en1991, laplupartdescolonsétaientoriginaires

des provinces de la Normandie (19,6%) et de l'Île-de-France (17.8%). Au

XVIIesiècle,lamajoritédelapopulationfrançaise(plusde80%)habitaitles

régions rurales ; ce pourcentage correspond à la proportion qui ne

connaissait aucunmot du français duRoy, et vient prouver que les petits

villagessituésloindesgrandscentresd'échangelinguistiqueneconnaissent

que leur propre dialecte. Une grande partie des émigrants furent des

citadins de régions côtières. Ceci pourrait être expliqué par le fait que les

grandes agglomérations se situaient près des ports de mer. Les langues

parléesparchaquegrouped'émigrantsdifféraienténormémentlesunesdes

autres,comptetenudelasituationdefragmentationlinguistiqueenFrance.

Ainsi,ondéduitque,lorsquecesgroupessontarrivésauCanada,ilyaeuun

chocdeslangues(chocdespatois).

Encequi concerne lespremiershabitantsducontinentaméricain, soit les

Premières Nations, les Français ont souvent essayé d'assimiler les

Amérindiens, c'est-à-dire de les convertir au catholicisme et changer leur

modedeviepourquecelle-ciressembleàlacultureeuropéenne.Samuelde

Champlin, ainsi que les Jésuites, encouragaient le mariage mixte entre

colons européens et filles indigènes, car leur objectif était de produiredes

enfants français. Enfin, l'intégration des Amérindiens à leur colonie était

unestratégiedepeuplement.

Sinon,lesdeux-centscolonsétrangers(c'est-à-direnon-français)quisesont

installés sur le territoire ont reçu la permission du roi Louis XIV pour

immigrer en Nouvelle-France car, selon Sa Majesté, ils étaient des

catholiquesfidèles.Ceux-cisesontrapidementfrancisésetsesontintégrésà

lacolonie.

Lechocdespatois

Lechocdespatoisestlenomdonnéeauphénomènedefusiondesdialectes

régionnaux et d'unification de la langue française après l'arrivée des

premiers colons français au Canada. Les linguistes et les sociologues ont

longtemps débattu ce sujet ; Henri Wittmann et Philippe Barbaud (tous

deux des linguistes québécois) ont relevé les théories les plus populaires.

Selon l'étude de classification des dialectes de Wittmann, la genèse du

françaiss'expliqueparlefaitquelesémigrantsparlaienttousdesdialectes

du même groupe linguistique (langue véhiculaire de la région urbaine de

Paris).

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du même groupe linguistique (langue véhiculaire de la région urbaine de

Paris). Philippe Barbaud, lui, pense que le facteur d'influence le plus

importantestlavenuedes900fillesduRoyentre1665et1673,sousl'ordre

de l'intendant Jean Talon ; la majorité d'entre elles parlaient un français

similaireàceluiduroi(françaispopulaire),etl'ontenseignéàlaprochaine

générationdeCanadiens.Cesorphelinesontétérecrutéesdanslesrégionsà

l'ouestetaunorddupays.Enfait,prèsdelamoitiéd'entreellesvennaient

de larégionparisienne.Sinon, lesautressontoriginairesde laNormandie

(16,4%)etdelaLoire(5,5%).Ilyavaitaussiunefilledel'Allemagne,deuxde

Belgique,unedeSuisseetuneBréziliennearrivéeduPortugal.

Finalement,aprèsavoircomparécesfaitsaveclesdonnéesdémographiques

del'émigrationfrançaiseversleCanada,onpeutconclurequ'unegrande

majoritédescolonsparlaientunfrançaissimilaireàceluidel'élitefrançaise.

Plusieurstémoignagesdevoyageursviennentprouvercetteconstatation,

dontlesuivant:

«J'avaispeineàcomprendrecequemedisoitunjourungrandhomme

d'espritsurlepointdemondépartpourleCanada,oùilavaitfaitséjouret

rétablilesMissionsdesRecollets(c'estleReverendissimePereGermain

Allart,depuisEvesquedeVemces)quejeseroissurprisd'ytrouverd'aussi

honnestesgens,quej'entrouverois;[...]ilnousassuroitquenousy

trouverionsmèmeunlangagepluspoli,uneénonciationnette&pure,une

prononciationsansaccent.»

