Highlights No.2 20165! En% effet,% il% est impossible% de% parler% d’une% seule% figure% de%...
Transcript of Highlights No.2 20165! En% effet,% il% est impossible% de% parler% d’une% seule% figure% de%...
Geneva Hub for Democracy
Highlights
No.2 / 2016
Dans les négociations controversées entre l’UE et la
Turquie, une figure donne l’impression de faire l’unanimité, celle
du passeur contre lequel plusieurs mesures parfois spectaculaires,
telles que l’intervention de l’OTAN, sont prévues. Celles-‐ci nous
obligent à reposer certaines questions : qui sont ces passeurs ?
Comment opèrent-‐ils ? Malgré tous les efforts, pourquoi parle-‐t-‐on
toujours d’un business florissant ou en plein essor ? Sans prétendre
répondre à ces questions de manière détaillée, ce texte vise à
rappeler quelques faits importants en ce qui concerne les passeurs
dans le cas de la Turquie.
Résumé
European Cultural Centre 40, Rue Le-‐Corbusier CH -‐ 1208 Geneva Phone: +41 (0)22 710 66 00 Fax: +41 (0)22 788 04 49 Email: [email protected] Website: www.ceculture.org
La Turquie et ses passeurs
Ibrahim Soysüren
2
La Turquie et ses passeurs
Ibrahim Soysüren
1
Introduction
2015 fut l’année record en ce qui concerne les mouvements migratoires vers l’Europe. Epargnée jusqu’à récemment par la vague migratoire la plus importante depuis la Seconde Guerre mondiale, l’Europe a vu l’arrivée, durant cette année, de 1 321 560 demandeurs d’asile, selon EUROSTAT. La plupart d’entre eux ont été reçus par l’Allemagne.
Pourtant, peu après l’ouverture des frontières par ce pays en été 2015, Angela Merkel a commencé à négocier avec la Turquie, qui abrite actuellement le plus grand nombre de réfugiés au monde, dont 2 747 647 sont syriens selon la Direction générale des migrations de ce pays1. Les efforts visant à empêcher leur arrivée massive ont imposé l’agenda de la politique migratoire européenne dans une Europe divisée sur ce point. La migration est en outre devenue le sujet de préoccupation de nombreux gouvernements nationaux se sentant menacés par la montée de l’extrême droite et des parties populistes, qui
2
transforment habillement ce phénomène complexe en « fonds de commerce » grâce à leur discours simpliste.
Ces remarques préliminaires nous permettent de comprendre l’importance du rôle de la Turquie qui détiendrait, selon certains observateurs, les clés de la question des réfugiés. L’Union européenne (UE) se retrouve ainsi à négocier avec R. T. Erdogan et son régime qui se retrouve en position de force, même si celui-‐ci est de plus en plus autoritaire et fait fi des normes démocratiques et de la liberté d’expression.
Dans ces négociations controversées, une figure donne l’impression de faire l’unanimité, celle du passeur, contre laquelle tous les protagonistes semblent être d’accord de lutter. Le discours des instances et des dirigeants européens comme celui de leurs homologues turcs laisse entendre que les passeurs sont à l’origine de tous les maux : une fois donc ce problème des passeurs résolu, il serait alors possible de stopper l’afflux de migrants vers l’Europe.
Ibrahim Soysüren est sociologue
et avocat.
Il va prochainement soutenir sa
thèse de doctorat à l’Institut de
sociologie de l’Université de
Neuchâtel. Celle-‐ci est provi-‐
soirement intitulée:
“L’expulsion des étrangers
délinquants et des sans-‐papiers.
Pour une sociologie de l’expulsion
des étrangers indésirables”.
3
“Le discours des instances et des dirigeants européens et celui de leurs homologues turcs laissent entendre que les passeurs sont à l’origine
de tous les maux : une fois le problème des passeurs résolu, il serait alors possible de stopper l’afflux de migrants vers
l’Europe”.
Les appels incessants de lutte contre les passeurs accompagnent des mesures spectaculaires. L’une d’entre elles est, à la demande de l’Allemagne et de la Turquie, l’intervention de l’OTAN dans la Mer Egée, où FRONTEX (Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures) est déjà actif. L’autre mesure, proposée lors du sommet UE-‐Turquie le 7 mars 2016, est la reprise par les autorités turques de tous les migrants arrivés sur les côtes grecques2. En d’autres termes, plusieurs centaines de milliers de refoulements vers la Turquie devraient avoir lieu ; en contrepartie, les pays européens reprendraient jusqu’à 72 000 réfugiés syriens. L’ambition paraît démesurée si l’on se souvient du fait que le nombre de réfugiés installés dans le cadre du programme européen y relatif n’est estimé qu’à quelques centaines.
