Gustave Flaubert, romancier. : notes personnelles de ... · Séance 2 : "Hérodias", Les trois...

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Texte 1 : Notes de voyage de Flaubert en Egypte (1850) (D’octobre 1849 à juillet 1850, FLAUBERT parcourt l’Egypte en compagnie de son ami Maxime Du Camp. Il consignera ses notes dans un carnet de voyage) Ruchiouk-Hànem et Bambeh se mettent à danser. La danse de Ruchiouk est brutale, elle se serre la gorge dans sa veste de manière que ses deux seins découverts sont rapprochés et serrés l'un près de l'autre. Pour danser, elle met, comme ceinture pliée en cravate, un châle brun à raie d'or, avec trois glands suspendus à des rubans. Elle s'enlève tantôt sur un pied, tantôt sur un autre, chose merveilleuse ; un pied restant à terre, l'autre se levant passe devant le tibia de celui-ci, le tout dans un saut léger. J'ai vu cette danse sur des vieux vases grecs. (…) Ces dames, surtout le vieux musicien, absorbent considérablement de raki. Ruchiouk danse avec mon tarbouch sur sa tête. (…) Nous revenons chez Ruchiouk. La chambre était illuminée par trois mèches dans des verres pleins d'huile, mis dans des girandoles de fer-blanc accrochées au mur. Les musiciens sont à leur poste. Petits verres pris très précipitamment, le cadeau de liquides et nos sabres font leur effet. (…) Ruchiouk nous danse l'abeille. Préalablement, pour qu'on puisse fermer la porte, on renvoie Fergalli et un autre matelot, jusqu'alors témoins des danses, et qui, au fond du tableau, en constituaient la partie grotesque ; on a mis sur les yeux de l'enfant un petit voile noir, et on a rabattu sur les yeux du vieux musicien un bourrelet de son turban bleu. Ruchiouk s'est déshabillée en dansant. Quand on est nu, on ne garde plus qu'un fichu avec lequel on fait mine de se cacher et on finit par jeter le fichu ; voilà en quoi consiste l'abeille. Gustave Flaubert, romancier. Deuxième séance : notes personnelles de Flaubert sur la danse de Ruchiouk- Hanem (voyage en Egypte, 1850) et récit de la danse de Salomé dans “Hérodias”. Objectif : Expliquer comment Flaubert exploite ses expériences personnelles dans son travail de romancier. Séance 2 : "Hérodias", Les trois contes.

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Texte 1 : Notes de voyage de Flaubert en Egypte (1850)

(D’octobre 1849 à juillet 1850, FLAUBERT parcourt l’Egypte en compagnie de son ami Maxime Du

Camp. Il consignera ses notes dans un carnet de voyage)

Ruchiouk-Hànem et Bambeh se mettent à danser. ― La danse de Ruchiouk est brutale, elle se serre la

gorge dans sa veste de manière que ses deux seins découverts sont rapprochés et serrés l'un près de

l'autre. Pour danser, elle met, comme ceinture pliée en cravate, un châle brun à raie d'or, avec trois glands

suspendus à des rubans. Elle s'enlève tantôt sur un pied, tantôt sur un autre, chose merveilleuse ; un pied

restant à terre, l'autre se levant passe devant le tibia de celui-ci, le tout dans un saut léger. J'ai vu cette

danse sur des vieux vases grecs. (…)

Ces dames, surtout le vieux musicien, absorbent considérablement de raki. Ruchiouk danse avec mon

tarbouch sur sa tête. (…)

Nous revenons chez Ruchiouk. La chambre était illuminée par trois mèches dans des verres pleins

d'huile, mis dans des girandoles de fer-blanc accrochées au mur. Les musiciens sont à leur poste. ― Petits

verres pris très précipitamment, le cadeau de liquides et nos sabres font leur effet. (…)

Ruchiouk nous danse l'abeille. Préalablement, pour qu'on puisse fermer la porte, on renvoie Fergalli et un

autre matelot, jusqu'alors témoins des danses, et qui, au fond du tableau, en constituaient la partie

grotesque ; on a mis sur les yeux de l'enfant un petit voile noir, et on a rabattu sur les yeux du vieux

musicien un bourrelet de son turban bleu. Ruchiouk s'est déshabillée en dansant. Quand on est nu, on ne

garde plus qu'un fichu avec lequel on fait mine de se cacher et on finit par jeter le fichu ; voilà en quoi

consiste l'abeille.

Gustave Flaubert, romancier.

Deuxième séance : notes personnelles de Flaubert sur la danse de Ruchiouk-Hanem (voyage en Egypte, 1850) et récit de la danse de Salomé dans “Hérodias”.

Objectif :Expliquer comment Flaubert exploite ses expériences personnellesdans son travail de romancier.

Séance 2 : "Hérodias", Les trois contes.

Texte 2 : Danse de Salomé dans “Hérodias” Mais il arriva du fond de la salle un bourdonnement de surprise et d’admiration. Une jeune fille venaitd’entrer. Sous un voile bleuâtre lui cachant la poitrine et la tête, on distinguait l’arc de ses yeux, les calcédoines 1