—Costes,Charles,1935,p.31

Au fil du temps, grâce aux échanges et au partage d'information entre les

colons,onassisteàunehomogénéisationdelalangueparléeauCanada.

Ladiffusiondifficiledelalangue

Pendant de nombreuses générations, l'instruction était limitée et l'impri-

merie,interditejusqu'àlafinduRégimefrançais;latransmissionoraledu

vocabulaireétaittoutsauffacile.Onassistealorsàl'appauvrissementrelatif

du vocabulaire québécois, malgré les nouveaux apports amérindiens à la

langue.

Lepatriotismecanadien

Lorsqu'onparledelangue,onparleaussid'identité.Eneffet,verslafindu

Régime français au Canada, les colons ont laissé de côté leurs origines

françaises et s'identifiaient plus avec le personnage canadien (coureur des

bois, sentiment de liberté, lien avec la nature, échanges avec les peuples

amérendiens,etc.);onaperçoituneplusgrandedistanceculturelleentrela

colonieetsonpaysd'origine.

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françaises et s'identifiaient plus avec le personnage canadien (coureur des

bois, sentiment de liberté, lien avec la nature, échanges avec les peuples

amérendiens,etc.);onaperçoituneplusgrandedistanceculturelleentrela

colonieetsonpaysd'origine.

Régimebritannique(1760-1840)

C'estdel'identitéqu'estnéeladifférence.

—HeinzPagels

AuXVIIIesiècle, laGrande-Bretagnefituneffortcolossalpouraméliorer

leursflottesmilitaire.Ainsi,ellemaîtrisalanavigationenmeretdevintle

leadereuropéenducombatnaval.

LaGrande-Bretagnevoulaitàtoutprixprendrepossessiondesterritoires

de l'Amérique du Nord pour exploiter les richesses qui s'y retrouvent :

cependant, le territoire canadienaunorddesTreizesColonies empêchait

l'expansionterritoriale.En1754,lestensionsentreleCanadaetlesTreizes

Colonies ont atteint le point culminant : la Guerre de la Conquête

(1754-1760) fut déclarée. Les Britanniques connaissaient exactement le

potentiel économique des territoires et colonies enAmériques ; les Fran-

çais, en revanche, ont sous-estimé le pouvoir géographique que leur

accorderait la colonie canadienne. Ces derniers ne se fixaient que sur la

guerre en Europe (Guerre de Sept Ans, 1756-1763) et négligeaient les

besoinsmilitairesdesCanadiens.

DéfaitefrançaiseenAmérique

Lors de la Guerre de la Conquête, le Canada vit périr un dixième de sa

population, soit 7 000 personnes. Dans les années qui suivent, 3 000

cadavressesontajoutésàlalistededécédésenraisondelafamineetdela

maladie;environ10000francophonesontperdulavielorsdecettepériode

de6ans!

AprèslavictoiredelaGrande-BretagneauCanada,unpouvoirtemporaire,

soitleRégimemilitairebritannique(1760-1763),s'installadanslavalléedu

Saint-Laurent.PuisquelesAnglaisneformaientque0.3%delapopulation,

il serait peu avantageux de pratiquer une politique colonisatrice trop

radicale.Celadit,lespolitiquesd'assimilationquiontvulejouraudébutdu

Régimebritanniquenerencontrèrentquepeudesuccès;lesCanadiensont

conservéleursdroitscivilsetreligieux,ainsiquelapermissiondeparlerla

languefrançaise.

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conservéleursdroitscivilsetreligieux,ainsiquelapermissiondeparlerla

languefrançaise.

LeTraitédeParis(10février1763)

L'empire britannique prend officiellement possession des colonies fran-

çaises en Amérique, sans compter la Louisianne qui, elle, est devenue

espagnole.MalgréqueLouisXVauraitpûinsérerdesconditionsàl'égardde

la langue française dans le traité, la France n'a fait aucun geste pour

protégersacolonie,hormiscequiconcernelareligion.

