Guerre, captivité & evasion de jb v3

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Guerre, Captivité & Évasion de Jacques Bruley Mai 2014

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Guerre, Captivité & Évasion de Jacques Bruley

Mai 2014

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Guerre, Captivité & Evasion de Jacques Bruley 1

29 Avril 2014

Préface

J’ai retrouvé deux textes manuscrits de mon père consacrés à ses années de guerre. Il me

semble que le plus ancien est celui qui décrit l’évasion. C’est un texte d’un seul tenant, sans

chapitre ni titre. Les premières pages sont très bien calligraphiées, probablement recopiées,

puis l’écriture est plus libre, des ratures, des rajouts apparaissent, la fin par contre donne

vraiment l’impression d’un premier jet. L’autre texte commence par un plan d’ensemble

détaillé en trois parties « Guerre, Captivité, Évasion », et de nombreuses sous parties, mais je

n’ai retrouvé que la première partie.

J’ai rassemblé les deux textes dans ce document, en mettant en tête le plan d’ensemble

détaillé et les parties rédigées à leur place, mais sans rien changer par rapport aux

manuscrits. J’ai annexé à la fin de chaque partie des documents, des photos, des plans, qui

m’ont semblé intéressants, ainsi qu’une note de synthèse de toute cette période que mon

père avait écrite en 2003.

Bonne lecture,

Michel

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Plan d’ensemble

Préambule

I - La guerre

A – Mailly, Dijon, voyage vers Nîmes

B – Manduel, permission, nous montons au front

C – Eulmont, Le Petit-Tenquin

D – La vie au Front, l’observatoire, la permission, l’offensive allemande, le bois

E – La retraite, 21 juin, conclusion

Annexes première partie

II – La captivité

A – Corcieux, Neuf-Brisach, séjour à Neuf-Brisach

B – Départ, voyage /arrivée au 7A

C – Le 7A, départ

D - La ferme, retour au 7A

E – La 1, la vie du camp, le marché, les copains

F – La 25, la 38, le boulot, conclusion

Annexes deuxième partie

III – L’évasion

A – Idées directrices (pourquoi cette voie)

B – Évasion (avant le départ, Auboiron, préparatif)

C – Le trajet (départ, le bois, la nuit, je réussis à rejoindre)

D – Le voyage, appréhensions

E – Je saute, Noisy-le-Sec

F – Maisons Laffitte

G – Passage de la ligne

H – Marmande, Nîmes, Impressions

Annexes troisième partie

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Préambule

Ces lignes ne sont pas écrites dans un but littéraire, mais uniquement pour fixer sur le papier,

pendant qu’ils sont encore très vifs, des souvenirs qui s’estomperont rapidement. Souvenirs de la fin

d’une campagne, sans histoire et peu glorieuse, souvenirs d’une captivité relativement supportable,

souvenirs surtout d’une évasion que les événements et la chance me rendirent aussi peu pénible que

possible.

Je passerai très rapidement sur la guerre en elle-même, pour pouvoir m’étendre davantage sur les 16

mois de captivité et les quelques jours que dura la fuite vers la France.

1 – La Guerre

A – Camp de Mailly, Dijon, voyage vers Nîmes

Rappelé depuis le 21 mars 1939, j’avais été affecté à la 111ème batterie (Capitaine Ragueneau,

batterie des disponibles), du 108ème régiment d’artillerie. Après un séjour d’un mois à Dijon, nous

fumes dirigés sur Mailly où nous sommes restés jusqu’à la guerre. Celle–ci commença pour moi par

un télégramme que je trouvais tout à fait fâcheux, puisqu’il me ramenait de Deauville à Mailly le 25

août. La guerre éclatait quelques jours après. Nous restâmes à Mailly jusqu’au 12 septembre, date à

laquelle nous fûmes envoyés à Dijon par rail. Le voyage dura 30 heures. Nous sommes affectés au

départ au 8ème corps, mais je demandais sur le champ à partir comme volontaire au 174ème

régiment d’artillerie où j’avais de nombreux camarades d’active, et où Ivan et Hermann étaient

affectés. Nous sommes donc partis un matin pour Miramas où nous devions trouver le 174ème, mais

après un voyage sans histoire, de Miramas, on nous envoya au dépôt de la 15ème Région, à la caserne

Montcalm, car le 174ème était en cantonnement à Manduel à 8kms de Nîmes sur la route de

Beaucaire. Un camion vient nous chercher et je fus affecté à la 4ème batterie et puis dans l’après-midi

muté à la BHR, état-major du Régiment. J’étais content d’arriver et d’être affecté après des voyages

fatigants et des nuits sans sommeil.

B – Manduel, permission, nous montons au front

À la BHR, le lieutenant Matticen qui faisait fonction de capitaine de batterie me désigna comme chef

de la 4ème pièce. Nous étions logés dans la dépendance de la maison d’un vigneron. Dans ma

chambre, Cottin, marchand de charbon à Lyon, Demure, économe au lycée de Tulle, Magne,

marchand de chaussures à Nice, furent mes meilleurs camarades. Je passais à Manduel 6 semaines

d’une vie saine et reposante. Le régiment était en pleine formation, et comme nous manquions à peu

près de tout, nous n’avions pas grand-chose à faire. Que d’après-midi j’ai passés seul avec Ivan à

flâner dans les vignes en faisant craquer à belles dents de beaux raisins à la peau bien tendue que

nous mangions par kilos. Parfois, nous allions à Nîmes en empruntant l’auto-stop.

Nous avions comme colonel un vieux gâteux, père de 11 enfants, lieutenant-colonel en retraite, nous

verrons plus tard qu’il était plus gâteux et plus dangereux qu’il en avait l’air. Son coéquipier (ou

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capitaine adjoint) était un brave type, mais sans aucune compétence, c’était un professeur de culture

physique de Nîmes.

À la fin d’octobre, j’obtenais une permission de 3 jours que j’allais passer à Estissac, je n’avais pas

suffisamment de temps pour aller à Paris. Quand je revins, des bruits de départ circulaient déjà, et en

effet il fut annoncé pour le 31 octobre. Destination inconnue évidemment. Nous embarquons dans

l’après-midi et partons presque immédiatement. Frontière italienne ? Belge ? Alsace ? Où allions-

nous ? À 11h du soir nous étions à Lyon ; 1 heure d’arrêt ? Les Lyonnais sortent, sautent dans des

taxis, et vont embrasser leur famille, mais tout le monde est là au moment du départ. Le lendemain à

11h nous étions à Dijon et à 9h du soir à Champigneulles où nous débarquons le matériel à l’aide de

projecteur. Dans cette gare pour la première fois, je sentais une ambiance de guerre, avec toutes les

lumières camouflées, des trains de troupes et de matériels sur presque toutes les voies. Après un

dîner sur des barils d’essence, nous nous formons en colonne et partons tous phares éteints. Une

demi-heure après, nous étions arrivés. Mais où étions-nous donc ? Sur la route de Metz, dans un

village à 11km de Nancy. Nous étions à Eulmont. Le village de 7 à 800 âmes est construit d’une

manière bizarre en bas tout le long et dans le haut d’une grande colline. Nos camions eurent du mal

à grimper la pente très raide de la rue principale. Dans le cantonnement, rien n’était près, tout était

occupé par d’autres régiments. Il était minuit, à chacun de se débrouiller ; je couchais dans mon sac

de couchage dans une grange sans fenêtre où il faisait un froid de canard.

