HERNANI - acbscene.com©couverte-HERNANI.pdfLa Jeunesse de Charles Quint (l’accent était mis sur...

16
acb, scène nationale bar-le-duc le théâtre - 20 rue Theuriet - 55000 Bar-le-Duc réservations : 03 29 79 73 47 jeudi 27 mars - 20h30 vendredi 28 mars - 14h30 HERNANI théâtre de Victor Hugo, compagnie Ici et maintenant théâtre, mise en scène Christine Berg Photo JAC. Fiche découverte

Transcript of HERNANI - acbscene.com©couverte-HERNANI.pdfLa Jeunesse de Charles Quint (l’accent était mis sur...

Page 1: HERNANI - acbscene.com©couverte-HERNANI.pdfLa Jeunesse de Charles Quint (l’accent était mis sur la dimension historique et politique) L’Honneur des Vieillards (le personnage

acb, scène nationale bar-le-ducle théâtre - 20 rue Theuriet - 55000 Bar-le-Duc

réservations : 03 29 79 73 47

jeudi 27 mars - 20h30vendredi 28 mars - 14h30

HERNANIthéâtre

de Victor Hugo, compagnie Ici et maintenant théâtre, mise en scène Christine Berg

Photo JAC.

Fiche découverte

Page 2: HERNANI - acbscene.com©couverte-HERNANI.pdfLa Jeunesse de Charles Quint (l’accent était mis sur la dimension historique et politique) L’Honneur des Vieillards (le personnage
Page 3: HERNANI - acbscene.com©couverte-HERNANI.pdfLa Jeunesse de Charles Quint (l’accent était mis sur la dimension historique et politique) L’Honneur des Vieillards (le personnage

Nathalie HAMENProfesseur de LettresProfesseur-relais auprès de l’acb, scène nationaleBAR-LE-DUC

HERNANIVictor Hugomise en scène Christine Berg

I LE TEXTE

1 L’auteur :

Victor Hugo est un auteur ENORME :Il a couvert le siècle (1802-1885) et reçoit des funérailles nationales grandioses (cercueil exposé sous l’Arc de Triomphe et transporté au Panthéon).Il est un écrivain prolifique qui a abordé tous les genres avec le succès que l’on sait :Le théâtre auquel il imprime sa marque puisqu’il est le chef de file et le porteur du drame romantique (1829 : Marion Delorme (censuré), 1830 : Hernani, …1838 : Ruy Blas…)La poésie dont il exploita la veine lyrique (1856 : Les Contemplations), qu’il utilisa à des fins polémiques (1853 : Les Châtiments ), qu’il marqua du sceau de l’épopée dans son dessein de réécrire l’histoire de l’humanité(1883 : La Légende des siècles)Le roman qu’il veut historique et social (1831 : Notre-Dame de Paris, 1862 : Les Misérables, 1866 : Les Travailleurs de la mer, 1874 : Quatrevingt-treize…)Les textes engagés, les pamphlets (1829 : Le Dernier jour d’un condamné, 1877 : L’Histoire d’un crime, Napoléon le Petit…)Il fonde un journal : L’Evénement ; il est un excellent dessinateur.Il est aussi un homme qui s’engage en politique :Très jeune, influencé par sa mère, il est ultra-royaliste sous la Restauration puis il se rapproche de son père, général d’Empire, et redécouvre la grandeur de Napoléon Ier.Nommé Pair de France par Louis-Philippe en 1845, il se lance en politique ; élu député en 1848, il s’impose comme un orateur de « gauche » et développe pendant toute la seconde République ses valeurs qu’il définissait comme « les droits de l’homme ». Il s’opposera très vite à Louis-Napoléon Bonaparte (coup d’état du 2 décembre 1851) et sera exilé pendant… 20 ans, dans les îles anglaises de la Manche. Ces vingt années d’ exil politique et décriture solitaire seront la période la plus féconde et la plus haute de son génie. Devenu ardent républicain, il ne cesse de dénoncer le nouveau régime et refuse l’amnistie que lui accorde Napoléon III en 1859. Le proscrit de Guernesey jouit alors d un prestige mondial ; Il ne rentre en France qu’à la proclamation de la troisième République en 1870 et est accueilli par la foule qui crie : « Vive Hugo ! Vive la République ! ». Il milite avec force pour l’amnistie des Communards. En 1876, il est élu sénateur de Paris .Sa gloire ne cesse de grandir. Il meurt d’une congestion pulmonaire le 22 mai 1885 : Deux millions de personnes viennent se recueillir devant l’Arc de Triomphe où son corps est exposé.