LaProclamationroyale(1763-1774)

Le début du Régime britannique et les politiques assimilatrices de la

Proclamation royale annoncèrent la détérioration du statut de la langue

françaiseauCanada.Par contre, lesCanadiensonteudroità l'imprimerie

(apparition de journaux français, consultation de documents à une

bibliothèque publique), un privilège qui ne leur est pas accordé lors du

Régimefrançais. Ironiquement, l'accèsaux livresetauxécrits,ainsique la

tolérance religieuse envers le clergé catholique, permettront à la langue

françaisedesurvivre.

SuiteàlaProclamationroyale,lesfrontièresdelaprovinceduQuébecsont

limitéesàlavalléeduSaint-Laurent.Deplus,àpartirdelafindelaguerre

de la Conquête, l'immigration française fut interdite et fit place à une

immigrationanglaise.Malgrélatolérancereligieuseenvers lescatholiques,

toutemployédel'Étatdoitrenierlafoicatholiqueenprêtantlesermentdu

test (Test Oath) ; les Canadiens, fidèles à l'Église (la religion était très

importanteàcetteépoque),sontautomatiquementexclusdelaviepolitique,

administrativeetjuridique.

Étant donnée que ce sont les Britanniques qui détenaient le pouvoir, ils

géraientlesbudgets,incluantceuxaccordésàl'éducation.Lapremièreécole

anglo-protestance fut créée en 1766.Avec le temps, une trentaine d'écoles

primairesontouvertleursportesdanslesgrandscentresurbains.Lesécoles

francophones ne purent se développer au même rythme : il n'y avait pas

d'enseignants et les manuels scolaires étaient pratiquement nonexistants.

Eneffet,leslivresprovenantdeFrancesontinterditsdepuis1763.

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L'ActedeQuébec(1774),unactedecompromis

Rédigé par le gouverneur Guy Carleton, ce document fut accepté par

Londres dans le but de conserver la loyauté de ses sujets francophones et

catholiques.Pouratteindreleurobjectif,l'ActedeQuébecabolit leserment

dutestetrétablitlesloiscivilesfrançaises.Cecidit,lalanguefrançaisereçut

unstatutpseudo-officiel.

LaGuerred'indépendancedesÉtats-Unis(1775-1783)

Lors du conflit, la menace d'invasion américaine au Canada devint une

réalité troublante.En juin 1776, laGrande-Bretagne envoyaune arméede

défencecomposéede10000hommes,dont4800mercenairesallemands.

Parmi cette cohorte, 1 400 se sont établis dans la province de Québec et

s'assimilèrentenépousantdesfrancophones.

Canada-UnietConfédérationde1867(1840-1960)

Lalanguefrançaisen'estpointfixéeetnesefixerapoint.

—VictorHugo

Suite à la Rébellion des Patriotes en 1837 et en 1838, le 1er comte de

Durham (lord Durham) rédigea un rapport qui recommande l'union des

deux Canadas (Haut-Canada et Bas-Canada). Le gouvernement britan-

niqueagitenconséquence,aprèsavoirécoutélesremarquesdel'enquêteur

Durham. Cette décision, quoique favorable à l'égard des anglophones,

éveilla la colère des Canadiens français, car ceux-ci feront partie du

groupe minoritaire sous l'Acte d'Union. De plus, six autres provinces

majoritairement anglophones s'ajoutèrent au Canada-Uni avec la

promulgationdel'Actedel’AmériqueduNordbritanniqueen1867.Exclus

desaffairessocioéconomiques, lesCanadiensfrançaissontforcésàrester

dans le domaine de l'agriculture.Malgré qu'ils n'ont aucun contrôle sur

leur situation, ils essaient à tout prix de protéger leur langue et leur

religion.

L'Acted'Union(1840-1867)

La veille de la promulgation de cet acte, le Canada-Est (majoritairement

francophone) avait une population de 650 000 habitants, alors que le

Canada-Ouest (majoritairement anglophone) avait une population de 400

000. 76 % de la population du Bas-Canada était francophone, mais au

lendemainl'uniondesdeuxCanadas,cegroupeestpasséàuneproportion

de 58 % . Ce pourcentage ne fait que diminuer en raison de l'émigration

française (p. ex. l'exode vers les États-Unis) et de l'immigration anglaise.