de ses oreilles, la blancheur de sa peau. Un carré de soie gorge-pigeon 2, en couvrant les épaules, tenait auxreins par une ceinture d’orfèvrerie. Ses caleçons 3 noirs étaient semés de mandragores 4, et d’une manièreindolente5 elle faisait claquer de petites pantoufles en duvet de colibri. Sur le haut de l’estrade, elle retira son voile. C’était Hérodias 6, comme autrefois dans sa jeunesse. Puis,elle se mit à danser. Ses pieds passaient l’un devant l’autre, au rythme de la flûte et d’une paire de crotales 7. Ses brasarrondis appelaient quelqu’un, qui s’enfuyait toujours. Elle le poursuivait, plus légère qu’un papillon,comme une Psyché8 curieuse, comme une âme vagabonde, et semblait prête à s’envoler. Les sons funèbres de la gingras 9 remplacèrent les crotales 7. L’accablement avait suivi l’espoir. Sesattitudes exprimaient des soupirs, et toute sa personne une telle langueur 10 qu’on ne savait pas si ellepleurait un dieu, ou se mourait dans sa caresse. Les paupières entre-closes, elle se tordait la taille, balançaitson ventre avec des ondulations de houle, faisait trembler ses deux seins, et son visage demeurait immobile,et ses pieds n’arrêtaient pas. (…) Puis, ce fut l’emportement de l’amour qui veut être assouvi. Elle dansa comme les prêtresses des Indes,comme les Nubiennes des cataractes 11, comme les bacchantes de Lydie 12. Elle se renversait de tous lescôtés, pareille à une fleur que la tempête agite. Les brillants de ses oreilles sautaient, l’étoffe de son doschatoyait ; de ses bras, de ses pieds, de ses vêtements jaillissaient d’invisibles étincelles qui enflammaientles hommes. Une harpe chanta ; la multitude y répondit par des acclamations. Sans fléchir ses genoux enécartant ses jambes, elle se courba si bien que son menton frôlait le plancher ; et les nomades habitués àl’abstinence, les soldats de Rome experts en débauche, les avares publicains 13, les vieux prêtres aigris parles disputes, tous, dilatant leurs narines, palpitaient de convoitise14. Ensuite elle tourna autour de la table d’Antipas 15, frénétiquement , comme le rhombe 16 des sorcières ;et d’une voix que des sanglots de volupté entrecoupaient, il lui disait : « Viens ! viens ! ». Elle tournaittoujours ; les tympanons 17 sonnaient à éclater, la foule hurlait. Mais le Tétrarque 15 criait plus fort :« Viens ! viens ! Tu auras Capharnaüm ! la plaine de Tibérias 18! mes citadelles ! la moitié de monroyaume ! » Elle se jeta sur les mains, les talons en l’air, parcourut ainsi l’estrade comme un grand scarabée ; ets’arrêta, brusquement.

Notes : 1 « calcédoines » : pierre translucide qui rappelle le quartz et qui était très utilisée dans l’Antiquité en joaillerie ; 2

« gorge-pigeon » : gris clair ; 3 «caleçons » : pantalons moulants ; 4 « mandragores » : plante des régions chaudes dont la racine

rappelle un corps humain. Elle était réputée pour ses vertus aphrodisiaques ; 5 « indolente » : qui agit avec lenteur et

nonchalance ; 6 « Hérodias » : nom de la mère de Salomé (cf. cours d’introduction) ; 7 « crotales » : sorte de castagnettes ; 8

«Psyché » : jeune fille d’une grande beauté, aimée par Eros, grâce à l’amour duquel elle deviendra immortelle après une longue

suite d’épreuves ; 9 « gingras » : flûte phénicienne ; 10 « langueur » : mélancolie douce et rêveuse ; 11 « Nubiennes des

cataractes » : habitantes d’une région désertique au Nord-Est de l’Afrique, souvent traitées en esclaves par les Egyptiens ; 12 «

bacchantes de Lydie » : prêtresses de Bacchus en Asie mineure, célèbres pour leur débauche ; 13 « publicains » : fonctionnaires

chargés de collecter les impôts dans la Rome antique ; 14 « convoitise » : désir immodéré de possession ; 15 « Antipas » ou « le

Tétrarque » : il s’agit d’Hérode Antipas, le mari d’Hérodias et le beau-père (ainsi que l’oncle) de Salomé ; 16 : « rhombe » :

danse circulaire ; 17 « tympanons » : sorte de tambourins ; 18 : « Capharnaüm » ; « Tibérias » : villes de l’actuelle Palestine.

Activités et devoirs.

ACTIVITES.

1. Quels pronoms personnels (et déterminants possessifs correspondant) pouvez-vous repérer dans chacun destextes ? Qui remplacent-ils respectivement ?

Observez les verbes : quel temps domine dans le texte 1 ? Quels sont ceux que vous identifiez dans le texte2 ?

En prenant appui sur vos réponses aux deux questions précédentes, expliquez ce qui différencie ces deuxtextes.

2. Repérez dans le texte 1 les passages qui décrivent la danse de Ruchiouk. Observez ensuite la danse deSalomé dans le texte 2 :Quels sont les éléments chorégraphiques que Flaubert a conservés ? Justifiez votre réponse par des référencesà chacun des textes.

Quels sont ceux qu’il a ajoutés ? Appuyez-vous précisément sur le texte.

Par quel procédé récurrent complète-t-il la représentation que le lecteur se fait des mouvements de Salomé ?

3. Quels procédés du texte 1 donnent l’impression au lecteur que les attitudes de Ruchiouk sont décrites avecune certaine objectivité ? A-t-on le même sentiment à la lecture du texte 2 ? Sur quels aspects de SaloméFlaubert veut-il mettre l’accent dans le texte 2 ? Justifiez votre réponse par des éléments du texte.

4. Quel rôle jouent les réactions des convives que Flaubert introduit dans le texte 2 ? Justifiez votre réponse.

Devoir : écriture d’invention.Après sa danse, Salomé demande à Hérode la tête de Jean-Baptiste. Mais, à la différence du mythe, Hérodefait sortir l’homme de sa prison et le fait venir devant lui pour qu’il puisse se défendre. En vous aidantéventuellement de votre lecture d’ “Hérodias”, imaginez la scène de confrontation entre Salomé et Jean-Baptiste, avec Hérode comme juge.

Devoirs