Hautcoeur, Pierre-Cyrille - La Crise de 1929

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Pierre-Cyrille Hautcœur

La crise de 1929

~ OéCDu""rte 9 bis, rue AbeL-HoveLacque 75013 Paris

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Remerciements. Ce livre a été rédigé au cours d'un séjour au Centra de Estudios Avanzados en Ciencias Sociales de la Funda­cion Juan March que je remercie - en particulier son directeur Ignacio Sanchez Cuenca - pour son hospitalité chaleureuse et stimulante. Je remercie aussi tous les collègues avec lesquels j'ai discuté de la période couverte par ce livre au cours des ans ou qui ont répondu à des questions spécifiques lors de la prépara­tion de cet ouvrage, en particulier J.-Ch. Asselain, P. Baubeau, B. Blancheton, M. Bordo, S. Broadberry, B. Eichengreen, M. Lescure, D. Lévy, M. Lévy-Leboyer, K. Mouré, T. Piketty, A. Ritschl, A. Riva, P. Sicsic, M. Spoerer, A. Straus. Je remercie également Pascal Combemale, Guiomar Hautcceur, Claire Lemercier et Claire Zaie pour leurs lectures attentives du manus­crit. Les discussions avec mes étudiants de master de l'univer­sité Paris-l, de l'EHESS et de l'École d'économie de Paris ont aussi contribué à clarifier et améliorer nombre de passages. Toutes les erreurs ou obscurités restent bien sûr de mon seul fait.

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© Éditions La Découverte, Paris, 2009.

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Introduction

Au milieu de 1929, le monde semble installé dans une période de prospérité. Après des années de tensions politiques entre grandes nations à la suite du règlement difficile de la Première Guerre mondiale, la paix paraît rétablie durablement. En août, l'Allemagne ratifie le plan Young, qui réduit les réparations de guerre et prévoit l'évacuation de la Rhénanie par les troupes françaises tout en donnant des garanties internationales de paie­ment aux Alliés. Le 5 septembre, Aristide Briand propose à l'Assemblée de la Société des Nations la constitution des États-Unis d'Europe.

À cette date, la récession, qui a déjà commencé dans certains pays (en particulier en Allemagne, au Brésil ou au Canada), n'inquiète pas: nombre d'hommes politiques et d'économistes croient qu'une nouvelle ère de croissance permanente a commencé, dans laquelle les crises sérieuses sont exclues. C'est le krach boursier qui frappe les esprits : du Black Thllrsday au Black TlIesday (24 et 29 octobre), la Bourse de New York connaît un véritable effondrement et les hommes d'affaires ruinés volent, dit-on (à tort), des gratte-ciel de Wall Street. L'économie bascule dans la récession: la production d'automobiles s'effondre, les usines ferment, les queues s'allongent aux bureaux d'embauche et de bienfaisance. En un an, la produc­tion industrielle mondiale baisse de 12 % et le commerce inter­national recule pour la première fois depuis le début de la décennie. Chaque mois, de nouveaux pays entrent en récession. Surtout, la reprise, qui plusieurs fois pointe un nez timide, tarde à se manifester.

Un deuxième grand choc a lieu en 1931 : une crise financière internationale partie d'Europe centrale renverse en quelques

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les mots de la crise

La crise est le moment où la conjoncture se retourne à la baisse. Elle est particu­lièrement aiguë et visible sur les marchés financiers, où on la qualifie de krach quand les cours baissent brutalement. La récession est un ralentissement de la croissance ou une période limitée (un ou deux ans au maximum) de recul de la production, au cours de laquelle le chômage augmente parfois fortement. Une dépression consiste en une baisse durable de la production et un chômage élevé et prolongé. Des mécanismes récessifs cumulatifs y sont à l'œuvre, qui empê­chent une reprise. La déffation est une baisse soutenue des valeurs nominales d'une économie (quantité de monnaie, prix, valeur de la production).

mois le système d'étalon-or jusque dans le pays qui en était à la fois le symbole et le défenseur intransigeant depuis deux siècles: la Grande-Bretagne. Elle aggrave la dépression, qui ne touche finalement son point bas qu'en 1933. À cette date, la production industrielle mondiale est en recul de plus de 40 0/0 et le chômage atteint des niveaux jamais envisagés jusque-là (5,6 millions de chômeurs en Allemagne, 12 millions aux États-Unis, soit dans les deux cas environ 25 % de la population active) ; la crise devient forte même dans des pays initialement moins atteints, comme l'Espagne ou la France, notamment dans l'industrie.

La dévaluation de la livre provoque une véritable débandade et l'abandon de la plupart des efforts de coopération internatio­nale : chaque pays recherche individuellement une solution à ses difficultés, ce qui conduit à des politiques variées d'autarcie (Allemagne), de repli impérial (Grande-Bretagne, France), de protectionnisme (États-Unis), de substitution de la production nationale aux importations (Brésil), politiques qui n'ont en commun que le fait de contribuer à la chute des échanges inter­nationaux et à une recrudescence des tensions internationales. Pour lutter contre la crise, les gouvernements mettent en œuvre des politiques variées et parfois contradictoires, dont les inspira­tions vont du corporatisme au socialisme en passant par la rigueur budgétaire et l'expansion monétaire ... ou l'inverse.

Certains pays connaissent une reprise forte, comme le Japon ou l'Allemagne, tandis que dans d'autres, comme les États-Unis, mais aussi la France, la Belgique ou la Suisse, le PNB de 1939 est à peine supérieur à celui de 1929. Le chômage demeure jusqu'à la guerre très élevé dans de nombreux pays.

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1 NTRODUCTION 5

Graphique 1. Production industrielle, production de produits primaires et commerce international, 1926-1938

(1929 = 100)

130,-----------------------------------------

120t-----------------------------------~/~,----, ' , '

110 t-----------------------------------~,-'~~~',--

100t-----~~~~~------------~7f~--------

90+-~~~----~~----------~----~--~~

80+---------------~~----~~~----------

70+-------------------~~--------------------

Production industrielle

Production de produits primaires

Commerce international

Source: Société des Nations.

Des Interprétations multiples

Les contemporains perçoivent déjà la crise comme exception­nelle. Dès 1934, L. Robbins lui donne l'appellation qui est restée dominante en anglais: the Great Depression. E. Varga suggère son ampleur par l'accumulation des qualificatifs dans La Crise écono­mique, sociale et politique [1934]*. Beaucoup y voient en effet une combinaison de la brutalité des crises financières classiques - qui duraient peu - et de l'autre « grande dépression », celle de l'Angleterre des années 1873-1896 (selon une datation

* Les références entre crochets renvoient à la bibliographie en fin d'ouvrage.

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6 LA CRISE DE 1929

habituelle) - qui fut plutôt une longue stagnation sans recul aigu de la production ni chômage massif.

Cette dépression inégalée par son ampleur comme par sa durée représente depuis quatre-vingts ans un défi pour les sciences sociales et particulièrement la science économique. Son origine, ses causes immédiates ou plus profondes, ses méca­nismes de transmission entre secteurs comme entre pays, les modalités de la reprise, le rôle positif ou négatif des différentes politiques essayées, rien ou presque ne fait l'objet d'un accord général de la part des observateurs contemporains ou des analystes postérieurs.

Nombre d'analyses se limitent à la crise américaine. De fait, les États-Unis sont au cœur de la crise, qui y est d'une gravité exceptionnelle. Les politiques menées par Roosevelt exercent une influence planétaire. Mais la crise y a-t-elle son origine ou ne le croit-on que parce que les États-Unis sont le symbole de la prospérité apparemment inaltérable des années 1920 (le taux de croissance y atteint près de 5 % par an pendant cette décennie) ? En réalité, nombre de pays entrent en récession avant les États-Unis: c'est le cas, dès 1928, de l'Allemagne, de la Pologne, mais aussi de l'Argentine, du Canada, de l'Australie et du Brésil, ce qui rend indispensable d'envisager la dimension internationale du phénomène.

La crise financière est aussi réputée être au cœur de la dépres­sion. Le krach boursier, les faillites bancaires en chaîne, les défauts de paiement de nombreux pays sur leur dette interna­tionale, l'effondrement de l'étalon-or enfin scandent l'histoire de la décennie. Pourtant, les crises financières sont fréquentes depuis des siècles, et ne débouchent pas toujours, loin s'en faut, sur des crises économiques graves. Plus encore, la profondeur et la durée de la dépression donnent aux contemporains l'impression que les mécanismes habituels de rétablissement propres aux économies de marché sont bloqués. Le capitalisme n'est-il plus ce qu'il était? Ou les marxistes qui annoncent la crise finale ont-ils raison? Il est aisé a posteriori de tourner de telles interrogations en dérision, mais le rétablissement du capi­talisme et sa victoire finale sur le communisme soviétique ne vont alors pas de soi, et les conditions qui les permettent sont toujours débattues: est-ce le retour au bon fonctionnement des marchés précédemment entravés qui permet la reprise ou au contraire la mise en place des régulations dont l'absence aurait été à l'origine de la crise?

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INTRODUCTION 7

Ces questions - et nombre d'autres plus précises - ont donné lieu à la publication d'une grande quantité de travaux et de témoignages, dont nous utilisons une sélection dans cet ouvrage. Tout en présentant ces opinions et interprétations souvent contradictoires, nous cherchons à donner une vision ordonnée de la dépression, en suivant les principes suivants. En premier lieu, le caractère mondial de la dépression doit être pris en compte autant que sa profondeur et sa durée. Nous ne nous restreignons donc pas à présenter une interprétation de la dépression comme crise américaine transmise au monde entier par la puissance de l'économie dominante. Si le poids des États-Unis ne doit pas être négligé - en 1929, leur économie « pèse» autant que celles de l'Allemagne, la France, la Grande­Bretagne et l'Italie réunies -, il ne doit pas conduire à oublier le reste du monde. D'ailleurs, si les Européens considérèrent longtemps la crise comme américaine, certains Américains - à commencer par le président Hoover - jugèrent qu'elle trouvait sa source dans l'incapacité des Européens à faire la paix après 1919.

Surtout, nous refuserons la foi en l'effet papillon - l'idée qu'un accident mineur, une erreur localisée de politique écono­mique ou monétaire, peut, par des effets d'amplification, avoir des conséquences majeures. Une dépression aussi importante ne peut se comprendre sans un examen des structures écono­miques, sociales et politiques au sein desquelles elle prend place. Churchill voyait en la dépression un épisode d'une « guerre de trente ans» englobant les deux guerres mondiales. Cette pers­pective, pour être eurocentriste, a l'ampleur qui convient à un tel événement.

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1 / Les conséquences de la guerre

Si la crise de 1929 n'est qu'un épisode d'une vaste « guerre de trente ans », elle ne peut être comprise en dehors d'une vision géopolitique de long terme. Elle apparaît alors comme déter­minée largement par les deux chocs majeurs qui affectent l'ensemble de la vie économique, sociale et politique de l'entre­deux-guerres : la Grande Guerre et la révolution russe. Cette dernière établit un nouveau modèle de société, en rupture avec l'économie de marché ouverte internationalement, qui exerce une véritable fascination sur une partie des populations euro­péennes comme sur nombre d'économistes, d'hommes poli­tiques ou de réformateurs sociaux. Alors que de nouvelles démocraties émergent et que le suffrage universel se répand, le modèle soviétique (réel ou imaginé) entraîne une exigence de nouveaux droits politiques et sociaux. En résulte une polarisa­tion de la vie politique, la radicalisation de la droite répondant à la poussée de l'opinion à gauche. L'influence soviétique, pour être importante, reste diffuse, dans la mesure où la jeune Union soviétique reste isolée. Elle pèse néanmoins sur les choix de poli­tiques économiques, en particulier dans les années 1930, quand le « retour à la normale » semble avoir échoué. L'impact de la Grande Guerre est encore plus direct, car elle bouleverse les finances publiques, la monnaie, les relations économiques inter­nationales et les modalités de l'intervention de l'État, selon des formes qui toutes déterminent fortement le démarrage de la crise. Nous les discutons uniquement dans la mesure de cette influence et reviendrons sur les détails de celle-ci dans les chapitres suivants.

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LES CONStQUENCES DE LA GUERRE 9

Le coût de la guerre

La Grande Guerre marque la fin d'un monde, celui dans lequel l'Europe dominait la planète et y assurait une certaine stabilité économique et politique. Les conséquences de la guerre diffèrent cependant beaucoup d'un pays à l'autre, ce qui contri­buera aux déséquilibres et aux malentendus des années 1920 puis à la crise des années 1930 [Asselain, 1995].

Les pays belligérants sortent très appauvris de la guerre. Les pertes humaines sont spécialement considérables en France et en Allemagne, un peu moindres en Grande-Bretagne, en Italie ou en Autriche-Hongrie et surtout aux États-Unis. Ces pertes affectent le potentiel de développement économique futur. Les destructions matérielles sont particulièrement lourdes dans les pays où ont eu lieu des combats, ce qui épargne largement l'Alle­magne et la Grande-Bretagne.

Tableau 1. Pertes humaines, destruction de capital physique et pertes totales de richesse dues à la Grande Guerre (en % du stock d'avant guerre)

Alliés Grande-Bretagne France Russie Italie États-Unis Pouvoirs centraux Allemagne Autriche-Hongrie Turquie et Bulgarie

Pertes humaines

3,6 7,2 2,3

0,3

6,3 4,5 6,8

Biens physiques

9,9 59,6 14,3

3,8

3,1 6,5

Pertes matérielles

Richesse financière

23,9 80

15,9

51,6

Richesse totale

14,9 66

54,7

Légende: les pertes humaines sont les décès de militaires considérés en pourcentage de la

population active; les pertes de biens physiques incluent les immeubles, navires, installations

industrielles et autres richesses matérielles détruites ou endommagées du fait de la guerre;

la richesse financière est la variation du patrimoine financier net sur le reste du monde (par exemple, les emprunts russes détenus en France, ou les obligations américaines revendues par les Anglais), y compris les réparations pour l'Allemagne (dans leur version maximale de

132 milliards de maf1<s..or) et les dettes de guerre nettes pour l'Angleterre et la France (pour

celle-ci, ces dettes représentent la moitié de la détérioration de la position nette sur l'étranger).

Source: Broadberry et Harrison [2005), légèrement corrigé.

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10 LA CRISE DE 1929

Certains pays neutres bénéficient de la guerre, qui accroît la demande pour leurs exportations. C'est le cas par exemple de l'Espagne et surtout, jusqu'à 1917, des États-Unis. La production augmente aussi chez certains des belligérants grâce à une hausse de la population active, mais ce n'est le cas ni en Allemagne (où sévit une pénurie alimentaire) ni en France du fait de l'invasion d'une partie du territoire. Alors que le PIB est en 1918 supérieur à celui de 1913 de 13 % en Grande-Bretagne, de 33 % en Italie et de 15 % aux États-Unis, il est en France inférieur de 34 % (la production industrielle de 50 %) et en Allemagne de 18 %. Plusieurs années sont dans ces derniers cas nécessaires pour retrouver le niveau de production d'avant guerre.

Pendant la guerre, les Alliés liquident une partie de leurs créances sur le reste du monde pour payer les importations nécessaires à la conduite de la guerre. Les actifs nets des puis­sances européennes sur l'extérieur baissent fortement (de moitié dans le cas français, surtout du fait de la répudiation des dettes russes; d'un quart pour la Grande-Bretagne), tandis que les États-Unis, anciens débiteurs, deviennent créanciers nets. Durant la guerre, la solidarité financière entre Alliés conduit à la naissance de très fortes dettes interalliées, principalement envers les États-Unis, qui deviennent le grand créancier interna­tional. Ces dettes de guerre jouent un rôle important durant tout l'entre-deux-guerres en provoquant des tensions entre les alliés de la veille.

La France, quoique victorieuse, sort de la guerre beaucoup plus affaiblie encore que l'Allemagne. Elle doit recevoir la moitié des réparations qui sont exigées de celle-ci selon une pratique établie en particulier en 1815 et 1870 à ses propres dépens. Le montant des réparations est fixé en 1921 à 132 milliards de marks-or (soit 2,7 fois le PIB allemand de 1913). Ce montant élevé reflète le coût de la guerre pour les Alliés, mais résulte aussi d'objectifs politiques: pour les uns (Raymond Poincaré en France), les réparations doivent affaiblir assez l'Allemagne pour éviter toute velléité de revanche; pour les autres (Aristide Briand, Louis Loucheur), elles sont révisables à la baisse dans un processus vertueux de renégociation qui doit attacher )' Alle­magne à la démocratie et à )a paix.

Sous l'influence du délégué anglais, l'économiste John Maynard Keynes, qui juge les réparations excessives [Keynes, 1919; en sens inverse, Ohlin, 19291, )e paiement d'une partie importante de celles-ci est soumis d'emblée à une forte

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LES CONSÉQUENCES DE LA GUERRE 11

Tableau 2. Dettes interalliées et position extérieure nette (hors réparations) en 1919 (en millions de dollars)

Dettes interalliées Prêteurs

Emprunteurs États-Unis Grande-Bretagne France Total

Grande-Bretagne 4000 0 0 4000 France 2425 1950 0 4375 Russie 190 2600 800 3590 Italie 1 375 1950 175 3500 Belgique 280 450 450 1180 Autres pays 70 305 400 775

Total 8340 7255 1825 17420

Créances publiques nettes 8340 3255 - 2550 Créances privées nettes 3000 13400 4300

Position extérieure nette 11 340 16655 1 750

Lecture: au titre des dettes interalliées, la Grande-Bretagne a emprunté aux États-Unis 4000 millions de dollars et prêté à d'autres alliés 7255 millions; son solde net de créances publiques est donc de 3255 millions (7 255-4 000). Ses créances privées sont de 13400 millions. D'où une position extérieure nette de 16655 millions.

Source: Asselain [1995, p. 65 et 87].

amélioration de la situation économique de l'Allemagne, de sorte que les paiements prévus annuellement restent tolérables (de l'ordre de 5 % du PIE par an). Néanmoins, les forces poli­tiques nationalistes suivies par une partie importante de la population allemande s'opposent de toutes leurs forces à ces paiements. Ceux qui tentent de rétablir la confiance avec la France en vue de les aménager sont discrédités, voire assassinés, comme le ministre des Affaires étrangères Walter Rathenau en juin 1922.

En 1923, 1'« année terrible », les tentatives de putsch nazi et d'insurrection communiste menacent l'Allemagne de guerre civile et l'Europe de reprise de la guerre: le non-paiement des réparations débouche sur l'occupation de la Ruhr par la Belgique et la France. Une hyperinflation détruit la monnaie allemande. Gustav Stresemann obtient la fin de l'occupation, la restauration du mark, la réduction des réparations par le plan Dawes de 1924, puis la réintégration de l'Allemagne dans le concert des nations au traité de Rapallo (pour lequel il obtient le prix Nobel de la paix en 1926 avec Aristide Briand). Il est aussi l'artisan de la mise

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en place - à commencer par l'emprunt Dawes en 1924 - des «réparations américaines à l'Allemagne» [Schuker, 1988], c'est­à-dire de l'endettement massif qui permet à l'Allemagne de payer les réparations sans peine jusqu'à 1929 et solidarise les États-Unis à son sort au nom du «rempart contre le bolche­visme ». Au même moment, la France se voit refuser l'accès au marché financier américain du fait qu'elle revendique un lien entre dettes de guerre et réparations [Schuker, 1976].

À la fin de la décennie, la situation internationale est fragile. La France rivalise avec l'Angleterre pour exercer une influence en Europe centrale et balkanique. L'endettement extérieur alle­mand atteint un niveau très élevé si l'on additionne dettes privées et réparations, ce qui fait peser le risque de l'annulation de ces dernières, d'autant que les nationalistes ne désarment pas et que l'artisan de la paix, Streseman, meurt en octobre 1929. Les États-Unis, où l'isolationnisme est puissant, se refusent à inter­venir dans les conflits européens. Ces différents éléments auront une influence importante sur le déroulement de la crise.

Déséquilibres monétaires et budgétaires

Pendant la guerre, tous les pays belligérants suspendent la libre convertibilité en or de leurs monnaies et établissent des formes de contrôle des changes. Rétablir l'étalon-or - en qui les contemporains voient le garant de la stabilité des prix et de la libre circulation des capitaux - est une priorité pour tous les pays à la fin des hostilités. L'équilibre budgétaire l'est égaIe­ment: parce qu'il risque d'être monétisé, il peut empêcher la stabilisation monétaire. Ces objectifs sont difficiles à atteindre du fait des déséquilibres issus de la guerre.

Équilibre budgétaire et redistribution

La guerre bouleverse les finances publiques. Dans tous les pays belligérants, les dépenses budgétaires explosent, passant de l'ordre de 10 % à parfois près de 50 % du PIB, tandis que les recettes n'augmentent guère. Les États financent les déficits par le crédit. Mais tandis que certains bénéficient d'un marché financier très développé et s'endettent à long terme, d'autres empruntent à court terme ou créent de la monnaie, engendrant le risque d'une forte inflation si le public cesse soudainement

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LES CONSÉQUENCES DE LA GUERRE 13

d'accepter en paiement bons du Trésor ou billets de banque. Pour simplifier, la Grande-Bretagne emprunte le premier chemin, l'Allemagne le second, tandis que la France choisit une solution intermédiaire.

Au lendemain de la guerre, l'équilibre budgétaire est vite rétabli en Grande-Bretagne au prix de fortes hausses d'impôts. Il ne peut pas l'être avant 1924 en France, où la dette accumulée est plus élevée et où les pensions de guerre et la reconstruction coûtent cher [Bordo et Hautcœur, 2007]. Comme en Alle­magne, mais en sens inverse, la question budgétaire est mêlée aux débats sur les réparations et les dettes de guerre, dans la mesure où celles-ci affectent sensiblement les budgets. Le main­tien de déficits budgétaires conduit inévitablement (même si le choix n'est jamais explicitement fait) à l'inflation, qui réduit le montant réel de la dette et des intérêts à payer. Elle est possible parce que les gouvernements ont repris pendant la guerre l'auto­rité sur les banques centrales et les font monétiser leurs déficits.

En Allemagne, mais aussi en Autriche, en Hongrie et en Pologne, la conflictualité forte de la politique interne et externe conduit à des vagues d'inflation qui débouchent sur l'hyperin­flation et la disparition de la monnaie entre 1922 et 1924 [Webb, 1986; Wicker, 1986]. Dans tous ces cas, l'équilibre budgétaire n'est atteint qu'une fois la dette publique liquidée par l'hyperinflation. Une nouvelle monnaie est alors créée, tandis que la banque centrale est dotée de statuts qui lui inter­disent toute velléité inflationniste. Néanmoins, les séquelles sont lourdes: les rentiers ruinés sont renforcés dans leur natio­nalisme conservateur, les marchés financiers ont disparu, et les populations sont traumatisées par la disparition de la monnaie et l'énorme redistribution qu'elle a créée. Désormais, l'inflation est bannie des politiques envisageables, y compris au cœur de la déflation des années 1930.

Dans les autres pays européens, l'inflation est arrêtée au moment où la possibilité d'une stabilisation budgétaire est atteinte, en général entre 1924 et 1928. En Belgique, France, Italie, Tchécoslovaquie ou au Portugal, l'équilibre budgétaire est obtenu par des combinaisons variables de hausses d'impôts, de baisse des dépenses publiques et de réduction de la dette publique par l'inflation. À un moment, la résistance à l'inflation devient plus forte que la répugnance à l'impôt, et une coalition politique réussit à atteindre l'équilibre budgétaire, même si les conflits politiques sur le sujet sont toujours durs [Alesina, 1988].

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De la stabilisation budgétaire au choix de la parité monétaire

Le retour à l'équilibre budgétaire est une condition de la stabi­lisation monétaire, c'est-à-dire, à l'époque, du retour à l'étalon-or. Il n'est pas la seule. Comme l'explique une note de 1928 de P. Quesnay, directeur à la Banque de France et futur directeur de la Banque des règlements internationaux [Quesnay, 1994]. un retour réussi à l'étalon-or suppose aussi la détention de réserves suffisantes par la banque centrale et une parité adaptée qui permette, à terme, un équilibre de la balance des paiements (voir encadré).

Le choix des parités donne lieu à des erreurs dénoncées dès l'époque par Keynes dans le cas anglais [Keynes, 1925]. En Grande-Bretagne, en effet, le gouvernement annonce dès 1919, sous la pression de la City (dont la réputation en dépend), que le rétablissement de la convertibilité de la livre à sa valeur d'avant guerre est un objectif prioritaire. Ceci implique le retour au taux de change antérieur avec le dollar (qui est de nouveau conver­tible depuis 1919), et donc une baisse des prix anglais jusqu'au niveau des prix américains. Grâce à une politique d'austérité radicale en Grande-Bretagne, la convertibilité de la livre est réta­blie en 1925 après une baisse des prix d'un tiers, au prix d'une stagnation économique, d'un chômage massif et d'une répres­sion sociale (celle de la grève des mineurs de 1921 puis de la grève générale de 1926 en particulier). La livre reste d'ailleurs encore surévaluée.

Un certain nombre de pays de la zone d'influence de l'Angle­terre la suivent dans ce retour à la parité-or d'avant guerre, en particulier l'Irlande, les pays scandinaves (sauf la Finlande) et la Suisse. Les coûts sont pour eux beaucoup plus faibles car ils n'ont pas encouru les coûts de la guerre et n'ont pas connu d'inflation excessive.

En France, l'équilibre budgétaire est atteint en 1924, mais la stabilisation monétaire échoue du fait des craintes suscitées par les projets fiscaux du Cartel des gauches (qui arrive au pouvoir en mai) ; ceci conduit à une dépréciation supplémentaire du franc et à une stabilisation à une parité réduite de 80 % par rapport à l'avant-guerre [Hautcceur et Sicsic, 1999]. C'est le « franc de 4 sous » ou franc Poincaré. L'inflation du début des années 1920 a ruiné les rentiers et réduit les salaires réels mais facilité l'investissement et une forte croissance. La stabilisation est coûteuse à court terme, car les activités les plus favorisées par

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LES CONSÉQUENCES DE LA GUERRE 15

le choix d'une parité monétaire: la parité de pouvoir d'achat

Le choix d'une parité (le contenu en or d'une unité monétaire) dans le cadre d'un système d'étalon-or est complexe. Il fait l'objet à l'époque de débats dominés par Gustav Cassel, auteur de la théorie de la parité de pouvoir d'achat [Cassel, 1923]. Selon celui-ci, le taux de change doit égaliser le niveau moyen des prix entre deux pays (si une même voiture coûte 1 000 francs en France et 2000 marks en Allemagne, le franc doit valoir environ 2 marks). Si l'on veut fixer un taux de change différent de celui qui réalise cette égalité, il faut donc faire varier les prix. Si l'objectif est un taux de change élevé (une monnaie nationale valant davantage d'unités des monnaies étrangères), cela implique la baisse des prix nationaux. Une politique déflationniste (ou d'. austérité ») est requise: en général coûteuse économiquement, elle implique une hausse des taux d'intérêt, une réduction du crédit, une baise de l'activité et une hausse du chômage de manière à peser sur les salaires et à permettre la baisse des prix.

La théorie de Cassel est largement acceptée, mais difficile à mettre en œuvre: comment comparer les prix? Peut-on considérer que la parité était atteinte pour une année connue et se contenter d'indices des prix nationaux? Quels indices? Avec quelle(s) monnaie(s) la comparaison doit-elle être faite? Que peut-on faire si les autres pays poursuivent des politiques contradictoires avec la parité choisie? Aucune de ces questions n'est vraiment résolue.

l'inflation et la dépréciation de la monnaie doivent se restruc­turer, mais elle démontre rapidement des effets favorables: les taux d'intérêt bas et la croissance du crédit permettent une vive croissance à la fin des années 1920.

Les stabilisations de la Belgique et des Pays-Bas en 1925, de l'Italie en 1927 ont chacune leurs propres péripéties mais abou­tissent au même résultat: le retour à l'étalon-or à des parités inférieures à celles de 1914. Elles contribuent également à l'atta­chement à l'étalon-or et à l'hostilité envers l'inflation, senti­ments moins radicaux qu'en Allemagne mais plus forts qu'en Angleterre, qui a payé sa parité d'une décennie de stagnation. Quoi qu'il en soit, lorsque l'étalon-or est rétabli formellement en France en juin 1928, tous les principaux pays sont de nouveau réunis dans un même système monétaire, ce qui crée un sentiment d'euphorie générale. Pourtant, de graves problèmes demeurent irrésolus lorsque la crise survient.

Problèmes non résolus

En 1928, la livre est encore nettement surévaluée par rapport à la plupart des monnaies, et le franc, la lire ou le franc belge

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16 LA CRISE DE 1929

sont sans doute sous-évalués [Sicsic, 1992], tous déséquilibres qui résultent de stabilisations récentes et non coordonnées.

Par ailleurs, le niveau mondial des prix est sensiblement plus élevé qu'en 1913. Ce qui serait sans importance dans un système de changes fixes non ancré à l'or, crée en étalon-or un risque de pression à la baisse sur les prix mondiaux, car la quantité d'or détenu en réserve par les banques centrales est trop faible relativement à la quantité de monnaie qu'elles ont créée. Ce « problème de l'or» est discuté aux conférences monétaires internationales de Bruxelles en 1921 et de Gênes en 1922, mais n'est pas vraiment réglé. Il tend à se résoudre peu à peu dans les années 1920 (la quantité d'or monétaire augmente et le niveau mondial des prix tend à baisser) mais demeure sans doute présent à la fin de la décennie.

La solution proposée par l'Angleterre, l'étalon de change or, se met en place de facto (comme elle l'avait parfois fait, d'ailleurs, dès avant 1914). Elle consiste à distinguer deux catégories de banques centrales et deux catégories de réserves: les banques centrales de premier rang (celles des États-Unis et d'Angleterre) n'auraient que de l'or en réserve, tandis que celles de second rang pourraient avoir comme réserve des dépôts dans les banques de premier rang. En d'autres termes, les banques de premier rang deviendraient les banques centrales des autres, selon le même principe qui établit dans chaque pays les banques centrales comme émetteurs de la monnaie de réserve des banques ordinaires. À une différence près : au sein d'un pays, le gouvernement peut imposer aux banques la détention de réserves en monnaie de la banque centrale, ce qui est impos­sible au niveau international tant que les États sont souverains. Avoir une banque centrale de second rang est clairement perçu dans les années 1920 comme un signe de souveraineté impar­faite. Cela conduit en particulier la France à revendiquer le droit de liquider les devises acquises provisoirement à titre de réserve (lors de la spéculation à la hausse du franc qui suit la stabilisa­tion Poincaré) pour rétablir un « véritable » étalon-or. Cela mène aussi à une concurrence entre la France et l'Angleterre (via les gouverneurs de leurs instituts d'émission, Émile Moreau et Montaigu Norman) pour convaincre les nouveaux pays d'Europe centrale d'ancrer leurs monnaies sur la leur, ceci étant vu comme un renforcement des relations diplomatiques, condi­tion désormais de la stabilité monétaire.