Malgré cela, le coup dur de l'Acte d'Union ne fut pas les changements

apportés à la démographie, mais plutôt la légifération de l'article 41 ; la

langueanglaisedevintlaseulelangueofficielleduCanada.

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Canada-Ouest (majoritairement anglophone) avait une population de 400

000. 76 % de la population du Bas-Canada était francophone, mais au

lendemainl'uniondesdeuxCanadas,cegroupeestpasséàuneproportion

de 58 % . Ce pourcentage ne fait que diminuer en raison de l'émigration

française (p. ex. l'exode vers les États-Unis) et de l'immigration anglaise.

Malgré cela, le coup dur de l'Acte d'Union ne fut pas les changements

apportés à la démographie, mais plutôt la légifération de l'article 41 ; la

langueanglaisedevintlaseulelangueofficielleduCanada.

Les intentions assimilatrices de la Grande-Bretagne furent évidentes.

Cependant, ilétaitpratiquement impossibled'interdire l'usagedufrançais,

carlaplupartdescitoyensduBas-Canadaneconnaissaientquecettelangue.

Le14août1848,legouvernementbritanniqueabrogeal'article41;cefutle

retourofficieldubilinguisme.

L'instructionpublique

Lalanguefrançaise,ranimée,souhaitaitfaireconnaîtresaprésencedansla

Chambred'Assemblée.Cependant,elleétaitconsidéréecommeune langue

de traduction et non comme une langue officielle, car la vie politique se

déroulaitenanglais.Alors,pourseréintroduiredans lasociété,elledevait

d'abord se préoccuper de l'instruction des jeunes. C'est ainsi que, en

septembre 1841, la Loi établissant des écoles publiques pour toute la

provincefutétablie.Parallèlement,àcetteépoque,l'Églisecatholiqueavait

pourbutdes'emparerdel'instructionpublique.Malgréqu'elleaitperduson

statutjuridiqueen1791,elleafaitpreuvedeloyautéenverslesBritanniques

lors de la Rébellion de 1837-1838. Ainsi, elle regagna son statut légal en

1840 et obtint le droit à l'instruction en 1841. En 1860, le taux

d'alphabétisation en ville aurait augmenté d'au moins 20 % depuis 1850

selonuneétudestatistiquemenéeparMichelVerrette(L’alphabétisationau

Québec;1660-1900).

LaCapricieuse

En1855,unnaviredeFranceremontait leSaint-Laurentpour lapremière

fois depuis la fin du Régime français ; les tensions entre la France et la

Grande-Bretagne appartenaient au passé. Cette flotte, surnommée La

Capricieuse,symbolisait ledébutdesrelationsfranco-québécoisespour les

Canadiens français ; toutefois, la politique étrangère de Napoléon III

priorisaitplutôtlesrapportsaveclaGrande-Bretagne.Néanmoins,lavisite

de La Capricieuse a permis la création d'un consulat à Québec et à

Montréal.Danslesannéesquisuivirent,ileutdeplusenplusd'échangeset

decommunicationsentreleBas-CanadaetlaFrance.

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Montréal.Danslesannéesquisuivirent,ileutdeplusenplusd'échangeset

decommunicationsentreleBas-CanadaetlaFrance.

L'Actedel'AmériqueduNordbritannique(1867—aujourd'hui)

Les premières négociations du projet d'union fédéral (Conférence de

Charlottetown) s'amorcèrent en 1864. Parmi les résolutions adoptées à la

deuxième conférence (Conférence de Québec), une seule concernait la

langue, soit la46eRésolutionquiofficialise l'utilisationdubilinguismeau

fédéral.Ons'éloignealorsdelamentalitépessimisteduXIXesièclequicite

lebilinguismecommeétantunélémentnuisibleàlasurviedufrançais.

Troisansplus tard, l'article 133de laConstitutioncanadiennede 1867 fut

adopté ; il oblige l'utilisation des deux langues lors de la rédaction des

registres,desprocès-verbauxetdesloisdansleschambresduparlementdu

Dominion of Canada et les chambres de la législature de Québec.

