harpes africaines --------------

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 Instruments d'Afrique centrale à la Cité de la musique, Paris Chefs-d'œuvre de sculpture musicale, les harpes, filles de l'arc, mêlaient jadis leurs voix, sages ou railleuses, à celles des chasseurs. Des vies entières dans les harpes Le culte Bwili, encore pratiqué par les Fang du Gabon, considère la harpe comme la « pirogue de vie » qui permet à ses adeptes de remonter le cours de la mythique rivière Mobogwé jusqu'au monde où vivent les esprits des ancêtres. En général, explique Philippe Bruguière, commissaire de l'exposition (avec Gae-tano Speranza». cel instrument solitaire et sacré « exalté tout à ia fois. Ici parole du conteur, du poète on du devin en une parole ultime et .secrètete qui invite l'être à se transformer, en le révélant! à lui-même ». Le harpiste africain est donc" celui qui fait parler la harpe '>. Il en est à la lois le créateur et l'interprète. C'est lui qui choisir et collecte les matériaux : le bois de la hampe et de la caisse, la peau de la table, les cordes végétales. animales ou métalliques ; lui encore qui façonne et sculpte, monte et accorde l'instrument. Il unit sa voix à celle de ta harpe, son double, pour chanter la légende et l'Histoire, la mémoire des ancêtres ou les simples tourments de l'existence. Parfois, comme chez les Nzakara et les Zandé de Centrafrique. son talent s'exerce dans la satire et la critique sociale - il est le « maître de la parole railleuse », selon l'ethno-musicologue Eric de Dampierre. disparu l'an dernier, à qui celte exposition doit beaucoup. Semblables par leur structure (hampe courte et courbe, caisse vaste et profonde. table plate) el par leur système pen tel tonique, accordé sur cinq. huit ou douze cordes, les harpes d'Afrique centrale se distinguent cependant par leurs qualités esthétiques, très diverses selon les cultures. Ces instruments rituels constituent une synthèse des deux arts majeurs du continent noir : la musique et la sculpture. Véritables sculptures musicales, certaines d'entre elles méritent de figurer au rang des chefs-d'œuvre de l'art africain. L'ancienneté des pièces présentées à la Cité de !a musique - collectées pour la plupart Et si la première harpe était née de l'oreille particulièrement musicale d'un chasseur sensible à la vibration du tendon de son arc ? Les peintures rupestres du Tassili montrent des musiciens jouant d'un instrument à cordes arqué, guère différent de l'arme qu'ils maniaient contre l'antilope ou l'autruche dans le Sahara verdoyant d'il y a cinq mille ans... Fille de l'arc, la harpe aurait-elle. avec ses chasseurs musiciens, migré vers le sud, où. à l'entour des fleuves. la forêt équatoriale endiguait le désert ? L'Afrique centrale est. en tout cas. devenue son refuge et son conservatoire. Voyageant au fil de l'eau, seule voie de communication, la harpe s'est répandue des grands lacs jusqu'à l'Océan, de l'Ouganda au Congo, du Tchad au Cameroun et de Centratrique au Gabon. La Cité de la musique en révèle les multiples variations sonores et plastiques à travers cent dix instruments de grand lignage. Concert visuel bien plus qu'exposition, « La parole du fleuve » évoque l'âme même des cultures africaines. Le musée national des Arts d'Afrique et d'Océanie consacre une curieuse exposition aux coiffures sculptures des Meikoï de Nouvelle-Bretagne et des Ma-rind d'Irian Jaya (1). Conçues pour la danse, mais figées comme au vestiaire des Folies-Bergères, ces parures monumentales restent spectaculaires mais perdent l'essentiel de leur pouvoir esthétique... Le grand art mélanésien s'est réfugié dans le privé : l'excellente galerie Anthony Meyer (2) présente, parmi ses récentes acquisitions, un masque heaume de bois polychrome de l'île Viti, en Nouvelle-Bretagne, d'une qualité insigne. Traverser la rue des Beaux-Arts suffira pour