2 La Bataille d’Hernani :

On connaît presque davantage Hernani par le scandale que la pièce occasionna que par son texte ! Quels sont les préludes à cette fameuse bataille d’ Hernani de 1830 qui a fait date dans l’histoire littéraire française ?Le début du 19ème siècle est mis en émoi par le Sturm und Drang venu d’Allemagne (Goethe, Novalis, Schiller, Hölderlin…) qui donna naissance à cet immense mouvement littéraire, artistique et politique qu’est le Romantisme. Victor Hugo devient, en France, en 1825, le chef de file du Cénacle, un groupe de jeunes écrivains romantiques (Lamartine, Nerval, Gautier, Dumas, Delacroix…) qui rejettent le carcan des formes et des contraintes imposées aux créateurs depuis deux siècles. C’est le début de la querelle des Modernes romantiques contre les « Anciens » de l’Académie et le genre théâtral devient leur champ de la bataille.

Page 4: HERNANI - acbscene.com©couverte-HERNANI.pdfLa Jeunesse de Charles Quint (l’accent était mis sur la dimension historique et politique) L’Honneur des Vieillards (le personnage

Deux textes théoriques font date dans cette aventure moderne : Le Racine et Shakespeare (1823) de Stendhal et la Préface de Cromwell (1827) de Victor Hugo. Stendhal célèbre la liberté de création du théâtre élisabéthain et prétend qu il faut en finir avec la règle des trois unités imposée par les théoriciens du clacissisme . Hugo reprend et complète les propositions de Stendhal et pose les bases du drame romantique : Il doit « peindre la vie » dans sa vérité et sa totalité, penser l’histoire en éclairant le passé et le présent, s’autoriser à mélanger les registres (comique, tragique, sublime et grotesque) ainsi que les niveaux de langue (tantôt soutenue, tantôt familière). Ce nouveau cahier des charges est ressenti comme subversif par les milieux conservateurs déjà inquiets par les prises de position d’Hugo contre la peine ne mort et les inégalités sociales. Hernani est l’objet d’un rapport de censure sévère : « un roi s’exprime comme un bandit », « Hernani est un régicide en puissance »…Le débat, avant même la représentation, dépasse les questions littéraires et est devenu idéologique.Le soir de la première d’Hernani, la salle est investie par des centaines de jeunes gens, les « troupes romantiques », bruyantes, aux tenues extravagantes venues pour en découdre avec le public habituel et conservateur du théâtre. Sifflets, provocations de part et d’autre : la pièce se déroule dans une atmosphère électrique ; la seconde représentation est encore plus houleuse mais la pièce s’impose, est jouée 36 fois entre le 25 février et le 22 juin 1830 et fait salle comble. Jeu et match, la bataille d’Hernani est remportée par le camp des Romantiques !

3 Le titre et les sources de la pièce :

- Hernani est un titre éponyme, c’est en effet le personnage central qui donne son nom à la pièce. Il nous restera à vérifier si Hernani, le bandit, en est vraiment le personnage principal.Voyons les titres qu’avait envisagés Hugo et qu’il a finalement écartés :La Jeunesse de Charles Quint (l’accent était mis sur la dimension historique et politique)L’Honneur des Vieillards (le personnage de Don Ruy Gomez était en lumière)Trois pour une (la complexité de la situation amoureuse était mise en avant avec le personnage de Dona Sol courtisée par trois hommes : un roi, un vieillard et un bandit)

D’où vient le nom de Hernani ?Enfant, Hugo passa quelques mois, en 1811, en Espagne alors soulevée contre Napoléon avec son père général d’Empire ; Ernani est le nom d’un village du Pays basque espagnol auquel il aurait ajouté le H de Hugo.