Malheureusement, cette égalité des langue n'existait qu'en théorie ; le

français demeura la langue de traduction et, en l'absence de traduction

instantanée,lesdéputésfrancophonesdurentcommuniquerenanglaispour

êtrecompris.

Juridiquement, le combat pour la préservation du français a été

extrêmement difficile. En 1910, l'Assemblée législative du Québec adopte

une loi sur le bilinguisme obligatoire dans les services publics ; bref,

quiconquepourraitdemanderàuneentreprisedecommuniquerenfrançais.

Lebilinguismeobligatoiredanslesservicespublicsn'estqu'unpremierpas

verslaprotectiondelalanguefrançaiseauQuébec;onpourraitmêmedire

que ce projet de loi est le prédécesseur de la Loi concernant le statut et

l’usagedeslanguesofficiellesduCanada(1969).

Unchangementdémographique

Vers 1871, les anglophones étaient toujours les plus nombreux dans les

provinces du Canada. Pourtant, dans les Cantons-de-l'Est, la majorité

anglophone commença à basculer : les francophones, aidés par leur haut

tauxdenatalité,surpassaientlesanglophonesennombreverslafinduXIXe

siècle. De plus, en raison des différences de religion, les conflits entre

protestantsetcatholiquesincitèrent lesanglophonesàquitter lesCantons-

de-l'Estpour s'installer àMontréaloudans l'Ouest canadien,où la langue

anglaiseestplusprésente.

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L'essordel'Église

Jusqu'en1940,l'imageduCanadienfrançaisserésumaitenquatrepoints:il

est francophone, catholique, pauvre et minoritaire. Le gouvernement du

Québec détenait le pouvoir, mais n'avait aucune influence réelle sur le

peuple ; c'est à cette époque que la domination de l'Église catholique

s'amplifia.

Eneffet, l'Églisecontrôlait l'éducationdupeuple.Celle-ciavait«unprojet

de société centré sur un Canada biculturel, unQuébec transformé en une

chrétienté hiérarchisée suivant l'ordre naturel des choses, où un peuple

composé d'une majorité d'agriculteurs s'épanouirait dans la ligne de son

destin catholique et français [...] » (Jean Hamelin, Jean Provencher). De

plus,leclergéassociaitlasurvivancelinguistiqueàlasurvivancereligieuse:

Mgr Paul-Émile Gosselin affirma que « la langue française est chez nous

gardiennedelafoi».Celadit,laprotectiondufrançaissefaisaitdemanière

traditionaliste.Ons'inspiraitdufrançaisduRoyduXVIIesiècleetonrestait

loindesécritsdelaRévolutionde1789.

Ledéclindel'Église

Cependant,verslafindesannées30,lemodedevieruralnecorrespondait

plus à la réalité des Canadiens français. En 1939, la Seconde Guerre

mondialefutdéclarée.Ceconflitàgrandeéchelleapermisl'accélérationde

l'industrialisation, une rentabilité renouvellée des terres agricoles, et la

prospérité des chantiers forestiers au Québec. L'exode rural vida les

campagnes et les agriculteurs devinrent des employés dans des usines

appartenantauxanglophones.

MalgréleretardindustrielduQuébecaudébutduXXesiècle,laprovincea

commencéàserattraperdès1940.

Révolutiontranquille(1960-1970)

C'estletempsqueçachange.

—JeanLesage

Suite à la mort du premier ministre québécois Maurice Duplessis

(1890-1959),leprocessusdemodernisationaccéléréeentamaauQuébec;

l'Égliseperdit rapidement sonpouvoir et leQuébec futboulversépardes

changements colossaux. C'est la fin des politiques conservatrices de la

GrandeNoirceuretledébutdelaRévolutiontranquille.

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l'Égliseperdit rapidement sonpouvoir et leQuébec futboulversépardes

changements colossaux. C'est la fin des politiques conservatrices de la

GrandeNoirceuretledébutdelaRévolutiontranquille.