Ces mesures spectaculaires, et d’autres encore, nous obligent à reposer certaines questions : qui sont ces passeurs ? Comment opèrent-‐ils ? Malgré tous les efforts, pourquoi parle-‐t-‐on toujours d’un business florissant ou en plein essor ? Sans prétendre répondre à ces questions de manière détaillée, le présent texte vise à rappeler quelques faits importants en ce qui concerne les passeurs dans le cas de la Turquie. Pour ce faire, nous commencerons par évoquer certains constats effectués par la littérature scientifique sur les passeurs. Ensuite, nous nous pencherons sur le cadre légal turc et les mesures prises par les autorités de ce pays contre le trafic de migrants.
4
I – Les passeurs dans la littérature scientifique
Le travail de Triandafyllidou (2015) a le mérite de signaler une imprécision qui traverse les travaux scientifiques sur les passeurs. La définition du trafic de migrants est encore sujette à discussion. En outre, la distinction entre ce délit et la traite des êtres humains n’est pas toujours claire, à tel point que certains chercheurs les utilisent parfois de manière interchangeable. Triandafyllidou (2015) constate différentes tendances dans les travaux scientifiques. La première conçoit le trafic de migrants comme une activité purement économique. Un exemple de cette tendance est l’étude de Tamura (2010) qui met en place une modélisation visant à expliquer les motivations des passeurs et le fonctionnement de leur « business ». Dans ce travail, les passeurs apparaissent comme « homo economicus », acteurs économiques agissant raisonnablement pour augmenter leur profit. L’autre tendance, quant à elle, essaie de comprendre le trafic de migrants comme un phénomène ou un processus social3. Force est de constater que cette posture est a priori plus propice à capter différents aspects de cette activité et de sa complexité.
Cela étant dit, quelle que soit l’approche adoptée, la compréhension du trafic de migrants se heurte à la difficulté de recueillir les données empiriques nécessaires. Comme toute activité délictueuse, il reste difficile de recueillir des données empiriques. Cette difficulté semble alors pousser certains chercheurs à se contenter des cadres juridiques, des données produites par les Etats, ainsi que des discours officiels. Ce faisant, ils risquent de reproduire la vision véhiculée par ces sources.
Koser (2008) souligne que le trafic de migrants peut se présenter sous des formes très différentes selon les contextes et à travers le temps. Un autre constat fait par l’auteur, partagé par d’autres chercheurs, est l’importance des réseaux dans l’activité de passeurs. Il souligne que, même en cas d’organisation de ce trafic par une seule personne, il est nécessaire de compter sur la complicité ou l’implication de plusieurs acteurs.
“La compréhension du trafic de migrants se heurte à la
difficulté de recueillir les données empiriques
nécessaires”.
5
En effet, il est impossible de parler d’une seule figure de passeur. Selon Pian (2010), les représentations qu’on en a sont « réductrices et souvent empreintes d’enjeux idéologiques ». De plus, « elles servent à justifier et à légitimer a priori des actions de répression sous couvert de la morale et de l’argument humanitaire » (Pian, 2010 : 21).
L’existence de réseaux de passeurs plus ou moins bien structurés ou sophistiqués au sein desquels plusieurs personnes occupent différentes fonctions est un constat qui traverse de nombreux travaux scientifiques. Un élément qu’on y retrouve est également l’implication d’agents de l’Etat. Cette implication semble devenir une exigence à mesure que les politiques migratoires deviennent plus restrictives et les mesures de sécurité plus importantes. En effet, il est possible de constater une relation étroite entre les politiques restrictives criminalisant l’activité des passeurs et leur développement, mais aussi l’implication des agents de l’Etat. Ce n’est donc pas étonnant si l’Office européen de police (EUROPOL) (2016) souligne dans son rapport l’importance de la corruption comme un élément clé dans cette activité à haut profit. Il existe ainsi des travaux qui parlent de la « collaboration » entre passeurs et forces de l’ordre. Selon eux, le renforcement des mesures de sécurité n’augmenterait pas seulement les prix exigés par les passeurs, mais aussi les pots-‐de-‐vin demandés par les policiers, les gendarmes ou les fonctionnaires corrompus4.