- Hugo dit qu’il s’est inspiré d’une vieille chronique espagnole dont il cite un passage : « Don Carlos, tan qu’il ne fut qu’archiduc d’Autriche et roi d’Espagne, fut un prince amoureux de son plaisir, grand coureur d’aventures, sérénades et estocades sous les balcons de Saragosse, ravissant volontiers les belles aux galants, voluptueux et cruel au besoin. Mais du jour où il fut empereur, une révolution se fit en lui… »On décèle aussi moult emprunts :Ainsi la scène des portraits est démarquée d’une tragédie anglaise de Richard Lalor Sheil, Evadne or the statue (1819) ; le couple amoureux emprunte maints traits à Byron, Manfred (1817), Le Corsaire (1813) ; l’Allemagne apporte son tribut pour la figure du bandit avec Goethe, Goetz de Berlichingen (1773), Egmont (1789), et surtout Schiller, Les Brigands (1781). La clémence de Charles Quint fait penser à celle d’Auguste dans le Cinna de Corneille et le comique de situation du vieillard et de sa pupille réfère à celle d’Arnolphe et d’Agnès dans L’Ecole des Femmes de Molière que Victor Hugo célèbre dans sa Préface de Cromwell.

4 Résumé et thèmes principaux :

Acte I : En Espagne, en 1919, dans le palais du duc Don Ruy Gomez. Une vieille gouvernante fait entrer en secret un homme et le cache dans une armoire. Arrive alors Hernani, un hors-la-loi, amant de la jeune Dona Sol, nièce du duc Don Ruy Gomez. Dona Sol lui apprend que le roi d’Espagne, Don Carlos, prétend lui faire épouser ce vieil oncle. Or, Hernani veut venger son père assassiné par le père de Don Carlos en tuant celui-ci. L’inconnu (Don Carlos) décrète qu’il revendique aussi l’amour de Dona Sol. Arrive Don Ruy qui découvre les deux hommes avec sa promise. Face à la fureur du vieillard, Don Carlos révèle son identité royale et invoque la raison d’état (les prochaines élections au Saint Empire) pour justifier sa présence .Il favorise la fuite d’Hernani après avoir entendu Dona Sol lui fixer un rendez-vous nocturne pour le lendemain.Acte II : Le jour suivant, à minuit, Don Carlos vient enlever Dona Sol. Surgit alors Hernani. Don Carlos refuse de se battre avec un bandit. Hernani le laisse partir, mais les deux hommes jurent de se retrouver, sans quartiers. Restés seuls, Hernani et Dona Sol se désespèrent. On entend les hommes de Don Carlos et Hernani est obligé de fuir.Acte III : Quelques semaines plus tard, dans le palais ducal, au milieu des montagnes. Hernani, dit-on, serait mort… Dona Sol doit épouser son oncle. Don Ruy offre son hospitalité à un pélerin mystérieux

Page 5: HERNANI - acbscene.com©couverte-HERNANI.pdfLa Jeunesse de Charles Quint (l’accent était mis sur la dimension historique et politique) L’Honneur des Vieillards (le personnage

(Hernani) qui, se croyant trahi par son amante, dévoile son identité. Dona Sol lui révèle qu’elle a résolu de suicider le soir de ses noces mais Don Ruy a surpris ces confidences. Le roi, qui pourchasse Hernani, se présente au palais. Don Ruy, garant des lois de l’hospitalité, refuse de lui livrer son hôte. Don Carlos prend Dona Sol en otage. Malgré leur rivalité, Hernani et Don Ruy s’unissent contre le roi : Don Ruy épargne Hernani à condition qu’il s’engage à tuer le roi. En échange, Hernani s’engage à se donner la mort dès que Don Ruy lui aura rappelé son engagement en sonnant du cor.Acte IV : Deux mois plus tard, à Aix-la-Chapelle. Seul devant le tombeau de Charlemagne, Don Carlos se demande s’il sera élu nouvel empereur d’Allemagne et médite sur l’épreuve du pouvoir. Il surprend des conspirateurs qui préparent sa mort. Parmi eux, Hernani et Don Ruy. Averti de son élection, Don Carlos, devenu l’empereur Charles Quint, pardonne à tous les conjurés et accorde Dona Sol à Hernani qui s’est fait reconnaître : il est Don Juan d’Aragon, fils d’un Grand d’Espagne assassiné.Acte V : Dans le palais de Don Juan d’Aragon (Hernani), on célèbre les noces de Dona Sol et d’Hernani, quand retentit le son du cor. Don Ruy vient rappeler son pacte à Hernani. Les deux époux s’empoisonnent et Don Ruy se poignarde.