JeanLesage(1912-1980)

En1965,lePartilibéralduQuébecgagnalesélectionsprovinciales.L'Étata

alors employé un corps de spécialistes pour gérer le rattrapage social et

économique.Onpriorisait l'éducation qui, à l'époque, devenait de plus en

pluslaïque.Ainsi,lorsdelaRévolutiontranquille,onassistaàlacréationdu

ministèrede l'Éducationetdescégeps ; le tauxdescolarisationdes jeunes

montaenflèche.

L'identitéquébécoise

La domination socio-économique de l'anglais a longtemps menacé la

présencedufrançaisauQuébec.Eneffet,lalanguedesQuébécois,ainsique

leur identité,ontsouventétéattaquéespardesautoritésassimilatrices.En

outre, à l'ère de la Révolution tranquille, même les Québécois étaient

critiquesdulangagequ'ilsutilisaient:

«Troisgrandspérilsmenacentl'intégritédufrançaisauCanada:la

moellessedelaprononciation,l'indigenceduvocabulaireetl'anglicisme

soustoutessesformes»

—Jean-MarieLaurence,grammairienquébécois

Le français québécois était jugé « mauvais » , caractérisé par une forte

articulation des voyelles semblable à l'habitude de l'élite de la France

prérévolution,tandisquel'accentenFranceétaitplutôtcaractériséparune

prononciationfortedesconsonnes.

Par contre, au lieu d'abandonner la langue stigmatisée ou de retourner à

leurs sources (prendre comme exemple la France), les francophones du

Canadaontdécidéderestaurerleurculturedel'intérieurpoursedébarasser

du stigmate. Cette démarche repose sur le sentiment de fierté du peuple

québécois : on assiste à la création de l'Office québécois de la langue

française (OQLF) en 1961, la première institution née de la Révolution

tranquille;lesartistes,lesintellectuelsetlesécrivainsrejetaientlaréférence

culturelle parisienne ; on défendait les canadianismes et les archaïsmes.

C'estaussiàcetteépoquequ'apparutlejoual.Selonledictionnairefrançais

Larousse en ligne, le joual est un « parler populaire à base de français

fortement contaminé par l'anglais, utilisé au Québec » . Malgré sa

connotation péjorative (lemot contaminé exprime un grand sentiment de

dédain), la définition est juste ; le joual est souvent associé à la classe

ouvrièreetau«mauvais»français.Enfin,c'estdansladécennie1960que

lesfrancophonesduQuébecontdécidédesedébarasserdecepréjugéetont

commencéàs'assumerenutilisantlejoualdanslalittératureetlecinéma.

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fortement contaminé par l'anglais, utilisé au Québec » . Malgré sa con-

notation péjorative (le mot contaminé exprime un grand sentiment de

dédain), la définition est juste ; le joual est souvent associé à la classe

ouvrièreetau«mauvais»français.Enfin,c'estdansladécennie1960que

lesfrancophonesduQuébecontdécidédesedébarasserdecepréjugéetont

commencéàs'assumerenutilisantlejoualdanslalittératureetlecinéma.

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L'avenirdelalangueauQuébec

L'avenirdelalittératurequébécoiseetdesonhistoired'amouravecla

langueestliéaudestindupeupleetdelaculturequilesportent.

—GastonMiron

Dès ledébutdeRégimefrançais, laconservationde la languefutardueen

raisondudésintérêt de laFrance envers sa colonie. Les rapports difficiles

des Canadiens français avec leur langue ne se sont qu'intensifiés depuis

1760, et encore plus en 1867. Ceux-ci illustrent parfaitement le rôle de la

culture et des conditions sociopolitiques dans les mutations de l'identité

collective.

Au début du Régime britannique en 1763, les Canadiens, caractérisés par

leurusagedelalanguefrançaiseetleurfidélitéenverslareligioncatholique,

étaient la personnification même de la différence par rapport aux

Britanniques,quiparlaientanglaisetétaientprotestants.Cependant,étant

donnéqu'ilsétaientplusnombreuxque lesanglophones jusqu'en1852, les

intentions assimilatrices des Britanniques n'étaient pas trop agressives.