C – Eulmont, le Petit-Tenquin

À mon réveil, j’étais transi de froid malgré mon sac ; après un café bien chaud, je partais à la

recherche d’un cantonnement pour ma batterie ; après beaucoup de pas je m’installais dans une

pièce qui fut vite bien aménagée. Nous passâmes là 15 bons jours, dont les fêtes du 11 Novembre.

Nous vîmes des régiments descendre de ligne et tous nous donnaient des conseils pour le moment

où nous y serions. Nous savions déjà que nous allions au Petit-Tenquin au sud-ouest de

Sarreguemines. Demure était allé en effet quelques jours auparavant pour reconnaître le

cantonnement. À ce sujet, je me souviendrais toujours que, considérant le fait d’aller au Petit-

Tenquin comme dangereux, et qu’en plus de cela, à 10 heures du soir il n’était pas rentré, nous

avions remplacé son lit par plusieurs caisses formant ainsi un cercueil, le tout recouvert d’un drap et

d’une vieille couronne dénichée je ne sais où. Aux quatre coins, un cierge brûlait. L’effet était

macabre et quand il rentra vers 11 heures, je me souviens encore de son exclamation « Bande de C…,

me voilà ».

Nous partîmes le matin du 16 novembre et j’étais pour ma part rudement satisfait d’être arrivé dans

un endroit stable. Il m’est pénible de dire que toutes les maisons avaient été mises à sac par les

troupes qui étaient passées les premières.

Le Petit-Tenquin est un pays de 4 à 500 habitants. Tout était mort quand nous y entrâmes. Seuls

quelques chats rôdaient autour des maisons. Nous devions y rester jusqu’en juin 1940. Nous

organisions une vie qui est pour moi un bon souvenir étant données les circonstances d’alors.

Les servants de la 4ème pièce furent logés dans une petite maison sur la place de l’église, au numéro

36 je crois. Nous nous installâmes assez bien puisque tout le monde avait son lit ; nous étions 3 dans

ma chambre, et huit dans la maison : Demure, Magne, Valette, Bessette, Cottin, Jicerte, Boivin et

moi-même. Nous remîmes la cuisinière en état, la réserve de bois était suffisante. Un peu plus tard

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nous devions trouver un poste de TSF dans une meule de foin. Ce poste ne pouvait prendre qu’un

seul poste français, et seulement Milan, et quelquefois Stuttgart. Nous voilà à passer nos soirées en

faisant la partie de tarot que Demure m’avait appris à jouer. C’est très intéressant le tarot, savez-

vous.

La question logement étant réglée, restait la question nourriture ; nous fîmes une réserve de

pommes de terre, allant déterrer dans les champs celles qui n’avaient pas été récoltées. Nous avions

le beurre et les œufs à volonté dans le premier village évacué à 5 ou 6 kilomètres de là. Quant au vin,

nous avions emporté de Manduel un tonneau d’une quarantaine de litres ; je l’avais pris à mon

compte, le faisant remplir à chaque fois qu’un camion ou une camionnette allait à Nancy. Tous ceux

qui voulaient du vin de notre pièce participaient aux frais.

D – La vie au front, l’Observatoire, la Permission, l’Offensive allemande, le Bois

Je commençais ma vie au front par m’occuper du central téléphonique où je n’avais rien à faire ou

presque. Je passais joyeusement les fêtes de Noël et du 1° de l’an ; je me souviens de la messe de

minuit dans cette belle église du Petit-Tenquin. Bien que nous ne soyons pas malheureux, chacun

malgré tout pensait ce soir-là beaucoup plus à sa famille et aux réveillons d’antan. Il faisait froid dans

cette église non chauffée quand dehors la température était dans les -25°. Le réveillon fut joyeux et

nous fîmes un monôme dans les rues du Petit Tenquin, réveillant tous nos camarades en pénétrant

dans leurs habitations par des voies détournées et allant même souhaiter la bonne année à l’officier

commandant le régiment en remplacement du colonel parti en permission.

Après les fêtes, commença pour moi une vie beaucoup plus dure, car je fus affecté à l’observatoire

situé en première ligne. Nous y montions le matin et revenions le soir 1 jour sur 2. Cet observatoire

était situé sur le plateau de Cadenbronn à environ 1 km du village en suivant un chemin en direction

de Sarrebruck. Un grand plateau dénudé, une longue haie, à l’extrémité de cette haie des sacs de

sable empilés, c’était l’observatoire SRA, une honte pour l’officier observateur, qui ne s’était pas

donné la peine de faire quelque chose de mieux parce qu’il avait peur de venir si près des lignes. Il y

vint peut-être 2 fois en 6 mois. Son nom était le lieutenant Costaz. Nous mangions dans une maison

évacuée en compagnie de soldat du 204ème régiment d’artillerie. Cette maison devait être incendiée

au cours de l’hiver.

Je partis en permission le 8 février, on me conduisit en camionnette à la gare d’Insming (point

terminal de la ligne) où je pris le train jusqu’à Bénestroff. Là, je changeai et je pris un train qui aurait

dû me conduire jusqu’à Brienne, gare de triage, mais en passant au passage à niveau de Bar sur Aube

je descendis du train, gagnai un temps précieux et évitai d’avoir ma permission tamponnée à la gare

de Troyes. Je téléphonai à Guido (le chauffeur de Léon), qui vint me chercher immédiatement, j’eus

juste le temps de déjeuner.

Après quelques jours passés à Estissac, où je retrouvai Simone venue pour me voir, nous sommes

partis à Paris en voiture par une route enneigée et gelée. Je couchais chez Mme Picault pendant une

huitaine de jours que je passais avec Nicole ; 2 ou 3 fois j’allai dîner avec Mansillon. Le temps passa

très vite et je retournai à Estissac d’où Guido me conduisit à Châlons-sur-Marne. Là je pris un express

jusqu’à Nancy où, après une attente de quelques heures, je montai dans un train de permissionnaires

qui m’amena jusqu’à Insming.

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À peine arrivé au Petit-Tenquin j’eus l’avantage d’être désigné pour monter à l’observatoire pour 48

heures. En effet, pendant mon absence, des ordres avaient été donnés pour que le poste soit tenu

sans interruption. C’était idiot étant donné que nous n’étions pas reliés téléphoniquement et que

lorsque nous descendions, notre rapport donnait des renseignements vieux de 2 jours. Nous étions 4

en tout et pour tout, nous étions donc 2 jours sur quatre de garde jour et nuit dans la neige alors que

nous aurions dû être 12 d’après le plan de mobilisation avec un officier constamment là-haut. Pour la

1° fois j’y allai, mais il se trouva à ce moment que j’eus une suite d’orgelets qui faisaient pleurer l’œil

gauche. J’allai à la consultation médicale à Morhange et le docteur me donna un traitement qui fit

que je fus débarrassé de l’observatoire pendant 2 mois. Mes yeux me firent souffrir du reste pendant

1 bon mois. Je restais attaché à l’observatoire pour conduire les observateurs à Cadenbronn. Les

beaux jours vinrent et nous avons formé une équipe de football qui jouait le dimanche contre des

régiments cantonnés dans les environs : 10ème RA, 182ème RA etc. Nous perdîmes quelques matchs,

nous en gagnâmes autant.