II – La Turquie et sa lutte contre les passeurs
La Turquie est candidate à l’UE depuis le sommet d’Helsinki de 1999. Les questions migratoires occupent une place importante dans les négociations d’adhésion, comme en témoignent les rapports annuels de la Commission européenne sur l’avancement de ce dossier5.
Les passeurs trouvent leur place, comme c’est le cas des pays européens, dans ce que les documents officiels turcs appellent la « lutte contre l’immigration irrégulière ». À l’origine se trouvent les exigences, les pressions et les incitations de l’UE. Les modifications profondes qu’a subies le cadre juridique turc en témoignent clairement.
Auparavant, l’ancienne version du Code pénal turc (CPT) ne contenait aucune mention du trafic de migrants. La « solution », quelque peu forcée, à laquelle s’est rallié le Conseil d’Etat turc, était d’appliquer l’article 313 punissant les organisations créées pour la commission de crimes, car le trafic de migrants ne pouvait que s’effectuer de cette façon selon la cour.
L’acceptation par la Turquie de plusieurs textes onusiens date de 2000, quelques mois après l’approbation de la candidature du pays par le sommet européen d’Helsinki en 1999. Le trafic de migrants a été ajouté au CPT comme une infraction spécifique avec la loi 4772 en 2002.
Le nouveau CPT datant de 2005, dit aussi loi 5237, contient une version plus répressive de ce délit dans le chapitre « infractions internationales ». Selon l’article 79 de ce texte, le délit est commis par toute personne indépendamment de sa nationalité :
-‐ lorsqu’elle fait entrer un étranger en Turquie de manière illégale6,
-‐ lorsqu’elle permet à un étranger de rester en Turquie illégalement7
-‐ lorsqu’elle aide un étranger ou un ressortissant turc à quitter le pays de manière illégale. Comme le montre le dernier cas de figure, les personnes de nationalité turque ne peuvent être l’« objet » du délit qu’en cas de sortie, et non pas en cas d’entrée sur le territoire8.
Le trafic de migrants est puni de trois à huit ans de prison et jusqu’à dix mille jours amende. Le code ne fait pas de différence entre tentative et acte complet. En d’autres termes, la personne concernée sera condamnée sur la base de l’article
“L’existence de réseaux de passeurs plus ou moins bien
structurés ou sophistiqués au sein desquels plusieurs personnes occupent différentes fonctions est un constat qui traverse de
nombreux travaux scientifiques”.
6
79 du CPT, quand bien même l’entrée, le séjour ou le départ irrégulier échoue. En cas de mise en danger de la vie des migrants ou de traitement dégradant, la peine est augmentée de deux tiers. Si le délit est commis dans le cadre de l’activité d’une organisation, l’augmentation prévue est de moitié (Yenidünya et Alsahin, 2009).
Les statistiques officielles constituent un indice de l’intérêt d’un Etat pour un domaine particulier. La Turquie déclare chaque année le nombre de personnes arrêtées pour leur implication dans les activités de passeurs et celui de migrants irréguliers depuis la fin des années 1990. Les arrestations des migrants sont naturellement plus importantes en chiffre absolu que celles des passeurs. Graphique I9 et Graphique II10 montrent qu’il n’existe pas de relation claire entre les nombres d’arrestations de passeurs et de migrants irréguliers. Comme on le voit clairement, 2015 constitue une année « exceptionnelle » : l’augmentation spectaculaire du nombre de passeurs arrêtés est 4.5 fois plus élevée que la moyenne des années 2000-‐2014, soit 973 personnes. Différentes sources montrent pourtant une banalisation du trafic de migrants en Turquie11. Il est donc très probable que le nombre de personnes impliquées a connu une augmentation spectaculaire, en raison de fortes demandes de la
part de milliers de migrants cherchant à joindre l’Europe. En d’autres termes, il est fort possible que, malgré des efforts décuplés, les autorités et les forces de l’ordre turques enregistrent plus de retard par rapport à l’étendue du phénomène.
Nous retrouvons plusieurs faits corroborant ces constats dans le rapport d’EUROPOL (2016). Par exemple, Istanbul et Izmir sont considérées comme les deux des dix centres de trafic de migrants les plus importants en dehors de l’UE. Les passeurs turcs sont parmi les dix nationalités les plus représentées dans l’UE et certains d’entre eux n’exercent pas cette activité dans le pays où ils vivent.