Victor Hugo a donné des sous-titres aux cinq actes de son drame, destinés à mettre en valeur le personnage central de chacun des trois premiers actes et le cadre des deux derniers :Acte I : Le roiActe II : Le banditActe III : Le vieillardActe IV : Le tombeauActe V : La noceLe dramaturge met en scène, presque à chaque acte, les quatre protagonistes et entremêle constamment les fils des thèmes suivants :- Le désir furieux de la vengeance d’Hernani, banni et dépouillé de son titre et de ses biens à cause de l’assassinat de son père par le père de Don Carlos.- L’amour impossible entre Dona Sol et Hernani, marqué, comme celui de Roméo et Juliette, par le sceau de la fatalité et de la mort- La question de l’identité, du nom et de la quête du couple que forment, malgré eux, Hernani et Don Carlos qui semblent être des doubles, des frères ennemis qui se poursuivent sans cesse et vont subir des « révolutions » dans leurs êtres mêmes .

Le conflit des trois hommes pour la possession de la belle Dona Sol est énoncé clairement au début de l’acte V par un des convives de la noce d’Hernani et de Dona Sol, Don Ricardo et il constitue même un résumé succint et efficace de la pièce :« Trois galants ; un bandit que l’échafaud réclame, Puis un duc, puis un roi, d’un même cœur de femmeFont le siège à la fois. L’assaut donné, qui l’a ?C’est le bandit. » ( vers 1819 à 1822)

5 Les personnages principaux :Hernani, annoncé par le titre éponyme comme le personnage central de la pièce, est le prototype du héros romantique, nécessairement « enfiévré » et maudit, « sombre » et solitaire, fasciné par la mort qu’il fait peser sur ses proches comme par contagion de son « destin funeste » :« Oh je porte malheur à tout ce qui m’entoure ! » (vers 974)Il est un homme de l’ombre, « un homme de la nuit » (vers 1921) puisqu’il a été proscrit par le pouvoir royal, orphelin, privé de ses biens et de son nom (Don Juan d’Aragon).A l’image du héros de légende médiévale, remis à la mode par Walter Scott avec Ivhanoé (1819), il vit dans la forêt comme Robin des Bois et , comme lui, est le chef d’une troupe de bandits -rappelons que le mot « bandit » a la même étymologie que le mot « banni »-.Hernani, « c’est le Cid à l’état sauvage » (Paul de Saint Victor)Comme le Cid, comme Hamlet, il est animé par le désir furieux de venger son père : « Et, tout enfant, je fisLe serment de venger mon père sur son fils.Je te cherchais partout, Carlos, roi des CastillesCar la haine est vivace entre nos deux familles. » (vers 9 à 96)Mais comme le héros romantique, son désir d’action est contrarié par les contradictions qui le déchirent :« Entre aimer et haïr je suis resté flottant (vers 386) .Héros indécis, il va peu à peu déserter sa vengeance et être paralysé dans son désir d’action.Ainsi il laisse s’enfuir Don Carlos alors qu’il l avait à la pointe de son épée :« Hernani, sombre et pensif, tourmente quelques instants de la main la pointe de son épée, puis se retourne brusquement vers le roi, et brise la lame sur le pavé. » (II, 3)

Page 6: HERNANI - acbscene.com©couverte-HERNANI.pdfLa Jeunesse de Charles Quint (l’accent était mis sur la dimension historique et politique) L’Honneur des Vieillards (le personnage