Un dimanche, après un match, 1 télégramme vint annoncer la mort de la mère d’un camarade qui

était à l’observatoire, je fus désigné pour aller le relever. Je partais sur-le-champ. Le lendemain 22

avril à 2h de l’après-midi je subissais le baptême du feu. J’étais en train de lire « Ces dames aux

chapeaux verts » quand Tixier me dit prêtant l’oreille : « un départ » ; au même moment, un

sifflement, un obus tombait à 50 mètres. Nous étions déjà dans l’abri en train de tirer la plaque de fer

pour nous abriter contre les éclats pouvant venir de devant. Le bombardement dura 10 minutes. À

un certain moment, nous fûmes recouverts de terre, un obus de 150 tomba exactement à 5 mètres

de nous. Heureusement nous fûmes quittes pour la peur. Ce devait être du reste le prélude de

mauvais jours.

Le 9 mai nous reçûmes l’ordre de replier l’observatoire à Guebenhouse, le 10 mai c’était l’attaque

allemande qui se fit sentir seulement le 12 au matin, jour de la Pentecôte, sur notre front. Hermann

du 3ème groupe était venu se joindre à nous. Les heures passées à Guebenhouse furent pénibles,

bombardements, survol continuel par l’aviation allemande. Je descendais le 12 au soir avec ma

camionnette, laissant les observateurs à leur travail. Je conduisis 2 fois à la tombée de la nuit avec

une grosse camionnette, du matériel pour aménager le nouveau poste. Celui-ci était abandonné peu

après, c’est-à-dire vers le 15 mai et nous installâmes le nouveau dans le bois de Molspricht. Là,

durant près d’un mois, nous nous efforçâmes de construire un abri solide ; nous partions tous les

matins à 8h, prenions du pain à Nelling, des hommes, dont souvent Caboufigue (ancien officier de

marine), à Hellimer et restions là-bas toute la journée dans un bois vert et frais.

C’est alors que le Petit-Tenquin se trouvant à portée de l’artillerie de campagne allemande, ordre fut

donné de l’évacuer et d’occuper les baraques construites dans le bois de Gréning. Nous nous

installâmes de notre mieux, amenant quelques chaises et un fourneau pour faire un peu de cuisine et

améliorer notre ordinaire. Des tranchées furent creusées, mais elles ne devaient jamais être étayées

et couvertes. J’allais toujours un jour sur deux à l’observatoire de la ferme de Molspricht, mais notre

travail se bornait à construire l’abri, un abri magnifique même, avec tôle métro, plaques d’acier, etc.

Nous emportions de quoi faire notre déjeuner qui se passait assez agréablement en pleine nature. La

forêt, qui comprenait une grosse majorité de hêtres, était magnifique. Un matin en arrivant, nous

avons trouvé la cabane à outils, les arbres qui nous étaient familiers, déchiquetés par les obus. À

partir de ce jour-là nous sommes restés sur nos gardes prenant soin de ne pas se montrer hors du

bois, de ne pas faire trop de fumée et de ne sortir la voiture de la grange de la ferme qu’après s’être

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assuré qu’aucun avion n’était dans les parages. À ce moment-là du reste, nous avons été obligés de

changer notre itinéraire qui était trop près des lignes. Le nouveau empruntait la route nationale

Sarreguemines – Nancy, jusqu’à un point situé à environ 3 ou 4 kms au-delà d’Hellimer, point où

nous tournions à droite, nous traversions un pays et nous laissions la voiture en bordure du bois.

Nous devions alors marcher 40 minutes environ à travers ce bois, souvent bombardé en raison des

batteries de 75, qui se trouvaient en bordure. Un soir en rentrant vers 6 heures, l’aile avant de la

camionnette fut percée d’un éclat d’obus.

Les choses allaient ainsi ; nous n’avions que très peu de nouvelles militaires, le courrier arrivait bien.

Le 6 juin je fus désigné comme chef de voiture pour aller chercher des baraques à Nancy avec le 5

tonnes cabine avancée que conduisait Cottin. Après avoir « touché » nos planches, nous fîmes un

bon déjeuner avec Cottin. À Nancy les gens étaient soucieux, les nouvelles étaient mauvaises. Bientôt

notre bois de Gréning fut envahi de troupes hippomobiles qui se repliaient, d’aérostiers avec leur

saucisse ; on sentait qu’il allait se passer quelque chose. Dans les nuits du 10 au 11 et du 11 au 12 nos

pièces tirèrent longuement, les Allemands ripostaient, mais tiraient trop court.

E - La Retraite, 21 juin, conclusion

Enfin le 13 juin, je n’étais pas à l’observatoire ce jour-là, le bruit courut que nous allions nous replier.

Nous entassâmes fébrilement le plus de choses possible dans nos véhicules, nous fîmes le plein

d’essence et le soir tout le monde était prêt à partir, mais les ordres furent donnés le lendemain

matin à 5 heures. Je passais la nuit sur la banquette avant de la camionnette. Après avoir traversé

Lunéville, nous nous retrouvâmes dans un bois de charmes où nous restâmes toute la journée ; après

avoir dîné à l’auberge du pays voisin, je repris le volant toute la nuit, sans phares, sur une route où

roulaient trois colonnes de voitures du front et qui était encombrée de cyclistes ou piétons de toute

sorte. Après Plombières les Bains, je crevais une roue arrière et perdais le contact avec la colonne. Un

peu plus loin, le motocycliste Alibert nous arrêtait et nous indiquait un chemin dans lequel s’était

engouffrée toute notre colonne. Sinon nous filions sur Vesoul, Dijon, Lyon.

Le pays choisi pour notre cantonnement s’appelait Beaujeu Saint-Vallier. C’était le 15 juin, un

dimanche. Après avoir pris un bon petit déjeuner de plusieurs œufs au jambon et vin blanc, nous

rangeâmes nos véhicules toujours survolés par des avions allemands. Je cantonnais avec Léopold et

Tixier chez une brave femme au bout du pays. Le lendemain soir nous avions ordre de remonter dans

les Vosges et après quelques 30 kilomètres nous arrivions à Saint Amé le Syndicat. Je couchais dans la

forêt parmi ces géants que sont les pins des Vosges, sur la bruyère et une multitude de petites fleurs

bleues. Le lendemain matin le 17 juin les nouvelles étaient de plus en plus mauvaises. Je faisais

quelques promenades en montagne, prenais même un repas à l’hôtel de l’endroit.

Le 18 dans la nuit nous partions en direction de Gérardmer ; le 19 au matin nous étions sur les bords

du lac, survolés par des avions allemands. Les mitrailleuses résonnaient de toutes parts ; je me

réfugiais dans une villa dont le propriétaire venait de rentrer de Lille à pied ; les femmes pleuraient.

C’était la débandade. Nous reprîmes notre route plus avant dans les Vosges en direction du col du

Bonhomme. Déjeuner aux Trexons où les braconniers du régiment prirent à la main une dizaine de

belles truites ; le soir nous arrivions à Corcieux où nous couchions dans une grange, c’était le 19. Le

21 au matin, débandade encore plus grande, je vois passer tous les camions et voitures du régiment.