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LES CONSÉQUENCES DE LA GUERRE 17

Tout ceci fait du système monétaire international un lieu de concurrence politique entre pays, alors même que les interdé­pendances sont renforcées. La seule manière d'éviter cette inter­dépendance serait une dévaluation simultanée de toutes les monnaies. Mais une telle solution requiert une coopération internationale sans faille ou l'existence d'un pouvoir hégémo­nique capable de l'imposer. Elle ne sera même pas envisagée lorsque les tensions financières menaceront l'édifice fragile de l'étalon de change or.

Autres transformations des relations économiques internationales

Si les conséquences financières et monétaires de la guerre sont les plus frappantes dans l'immédiat, d'autres sont également importantes. La guerre transforme profondément les relations économiques internationales ou accélère les évolutions en cours. Son premier effet direct est la multiplication des frontières en Europe, liée à la création de pas moins de sept nouveaux États et à la modification des frontières de huit autres. Il en résulte des tensions politiques durables, mais également une baisse des échanges, chaque nouveau pays tendant à privilégier le commerce intérieur sur ce qui devient des échanges internatio­naux [Ménil et Maurel, 1994]. À terme, le morcellement renforce l'influence allemande dans la région, spécialement après 1929.

Pendant la guerre, les Alliés importent massivement pour équiper leurs armées ou nourrir leur population, tandis qu'ils abandonnent certaines productions pour réorienter leur indus­trie vers l'effort de guerre. Les empires centraux ont du mal à maintenir leurs relations commerciales outre-mer. Nombre de pays asiatiques ou américains en profitent pour pénétrer des marchés jusque-là occupés par les industriels européens. Au lendemain de la guerre, ceux-ci ne peuvent pas toujours les reprendre. Les États-Unis en Amérique latine, le Japon en Asie, d'autres ici ou là ont désormais des réseaux établis et leurs produits sont devenus compétitifs grâce à des améliorations ou à des économies d'échelle. C'est le cas de la construction navale scandinave comme du textile japonais ou indien.

Même en matière financière, l'Angleterre - et plus encore la France ou la Belgique - perd sa suprématie au profit de New York, désormais principale place financière et exportatrice de

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capitaux du monde. Les efforts de la City pour reprendre sa place ne conduisent qu'à fragiliser sa situation: du fait de l'état de sa balance des paiements, elle ne peut plus exporter de capitaux qu'au prix d'un endettement à court terme auprès de l'étranger.

Inversement, les États-Unis gardent une balance commer­ciale toujours bénéficiaire et, quoique devenus les premiers exportateurs de capitaux, n'investissent pas assez à l'étranger pour compenser ces excédents, de sorte qu'ils accumulent de l'or et exercent une influence déflationniste sur l'économie mondiale au lieu de lui servir de locomotive. La tradition protec­tionniste américaine joue ici un rôle important.

Ces bouleversements conduisent à des pressions protection­nistes qui obtiennent dans les années 1920 assez souvent satis­faction, qu'il s'agisse des agriculteurs allemands ou français ou des industriels américains. Ceci conduit aussi à tendre les rela­tions internationales.

Transformations sociales et intervention de l'État

La guerre voit même les gouvernements les plus libéraux prendre peu à peu le contrôle de l'économie pour la soumettre à une véritable mobilisation. L'expérience acquise par un certain nombre d'hommes politiques (Albert Thomas ou Étienne Clémentel en France, Walther Rathenau en Allemagne, Lloyd Georges ou Winston Churchill en Angleterre, Herbert Hoover aux États-Unis) sera sans doute mise à profit dans les années 1930. Mais, dans l'immédiat, cette intervention, consi­dérée comme temporaire par nature, est réduite dès la fin de la guerre.

D'ailleurs, les budgets refluent rapidement: si l'on exclut les intérêts de la dette publique, les dépenses gouvernementales retrouvent des niveaux proches de l'avant-guerre dans presque tous les pays, et le désir de retour à la belle époque de l'ordre libéral est largement partagé au sein des élites dirigeantes. Les dépenses sociales, qui avaient commencé à augmenter avant la guerre, que ce soit en Allemagne avec les assurances sociales mises en place par Bismarck, en Angleterre ou en France, ne connaissent pas d'accélération liée à la guerre ni de transforma­tions majeures avant les années 1930 [Lindert, 19941.

Pourtant, la guerre accentue bien la tendance à la coordina­tion hors marché, à la concentration et à la cartellisation de

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LES CONS~QUENCES DE LA GUERRE 19

certaines industries, les gouvernements y poussant, comme parfois à la constitution de syndicats, car ils y voient des interlo­cuteurs commodes pour accélérer la production nécessaire aux armées et régler les tensions sociales (fortes par exemple en France en 1917). Ces organisations une fois en place ne dispa­raissent pas si facilement (voir par exemple, pour la France, Kuisel [1981]). Ce développement des groupes de pression accentue aussi les pressions protectionnistes.

De manière sans doute plus limitée aux pays les plus affectés par le conflit, un autre changement renforce celui-ci: la raréfac­tion de la main-d'œuvre, même si elle a été en partie compensée par l'augmentation de l'emploi féminin ou par l'immigration, renforce la position des travailleurs dans la négociation sala­riale. L'augmentation de la syndicalisation et l'accroissement des revendications de salariés y contribuent aussi. Ancienne revendication des syndicats, la réduction du temps de travail est favorisée par les gouvernements qui y voient une manière de récompenser les travailleurs manuels de leurs efforts de guerre et d'occuper les démobilisés. Une loi imposant la journée de huit heures est adoptée en France dès avril 1918, et en Italie pour les arsenaux et les chemins de fer publics en juin 1919 [Fridenson, 1977].

Même sans impulsion gouvernementale, la réduction du temps de travail se diffuse rapidement partout. Elle s'accom­pagne aux États-Unis de freins mis à l'immigration sous la pres­sion des syndicats, qui s'assurent ainsi de la durée des hausses de salaire. Dans d'autres pays où cette soupape ne joue pas, et spécialement lorsque la croissance est médiocre à cause de poli­tiques monétaires restrictives, la poussée des salaires à la hausse produit du chômage, comme en Allemagne et surtout en Angle­terre [Eichengreen et Hatton, 1988].

Enfin, la nécessité d'accroître les recettes fiscales pour faire face d'abord à la guerre puis au paiement des dettes accumulées conduit à l'apparition d'impôts nouveaux ou à un accroisse­ment sensible de la progressivité des impôts existants (en France, le taux marginal de l'impôt sur le revenu atteint 90 % en 1924, voir Piketty [2001]). Si la fiscalité est fréquemment réduite une fois les stabilisations monétaires et budgétaires réalisées, l'idée demeure qu'il est possible, sans conséquences dramatiques, d'augmenter fortement les taux d'imposition, voire de diminuer ainsi les inégalités.

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20 LA CRISE DE 1929

Les conséquences de la guerre sont donc très fortes sur l'ensemble de l'entre-deux-guerres : l'équilibre des puissances est profondément modifié, et l'Europe s'avère trop faible et divisée pour contrôler l'économie mondiale. Les déséquilibres budgé­taires et monétaires imposent des stabilisations que les tensions politiques internes comme externes issues de la guerre rendent difficiles à mener au plan national, et plus encore à coor­donner internationalement, d'où une grande fragilité à la fin des années 1920. Enfin, si certaines interventions de l'État inventées pendant la guerre ou à son lendemain peuvent perturber les mécanismes de l'économie libérale, les espoirs éveillés par les réalisations de politiques de coordination centra­lisée, par certaines politiques sociales ou par des expériences d'association des syndicats à l'organisation de guerre restent d'autant plus forts qu'ils ont été largement enterrés en 1918. Quelle que soit l'origine que l'on attribue à la dépression des années 1930, cette tension joue certainement en faveur de son aggravation.

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Il / Une crise structurelle du capitalisme?

Au moment où la crise de 1929 prend les dimensions d'une dépression, un certain nombre d'observateurs y voient la démonstration de l'instabilité structurelle du capitalisme, voire de la nécessité du socialisme. À la différence de celles qui souli­gnent les conséquences de la guerre, ces explications inscrivent la crise dans un temps long qui n'est pas politique mais écono­mique. Elles s'apparentent aux théories cycliques, en les radica­lisant, puisque la crise ne débouche pas comme dans celles-ci sur une reprise spontanée. Si la confiance dans le caractère stabili­sateur des marchés a conduit à leur marginalisation depuis les années 1980, on ne saurait négliger que même un admirateur du capitalisme aussi fervent que Joseph Schumpeter finit, dans Capitalisme, socialisme et démocratie [1942], par juger le socia­lisme inéluctable, alors même que trois ans plus tôt, dans Business Cycles, il pensait encore en termes de cycles. La crise renforce aussi le doute envers la capacité autorégulatrice du marché : K. Polanyi, dans La Grande Transformation [1945], démontre ainsi le caractère autodestructeur de marchés non régulés du travail, de la terre et de la monnaie, et, si ses exemples portent surtout sur le XIX' siècle, c'est bien la crise des années 1930 qui le motive et lui donne un large écho.

Ces explications structurelles, qui restent indispensables à ceux qui cherchent à comprendre la crise dans le contexte large des transformations de l'économie mondiale au xx' siècle, centrent leur analyse sur deux sujets: le premier est l'instabilité durable des marchés de produits primaires, en particulier agri­coles. Le second est la tendance à la surproduction dans le capi­talisme le plus avancé, en particulier aux États-Unis.

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22 LA CRISE DE 1929

Une crise agricole mondiale

Si la baisse des prix est au cœur de la dépression, alors il n'est pas de secteur plus touché que l'agriculture et la production de produits primaires. La chute des prix y commence tôt, avant que la crise ne touche le reste des économies. Ces secteurs représen­tent alors 60 % des échanges économiques mondiaux et plus d'un tiers de la population active dans la plupart des pays. On ne peut donc exclure que leur crise soit la cause essentielle de la dépression.

Une surproduction chronique

L'agriculture mondiale rencontre de grandes difficultés dans les années 1920. Après la période dorée de la guerre, durant laquelle les prix s'étaient envolés, une crise de restructuration a lieu pour certaines productions en 1921. Pourtant, celle-ci ne débouche pas sur une véritable stabilisation. Pendant toutes les années 1920, la reprise de la production en Europe pèse sur les prix du blé, du beurre, du sucre ou de la soie. La croissance des récoltes de pays traditionnellement importateurs, mais qui cher­chent à accroître leur autosuffisance, a le même effet pour le riz [Latham, 1981]. Malgré cela, les surfaces nouvellement cultivées - un accroissement d'un tiers des emblavures en blé par exemple, surtout au Canada, en Australie et en Argen­tine - ne sont pas rendues à la nature, car les fermiers ont engagé des dépenses d'installation importantes et espèrent une remontée des prix [Timoshenko, 1933]. De fait, il est notoire­ment difficile d'interpréter les variations de prix et de s'y adapter: les accidents climatiques jouent toujours un rôle important dans le niveau des récoltes, de sorte que les baisses des prix ne sont pas toujours faciles à attribuer à un excès de surfaces cultivées par rapport à ce qui serait nécessaire en moyenne pour satisfaire la demande. En l'absence d'une information statis­tique de qualité et de sa bonne compréhension, nombre de fermiers s'attendent au retour des prix « normaux» (selon leur expérience) et pensent que leurs gains de productivité leur permettront des profits suffisants. Pour d'autres produits comme le caoutchouc ou le café, mais aussi dans les mines, le délai entre les décisions d'investissement de capacité et le début effectif de la production peut atteindre plusieurs années, ce qui accroît les risques de fortes fluctuations des prix.

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UNE CRISE STRUCTURELLE DU CAPITALISME 23

D'autres raisons permettent de comprendre le maintien de la croissance de la production malgré une consommation qui ne suit pas. Un certain nombre d'interventions des autorités publiques vont en ce sens : fixation de prix et achat des excé­dents; protection douanière; subventions directes ou indem­nités de guerre grâce auxquelles se reconstruisent maintes agricultures européennes. Même la Grande-Bretagne - tradi­tionnellement libre-échangiste - met en place dès 1919 une préférence impériale pour le sucre de canne puis, en 1924, des subventions pour la production de betterave sucrière [Eichen­green, 1992].

Mais les États ne sont pas seuls en cause, et leurs interven­tions seraient bien en peine d'affecter ce marché mondial si les marchés financiers n'allaient pas dans le même sens.

Or l'agriculture bénéficie largement du développement du crédit. Aux États-Unis, les banques, particulièrement dans l'ouest, financent des achats de terres aux prix élevés de la guerre et de l'immédiat après-guerre, puis les investissements néces­saires pour les mettre en valeur et les exploiter (c'est la grande époque de la mécanisation de l'agriculture céréalière). Pendant toute la décennie, elles sont dépendantes de la santé du secteur agricole. À l'échelle internationale, les crédits affluent aussi depuis New York vers les nouveaux producteurs agricoles d'Amérique latine et d'Océanie, voire d'Afrique, développant la production ou les infrastructures portuaires ou ferroviaires qui facilitent l'intégration au marché mondial [Kindleberger, 1973].

La chute des prix

Tous ces mécanismes contribuent longtemps à maintenir le niveau de la production au-dessus de celui de la demande. De ce fait, les prix baissent pour la plupart des produits agricoles et des produits miniers à partir de 1925, voire avant. En 1928 et 1929, les récoltes atteignent des niveaux record pour de nombreux produits. Sur le marché du blé, le retour massif de l'URSS en 1929 surprend tous les producteurs (la Russie était un grand exportateur avant 1914 mais était restée à l'écart du marché mondial depuis la révolution). La chute des prix s'accentue alors. Entre 1929 et 1932, les baisses de prix sont spectacu­laires, dépassant 50 % pour presque toutes les matières premières, et 70 % pour plusieurs (84 % pour la soie, 75 % pour le cuivre, 71 % pour le blé).

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L'exemple du café illustre le rôle souvent pervers joué par le stockage dans cette évolution [Timoshenko, 1933]. Il s'agit ici d'un stockage officiel, le seul visible dans les statistiques; le stoc­kage privé, plus important pour d'autres produits, a des effets similaires. Le prix mondial du café passe d'environ 20 cents par livre vers 1924-1926 à 15 en 1927. L'accroissement des stocks brésiliens (qui font plus que doubler en 1927 et absorbent alors près d'un tiers de la production) conduit à une légère remontée des prix en 1928-1929, à 18 cents. Mais lorsque, faute de ressources, le gouvernement cesse d'accroître les stocks, les prix s'effondrent, atteignant 10 cents à la fin de 1929, puis 6 en 1931, malgré une augmentation massive des stocks qui doublent en 1930 grâce à un emprunt de 100 millions de dollars lancé avec succès par l'État de Sâo Paulo à Londres. Les stocks et les espoirs de les liquider deviennent tels qu'au point bas de la crise une partie des montagnes de sacs de café accumulées est brûlée dans les locomotives brésiliennes.

Malheureusement, le cas du café n'est pas unique: les stocks de caoutchouc triplent entre 1925 et 1927, stabilisant provisoi­rement les prix; mais ceux-ci s'effondrent en 1928, et la remontée des stocks (qui doublent de nouveau entre 1929 et 1931) ne permet pas d'arrêter cette chute, qui continue jusqu'à 1932. Quant au fonds canadien du blé (le Wheat Pool), au lieu de stabiliser les cours, il contribue à accentuer leur volatilité en effectuant ses opérations aux pires moments [Marcus, 1954]. C'est dire si ce type d'intervention est délicat, les pressions poli­tiques conduisant en général à les mettre en œuvre trop tôt, tandis que l'insuffisance de leur financement conduit à des reventes en pleine baisse.

Les conséquences sur l'économie

L'agriculture est encore dans l'entre-deux-guerres une acti­vité très importante dans les économies les plus industrialisées, à l'exception de la Grande-Bretagne qui a fait, au XIX' siècle, le choix d'une spécialisation complète dans l'industrie et importe une grande partie des produits agricoles qu'elle consomme. Même aux États-Unis, où l'industrie s'est développée très rapi­dement à partir des années 1880, l'agriculture emploie encore 25 % de la population active, et un tiers de sa production est exporté. Dans la plupart des pays européens, l'agriculture emploie encore plus de 40 % des actifs. On ne saurait donc

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UNE CRISE STRUCTURELLE DU CAPITALISME 25

Graphique 2. Production mondiale, prix et stocks de produits de base, 1920-1938 (1929 = 100)

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Source: Société des Nations [1945, p, 85],

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s'étonner que la crise agricole ait un impact important. Les canaux de transmission sont variés et doivent être examinés un à un avant qu'une évaluation globale soit possible.

Conséquences financières

Un premier effet de la crise agricole est la faillite de nombreux agriculteurs et la mise en difficulté des banques qui leur ont fait crédit. Ce phénomène est spécialement important aux États-Unis où la dette hypothécaire du monde agricole est passée de 3,3 milliards de dollars en 1910 à 6,7 en 1920 et 9,4 en 1925. La baisse des cours conduit des milliers d'agriculteurs du Middle­West et du sud des États-Unis à la faillite. Leurs terres sont saisies par leurs banques, mais ne suffisent pas à les rembourser du fait de la baisse des prix fonciers; en résultent des vagues de faillites bancaires en 1930 et 1931 [Lewis, 1949; Temin, 1976]. La même chose se produit au Canada et dans d'autres pays, quoique le niveau d'endettement y soit en général plus faible.

L'endettement international de nombreux pays producteurs de matières premières est plus grave encore: ils ont emprunté largement à Londres et surtout à New York dans les années 1920, et doivent maintenant rembourser. Or la valeur de leurs expor­tations s'effondre: de 80 % pour le Chili, 65 % pour l'Argen­tine ou le Canada, 60 % pour le Brésil ou la Pologne, 50 % pour l'Australie ou la Nouvelle-Zélande.

Face à cette situation - et en dehors du répit que peuvent leur procurer leurs réserves de change -, cinq solutions (non mutuellement exclusives et souvent employées successive­ment) s'offrent aux pays endettés. La meilleure pour eux serait d'emprunter davantage pour passer ce cap difficile, quitte à accepter des programmes de restructuration sous contrôle inter­national. La deuxième solution consiste justement à mettre en place des politiques économiques internes restrictives, qui rédui­sent la consommation et permettent de dégager les ressources suffisantes (par exemple via la pression fiscale) pour effectuer les paiements nécessaires. L'ajustement implique faillites, chômage, baisse accrue des prix et des salaires, et est donc politi­quement difficile. La troisième solution est le protectionnisme, qui permet - au moins en l'absence de représailles - de dégager un excédent commercial et ainsi de rembourser les dettes. La quatrième consiste à faire défaut sur ces dettes, au risque de ne plus pouvoir emprunter durablement. La dernière solution est

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UNE CRISE STRUCTURellE DU CAPITALISME 27

de déprécier la monnaie : elle permet de baisser les prix natio­naux par rapport aux prix mondiaux en évitant le processus coûteux de déflation, mais rend la dette extérieure (libellée en devises fortes) plus lourde. Ces deux dernières éventualités sont très mal vues par les milieux financiers et ne sont donc envi­sagées qu'en dernier recours.

Toutes ces solutions sont utilisées pendant la crise: jusqu'à 1929, le crédit international dépasse le montant des rembourse­ments et des intérêts, mais disparaît au milieu de 1929 et ne se relève pas de la décennie, ce qui implique un ajustement dras­tique. La plupart des pays mettent initialement en place des politiques restrictives, comme le Canada ou le Chili, et parvien­nent un temps à éviter la dévaluation. Mais le coût politique en est souvent lourd: les coups d'État et les révolutions se multi­plient dès 1930 en Amérique latine. La dureté de la situation explique que l'Argentine, l'Uruguay et l'Australie quittent l'étalon-or dès décembre 1929 (après des mois de pertes de réserves, voire un début de dépréciation) ; leurs monnaies perdent 25 à 30 % de leur valeur en quelques mois. Les monnaies de la Nouvelle-Zélande, du Brésil, de la Bolivie, du Venezuela et de l'Espagne se déprécient également en 1930 ou 1931. Ces dépréciations permettent de stabiliser la chute des prix en termes de monnaie nationale et limitent les crises finan­cières internes, mais elles ont pour effet pervers d'accentuer la chute des prix mondiaux (car elles conduisent ces pays à « brader » leurs produits). Enfin, le défaut est évité au début de la crise. La Bolivie suspend la première ses paiements en janvier 1931. Elle n'est suivie que lorsque la situation interna­tionale devient désespérée, après septembre 1931. Avant le milieu des années 1930, tous les pays d'Amérique latine et un certain nombre d'autres en Europe ou en Océanie sont en cessa­tion (plus ou moins complète) de paiement. Cette rupture unanime ne reflète pas des difficultés réelles qui sont très variables d'un pays à l'autre : ainsi, selon un indicateur clas­sique, la dette extérieure représente seulement trois à huit mois d'exportations en Tchécoslovaquie, au Canada, en Argentine, au Brésil ou en Colombie, contre plus d'un an (parfois plus de deux) en Australie, au Chili, en Hongrie, en Bulgarie ou en Pologne [Eichengreen et Portes, 1989]. Les pays capables de payer s'engouffrent donc dans la brèche ouverte par les plus en difficulté. S'y ajoutent les cessations de paiement politiques, comme celle de l'Allemagne hitlérienne. Du fait de cette

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contagion, le crédit international s'effondre et ne reprend pas vraiment avant la guerre, au moins selon des modalités normales.

Conséquences sur le reste du monde

Jusqu'à ces défauts de paiement, on pourrait penser que les difficultés des producteurs de matières premières affectaient peu le reste du monde ou les autres catégories sociales. En effet, la baisse des prix des matières premières est une bonne affaire pour les pays qui doivent les importer, pour les industriels qui les utilisent ou pour les consommateurs. Il pourrait donc n'y avoir là qu'une gigantesque redistribution de revenu, dans chaque pays comme à l'échelle internationale. De même, si les banques coupent les crédits aux agriculteurs, davantage de possibilités de crédit devraient être ouvertes à d'autres secteurs économiques, ce qui pourrait compenser la baiss.e de l'activité agricole et permettre d'embaucher les agriculteurs abandonnant leurs terres. Pourquoi ce mécanisme d'ajustement spontané que les économistes observent dans nombre de situations s'est-il appa­remment bloqué dans les années 1930?

L'hypothèse la plus vraisemblable est que ces mécanismes d'ajustement ne fonctionnent correctement que lorsque les changements sont suffisamment progressifs. Comme Keynes le théorisera dans sa Théorie générale [1936], une chute brutale du revenu d'une catégorie importante de la population conduit à une baisse de sa consommation, ce qui déprime la demande pour les produits des autres secteurs d'activité dont les revenus vont de ce fait eux-mêmes baisser, provoquant une spirale défla­tionniste de baisse des prix et des revenus. D'une part en effet, les agriculteurs ont une propension à consommer leur revenu plus élevée que la moyenne de la population, ce qui fait que la baisse de leur consommation n'est pas compensée entièrement par l'augmentation de celle des autres (que permettrait la baisse des prix agricoles). Cela accroît l'épargne globale à un moment où celle-ci n'est pas nécessairement investie, comme on le verra plus loin. On pourrait penser que les agriculteurs empruntent pour passer ce mauvais cap, ce qui soutiendrait leur consomma­tion; mais les banques deviennent alors méfiantes et restrei­gnent leur crédit. Ils doivent donc au contraire épargner pour rembourser leurs crédits et éviter la saisie de leurs terres ou de leurs maisons. Même ceux dont la situation reste décente

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cherchent à épargner pour compenser la chute de la valeur de leurs terres (qui baisse de l'ordre de 25 % de plus que la moyenne des prix entre 1929 et 1933 aux États-Unis). Les non-agricul­teurs, de leur côté, n'accroissent pas leur consommation autant qu'il serait permis de l'espérer, car ils ne pensent pas que cette amélioration de leur pouvoir d'achat soit durable et craignent au contraire que la crise ne s'étende à leur propre activité (une prophétie autoréalisatrice).

Étant donné le poids de la population agricole, même dans les pays riches, l'impact de l'effondrement de sa consomma­tion sur la demande globale est massif; il l'est d'autant plus que son revenu net recule encore plus que son revenu brut, car les prix des produits agricoles baissent davantage que ceux des consommations intermédiaires de l'agriculture (salaires des ouvriers agricoles, machines agricoles, loyers, engrais). Madsen [2001] affirme que l'ordre de grandeur de ces effets est suffi­sant pour expliquer une part importante de l'ensemble de la dépression. Il montre en particulier que les pays dans lesquels la crise agricole pèse le plus connaissent une crise plus profonde, y compris dans l'industrie, et en sortent plus difficilement. Il montre aussi que la remontée des prix agricoles après 1933 a un impact positif important sur l'ensemble de l'économie dans les pays qui en bénéficient le plus.

On ne peut donc pas écarter l'hypothèse que la crise agri­cole constitue une origine de la dépression largement indépen­dante des problèmes monétaires et financiers qui la renforcent et retiennent davantage l'attention.

Une crise de surproduction structurelle?

Une autre perspective aboutissant également à une thèse de surproduction structurelle trouve sa source dans les transforma­tions de l'industrie. L'importance des transformations secto­rielles de l'industrie a été soulignée très tôt [Svennilson, 1954], avant d'être reprise plus récemment [Bernstein, 1987]. Selon ces auteurs, le déclin des industries de base (sidérurgie, coton, construction navale) dans les pays d'ancienne industrialisation et la montée de nouvelles activités (chimie, électricité, automo­bile) auraient accru l'instabilité de l'économie. En soi, pour­tant, la rapidité du changement structurel (si tant est qu'il soit spécialement rapide dans les années 1920) n'est pas une raison

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suffisante pour expliquer une crise, pas plus que le change­ment de la spécialisation internationale. Une hypothèse plus vraisemblable se trouve dans les différences entre les tempora­lités propres aux divers secteurs de l'économie, et en particu­lier dans leurs inégales sensibilités à la conjoncture: les différences de comportement entre les biens de consommation et les biens d'investissement, ou entre les biens de consomma­tion courante et ceux de consommation durable ont été très tôt mises en évidence en ce sens.

Les nouveaux biens de consommation durable

La montée de la production de biens de consommation durable (automobile, électroménager, radio) constitue la trans­formation la plus susceptible d'être reliée à un déclenchement de la crise par une insuffisance de la demande. En effet, ces secteurs sont sujets à des accélérations de la demande par le crédit et à des ralentissements brusques en cas de difficultés. Ces évolutions sont particulièrement marquées aux États-Unis, où les années 1920 voient une augmentation très rapide de la production automobile (de 2 à 5 millions d'unités par an), comme de radios (de 100000 à 4,4 millions par an) ou de phonographes; la diffusion de l'électricité ou du téléphone s'accélère vers les zones rurales (le réseau de la compagnie Bell atteint 112 millions de kilomètres en 1929 contre 30 dix ans plus tôt). Ces nouvelles industries représentent une part crois­sante des dépenses des ménages (de 4 à 7 % environ dans les années 1920). Pendant la crise, la chute de la production y est particulièrement forte: alors qu'elle ne dépasse pas 20 % pour les biens de consommation, elle excède 50 % pour les biens de consommation durable et atteint 70 % pour les automobiles.

Le rôle du crédit

La demande de biens durables est particulièrement sensible à la conjoncture pour plusieurs raisons: d'une part, ils représen­tent encore souvent de nouvelles consommations pour les ménages américains des années 1920, donc des consommations que l'on peut facilement reporter. Lorsqu'il s'agit d'une consom­mation de renouvellement, le report est encore plus aisé car il est fréquemment possible de prolonger la durée d'utilisation de l'automobile ou de la machine à laver précédente au prix de

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dépenses d'entretien bien plus faibles qu'un achat nouveau. Plus important peut-être est le rôle du crédit à la consommation [Olney, 1999]. Alors que le crédit à la consommation courante, en général informel, était jusque-là le fait des catégories sociales modestes, tandis que les couches plus aisées de la population n'empruntaient que pour se loger ou investir, les années 1920 voient apparaître aux États-Unis les formes modernes du crédit à la consommation pour les biens durables. General Motors fait partie en ce domaine des pionniers : une partie de son succès face à Ford tient à ce que celui-ci est d'abord réticent envers le crédit tandis que celui-là y consacre d'emblée tous ses soins. Le crédit se développe aussi rapidement pour le mobilier et l'élec­troménager. Au total, la dette non hypothécaire des ménages passe de 4,6 % de leur revenu en 1919 à 9,3 % en 1929. Durant cette dernière année de prospérité, 15 % des ménages américains achètent une voiture à crédit.

Le crédit à la consommation, tel qu'il est organisé à l'époque présente des caractéristiques spécifiques qui expliquent l'impact qu'il va avoir sur le déclenchement de la crise. C'est un crédit de court terme, douze mois en général pour les voitures, rare­ment plus de dix-huit mois; les mensualités sont donc élevées, et ce d'autant plus que les biens achetés représentent une part élevée du revenu des ménages: de 20 à 60 % du revenu annuel du ménage pour une voiture, un tiers pour un piano, 5 à 10 % pour un réfrigérateur ou une cuisinière. Surtout, les contrats de crédit sont léonins: parce que la propriété du bien n'est en droit transférée qu'à l'achèvement du paiement, le prêteur peut, en cas de défaut de paiement de plus de trente jours, le reprendre sans compensation pour les montants déjà payés et l'acheteur ne peut pas le revendre pour rembourser. Les taux d'intérêt sont très élevés et la concurrence entre prêteurs restreinte: ainsi, les concessionnaires de voitures se voient interdits par les produc­teurs de s'adresser à d'autres prêteurs que leurs filiales spécialisées.