Hernani a voulu croire avoir une mission, un destin, venger son père, la destinée mais celle-ci le raille à la fin de la pièce : «Oh !que la destinée amèrement me raille ! » ( vers 2012) et lui prouve qu’il n’en a pas eu et que l’action n’est pas faite pour lui. Mais Hugo place face à Hernani, un personnage qui a un destin et qui l’assume pleinement : c’est Don Carlos ! N’est –ce pas lui le vrai héros à l’aune du héros traditionnel ?Don Carlos est certes, au début de la pièce, un roi libertin et séducteur qui s’introduit comme un voleur chez Dona Sol et se cache dans une armoire ce qui, en soi, n’est pas très héroïque ! Il est jeune et joueur et profite de sa toute-puissance hiérarchique. De manière guerrière il convoite une jeune fille amoureuse d’un autre et aimée de lui, chasse d’autant plus excitante que Dona Sol lui résiste (II, 2).Par ailleurs ce roi tricheur a une personnalité plus estimable : quoique désarmé, il tient tête avec courage à Hernani (II, 2) et auparavant, généreux, il avait demandé à ses hommes d’épargner le brigand :« N’allez pas cependant le tuer ! C’est un braveAprès tout, et la mort d’un homme est une chose grave. » ( vers 477-478)Mais Don Carlos prend toute son ampleur dans l’acte IV : Dans un monologue augustéen, il médite sur la vanité du pouvoir face à la charge qui l’attend , empereur du Saint –Empire germanique, sur la destinée humaine et la mort et affiche sa préférence de la monarchie issue de l’élection plutôt que la monarchie héréditaire et décide de s’appuyer sur le peuple, force vive de la nation, « le Peuple-Océan ». Le lieu où il se trouve est hautement symbolique puisqu’il est à Aix- la Chapelle devant le tombeau de Charlemagne, son modèle, à qui il s’adresse :« Verse-moi dans le coeur, du fond de ce tombeau, Quelque chose de grand, de sublime et de beau(…)Apprends-moi tes secrets de vaincre et de régner, Et dis-moi qu’il vaut mieux punir que pardonner » (vers 1564 à 1572)Don Carlos, à présent Charles-Quint, continue sa « révolution » puisqu’à la scène 4 du même acte, il accorde le pardon à Hernani, le réhabilite dans son rang de noble d’Aragon et lui accorde la main de Dona Sol :« A Hernani.- Tes autres noms, Don Juan ?- Hernani Qui parle ainsi ? Le roi ? Don Carlos Non, l’empereur ». IV, 4Don Carlos a acquis la dimension héroïque d’un héros de tragédie à l’instar d’Auguste dans Cinna grâce à son courage et sa générosité naturels mais surtout grâce à sa métamorphose :Empereur, il a la puissance et il a choisi la magnanimité .Le dernier mot qu’il prononce à la fin de l’acte IV est celui de « clémence » (vers 1810)Don Ruy Gomez appartient à la lignée du vieillard de comédie amoureux de sa pupille et soucieux du ridicule (il répète à l’envi le verbe « rire » au sens de se moquer cf. vers 243 à 247). Mais son personnage dépasse la figure du barbon à plus d’un titre . Don Ruy Gomez de Silva représente aussi le vieil ordre féodal et ses valeurs d’hospitalité et d’honneur-la fameuse scène des portraits héroïques de sa famille de Grands d’Espagne au cours de laquelle il tient tête à Don Carlos et refuse de lui livrer Hernani est em-blématique de sa dignité retrouvée III, 6- et fait songer à Don Diègue, le père de Rodrigue.Don Ruy devient, dans l’économie de la pièce, un père de substitution pour Hernani : on a vu qu’insensiblement Hernani a renoncé à son serment de vengeance fait à son père pour le remplacer par un serment juré sur la tête de son père à don Ruy auquel il prêté son bras vengeur pour punir Don Carlos du rapt de Dona Sol.Un simple appel du cor du vieillard obligera Hernani de se livrer à lui et de mourir (Acte III, 7). A la fin de l’acte V, Don Ruy rappelle à Hernani, devenu Don Juan d’Aragon, fait sonner le cor et rappelle à Hernani sa promesse faite sur la tête de son père :« Tu fais de beaux serments par le sang dont tu sors, Et je vais à ton père en parler chez les morts ! » (vers 2117, 2118)Hernani se soumet à Don Ruy car il est le porte-parole de la morale des pères qui engage Hernani dans la chaîne des actes qui ne peut être rompue …jusqu’à la mort.Dona Sol est un personnage solaire, c’est d’ailleurs inscrit dans son nom .Elle rayonne par sa beauté et surtout par la clarté de ses propos et sa fidélité à Hernani, dédaignant le pouvoir, la richesse et le luxe, prête à suivre son bandit dans les montagnes et à partager sa vie de proscrit . Elle le dit clairement à Don Carlos :« J’aime mieux avec lui, mon Hernani, mon roi,Vivre errante, en dehors du monde et de la loi, Ayant faim, ayant soif, fuyant toute l’année, Partageant jour à jour sa pauvre destinée, Abandon, guerre, exil, deuil, misère et terreur, Que d’être impératrice avec un empereur ! » ( vers 511à 516, II, 2)