Je fais rapidement un paquet de mes affaires, abandonne beaucoup de choses dont mes bottes en

caoutchouc et pars avec ma camionnette. Nous ne devions pas aller loin, 2 kilomètres. Après quoi

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nous restions sur le bord de la route. La fin était proche, déjà on entendait les mitrailleuses

allemandes. Corcieux tomba vers midi après un court bombardement. Jicerte, Thomas, Demur

devaient déjà être faits prisonniers. C’est à ce moment-là qu’il aurait fallu partir, certains le firent,

Berthier par exemple qui réussit, d’autres qui échouèrent.

Vers 6 heures du soir, des soldats allemands montèrent, encerclèrent la ferme où nous étions, nous

n’avions pas de munitions. Après avoir formé une colonne, nous fûmes emmenés dans un pré de

Corcieux. Les soldats allemands qui nous firent prisonniers nous semblaient harassés, marchant

accrochés aux voitures de toutes sortes. C’était la fin des opérations actives pour nous et quelques

heures plus tard pour tout le monde. Les raisons de cette débâcle ? Les principales sont : 1° le

manque manifeste de matériels, surtout en aviation, 2° le mauvais commandement, la pagaïe, le

manque de liaison, 3° le mauvais moral et la non-combativité de la plupart des officiers et soldats.

Nous étions tous bien traités, pas inquiets sur le sort qui nous attendait, mais tristes de voir un si

grand, si beau pays tomber dans une telle débâcle.

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Annexe 1° partie - Régiments d'artillerie lourde à grande puissance (R.A.L.G.P) Les Régiments d’Artillerie Lourde à Grande Puissance sont organisés lors de la mobilisation en 1939 en un état-major, une batterie hors rang et trois groupes de deux batteries de quatre pièces, chaque groupe disposant d’un état-major, d’une colonne de ravitaillement et donc de deux batteries de tirs. Ils sont équipés des pièces les plus puissantes de l’artillerie française en dehors de l’Artillerie Lourde sur Voie Ferrée. Il s'agit de canons de 220L 17 Schneider et de 280mm Schneider sur affût chenillé Saint-Chamond. En temps de paix, les pièces sont stockées. Dès le déclenchement du processus de mobilisation générale, quatre régiments sont mis sur pied par deux centres mobilisateurs d’artillerie.

Le 171ème Régiment d’Artillerie Lourde à Grande Puissance est mis sur pied par le CMA 25 de Bourges avec pour équipement, le canon de 280mm Schneider TR.

Le 172ème Régiment d’Artillerie Lourde à Grande Puissance est mis sur pied par le CMA 25 de Bourges avec pour équipement, le canon de 280mm Schneider TR.

Le 173ème Régiment d’Artillerie Lourde à Grande Puissance est mis sur pied par le CMA 15 de Nîmes avec pour équipement, le canon de 220L 17 Schneider.

Le 174ème Régiment d’Artillerie Lourde à Grande Puissance est mis sur pied par le CMA 15 de Nîmes avec pour équipement, le canon de 220L 17 Schneider.

Canon de 220L Schneider modèle 1917 Le 220L modèle 1917 sont un matériel long destiné à l’action lointaine. Mis au point à la fin du premier conflit mondial, il n’a été produit qu’à fort peu d’exemplaires, 56 en l’occurrence mis en œuvre au moment de la guerre de Pologne par les 173ème et 174ème RALGP, chaque régiment disposant de trois groupes à deux batteries de quatre pièces, soit 36 canons en ligne auxquels s’ajoutent deux canons au 151ème RAP et deux autres au 166ème soit un total de 40 canons en ligne. Caractéristiques du mortier de 220L Schneider modèle 1917 :

Calibre : 220mm,

Poids en batterie : 25880kg (remorquage en deux colis).

Poids de l’obus : 104.75kg,

Longueur du tube : 7.67m (34.9 calibres)

Portée maximale : 22800m

Pointage en azimut : 20°

Pointage en hauteur : 0° à +37°

Cadence de tir : 2 coups en trois minutes

Mise en batterie : 6 heures

Canon de 220L 17 Schneider

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Annexe 1° partie - Petit-Tenquin : lettre de Jacques à Nicole Anselmi en date du dimanche 14 avril

1940

Ma petite Nicky chérie,

Quel triste dimanche ! Si ça n’avait été l’attente de ta lettre que je viens de recevoir, je crois que j’aurais eu le

cafard. Le mauvais temps y est pour quelque chose et il n’arrête pas de pleuvoir depuis ce matin (il est en ce

moment 6h1/2 ). Je me suis levé à 10h1/2 et la matinée a passé rapidement ; après déjeuner nous avons fait

une partie de cartes tout en sirotant 2 bouteilles de Heidsieck , mais malgré tout cela l’après-midi a été

longue à s’écouler. J’ai reçu une carte de Nicole* qui me dit qu’elle quitte Hyères aujourd’hui, c’est-à-dire

qu’en ce moment elle doit être dans le train ; elles ont eu beau temps, mais quelques jours de mistral. Elle

m’écrit qu’elle ne s’est pas baignée et je pense qu’elle sera revenue sans s’être trempée dans l’eau, je me

souviens bien qu’au mois d’avril l’eau est encore froide malgré le beau soleil. Cela me dirait bien d’aller faire

un petit voyage dans le midi, avec toi encore, si c’était réalisable, chérie ce serait merveilleux ; ce le sera, je

l'espère, un jour prochain.

Le secteur est un peu moins calme qu’auparavant et on entend davantage le canon ; avec le mauvais temps,

il n’y a presque plus d’avions. La DCA a, paraît-il, tiré longtemps la nuit dernière, mais je dormais tellement

bien que je ne l’ai pas entendue. Malgré ce calme relatif, j’ai l’impression à certains indices que le front

terrestre va s’enflammer, pas forcément dans notre région, mais quelque part sur notre frontière. Je viens à

l’instant d’écouter les nouvelles italiennes et j’espère qu’à la fin les Italiens trouveront ce qu’ils cherchent,

l’anéantissement complet de leur pays. Ce ne saurait tarder, si nous entrons en guerre contre eux. Je te quitte

quelque temps pour aller dîner. Je t’embrasse.

Il est 8h1/2 et je termine cette lettre après laquelle j’écrirai à mon père et j’irai me coucher. Ce soir malgré ta

lettre qui m’a fait plaisir, j’ai un peu le cafard, mais je ne sais à quoi l’attribuer. Cette suspension de

permission y est certainement pour beaucoup. Avant je savais approximativement quand je te verrais,

maintenant c’est fini et je finis par me décourager. Pourtant tous ces temps-ci mon moral était bon, mais

j’aurais bien besoin de te voir maintenant et de me retremper un peu dans un monde plus civilisé, tu sais que

je ne suis pas militaire dans l’âme, d’autre part je déteste une vie monotone toujours à la même place

surtout l’hiver à la campagne, alors tu comprendras que je ne suis pas ici tout à fait à mon aise. J’aime

beaucoup changer de place et toi qu’aimes-tu mon amour chéri ? Je ne sais pas Nicky ce que tu aimes et je te

connais assez peu malheureusement, mais je te connais c’est le principal, j’en suis heureux et c’est ma seule

consolation en ce moment, savoir que tu m’aimes et que tu es une gentille Nicky et sentir que moi de mon

côté je t’adore, si je ne te connaissais pas je me ficherais un peu de tout ce qui peut se passer, mais

maintenant je ne m’en fiche pas et je pense à toi et à moi sans nous séparer, car Nicky j’espère que nous ne

serons jamais plus séparés quand cette sale guerre se terminera.