Dans le cas de la Turquie, Içduygu et Toktas (2002) soulignent l’existence de plusieurs réseaux de passeurs œuvrant simultanément, au sein desquels ils distinguent sept acteurs occupant différentes fonctions :
1. Passeur local (initiateur) : il organise le départ de migrants irréguliers ; il les prend en charge auprès d’un passeur afin de faciliter leur passage clandestin à la frontière et de les transmettre ensuite à un autre passeur ;
2. Caissier : comme personne en qui le migrant et le passeur ont confiance, il garde le montant payé par le premier pour ensuite le remettre au deuxième après la réussite du passage clandestin ;
3. Guide : connaissant très bien une région et ses frontières, il accompagne les migrants ;
4. Passeur local (transit) : il reçoit les migrants dans une zone frontalière du pays de transit et les amène vers une zobe de départ, en général à l’autre bout du pays ;
5. Intermédiaire (middleman) : il prend en charge les migrants pour les amener à la personne qui organise le voyage vers le pays de destination ;
6. Landman, shipman ou airman : il organise les passages irréguliers à la frontière (par voies terrestre, maritime ou aérienne) ;
7. D’autres intermédiaires ou personnes aidant : ils sont impliqués dans diverses activités secondaires visant à aider le trafic de migrants.
Les réseaux de passeurs, qui peuvent parfois être concurrents, ne feraient toutefois pas partie d’une organisation criminelle et centralisée. Leurs activités se concentreraient surtout à l’Est et l’Ouest du pays où se trouvent les points d’entrée en Turquie et de départ vers l’Europe. Après l’éclatement de la guerre civile en Syrie et l’afflux
7
massif de Syriens, la plupart des entrées ont été effectuées par le Sud du pays, sans que celles faites à l’Est ne diminuent.
Un autre travail, plus récent, a été effectué cette fois-‐ci sur la base des données recueillies auprès de 174 passeurs et de 262 migrants arrêtés par la police turque. En ce qui concerne le premier groupe, tous étaient des hommes et 75.3% d’entre eux se sont déclarés sans emploi. La plupart d’entre eux avait la nationalité turque (81.9%), le reste était constitué de Pakistanais, d’Irakiens, d’Afghans et d’Iraniens. 77.6% d’entre eux exerçaient cette activité depuis plus de trois ans. Les auteurs soulignent les relations des passeurs avec les groupes de crimes organisés ou avec des organisations considérées comme terroristes en Turquie (Icli, Sever et Sever, 2015).
Les informations de diverses sources, en particulier celles recueillies dans les médias turcs, suggèrent pourtant qu’il existe des réseaux de passeurs qui ne sont pas en relation avec des groupes de crimes organisés12. Quant aux organisations considérées comme terroristes, il est nécessaire de signaler que l’existence de passeurs kurdes dans un réseau ne constitue pas toujours un indice allant dans le sens de l’implication du Parti de travailleurs de Kurdistan (PKK) dans le trafic de migrants, malgré l’impression que donnent les sources officielles13. Selon les témoignages de certains réfugiés kurdes et turcs, ce parti et les organisations d’extrême gauche oeuvreraient avant tout pour le passage clandestin à la frontière de leurs membres et de leurs sympathisants cherchant à fuir la Turquie ou à entrer dans ce pays de manière clandestine.
Sur la base des indications de migrants arrêtés, le travail signalé ci-‐dessus (Icli, Sever et Sever, 2015) décrit les passeurs comme souvent turcs, dangereux, violents, rudes et agressifs14. Les auteurs trouvent enfin inefficace l’article 79 du CPT car 53.4% des passeurs avaient un casier judiciaire et 22.4% d’entre eux avaient été arrêtés auparavant pour leur implication dans les activités liées au trafic de migrants.
Les médias turcs font régulièrement écho d’arrestations de passeurs. L’image des passeurs qu’ils dessinent est assez « diabolique ». Ils relatent parfois des éléments suggérant l’existence de collusion ou de complicité entre les forces de l’ordre turques et ces personnes. Dans le passé, il y a eu des membres des forces de l’ordre turques
arrêtés pour leur implication dans le trafic de migrants15. Un responsable de police turque nous disait, fin 2012, qu’il était impossible que les forces de l’ordre ne soient pas au courant du transport de dizaines de milliers de migrants dans des caisses de camions depuis les frontières irano-‐turques jusqu’à l’autre bout du pays16. En novembre 2015, lors d’une recherche sur les stratégies d’évitement des étrangers menacés d’expulsion en Turquie, nous avons remarqué plusieurs indices témoignant d’une certaine « originalité » dans les procédés de recrutement de passeurs. Par exemple, selon des personnes interviewées, certaines proposeraient à des migrants qui n’ont pas de ressources financières pour payer leur passage en Europe de devenir recruteurs à leur tour. Pour pouvoir voyager gratuitement, ils devraient trouver dix personnes solvables, c’est-‐à-‐dire pouvant payer le montant exigé par les passeurs. Cette façon de procéder est probablement due à l’augmentation du nombre de migrants des pays en guerre vivant en Turquie dans une misère profonde.