Page 7: HERNANI - acbscene.com©couverte-HERNANI.pdfLa Jeunesse de Charles Quint (l’accent était mis sur la dimension historique et politique) L’Honneur des Vieillards (le personnage

Elle incarne pendant toute la pièce l’archétype de la femme amoureuse telle que la conçoivent les romantiques ; entièrement dévouée à sa passion, elle fait preuve de courage en résistant au roi (II, 2) allant jusqu’à le menacer de mort. C’est elle qui boit la première le poison.

6 Hernani, une « machine romantique » :Hernani est emblématique du nouveau drame romantique dont Victor Hugo a jeté les bases dans sa Préface à Cromwell en 1827.La règle des trois unités en éclats :Hugo rejette les unités de temps et de lieu. L’ action d’Hernani s’écoule sur environ 6 mois et se déroule à différents endroits en Espagne - à Saragosse, dans le palais de Don Ruy (acte I et II), dans le palais D’Hernani (acte V), dans les montagnes d’Aragon, château de Don Ruy (acte III)- et en Allemagne, à Aix- la-Chapelle (acte IV)Le mélange des genres et des registres :- Intrigue romanesque d’un bandit- Vaudeville d’un monarque libertin qui se cache dans une armoire- Farce d’un vieillard cocu- Tragédie de l’amour impossible- Puissance pathétique des situations- Lyrisme du discours amoureux- Diversité baroque : métamorphose, déguisements, masques, coups de théâtre- Théâtre fortement ancré dans l’HistoireLe traitement des personnages :- Pas de personnages de confidents- Pas d’autoanalyse des personnages mais des effusions lyriques- La parole principale est celle d’un proscrit qui porte en étendard son statut de bandit- Distribution pléthorique (23 personnages nommés +la suite du roi, les conjurés, le peuple…)Une esthétique spectaculaire :- Scènes nocturnes ; jeux de clair-obscur, torches, flambeaux- Escorte royale, entrée militaire, groupe de conjurés- Costumes colorés, capes et chapeaux rabattus, masques…- Diversité des décors, décrits minutieusement- Forte « présence » de la forêt, mystérieuse (abri des bandits qu’on ne voit jamais et qui semblent d’autant plus inquiétants), forêt qui se manifeste par le discours, les costumes de montagnards et surtout par les sonneries funestes du corAudace de l’écriture :- Lexique prosaique : « concubine », « manche à balai », « basse-cour »- Un alexandrin rénové (vers brisé, trimètre romantique, mobilité de la césure, rejets et enjambements) ; un rejet qui fit scandale est celui du vers 3 :« Serait-ce déjà lui ? Un nouveau coup C’est bien à l’escalierDérobé »

On comprend bien pourquoi Hernani fut la machine de guerre du drame romantique dont Victor Hugo mena la bataille en mettant en œuvre une éthique et une esthétique nouvelles correspondant à son dessein : « la liberté dans l’art ».