Crédit et chute de la consommation

On pourrait s'attendre - comme nombre d'observateurs à l'époque - à ce que la crise conduise à des défauts de paie­ment importants dans une situation d'endettement aussi élevé. Il n'en est rien: la dureté des conditions faites aux emprunteurs fait qu'ils font tout pour payer leurs dettes. En 1930, le taux de

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défauts de paiement augmente certes, mais reste modéré: 5,4 % des voitures sont reprises contre 4,1 % en 1928. Le taux n'augmente fortement qu'après, quand la crise s'aggrave, pour atteindre 10,4 % en 1932. En revanche, dès 1930, cet effort d'épargne conduit les ménages à réduire fortement l'ensemble de leur consommation, ce qui selon Olney [1999] et Romer [1990J explique l'essentiel de la baisse de la demande agrégée et donc le démarrage de la dépression.

Une crise de sous-consommation?

Les transformations structurelles de la consommation et du crédit qui ont lieu dans les années 1920 semblent donc avoir un impact sur le déclenchement de la crise, au moins aux États-Unis. Certains auteurs sont allés plus loin en disant que le développement du crédit à la consommation n'était qu'un moyen de tenter de retarder les conséquences du décalage crois­sant entre les capacités de consommation de la population et la quantité croissante des biens produits, autrement dit que les revenus ne suivaient pas la production. Ils s'appuient sur le fait que les salaires ont moins augmenté dans les années 1920 que la productivité dans l'industrie, et voient dès lors dans la dépres­sion le résultat d'une sous-consommation structurelle.

Cette hypothèse, introduite dès avant la crise par Foster et Catchings [1925] et Hobson [19221, puis développée par Moulton [1935], constitue un avatar de la tradition marxiste qui souligne les contradictions entre l'exploitation croissante des travailleurs et le développement capitaliste. Dans sa version la plus raffinée, celle de l'école française dite de la régulation [Aglietta, 1976; sur la France, Boyer, 1978; Marseille, 1980], cette thèse considère la crise comme un moment de tension entre les transformations du régime d'accumulation du capital et celui de la régulation des salaires, et plus largement de la demande. L'accumulation intensive que connaît l'industrie dans les années 1920 et qui se traduit par un fort taux d'investisse­ment et de forts gains de productivité butte sur une demande insuffisante due à la croissance plus faible des salaires. Cette faiblesse résulte du fait que, face à des entreprises souvent en situation monopoliste, l'organisation des salariés est trop faible pour négocier les salaires, les garantir par des conventions collectives et, plus largement, obtenir la mise en place des mécanismes de socialisation des revenus qui, à partir des

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années 1950, vont freiner fortement les baisses de la demande pendant les récessions et, de ce fait, limiter l'ampleur de celles-ci.

Les politiques de la main-d'œuvre, même lorsqu'elles existent (au sein des grandes entreprises étudiées par Chandler [1977] ou ]acoby [1985]), ne visent pas à stabiliser les revenus: la hausse des salaires, quand elle dépasse ce que le marché impose, vise à lutter contre les syndicats ou à accroître la fidélité des salariés dans un contexte de tum-over excessif [Raff, 1988]. Même chez Ford - contrairement à la légende -, les hauts salaires ne visent pas à permettre aux ouvriers d'acheter des voitures et à réconci­lier capital et travail. Ils visent à les convaincre d'effectuer un travail à la chaîne aussi pénible et aliénant que productif (Charlie Chaplin, Les Temps modernes, 1936), donc à réduire le tum-over. La conception des salaires comme facteur décisif de la consommation et en conséquence de la demande, si elle est ébauchée chez Taylor [1909], n'est vraiment comprise qu'avec l'émergence de la macroéconomie moderne après 1945 et ne s'impose que par la voie politique, dans le cadre du compromis social des trente glorieuses [Eichengreen, 1996].

Le point fort de cette thèse est qu'elle explique la moindre gravité de la crise dans les pays dans lesquels les secteurs modernes à productivité élevée sont moins importants, comme la France ou la Grande-Bretagne, comparés aux États-Unis ou à l'Allemagne. Sa faiblesse tient en revanche à ce qu'elle s'appuie trop exclusivement sur les transformations de l'industrie. Si celle-ci - spécialement dans certaines branches - constitue certainement le lieu de plus forte croissance de la productivité, il n'est pas surprenant que les salaires, déterminés sur l'ensemble du marché du travail, aient crû plus lentement que la producti­vité de la seule industrie. À l'échelle de l'ensemble de l'économie, les parts relatives des salaires et des profits dans la distribution des revenus ne semblent pas connaître aux États-Unis de tendance nette, comme le reconnaissent même des auteurs marxistes [Duménil et Lévy, 1996].

Cela semble également le cas en France où la croissance des salaires réels est similaire à celle de la productivité (respective­ment 1,5 et 1,3 % par an de 1913 à 1929 selon Villa [1994]), même si le tassement des salaires après leur forte hausse de la période de guerre a bien pu donner l'impression d'un recul relatif.

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Un approfondissement de la causalité allant de l'insuffi­sance de consommation vers le taux de croissance de l'ensemble de l'économie devrait donc sans doute dans les années 1920 se concentrer moins sur la dynamique du marché du travail que sur d'autres déterminants de la distribution des revenus, comme les prix relatifs, les différences de consommation et la fiscalité. L'évolution régressive de la fiscalité semble aller dans le sens de cette hypothèse: l'imposition diminue pour les hauts revenus après 1925, ce qui contribue à une augmentation des inéga­lités. Celles-ci, dans nombre de pays, retrouvent à la fin de la décennie leur niveau record de 1914 [Piketty et Saez, 2006], ce qui suggère que la consommation populaire pourrait être le moteur manquant de l'économie.

Faute d'un examen plus précis de cette hypothèse, on est conduit à penser que les profits augmentent considérablement dans un petit nombre d'activités très innovantes où l'organisa­tion oligopolistique des marchés permet aux entreprises d'éviter de baisser leurs prix autant que leurs coûts de revient. Ces profits - réels ou parfois seulement anticipés - conduisent à de très forts investissements qui contribuent encore à accroître la productivité, mais créent un risque différent de la sous-consom­mation : le surinvestissement.

Le surinvestissement

Dans une économie en forte croissance où l'optimisme envers l'avenir est de mise, l'excès d'investissement est un risque plus important que celui de sous-consommation. Dans les années 1920, le taux d'investissement dépasse en permanence les 20 % aux États-Unis.

Comme on le sait déjà à l'époque, l'investissement est pro­cyclique: en période de prospérité, l'extension des capacités de production exige des investissements, alors que, en période de récession, les entreprises peuvent cesser totalement d'investir, voire d'amortir les investissements anciens. L'économiste libéral Friedrich Hayek [1931], qui théorise à cette époque, dans Prix et production, la relation entre investissement et production, montre bien que la part croissante des biens d'investissement dans la production accroît la volatilité conjoncturelle. L'école autrichienne, qui se réclame de lui, estime qu'un excès d'inves­tissement dans les années 1920 est à l'origine de la dépression et que cet excès résulte d'un financement monétaire qui s'est

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indûment substitué à l'épargne [Rothbard, 1963]. De ce fait, une masse d'équipements s'est accumulée, dont la durée de liquida­tion est à la hauteur de l'excès de création monétaire qui en est responsable.

Il ne semble pas que cette hypothèse soit confirmée par les chiffres aujourd'hui disponibles sur les États-Unis: la création monétaire n'est pas particulièrement forte dans les années 1920, puisque la masse monétaire augmente moins que le PNB réel (respectivement 35 % et 43 % selon Kuznets) tandis que les prix sont stables après la baisse de 1921. Le très fort niveau d'investis­sement des années 1920 s'explique donc - aux États-Unis mais sans doute aussi en Europe - par des phénomènes réels: crois­sance des profits anticipés liée au progrès technique, capacité d'autofinancement accrue de grandes entreprises très profitables et abondance des capitaux sur les marchés financiers [Hautcceur, 1993].

Comment expliquer alors la durée de la crise? Une hypo­thèse consiste à dire que la rapidité du progrès technique et la concentration de l'investissement dans les grandes entreprises conduisent à une forte hétérogénéité du stock de capital entre générations de capital et entre entreprises, dont résulte une forte obsolescence lors d'une récession: les petites entreprises, qui sont loin d'avoir la productivité des grandes, sont alors extrême­ment fragiles, ce qui provoque des faillites nombreuses (déjà dans les années 1920), qu'une récession peut rendre cumulatives [Duménil et Lévy, 1996]. Ceci transforme une récession brève en une dépression de plus longue durée. Malheureusement, l'on manque d'études détaillées sur l'obsolescence des actifs des entreprises qui permettent de vérifier une telle hypothèse, qui repose sur une distribution très particulière de la structure par âge du capital.

L'immobilier

Au surinvestissement industriel s'ajoutent les excès de l'inves­tissement immobilier. Celui-ci est très dynamique aux États-Unis au début des années 1920 et provoque une satura­tion du marché du logement à partir de 1925. Mais l'excès d'offre y dure exceptionnellement longtemps, car le crédit permet de maintenir en partie l'activité pendant la seconde moitié de la décennie. Malgré celui-ci, les dépenses d'achats de nouveaux logements baissent d'un maximum de près de

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5 milliards de dollars en 1926 à 3 milliards en 1929, 1,57 en 1930 et moins de 300 millions en 1933. De ce fait, la contraction est dévastatrice une fois la crise démarrée : les mises en chan­tier, qui s'étaient déjà réduites de 937000 en 1925 à 509000 en 1929, chutent à 330000 en 1930 et 93000 en 1933, et l'emploi dans le bâtiment passe de 3 millions de personnes en 1929 à 400000 à la mi-1933. En Europe, le marché immobi­lier est en général beaucoup moins dynamique, en particulier du fait de contrôles des loyers dans certains pays comme la France; les excès d'investissement y sont donc plus rares et n'ont pas le même impact macroéconomique.

Plusieurs transformations de longue durée ont donc un rôle dans la crise. La surproduction agricole, résultat d'un certain nombre de désajustements, de comportements et de poli­tiques, débouche sur un effondrement des prix d'une telle ampleur qu'il affecte l'ensemble des économies même industria­lisées. La surproduction industrielle peut être interprétée soit a minima comme le résultat d'imperfections institutionnelles (sur le marché du crédit), soit comme l'effet de la lenteur et de la difficulté de la mise en place d'une régulation sociale de la demande, soit enfin comme l'effet d'une vague d'investisse­ments particulièrement importante liée à des perspectives exagé­rément optimistes. Dans tous ces cas, le développement du crédit joue un rôle important dans l'amplification des déséquilibres.

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III / la crise américaine

Par opposition aux interprétations qui voient dans la dépres­sion le résultat de causes structurelles ancrées dans la guerre, dans les transformations du commerce international ou dans la « nouvelle économie" des années 1920, d'autres la présentent comme une succession de chocs conjoncturels, d'accidents ou d'erreurs dont l'accumulation provoque une crise aux propor­tions inaccoutumées.

Pour les partisans des interprétations structurelles, ces événe­ments ne sont que les symptômes apparents de la crise plus profonde qu'ils analysent. En tout état de cause, ces événe­ments firent la « une" des journaux de l'époque et font partie de la chronologie et du déroulement de la dépression. Nous abordons dans ce chapitre la crise boursière et les crises bancaires qui ont lieu aux États-Unis, et leur impact sur l'appro­fondissement de la crise et du chômage. Ce chapitre se restreint aux États-Unis car nombre d'économistes (américains) conti­nuent de considérer que la crise américaine est essentiellement indépendante dans ses origines, de sorte que la placer dans un contexte international n'est pas nécessaire.

Le krach boursier et ses conséquences

Le krach boursier de 1929 est l'événement le plus connu et le symbole de la grande dépression. Le krach frappe d'autant plus les esprits qu'il semble un éclair dans un ciel serein. En réalité, la spéculation boursière préoccupe depuis un moment les analystes financiers comme le gouvernement et la Federal Reserve (ou Fed, la banque centrale fédérale des États-Unis).

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La spéculation boursière

Alors que les rentiers du XIX' siècle achetaient surtout des obli­gations pour toucher chaque année leurs coupons, l'entre-deux­guerres voit, avec la montée du nombre des actionnaires, la diffusion de la spéculation boursière, c'est-à-dire l'achat de titres non pour les revenus qu'ils procurent mais pour la plus-value que l'on espère tirer de leur revente. Cette spéculation est favo­risée par le crédit. En s'endettant pour acheter des actions (ou en les empruntant pour les vendre), le spéculateur met en œuvre un effet de levier qui accroît ses bénéfices comme ses pertes poten­tiels : s'il apporte 40 et emprunte 60 pour acheter une action 100, il fait un bénéfice de près de 50 % si l'action monte de 20 % à 120 (il la revend, rembourse les 60 plus un intérêt minime, et reste avec 60, soit 50 % de gain par rapport à son apport initial) ; inversement, si l'action baisse à 80, il perd la moitié de son apport (il lui reste 20 après avoir remboursé 60).

À la Bourse de New York des années 1920, où n'existe pas de véritable marché à terme (où l'on puisse directement acheter une action livrable par exemple le mois suivant, ce qui rend la spécu­lation plus simple), c'est le crédit accordé par les courtiers (brokers) qui permet aux spéculateurs d'opérer. En accordant ce crédit, les courtiers encouragent les opérations et développent ainsi leurs propres affaires (80 % des achats sont réalisés à crédit en 1929). Ils exigent en garantie une couverture, c'est-à-dire le dépôt de titres qui constituent la « marge» (celle-ci n'est pas fixée par une régle­mentation mais représente habituellement 30 % du prêt). Le cour­tier lui-même emprunte aux banques ou à d'autres prêteurs, en général par l'intermédiaire des grandes banques de New York. Le montant de ces emprunts, qui est publié chaque semaine, est considéré à l'époque comme un bon indicateur de la spéculation.

L'impact de la spéculation à crédit sur les cours lors des crises boursières est bien connu depuis au moins le XIX' siècle. Si les cours baissent, les courtiers demandent à leurs clients une augmentation de leur couverture; si ceux-ci ne peuvent pas l'apporter, les titres qui composent celle-ci sont liquidés, ce qui tend à accroître la baisse. Si le client vend des titres pour répondre à l'appel de couverture, le résultat est le même. Ce phénomène est susceptible d'accentuer l'ajustement à la baisse au cas où une bulle « éclate », c'est-à-dire si tout le marché prend conscience subitement d'une surévaluation des cours. C'est ce qui semble se passer à Wall Street en 1929 [Galbraith, 1955).

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Une hausse justifiée ou une folie?

Les cours de la Bourse de New York montent fortement dans les années 1920 : ils sont multipliés par environ trois en moins de dix ans, soit une croissance d'environ 12 % par an.

La hausse est soutenue par l'idée qu'une nouvelle économie est en place depuis la Première Guerre mondiale, une ère nouvelle dans laquelle les fluctuations sont supprimées par la prudence de la Fed (fondée en 1913), tandis que la perspective d'une croissance indéfinie est ouverte par le développement des grandes entreprises (particulièrement profitables car monopo­listes), du progrès technique, de la gestion scientifique, de l'éducation de masses, voire de la prohibition de l'alcool qui améliore la productivité des travailleurs! Une hausse rapide de la Bourse, anticipant ces progrès, serait donc justifiée, comme le soutiennent banquiers (comme le président de la Chase Manhattan), hommes politiques (comme le président Coolidge) ou même universitaires (comme le célèbre économiste Irving Fisher dans une conférence du ... 15 octobre 1929) [Heffer, 1976].

En l'absence de publication de bénéfices sur des bases stan­dardisées, ce sont les dividendes qui sont observés par les opéra­teurs boursiers. Parmi les blue chips, les valeurs phares de la Bourse de New York qui constituent l'indice Dow Jones et concentrent l'essentiel de la hausse durant les derniers mois (comme le souligne le statisticien Roger Babson, qui met en garde plusieurs fois en 1929 contre les excès de la hausse), les cours atteignent des multiples du dividende considérés peu auparavant comme extravagants : 62 pour General Electric, 68 pour lIT (le monopole du téléphone à grande distance), 74 pour les ascenseurs Otis, toutes sociétés qui ne sont plus des start-up pouvant espérer une croissance ultra-rapide. Une entre­prise déjà importante comme RCA (Radio Corporation of America) n'a quant à elle pas encore payé de dividendes.

L'indice Dow Jones double en un an (de septembre 1928 à septembre 1929). De manière générale, alors que la hausse des cours était proportionnée à celle des dividendes avant 1927, les deux mouvements se séparent nettement dans les deux ou trois années qui précèdent le krach, ce qui constitue l'argument le plus décisif en faveur du développement d'une bulle spéculative [Rappoport et White, 1993].

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Graphique 3. Indice des dividendes et des cours des actions à la Bourse de New York (1920 = 100)

300

250 , 200 " 150

100 ............ ,

50

0

1920 1922 1924 1926 1928 1930 1932 1934

- Dividendes du Standard &: Poor ---- Standard &: Poor index

Source: Rappoport et White [1993].

L'éclatement de la bulle

Un certain nombre d'observateurs et de responsables poli­tiques ou financiers s'inquiètent du développement de cette spéculation (encouragée, selon eux, par l'abaissement du taux d'escompte par la Fed en 1927 en soutien à la livre sterling). Pour freiner la spéculation, la Fed demande au printemps 1929 aux banques de New York de réduire les prêts aux courtiers, mais n'augmente pas son taux d'escompte par peur des répercus­sions internationales. Ses recommandations ont peu d'effet, car le crédit aux courtiers vient de moins en moins des banques (elles-mêmes inquiètes de voir le crédit trop détourné vers la Bourse au détriment de leurs autres activités) et de plus en plus soit de l'étranger, soit surtout des entreprises non financières américaines attirées par de hauts rendements. L'écart entre le taux des prêts aux courtiers et celui du crédit bancaire « normal »

indique bien le caractère spéculatif de la hausse et reflète le risque encouru par ceux qui prêtent aux courtiers; il explique le faible impact sur le marché de l'action de la Fed, qui augmente son taux d'escompte à 6 % le 9 août sans conséquences. Cepen­dant, le 26 septembre et le 3 octobre, J. P. Morgan et John D. Rockefeller vendent chacun un quart de siège de courtier à la

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LA CRISE AMËRICAINE 41

Bourse de New York pour un prix qui, s'il égale le record établi en janvier précédent (625000 dollars par siège contre 125000 en 1926), ne le dépasse pas malgré l'accroissement des transactions survenu entre-temps. Ces deux grands financiers auraient-ils prévu le krach [White, 2006] ?

Graphique 4. Taux des prêts aux courtiers comparés à ceux du marché monétaire

15.-----------------------~----------------

12+--------------------------++-----------------

9~~--------------------_+~r---------------

6~~~--~~----~~--~~~--------------

3+-----~~--~~~~--~~----~~~~~~---­

O+--r~--r__r_.--r_._~_,r_~-r-.~~~~

1920 1922 1924 1926 1928 1930 1932 1934

- Papier commercial 4-6 mois - - _. Acceptation de banques 90 jours

_ Prêt à vue aux courtiers

Source: Rappoport et White [1993].

Les cours atteignent leur maximum en septembre, la baisse commence réellement le 3 octobre et s'accélère à partir du 23. Le 29 octobre, la panique fait atteindre un nouveau record des transactions (16,4 millions d'actions échangées). Avant la fin de l'année, le Dow Jones perd plus d'un tiers de sa valeur. À l'excep­tion d'une reprise de quelques mois au printemps 1930, la baisse est presque continue et atteint près de 90 % en juin 1932. La reprise, très lente, amène début 1939 les cours à 40 % de leur niveau de septembre 1929.

Les banques de New York (aidées par la Fed qui leur fournit massivement de la liquidité) tentent de freiner le krach dès son démarrage en se substituant aux étrangers et aux entreprises comme prêteurs sur un marché des prêts aux brokers qui recule rapidement: du début à la fin d'octobre, les prêts des banques de New York elles-mêmes passent de 1 à 2 milliards de dollars et de 15 à 40 % du total des prêts aux brokers; et le montant total recule de 50 % avant fin novembre. Le taux d'escompte baisse très rapidement, passant de 6 'l .. (' en août à 2,5 (J.6 en juin 1930 (il

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passe à 1,5 % en mai 1931). Enfin, la Fed ne se contente pas de réescompter à des taux bas: elle fournit de la liquidité au marché en achetant des titres aux banques, selon une politique d'open market qu'elle a inventée dans les années 1920. Tout cela en vain.

Les conséquences du krach

Pour nombre d'économistes, un krach boursier a peu d'effets économiques. Certes, les spéculateurs perdent, ainsi que parfois ceux qui leur ont prêté de l'argent (quand la baisse est si rapide que la couverture s'avère insuffisante). Mais ceux qui ont fait le pari inverse gagnent. L'effet principal viendrait donc de la dimi­nution de la richesse des détenteurs d'actions. Comme ceux-ci sont peu nombreux (le nombre d'acheteurs d'actions en Bourse de New York n'atteint pas un million et demi, même en 1929, et les chiffres pour les autres Bourses sont négligeables), l'effet sur la consommation totale ne peut être que modéré, d'autant que, si les actionnaires sont riches, ils sont aussi habitués à main­tenir leur consommation en faisant varier leur épargne plus que l'inverse.

Kindleberger [1973] tente en sens inverse de montrer que l'impact du krach est important, en insistant sur les problèmes de liquidité qu'il produit. Si les pertes chez les courtiers et les banques de New York n'ont pas de conséquences trop graves sur eux du fait de l'intervention de la banque centrale, celles des entreprises qui avaient placé leur trésorerie en Bourse (ou en crédits aux brokers) sont plus importantes, car elles les condui­sent à liquider des stocks et à restreindre leur production.

De fait, la chute de la production est rapide après le krach. La production automobile passe de 440 000 unités en août à 92 500 en décembre. Par ailleurs, les banques restreignent forte­ment le renouvellement des crédits hypothécaires (ceux-ci sont habituellement de trois ans mais sont souvent renouvelés), ce qui conduit à la liquidation d'un certain nombre d'hypo­thèques et à des ventes d'immeubles qui empirent la situation d'un marché immobilier déjà déprimé.

Par ailleurs, nombre de produits agricoles voient leurs prix chuter, ou la baisse antérieure s'accélérer: c'est le cas du maïs (dont le prix décroît de 14 %) et surtout des produits importés (cacao, café, caoutchouc, soie, étain). On peut penser que les banques de New York qui doivent en octobre soutenir les

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LA CRISE AMÉRICAINE 43

courtiers de la Bourse restreignent le crédit aux maisons d'importation. Cela affecte les prix mais aussi le volume des importations américaines, qui chutent rapidement: de 396 millions de dollars en septembre à 307 en décembre.

Enfin, le krach a sans doute même une influence sur le comportement de consommation des Américains. Certes, l'effet du krach sur leur patrimoine financier, qui pousse les gens à épargner pour le reconstituer, et donc à réduire leur consomma­tion, ne concerne qu'une population réduite de détenteurs de titres. Mais il faut y ajouter l'effet de la baisse des prix de l'immo­bilier, qui concerne une population beaucoup plus large. En outre, et concernant souvent les mêmes personnes, la baisse des prix accroît fortement le poids réel de la dette des ménages, qui augmente ainsi de 2S % environ entre 1929 et 1932. Au total, la baisse du patrimoine net des ménages américains entre 1929 et 1934 équivaut à la moitié du PNB de 1929 et concerne une partie importante de la population [Mishkin, 1978). Il est diffi­cile de penser qu'elle n'ait pas d'impact sur la consommation et donc sur l'aggravation de la crise.

Enfin, il faut ajouter à ces effets l'impact sur l'incertitude envers l'avenir. Après le krach boursier, aussi bien les spécia­listes que les gens ordinaires considèrent le futur comme beau­coup plus incertain, quand bien même leur situation réelle n'est pas affectée. Une mesure de cette incertitude est la volatilité des cours boursiers, qui augmente fortement. Cela conduit les consommateurs à différer leurs achats de biens durables. Romer [1990) montre que cet effet pourrait expliquer l'ensemble de la chute de la consommation qui a lieu en 1930.

Au total, par des canaux variés, le krach boursier a certaine­ment un impact puissant sur le début de la crise. Il ne saurait cependant sans doute expliquer sa caractéristique la plus excep­tionnelle : sa durée.

Les crises bancaires

Selon une interprétation actuellement dominante, la crise de 1929-1930 ne se transforme en grande dépression que du fait des crises bancaires qui ébranlent l'ensemble de l'économie américaine à partir de la fin de 1930. En novembre 1930, au printemps et à l'automne 1931 et surtout de décembre 1932 à mars 1933, des milliers de banques font faillite en quatre

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44 LA CRISE DE 1929

grandes vagues. Le nombre total de banques aux États-Unis est divisé par deux (de 2S 000 à 12000). Qui dit disparition des banques dit recul du crédit, d'où difficultés des entreprises pour financer tant leurs fonds de roulement que leurs investisse­ments, donc baisse accrue des prix (pour obtenir des liquidités à tout prix), licenciements (pour éviter de payer les salaires), chute de la production et du pouvoir d'achat, et donc aggravation de la crise.

Le retour de la théorie quantitative

Selon la version initiale de cette thèse, présentée en 1963 par Milton Friedman et Anna Schwartz dans leur monumentale Histoire monétaire des États-Unis, le mécanisme à l'œuvre peut se comprendre aisément à partir de l'équation quantitative:

M.V = P.T.

Où la masse monétaire M multipliée par la vitesse de circula­tion de la monnaie V est égale au niveau des prix P multiplié par la quantité des transactions de biens T (ou le produit inté­rieur brut mesuré en termes réels, en tant qu'approximation des transactions). Cette équation présente une identité comptable qui peut être interprétée de diverses manières. La théorie quanti­tative remise à jour par le « monétarisme» de Friedman se résume à dire que c'est la quantité de monnaie M qui déter­mine le produit P.T, la vitesse de circulation étant plus ou moins constante. La quantité de monnaie affecte directement le niveau des prix car les agents économiques ont besoin d'une quantité donnée de monnaie en termes réels, c'est-à-dire en termes de pouvoir d'achat de biens. Si l'offre de monnaie (par le système bancaire) diminue, elle devient inférieure à leurs besoins, donc ils vendent des biens pour en obtenir, ce qui fait baisser les prix jusqu'à ce que la quantité réelle de monnaie (M/P) soit revenue à son niveau souhaité.

Dans les années 1930, non seulement la quantité de monnaie M diminue fortement, mais la vitesse de circula­tion V baisse également du fait de la ruée sur les billets (jugés plus sûrs, même si moins commodes pour les paiements que les dépôts bancaires), ce qui explique un véritable effondrement de la valeur de la production (P.T).

Friedman et Schwartz décrivent précisément l'évolution de la quantité de monnaie pendant la dépression, soulignant

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LA CRISE AMÉRICAINE 4S

l'incapacité de la politique monétaire à maintenir la quantité de monnaie en circulation, et insistant en particulier sur le rôle des crises bancaires dans sa chute.

Graphique 5. Composantes de la masse monétaire des États-Unis, 1929-1933 (en milliards de dollars)

50 r-------,---------,---,----,-----,------,--------,

40

30

10 9 Grande- Achats

Krach 1 re crise 2e crise Bretagne de la Fed à 3e crise boursier bancaire bancaire quitte l'open market bancaire

l'étalon-or

6

5

4

1929 1930 1931 1932 1933

Légende: ce graphique représente les différentes composantes de la masse monétaire: billets détenus par les agents non financiers, dépôts bancaires à vue, à terme et totaux, et le total qu'est la masse monétaire, le tout en milliards de dollars. l'échelle est logarithmique.

Source: Friedman et Schwartz [1963, graphique 27, p. 302].

Ils observent que durant la dépression trois changements majeurs ont lieu en matière monétaire: l'augmentation de la base monétaire (les réserves des banques et les billets détenus par les agents non financiers), de 7,1 milliards de dollars en 1929 à 17,6 en 1939, irait dans le sens de l'expansion de la quantité de

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46 LA CRISE DE 1929

monnaie; mais elle est plus que compensée par le recul des dépôts en banque, qui représentent l'essentiel de la masse moné­taire. Ce recul résulte d'une part d'un choix des banques de réduire leurs crédits et renforcer leurs réserves, par peur de la fail­lite, d'autre part de la crainte du public de voir les banques faire faillite, ce qui le conduit à convertir ses dépôts en billets (voire en pièces d'or). De fait, le ratio des dépôts sur les réserves décline continûment de 13 en 1929 à 3,7 en 1939 (une chute de 72 %) tandis que le ratio des dépôts sur les billets baisse de 11 en 1929 à 5,1 en 1933 (après une légère hausse en 1930 à 11,2), soit - 54 %. La résultante de ces évolutions est que la masse moné­taire passe de 46,2 milliards en 1929 à moins de 30 milliards en avril 1933, point le plus bas de la décennie, une baisse d'un tiers.

Friedman et Schwartz interprètent cette évolution comme résultant de changements de comportement des banques et de leurs déposants durant les crises bancaires. Baisse des dépôts et nécessité d'accroître les réserves se seraient conjuguées pour produire un effondrement des crédits bancaires qui aurait été la cause centrale de la multiplication des faillites, de la chute de l'investissement et de la consommation, et finalement de l'effondrement de la production. La raison de l'ampleur de l'impact est simple: de même que les banques peuvent créer beaucoup de monnaie via le crédit parce que les montants consentis en crédits reviennent comme dépôts dans le système bancaire (selon le mécanisme dit du multiplicateur monétaire), symétriquement lorsque les dépôts diminuent, les banques doivent réduire de manière plus que proportionnelle leurs crédits pour maintenir leur liquidité. Ainsi, durant l'été et l'automne 1931, la hausse de 390 millions de dollars des billets détenus par le public suppose une réduction des dépôts (et donc des crédits) de 5,7 milliards.