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Instruments d'Afrique centrale à la Cité de lamusique, Paris

Chefs-d'œuvre de sculpture musicale, les harpes,filles de l'arc, mêlaient jadis leurs voix, sages ourailleuses, à celles des chasseurs.Des vies entières dans les harpesLe culte Bwili, encore pratiqué par les Fang duGabon, considère la harpe comme la « pirogue devie » qui permet à ses adeptes de remonter lecours de la mythique rivière Mobogwé jusqu'aumonde où vivent les esprits des ancêtres. Engénéral, explique Philippe Bruguière, commissairede l'exposition (avec Gae-tano Speranza». celinstrument solitaire et sacré « exalté tout à iafois. Ici parole du conteur, du poète on du devinen une parole ultime et .secrètete qui invite l'êtreà se transformer, en le révélant! à lui-même ».

Le harpiste africain est donc" celui qui fait parlerla harpe '>. Il en est à la lois le créateur etl'interprète. C'est lui qui choisir et collecte lesmatériaux :le bois de la hampe et de la caisse, la peau de latable, les cordes végétales. animales oumétalliques ; lui encore qui façonne et sculpte,monte et accorde l'instrument. Il unit sa voix àcelle de ta harpe, son double, pour chanter lalégende et l'Histoire, la mémoire des ancêtres oules simples tourments de l'existence. Parfois,comme chez les Nzakara et les Zandé deCentrafrique. son talent s'exerce dans la satire etla critique sociale - il est le « maître de la parolerailleuse », selon l'ethno-musicologue Eric deDampierre. disparu l'an dernier, à qui celteexposition doit beaucoup.

Semblables par leur structure (hampe courte et

courbe, caisse vaste et profonde. table plate) elpar leur système pen tel tonique, accordé surcinq. huit ou douze cordes, les harpes d'Afriquecentrale se distinguent cependant par leursqualités esthétiques, très diverses selon lescultures.

Ces instruments rituels constituent une synthèse

des deux arts majeurs du continent noir : lamusique et la sculpture. Véritables sculpturemusicales, certaines d'entre elles méritent dfigurer au rang des chefs-d'œuvre de l'artafricain. L'ancienneté des pièces présentéesCité de !a musique - collectées pour la plup

Et si la première harpe était née de l'oreilleparticulièrement musicale d'un chasseur senà la vibration du tendon de son arc ?

Les peintures rupestres du Tassili montrentmusiciens jouant d'un instrument à cordes aguère différent de l'arme qu'ils maniaient col'antilope ou l'autruche dans le Sahara verdod'il y a cinq mille ans... Fille de l'arc, la harpaurait-elle. avec ses chasseurs musiciens, mvers le sud, où. à l'entour des fleuves. la foéquatoriale endiguait le désert ?

L'Afrique centrale est. en tout cas. devenuerefuge et son conservatoire. Voyageant au l'eau, seule voie de communication, la harprépandue des grands lacs jusqu'à l'Océan, dl'Ouganda au Congo, du Tchad au Cameroude Centratrique au Gabon.

La Cité de la musique en révèle les multiplevariations sonores et plastiques à travers ceinstruments de grand lignage. Concert visueplus qu'exposition, « La parole du fleuve »évoque l'âme même des cultures africainesLe musée national des Arts d'Afrique et d'Oconsacre une curieuse exposition aux coiffusculptures des Meikoï de Nouvelle-Bretagnedes Ma-rind d'Irian Jaya (1).

Conçues pour la danse, mais figées commevestiaire des Folies-Bergères, ces paruresmonumentales restent spectaculaires mais

perdent l'essentiel de leur pouvoir esthétiqu

Le grand art mélanésien s'est réfugié dans privé : l'excellente galerie Anthony Meyer (2présente, parmi ses récentes acquisitions, umasque heaume de bois polychrome de l'îleen Nouvelle-Bretagne, d'une qualité insigneTraverser la rue des Beaux-Arts suffira pour

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retrouver l'Afrique en majesté à la galerie Ratton-Hourdé (3), avec les chefs-d'œuvre de lastatuaire Un printemps très primitif 

Batéké (Congo) dont se défait lecollectionneur Raoul Lehuard. Autrefoissuspect de toutes les turpitudes, lecollectionneur, si possible ancien et,mieux encore, colonial, est devenu legarant de la < « sincérité » des objetsprimitifs.