Vivement que les événements se précipitent et que l’on gagne du temps. Au revoir, mon amour chéri, je

pense à toi et t’aime passionnément. Mille grosses caresses et tendres baisers.

Jacques

*Nicole Bruley (Lairé)

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Annexe 1° partie – Photo prise au Petit-Tenquin

Petit-Tenquin 1940 – Jacques Bruley est le 1° à gauche de la photo

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Annexe 1° partie – Jacques Bruley est tout en haut le 7ème en partant de la gauche

Compte tenu du chiffre 186 sur les képis, il s’agit certainement d’une photo prise avant la guerre, pendant le service militaire.

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2 – La Captivité

Une nouvelle vie allait commencer pour nous. Tous se demandaient ce que leur réservait l’avenir

immédiat, quand ils pourraient rentrer chez eux, ce qu’étaient devenus leurs familles et amis dans

cette tourmente. Les bobards les plus invraisemblables devaient envahir les camps pendant des mois

et même des années.

Nous avons donc passé la nuit dans un pré à Corcieux. Nous étions tous groupés, Cottin, Valette,

François, Agostini, etc. Au matin vers 5h1/2 tout le monde se réveilla, s’apprêta. Des camions vinrent

prendre ceux qui voulaient monter, mais nous n’étions pas pressés et nous restâmes sur place. Les

véhicules partirent néanmoins bien chargés. Les Allemands nous dirent alors qu’il fallait gagner Fraize

pour aller dans un camp où nous serions démobilisés. J’étais sceptique, mais obligé de suivre cette

interminable colonne que formaient tous les prisonniers marchant sans ordre. Ceux qui étaient trop

chargés ou fatigués jetaient au fur et à mesure des kilomètres tous les objets qui n’avaient pas une

importance vitale. À Fraize, les Allemands nous dirent qu’il ne restait plus qu’à monter le col du

Bonhomme en haut duquel des camions nous emmèneraient à Colmar où nous serions démobilisés.

Il faisait chaud, orageux même. Je montais vaillamment le col, nous étions à 1 kilomètre du haut

quand la pluie se mit à tomber. C’est là encore que nous aurions pu partir !

A – Corcieux, Neuf-Brisach, séjour à Neuf-Brisach

B – Départ, voyage /arrivée au 7A

C – Le 7A, départ

D - La ferme, retour au 7A

E – La 1, la vie du camp, le marché, les copains

F – La 25, la 38, le boulot, conclusion

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Annexe 2ème partie : Le camp de prisonniers de guerre Stalag VII A

En septembre 1939, après le commencement de la Seconde Guerre mondiale, un camp de prisonniers de guerre

fut construit au nord de Moosburg : le Kriegsgefangenen-Mannschafts-Stammlager (Stalag) VII A. Le nombre

des P.G. alliés monta de 10.000 à 80.000 vers la fin de la guerre, internés dans le camp et les kommandos de

travail.

Ci-joint l’adresse d’un site dédié au camp : http://www.moosburg.org/info/stalag/indfra.html

Plan du camp des P.G. de Moosburg

Film d’un survol du camp lors de la guerre : http://www.moosburg.org/info/stalag/bilder/spiegel.wmv

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Annexe 2ème partie : Photos et plan des camps de Moosburg

Mirador

Baraques

Plan général des camps

A – Camp des gardes B – Camp des P.G. C – Gare du Stalag D – Cimetière des P.G. Après la guerre, les corps ont été dans un autre cimetière, ce site est maintenant dédié au mémorial du stalag.

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Annexe 2ème partie : courrier de Simone Graven

Carte de la Croix-Rouge informant Simone que son frère est prisonnier – 25/09/1940

Carte de Simone à son oncle Georges Bruley – 11/10/1940

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Annexe 2ème partie : envoi de colis

Demande de Simone d’autorisation d’envoi d’un colis au Stalag

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3 – L’évasion

Fait prisonnier à Corcieux dans les Vosges le 21 juin 1940, j’étais au stalag VIIA depuis près de 16

mois. Ce camp situé près de Moosburg en Bavière était immense, construit en bordure d’un grand

bois de sapins. Les baraques étaient convenables, mais nous y étions un peu parqués comme du

bétail, pas nourris et remplis de puces. On ne peut pas rester passif entre des barbelés sans essayer

de partir alors que des êtres chers vous attendent et qu’en France, malgré l’occupation boche les

gens vivent à peu près.

Bien des fois j’avais pensé partir ; j’avais fait et compulsé des dizaines de cartes d’Allemagne et de

Suisse, Simone m’en avait envoyé une très bonne, cachée dans un pot de confiture, un camarade

rentré en France m’avait envoyé son plan exact. Toutes les possibilités avaient été envisagées, la

vallée de l’Inn, la haute montagne par Bludenz, la boucle de Schaffhouse, Feldkirch, le Liechtenstein,

l’Alsace et la Lorraine. Fallait-il partir à pied ou prendre le train ? Seul, ou à 2, ou 3 ? J’avais l’exemple

de belles évasions toutes différentes. Que choisir ? Quel plan arrêter ?

Un jour, après déjeuner une nouvelle idée me traversa le cerveau. Elle n’avait jamais été utilisée,

mais elle me paraissait par trop simple ; je pris néanmoins la décision de la travailler pour aboutir à

un énième plan qui me faisait profiter d’un gros départ de réformés qui devait avoir lieu la semaine

suivante. La réussite me paraissait possible par suite du nombre élevé de réformés. Douze cents

hommes sont à peu près l’effectif d’un train complet, j’ai pensé qu’il serait direct. Au départ

précédent il n’en avait pas été de même ; les malades avaient été groupés à Stuttgart avec ceux d’un

autre camp. L’inédit de mon nouveau plan était aussi un gros atout supplémentaire. Je l’étudiai donc

à fond, questionnai partout pour savoir la date du départ, préparai des habits pour être propre, des

chaussures anglaises en cuir très souple pour marcher facilement ; j’examinai les différentes

manières de sortir du camp et de lâcher les sentinelles, je me demandai quelle serait la meilleure

cachette en attendant le train, car il ne pouvait être question de sortir du camp en même temps que

les réformés. Tous les après-midi j’allai travailler comme volontaire terrassier pour le relèvement des

berges d’un canal traversant le bois. Là, à chaque fois, j’étudiai les lieux et la meilleure manière de

partir sans trop risquer un coup de fusil.