Les erreurs de la Fed

Selon Friedman et Schwartz, la dépression est donc due aux crises bancaires. Celles-ci ne résultent pas d'un excès antérieur d'octroi de crédit par les banques, ou de dysfonctionnements structurels du système bancaire, mais de la panique des dépo­sants et surtout d'erreurs de politique monétaire: face aux crises bancaires, la Fed ne réagit pas par l'expansion vigoureuse de la base monétaire qui aurait permis d'arrêter la chute des dépôts. Elle est d'autant plus coupable qu'elle dispose de l'instrument qui

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LA CRISE AMfRICAINE 47

permet d'augmenter la base monétaire même quand les banques ne se présentent pas à l'escompte (pour obtenir des liquidités de la banque centrale en échange de créances commerciales) : l'open market, c'est-à-dire la capacité à acheter des titres à court terme sur le marché monétaire. Elle l'a fait fin 1929, immédiatement après le krach boursier. Par la suite, elle considère qu'il n'est pas nécessaire de faire davantage que de maintenir les taux très bas. Quand le dollar est attaqué fin 1931, elle remonte même ses taux d'intérêt. Elle se refuse à la politique monétaire quantitative par l'open market, sauf, brièvement, à l'été 1932 sous la pression du Congrès, ce qui conduit selon Friedman et Schwartz à la seule (brève) reprise de la période. Selon ces auteurs, l'explication majeure de cette attitude timorée est l'absence d'une forte person­nalité au sein de la Fed après la mort du leader incontesté qu'était Benjamin Strong, survenue en octobre 1928.

Le point clef de l'explication monétariste consiste en ce carac­tère exogène des crises bancaires, véritable deus ex machina qui explique l'aggravation de la crise sans résulter d'aucune évolu­tion économique antérieure. Ceci permet de présenter la politique monétaire comme la solution optimale au détriment de toute autre (et accessoirement pour Friedman de montrer qu'il est moins conservateur qu'il ne paraissait puisque la « règle» qu'il propose - une croissance constante de la masse monétaire -peut, en cas de déflation, conduire à une politique monétaire expansive, l'opposé de celle qu'il prône dans les années 1960).

Limites de l'explication monétariste

L'explication par les crises bancaires a été fortement criti­quée. Dès 1976, Temin souligne que Friedman et Schwartz ne prêtent attention qu'à l'offre de monnaie, sans se demander si la demande n'a pas également baissé. Dans leur jugement sur la crise, ils font ainsi comme si la banque centrale était en mesure de déterminer seule l'offre de monnaie. Or, si la crise montre une chose, c'est que la politique monétaire expan­sionniste de la Fed n'a pas suffi à enrayer la chute de la quan­tité de monnaie. Certes, on peut toujours faire plus, mais jamais la politique monétaire n'avait été aussi favorable qu'entre la fin de 1929 et 1933, la base monétaire augmentant de 4,6 0/0 par an et les taux d'intérêt étant presque toujours très bas. Or, si l'offre de monnaie avait baissé davantage que la demande, on s'attendrait au contraire à une hausse des taux d'intérêt.

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Certes, le taux d'intérêt réel anticipé, celui qui détermine la demande de crédit, peut avoir augmenté si les agents écono­miques ont prévu la déflation, mais il ne semble pas que cela soit le cas [Hamilton, 1992]. Il est donc probable que la chute de la demande de monnaie, qui résulte logiquement de la baisse de l'activité et des prix, contribue significativement à la baisse de la masse monétaire. Il est plus difficile de dire dans quelle mesure elle le fait.

Les crises bancaires résultent de la crise économique

Enfin, la thèse monétariste dépend de l'exogénéité des crises bancaires par rapport à la crise économique, autrement dit suppose que les crises bancaires ne sont pas elles-mêmes les conséquences d'une crise qui aurait d'autres origines. Friedman et Schwartz affirment en ce sens qu'il s'agit de crises de confiance dans le système bancaire, de paniques, de crises systé­miques qualitativement différentes des faillites bancaires des années 1920. Cette thèse a été malmenée par les recherches effectuées depuis.

Ainsi, la crise de fin 1930 n'a rien d'un phénomène de panique national: elle consiste essentiellement dans l'effondre­ment de l'empire financier Caldwell (qui couvre plusieurs États du Sud) et de la Bank of the United States (de taille moyenne, mais dont le nom a un effet symbolique), la première affectée par l'agriculture du Sud et la seconde en outre par le krach bour­sier. Comme les crises de 1931, elle reste très comparable à celles des années 1920 : principalement due à la mauvaise qualité des risques pris par les banques (y compris en Bourse), résultat parfois de crises agricoles locales, et sans effet national clair. Ainsi, en 1930 comme en 1931, une grande partie des douze districts fédéraux de la Fed ne sont pratiquement pas affectés. En 1930, la crise est concentrée dans le district de Saint-Louis (où sont localisées 40 % des banques faisant défaut), au prin­temps 1931 dans celui de Chicago (un tiers), à l'automne 1931 ceux de Cleveland, Chicago et Philadelphie réunissent les deux tiers des dépôts des banques défaillantes [Wicker, 1996]. À partir d'une base de données incluant des informations individuelles sur toutes les banques membres du système de réserve fédéral (soit 8707 banques sur les 24504 existantes, mais représentant 73 % des dépôts), Calomiris et Mason [2003] montrent que les phénomènes de panique de déposants (de contagion locale

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LA CRISE AMÉRICAINE 49

Graphique 6. Les taux d'intérêt aux États-Unis, 1929-1933

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%

Légende: ce graphique représente différentes mesures du taux d'intérêt, correspondant à des instruments de diverses maturités émis par divers emprunteurs. Le taux d'escompte correspond aux refinancements des banques par la Fed en échange de dettes à court terme d'entreprises sûres. Le taux du papier commercial est celui auquel des entreprises sûres s'endettent sur le marché à court~moyen terme (trois à six mois). Les obligations Baa sont

émises par des entreprises relativement risquées pour un financement à long terme. le taux actuariel est le taux que rapporterait leur détention jusqu'à maturité à qui les achèterait sur le marché à un moment donné.

Source: Friedman et Schwartz [1963, graphique 29, p. 304].

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50 LA CRISE DE 1929

entre banques) jouent un rôle négligeable tandis que les caracté­ristiques réelles de l'économie locale jouent un rôle important dans les faillites bancaires. La seule crise dans laquelle un phéno­mène national est clairement identifiable est la dernière (et la plus importante), celle qui culmine avec l'arrivée au pouvoir de Roosevelt qui décrète pour y mettre fin des bank holidays natio­naux; 1 500 banques ne rouvriront alors pas leurs portes.

L'insuffisante régulation bancaire

Autant que de l'environnement économique, les crises résul­tent de la fragilité structurelle du système bancaire américain, elle­même due à une régulation très défectueuse. En témoigne le fait que même durant les prospères années 1920, plus de 5000 fail­lites bancaires ont eu lieu (sur un total initial de 29000). Le système bancaire américain est incroyablement dispersé. Sur les 25000 banques qui existent au début de la crise, si 250 réunissent 50 % des dépôts, 80 % ont un seul guichet et se trouvent dans des villes de moins de 10 000 habitants, ce qui les rend très dépen­dantes de la conjoncture locale et de prêts interbancaires. Le système fédéral de réserve n'a en outre aucun droit de surveil­lance sur les banques qui refusent d'y participer, qui sont en juin 1929 au nombre de 15797. Ces non-member banks sont censées être surveillées par les États, mais en pratique elles le sont peu. Elles représentent 80 % des faillites entre 1929 et 1933.

La raison de ces insuffisances réglementaires tient à la struc­ture fédérale des États-Unis et à la concurrence que se font les États et l'État fédéral depuis la fin du XIX' siècle pour attirer les banques. Cette concurrence se traduit par une régulation très favorable aux petites banques, en particulier par de très fréquentes restrictions à l'ouverture de guichets autres qu'au siège et plus encore en dehors de l'État où est enregistrée une banque. Or une banque trop dépendante d'une économie locale - souvent de quelques débiteurs - est souvent mise à bas par des difficultés relativement mineures qu'une plus large assise aurait permis d'éviter. Elle les répercute en revanche sur les banques qui lui ont confié des capitaux selon la pratique très répandue des" correspondants ». Ainsi, quand elle ferme ses portes, la banque que dirige le général Dawes a des dépôts de 755 autres banques, qui elles-mêmes en reçoivent de 21 000 : si les difficultés ne se diffusent pas par la panique des déposants (qui ne savent rien de ces opérations), elles le font à travers ce

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LA CRISE AMtRICAINE 51

système incontrôlé et fragilisant. À cet égard, même la régula­tion du système fédéral de réserve est inefficace, car sa décentra­lisation en douze districts fédéraux rend une surveillance comme une intervention coordonnée difficiles [White, 1984; Wicker, 1996]. Au Canada voisin, la baisse de la quantité de monnaie est aussi importante qu'aux États-Unis mais le système bancaire, très concentré, passe à travers la crise sans dégâts, ce qui confirme le rôle de la régulation bancaire aux États-Unis tout en montrant que la quantité de monnaie n'est pas fondamenta­lement affectée par les faillites bancaires.

Pourtant, les crises bancaires jouent un rôle certain d'aggra­vation de la crise. En effet, elles conduisent à une détériora­tion de l'efficacité de l'allocation du crédit, une sorte de choc technologique négatif que l'on pourrait assimiler, dans les termes de l'équation quantitative précédente, à une baisse de V, et qui agit donc sur l'activité indépendamment de la baisse de la quantité de monnaie [Bernanke, 2000, chapitre 2]. La raison en est la suivante: comme il est très difficile d'évaluer la qualité d'un projet d'investissement ou de contrôler l'usage qu'un emprunteur va faire d'un crédit, les banques exigent des garanties (hypothèque, droit prioritaire sur certains actifs) pour étendre un crédit. La chute de la valeur des actifs (qu'il s'agisse de la Bourse, de l'immobilier, ou des actifs productifs des entre­prises), et donc de ces garanties, conduit à une restriction brutale du crédit bancaire, qui touche particulièrement les PME. Les grandes entreprises parviennent en général à dégager plus de liquidités, mais les gardent inemployées; ce faisant, elles empi­rent le problème, de même que les particuliers qui se méfient des banques et en retirent leurs dépôts en l'absence, là encore, de garanties suffisantes.

Enfin, les prêteurs potentiels se réfugient sur les valeurs refuge, en particulier la dette publique, ce qui accroît l'écart entre les prix auxquels peuvent s'endetter les entreprises les plus sûres et les plus fragiles, et empire les difficultés de ces dernières. En résulte un investissement plus faible et de moins bonne qualité, dans la mesure où rien ne relie en général la qualité des projets d'investissement et la taille ou la solidité financière des entreprises qui les développent. Ainsi, l'écart entre les dettes les plus sûres (le commercial paper à court terme des grandes entre­prises) et les plus risquées (par exemple les obligations privées risquées notées Baa par l'agence Standard and Poor's) augmente fortement dans la phase aiguë de la crise.

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La puissance de ce mécanisme de «déflation par la dette» (comme 1. Fisher le nomme dès 1933) tient à son caractère cumulatif, dans la mesure où la destruction du système bancaire rend le crédit inaccessible aux PME, qui pour retrouver de la liquidité licencient et baissent leurs prix; cela accroît la baisse des prix générale, qui empire les difficultés des firmes endettées, multiplie les faillites, qui empirent en retour la situation des banques.

Les politiques de sauvetage des banques

Une telle interprétation présente l'avantage d'éviter l'hypo­thèse radicale d'exogénéité des crises bancaires, comme d'expli­quer pourquoi la politique monétaire expansionniste ne suffit pas: les banques ne souffrent pas seulement d'insuffisances de liquidité (posséder des actifs, par exemple des créances, mais pas d'argent liquide immédiatement disponible), mais bien de problèmes de solvabilité (leurs placements - parce qu'ils s'avèrent mauvais - risquent de ne pas suffire à rembourser leurs dettes). Dans un tel cas, une recapitalisation des banques (qui peut passer par leur nationalisation) est nécessaire. Les gouvernements·en prennent d'ailleurs peu à peu conscience. En octobre 1931, Hoover encourage les grandes banques à fonder la National Credit Corporation pour accorder des crédits aux petites banques en difficulté, essentiellement pour assurer la liquidité des banques non membres du système fédéral de réserve, qui n'ont pas accès à l'escompte de la banque centrale. Au-delà de cette solution privée (qui va d'ailleurs échouer), il crée en décembre 1931 la Reconstruction Finance Corporation (RFC), qui accorde des crédits à un certain nombre de banques. Malgré son efficacité, qui témoigne de l'utilité d'un prêteur en dernier ressort, elle se heurte cependant à des obstacles impor­tants. Comme les accusations de favoritisme se multiplient, le Congrès exige la transparence; mais quand la liste des banques bénéficiaires des prêts du RFC est publiée en août 1932, elles sont victimes de retraits massifs de dépôts qui annulent large­ment l'effet favorable de son appui [Butkiewicz, 1995]. Ce n'est donc que lorsque Roosevelt arrive au pouvoir que les réticences politiques à de véritables interventions à long terme, en parti­culier par achat d'actions, sont mises en œuvre par la RFC. Les faillites se raréfient alors, mais c'est au prix, selon certains d'un véritable « socialisme bancaire ».

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LA CRISE AMÉRICAINE 53

Jusqu'à ce que ces interventions radicales soient mises en place, les crises bancaires ont sans doute un impact aggravant sur la dépression. Néanmoins, il n'est pas négligeable de constater que l'aggravation de la crise - en particulier des crises bancaires - a lieu au moment de la dévaluation de la livre ster­ling (21 septembre 1931), tandis que le début de la reprise date de celle du dollar (le minimum est atteint précisément en mars 1933), relativisant l'impact de la dernière (et plus impor­tante) des crises bancaires. L'anticipation d'un changement radical de régime monétaire avec l'arrivée au pouvoir de Roose­velt conduit sans doute à la fois aux dernières crises bancaires (les déposants se ruant pour obtenir leurs dollars encore conver­tibles) et au début de la reprise. Nous y reviendrons.

Le chômage

L'aspect le plus dramatique de la dépression est la montée rapide et inexorable du chômage, qui aux États-Unis passe de 3 à 25 % de la population active et touche à son maximum 15 millions de personnes en 1933. Ce chômage résulte des licen­ciements massifs dans l'industrie (où l'emploi baisse de 37,5 0/0 entre 1929 et 1932), mais aussi de la ruine de nombreux agricul­teurs que la baisse des prix oblige à abandonner leurs terres à leurs créanciers. Certains secteurs - l'industrie en particu­lier - et donc certaines régions sont beaucoup plus touchés que d'autres. Aux États-Unis, Detroit, capitale de l'automobile, est sinistrée au cœur de la crise, les grands constructeurs licen­ciant en moyenne les trois quarts de leurs ouvriers; mais elle repart plus vite que des villes aux spécialités plus traditionnelles. La situation des agriculteurs du Middle-West est empirée par les dust bowls, une série de tempêtes de poussière d'une ampleur sans précédent qui touchent les grandes plaines en 1934, 1935 et 1939-1940, détruisant largement l'agriculture, spécialement en Oklahoma et en Arkansas. Le livre de Steinbeck, Les Raisins de la colère (1939), décrit la migration massive (dans l'Oklahoma, elle concerne 15 % de la population) des fermiers ruinés vers la Cali­fornie, où ils espèrent échapper au chômage. En ville, quand le chômage touche plusieurs membres d'une famille et que s'y ajoute la disparition de l'épargne déposée dans une banque en faillite et l'expulsion du logement pour loyers impayés, la misère conduit à la mendicité, aux soupes populaires, aux masures de

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54 LA CRISE DE 1929

fortune dans les bidonvilles qui se multiplient (qualifiés de « Hoovervilles » en référence à l'impuissance du président) et à l'errance des adolescents livrés à eux-mêmes dans des familles découragées [Heffer, 1976].

L'action des autorités est rendue difficile par le manque d'information statistique de qualité en matière de chômage. Si le concept de chômage a été clarifié depuis le début du siècle [Topalov, 1994; Salais et al., 1986], la connaissance fine et fréquente du phénomène est souvent réduite aux statistiques des syndicats, qui ne portent que sur leurs membres. Les autres actifs sont beaucoup moins bien observés, qu'il s'agisse des salariés des services ou des industries moins concentrées (moins syndiqués en général), des jeunes entrant sur le marché du travail (les statistiques du chômage ne comptent souvent que les salariés ayant perdu leur emploi), des indépendants (professions libérales, artisans, commerçants, agriculteurs) ou des femmes. Par ailleurs, le chômage partiel est négligé, alors qu'il conduit souvent à la misère (par exemple parmi les agriculteurs). Natu­rellement, les étrangers renvoyés chez eux font autant de chômeurs de moins, ce qui renforce les tentations xénophobes.

En attendant la mise en place de nouvelles enquêtes systéma­tiques lors du New Deal [Didier, 2009], le chômage est initiale­ment observé par des sociologues. Par exemple, Paul Lazarsfeld, après son étude pionnière de 1931 dans une petite ville autri­chienne (Die Arbeitlosen von Marienthal, 1933), étudie le chômage dans le New Jersey [Lazarsfeld et Stouffler, 1937]. Ces travaux, ainsi que nombre de romans (comme le célèbre The Road to Wigan Pier (1937) de George Orwell), montrent les conséquences matérielles et morales dramatiques du chômage: sous-alimentation, souvent compensée par l'abus d'excitants comme le café ou l'alcool, voire le jeu, isolement et repli sur soi après l'échec de la période de recherche frénétique d'emploi. Ils contribuent à modifier l'attitude traditionnellement méprisante des élites envers les chômeurs.

Explications du chômage

Comment un tel chômage est-il possible? Quelles sont ses conséquences?

La théorie classique du marché du travail - dominante en 1929 plus encore qu'aujourd'hui - considère que seuls des obstacles aux ajustements spontanés par le marché peuvent

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LA CRISE AMÉRICAINE 55

expliquer un tel chômage. En leur absence, il y aurait toujours un niveau de salaire (éventuellement très bas) auquel tout travailleur trouverait un employeur.

Graphique 7. Prix, salaires réels et el1)ploi (échelle de gauche) et chômage (échelle de droite) aux Etats-Unis, 1929-1938

150

140

130

120

110

100

90

80

30

25

20

15

10

5 70

60+---;---~---+~~--~r---r---;---~---+---+0

1929 1930 1931 1932 1933 1934 1935 1936 1937 1938

- Salaire nominal ...... Salaire réel

...... Emploi industriel --- Chômage

Légende: indices des salaires nominaux (hommes qualifiés et semi-qualifiés, gains horaires, National Industrial Conference Board), des prix à la consommation (Bureau of Labor

Statistics), des emplois dans l'industrie et des salaires réels (ratio des salaires et des prix

décrits précédemment). Tous indices base 1929 = 100. Taux de chômage évalué par

l'American Federation of Labor.

Source: Société des Nations (1940) à partir de données du BIT.

Lors d'une crise, la baisse de la production conduit à une hausse provisoire du chômage qui pèse sur les salaires et permet le retour au plein emploi. Cette adaptation est plus difficile lorsque les prix diminuent car, par « illusion nominale », les salariés refusent toute baisse des salaires nominaux et voient donc leurs salaires réels augmenter, ce qui accroît les diffi­cultés des employeurs et donc les licenciements. Néanmoins, on s'attend à ce que ceux-ci pèsent sur les salaires jusqu'à ce que ces derniers, ajustés par le niveau des prix, trouvent leur équilibre.

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56 LA CRISE DE 1929

On observe effectivement au début de la crise une hausse des salaires réels et une augmentation du chômage. Les licencie­ments augmentent dès la fin de 1929, se stabilisent début 1930, reprennent fortement à la mi-1930. Les rares enquêtes menées à l'époque montrent que le nombre d'entreprises augmentant les salaires diminue et que, à partir du début de 1930, la plupart commencent à les baisser, comportement qui se répand durant l'été 1930. Des statistiques mensuelles sur les salaires collectées en 1937 par le National Industrial Conference Board confirment que le salaire moyen ne baisse pratiquement pas dans l'indus­trie avant 1931 (- 2 % d'août 1929 à janvier 1931; - 1,5 % de janvier à août 1931); les baisses sérieuses commencent seule­ment en octobre 1931, et atteignent 18 % dans les dix-huit mois suivants. Des données sectorielles plus précises montrent la même chose: ainsi dans la métallurgie, les taux de salaires de V.S. Steel, qui donnent le la dans tout le secteur, restent constants jusqu'à une première baisse de 11 % le 1er octobre 1931.

Graphique 8. Salaires réels horaires et hebdomadaires, États-Unis, 1929-1938

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Légende: salaires horaires et trois indices différents des salaires hebdomadaires américains rapportés au même indice des prix à la consommation.

Source: Société des Nations.

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LA CRISE AMÉRICAINE 57

Les travaux récents montrent que la rigidité des salaires suffit à expliquer l'augmentation du chômage et qu'elle peut se comprendre par une erreur d'anticipation de la baisse des prix. Selon Bordo Erceg et Evans [2000], c'est ce qui distingue la grande dépression de la crise de 1921 (où une forte chute des prix avait conduit à une rapide et forte baisse des salaires, permettant une reprise rapide) : la nécessité d'une restructura­tion après guerre était alors comprise par tous, ce qui n'est pas le cas en 1930.

Pourquoi la stabilité des salaires ?

Si la rapidité de la déflation n'a sans doute pas été perçue en 1929 (seules 25 % des entreprises utilisent pour fixer leurs salaires les rares et imparfaits indices des prix qui sont alors publiés), il est néanmoins difficile de comprendre pourquoi les salaires n'ont pas baissé pendant plus de deux ans et n'ont ensuite jamais rattrapé la baisse des prix.

Les explications par des interventions de l'État, habituelles en la matière, n'ont pas lieu d'être au début de la crise: il n'y a pas de salaire minimum ni guère d'indemnisation du chômage. L'explication traditionnelle par le poids des syndicats est insuf­fisante : le taux de syndicalisation a baissé de 12,1 à 7,5 % de 1920 à 1929, et les contrats de travail fixant des salaires pour plusieurs années sont rares même là où les syndicats sont puissants.

Certes, Hoover demande au début de la crise aux employeurs de ne pas baisser les salaires. Pourtant, une telle demande n'obtiendrait qu'une écoute polie de la part des chefs d'entre­prise si l'idée que les salaires doivent être les derniers coûts à réduire en cas de récession n'était pas largement partagée. Cette idée est apparue au lendemain de la crise de 1921, durant laquelle certains pensent qu'un ajustement modéré des salaires a permis une reprise rapidement tirée par la consommation. Elle se répand dans les années 1920, où le National industrial Confe­rence Board, l'administration Hoover, voire des économistes comme W. Mitchell soutiennent que la prospérité dépend de salaires élevés [O'Brien, 1989].

Or cette idée a un véritable impact grâce à la coordination entre grandes entreprises réalisée en matière de conditions de travail, d'embauche et de salaires par le Conference Committee mis en place en 1919 par les patrons de General Electric et de

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Standard Oil pour restreindre la concurrence et organiser leur lobbying auprès du Congrès, et dont les membres jouent le même rôle de coordination avec les PME les plus importantes. Ceci peut expliquer le maintien des salaires jusqu'à l'automne 1931. La doctrine est alors abandonnée, mais le chômage est déjà très élevé.

Une interprétation plus structurelle, et peut-être complémen­taire, tient au développement de marchés internes du travail et de stratégies des entreprises destinées tant à éviter le tum-over qu'à améliorer la qualité de leur main-d'œuvre. Ces politiques d'emploi font du travail un facteur beaucoup plus fixe dans les années 1920 qu'il ne l'était auparavant, et conduisent donc les employeurs à ne s'en séparer qu'en dernier ressort, ce qui joue sans doute dans le retard avec lequel les salaires sont abaissés Uacoby, 1985; Bernanke, 2000].

Ces explications, qui s'appuient sur les transformations récentes du marché du travail et sur la montée des grandes entreprises en son sein, restent cependant en partie insatisfai­santes quand on sait la capacité de petites entreprises à émerger en offrant des salaires faibles dans une économie en récession. Mais peut-être est-ce qu'avant leur apparition la crise est devenue si profonde que d'autres solutions ont été inventées. Ou que l'écart entre leur productivité et celle des entreprises qui licencient est tel que les salaires qu'elles offrent sont réelle­ment inacceptables. Nous reviendrons sur ces points dans le chapitre v.

Au terme de ce chapitre, aucune explication unique du déclenchement de la crise américaine n'apparaît comme totale­ment satisfaisante, ce qui conduit à adopter un point de vue éclectique. La baisse des prix sur les marchés de matières premières et le surendettement des ménages ont conduit à un début de crise. Celui-ci a été aggravé par un krach boursier d'une ampleur d'autant plus grande qu'il suivait une bulle spécula­tive exceptionnelle. L'ensemble de ces causes a débouché sur des crises bancaires, qui ont contribué à multiplier les faillites et faire chuter la production et les prix. Cette explication essentiel­lement interne à l'économie américaine, et qui redonne à l'instabilité de la finance une place depuis longtemps souli­gnée par H. Minsky [1982], souffre cependant d'une insuffi­sance d'intégration d'éléments internationaux. Le rôle de la baisse des prix agricoles mondiaux et des difficultés dont

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souffrent des pays en développement fortement endettés auprès des États-Unis doit être réévalué. De même, les crises bancaires coïncident trop avec celles qui ont lieu en Europe centrale pour que cette connexion soit négligée. Enfin, le fait que le change­ment de régime monétaire d'avril 1933 coïncide avec le début de la reprise ne peut pas non plus être oublié. Même si sa dimen­sion interne est importante du fait de la modestie des échanges commerciaux avec l'étranger, la crise américaine n'est sans doute donc pas aussi indépendante de la crise mondiale qu'il est souvent affirmé.

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IV / la crise de la première mondialisation

les tensions dues à la mondialisation ne naissent pas en 1929 : dès le XIX' siècle, celle-ci fait des gagnants mais aussi des perdants, qui tentent d'obtenir des compensations de la part des États [O'Rourke et Williamson, 1999). En particulier, elle produit ou transmet des crises contre lesquelles une demande de protec­tion s'exprime. Le protectionnisme permet de limiter l'impact de la mondialisation des échanges sur les économies nationales, leur offrant le temps nécessaire aux restructurations inévitables; de même, des lois restrictives tiennent compte de l'hostilité des travailleurs envers une immigration qui pèse immédiatement sur les salaires alors que sa contribution à l'enrichissement collectif est différé. Enfin, les banques centrales et les États tentent de lutter contre les crises conjoncturelles même en étalon-or, car ils jugent que sa perpétuation crédible est la condition de l'obtention de crédits bon marché ou de leur capacité à stériliser à court terme des mouvements de capitaux. Le XIX' siècle est donc à la fois et inséparablement le siècle de la mondialisation et celui du nationalisme. L'État-nation est le responsable de la protection d'une communauté nationale face aux chocs en provenance de l'étranger: tarifs, politiques d'immigration ~t banques centrales sont ses instruments d'intervention.

Déjà, la Première Guerre mondiale résulte pour partie de certaines de ces contradictions [Offer, 1989]. Dans les années 1920, les grandes puissances prétendent faire le choix d'un retour à une mondialisation mieux organisée et concertée. Elles créent la Société des Nations pour poser les règles du jeu des relations internationales. L'Organisation internationale du travail doit édicter des normes qui régulent la concurrence et veiller à la concertation en matière migratoire. L'étalon de

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change or doit avoir les beautés de l'étalon-or sans ses coûts, en permettant d'éviter la déflation redoutée. En 1930, la Banque des règlements internationaux vise à l'action concertée des banques centrales face aux crises.

Mais ces institutions ont peu d'expérience et de moyens, sans doute à cause de l'absence d'une véritable volonté de coopéra­tion de la part des États. Les États-Unis, en particulier, évitent de s'y engager. Les grandes puissances et leurs banques centrales mènent leur politique sans véritable concertation et sans respect des règles internationales. Les stabilisations monétaires sont menées dans le désordre et les ajustements nécessaires sont repoussés.

La mondialisation reprend cependant dans les années 1920, mais elle reste moins importante en 1929 qu'en 1913 : l'intégra­tion des marchés internationaux de capitaux, de marchandises comme du travail est moindre. Le krach de Wall Street n'est ainsi pas un événement marquant sur nombre de Bourses euro­péennes. Mais, jusqu'à la crise, un certain nombre de règles - même discutées - restent respectées partout. Le protection­nisme doit protéger, pas empêcher le commerce; on peut freiner les migrations, non les empêcher ou renvoyer les migrants à leur pays d'origine; on peut taxer les capitaux, pas les empêcher de circuler; enfin, les politiques monétaires peuvent atténuer l'impact des crises, mais pas violer systématiquement le cadre de l'étalon-or.

En 1930, la crise es"t déjà internationale, touchant les expor­tateurs de matières premières, les États-Unis et l'Allemagne. Elle n'est pas encore une crise de la mondialisation. Les échanges internationaux sont en recul, mais ils ne rencontrent pas d'obstacles politiques majeurs. Ce sont de tels obstacles qui surgissent à partir de 1931 avec l'effondrement de l'étalon-or, les faillites d'États souverains et la montée d'un protection­nisme nouveau, frontalement hostile à la mondialisation et à l'économie de marché. Si l'effondrement des échanges n'est pas la cause principale de la dépression, ces réactions politiques sont le symptôme de la profondeur des transformations que provoque la dépression comme de la radicalisation des conflits qui débouche sur la Seconde Guerre mondiale.

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La crise financière et monétaire

La fin de l'étalon-or

Alors qu'une timide reprise a lieu entre la fin 1930 et le prin­temps 1931, une crise financière et monétaire de grande ampleur dévaste une grande partie de l'Europe à partir du mois de mai et relance la dépression. Les quatre principaux pays débi­teurs du continent (Allemagne, Grande-Bretagne, Hongrie et Autriche, par ordre décroissant de montant des dettes) voient leurs monnaies et parfois leurs systèmes bancaires emportés par une crise qui détruit le système monétaire international mis en place péniblement dans les années 1920.

Le 11 mai 1931, le Credit-Anstalt, principale banque autri­chienne, reconnaît des pertes pour 1930 supérieures à son capital et demande l'aide du gouvernement [Schubert, 1991J. Celui-ci la recapitalise immédiatement, sans parvenir à empê­cher une perte de confiance rapide : les déposants, nationaux comme étrangers, retirent leurs dépôts, et le mouvement s'étend aux autres banques. Pour les sauver, la banque centrale n'hésite pas à leur fournir massivement de la liquidité, augmentant le montant des billets en circulation de 2S % en moins de trois semaines. Ce faisant, elle fait craindre pour la convertibilité du schilling. Les sorties vers l'étranger font fondre ses réserves (pourtant initialement très élevées), qui baissent d'un tiers avant la fin du mois. Le prêt international qu'elle obtient s'avère trop faible et tardif. Pour éviter une politique restrictive qui aggrave­rait la situation économique, le gouvernement restreint la convertibilité interne du schilling et obtient un moratoire des banques étrangères dès fin mai. Un contrôle des changes formel est mis en place le 21 septembre. Au marché noir, le prix de l'or et des devises monte presque immédiatement 40 % au-dessus du pair.