II LE SPECTACLE Comment ne pas être fasciné par la puissance poétique d’une telle oeuvre ?Et pourquoi s’interdire d’y plonger, de tenter le grand voyage dans cette cathédrale ?La pièce est d’une force de composition exceptionnelle. Elle utilise tous les ressorts du théâtre romantique et dans sa diversité baroque, elle se permet tout : les coups de théâtre se succèdent, les personnages se métamorphosent, les images poétiques créent un univers d’une rare puissance.A chaque nouvelle lecture, l’émotion me submerge. Bien sûr, ces deux jeunes amants qui meurent le jour de leurs noces, c’est pathétique, grandiose, mais ce n’est pas tout.La fable politique, par exemple, est remarquable : Hernani, représentant ce « peuple-océan » qui entraîne tout sur son passage et bouleverse définitivement le vieil ordre, est mis en action sous nos yeux, comme le moteur des générations à venir contre qui personne ne pourra rien.Les métamorphoses des personnages sont d’une théâtralité exceptionnelle et révèlent, dans le tissu même de la fable, que, qui qu’on soit, l’histoire et ses soubresauts nous font vaciller, nous ouvrent des horizons que nous devons voir. Don Carlos, le roi libertin, devient un monarque magnanime et tolérant ; Ruy Gomes, lui, ne devient pas meilleur, au contraire, il est la part sombre de nous-mêmes, celle irréductible du ressentiment et de la vengeance qui ne nous laisse que l’amertume de notre condition…

Page 8: HERNANI - acbscene.com©couverte-HERNANI.pdfLa Jeunesse de Charles Quint (l’accent était mis sur la dimension historique et politique) L’Honneur des Vieillards (le personnage

Je crois qu’il faut toucher la dimension poétique, obscure de cette oeuvre. Elle réside à beaucoup d’endroits et en particulier dans les portraits des personnages.L’un des axes majeurs est dans la force, la lourdeur même, écrasante, des figures paternelles : le passé ne lâche pas sa proie…La scénographie sera donc un jeu de portraits géants faisant écrin d’abord à la fameuse scène des portraits où Ruy Gomes cache Hernani à Don Carlos dans sa galerie de tableaux de famille. Mais au-delà de cette seule scène, la dimension mythique de la parole donnée au père et par là, serment intouchable, embrase toute l’oeuvre. Chaque personnage est hanté par un père absent et chaque personnage aussi, se convertit, se transforme en un autre, donnant ainsi à voir une infinité de caractères, de personnes qui se construisent devant nous.Il y a dans Hernani une thématique très forte de l’ombre et de la lumière, ô combien théâtrale. Beaucoup de scènes sont nocturnes (le début de 4 actes sur 5), et symboliquement, toute la pièce est une lutte entre l’obscurité (l’obscurantisme) et le jour, l’avenir…Il n’est pas certain d’ailleurs que la lumière l’emporte. Mais l’élément feu sera très présent sur scène.Je pense qu’il n’est pas nécessaire de transposer l’époque ; elle est marquée clairement (Espagne 1519) mais n’empêche en rien l’envolée de la fable jusqu’à nous par le truchement d’une symbolique particulièrement riche. Nous travaillerons donc dans une esthétique inspirée du seizième siècle espagnol ; pas dans la reconstitution historique mais dans un rappel des formes et des matières.Encore un paradoxe : Hernani est aussi, par certains aspects, une comédie. Il ne faut pas occulter cette dimension baroque qui se permet, du grotesque au sublime, de nous embarquer avec une duègne cupide dans une armoire de barbon cocufié…Tout est possible dans ce théâtre, tout est jeu, et ce monstre de Victor Hugo mène une sarabande qui nous éblouit, depuis son dix-neuvième siècle, jusque dans nos tripes.

(...)

Du point de vue stylistique, quelques décisions notoires s’imposent. La réduction de la distribution à 6 acteurs nous débarrasse d’un certain poids d’apparat romantique (plus de troupe de conjurés, de valets et domestiques, de gardes armés…). Ce théâtre historique, ajusté du coup à sa dimension métaphorique et politique, acquiert une force nouvelle.Nous respecterons le vers baroque, non pas comme de la prose, mais comme une véritable explosion du vers classique ; c’est-à-dire qu’il faut faire sonner les vers réguliers (il y en a) par opposition aux vers morcelés, hachés, synonymes à eux seuls de la révolution qui s’opère, dans les Lettres et dans la société.La scénographie s’inspire de ces deux espaces qui caractérisent l’univers hugolien. Une forteresse imprenable est le lieu du pouvoir et de l’enfermement. Mais elle est aussi un jeu de trappes, d’escaliers, de portes dérobées, de balcons, de fenêtres par lesquels entre et sort et virevolte un monde de la nuit, grotesque ou macabre. Et ce petit monde tourne sur lui-même jusqu’à exploser ses limites lorsque le « peuple-océan » est évoqué, promesse d’un avenir tout différent mais encore tellement improbable.