“Un responsable de police turque nous disait, fin 2012, qu’il était impossible que les forces de
l’ordre ne soient pas au courant du transport de dizaines de milliers de migrants dans des caisses de camions depuis les
frontières irano-‐turques jusqu’à l’autre bout du pays”.
8
En guise de conclusion
Avant de finir, il est nécessaire de rappeler
un fait bien connu : les passeurs sont des produits de politiques restrictives et de mesures sécuritaires visant à empêcher la migration et la mobilité transfrontalière des personnes considérées comme indésirables. L’augmentation des mesures sécuritaires a comme conséquence inévitable la montée des prix exigés par les passeurs et la sophistication de leurs réseaux et des moyens utilisés17. Il existe en d’autres termes un lien étroit entre l’activité des passeurs et les cadres juridiques et les pratiques administratives ou policières. Dans le cas de la Turquie, le discours visant les passeurs18 a tendance à faire oublier que les migrants qui ont recours à leur service ont très majoritairement besoin de protection en raison de la guerre ou de l’instabilité politique de leur pays d’origine. En ce qui concerne les syriens, ils sont sujets en Turquie à l’exclusion, à des abus et à la misère. Légalement, ils sont condamnés à y vivre dans un provisoire qui dure, les empêchant d’imaginer un avenir. Plusieurs dizaines de milliers d’enfants syriens n’y ont pas accès à l’école. N’est-‐t-‐il pas normal que ces personnes vivant dans des conditions déplorables et la misère tentent leur chance et aient recours à des passeurs parfois au péril de leur vie et celui de leurs enfants ? Qu’est-‐ce qu’on peut espérer encore quand l’Europe tente de sous-‐traiter la gestion des flux migratoires à un pays où l’instabilité politique, le conflit kurde et la tendance autoritaire de son régime font fuir même ses ressortissants ?
29 mars 2016
“L’augmentation des mesures
sécuritaires a comme conséquence inévitable la montée des prix exigés par les passeurs et la sophistication de leurs réseaux
et des moyens utilisés”.
Notes de fin de page 1 Voir http://www.goc.gov.tr/icerik6/gecici-‐koruma_363_378_4713_icerik, consulté le 15 mars 2016. 2 Actuellement, on estime à environ 60 mille par mois le nombre de ces passages de la Turquie à la Grèce. 3 Voir par exemple Chin (2001). 4 Voir de Haas (2008) et Brachet (2005) 5 Voir ces rapports ici : http://www.ab.gov.tr/index.php?p=46224&l=2, consulté le 7 mars 2016. 6 L’entrée légale est définie dans l’article 2 de la Loi sur le passeport. Les étrangers doivent entrer en Turquie en utilisant les points d’entrée légale avec leur passeport muni d’un visa ou d’un titre de voyage valable. L’article 5 de la même loi considère l’entrée en Turquie sans visa comme une exception. 7 Dans ce cas précis, la loi ne concerne pas l’entrée illégale. En d’autres termes, l’étranger peut entrer légalement, mais par la suite, il peut se faire aider pour rester illégalement en Turquie. Le cas typique est celui des personnes overstayers, c’est-‐à-‐dire celles qui restent sur le sol turc au-‐delà du séjour touristique. 8 Dans ce cas-‐là, elles peuvent être punies selon la Loi sur le passeport. 9 Graphique conçu sur la bases de données des sources suivantes : Yenidünya et Alşahin (2009) et Rapport 2013 de Direction générale des migrations (Göç Idaresi Genel Müdürlüğü, 2015) et son site Internet http://www.goc.gov.tr/icerik6/duzensiz-‐goc_363_378_4710_icerik consulté le 15 mars 2016. 10 Direction générale des migrations (Göç Idaresi Genel Müdürlüğü, 2015) et son site Internet http://www.goc.gov.tr/icerik6/duzensiz-‐goc_363_378_4710_icerik, consulté le 15 mars 2016. 