La même séquence (crise bancaire, tentative de sauvetage par la banque centrale, sorties de capitaux, prêt international insuf­fisant, contrôle des changes) a lieu dans la foulée en Hongrie puis en Allemagne. À partir de juillet, les sorties de capitaux touchent la Grande-Bretagne, dont le gouvernement choisit de suspendre la convertibilité de la livre sterling le 21 septembre.

La suspension de la convertibilité de la livre frappe le monde de stupeur et marque la véritable fin de l'étalon-or comme système monétaire international. Au terme de cet été que

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les contraintes de l'étalon-or

En étalon-or, une monnaie est légale­ment convertible en or à un prix fixe. Tout détenteur de monnaie peut en demander la conversion à la banque centrale. Pour garantir cette conver­tibilité, celle-ci est en général contrainte par la loi à garder des réserves (en or ou en devises conver­tibles) à hauteur d'une fraction de son passif (c'est-à-dire des billets qu'elle a émis et des dépôts qu'elle reçoit) nommée minimum légal de réserves. Lorsqu'un détenteur de monnaie demande une conversion, il échange des billets ou des dépôts à la banque centrale contre de l'or. L'actif et le passif de la banque sont réduits du même montant.

Lorsque le rapport entre les réserves et le passif de la banque centrale est égal à son minimum légal, la banque doit cependant réduire davantage le passif: si ce ratio est d'un tiers (c'est l'ordre de grandeur habituel, le ratio légal variant entre 30 et 40 % selon les pays), toute réduction de 1 des réserves implique une réduction de 3 du passif. Cette caractéristique conduit à des politiques monétaires très restric­tives : pour réduire le passif, la banque

doit augmenter ses taux d'intérêt pour réduire la demande de monnaie, ce qui a un effet défavorable sur l'économie.

Ce risque de se voir imposer leur politique monétaire par les variations de leurs réserves conduit de nom­breuses banques centrales à détenir davantage de réserves que le minimum légal. En effet, lorsque le rapport entre les réserves et le passif de la banque centrale est supérieur à celui-ci, la banque peut choisir entre annuler, répercuter ou renforcer l'impact des flux de réserves sur son passif: lorsqu'elle compense ce dernier en maintenant son passif (par exemple si elle augmente ses crédits, et donc ses émissions de billets ou ses dépôts, pour compenser la conversion de billets en or), on dit qu'elle stérilise ces flux.

Quand un pays en étalon-or subit une crise bancaire, la protection de son économie implique une interven­tion de la banque centrale pour soutenir les banques; mais si cet accroissement du montant des crédits accordés par la banque centrale est important, il peut mettre en danger la convertibilité, par exemple si elle approche le minimum légal de réserves. Il peut donc y avoir contra­diction entre sauver le système bancaire et maintenir l'étalon-or.

banquiers centraux et chefs de gouvernement passent à tenter d'arrêter cette machine infernale et à voir tous leurs espoirs déçus (l'ensemble est raconté avec brio par Kindleberger [1973] ou Eichengreen [1992]), le paysage monétaire mondial est bouleversé: la Grande-Bretagne et plusieurs pays d'Europe de son orbite traditionnelle (pays scandinaves, Irlande et Portugal) ont désormais des taux de change flottants, de même que le Japon et un certain nombre de pays de l'Empire britannique et d'Amérique latine (Colombie, Bolivie, Honduras et Nicaragua). À l'inverse, une grande partie de l'Europe centrale mais aussi le Brésil suivent l'Allemagne dans le contrôle des changes et la gestion administrée des paiements internationaux. L'étalon-or

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64 LA CRISE DE 1929

Tableau 3. Modifications de régime monétaire, 1919-1938

Étalon-or

Adoption Dépré- Suspension Nouvelle Contrôle dation de conver- parité des changes

tibilité

Allemagne sept. 1924 juil. 1931 Argentine 1927 Oct. 1929 déc. 1929 Oct. 1931 Autriche avr. 1925 sept. 1931 avr. 1934 Oct. 1931-

juin 1935 Australie avr.1925 déc. 1929 Belgique oct. 1926 mars 1935 mars 1935 mars 1935 mars-avril

1935 Bolivie mars 1930 sept. 1931 Oct. 1931 Brésil 1927 déc. 1929 mai 1931 Bulgarie 1927 Oct. 1931 Canada juil. 1926 oct. 1931 oct. 1931 Chili avr.1932 avr. 1932 janv. 1935 juil. 1931

Danemark janv. 1927 sept. 1931 sept. 1931 déc. 1931

Égypte sept. 1931 sept. 1931 Équateur juin 1932 févr. 1932 déc. 1935 mai 1932

Espagne non mai 1931 États-Unis juin. 1919 mars. 1933 janv. 1934 mars 1933-

nov. 1934

Finlande janv. 1926 oct. 1931 oct. 1931

France juin 1928 sept. 1936 oct. 1936 Grande- mai 1925 sept. 1931 sept. 1931 Bretagne Grèce mai 1928 avr. 1932 avr. 1932 sept. 1931 Hongrie avr. 1925 juil. 1931 Italie déc. 1927 mars 1934 nov. 1935 mai 1934

Japon déc. 1930 déc. 1931 déc. 1931 juil. 1932

Mexique août 1931 juil. 1931

Norvège mai 1928 sept. 1931 sept. 1931 Pays-Bas avr.1925 1936 oct. 1936 Pologne oct. 1927 1936 oct. 1936 avr. 1936 Portugal 1931 oct. 1931 déc. 1931 oct. 1922 Roumanie févr. 1929 juil. 1935 1932 mai 1932

Suède avr. 1924 sept. 1931 sept. 1931 Suisse 1925 1936 Tchéco- avr. 1926 févr. 1934 févr. 1934 sept. 1931 slovaquie Yougoslavie 1931 juil. 1932

Sources: Société des Nations; Bernanke [2000].

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LA CRISE DE LA PREMltRE MONDIALISATION 65

n'est plus respecté que par les États-Unis et une minorité de pays principalement européens, autour de la France (le Bloc-or).

Les origines de la crise

Les origines de la crise sont selon les pays plutôt bancaires ou plutôt monétaires, mais c'est le cocktail des deux qui la rend particulièrement détonante. En Autriche, Hongrie et Allemagne, le système bancaire est faible depuis la guerre. La tradition alle­mande de crédit bancaire fortement immobilisé dans l'industrie est fragilisée par la destruction des fonds propres lors de l'hyper­inflation et par la dépendance envers des dépôts à court terme, d'autant plus volatils qu'ils sont en grande partie étrangers (pour moitié en Allemagne).

Au plan monétaire, la crise découle directement des déséqui­libres hérités des années 1920. La sous-évaluation de la livre en fait la victime toute désignée des spéculateurs, d'autant que la Banque d'Angleterre a des réserves limitées. La surévaluation du franc conduit à faire de la France la terre de refuge de tous les capitaux sans attaches, ce qui accroît la pression sur les autres pays (qui perdent de ce fait leurs réserves).

Les faiblesses les plus profondes sont cependant macroécono­miques et politiques. Au plan macroéconomique, l'Allemagne comme la Grande-Bretagne ont des balances des paiements structurellement déficitaires. En Allemagne, l'endettement exté­rieur atteint 80 % du PIB si l'on inclut les réparations; et il atteint ses limites, car il a davantage permis de maintenir la consommation que d'accroître l'investissement et la producti­vité [Spoerer, 1997]. Dès 1928, l'Allemagne entre en récession. Le plan Young allège les réparations, mais en compensation les rend prioritaires par rapport aux dettes commerciales, ce qui fait prendre conscience aux prêteurs américains des risques qu'ils encourent pour leurs prêts passés et accroît la pression sur la balance des paiements à partir de la fin de 1929.

La Grande-Bretagne souffre de la surévaluation de la livre. Conjoncturellement, sa balance des paiements est affectée par la baisse des revenus de capitaux du fait de la crise mondiale. Elle ne peut donc plus jouer son rôle de prêteur international.

Enfin, dans tous les pays, la capacité des gouvernements à imposer des politiques d'austérité est faible face aux demandes de sauvetage des systèmes bancaires et d'aide aux victimes de la

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crise. Quand l'expérience de l'inflation n'y fait pas obstacle, la dépréciation monétaire est pour eux une solution très tentante.

Insuffisante coopération internationale ou montée des conflits?

L'insuffisante coopération internationale est aussi consi­dérée comme une cause des crises de l'été 1931 [Eichengreen, 1992]. Ainsi, lorsque les banques centrales allemande et autri­chienne demandent des prêts, la France met des conditions poli­tiques qui ralentissent les négociations (elle exige en particulier que soit abandonné le projet d'union douanière proposé à l'Autriche par le chancelier allemand Brüning) ; elle commence aussi par rejeter le moratoire Hoover.

Pourtant, les années 1920 sont l'âge béni de la coopération entre banques centrales, qui partagent la même idéologie de l'étalon-or et bénéficient d'une grande indépendance une fois celui-ci rétabli [Mouré, 2002]. La Banque des règlements interna­tionaux, fondée à Bâle en 1930, donne un cadre formel à la réunion régulière des banques centrales, même si l'absence (formelle) des États-Unis l'affaiblit.

Les difficultés viennent plutôt du regain des tensions interna­tionales héritées de la guerre. Malgré les succès diplomatiques récents, qui ont permis l'adoption du plan Young, l'incompré­hension entre les peuples est avivée par la récession. Les Alle­mands ne supportent plus les réparations, les Américains n'imaginent pas que leurs alliés se refusent à payer leurs dettes de guerre, tandis que les Français sont scandalisés par le mora­toire Hoover qui ne touche que les dettes gouvernementales, alors que la France vient d'accepter une réduction des répara­tions dans le cadre du plan Young à condition qu'elles devien­nent prioritaires par rapport aux dettes commerciales.

Plus profondément, les Français considèrent que États-Unis et Grande-Bretagne ne comprennent pas le problème de sécurité que fait courir à la France une Allemagne qui n'a jamais admis la défaite de 1918, n'a pas subi les destructions liées à la guerre et a payé les réparations à crédit [Mantoux, 1946]. Inversement, la France est soupçonnée de vouloir établir son hégémonie en Europe.

L'étalon-or comme cause fondamentale?

Cette montée des tensions géopolitiques peut cependant être considérée aussi comme la conséquence de la crise, si l'on

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L'étalon-or: l'ajustement automatique ... à condition d'obéir aux « règles du jeu»

En étalon·or, quand l'offre d'une monnaie dépasse sa demande (par exemple parce qu'il devient difficile d'obtenir des crédits pour financer le déficit de la balance des paiements courants), sa valeur tend à baisser et les taux d'intérêt à monter. Si la banque centrale assure la convertibilité et évite de stériliser les flux d'or - ce que l'on appellera plus tard respecter les règles du jeu [Nurkse, 19441 -, un ajustement est supposé intervenir « spontanément» à travers trois canaux. La hausse des taux d'intérêt améliore la compétitivité du pays en forçant à une baisse relative des prix (via le chômage), ce qui à long terme tend à rééqui­librer la balance des paiements; c'est le mécanisme dit de Hume (le philo­sophe anglais du XVII' siècle, pour qui le mécanisme était en fait plus direct de la réduction du stock d'or à la baisse des prix via l'équation quantitative du chapitre III); à moyen terme, elle réduit la demande (surtout si la politique budgétaire du gouvernement ne la contrarie pas), ce qui a le même effet (méca­nisme dit de Keynes) ; à court terme, elle attire les capitaux, en leur offrant une meilleure rémunération qu'à l'étranger, ce qui maintient le taux de change à sa parité. Ce dernier mécanisme dépend cependant de la confiance que les opéra­teurs des marchés financiers ont dans la continuité du respect des règles du jeu par la banque centrale, et dans le rétablissement de la balance des paie­ments. Sans de telles anticipations, les opérateurs peuvent spéculer à la baisse de la monnaie, c'est-à-dire en vendre massivement, ce qui peut provoquer une telle chute des réserves que la convertibilité ne soit plus assurée.

considère que celle-ci résulte du blocage que l'étalon-or oppose à toute autonomie des politiques économiques nationales, ainsi que de ses caractéristiques intrinsèquement déflationnistes.

Selon Eichengreen [1992] et Temin [1989], l'étalon-or est ainsi la cause fondamentale non seulement de la crise de l'été 1931, mais aussi de l'enchaînement déflationniste qui caracté­rise l'ensemble de la plongée dans la dépression de 1929 à 1933. Leur thèse découle de l'observation de l'écart entre le fonction­nement théorique de l'étalon-or et son fonctionnement réel. En théorie, pour tout pays déficitaire forcé de mettre en place une politique déflationniste existe un pays excédentaire qui va pouvoir mener une politique expansionniste, de sorte que les effets mondiaux s'annulent. En réalité, l'étalon-or comporte une asymétrie fondamentale: lorsque des capitaux entrent dans un pays, accroissant les réserves de la banque centrale, celle-ci peut stériliser ce mouvement en réduisant en proportion ses crédits à l'économie; il n'y a pas de limite à ce comportement. En revanche, lorsque des capitaux sortent, la stérilisation n'est possible que tant que le ratio entre les réserves et le passif est

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supérieur à son minimum légal. Ainsi, si un pays doté de fortes réserves peut stériliser des sorties d'or, un pays qui n'en a pas (ou plus) beaucoup ne peut plus le faire, et doit adopter une politique monétaire restrictive. Comme les entrées d'or des pays receveurs sont égales (à la production mondiale d'or près) aux sorties des pays déficitaires, les possibilités asymétriques de stéri­lisation conduisent à une tendance mondiale à la déflation.

Ce serait le mécanisme à l'œuvre à partir de 1929 : les pays déficitaires (Amérique latine, Europe centrale) sont forcés de mettre en place des politiques restrictives alors que les pays rece­veurs n'accroissent pas leur quantité de monnaie.

L'accusation est-elle justifiée? Les deux principaux receveurs incriminés, du fait de leur poids dominant dans les réserves mondiales, sont les États-Unis et la France. Aux États-Unis, qui accumulent dans les années 1920 des excédents de balance des paiements importants, la Fed en stérilise entièrement l'impact sur la masse monétaire, et contrecarre même le comportement expansionniste des banques par une diminution continue de la base monétaire (la monnaie émise par la banque centrale). Entre juin 1928 et juin 1931, celle-ci stagne alors que les réserves d'or augmentent de 21 %. Malgré de rares efforts d'expansion durant les crises bancaires de 1931-1932, la Fed garde la même atti­tude dans les années 1930 : entre juin 1931 et la fin de 1936, la quantité d'or s'accroît encore d'un tiers (et sa valeur légale augmente de 42 % du fait de la dévaluation de 1934), mais la base monétaire ne s'accroît que de IS %. Les États-Unis exer­cent donc durant toute la décennie un impact déflationniste très puissant sur l'économie mondiale.

Comme le reconnaît Bernanke [2000, chapitre 4], la Banque de France joue beaucoup plus selon les règles: entre juin 1928 et juin 1931, elle accroît sa base monétaire de 13 % quand ses réserves s'accroissent de 19 % (malgré les envies déflation­nistes de son conseil de régence); et de juin 1931 à fin 1936, sa base recule de 40 % quand ses réserves baissent de S6 %. La répercussion des variations de réserves n'est pas totale, mais elle est présente pour l'essentiel; la stérilisation est en outre expan­sionniste (et même inflationniste) dans les années 1930, ce qui est favorable au reste du monde. Pendant la montée vers la crise de l'été 1931, d'autres signes montrent d'ailleurs que la France joue bien un rôle expansionniste : les prix n'y baissent pas comme ailleurs et la balance commerciale s'enfonce dans le rouge (le déficit atteint 18 % des importations en 1930, contre

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LA CRISE DE LA PREMltRE MONDIALISATION 69

4 % en 1928), ce qui contribue favorablement à la situation des pays déjà en pleine crise.

Ou l'étalon de change or?

Pourtant, la France exerce un effet déflationniste presque aussi puissant que les États-Unis parce qu'elle transforme ses réserves en or : en juin 1931, ses réserves d'or ont augmenté de 66 % par rapport à juin 1928 et, à la fin de 1932, cette augmentation dépasse 100 %. Conformément à sa loi monétaire (de 1928), elle rétablit un étalon-or strict, refusant de détenir des réserves en devises. En étalon de change or, cela ne pose pas de problème si la France est reconnue comme l'égale des États-Unis et de la Grande­Bretagne comme pays centre du système, et si les autres banques centrales acceptent de détenir des francs plutôt que de l'or. Le problème est ici politique: l'afflux d'or en France exerce une pres­sion déflationniste sur le reste du monde parce que nombre de pays ne veulent pas non plus renoncer à détenir des réserves en or. On le comprend quand on observe que les banques centrales de premier rang (la Fed et la Banque d'Angleterre en premier lieu) définissent leur politique monétaire en fonction de leurs intérêts nationaux et non de la responsabilité mondiale que leur donne implicitement l'étalon de change or [Garrett, 1995]. La méfiance des autres pays se traduit par la baisse globale des réserves de l'ensemble des banques centrales après la mi-1931 [Eichengreen, 1992], qui est la cause principale de la prolongation mondiale de la déflation. Le fait que cette liquidation a lieu largement après la dépréciation de la livre suggère que celle-ci a rompu un ordre imparfait mais préféré au chaos.

La France (banque centrale et gouvernements confondus) contribue à cette rupture en refusant un système hiérarchique qui la dévalorise et est mal géré par la Grande-Bretagne et les États-Unis, sans avoir le poids géopolitique qui lui permettrait d'imposer une solution de substitution [Mouré, 2002].

Autant que la logique déflationniste de l'étalon-or, c'est donc la logique politique de l'étalon de change or qui est au cœur de la dépression. En l'absence d'une puissance hégémonique capable d'imposer la coopération et d'en payer les coûts (non sans gains en contrepartie) ou de puissantes instances de coopé­ration internationale, l'étalon de change or est un mécanisme très fragile face aux conflits politiques et capable de provoquer de véritables déflagrations monétaires [Kindleberger, 19731.

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70 LA CRISE DE 1929

Démocratie et étalon-or

Une lecture complémentaire justifie la fin de l'étalon-or par la contradiction entre les contraintes qu'il impose aux poli­tiques nationales et la montée des revendications démocra­tiques. La montée de la démocratie et des revendications sociales conduit à retirer des pouvoirs aux banquiers centraux - qui même aux États-Unis restent des membres d'un étroit milieu financier soucieux en premier lieu de ses propres intérêts, qu'on l'appelle le Money Trust ou le « mur d'argent» - au profit d'hommes politiques moins enclins à la déflation [Simmons, 1994]. Les décalages entre pays dans ce processus transforme­raient l'étalon-or en «entraves dorées» (golden fetters, selon le mot de Keynes repris en titre par Eichengreen [1992]) interdi­sant les progrès des plus avancés, et dont il serait salutaire de se libérer.

Il existe pourtant une autre solution qui permettra à terme de rendre compatibles la démocratie (l'autonomie des politiques économiques nationales) et la stabilité monétaire internatio­nale (un système de taux de change fixes), solution qui émerge lentement dans les années 1930 : il s'agit du contrôle des mouvements de capitaux. Si des tentatives ont eu lieu en ce sens pendant la guerre, et dans quelques pays pour lutter contre la spéculation sur les changes dans les années 1920, l'établisse­ment de contrôles des changes efficaces commence seulement à se diffuser dans les années 1930, avec la mise en place d'un meil­leur contrôle bancaire par les banques centrales et les minis­tères des Finances. La violence des crises provoquées par la hot money qui se déplace à l'échelle mondiale en renversant banques et monnaies fait qu'ils sont de plus en plus considérés comme la solution permettant de rendre compatible reprise des échanges commerciaux et protection contre les fluctuations erratiques des taux de change [Mundell, 1960]. Mais ils ne seront intégrés comme règles acceptables d'un nouveau système moné­taire international qu'après la défaite du nazisme auquel ils sont d'abord identifiés.

Épilogue: de la dévaluation du dollar à la désintégration du Bloc-or

La désintégration du système monétaire international ne s'arrête pas avec la dépréciation de la livre. Désormais, plus aucune monnaie n'est au-dessus des soupçons. Le dollar subit des attaques

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LA CRISE DE LA PREMIÈRE MONDIALISATION 71

spéculatives auxquelles seuls le caractère structurellement excé­dentaire de la balance des paiements américaine et les réserves accumulées par la Fed permettent de résister.

L'hypothèse d'une transmission financière de la crise alle­mande vers les banques américaines qui ont tant prêté à l'Alle­magne ne se vérifie pas: les banques de New York, les plus exposées à ce risque, sont les plus solides des États-Unis et supportent sans faillir l'immobilisation de 600 millions de dollars de dépôts dans leurs filiales européennes. La plus grande partie des prêts sont d'ailleurs sous forme obligataire et dissé­minés dans un large public [Richardson et Van Horn, 2007].

Plus que la contrainte que représente l'étalon-or sur la poli­tique monétaire américaine (l'idéologie déflationniste de la Fed s'avère plus grave), plus que les attaques spéculatives (même celle de février 1933, qui parie sur un changement de régime monétaire à l'arrivée de Roosevelt, échoue), ce sont les conflits internationaux qui conduisent les États-Unis à suspendre - à froid - la convertibilité le 19 avril 1933. Après l'annulation des réparations à Lausanne à l'été 1932, France, Pologne et Grande­Bretagne cessent le paiement des dettes de guerre, ce qui pousse les États-Unis à l'isolationnisme. Celui-ci est manifesté par le refus de Roosevelt de participer à la conférence de Londres de 1933, prévue pour rétablir un ordre monétaire international stable. Dès la suspension de sa convertibilité, le dollar baisse rapidement; une nouvelle parité est fixée au début de 1934, entérinant une dévaluation de 41 % (35 dollars l'once d'or, contre 20,67 auparavant). La priorité des États-Unis n'est pas la stabilité monétaire internationale.

Le Bloc-or

Après la dévaluation du dollar, seuls quelques pays restent fidèles à l'étalon-or: principalement, autour de la France, la Belgique, l'Italie, les Pays-Bas, la Suisse et la Pologne. Ils consti­tuent ce que l'on appelle le Bloc-or. Soumis à de fortes pressions déflationnistes du fait de la dépréciation des autres monnaies (qui abaisse les prix de leurs concurrents), ils tentent d'ajuster leurs prix par des politiques budgétaires et monétaires restric­tives, au prix de fortes tensions sociales. Ils commencent à perdre des réserves peu après la dépréciation du dollar améri­cain, et le phénomène s'accentue avec la montée des tensions politiques en Europe. Après les dévaluations forcées de la lire en

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1934 puis du franc belge en 1935, le Bloc-or disparaît avec celle du franc en septembre 1936, suivi du franc suisse et du florin.

Pourquoi ces pays sont-ils restés si longtemps attachés à l'étalon-or? Sans doute parce que les groupes d'intérêt - les rentiers - les plus hostiles à toute dépréciation monétaire (synonyme pour eux d'inflation depuis l'expérience des années 1920) y sont restés puissants [Voth, 1999]. Mais aussi parce que ces économies ouvertes ont besoin de la stabilité du taux de change avec leurs principaux partenaires commer­ciaux, donc d'un système monétaire international qui assure cette stabilité et définisse les politiques légitimes. Ceci les conduit à refuser obstinément de dévaluer en dehors d'une coopération internationale rétablissant un ensemble de parités viables et généralement acceptées.

Leur espoir d'une telle solution renaît quand, en 1935, Roose­velt réoriente sa politique économique vers la stabilité externe. Grande-Bretagne et États-Unis acceptent alors l'idée d'une déva­luation du franc et des monnaies du Bloc-or en général, dont le taux modéré (20 à 25 %) signalerait la fin des dévaluations compétitives. Le refus de la Grande-Bretagne de restaurer la convertibilité de la livre retarde l'émergence d'une solution défi­nitive, car la France exige une grande conférence monétaire internationale pour compenser l'effet négatif de la dévaluation sur son opinion publique. Elle n'obtient qu'une déclaration tripartite, à la fin de septembre 1936. Il est alors trop tard. L'accumulation de déficits, d'inflation masquée et de fuites de capitaux, qui ont commencé bien avant le Front populaire, a trop affaibli le franc pour que sa parité soit durablement tenable. Dès avril 1937, la dépréciation reprend et n'est pas prête de s'arrêter. À cette date pourtant, la coopération internationale reprend doucement et la volatilité sur les marchés des changes baisse, en partie grâce à de nouveaux fonds de stabilisation [Feiertag et Plessis, 2000]. On commence à imaginer le système de Bretton Woods.

La crise des échanges Internationaux

De la crise de paiements à la protection

Face à la chute des prix des exportations et à la fonte rapide du crédit international qui permettait de maintenir le déficit de

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leur balance des paiements, nombre de pays cherchent à échapper à l'alternative entre déflation et dévaluation par le protectionnisme. Plus encore sans doute, la protection est un instrument classique de redistribution, qui permet de protéger les victimes les plus touchées par la crise ... ou les lobbies les plus puissants.

Il est difficile de dire qui a commencé, car le protectionnisme tarifaire n'a jamais cessé dans les années 1920. On constate néanmoins une accélération du phénomène au début de la crise. Le tournant est le tarif américain Hawley-Smoot, présenté dès 1928 mais adopté le 17 juin 1930. Après sa politique de la chaise vide à la conférence de février 1930 censée relancer la libérali­sation des échanges, Hoover signale de nouveau au monde le retour de l'isolationnisme américain, à un moment où ses responsabilités mondiales semblent pourtant évidentes [Kindle­berger, 1973]. Surtout, en empêchant les autres pays d'exporter vers le seul pays capable financièrement de soutenir la demande mondiale, il aggrave puissamment la déflation.

Le paradoxe qui voit ce pays, le seul en excédent permanent de balance des paiements, renouer aussi fortement avec le protectionnisme s'explique par le fonctionnement du Congrès: l'administration se laisse déborder par une coalition circonstan­cielle entre les représentants des agriculteurs et ceux des indus­triels les moins efficaces et concentrés, qui produisent des biens concurrencés par l'industrie européenne; le tarif touche finale­ment 21000 produits et certains taux dépassent 300 % (par exemple sur les montres).

Le tarif Hawley-Smoot soulève une indignation générale en Europe et ailleurs. En 1929, Briand, dans son projet d'unifica­tion européenne, envisageait un accord tarifaire européen en réponse à la menace de protectionnisme américain, mais il avait essuyé un refus britannique. En 1930, les rétorsions sont nombreuses : Espagne, Suisse, Canada, Italie, Cuba, France, Mexique, Nouvelle-Zélande y procèdent explicitement. La Grande-Bretagne travailliste résiste à la tentation protectionniste mais, à la fin de 1931, alors même que la dépréciation de la livre donne à ses entreprises un avantage compétitif majeur, le nouveau gouvernement impose, sous l'impulsion du conserva­teur Neville Chamberlain, un tarif sur les produits industriels qui est élargi à l'agriculture en 1932.

L'agressivité monétaire britannique provoque elle aussi un regain de mesures protectionnistes. L'adoption de quotas, arme

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définitive contre la dépréciation monétaire, se diffuse: la France y procède sur plus de 1 000 produits. Elle est accompagnée par l'Autriche, la Grèce, la Pologne, la Suède, la Suisse, la Tchéco­slovaquie ou la Turquie, voire, à un moindre degré, par l'Alle­magne, la Belgique, l'Italie et même des pays qui déprécient leur monnaie comme le Danemark et la Grande-Bretagne.

Après cette première flambée, le protectionnisme s'organise suivant deux chemins de plus en plus différents, même si certains pays passent de l'un à l'autre.

Graphique 9. Droits de douane moyens sur les importations en fonction du régime de change, en 1928, 1935 et 1938 (en %)

40 Zone sterling Contrôle des changes Bloc·or

35

30

25

20

15

10

III .Il 1 '. , 5

o

.1928 .1935 01938

Source: Eichengreen et Irwin [2009].

Les ententes régionales

La première solution est la constitution de groupes de pays entre lesquels des accords permettent de limiter la protection. Après l'échec du projet Briand, d'autres accords mettent en place

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de telles zones: dès 1930 par la convention d'Oslo entre les pays scandinaves, la Belgique, le Luxembourg et les Pays-Bas; en juin 1932 par la convention d'Ouchy entre les futurs membres du Benelux. Les zones importantes sont cependant principale­ment les empires coloniaux: les accords d'Ottawa de 1932 créent le Commonwealth et y instituent une préférence tarifaire (principalement par une surtaxation des produits en provenance de l'extérieur) qui permet au Canada et à l'Australie d'éviter le défaut sur leur dette. La part des importations britanniques en provenance du Commonwealth passe de 30 à 39 % entre 1929 et 1935. Une préférence similaire fonctionne au sein de l'Empire français, qui fournit 29 % des importations françaises en 1936, contre seulement Il % en 1925. Moins vaste et davantage sous l'autorité directe de la métropole, l'Empire français connaît moins de conflits internes que le britannique, qui en revanche a une capacité d'autosuffisance bien supérieure [Marseille, 1984].

La France et l'Angleterre hésitent cependant entre un modèle de préférence impériale et la position de meneur d'une zone monétaire dans laquelle les autres monnaies sont rattachées, plus ou moins directement, à la leur. Le Bloc-or joue ce rôle pour la France, et la conduit à maintenir pour l'essentiel la liberté des changes. La zone sterling est moins homogène du fait du flottement (bientôt en fait largement contrôlé) de la livre. Elle est traversée de dissensions, comme la guerre commerciale par dépréciations compétitives entre le Danemark et la Nouvelle­Zélande pour le marché britannique du beurre entre 1931 et 1933. Certains pays comme la Suède en sont proches, mais mènent une politique de change autonome.

Autarcie et rupture avec le marché

Un deuxième groupe de pays va progressivement vers un contrôle étatique systématique du commerce extérieur, sur un modèle soviétique. Ce sont souvent les pays qui adoptent initia­lement le contrôle des changes pour éviter une dévaluation explicite, parfois pour des raisons symboliques ou afin d'échapper à des représailles internationales. Mais, dans un certain nombre de cas, c'est un modèle économique différent, en rupture par rapport à l'ordre international qui devient l'objectif. L'Allemagne est le modèle de cette évolution, l'Alle­magne républicaine tentant d'abord de trouver des solutions à

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ses problèmes de paiement international, tandis que celle de Hitler répudie les dettes et vise l'autarcie.