Trois ou quatre jours après mon idée initiale, ayant fait interroger une sentinelle, il répondit qu’il

était content parce qu’il allait faire un petit voyage à Paris. Le même jour, ayant eu un boche qui

cherchait à acheter sur le marché du camp de l’argent français, je lui indiquai où il pourrait en

trouver à un prix raisonnable et lui demandai pourquoi il en avait besoin. Comme je m’en étais

douté, c’était pour son voyage en France. Il me dit qu’il était très content, car il partait le dimanche

suivant à 9h51 avec un train de réformés. Un copain a interrogé un censeur de la poste et la réponse

étant identique, j’arrêtai le plan suivant : Je m’évaderais de la corvée du canal vendredi matin, après

quelques kilomètres dans le bois, je me cacherais dans un fourré. Dans la nuit de samedi à dimanche,

j’essayerais de trouver le train qui serait certainement déjà à la gare puisqu’à cette époque de

l’année le jour ne pointe que vers 7 heures. Il était plausible qu’un train spécial venant chercher des

prisonniers arrivât quelques heures à l’avance. Dans ce cas il serait facile de monter et de se cacher

dans le train.

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Tout est donc décidé, quelques détails demandent encore à être étudiés. Je mets un camarade,

Auboiron, au courant de ma tentative. Je lui demande de garder mes affaires, vêtements, linge,

couverture, conserves, argent même, qui peuvent m’être indispensables en cas d’échec. J’étudie

ensuite avec lui un système de signaux qu’il me ferait à l’aide d’une lampe électrique pour m’indiquer

si, parfois, la date de départ n’aurait pas été changée après mon évasion. Il fut convenu des

emplacements ; lui se mettrait à la sortie de la baraque 5B, moi au pied d’un grand arbre à la lisière

du bois, à 300 mètres environ des barbelés. J’établis aussi un code pour indiquer la nouvelle date de

départ, aucun signal ne devait être fait si rien n’avait été changé. Les signaux devaient être faits 2

fois : le 1° à 22h15, le 2ème à 22h30.

La veille du départ, j’essaie une ultime démarche pour me procurer l’étiquette que tous les réformés

devraient porter à leur boutonnière. J’essaie de plusieurs manières, sans réussir. Le Docteur Lieuvin,

juif étranger, réformé ne pouvant pas partir, refuse de me donner la sienne ; je trouve idiot de l’avoir

mis au courant et le regrette tout de suite. Peu de camarades savent que je vais tenter quelque

chose, Auboiron dont j’ai déjà parlé, Vernier mon copain de popote, et 2 Australiens Dave et J. Mac

Sweeney. Le jeudi soir je les réunis tous les quatre autour d’un bon repas, dans les baraques

anglaises pour ne compromettre personne. Après le dîner j’achète au marché le sucre et le chocolat

nécessaires pour l’expédition. Tout étant fixé, je passe une bonne nuit ; les 4 ou 5 précédentes

avaient été presque blanches parce que je voulais penser à tout. Enfin le vendredi matin arrive : je

décide pourtant de ne partir que l’après-midi comprenant que les Allemands avaient moins le temps

pour me rechercher.

Pour cela je vais à la baraque 14 où Auboiron vient de s’installer : je mets une culotte de cheval sous

mon pantalon anglais que je retirerais et laisserais assez en évidence non loin du chantier pour faire

croire que je m’étais transformé en civil et ainsi aiguiller les recherches ailleurs que sur notre convoi.

Je couds dans la doublure de ma culotte les 2 billets de mille francs que je désire emporter. J’arrange

mes provisions (sucre – chocolat et eau) de manière que mes poches ne soient pas trop gonflées. Je

vais à la poste du camp pour voir si un colis qui m’était signalé et qui contenait 3 billets de 1000

francs dans un pot de confiture n’était pas arrivé (1000 fr. 1941 ~400€ 2014). Je mets au courant de

mon départ le chef de baraque Robillard afin qu’il m’inscrive dans la corvée du canal et non dans une

autre.

Après un solide repas avec Vernier je regagne la baraque 36, il est 1h1/4. Robillard nous appelle les

uns après les autres sous l’œil de 2 sentinelles. 25, le compte y est. En passant devant toutes les

baraques dans l’avenue centrale je me demandais si je les reverrais un jour. Vernier et Auboiron me

regardent passer. Nous arrivons à la première porte où se trouve le poste de garde ; on nous retire

notre plaque, ensuite le sergent « baragouine » quelque chose aux sentinelles pendant une ou deux

minutes ; un copain qui sait l’allemand traduit à haute voix qu’il y a déjà eu deux évasions le matin et

qu’il fallait avoir l’œil. Le chef de poste passe l’inspection pour voir si nous n’avons rien dans nos

poches ou si nous ne sommes pas habillés en civil sous notre vêtement kaki. Il arrive à ma hauteur et

je lui ouvre ma chemise de manière à montrer ma peau, j’avais en effet remarqué que, de cette

manière, ils n’insistaient pas, croyant être assurés qu’on ne pouvait être en civil en dessous. Il

inspecte mon voisin Dezons de très près. Nous sortons du camp.

Pour ce 3 octobre, il faisait un temps magnifique, un beau soleil d’automne, et la capote que j’avais

endossée, pour cacher mes grosses poches, aurait pu paraître bizarre. Seul un autre parmi les 25 en

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portait une. Nous marchions le long des champs et j’entendis une voix qui hélait « hello, Jack, » et je

vis John Mac Sweeney qui agitait son bras en signe d’adieu. Il était occupé avec d’autres Australiens à

arracher les pommes de terre. Je ne devais plus le revoir.

Arrivé sur le chantier, chacun tombe la veste sauf moi. Je dépose quand même ma capote contre un

arbre. J’ai la mauvaise surprise de constater que le chantier s’est déplacé d’une vingtaine de mètres

et que je devrais changer mes plans pour le quitter, la position des gardiens n’étant plus la même. Je

voulais attendre qu’ils se réunissent, chose qu’ils faisaient toujours au bout d’un certain temps afin

de bavarder un peu. Les choses se présentent mal. Chaque sentinelle se place à chaque extrémité du

chantier. Debout, l’une a son mousqueton à la main, l’autre à l’épaule. ½ heure après, toujours la

même position, ¾ heure, 1 heure. Enfin l’un d’eux s’éloigne vers le bois et ramène un fagot, le pose

et appelle son copain. Ils s’assoient et posent leurs mousquetons derrière eux. J’attends quelques

minutes qu’ils soient bien assis, il est 3 heures 30, je pose la pelle et je vais derrière l’unique bosquet

du lieu comme pour satisfaire un besoin pressant. De là, je pars, ayant bien soin de courir toujours

dans le prolongement du buisson pour que les fritz ne puissent me voir. Au bout de 200 mètres, je

trouve une large tranchée qui me cache à leur vue. Je m’enfonce dans le bois. 200 mètres plus loin, je

me débarrasse de mon premier pantalon que je laisse bien en évidence, copieusement saupoudré de

poivre et de poudre à puces. Je continue mon chemin, tombe dans un terrain marécageux et ai

beaucoup de peine à trouver un passage. Je traverse ensuite le canal sur un petit pont et constate de

très loin que tout paraît encore bien calme au chantier ; je suis parti depuis 10 minutes environ.

J’accélère le pas et par moment adopte le pas de course ; je m’enfonce profondément dans le bois.

Je peine beaucoup pendant 200 mètres environ les arbres sont serrés, il y a du taillis. C’est alors que

je constate que je fais un bruit énorme, pire que plusieurs sangliers et que si quelqu’un passait par là,

il ne manquerait pas de venir voir. Je décide alors d’emprunter les sentiers en prenant des

précautions à chaque courbe pour ne pas me trouver nez à nez avec un promeneur éventuel. Je

m’aperçois que j’ai perdu mon portefeuille qui ne contenait rien d’important en tout cas ni papiers,

ni argent. Je poursuis mon chemin pendant environ 800 mètres. Le sentier est très joli, moussu, je

n’entendais pas moi-même mes propres pas.