11 Voir par exemple le reportage de Nicola Zolin, parlant de « minibus privés de réfugiés » qui quittent « quotidiennement » le quartier central d’Istanbul, Aksaray. Les passeurs turcs s’adaptent et prospèrent, http://www.irinnews.org/fr/report/102418/les-‐passeurs-‐turcs-‐s’adaptent-‐et-‐prospèrent, consulté le 5 mars 2016. Voir aussi l’article de Dorian Jones, intitulé Turkey Becoming Major Hub for Human Smuggling, http://www.voanews.com/content/turkey-‐becoming-‐major-‐hub-‐for-‐human-‐smuggling/2591811.html, consulté le 5 mars 2016. 12 Voir aussi Icduygu et Toktas (2002). 13 Voir par exemple le travail de deux journalists, Dalman et Tabak (1995). 14 Soulignons pourtant le fait qu’il s’agit des données recueillies auprès des personnes arrêtées et qu’un des auteurs de l’article est membre de la police turque. Il se peut que cette description de passeurs soit différente si la recherche est effectuée dans d’autres conditions et par d’autres chercheurs. 15 Par exemple, voir l’article du journal Hürriyet sur l’arrestation d’un commandant de patrouille suspecté de toucher des pots-‐de-‐vin de la part des passeurs et d’organiser lui-‐même le trafic de migrants dans la région d’Izmir (İnsan kaçakçılarndan rüşvet alıp kaçakçılığa müsaade eden
komutan tutuklandı. http://www.hurriyet.com.tr/insan-‐kacakcilarindan-‐rusvet-‐alip-‐kacakciliga-‐musaade-‐eden-‐komutan-‐tutuklandi-‐40044220, consulté le 24 janvier 2016). 16 La distance peut aller jusqu’à 2000 kilomètres. 17 Par exemple, voir le rapport d’EUROPOL (2016:16); selon ce dernier “Migrant smuggling by air is currently a less frequent modus operandi but is likely to become more attractive in the future due to increased controls on the land and sea routes”. 18 Qui sont parfois eux-‐mêmes migrants et veulent accumuler le financement nécessaire leur permettant de continuer leur voyage en Europe. Références citées
Brachet, J. (2005) Migrants, Transporteurs et Agents d’Etat : Rencontre sur l’Axe Agadez-‐Sebha, Autrepart 36: 43-‐62.
Chin, K., (2001) The social organization of Chinese human smuggling, in Kyle, D et Koslowski, R. (Eds), Global Human Smuggling: Comparative Perspectives, Baltimore: The Johns Hopkins University Press, pp. 216-‐34.
de Haas, H. (2008) Irregular Migration from West Africa to the Maghreb and the European Union: An Overview of Recent Trends, Genève : International Organization for Migration.
EUROPOL (2016) Migrant smuggling in the EU https://www.europol.europa.eu/sites/default/files/publications/migrant_smuggling__europol_report_2016.pdf., consulté le 15 mars 2016
Içduygu, A. Toktas, S. (2002) How do Smuggling and Trafficking Operate via Irregular Border Crossings in the Middle East? Evidence from Fieldwork in Turkey, International Migration, 40 (6) pp. 25–54.
Içli, T. G., Sever, H., & Sever, M. (2015). A Survey Study on the Profile of Human Smugglers in Turkey, Advances in Applied Sociology, 5, 1-‐12.
Koser, K. (2008) “Why migrant smuggling pays” International Migration, 46(2), p. 3-‐26.
Pian, A. (2010) Variations autour de la figure du passeur, Plein droit, 84, p. 21-‐25.
Tamura, Y. (2010)Migrant Smuggling, Journal of Public Economics, 94, pp. 540–548.
Triandafyllidou, A. (2015), Migrant smuggling, in Triandafyllidou, Anna (éd.). Routledge Handbook of Immigration and Refugee Studies, Oxon: Routledge, pp. 346-‐353.
Yenidünya, A. C. et Alsahin, E. M. (2009) Göçmen Kaçakçılığı Suçu [Infraction de trafic de migrants], TBB Dergisi, 1-‐50.
Dalman M. et Tabak I. (1995) Avrupa’da İnsan Ticareti ve PKK [La traite des être humains et le PKK] , İstanbul: DTPA Türk-‐Alman Basın Ajansı.