Pour atteindre cet objectif, l'Allemagne cherche d'abord à élargir la zone géographique sous son contrôle. Des accords bila­téraux avec tous les pays d'Europe centrale et orientale assu­rent son approvisionnement d'une manière de plus en plus précisément définie par l'État. L'Allemagne tente aussi d'inclure l'Amérique latine dans cette sphère d'influence. La part du commerce allemand avec ces deux régions augmente, même si elles sont loin de pouvoir encore satisfaire tous ses besoins (la part de l'Europe centrale dans les importations allemandes fait plus que tripler, de 5 % en 1932 à 19 % en 1939).

La plupart des pays d'Europe centrale réalisent une telle propor­tion de leurs échanges avec l'Allemagne que leur indépendance en est fortement réduite: ainsi, en 1937, 55 % des importations hongroises proviennent d'Allemagne, contre 22 % en 1932, et il en est de même pour 32 % des importations yougoslaves (contre 18 % en 1932) : petits et pauvres par rapport à l'Allemagne, impor­tateurs de produits manufacturés (alors qu'ils exportent des matières premières), coincés entre l'Allemagne et l'Union sovié­tique, ils ont moins de choix possibles que le Brésil ou les autres pays d'Amérique latine, qui réorientent substantiellement leur commerce vers l'Allemagne sans en devenir aussi dépendants. Ainsi, la part de l'Allemagne dans les importations brésiliennes double à peu près dans les années 1930, passant de 12 % en moyenne dans les années 1920 à près de 24 %, mais les parts réunies de la Grande-Bretagne et des États-Unis, quoiqu'en baisse, restent toujours supérieures à un tiers du total.

Sur le modèle allemand, l'Italie et le Japon tentent aussi de réorienter leur commerce vers des zones sous influence et de l'administrer sur une base quantitative. Si le contrôle étatique direct reste limité pour l'Italie, dont la plupart des partenaires restent à l'Ouest, en revanche, le Japon réduit son commerce avec les États-Unis et l'Europe au profit de l'Asie (la " zone de copros­périté asiatique »), de l'Amérique latine et même de l'Afrique.

Politique commerciale et diplomatie

Il serait cependant faux de croire que les différents pays font d'emblée un choix en faveur d'un modèle de politique commer­ciale [Hirschman, 1945]. Des instruments nouveaux comme le monopole d'importation sont initialement adoptés par des pays

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LA CRISE DE LA PREMltRE MONDIALISATION 77

aussi différents que la Belgique, la Suisse, la Tchécoslovaquie ou l'Uruguay. De même, le premier accord de compensation bila­téral est signé entre la Hongrie et la Suisse en décembre 1931 : deux pays qui ne prennent pas la même orientation par la suite. L'objectif de cet accord n'est d'ailleurs pas une rupture avec l'ordre international, puisqu'il prévoit qu'une partie des paie­ments contribuent au remboursement des dettes commerciales antérieures. La Grande-Bretagne signe aussi dès 1933 des accords similaires avec l'Argentine, puis l'Uruguay, le Brésil, la Hongrie, la Roumanie et l'Allemagne.

Pourtant, quand l'Allemagne commence en 1932 à signer de tels accords avec les pays d'Europe centrale et orientale (Bulgarie, Estonie, Grèce, Roumanie et Yougoslavie), elle en fait des instruments politiques; des tarifs préférentiels sont définis pour des quantités fixées, et les prix s'émancipent des prix mondiaux. Les modalités de fixation des prix et de choix des produits sont si éloignées de celles du marché qu'il est difficile d'évaluer qui sont les bénéficiaires de ces accords. Ainsi, les déficits commerciaux ne sont pas toujours soldés, ce qui peut transformer le gagnant apparent (l'exportateur) en perdant. Pourtant, il semble bien qu'il ne s'agisse pas - jusqu'à la guerre - d'une exploitation des petits pays par le fort: les prix sont ainsi souvent supérieurs aux prix mondiaux pour les impor­tations de matières premières dont l'Allemagne a un fort besoin, spécialement le pétrole roumain [Marguerat, 1977]. Il semble donc que l'organisation des échanges commerciaux par l'Alle­magne vise d'abord à renforcer sa puissance politique et seule­ment secondairement des profits économiques Uames, 2001].

La France et la Grande-Bretagne n'imposent pas une moindre dépendance à leurs colonies, et pratiquent aussi largement les accords bilatéraux. L'objectif d'autosuffisance y est aussi pour­suivi pour des raisons stratégiques. La France comme la Grande­Bretagne rejettent cependant (au moins en paroles) l'étatisation du commerce et le contrôle des changes, considérés comme pratiques de régimes autoritaires (et auxquels le Front populaire préfère de ce fait la dévaluation).

Retour vers le marché

Presque tous les pays rompent ainsi dans les années 1930 avec le modèle classique de l'échange multilatéral au profit de moda­lités diverses d'échange organisé ou contrôlé par les États.

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Néanmoins, à partir de 1934, les États-Unis relancent une diplo­matie visant à une diminution graduelle de la protection, sous la houlette du secrétaire d'État Cordell Hull. Son succès tient à ce que d'une part il reconnaît clairement, comme Roosevelt lui­même dès sa première campagne électorale, la responsabilité des États-Unis dans la montée du protectionnisme au début de la dépression et dans la dépression elle-même; d'autre part à ce que, reconnaissant que ce sont les dettes qui ont poussé nombre de pays hors de l'étalon-or, il ne fait pas de la reprise de leur paiement un préalable aux discussions commerciales. Ce faisant, il ramène un grand nombre de pays débiteurs, spécialement d'Amérique latine, vers les grandes économies de marché [Ferguson, 1984].

Certes, ses efforts sont parfois freinés de l'intérieur: Roosevelt ne veut pas mettre en danger le programme du New Deal; il sait qu'un effort de libre-échange se paierait au Congrès et que certaines mesures du New Deal entrent en conflit avec la libéra­lisation des échanges. Hull est cependant soutenu par les grandes entreprises exportatrices, en particulier dans l'automo­bile. Malgré de violentes campagnes de dénigrement orchestrées par les lobbies américains (en particulier financiers), il négocie vingt-deux accords entre 1934 et 1940 qui réduisent les droits de douane et les quotas; dans un contexte global de reprise du commerce, les échanges avec les pays concernés augmentent beaucoup plus que vers les autres. Cela redonne une orientation libérale à ce qui devient peu à peu dans ces années le « camp des démocraties ».

Le protectionnisme et la dépression

Le commerce international en volume baisse entre 1929 et 1932 de 2S %, soit sensiblement plus que la production mondiale (- 8 %) ; il ne reprend ensuite que lentement et reste en 1938 en dessous de son niveau de 1929. Il faut sans doute voir dans ces évolutions en partie l'effet du protectionnisme, même si la crise des grands pays commerçants est évidemment la cause la plus importante. Le modèle allemand de contrôle quantitatif du commerce conduit à un recul du commerce sensi­blement plus rapide que le modèle de simple protection, ce qui suggère bien qu'il vise l'autarcie et non le simple rééquilibrage de ses comptes externes [Eichengreen et Irwin, 2009].

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Graphique 10. Variations du commerce entre 1928 et 1935 en fonction des régimes de change

- 50 -40 - 30 -20 -10 o 10 20 30

Roya me-Uni.

Ne uvelle-Z lande.

Z ne sterli g ~orvège Suède

Japon

Canada - États-Un

Tchécosl ~vaquie

Danema k Contrôle

Allemag e des

Hongrie échange

Italie

France

Suisse Bloc or Belgique

Pays-Bas

Source: Société des Nations; Eichengreen et IMin [2009].

Peut-on, en sens inverse, considérer le protectionnisme comme une cause importante de la dépression? Les économistes considèrent que le protectionnisme est coûteux pour le pays qui le met en place. Saint-Étienne [1984] soutient que la montée de la protection après le tarif Hawley-Smoot est une cause majeure de l'aggravation de la dépression. Pourtant, la plupart des tenta­tives pour en mesurer l'impact aboutissent à des effets faibles: la protection conduit surtout à réallouer des facteurs de produc­tion vers les secteurs protégés au détriment de ceux qui ne le sont pas, de sorte que son coût est fonction des différences de productivité entre secteurs et de l'importance des réallocations réalisées. Si tous les secteurs pouvaient être également protégés (ce qui n'est guère possible en réalité, à cause des nombreuses consommations intermédiaires qui modifient les taxations réelles), la protection équivaudrait d'ailleurs à peu près à une

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dévaluation, ce qui n'aurait pas été nécessairement un mauvais choix dans les années 1930.

Si l'on inclut (en suivant Crucini et Kahn [1996]) les distor­sions produites par la taxation des consommations intermé­diaires, l'impact en période de baisse des prix de tarifs spécifiques (fixés en francs par tonne) sur la protection réelle ad valorem, et l'impact négatif de la protection sur l'accumulation du capital, on trouve qu'au maximum la montée du protection­nisme (mesurée en droits de douane moyens) entre 1929 et 1932 explique une baisse du PIE américain d'environ 2 %, soit une faible proportion du recul total observé (selon les auteurs, cela représente néanmoins près d'un tiers de ce que permettent d'expliquer les variables monétaires et financières).

Néanmoins, ce modèle suggère que les coûts du protection­nisme peuvent être non négligeables dans les pays européens, où les échanges commerciaux sont plus importants. Cela peut expliquer leurs efforts pour créer les zones régionales que nous avons examinées.

Pourquoi le protectionnisme?

Trois arguments ont été avancés à l'époque en faveur du protectionnisme. Ils expliquent que celui-ci n'a sans doute guère empêché la reprise économique.

Le premier est celui de l'industrie dans l'enfance, qui conduit aux politiques de substitution d'importations. Il suggère qu'une protection initiale permet de développer une industrie qui fera bénéficier l'ensemble du pays d'externalités favorables à la crois­sance. Un grand nombre de pays « périphériques» - particuliè­rement en Amérique latine - commencent à adopter dans les années 1930 cette stratégie inspirée de l'URSS (qui en 1929-1931 exporte massivement des céréales pour acheter les machines nécessaires à monter son industrie, puis cesse à peu près d'importer des biens manufacturés).

Le deuxième est celui du tarif optimal: il montre qu'un pays ayant une position de monopole (comme acheteur ou comme vendeur) sur un produit peut en profiter en fixant un tarif (qui peut être une taxe à l'exportation pour les vendeurs en posi­tion dominante) qui modifie le prix mondial en sa faveur (et au détriment de ses partenaires commerciaux). Les États-Unis, qui sont le principal importateur de nombre de produits, influen­cent certainement les prix mondiaux par leurs droits de douane

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et en tirent un bénéfice difficile à évaluer. La mesure est plus facile pour des pays très spécialisés comme le Brésil, dont le café représente alors les deux tiers des exportations. Si, on l'a vu, la constitution de stocks ne l'a pas empêché dans les années 1920 d'être touché par la dépression, c'est aussi cette politique qui lui permet d'en sortir [Cardoso, 1981]. Le Conseil national du café, établi en mai 1931 et financé par une taxe sur les exporta­tions de café et sur les importations de produits manufacturés, achète une quantité équivalente à 30 % des exportations en 1931-1932, ce qui fait remonter les prix. L'impact sur le revenu tiré des exportations est tel que la production industrielle natio­nale est aussi tirée rapidement vers le haut (elle atteint 100 en 1939 contre 58 en 1928) ainsi que le PIB (100 en 1939 contre 62 en 1931).

Un moyen de créer un pouvoir de marché est l'organisation de cartels, en faveur desquels on invoque aussi l'argument de la rationalisation et de l'organisation de la production. Face à l'excès de l'offre et à la chute des prix, de plus en plus de gouver­nements et de producteurs pensent en effet qu'une réduction coordonnée de la production est la seule manière d'éviter les vagues de faillites résultant des baisses de prix. Des cartels inter­nationaux se forment donc pour de nombreux produits: on en compterait 179 dans les années 1930, contrôlant 40 % du commerce mondial [Edwards, 1967]. Les exportateurs de matières premières sont les plus actifs, parce que leurs prix ont spécialement baissé, et parfois aussi parce que l'entrée de nouveaux producteurs y est plus difficile. Ainsi, les accords de Chadbourne organisent en 1931 un cartel du sucre entre Cuba, Java, la Tchécoslovaquie, la Pologne, la Hongrie, la Bulgarie et l'Allemagne. D'autres se forment en 1931 pour l'étain, en 1933 pour le thé, en 1934 pour le caoutchouc, en 1935 pour le cuivre.

Mais le succès est loin d'être toujours au rendez-vous: certains membres du cartel ne respectent pas leurs engagements de réduction de la production, ou d'autres producteurs en profitent pour accroître la leur (comme les États-Unis pour le sucre). Le succès semble lié au nombre réduit des participants et à l'enga­gement des États: ainsi, un premier cartel purement privé du thé signé en 1930 échoue dès 1931 devant l'impossibilité de faire respecter leurs engagements aux participants, tandis que sa réor­ganisation en 1933 bénéficie de sa légalisation dans les trois grands pays impliqués (Indes britanniques, Ceylan et Indes néer­landaises). La concentration de la production de thé entre les

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mains d'un petit nombre de gros producteurs (hormis l'Inde du Sud où la production est dispersée) facilite aussi le contrôle du respect des accords [Gupta, 2001].

Dernier, mais pas moindre, argument en faveur de la protec­tion dans le discours politique de l'époque: elle permet de lutter contre le chômage. L'idée est légitimée sur le mode savant par Keynes, mais déjà présente dans toutes les campagnes « Achetez français » qui se développent dans le même esprit dans tous les pays à la faveur de la crise. En effet, alors que les théories écono­miques soulignant les coûts du protectionnisme supposent en général une économie en plein emploi, le chômage massif justifie le recours à la protection: si des ressources nationales sont inemployées, pourquoi faire venir de l'étranger des produits qu'elles pourraient fabriquer? Surtout quand, pour le pays, le coût supplémentaire de leur embauche serait faible, car elle économiserait les indemnités ou les coûts sociaux liés au chômage. Comme souvent, la protection n'est, pour partie, que le substitut d'autres politiques de lutte contre le chômage (plus directes, mais peut-être inapplicables) et son efficacité se mesure à la baisse du chômage plus qu'à l'augmentation du revenu.

Nationalisme et migrations

Plus directement encore que les droits de douane, la lutte contre l'immigration apparaît dans les années 1930 comme une politique de réduction du chômage. Pendant tout l'entre-deux­guerres, l'immigration est remise en cause dans beaucoup de pays" neufs» (États-Unis, Australie, etc.) au nom de son impact négatif sur les salaires. La France fait un temps exception: malthusianisme démographique, pertes de la Grande Guerre et idéologie ruraliste y raréfient conjointement la population urbaine et encouragent l'immigration en provenance de l'Italie, de l'Espagne et de la Pologne [Noiriel, 1988]. Grâce à une poli­tique de naturalisation généreuse (en 1927, la naturalisation est possible pour les étrangers ayant séjourné trois ans en France), la population étrangère atteint presque 7 % de la population au recensement de 1931 (contre moins de 3 % en 1911). À cette date pourtant, la crise a déjà retourné la situation, et les employeurs, avec l'appui de l'État (loi du 10 août 1932), renvoient chez eux des milliers d'ouvriers étrangers sous la pres­sion des travailleurs nationaux qui revendiquent un accès privi­légié à l'emploi. Les travailleurs étrangers sont victimes de

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LA CRISE DE LA PREMIÈRE MONDIALISATION 83

violences dans un certain nombre de localités. Leur nombre diminue de 350000 en quelques années. La même chose se produit en Suisse, qui en 1932 refoule des milliers de candidats à l'immigration. Aux États-Unis, les expulsions et les départs d'étrangers passent de 50000 à 103000 de 1930 à 1932, tandis que l'immigration se réduit drastiquement de 242000 à 35 600 personnes.

Quand les étrangers sont peu nombreux, on en invente parfois, ce qui permet de créer des boucs émissaires auxquels imputer la crise et le chômage. L'antisémitisme se développe dans plusieurs pays européens de cette manière. Une autre solu­tion est de revendiquer un territoire suffisant pour sa popula­tion. La croissance démographique allemande et italienne, quand elle fait face aux politiques migratoires restrictives des pays neufs, conduit ainsi à la revendication d'un droit à un terri­toire proportionné à la population. Le livre de Hans Grimm, Volk oh ne Raum (1926), qui connaît un grand succès en Alle­magne, voit l'émergence de cette revendication de Lebensraum que le nationalisme exacerbé du nazisme portera par les armes, en ajoutant au droit au territoire l'exigence de son contrôle poli­tique Uames, 2001].

Le protectionnisme donne au nationalisme montant d'autres arguments. Industriels et politiques allemands affirment que les difficultés rencontrées par les produits allemands sur des marchés étrangers protégés sont à l'origine du chômage. Les nationalistes affirment que la dépendance de l'Allemagne envers les produits primaires devient intenable si les marchés étrangers se ferment à ses exportations, ce qui rend vitale une expansion vers l'Europe centrale. De manière similaire, le Japon justifie en 1931 l'agression de la Mandchourie par la nécessité de garantir du travail à ses ouvriers en ouvrant par la force des débouchés à ses exportations devenues impossibles dans un monde protec­tionniste (alors que les exportations du Japon avaient crû de 6 % en 1930, une performance sans doute unique cette année-là).

Une part de l'historiographie de la grande dépression attribue aux règles plus ou moins explicites de la première mondialisa­tion la profondeur de la crise. En particulier, l'étalon-or condui­rait structurellement à transmettre les chocs déflationnistes tant par le commerce (et les prix) que par les crises financières. Selon une lecture pessimiste, un excès prométhéen de constructivisme débouche sur des règles inapplicables et en contradiction avec

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84 LA CRISE DE 1929

les comportements naturels des individus et les politiques internes des États légitimées par la démocratie Ua mes, 2001]. Keynes suggère ainsi que le cadre national est celui où s'exerce efficacement la politique économique. En pratique, il justifie aussi le comportement égoïste des pays les plus puissants et signale la faible crédibilité de leurs engagements à assurer un ordre international stable et juste.

Certes, la remise en cause radicale des règles de l'étalon-or permet à la Grande-Bretagne de ne pas sacrifier (pour une fOis) son industrie à ses rentiers et de relancer une économie qui emmène dans la dévaluation une part suffisante de ses parte­naires commerciaux pour pouvoir supporter les variations de son taux de change. La fin de l'étalon-or permet aussi à Roose­velt une grande expérimentation économique et sociale. Mais elle accentue également la crise dans les pays restés en étalon-or, aggrave la situation des exportateurs de matières premières et conduit l'Allemagne à inventer un régime économique autori­taire et autarcique d'inspiration soviétique et à l'imposer à toute l'Europe centrale, ce qui débouche sur la guerre.

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v / Sortir de la crise

Nombre d'économistes considèrent aujourd'hui que la sortie de l'étalon-or a permis de sortir de la crise par la relance moné­taire. À l'époque pourtant, la suppression de la convertibilité est soit subie, soit au mieux considérée comme une condition nécessaire - mais en aucun cas suffisante - à la reprise. Les politiques cherchent d'abord à limiter le chômage et ses effets sociaux désastreux, à freiner la baisse des prix et de la produc­tion agricole et industrielle. Mais la possibilité même d'une action est encore souvent mise en doute. Avant d'examiner les actions, il faut donc d'abord considérer les chemins qui s'ouvrent aux politiques de l'époque.

Les orientations possibles

Inspirations théoriques

Face à la crise, économistes et hommes politiques sont divisés tant sur le diagnostic que sur le traitement. Un courant libéral strict refuse toute intervention du gouvernement dans l'économie. Attribuant en général la crise à un excès de crédit et de création monétaire (lié à l'existence même de l'étalon de change or, des banques centrales et de crédit bancaire non entiè­rement issu de réserves), il prône la liquidation naturelle des excès par la faillite de tous ceux qui ont commis des imprudences, le chômage, la baisse des salaires, affirmant que de nouveaux entre­preneurs relanceront naturellement l'activité quand capitaux et salariés seront assez bon marché ... et ne sauraient le faire avant. Ce courant compte alors une part importante des économistes les

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86 LA CRISE DE 1929

plus reconnus, comme Lionel Robbins, Jacques Rueff ou Friedrich Hayek, mais il est largement discrédité par la crise.

Face à cette position radicale, un grand nombre de formes d'interventions publiques sont proposées. Elles s'appuient sur des doctrines qui vont d'un libéralisme renouvelé au socialisme d'inspiration soviétique.

Un mouvement néolibéral émerge, qui reconnaît un rôle plus important à l'État dans l'établissement des institutions - essen­tiellement juridiques - permettant le bon fonctionnement des marchés, voire dans la garantie de certaines protections sociales. Il est porté par des grands patrons (par exemple, en France, E. Mercier ou A. Detœuf), des intellectuels (l'Américain W. Lipp­mann, l'Allemand W. Ropke, le Français R. Aron) et des techno­crates et s'appuie sur la révolution managériale en vue de rénover l'économie de marché [Denord, 2007].

Un courant prékeynésien interprète la récession comme étant due à une insuffisance de la demande, et prône un soutien qui peut passer par le crédit (donc la politique monétaire), les travaux publics (la politique budgétaire) ou une politique des revenus (salaire minimum, redistribution par la fiscalité). Il débouche sur l'idée de multiplicateur (une dépense publique relançant l'acti­vité privée plus que proportionnellement, ce qui permet son financement à terme) ensuite systématisée par Keynes. Le projet de Woytinski, Tarnow et Bade sur lequel s'appuie la gauche alle­mande au début des années 1930 est dans cette lignée.

Plus inspiré par le socialisme, mais maintenant la propriété privée, le courant pIaniste est particulièrement développé en France. Il s'inspire des expériences de coordination de l'activité par l'État durant la Grande Guerre et de l'efficacité des grandes entreprises industrielles, qu'il se propose de multiplier par le contrôle du crédit et la coopération entre capital et travail. Henri de Man en Belgique, le groupe X-Crise ou un socialiste comme André Philip en France, mais aussi le conseiller de Roosevelt Hugh Johnson en sont particulièrement représentatifs.

Enfin, divers mouvements socialistes revendiquent soit une nationalisation plus ou moins générale des moyens de production (en particulier pour les services publics et les monopoles naturels), soit au moins un renforcement du pouvoir des salariés dans leurs entreprises, au nom de la démocratie industrielle. Ils bénéficient des succès de l'économie soviétique, en pleine expansion indus­trielle planifiée.

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SORTIR DE LA CRISE 87

Quelque cohérents que puissent sembler a posteriori ces courants théoriques, ils s'entremêlent continuellement en réalité, et aucun ne parvient réellement à dominer les politiques suivies. Ce sont Hitler et Roosevelt, parce qu'ils demeurent long­temps au pouvoir et dirigent les deux plus puissantes économies mondiales, qui forgent, par essais et erreurs successifs, deux modèles de sortie de crise.

Roosevelt et le New Deal

En partie grâce à la personnalité charismatique de Roosevelt, en partie grâce à son nom emblématique, le New Deal (la « nouvelle donne») reste dans les mémoires comme la contre­partie positive de la grande dépression américaine, voire l'origine de la société moderne. En matière de politique écono­mique, pourtant, la rupture entre Roosevelt et Hoover est pour­tant sans doute moindre qu'on n'a dit: loin d'être un optimiste béat convaincu que la crise s'arrêtera toute seule, Hoover est un libéral mais aussi un interventionniste, qui refuse résolument la position « liquidationniste » radicale de son secrétaire au Trésor, le banquier Andrew Mellon, qui aurait eu la formule suivante : « Liquidez le travail, liquidez les actions, liquidez les fermiers, liquidez l'immobilier» [Hoover, 1952]. Hoover ne se contente pas de protéger les producteurs américains par des droits de douane : il met en place des programmes de travaux publics, demande au patronat de maintenir les salaires et de partager le travail, cherche à restreindre la production et l'immi­gration, inaugurant à une échelle modeste nombre des mesures de Roosevelt. Les libéraux radicaux considèrent même que Roosevelt ne fait que poursuivre les programmes déjà lancés - à tort selon eux - par Hoover [Murphy, 2009].

L'arrivée de Roosevelt marque cependant une rupture psycho­logique. Par la radio en particulier (ses « causeries au coin du feu »), il instaure un lien direct avec les Américains. Avec son Brain Trust d'hommes nouveaux n'hésitant devant aucune inno­vation, il relance la tradition progressiste américaine du début du siècle (augmentation du poids du pouvoir fédéral, hostilité envers le pouvoir de l'argent). En particulier durant ses cent premiers jours, il pousse à fond un certain nombre de politiques et réalise une véritable transformation de la société américaine et, à plus longue échéance, mondiale. C'est pourquoi les para­graphes ci-dessous consacrés aux différentes politiques utilisées

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88 LA CRISE DE 1929

- essentiellement dans les grands pays développés - pour sortir de la crise donnent une place prépondérante aux États-Unis, véritable creuset du monde de l'après-guerre. On ne saurait négliger cependant l'influence de Hitler, dont les succès écono­miques ont alimenté l'attraction sur une partie de l'opinion dans nombre de pays.

Relance monétaire ou stabilisation financière?

Si la baisse de la masse monétaire est la cause principale de la crise et si l'étalon-or joue un rôle majeur dans sa transmission et son renforcement, la solution est simple: supprimer la convertibilité et relancer la croissance monétaire par des taux d'intérêt bas, voire par la création monétaire pure et simple. On a vu que la Grande-Bretagne en 1931 et les États-Unis en 1933 sortent volontairement de l'étalon-or, donnant la priorité à leur politique intérieure par rapport au maintien de l'ordre interna­tional. Dans ces deux cas comme dans d'autres, une relance monétaire forte a effectivement lieu, souvent grâce à la réduc­tion du pouvoir de banques centrales restées très hostiles à toute innovation, au profit de ministères des Finances plus audacieux.

Aux États-Unis, selon Ch. Romer 11990], la reprise rapide qui a lieu à partir de 1933 (à l'exception de la rechute brutale de 1937) n'est pas spontanée: elle résulte essentiellement de l'expansion rapide de la masse monétaire qui suit la sortie de l'étalon-or et est organisée par le Trésor (entre 1933 et 1936, la masse moné­taire Ml augmente de 27 % par an en termes réels). Celle-ci s'explique elle-même par des entrées massives d'or, qui accrois­sent les réserves de la banque centrale et permettent une baisse rapide des taux d'intérêt. Les entrées d'or découlent de la dépré­ciation du dollar et des tensions politiques croissantes en Europe. L'accroissement de la demande qui résulte de cette expansion monétaire fait remonter modérément les prix, ce qui accroît son impact favorable sur l'activité en améliorant les bilans des entre­prises, diminuant la valeur réelle de leur dette et leur permettant d'emprunter à des taux d'intérêt réels proches de zéro.

La relance monétaire britannique répond essentiellement au même schéma. À l'exception de 1932, moment où elles dimi­nuent, l'accroissement des réserves d'or explique et - aux yeux des contemporains - justifie la croissance de la masse monétaire et la relance interne qu'elle permet, en particulier par le crédit à

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SORTIR OE LA CRISE 89

l'immobilier. Il en est de même en Argentine: si, au lendemain de la suspension de la convertibilité (décembre 1929), les réserves d'or continuent à diminuer pour payer la dette extérieure, la Caisse de conversion stérilise dès avril 1931 l'impact de cette baisse sur la masse monétaire [Della Paolera et Taylor, 2001]. La véritable expansion monétaire, qui permet la reprise économique à partir de 1933, résulte aussi de la dépréciation de 40 % du peso, de l'équilibre extérieur obtenu par la baisse des importations (de 60 % entre 1929 et 1931) et de la stabilisation des réserves qui en découle.

L'expansion monétaire semble donc difficilement séparable d'un excédent de balance des paiements et donc de la déprécia­tion monétaire qui la facilite (mais détériore la situation des partenaires). L'Allemagne fait, il est vrai, exception : la crois­sance de la masse monétaire contribue à la reprise de la demande globale à partir de 1933, à rebours de l'évolution des réserves, en chute libre. Mais le contrôle strict des changes en est sans doute la condition. Pour ceux qui veulent maintenir leur appartenance à un monde ouvert, la dépréciation (au moins une fois le cycle lancé par la Grande-Bretagne) semble bien être la condition de la relance monétaire. Est-elle pour autant toujours efficace? Rien n'est moins sûr: la pression des premiers déva­luateurs impose bientôt à ceux qui sont restés dans l'étalon-or de le quitter, mais le flottement de leur monnaie ne leur permet pas toujours une relance monétaire (par exemple si les prix remontent trop vite, ou si les fuites de capitaux continuent). Une comparaison détaillée des pays européens montre que si la croissance est effectivement un peu plus élevée dans les pays sortis de l'étalon-or, il n'y a pas de relation claire entre le taux de change réel et la croissance [Ritschl et Straumann, 2009]. Les interactions entre pays et leur place dans la séquence des ruptures monétaires affectent sans doute fortement l'efficacité de la solution monétaire à la crise.

L'importance de la réglementation bancaire

L'efficacité des relances monétaires dépend en partie de la stabilité bancaire. Certes, il semble que les crises bancaires soient moins graves quand la monnaie flotte, car la banque centrale peut jouer son rôle de prêteur en dernier ressort sans souci de la convertibilité [Bernanke, 2000]. C'est le cas par exemple de la Suède en 1932 lors de la chute de l'empire industriel Kreuger.

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90 LA CRISE DE 1929

Cependant, en partie parce que la Bourse et la finance sont vues par le public comme responsables de la crise, des réformes importantes sont engagées en ce domaine.

Roosevelt, dont l'arrivée au pouvoir coïncide avec (ou provoque) une panique bancaire générale, met en place immé­diatement une vaste réforme bancaire. Le pouvoir politique de le faire lui est donné par les résultats de l'enquête Pecora menée par le Congrès (qui discrédite une partie du milieu bancaire) et par la recapitalisation massive des banques en difficulté à laquelle l'État fédéral procède en 1933. Le Glass Steagall Act réta­blit une séparation stricte entre les banques de dépôt et les banques d'affaires, séparation dont l'atténuation dans les années 1920 est jugée responsable des crises bancaires. Il interdit la rémunération des dépôts à vue, accroît le contrôle des banques et crée une assurance des dépôts destinée à rassurer les particuliers. Des institutions financières spécifiques créées pour le financement de l'agriculture et de l'immobilier, sous le contrôle étroit de l'État fédéral, réduisent encore l'autonomie du système bancaire. Enfin, le contrôle des opérations boursières est également fortement accru, avec la création de la Securities and Exchange Commission.