Face aux accusations de blanchimentd'art nègre, pillé ou trafiqué, dont cesventes publiques ont pu être lethéâtre, les commissaires-priseursdignes de ce / titre s'obligentdésormais à certifier l'origineimpeccable des objets qu'ils

dispersent.au XIXe siècle - attested'une admiration précoce de l'Occidentà l'égard d'objets aussi « nègres »...

Les plus séduisantes de ces harpes ontla hampe ornée d'une fine tête defemme à la coiffure sophistiquée oùl'on reconnaît quelques-uns des grandsstyles de la sialuaire congolaise :Zandé, Mangbétu, Ngbandi ou Banda.D'autres, comme celles des Nghaka.figurent un personnage entier,reposant sur de courtes jambes,conférant à l'instrument un style sanséquivoque d'être humain, avec lacaisse pour torse et le manche pour lecou et la tête.

 A l'art du luthier sculpteur s'est ajoutéela patine émouvante

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du temps et de l'usage.

Celle luisance de miel au coude de la hampe,près de la caisse, trahit l'endroit où lemusicien tient su harpe. Ce halo clair sur lapeau sombre de la table marque lefrottement des doigts qui pincent les cordesaiguës... D'infimes détails techniques enaccentuent parfois l'étrangeté magique maistoujours fonctionnelle. Des bagues en fibre debananier, recouvertes de peau de lézard. fontnasiller les cordes d'une harpe d'Ouganda.Collée comme une rustine sur la peau tendued'un instrument camerounais, une minusculemembrane en cocon d'araignée n'est placéelà que pour « salir » le timbre...Baptisées de lumière, flouant, immobiles etmuettes, dans une pénombre sinueuse (1),

les harpes africaines poursuivent leurnavigation solitaire dans des régionsinexplorées de la mémoire • Michel Daubert

(1) Scénographie de Roberto Ostinelli etE.L, associés : support desobjets réalisé par l'atelier MarcJeanclos : restauration desInstruments parJoëi Dugot

La parole du fleuve, harpes d'Afriquecentrale,

C'est aux beaux jours que, sous nosclimats, les arts primitifs (ou premiers,tribaux, rituels... biffez les mentionsdéplaisantes) sortent de leurs réserves.Les expositions fleurissent soudaindans les musées et les galeriesspécialisées, des objets d'art parfoisprestigieux changent de main au coursde ventes aux enchères désormais

aussi contrôlées que huppées.Deux masques exceptionnels, l'un

d'Angola (4) et l'autre du Vanuatu (5),peuvent ainsi enorgueillir - et rassurer- leurs futurs acquéreurs grâce à leurseule carte de séjour : l'un provient dela collection Barbier-Mueller de Genève; l'autre de celle du lieutenant demarine Pénot, qui l'acquit en 1892 auxNouvelles-Hébrides...(1) Coiffures sculptures d'Océanie.

MAAO, Porte Dorée, Paris 12e. Jusqu'auaoût.(2) Galerie A, Meyer, 17. rue des BeauxParis 6".(3) Galerie Ratton-Hourdé, 10, rue desBeaux-Arts, Paris 6".(4) Vente de l'étude Piasa, Drouot-Richesalle 2, lundi 7, 14h30 (exposition :samedi 5. llh-181i).(5) Vente de Me de Ricqlès, Drouot-Montaigne, dimanche 6,14h30 (expositiles 4et5,llh-22h}.

Ci-dessous, harpe Kundi (Mangbétu, Co A gauche, détail d'une harpe Zandé. A l

luthier sculpteur s'ajoute la patine émoudu temps et de l'usage.