Malgré tout, le début du Régime britannique a engendré une peur de

l'assimilation ; pour contrer l'envahissement du français par la langue

anglaise, lesCanadiensmettaientdeplus enplusd'emphase sur la pureté

linguistique de leur idiome. Cependant, l'omniprésence de l'anglais en

Amérique,ainsiquelanouvelletendanceanglomanequifaitrageàtravers

le monde, ont rendu la protection de la langue française beaucoup plus

difficile pour les francophones. En effet, l'insécurité linguistique est un

phénomène qu'on retrouve non seulement au Québec, mais aussi dans

d'autressociétésplurilinguistestellesl'AlgérieetlaBelgique.

Avec le temps, la détérioration de l'image que les Canadiens français ont

d'eux-mêmes et de leur culturemène à un profond sentiment d'insécurité

linguistique. L'idée du « bon » français, soutenu par les puristes qui

dénigrent la langue parlée par les francophones québécois, est souvent

associéeàl'intelligence;cen'estpourtantpaslapremièrefoisqueleregistre

de langueestutilisé commepréjugé...Lesdébatscentrés sur l'authenticité

de la langue étaient omniprésents. Il ne faut surtout pas sous-estimer

l'importance du rôle que joue le dictionnaire dans la vérification de la

légitimité linguistique d'un mot ou d'une expression, car il est considéré

commeuneréférenceinfaillible:

«[...]unmotquin'yfigurepas'n'existepas'ou'n'estpasfrançais'.»

—ChantalBouchard,Lalangueetlenombril,p.280

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Le Québec est une province qui a connu énormément de boulversements

aux niveaux social, politique et linguistique ; ces cicatrices sont surtout

perceptibles à l'oral, où l'insécurité linguistique envahit et les fautes de

syntaxelesplusbanauxsefontentendre.

Pour réaffirmer son identité et permettre la survie de la communauté, les

francophones québécois combattent lesmenaces exercées contre l'élément

identitaire lors de la Révolution tranquille. On assiste entre autres à

l'apparitiondujoualetdunationalismequébécois.Ironiquement,c'estaussi

à cette époque que l'autorité du clergé commence à être contesté ; le

gouvernementquébécoisdevientdeplusenpluslaïc.Lorsdecettepériode,

la taux de natalité diminue suite à la naissance de la première pilule

contraceptive.Puis,danslesdécenniesquisuivent,l'immigrationsefaitde

plusenplusintense;lenombred'anglophonesetd'allophonescroît,tandis

quelenombredefrancophonesrestestagnant.

Auniveaujuridique,plusieursloisontétémisesenplacepourpermettrela

protectionetladiffusiondufrançais.Le31juillet1974,RobertBourassafait

adopter la loi 22, le premier code qui porte sur la langue officielle du

Québec. Trois ans plus tard, la fameuse Charte de la langue française est

adoptée sous le gouvernement péquiste de René Lévesque ; le français

devient la seule langue officielle duQuébec. Aujourd'hui encore, les chefs

politiques de la province de Québec souhaitent protéger et diffuser le

français;legouvernementMaroisatentédefaireadopterleprojetdeloi14,

et les libéraux du gouvernement Couillard favorisent la francisation des

entreprises.

Enfin,après400dechangementperpétuel,lalanguefrançaisesefaitencore

entendre sur le territoire du Québec. Lors du Régime français, la langue

conservait le caractère traditionnel du français du Roy. Puis, suite à la

défaite de la France en Amérique, la Grande-Bretagne prend le dessus et

dirige la colonie francophone, changeant à tout jamais la langue des

premiers colons. Les tentatives d'assimilation ont persisté,mais la langue

françaiseaperduré.

Denosjours,certainespersonnesprétendentquelalanguefrançaisen'apas

saplacedansunpaysoùl'anglaisdomine.Parcontre,lesQuébécoisontun

certainmotàdirelà-dedans.Nonseulementilshabitentlaprovince,ilssont

aussi les descendants des premiers colons européens qui se sont installés

dans la vallée du Saint-Laurent ; leur culture leur appartient, ils sont les

fiershéritantsdelalanguefrançaise.

DéfendrelefrançaisauQuébec,ne

serait-cepaséquivalentàlaprotection

desonidentité?

Histoiredelalanguefrançaise:lefrançaisduQuébec

parJiaRongShao

Histoiredelalanguefrançaise

LefrançaisduQuébec

JiaRongShao