Me jugeant assez loin, je décide de me rapprocher du camp pensant qu’on me chercherait plutôt

dans l’autre direction. Après avoir semé encore un peu de poivre, je m’enfonce à nouveau dans le

taillis et m’arrête au bout de 200 mètres environ dans un petit fourré. J’ai la gorge sèche et bois ma

petite bouteille d’eau. Je regarde ma montre, 4h20, j’étais parti depuis 50 minutes. Je n’étais pas

assis depuis 5 minutes que j’entends 2 coups de feu lointains. Les sentinelles se servaient de ce signal

pour appeler la section de chiens. 2 minutes après les détonations des aboiements se font entendre,

faibles puis plus faibles encore ; ils cessent 5 minutes puis reprennent et se rapprochent. À ce

moment, pensant qu’il est possible que les chiens me retrouvent et pour éviter d’être déchiqueté, je

grimpe au haut d’un sapin. Il est 4h50. Les aboiements se rapprochent encore, mais je ne pense pas

qu’ils venaient d’un point situé à moins de 500 à 700 mètres. J’entends les Allemands rappeler les

chiens. Il est 5 heures. J’entends alors comme un brouhaha lointain qui se rapproche peu à peu.

Inquiet, je prête l’oreille, mais suis vite rassuré me rendant compte qu’il y a un sentier à une centaine

de mètres et que ces voix sont celles de français qui reviennent d’une corvée quelconque. Je vois

ensuite passer depuis mon observatoire un officier boche en vélo puis un soldat. À 6h je décide de

descendre. La 1° partie de mon aventure est terminée avec succès.

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Depuis un certain temps, je perçois très nettement les bruits du camp après le repas du soir, les cris,

les coups de sifflet des arbitres de volley-ball. À 8h, je mange un peu de sucre et de chocolat ; la lune

se montre à travers les arbres. Vers 9h je décide de bouger, il fait très noir sous toutes ces grandes

branches, je marche sur la mousse sur le côté du sentier, j’entends un bruissement d’eau et trouve

l’Isar à 200 mètres. Après avoir bu une petite bouteille, je la remplis de nouveau pour la garder en

réserve. Elle n’est pas bonne cette eau et a une odeur de vase malgré son apparence limpide et le

courant assez rapide de la rivière. M’étant malgré cela désaltéré, j’ai l’idée de partir en

reconnaissance dans l’autre direction pour faire exactement le point de l’endroit où je suis. Je vais

jusqu’à la lisière du bois, aperçois la ferme que l’on pouvait voir du camp. Je m’enfonce à nouveau

dans le feuillage. Je m’aperçois bien vite qu’il est impossible de s’allonger à cause de l’humidité, je

reste alors assis contre un tronc ; je pense à cette journée et suis content de la conclusion de ce

premier acte.

Je suis bientôt assailli par des moustiques ; je rabats les revers de mon calot polonais sur les oreilles,

je mets mon mouchoir devant ma figure et mon col étant relevé, la surface à piquer est presque

réduite à zéro. Je reste des heures ainsi, cet accoutrement ayant le 2ème avantage de me tenir chaud.

Je regarde ma montre le moins souvent possible à l’aide de ma lampe électrique. Je m’endors vers 5

heures du matin pour reprendre connaissance vers 7 heures. Il fait jour, j’entends vaguement le

camp s’éveiller. La journée passe lentement, je mange régulièrement toutes les 3 heures. Allongé

dans un fourré, je vois, je n’entends personne. Seuls les oiseaux font parfois un bruit assourdissant ;

certains d’entre eux viennent se poser à 1 ou 2 mètres de moi. Contrairement à la veille, le temps est

très gris, mais il ne fait pas froid. Je vois avec plaisir le jour commencer à décliner.

7h du soir. Je deviens impatient de partir. Comme j’avais décidé de ne pas sortir avant 9 heures, les

minutes me semblent longues ; j’ai hâte de savoir si le jour du départ n’est pas changé ; j’ai hâte de

voir si le train est là. À 9h moins 2, je sors de ma retraite et gagne silencieusement la bordure du bois.

Encore 3 ou 400 mètres pour parvenir à l’arbre d’où j’attendrais les signaux éventuels. Des soldats

allemands accompagnés de femmes passent non loin de moi riant et « gueulant ». Impossible de les

voir depuis ma cachette. J’attends patiemment ; 10h moins 10 je vois passer à l’intérieur des

baraques la grosse torche de la ronde ; 10h relève des sentinelles autour des barbelés. Elles étaient

fortement éclairées par de grosses ampoules qui restaient allumées toute la nuit. Depuis l’endroit où

je me trouve, le camp a un aspect bizarre et triste. Je me sens heureux d’être là où je suis à la pensée

des milliers d’hommes qui dorment là, tout près, dans leurs couvertures pleines de puces.

10h13 : je commence à fixer mon regard sur la baraque 5B ; 10H 20 aucune lumière n’a lui. 10h ½ :

rien non plus. J’attends encore quelques minutes sans résultat : le jour et l’heure du départ ne sont

pas changés ; j’ai toutes les chances de trouver le train cette nuit, car il me semble improbable qu’il

arrive à la dernière minute pour faire embarquer environ 1130 prisonniers.

Confiant je me mets donc en route ; je longe la lisière du bois, la nuit est très claire, mais je marche

sans inquiétude prenant garde toutefois de ne faire aucun bruit. Après avoir dépassé le silo, je laisse

sur ma droite le petit pont au-dessus de la rivière, le trouvant trop près de la ferme et craignant de

rencontrer quelqu’un. Je préfère me déshabiller, passer dans l’eau, mais loin du pont. Le passage fut

très facile, l’eau me montant au haut des cuisses. Ayant attendu d’être sec, je m’habille, je traverse la

prairie en son milieu, en effet j’aurais été invisible le long des haies, mais n’aurais pu voir non plus un

éventuel allemand. Arrivé à l’extrémité je suis devant une palissade assez haute, surmontée de 2 fils

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de fer barbelés. Je grimpe, passe entre les 2 et saute de l’autre côté sur le ballast ce qui fait

beaucoup de bruit.

Je traverse les voies et les suis, empruntant un sentier. Le ciel s’était voilé, au bout de 400 mètres je

croise une femme qui me dit quelque chose en passant, je pense que c’était « monsieur » en

allemand et j'ai vaguement répondu "gute nacht". Arrivé à 300 mètres d’un passage à niveau, je

m’aperçois qu’il doit être fermé, car une voiture attend, phares allumés. Je décide alors d’éviter ce

carrefour dangereux en marchant bien au large à travers champs. J’allai ainsi pendant 20 minutes un

peu au hasard ; le brouillard tombe rapidement, blanchâtre, de plus en plus dense. En quelques

instants il devient tel que je suis complètement perdu. J’avoue qu’à ce moment-là je fus inquiet

pensant m’être beaucoup éloigné. De toute façon je retrouverais ma route avec le bruit des trains.