Les pays européens n'adoptent pas de réformes aussi radicales. Néanmoins, le monde de la finance voit son pouvoir diminuer. En Angleterre, le système bancaire, sauvé de la crise par la déva­luation en 1931, évite toute réforme sérieuse. En Allemagne, la fermeture des banques en juillet 1931 débouche sur leur recapi­talisation massive par l'État, qui devient souvent leur principal actionnaire (il contrôle ainsi 90 % de la Dresdner Bank). La loi bancaire de 1934, qui suit une grande enquête, renforce la super­vision étatique, fixe des ratios de fonds propres, plafonne les risques, et impose une publication mensuelle des bilans.

En France, la crise bancaire de 1931 a vu la faillite de nombreuses banques régionales ou locales et celle de la Banque nationale de crédit, la troisième banque du pays, qui est restruc­turée sous l'égide du gouvernement. Peut-être parce que cette crise est considérée comme peu dramatique (Bouvier, in Sauvy [1965], mais, en sens inverse Lacoue-Labarthe [2005]) et malgré les scandales qui éclatent en particulier autour du financier Oustric, aucune vraie réforme bancaire n'a lieu avant 1942 et les réformes boursières sont limitées à quelques mesures de protection des épargnants [Hautcœur, 1999]. Pourtant, l'État transforme profondément le financement de l'économie: par le

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SORTIR DE LA CRISE 91

développement des institutions et des outils sous le contrôle du Trésor, il centralise les ressources et se donne les moyens d'une future planification, même si dans l'immédiat la prise de contrôle - symboliquement marquante - de la Banque de France par l'État lors du Front populaire ne conduit pas à un réel contrôle monétaire lMargairaz, 1991].

Ces différentes formes d'accroissement du contrôle public stabilisent durablement les systèmes financiers. Elles ne rendent pourtant pas toujours la politique monétaire plus aisée, comme en témoigne la crise de 1937 aux États-Unis, due semble-t-il à un refus des banques de perdre leur autonomie de constitution de réserves au profit de la Fed [Romer, 2009], ou la fuite en avant inflationniste que l'on observe en France.

L'absence de politiques budgétaires

La grande dépression est souvent considérée comme le moment de l'émergence de politiques keynésiennes de relance par la dépense publique et le déficit budgétaire. Ce n'est en fait qu'en partie le cas. Au début de la crise, tous les partis politiques, y compris les « progressistes» (démocrates américains, travaillistes anglais ou même socialistes français), sont hostiles au déficit budgétaire. Les augmentations de dépenses publiques sont en général compensées par des accroissements de recettes, au moins dans les prévisions budgétaires [Brown, 1956] : les déficits, quand il y en a, ne sont pas volontaires, sauf à ce que, comme en France au début des années 1930, on prétende dépenser les excédents engrangés dans les années antérieures. Ce n'est qu'aux États-Unis, et pas avant 1935, que des déficits budgétaires substantiels sont enregistrés (de l'ordre de 5 % du PIB); encore sont-ils rapidement combattus (ce qui contribue à la crise de 1937) [Romer, 2009].

Pourtant, les dépenses budgétaires augmentent massivement dans la plupart des pays, lorsque des dépenses sociales et des politiques de travaux publics pour employer les chômeurs sont mises en place. Cela conduit à l'accroissement des impôts, qui, dans nombre de pays, prend la forme d'une augmentation massive des taux marginaux de l'impôt sur le revenu. Ainsi, aux États-Unis, le taux marginal le plus élevé passe entre 1931 et 1932 de 25 à 63 % (pour les revenus supérieurs à un million de dollars) ; en France, il augmente de 37,5 % en 1927 à 80 % en 1939 [Piketty, 2001]. Ces augmentations, qui resteront en place

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92 LA CRISE DE 1929

plusieurs décennies, semblent expliquer que la diminution des inégalités de revenus qui a lieu au moment de la dépression (et d'abord du fait de l'effondrement des revenus du patrimoine financier) perdure bien au-delà de celle-ci [Piketty et Saez, 2006]. Elles contribuent peut-être aussi à restreindre l'investissement en affectant l'épargne des plus riches [McGrattan, 2009].

Les politiques contre le chômage

Le chômage et ses conséquences sociales sont au centre des politiques menées contre la crise, en particulier dans les pays les plus visiblement atteints, comme les États-Unis ou l'Allemagne. Les difficultés d'observation du chômage que l'on a évoquées pour les États-Unis sont au moins aussi importantes dans les autres pays, ce qui ne facilite ni la conception ni la réalisation de politiques d'emploi. Les statistiques publiées par la Société des Nations sur le sujet s'ouvrent d'ailleurs par une note méthodo­logique qui ne distingue pas moins de six méthodes différentes d'élaboration. En France, le nombre de chômeurs secourus ne dépasse pas 432000 (en 1936), celui des chômeurs qui se décla­rent tels au recensement est de 865000 (la même année), soit 4,5 % de la population active [Thélot, 1997; Salais et al., 1986], alors que l'emploi dans l'industrie a baissé de 1,3 million depuis 1929. En Allemagne, les taux de chômage publiés portent uniquement sur les ouvriers syndiqués; ils atteignent 34,5 % en 1932, mais concernent une population réduite d'environ 4 millions d'ouvriers. Le nombre de chômeurs enregistré est beaucoup plus exhaustif, mais n'est pas rapporté à une popula­tion active. L'outillage statistique est meilleur en Grande­Bretagne, où la persistance d'un chômage important pendant toutes les années 1920 a conduit à une meilleure observation du phénomène. Les différences y sont spécialement marquées entre les vieilles régions du textile, de la métallurgie et des mines du nord de l'Angleterre et d'Écosse, fortement et durablement touchées, et le sud, où naissent les nouvelles industries.

Un phénomène nouveau apparaît peu à peu: un chômage structurel, composé de chômeurs de longue durée qui ne parviennent plus à retrouver un travail même lorsque le marché s'améliore: déqualifiés, découragés, ils ne seraient plus employables. Sur l'ensemble de la population active masculine américaine, la part des chômeurs de longue durée (plus d'un an)

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SORTIR DE LA CRISE 93

Graphique 11. Nombre de chômeurs (échelle de droite, France et Allemagne) et taux de chômage (échelle de gauche, autres pays)

40 10000000

35 ., ........

--30 --25

20 1000000

15

10 ...... - - . 5 • 0 100000

1930 1931 1932 1933 1934 1935 1936 1937 1938

Allemagne -+- Norvège

France - Belgique

- États-Unis - Canada

--+-- Grande-Bretagne - Danemark

Australie --t- Pays-Bas

--+-- Suède

Légende: taux de chômage (pour tous les pays sauf Allemagne et France) ou nombre absolu de chômeurs (pour l'Allemagne et la France). les taux de chômage sont mesurés de manière variable et sont donc peu comparables entre pays. Ils montrent bien en revanche les évolu· tions dans le temps. Nombre de chômeurs: demandeurs d'emplois dénombrés par les bureaux de placement en France (le nombre des chômeurs secourus est toujours inférieur) ; chômeurs décomptés par l'assurance chômage obligatoire en Allemagne. l'échelle est loga· rithmique; le maximum atteint pour l'Allemagne est de 5,75 millions en 1932.

Source : Société des Nations.

passe de 0,5 % à 20 % entre 1929 et 1933. À Buffalo, elle passe de 9 % à 68 %. En 1935, un tiers des chômeurs de Philadelphie le sont depuis trois ans ou plus. Alors que le marché du travail reste actif même au cœur de la dépression (aux États-Unis, le taux de démission volontaire ne descend pas en dessous de 0,9 % par mois, "celui d'embauche de 4,1 %), les chômeurs de longue durée restent toujours à l'arrière de la file d'attente: selon un calcul rétrospectif, ils ont dix fois moins de chances d'être embauchés que les autres Uensen, 1989].

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94 LA CRISE DE 1929

Comment Hitler a réduit le chômage

La baisse du chômage est le grand succès de Hitler. La méthode employée est radicale. La première mesure consiste à interdire la grève, les syndicats et les procédures de négociation collective mises en place par la République de Weimar, remplacés par une organisation d'État; la deuxième à restreindre l'offre de travail en incitant les femmes à rester à la maison (le fameux" Kinder, Kirche, Küche ») et par l'exclusion et la persécution des juifs; la troisième, par l'entremise des banques nationalisées, à développer le crédit aux entreprises, et à les aider à réduire la concurrence et augmenter leurs prix, tout en bloquant les salaires. Tout ceci conduit à une réduction des salaires réels alors que la production reprend. La part des salaires dans le PIB passe de 64 à 57 % entre 1932 et 1938. Avec la réduction des prestations sociales et la hausse des impôts, la consom­mation se réduit de 83 à 59 % du PIB, au profit des dépenses publiques (et, peu à peu, du réarmement) plus que de l'investissement privé. Les travailleurs alle­mands paient très cher la garantie de l'emploi [Temin, 1989].

Salaires et chômage

On a vu au chapitre JII que nombre d'économistes expli­quent le niveau exceptionnel atteint par le chômage aux États-Unis par l'insuffisante baisse (la « rigidité ») des salaires. La même explication est proposée pour expliquer les différences dans l'ampleur du chômage selon les pays ou la lenteur de sa décrue. Selon Bernanke [20001, on observe une relation nette entre la hausse des salaires réels durant la dépression et l'ampleur du chômage, non seulement durant la phase initiale de déflation, mais également après. On observe ainsi aux États-Unis une hausse régulière des salaires après 1933, alors même que le chômage reste très élevé, et il en est de même dans nombre de pays. À l'opposé, l'Allemagne voit ses salaires réels reculer à partir de 1933, et son chômage baisser rapidement. Il en est de même au Japon dès 1932 et en Italie à partir de 1935.

Les pays qui quittent l'étalon-or abaissent plus facilement leurs salaires réels, car le flottement du change permet d'arrêter la déflation, voire de faire remonter les prix, de sorte que la baisse des salaires nominaux n'est plus nécessaire pour au moins stabiliser les salaires réels. Néanmoins, à l'exception de la Grande-Bretagne (dont le taux de chômage ne passe néanmoins sous 10 % qu'en 1937), le chômage reste très élevé presque partout.

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SORTIR DE LA CRISE 95

Pourquoi des salaires élevés?

Ce maintien de salaires élevés malgré un fort chômage est difficile à comprendre. Mais est-il bien avéré? Les statistiques utilisées concernent essentiellement l'industrie (soit entre un quart et la moitié des actifs selon les pays), dans laquelle les salaires résistent peut-être mieux que dans les services ou dans l'agriculture. Par ailleurs, la hausse des salaires réels est souvent exagérée par l'utilisation comme déflateur d'indices des prix de gros, car ceux-ci baissent davantage dans la crise que les prix de détail, pourtant meilleurs indicateurs du pouvoir d'achat des salariés.

Graphique 12. Salaires réels dans différents pays

1,4 +---------------------------------------~~~~

0,8+---,---.----.---r---r---r---.---,---,--~

1929 1930 1931 1932 1933 1934 1935 1936 1937 1938

-+- États-Unis (horaire, - Grande-Bretagne hommes, industrie) (hebdomadaire)

--.- France (horaire, -+- Suède (horaire) hommes province)

--*- Allemagne (horaire, Suisse (horaire) hommes)

~ Japon (journalier Italie (horaire) hommes)

Légende: les salaires réels sont calculés comme le ratio des salaires nominaux (horaires

quand disponibles) sur les prix à la consommation. Tous les indices sont mis en base

1929 = 1.

Source: Société des Nations.

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96 LA CRISE DE 1929

Il est possible que certains salaires - en particulier ceux qui sont observés - restent élevés parce que des entreprises, en particulier dans les industries modernes, concentrées, à forte productivité et main-d'œuvre qualifiée, pratiquent salaire d'effi­cience et thésaurisation de la main-d'œuvre, comme on l'a noté pour les États-Unis du début de la dépression. Cependant, il est peu vraisemblable que de tels phénomènes soient aussi répandus en Europe et qu'ils résistent à plusieurs années de récession.

Les effets pervers des politiques antichômage

Un certain nombre de politiques économiques sont accusées - tant à l'époque qu'aujourd'hui - d'avoir fait augmenter (ou empêché de baisser) le chômage en freinant la baisse des salaires [Bordo et al., 2000]. C'est particulièrement le cas aux États-Unis, où le principal accusé est le National lndllstrial Recovery Act (NIRA), loi votée en 1933 qui instaure la liberté syndicale et le droit de coalition, et interdit aux employeurs de sanctionner les membres de syndicats ou de forcer les employés à s'affilier à un syndicat « maison» (une pratique fréquente jusqu'alors). Surtout, elle impose une négociation collective sectorielle sous l'égide de l'administration, qui conduit à une réduction de la durée du travail, à l'instauration de salaires minimaux pour les travailleurs non qualifiés, et fréquemment d'échelles de salaires. Dès 1934, 500 secteurs employant 22 millions de salariés sont couverts, soit 77 % de l'emploi privé non agricole.

Le NlRA est accusé de donner la part trop belle aux syndicats et aux salariés, au détriment des chômeurs, et de ce fait d'augmenter fortement le coût global du travail. La restriction du travail des enfants de moins de 16 ans, la pseudo­embauche de jeunes dans les grands projets de parcs naturels des Civilian Conservation Corps (CCC), voire les pressions contre le travail des femmes des bénéficiaires ont le même effet de restriction de l'offre de travail. Le NlRA donne d'ailleurs lieu à un bras de fer entre le gouvernement et la Cour suprême: annulé en mai 1935, il est immédiatement remplacé par la loi Wagner (National Labor Relations Act). Après d'autres escar­mouches, la Cour suprême ne s'incline finalement qu'après la réélection de Roosevelt en 1936.

Mais le débat politique reste tendu: alors qu'à l'instigation du gouvernement, le comité La Follette fait au début du New Deal

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tout pour justifier la nouvelle législation favorable aux syndicats en mettant en exergue un certain nombre de cas de véritable oppression de syndicalistes par les employeurs, une campagne menée par le journaliste Westbrook Pegler tente inversement de discréditer les syndicats en mettant en évidence les liens de quel­ques-uns de leurs dirigeants avec le crime organisé (l'enquête, qui lui vaut le prix Pulitzer, néglige d'ailleurs l'intérêt que peuvent trouver certains des employeurs dans ces rapports) [Witwer, 2009). L'enjeu de la liberté syndicale est important: il s'agit de trouver une réponse au débat politique entre la « démo­cratie industrielle» et l'autorité hiérarchique dans l'entreprise.

Le débat n'est pas moindre en France autour de la semaine de quarante heures. Celle-ci est imposée par le Front populaire en 1936 et doit s'appliquer sans diminution de salaires. La hausse des salaires réels qui en résulte ne semble pas provo­quer d'augmentation du chômage, peut-être grâce à la reprise rapide de l'inflation qui réduit les contraintes de financement. Mais son application rigide conduirait à des goulots d'étrangle­ment dans certaines industries, freinant la reprise lorsqu'elle commence enfin en 1937 [Sauvy, 1965; Asselain, 1974). En 1938, P. Reynaud invoque ces effets économiques et les besoins du réarmement pour remettre en cause les quarante heures, mais maintient une bonne part de l'acquis en termes de droit social du Front populaire [Chatriot, in Fridenson et Reynaud, 2004].

Résistance des salaires ou résistance des salariés?

La raison fondamentale de la résistance des salaires n'est pas la mise en place par le gouvernement de politiques inadaptées, mais bien la résistance des salariés face à la dégradation quasi générale de leur situation. En effet, si les salaires horaires ne bais­sent pas toujours, les salaires hebdomadaires et plus encore les revenus annuels diminuent en raison du passage par le chômage, du chômage partiel ou du partage du travail. Dans la métallurgie américaine, la semaine moyenne effectuée passe de cinquante-cinq heures en 1929 à moins de quarante heures dans les années 1930. Pour l'ensemble de l'industrie, si les salaires horaires ne baissent « que» de 20 %, les revenus chutent de 45 %. En 1933, le President's Reemployment Agreement (PRA), qui précède le NIRA, demande aux entreprises de partager le travail, créant près de 2,5 millions d'emplois en quatre mois, mais rédui­sant presque proportionnellement le salaire (malgré l'effort sur

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le salaire horaire demandé aux entreprises participantes) [Taylor, 2009]. En Grande-Bretagne, le partage du travail (avec partage du salaire) par le système dit OXO (trois jours de travail, trois jours de chômage) touche en 1934 près d'un salarié sur quatre. En France, en revanche, si le travail partiel est en partie utilisé (avec une proportion d'ouvriers travaillant moins de quarante heures dans la semaine qui passe de 0,4 à 22 % entre 1930 et 1932), la durée moyenne du travail reste élevée jusqu'à l'impo­sition de la semaine de quarante heures par le Front populaire (elle passe de 45,8 à 40,4 heures entre 1936 et 1937).

Du fait de ces baisses de revenu, ou plus généralement du fait de la crise, les salariés résistent violemment aux tentatives des employeurs de baisser davantage les salaires. Dans de nombreux pays, le mouvement ouvrier renaît dans les années 1930 après son déclin des années 1920. Aux États-Unis, la libéralisation de l'action syndicale permet au nombre des syndiqués d'augmenter de 13 à 29 % de la population active entre 1935 et 1939. Le nombre de jours de grève passe de 14 à 28 millions entre 1936 et 1937. En outre, le gouvernement cesse de réprimer les occu­pations d'usines, qui se multiplient en particulier dans l'auto­mobile et la métallurgie. Au Canada, une grève des mineurs débouche sur des émeutes à Estevan en 1931; d'autres ont lieu en Australie et en Nouvelle-Zélande; en Angleterre et aux Pays-Bas, des réductions de soldes (en 1931 et 1933 respective­ment) conduisent à des mutineries dans la Marine (écrasées dans le sang dans le cas néerlandais). Il en est de même dans les arse­naux français en 1935, et les vagues de grèves du Front popu­laire sont largement motivées par les revendications salariales. Nombre de patrons évitent donc sans doute d'abaisser les salaires par crainte d'une trop forte détérioration des relations sociales dans leur entreprise et d'une baisse de la productivité.

La déflation coordonnée

La résistance des salariés peut s'expliquer par le fait qu'ils défendent leurs propres intérêts et non ceux des chômeurs (quoique les deux groupes soient plus poreux que cette analyse ne le suggère). Sa force et sa durée sont cependant plus compré­hensibles si l'on tient compte du problème de coordination qui doit être résolu, problème que Keynes mettait au centre de l'explication de la crise: chacun est prêt à faire un effort lors d'une crise grave, mais exige que cet effort soit général et

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justement partagé. En revanche, chacun refuse que la baisse de son salaire se transforme en baisse de son revenu relatif, ce qui serait un déclassement.

En théorie, la coordination est assurée par le marché. Dans le contexte de la crise, il semble que ce ne soit pas si facilement le cas. En Suède, la coordination des baisses de salaires échoue malgré un marché du travail organisé par des conventions collectives fréquemment renégociables par des syndicats peu nombreux et un patronat concentré [Fregert, 2000]. Il semble donc que la coordination relève de l'État, qui seul a les moyens et la légitimité pour l'assurer.

L'intervention de l'État est particulièrement nécessaire parce que les salariés ne veulent pas être les seuls à payer: selon leurs syndicats, les bénéficiaires d'autres revenus, souvent plus élevés, doivent aussi participer à l'effort. L'État doit répartir l'effort non seulement par la fiscalité, mais aussi par une politique des revenus qui associe aux réductions des salaires celles des pensions de retraite, des loyers ou plus largement des revenus du capital. Un certain nombre de tentatives en ce sens ont lieu, particulièrement dans les pays qui veulent rester en étalon-or et veulent donc faire baisser l'ensemble des prix. En Allemagne, le gouvernement réduit en 1931 par décret tant les salaires que les intérêts sur les crédits à long terme (en particulier hypothé­caires) et se heurte à une forte résistance populaire. D'autres gouvernements font de même, comme aux Pays-Bas, ou en France, où Pierre Laval diminue en 1935 toutes les dépenses budgétaires de 10 %. Mais aller au-delà et tenter de modifier l'ensemble des revenus impliquent le développement d'une bureaucratie considérable et une intrusion souvent considérée comme intolérable dans les contrats privés.

Le risque de confrontation sociale

Toutes les catégories de la population résistent à la réduc­tion de leur train de vie, et l'organisation de ces résistances conduit à l'aggravation des tensions politiques. Dans les pays qui ont souffert d'une inflation importante après la guerre, les rentiers considèrent comme intolérable l'idée qu'ils doivent à nouveau être mis à contribution. Les bénéficiaires de pensions publiques, en particulier les anciens combattants, refusent que leur créance sur la patrie soit remise en cause. Ces deux caté­gories sont au centre de l'opposition de droite aux politiques de

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redistribution. En France, lors des émeutes du 6 février 1934, on craint qu'elles ne renversent le gouvernement, voire le régime. En Allemagne, elles sont au centre du soutien à Hitler. Aux États-Unis, la marche des vétérans sur Washington en 1932 est dispersée par l'armée mais frappe les esprits. L'annulation en 1933 des clauses d'indexation sur l'or des contrats de prêt provoque aussi des protestations véhémentes.

Les chômeurs eux-mêmes, peut-être trop peu défendus par les syndicats de salariés, manifestent de plus en plus fortement leur insatisfaction. Les partis communistes jouent un rôle pionnier en tentant de les organiser, y compris dans des pays où ces partis sont très faiblement implantés, comme les États-Unis ou le Canada (où ils font face à une répression très dure dès 1930 ou 1931). Les émeutes de chômeurs de Detroit au printemps de 1932 sont durement réprimées, comme la marche des chômeurs sur Ottawa de 1935. Ce n'est qu'en 1935 aux États-Unis qu'une scission syndicale conduit à la naissance du Congress of Indus­trial Organizations, qui s'appuie en particulier sur les chômeurs et se veut plus revendicatif. En Europe également, la mobilisa­tion des chômeurs est difficile et en général infructueuse. Ainsi, des émeutes de chômeurs à la suite d'une réduction de leurs allo­cations provoquent six morts en juillet 1934 dans plusieurs villes des Pays-Bas.

On peut en conclure que la pression syndicale pour main­tenir des salaires élevés résulte de la difficulté de trouver un accord politique sur la répartition des coûts de la crise. Le choix fait implicitement dans les démocraties d'accepter un chômage important n'est cependant tolérable que si les chômeurs, et plus largement l'ensemble des plus démunis face à la crise, bénéfi­cient d'une protection sociale décente. C'est l'un des autres grands changements que l'on observe durant la dépression.

Les politiques de protection sociale

Si dans certains pays une protection sociale prise en main par l'État s'est développée dans les décennies précédant la crise, le cas n'est pas général. En rapide développement - mais souvent encore lacunaire - en Europe de l'Ouest, une telle protection est quasi absente aux États-Unis en 1930: l'assurance chômage n'existe pas, l'aide aux pauvres, souvent en nature, est limitée en pratique aux aveugles, aux veuves avec enfants et aux vieillards

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sans ressources; elle relève des autorités locales, et parfois essen­tiellement de la charité privée (qui gère en partie l'aide publique, d'ailleurs). Or les dons privés reculent avec la crise, tandis que les besoins explosent. Les budgets publics augmentent forte­ment (ils sont multipliés par cinq de 1929 à 1932) mais restent insuffisants.

À l'automne 1932, Hoover fournit une première aide finan­cière aux villes en difficulté via la Reconstruction Finance Corporation. Mais c'est le New Deal qui change d'échelle en mettant en place pour la première fois une politique sociale fédérale. Dès 1933, les dépenses sociales fédérales augmentent de 160 % par rapport à 1932. Entre 1933 et 1935, leur part dans l'ensemble des dépenses sociales passe de 2 à 79 %.

La Federal Emergency Relief Administration, qui naît en mai 1933 sous la direction du conseiller de Roosevelt Harry Hopkins, vise à aider les chômeurs par le travail, même si elle distribue également des aides aux pauvres. Elle finance des projets locaux de travaux publics qui embauchent 20 millions de chômeurs entre 1933 et 1935, et embauche directement 4 millions de chômeurs à travers la Civil Works Administration. À l'exception de ce dernier cas, une grande partie des emplois de la FERA relèvent plus de l'aide sociale que du travail: les salaires sont liés à l'écart entre ressources et besoins familiaux plus qu'au travail fourni, et très faibles (ils ne dépassent pas 42 % du salaire moyen pour un chômeur chargé de famille). Les béné­ficiaires sont d'ailleurs toujours comptés comme chômeurs dans les statistiques officielles [Darby, 1976]. À partir de 1935, la FERA est remplacée par la Work progress Administration (WPA) qui administre de manière plus centralisée l'emploi de chômeurs, tandis que l'aide sociale stricto sensu est prise en charge par le Social Security Board qui finance et coordonne l'action des collectivités locales.

À côté de ces programmes qui affectent directement la situa­tion des chômeurs et des pauvres, d'autres visent à empêcher la chute dans la pauvreté. En particulier, face à la multiplication des faillites de ménages ne pouvant payer leur dette hypothé­caire et se retrouvant dans des bidonvilles (début 1934, la moitié des crédits hypothécaires souffrirait de retards de paiement), une banque publique est créée en 1933, qui en trois ans rachète un million de prêts hypothécaires défaillants. Quant aux agricul­teurs, dont la situation est spécialement dramatique, le Frazier­Lemke Act autorise les tribunaux fédéraux à leur accorder des

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moratoires (ce que vingt-sept États avaient déjà mis en place). Annulé par la Cour suprême en 1935, il est revoté sous une forme atténuée en 1935 [Wheelock, 2008].

Les effets de ces programmes

Les effets des programmes du New Deal ont été mieux étudiés que leurs équivalents européens, plus étalés dans le temps et sujets à moins de controverse politique. Ils peuvent cependant donner une idée générale de l'impact de l'aide sociale au chômage comme de la lutte contre la grande pauvreté.

D'un côté, un certain nombre de travaux, dans la lignée de ceux de Rueff sur l'assurance chômage anglaise des années 1920 [Rueff, 1931], soulignent les effets pervers sur le chômage de programmes qui diminuent l'incitation du chômeur à reprendre un travail [Benjamin et Kochin, 1979; Broadberry et Ri tschl, 1995). Un certain consensus semble émerger sur le fait que, si la recherche d'emploi du chef de famille est peu affectée par le montant de l'assurance chômage, un effet pervers existe sur celle des autres membres de la famille [Margo, in Wheeler, 1998).

Le NlRA puis la WPA sont accusés, peut-être plus gravement, d'avoir négligé la formation des chômeurs auxquels elles four­nissaient un travail par nature provisoire, contribuant ainsi à la détérioration de leur situation de long terme. Même les programmes spécifiquement orientés vers les jeunes comme le CCC ou la National Youth Administration ne fournissent pas de formation, que ce soit pratique ou théorique. Limités à des travaux peu qualifiés, ces programmes finissent par être parfois stigmatisants pour leurs bénéficiaires, en tout cas à l'égard des emplois demandant une certaine qualification Uensen, 1989).

Enfin, une autre critique majeure des programmes du New Deal vise l'usage politique qui en serait fait par Roosevelt pour réduire l'autonomie des États, voire gagner les élections futures via une allocation habile des fonds destinés aux grands travaux et à l'aide sociale [Murphy, 2009).

En sens inverse, les programmes sociaux du New Deal ont eu un certain nombre d'effets favorables initialement imprévus: en redonnant du travail et de l'espoir aux chômeurs, ou en leur évitant l'expulsion, ils ont réduit la criminalité, la mortalité infantile et les suicides, et eu un effet positif sur la fertilité Uohnson et al., 2006; Fishback et al., 2007). La WPA est créditée d'une meilleure réinsertion des chômeurs de longue durée, qui

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n'étaient plus employables sur le marché privé du travail. Enfin, la protection des fermiers endettés permet de freiner l'exode rural. Elle limite ainsi les effets tant de la crise agricole que des catastrophes naturelles [Fishback et al., 2006].

Les politiques Industrielles

L'intervention directe du gouvernement dans l'activité des entreprises est une autre innovation due à la crise. Jusque-là, seule la guerre avait pu justifier des contrôles des prix ou une allocation centralisée de certaines ressources rares. Dans les années 1930, les tentatives d'organisation centralisée de la production se développent dans nombre de pays, mais les évolu­tions varient de l'un à l'autre. En Allemagne, elles débouchent sur une véritable militarisation d'une grande partie de l'indus­trie. En France se multiplient les interventions ad hoc sans cohé­rence d'ensemble, tandis que se profile la naissance d'un substantiel secteur public quand les difficultés des compagnies de chemins de fer s'ajoutent aux arguments de monopole naturel et de service public pour justifier une fusion-nationali­sation en 1937.

Au début de la crise, cependant, l'idée d'organisation de l'industrie naît d'abord de l'observation que les secteurs cartel­lisés sont capables de réduire la production et de maintenir les prix, évitant ainsi les vagues de faillites qui touchent les secteurs fortement concurrentiels. Cela conduit à des efforts pour favo­riser sinon la cartellisation, du moins l'organisation des marchés, ce qui peut passer par des fusions entre entreprises, des accords professionnels, un soutien public des prix (en particu­lier par le protectionnisme) ou la constitution de stocks subven­tionnés. Comme en matière de politique contre le chômage, l'objectif est plus social que productif, même si certains pensent que l'efficacité économique sera également assurée par de telles interventions.

Toujours du fait de sa longue stagnation des années 1920, la Grande-Bretagne a une plus grande expérience des politiques industrielles que la plupart des autres pays. Le National Invest­ment Board a soutenu des secteurs entiers, contrôlé des prix, quasi nationalisé certaines entreprises [Cerretano, 2009]. Une des premières interventions substantielles dans la production durant la crise est le fait du gouvernement d'union nationale

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britannique qui, par le Coal Mines Act de 1932, réduit la journée de travail dans les mines à 7 h 30, Y organise un contrôle des prix et de la production par l'État, tout en imposant fusions et améliorations techniques. De même, en 1932, un comité de réorganisation de l'industrie sidérurgique regroupe deux cents entreprises dans la British Iron and Steel Federation.