Christine Berg

- Un piano, sur scène, assurera une large part du «spectacle sonore» qu’est aussi Hernani.- La distribution, réduite à 6 comédiens, proposera un effet comique avec le rôle de la duègne interprété par un homme.

III PISTES PEDAGOGIQUESEn amont du spectacle- On pourra intéresser les élèves au scandale d’Hernani (cf. en annexe les documents concernant la ré-ception d’Hernani) avant de poser les bases du drame romantique selon Hugo (cf. en annexe un extrait de la préface de Cromwell)- On pourra faire lire aux élèves un duo amoureux de Roméo et Juliette de Shakespeare Acte II, scène 2, Acte III scène 5) que l’on confrontera aux duos amoureux d’Hernani et Dona Sol- On peut également comparer le monologue d’Auguste dans Cinna de Corneille avec celui de Don Carlos dans Hernani acte IV, scène 2Après le spectacleOn utilisera avec profit la fiche pédagogique de l’ANRAT #01, analyser une représentation théâtrale.

Page 9: HERNANI - acbscene.com©couverte-HERNANI.pdfLa Jeunesse de Charles Quint (l’accent était mis sur la dimension historique et politique) L’Honneur des Vieillards (le personnage
Page 10: HERNANI - acbscene.com©couverte-HERNANI.pdfLa Jeunesse de Charles Quint (l’accent était mis sur la dimension historique et politique) L’Honneur des Vieillards (le personnage
Page 11: HERNANI - acbscene.com©couverte-HERNANI.pdfLa Jeunesse de Charles Quint (l’accent était mis sur la dimension historique et politique) L’Honneur des Vieillards (le personnage

IV BIBLIOGRAPHIEHenri Maillet, Structures d’un drema romantique, Hernani, L’information litteraire, n°3, 1971.Hubert Juin, Victor Hugo, 1802-1843, Flammarion, 1980.Anne Ubersfeld, Le drame romantique, Paris, 1993.Anne Ubersfeld, Le Roman d’Hernani, Paris, Mercure de France, 1985.

V ANNEXES

Autour de la réception d’Hernani- Anne Ubersfeld, Caricature des romantiques, caricature des classiques - Anne Ubersfeld Les Romains échevelés à la première représentation d’Hernani - Albert Besnard, La première d’Hernani - La bataille d’Hernani du 25/02/1830 à la comédie française décrite par Théophile Gautier- Pastiche de la scène 1, acte I d’Hernani, Carmouche, de Courcy et Dupety, Ni Ni, 1830

Théorie du drame romantique- Critique des trois unités extrait de la Préface de Cromwell

Page 12: HERNANI - acbscene.com©couverte-HERNANI.pdfLa Jeunesse de Charles Quint (l’accent était mis sur la dimension historique et politique) L’Honneur des Vieillards (le personnage
Page 13: HERNANI - acbscene.com©couverte-HERNANI.pdfLa Jeunesse de Charles Quint (l’accent était mis sur la dimension historique et politique) L’Honneur des Vieillards (le personnage

- Albert Besnard, La première d’Hernani

Page 14: HERNANI - acbscene.com©couverte-HERNANI.pdfLa Jeunesse de Charles Quint (l’accent était mis sur la dimension historique et politique) L’Honneur des Vieillards (le personnage

HERNANI, VICTOR HUGO

Page 15: HERNANI - acbscene.com©couverte-HERNANI.pdfLa Jeunesse de Charles Quint (l’accent était mis sur la dimension historique et politique) L’Honneur des Vieillards (le personnage
Page 16: HERNANI - acbscene.com©couverte-HERNANI.pdfLa Jeunesse de Charles Quint (l’accent était mis sur la dimension historique et politique) L’Honneur des Vieillards (le personnage