En France, si les cartels privés bénéficient d'une forte tolé­rance depuis 1926 et plus encore 1932, l'industrie reste défiante envers les cartels obligatoires qu'envisagent certains gouverne­ments. Ils ne sont mis en place que pour les chaussures (mais sans le producteur dominant, Bata), pour certains produits agri­coles (sucre en 1935, blé avec l'Office national interprofesssionei du blé en 1936) et pour les grandes pêches (en 1936).

Aux États-Unis, c'est de nouveau le NIRA qui assure cette organisation de l'industrie. Hugh Johnson, le conseiller de Roosevelt qui le met en place, considère que l'expansion indus­trielle durant la Grande Guerre a été permise par la suspension de la législation antitrust. Le NIRA encourage donc la négocia­tion entre patrons et salariés de «codes de juste concurrence »

(faiT competition) sous l'égide de la National Recovery Adminis­tration, au niveau de chaque secteur. Ceux-ci doivent à la fois comporter des clauses syndicales et sociales (durée du travail), des prix minima et des restrictions de capacités, avec l'objectif explicite d'augmenter les profits pour permettre une relance de l'investissement.

Les codes sont respectés dans les grandes entreprises, mais souvent violés par les PME des secteurs peu concentrés. Ce sont les clauses freinant la concurrence qui donnent d'ailleurs l'occa­sion de l'annulation du NIRA par la Cour suprême, car elles entrent en contradiction avec les lois antitrusts. L'encourage­ment est cependant maintenu, et les poursuites antitrusts restent très rares par rapport aux années 1920.

À côté du NIRA, l'AgTicultural Adjustment Act poursuit un objectif similaire en matière agricole, conduisant à une surveil­lance stricte de la production et au paiement de primes aux fermiers acceptant de limiter ou réorienter leur production.

Une cohérence globale des politiques économiques 7

Une question fortement débattue est celle de la cohérence globale de ces politiques industrielles avec les politiques

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d'emploi et les politiques financières menées dans les années 1930, spécialement aux États-Unis (qui bénéficient d'une continuité de gouvernement absente par exemple en France).

Les sceptiques soulignent tant les incohérences de détail entre politiques que leurs effets pervers. Les politiques d'emploi et les politiques sociales ont réduit l'offre de travail, les politiques industrielles ont diminué l'offre et la concurrence, les politiques monétaires ont créé l'incertitude sur la monnaie et les poli­tiques fiscales ont découragé l'investissement [Murphy, 2009]. Pourtant, le maintien de la plupart de ces politiques pendant plusieurs décennies n'a pas empêché la longue croissance posté­rieure à 1945.

Une interprétation politique suggère que Roosevelt, pour éviter un affrontement frontal avec l'ensemble du patronat, établit à partir de 1935 une alliance avec une partie de celui-ci. Les secteurs les plus modernes et intensifs en capital (pétrole, machines électriques ou agricoles, chimie, tabac) accepteraient les réformes sociales et un poids accru des syndicats (qui leur pèsent moins que dans les secteurs plus intensifs en travail peu qualifié) à condition qu'une réouverture internationale leur permette d'exploiter leur supériorité sur les marchés étrangers et que les aspects les plus pesants du NIRA soient supprimés. À l'inverse, les secteurs plus traditionnels (textile, cuir, industries dispersées en général) perdraient leur protection et souffriraient davantage de la crise. Cela expliquerait le retournement libre­échangiste de la politique américaine à partir de 1935 [Ferguson, 1984].

Un point de vue plus technologique souligne que les poli­tiques du New Deal favorisent une transition en cours d'une révolution industrielle à une autre. Vers 1930, la grande vague d'innovations technologiques liées à l'électricité, qui a conduit au développement de nombreuses entreprises s'appuyant sur le marché financier, s'épuise, au moins aux États-Unis. La suivante, autour de l'électronique grand public, n'émerge qu'à partir des années 1970. Entre-temps, l'essentiel de la croissance écono­mique se fait par amélioration et systématisation des techno­logies existantes et par leur diffusion dans le grand public. Ces activités sont réalisées efficacement par des grandes entreprises contrôlant largement leurs marchés, autofinançant leurs inves­tissements grâce à des profits élevés, réalisant des gains de productivité importants et formant et organisant les carrières internes de leurs salariés, sans être trop gênées par des syndicats

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avec lesquels leurs relations se stabilisent Uovanovic et Rous­seau, 200S].

Dans un tel contexte, il est logique que la finance de marché, qui s'est développée de manière incontrôlée dans les années 1920 pour fournir les moyens du développement des nouvelles industries, se rétracte durablement [Philippon, 2008]. La segmentation des marchés financiers a des coûts en termes d'efficacité, mais permet d'assurer le financement à bon marché des grands investissements d'infrastructure (en Europe) et la restructuration des secteurs en déclin mais à forte main­d'œuvre, et même de limiter la volatilité des cours des titres qui sont devenus, surtout aux États-Unis, le placement d'une épargne retraite désormais obligatoire [Kregel, in Forsyth et Notermans, 1997].

Enfin, au niveau macroéconomique, la stabilisation conjonc­turelle par l'État et la mise en place des « stabilisateurs » écono­miques que sont l'assurance chômage et les politiques de protection sociale en général sont cohérentes avec un dévelop­pement centré sur la conquête de grands publics qu'il faut rendre solvables et confiants dans l'avenir [Boyer, 2000].

À tous ces égards, c'est donc dans la crise des années 1930 que l'on voit se mettre en place les équilibres politiques et sociaux qui perdurent ensuite jusqu'aux années 1970. Du moins, on peut reconstruire a posteriori une telle cohérence dans le cas des États-Unis, le pays où la dépression entraîne les réformes les plus profondes, un tournant «< a defining moment» selon le titre de Bordo et al. [1998]) d'autant plus frappant que nombre des changements intervenus depuis le début du xx' siècle en Europe n'avaient pas eu jusque-là leur équivalent dans la société et l'économie américaines. En Europe, on l'a vu, les changements sont plus incertains. Le Front populaire français, souvent inspiré du New Deal, n'a pas le temps de mener autant de réformes en parallèle. Néanmoins, comme dans l'ensemble de l'Europe démocratique, l'évolution vers une nouvelle régulation économique et sociale est accélérée par la crise. En Allemagne ou au Japon, l'échec de la transition vers un capitalisme plus démocratique débouche sur la dictature poli­tique et la répression sociale, qui n'ont d'autre issue que la fuite en avant guerrière.

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Conclusion

La première conclusion de cet ouvrage est négative : aucune des tentatives pour rechercher une cause fondamentale de la dépression n'a jusqu'à présent convaincu. Comme la plupart des événements historiques de grande ampleur, la crise de 1929 a maintes causes qui s'entremêlent: modalités de la reconstruc­tion politique et monétaire après 1918, fragilité de l'étalon-or, instabilité du marché mondial des produits primaires, excès de crédits tant à l'intérieur des États-Unis qu'au niveau interna­tional, sans négliger les politiques diverses et souvent contradic­toires poursuivies par les gouvernements. Si les causes sont mal démêlées, il n'est pas surprenant que les politiques de sortie de crise fassent aussi l'objet de débats. La recherche a permis de mieux les observer et les classer, d'évaluer un certain nombre de leurs bénéfices et de leurs coûts. Mais mesurer leurs interac­tions et le bénéfice net de chaque politique est pour l'instant une tâche au-dessus des ambitions des historiens ou des capa­cités des économistes.

La crise des années 1930 reste l'aune à laquelle les écono­mistes mesurent le progrès de leurs connaissances. De L. Robbins à l'actuel président de la Federal Reserve, B. Bernanke, tous les macroéconomistes qui comptent proposent leur interprétation de la crise. Robbins [1934] et l'économiste soviétique Varga [1934] donnent dès l'époque la matrice des deux classes d'expli­cations radicales : pour le premier, tous les maux viennent de l'intervention de l'État, en particulier en matière monétaire où toute création monétaire bancaire (a fortiori celle d'une banque centrale) est, d'une manière ou d'une autre, une inflation qui finit par se payer (dans le même sens, Rothbard [1963]) ; pour le second, financiarisation et concentration sont l'essence même

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du capitalisme, dont la crise inéluctable ne peut être que repoussée par les interventions de l'État bourgeois.

L'après-guerre est marqué par la puissante figure de Keynes, dont on retient la légitimité de l'intervention de l'État pour soutenir la demande effective par le déficit budgétaire et l'inves­tissement public, ainsi que la prééminence des politiques natio­nales, impliquant un fort contrôle de la finance internationale. Les politiques keynésiennes sont rapidement victimes de leur succès car employées de manière systématique dans un contexte qui n'a plus rien à voir avec la dépression. Dans l'Amérique de Bretton Woods, c'est un risque d'emballement inflationniste par excès de création monétaire que Friedman décèle. Il montre que tout écart par rapport à une croissance régulière et modérée de la quantité de monnaie se paie cher, ce qui légitime l'auto­nomie des banques centrales et l'obéissance à des règles strictes destinées à éviter les risques d'un pouvoir monétaire discrétion­naire. Friedman cherche à rendre cohérentes autonomie des politiques nationales et libéralisation des flux de capitaux en prêchant pour les taux de change flexibles, contre l'étalon-or et ses « entraves dorées ».

Les partisans d'une coopération internationale organisée, éventuellement sous l'autorité d'une puissance hégémonique, ont également utilisé l'entre-deux-guerres comme terrain d'observation [Kindleberger, 1973], en mettant en évidence à la fois les conditions et les limites du succès d'un étalon-or inter­national tel que celui de Bretton Woods. Il n'est guère que les partisans de l'euro qui n'ont pas utilisé la crise de 1929 pour montrer les coûts de la rupture de zones monétaires solidaires, ce qui traduit sans doute la dépendance de la pensée écono­mique européenne envers les doctrines venues des États-Unis et le moindre traumatisme que représente la crise pour les sociétés européennes (pour lesquelles les guerres furent des fractures autrement importantes).

Aux États-Unis, les critiques de toute intervention étatique dans l'économie n'ont pas manqué d'employer la crise de 1929 - et d'abord le New Deal - comme argument; en particulier, les nouveaux classiques ont largement utilisé le cas de la crise pour montrer les effets pervers des interventions en matière d'emploi (depuis Lucas et Rapping [1969]). Aujourd'hui, les défenseurs de la théorie des cycles réels vont jusqu'à prétendre que des chocs technologiques (non identifiés) suffisent à expliquer la crise, tandis que les politiques inefficaces des

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CONCLUSION 109

gouvernements - en particulier le New Deal - l'auraient prolongée [Cole et Ohanian, 2002; Beaudry et Portier, 2002 sur la France; pour une critique radicale, Temin, 2008].

Alors que la compréhension historique de la crise dans sa complexité s'améliore, la théorie économique a permis de déconstruire peu à peu l'édifice keynésien, sans pour autant le remplacer. C'est particulièrement vrai de sa dimension poli­tique: la Théorie générale [1936] peut être lue comme propo­sant une voie intermédiaire entre planification et marché. L'intervention gouvernementale y est légitime pour gérer la conjoncture, sans toucher aux décisions microéconomiques, qui restent du ressort du marché. Les leviers de l'intervention publique sont ainsi la politique monétaire et la politique budgé­taire, supposées pouvoir affecter les seuls agrégats macroécono­miques, sans effets sur les décisions individuelles de consommation, travail ou investissement. Cela reste vrai dans la plupart des modèles macroéconomiques modernes, qui utili­sent la simplification d'un unique agent privé représentatif et permettent de déterminer des politiques « optimales » du point de vue de l'intérêt général.

Dans la réalité, cependant, les effets redistributifs sont impor­tants ; une politique budgétaire ou monétaire fait toujours des gagnants et des perdants. Le changement de régime moné­taire, comme dans les années 1930 ou les années 1970, a des effets plus radicaux encore. L'idéal de séparation entre la déter­mination de la politique favorable à l'intérêt général et les choix de redistribution, qui fonde la macroéconomie keynésienne comme la théorie de la justice de Rawls, est légitimement contesté, car jamais les bénéficiaires ne redistribuent aux victimes plus qu'une faible fraction de leurs gains. Cela tend à faire de la politique un lieu de conflit pour l'appropriation des ressources, comme le souligne en particulier inlassablement l'école du Public Choice depuis Buchanan et Tullock [1962].

Constater ces effets redistributifs et les autres effets pervers des politiques publiques ne fournit pourtant pas une politique alternative. La solution libertaire, qui propose de remettre en cause toutes les institutions et interventions publiques (que ce soit au nom de l'abolition de l'État ou de l'inaliénabilité des droits de propriété individuels naturels) contredit la complexité d'un monde dans lequel les interdépendances impliquent des risques considérables, et conteste la possibilité même d'une société humaine. La solution monétariste, qui consiste à

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110 LA CRISE DE 1929

privilégier la politique monétaire et à tenter de mener celle-ci dans le cadre de règles les plus neutres et automatiques possibles, souffre également de naïveté, comme le montre la crise de 2008-2009.

L'histoire suggère plutôt qu'il n'est pas d'autre voie que la poursuite d'un constructivisme social, toujours renouvelé et adapté à des situations nouvelles. Les années 1930 montrent, face à une crise sans précédent, les ressources des sociétés et des esprits humains pour trouver des solutions collectives à des interdépendances accrues par la spécialisation. Aux États-Unis, mais aussi en Europe, d'immenses projets d'observation et de compréhension de la société permettent de renouveler les moda­lités de l'action politique. L'application de nouvelles méthodes scientifiques vise à mieux intégrer l'observation statistique et la compréhension théorique des phénomènes sociaux, objectif de la Société d'économétrie qui, fondée en 1930, domine la concep­tion de l'économie d'après guerre [Morgan, 1990].

Il est certain que l'ampleur de la crise provoque une incerti­tude sur la possibilité d'un rétablissement des économies et sociétés libérales, et que cette incertitude renforce à son tour la crise en freinant l'investissement, car les entrepreneurs et les propriétaires craignent les syndicats, la fiscalité et l'inflation, les trois « diables » qui sortent alors de leur boîte [Higgs, 2006]. Plus réalistes que certains intellectuels, entrepreneurs et capitalistes savent aussi que seule une société stable peut garantir leurs droits de propriété, et qu'une société est riche parce que sa popu­lation est qualifiée, ce qui l'amène à revendiquer des droits poli­tiques. Quelles que soient leurs réticences envers la politique et plus encore envers la démocratie sociale, ils acceptent donc de négocier pour trouver, par un long tâtonnement et par l'inter­médiaire d'un pouvoir politique pragmatique, un équilibre entre droits sociaux et droit du travail d'un côté, autorité dans l'entre­prise et ordre social de l'autre. La solution peu à peu choisie allie donc les industriels aux salariés et marginalise les finan­ciers et les rentiers, en invoquant une légitimité profession­nelle au-dessus du droit divin de la propriété [Chandler, 1977 ; Boltanski, 1982]. Les trois réélections de Roosevelt et la diffu­sion - notamment en Europe - de cette solution américaine suggèrent qu'elle satisfait nombre de peuples. Si d'autres solu­tions sont recherchées en Union soviétique, en Italie, en Alle­magne ou en Espagne, voire en France, elles mènent à la répression sociale et à la guerre ou à la stagnation. Quant aux

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CONCLUSION 111

craintes d'épuisement moral d'un capitalisme qui se serait séparé de ses racines «héroïques », craintes qui font dans les années 1930 le cœur de l'hostilité d'un Schumpeter au New Deal [Medearis, 1997], elles ne semblent guère fondées, au moins si l'on en croit la croissance des trente glorieuses.

S'il s'avérait que la crise commencée en 2007 aux États-Unis a la profondeur de celle des années 1930, on ne pourrait donc espérer en sortir que par un constructivisme social renouvelé, qui ne cherche pas à imiter les leçons du New Deal - le monde a changé -, mais à repenser et construire une société nouvelle, sans doute à l'échelle internationale plus que selon le nationa­lisme dominant de la grande dépression. Le régime économique, monétaire et social issu des années 1930 a disparu progressive­ment depuis les années 1980. Un nouveau émerge sans doute, que nous ne comprenons que partiellement, au sein duquel il faut construire, avec autant d'ambition, un monde plus juste et plus stable.

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Chronologie

1928

28 juin 16 octobre

1929

Mars

Juin 24 juillet

Septembre

24 octobre Octobre

7 novembre

1930

12 mars

Mars 17 mai 17 juin Juillet

Août-septembre 14 septembre

Restauration légale de l'étalon-or en France. Mort de B. Strong, gouverneur de la banque de réserve de New York depuis 1914.

Maximum de la production industrielle aux États-Unis; Herbert Hoover devient président. Maximum de la production industrielle en Allemagne. Entrée en vigueur du traité Briand-Kellog bannissant la guerre. Maximum de l'indice Dow Jones de la Bourse de New York (362). «Jeudi noir» à la Bourse de New York. Maximum de la production industrielle en Grande­Bretagne. Annonce de la collectivisation des terres en Union soviétique.

Début de la désobéissance civile prônée par Gandhi en Inde. Maximum de la production industrielle en France. Retrait des troupes françaises de Rhénanie. Smoot-Hawley Act (en discussion depuis 1928). Adoption du plan Young à la conférence de La Haye (texte achevé le 31 août 1929). Coups d'État militaires en Argentine et au Pérou. Le parti national socialiste obtient 18,3 % des voix, devenant le deuxième parti d'Allemagne.

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24 octobre Novembre 11 décembre

1931

14 avril 1" mai 11 mai

19 juin 13 juillet

24 août

18 septembre

21 septembre

7 novembre

1932

2 février 2 février

28 février

Avril 29 mai

4 juin Juillet 5 juillet 21 juillet-20 août 8 juillet 8 novembre

1933

30 janvier

4 février

CHRONOLOGIE 113

Révolution de Getulio Vargas au Brésil. Faillite de la banque Adam (groupe Oustric) en France. Faillite de la Bank of the United States aux États-Unis.

Proclamation de la seconde République espagnole. Achèvement de l'Empire State Building à New York. Faillite du Credit-Anstalt, principale banque autrichienne. Moratoire Hoover sur les dettes interétatiques. Faillite de la Darmstadter und National Bank (Danat) en Allemagne. Chute du gouvernement travailliste de R. MacDonald en Angleterre, remplacé par un gouvernement d'union nationale. Incident de Mukden, prétexte à l'invasion de la Mand­chourie par le Japon. Maximum du chômage en Angleterre. Elle quitte l'étalon-or. Proclamation de la République soviétique de Chine par Mao Zedong.

Début de la conférence de Genève sur le désarmement. Création de la Reconstruction Finance Corporation aux États-Unis. Liquidation de la Banque nationale de crédit, troi­sième banque française, après des avances de l'État de 2,075 milliards de francs. Faillite de l'empire industriel Kreuger en Suède. Marche des vétérans sur Washington pour obtenir le paiement de leurs bonus. Coup d'État militaire au Chili. Maximum du chômage au Japon. Salazar devient Premier ministre du Portugal. Conférence économique impériale d'Ottawa.

Minimum historique de l'indice Dow Jones (41). Franklin Roosevelt élu président des États-Unis.

Maximum du chômage en Allemagne; Hitler devient chancelier de l'Allemagne. Mutineries aux Pays-Bas.

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114 LA CRISE DE 1929

4 mars

Mars 5 mars 9 mars

27 mars 31 mars

5 avril

12 mai 18 mai

27 mai

12 juin

16 juin

8 novembre

5 décembre

1934

6 février 12 février 6 juin

12 juin 25 juillet

19 septembre 5 octobre

9 octobre

16 octobre 5 décembre

1935

7 janvier 16 mars

Suspension du Parlement autrichien par le chancelier Dollfuss. Maximum du chômage aux États-Unis. Fermeture des banques par Roosevelt (jusqu'au 13). L'Emergency Relief Conservation Act permet la recapitali­sation des banques. Le Japon quitte la Société des Nations. Création du Civilian Conservation Corps, programme d'emploi de chômeurs, dans le cadre du New Deal. Détention d'or prohibée aux États-Unis (19 avril: sortie de l'étalon-or). Agricultural Adjustment Act aux États-Unis. Création de la Tennessee Valley Authority aux États-Unis. Securities Act aux États-Unis qui crée la Securities and Exchange Commission. Début de la conférence économique internationale de Londres. National lndustrial Recovery Act aux États-Unis (poli­tique industrielle, mise en oeuvre par la National Reco­very Administration et la Civil Works Administration). Création de la Civil Works Administration aux États-Unis, contre le chômage. Abolition de la prohibition aux États-Unis (21 e amendement).

Violences des ligues d'extrême droite en France. Guerre civile autrichienne. Glass Steagal Act réglementant les banques aux États-Unis. Interdiction des partis politiques en Bulgarie. Assassinat du chancelier autrichien Dollfuss par les nazis. L'URSS rejoint la Société des Nations. Révolte des mineurs des Asturies et révolte nationaliste en Catalogne (Espagne). Assassinat du roi de Yougoslavie et du ministre français des Affaires étrangères L. Barthou. Début de la " longue marche" en Chine. Crise d'Abyssinie.

Accord Mussolini-Laval de non-ingérence coloniale. Réarmement unilatéral de l'Allemagne.

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6 mai

27 mai

S juillet 16 juillet 14 août 31 août

8 novembre

1936

Février 7 mars Avril

7 juin 17 juillet 18 juillet

23 juillet 19 août 2S septembre 2S octobre 26 novembre

1937

Mai

22 juin 31 août

1938

12 mars Mai Novembre

CHRONOLOGIE 115

Création de la Works Progress Administration aux États-Unis. National lndustrial Recovery Act déclaré inconstitutionnel par la Cour suprême des États-Unis. National Labor Relations Act aux États-Unis. Décrets Laval organisant la déflation en France. Social Security Act aux États-Unis. Records de productivité de Stakhanov en Union soviétique. Création de la confédération syndicale Congress of Industrial Organizations aux États-Unis.

Maximum du chômage en France. Militarisation de la Rhénanie par l'Allemagne. Victoire du Front populaire aux élections en France. Gouvernement Léon Blum. Accords de Matignon. Loi des quarante heures. Nationalisation des industries de guerre en France. Coup d'État militaire en Espagne et début de la guerre civile. Nouveau statut de la Banque de France. Début des procès de Moscou. Accord tripartite. Le franc quitte l'étalon-or. Axe Rome-Berlin proclamé. Pacte anti-Komintern germano-japonais.

Vague de grèves sévèrement réprimées aux États-Unis. Développement des syndicats. Chute du gouvernement Blum en France. Nationalisation des chemins de fer en France.

Anschluss (annexion de l'Autriche par l'Allemagne). Nouveau maximum du chômage aux États-Unis. P. Reynaud ministre des Finances en France; assouplis­sement de la loi des quarante heures.

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Page 126: Hautcoeur, Pierre-Cyrille - La Crise de 1929

Table des matières

Introduction 3 o Encadré: Les mots de la crise, 4

Des interprétations multiples 5

Les conséquences de la guerre

Le coût de la guerre 9 Déséquilibres monétaires et budgétaires 12

Équilibre budgétaire et redistribution, 12 De la stabilisation budgétaire au choix

de la parité monétaire, 14 o Encadré: Le choix d'une parité mOllétaire :

la parité de pOl/voir d'achat, 15 Problèmes non résolus, 15

Autres transformations des relations économiques internationales 17

Transformations sociales et intervention de l'État 18

Il Une crise structurelle du capitalisme?

Une crise agricole mondiale Une surproduction chronique, 22 La chute des prix, 23 Les conséquences sur l'économie, 24 Conséquences financières, 26 Conséquences sur le reste du monde, 28

Une crise de surproduction structurelle? Les nouveaux biens de consommation durable, 30 Le rôle du crédit, 30 Crédit et chute de la consommation, 31 Une crise de sous-consommation? 32

22

29

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126 LA CRISE DE 1929

Le surinvestissement, 34 L'immobilier, 35

III La crise américaine

Le krach boursier et ses conséquences 37 La spéculation boursière, 38 Une hausse justifiée ou une folie? 39 L'éclatement de la bulle, 40 Les conséquences du krach, 42

Les crises bancaires 43 Le retour de la théorie quantitative, 44 Les erreurs de la Fed, 46 Limites de l'explication monétariste, 47 Les crises bancaires résultent de la crise économique, 48 L'insuffisante régulation bancaire, 50 Les politiques de sauvetage des banques, 52

Le chômage S3 Explications du chômage, 54 Pourquoi la stabilité des salaires? 57

IV La crise de la première mondialisation

La crise financière et monétaire La fin de l'étalon-or, 62

o Encadré: Les contraintes de l'étalon-or, 63 Les origines de la crise, 65 Insuffisante coopération internationale ou montée

des conflits? 66 L'étalon-or comme cause fondamentale? 66

o Encadré: L'étaloll-or : l'ajustement automatique ... à conditioll d'obéir aux « règles du jeu., 67

Ou l'étalon de change or? 69 Démocratie et étalon-or, 70 Épilogue: de la dévaluation du dollar à la désintégration

du Bloc-or, 70 Le Bloc-or, 71

La crise des échanges internationaux De la crise de paiements à la protection, 72 Les ententes régionales, 74 Autarcie et rupture avec le marché, 75 Politique commerciale et diplomatie, 76 Retour vers le marché, 77 Le protectionnisme et la dépression, 78 Pourquoi le protectionnisme? 80 Nationalisme et migrations, 82

62

72

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TABLE DES MATltRES 127

V Sortir de la crise

Les orientations possibles 85 Inspirations théoriques, 85 Roosevelt et le New Deal, 87

Relance monétaire ou stabilisation financière? 88 L'importance de la réglementation bancaire, 89

L'absence de politiques budgétaires 91 Les politiques contre le chômage 92

o Encadré: Comment Hitler a réduit le chômage, 94 Salaires et chômage, 94 Pourquoi des salaires élevés? 95 Les effets pervers des politiques antichômage, 96 Résistance des salaires ou résistance des salariés? 97 La déflation coordonnée, 98 Le risque de confrontation sociale, 99

Les politiques de protection sociale 100 Les effets de ces programmes, 102

Les politiques industrielles 103 Une cohérence globale des politiques économiques? 104

Conclusion 107

Chronologie 112

Repères bibliographiques 116

Page 129: Hautcoeur, Pierre-Cyrille - La Crise de 1929

Collection

R E p È créée pdr MICHEl FREYSSENET et OLIVIER PASTRÉ (en 1983),

dirigée par

R

JEAN-PAUL PI RIOU (de 1987 à 2(04). pl/is pa, PASCAL COMBEMALE.

E 5

avec STÉPHANE BEAU D, ANDRÉ CARTAI'ANIS, BERNAlm COLASSE, FRANÇOISE DREYFUS,

CLAIRE LEMERCIER, YANNICK L'HORTY, PHILIPPE LORINO, DOMINIQUE MERLUF., MICHEL RAINELU et CLAIRE ZALC.

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Classiques

R E P ÈRE 5 La formation du couple. Tntes ('\\('/lrù'/\ polir /tl ~ociulogie de la fm1lUk, Michel BOlOn et Françob Hérall.

Invitation à la sociologie, Peter L. Berger.

Un sociologue à ['usine. Textes eswlltiel\ pour la soda/agie du t((lVI/iI, Donald Roy.

Dictionnaires

R E P ÈRE 5 Dictionnaire de gestion, Élil' Cuhen.

Dictionnaire d'analyse économique, miaoécrJ/lomie, macméll)l/umit', théorÎe deç jew., etc, Bt'rnard Guerrien.

Guides

R E P È RES l'art de la thèse. Cumment prépûrer ct ,,'digt'I 11/1 mhlloire de master, ulle lIu"If' de doctorat ou tout autre trll\'llÎ/lllliversitllireill'èredliNet, Micht'l Beaud.

Comment parler de la société. Atfistn, écrÎvaim, chercheur.\ et repn\r'lltatiull.I soda les, Howard S. IkckeL

Comment se fait l'histoire. Pratiques t'f mjmx, François Cadiou, ClMisse Coulomb, Amlt' Lemonde et Yves Santamaria.

La comparaison dans les sciences sociales. Pratiqut'\ ('( IIINlwde\, Cédll' Vigour.

Faire de la sociologie. Ln grill/tin mquNn frdIlÇ,Ii\t'1 dt'puil 1945, Philipp<' Ma\~oll. les ficelles du métier. CI/mil/nit ({mdl/irl' Sil rt'dlt'rdu' l'Il lâellal

locialn, Howard S. Bccker.

Le goût de l'observation. COlI/pll'lIdre et prt/tiql/a l'ob.H'rvtlti/J/1 p,lrticiplll/tt' t'1I.ld('IIC1:S

lodaln, Jean Pelldf. Guide de l'enquête de terrain, StéphdlH.' Ikaud et Horl'Iln' Weber.

Guide des méthodes de l'archéologie,Jean-Paul Demoule, FI,mçoi\ GUigny, AnlH' Lehoi.;rff t't Al,lin Schnapp.

Guide du stage en entreprise, Mit'hdVillette.

Manuel de journalisme. ÉI lirt' pU/II h' jUllmdl, Yve~ Agnè~.

Voir, comprendre, analyser les images, Laurent GervereJu.

Manuels

R E P ÈRE 5 Analyse macroéconomique 1.

Analyse macroéconomique 2. 17 ,luteur~ \(lUS Id din'l fiun dl' jl'illi-Olivil'rH,lirault.

Composition Facompo, Lisieux (Calvados).

Consommation et modes de vie en France. UI/t' approche écol/omiq1le et .\{J{iologiqllt' \/Ir 11/1

demi-siècle, Nicolas Herpin et Daniel Verger.

Déchiffrer la société française, LOlli~ Maurin.

Déchiffrer l'économie, Dl'ni~ Clerc.

L'explosion de la communication.llltrod1lctioll mu théories et aux pmtiqlles de III commll/1ÎCatiOlI, Philippe Srt'ton et Serge Proulx. les grandes questions économiques et sociales, Pascal Combem<lle (dlr.).

Une histoire de la comptabilité nationale, André Vanoli.

Histoire de la psychologie en France. XIX"-XX' siècles, j. CHroy, A. Ohayon et R. Plds.

Macroéconomie financière, Michel Agliett,l,

la mondialisation de l'économie. Genè\e et problt~/tIn, jdcques Adda.

Nouveau manuel de science politique, Antonin Cohen, Bernard Lacroix, Philippe Ruitort (sous la dir. de).

La théorie économique néoclassique. Mio()(\(!I/(!lIIÎt', mac((){\"ol/()/IIÏ(' et tlll~mit' de.1 jt'IL\,

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