Je continue malgré tout ma route quand, tout à coup, j’aperçois à quelques mètres devant moi une

silhouette qui se sauve le plus vite possible. L’ombre se glisse dans un buisson. Que faire ? Je

m’approche et aperçois un homme accroupi. Il engage le premier la conversation « French ? » -

« Yes » et ensuite en français « Je cherche le train » - « Moi aussi ». Cet Anglais me dit qu’il s’est

évadé de la corvée du vélodrome le matin même (Corvée que je ne connais pas pour être réservée

aux Anglais). Il est de Portsmouth et voudrait gagner Nice d’où il a une combinaison pour gagner

l’Angleterre. À ce moment, un chien se met à aboyer sur notre gauche à 400 mètres environ et une

voix d’homme criait après lui. Cela provenait probablement de la gare. L’anglais se met à plat ventre,

moi je reste debout, certain que dans le brouillard il est impossible d’être vu. Ce petit fait de s’être

couché a probablement eu une grave conséquence pour l’anglais. Nous le verrons plus loin.

Quand tout fut redevenu calme, nous essayons de nous orienter. À ce moment, nous entendons

sonner minuit très distinctement ; c’est certainement l’une des deux églises de Moosburg. Je pousse

alors un soupir de soulagement, car je sais maintenant où se trouve la gare alors qu’il est très difficile

de s’orienter dans ce brouillard épais. À ce moment, un train passe et indique encore mieux la

direction à suivre. Après avoir parcouru 400 mètres environ j’arrive à la voie.

Le brouillard est toujours très dense, mais j’en suis maintenant très satisfait, je peux m’approcher de

la gare sans crainte d’être vu. L’Anglais trouve quelques biscuits dans un wagon de la Croix Rouge.

Nous cherchons le train chacun de son côté. Il revient et me dit qu’il n’a pas vu le moindre wagon de

voyageurs. Je décide alors d’aller voir sur deux voies de garage isolées que je connais. Je suis de

retour à la gare vers 1 heure ; je n’ai rien trouvé, mais ai les jambes et pieds trempés et suis transi de

froid. Un train de marchandises s’arrête, des cheminots sortent de la gare, décrochent 2 wagons

qu’ils commencent à décharger tandis que le convoi poursuit sa route.

Pendant ½ heure nous entendons le bruit de ces hommes maniant de la ferraille quelconque. Nous

voyons seulement le halo d’une lampe et nous entendons des voix gutturales assourdies par le

brouillard crier des mots incompréhensibles. Puis tout rentre dans le calme ; nous allons faire un tour

le long du ballast et passons sous la cabine de l’aiguilleur justement à la fenêtre, je ne suis pas

inquiet. Impossible de chercher quelqu’un par un temps pareil. Il est alors 3h1/2 du matin, je grelotte

de plus en plus tout en me félicitant d’avoir mis le caleçon long à grosse laine que Simone m’avait

envoyé. Toutefois le tout me colle à la peau et je ne me sens pas très bien. Avec l’Anglais, nous

décidons de veiller chacun notre tour ¾ heure pendant que l’autre pourrait se reposer dans le fond

d’un wagon. Jusqu’à 4h1/4, calme plat, sauf le passage de fréquents trains de marchandises, il en

passait du reste beaucoup depuis 1 heure. Je vais m’allonger à mon tour et à 5 heures reprends la

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garde. Je commence à douter de la réussite de mon entreprise ; en effet puisque le jour du départ

n’est pas changé, il y a beaucoup de chance que le train arrive de jour et il me serait alors à peu près

impossible de m’en approcher. À 5h3/4 je vais encore me reposer, mais à 6 heures je n’y tiens plus et

je vais discuter avec l’Anglais de la conduite à suivre. Nous décidons de rester là jusqu’au petit jour

pour avoir le plus de chances possibles de prendre le convoi. Comme il aurait été très imprudent de

rester dans la gare, nous nous installons dans un pré dans le bas de la voie ferrée.

À 7h15 toujours rien, le jour pointe, le brouillard est moins dense et l’on voit à 50 mètres devant soi.

À ce moment je pense qu’il faudra recommencer après un séjour à la baraque 40, prison du camp.

Après ½ heure d’attente supplémentaire, je décide de retourner en direction du camp, pour voir si

les réformés ne sortent pas et s’il y a la possibilité de se mêler à eux.

À 100 mètres de la gare, nous rencontrons une femme tenant un enfant par la main, ils ne font pas

attention à nous. Après avoir évité un paysan et sa voiture tirée par des bœufs, nous longeons la voie

ferrée et rencontrons un vieillard endimanché qui nous arrête « nichts posten ? », je réponds « nein

– stalag » et je lui fais un signe que nous rentrons au camp. Il hésite, fait quelques pas avec nous, puis

voyant que nous prenons réellement la direction du camp il s’en va.

À 800 mètres nous entendons un brouhaha sourd, puis plus distinct. Je comprends que c’est la

colonne que nous cherchons, car un dimanche, il n’y a pas de corvée susceptible de partir au travail.

Nous approchons et voyons à 200 mètres de distance que les réformés sont déjà là avec leurs

valises ; les premiers ne sont pas loin de l’extrémité de la haie d’une laiterie. Arrivés à cette haie nous

passons de l’autre côté, c’est-à-dire dans l’enceinte même de la laiterie, et bientôt nous nous

trouvons à 4 ou 5 mètres de la colonne, la haie nous séparant.

Ils étaient tous en pagaille, leurs bagages posés à terre ; j’aperçois Doucet, un infirmier que je

connais bien. Ayant dit à l’Anglais que sitôt la haie franchie il passe à droite, que moi je passerais à

gauche, j’interroge Doucet du regard. Personne ne nous a vus à part lui. Il me fait signe de passer, il y

a en effet un trou dans le bas de la haie. Je traverse donc le premier et me dirige vers la queue de la

colonne. Il est environ 8h. Je marche environ 100 mètres quand un officier allemand crie quelque

chose. L’interprète traduit « Reformez-vous par groupe de 50 comme à la sortie du camp ». Tous se

rangent prenant les valises. Je reste à la fin d’un groupe ; nous sommes 6 sur le dernier rang.

L’Allemand arrive en comptant et me fait signe de rétrograder. J’entends dire « Quel imbécile celui-là

il ne sait même pas de quel groupe il fait partie ». Le manque de bagage me gêne et aurait dû me

faire remarquer. Je pense alors gagner la fin de la colonne quand j’ai une idée lumineuse qui assure

la réussite de l’évasion.

La route passait au-dessus d’un ruisseau sur le bord duquel il était facile de descendre. Je me glisse

donc sous le petit pont et dès que le groupe de 50 au-dessus est compté (environ 20 secondes), je

me mêle aux autres. Je m’aperçois alors que mes mi-bas sont remplis de boue, je déroule alors la

paire que j’avais mise par-dessus comme socquettes ; j’étais à peu près propre. Coup de peigne,

prompte révision de ma toilette, je suis correct, mais mal rasé, sans valise et sixième sur le rang.

J’ai hâte d’entendre l’ordre de partir. Heureusement pas plus de trois minutes. En marche je suis

moins voyant, car les rangs se mélangent un peu, le plus grave est d’avoir les mains vides. Nous

passons devant un officier allemand arrêté. Heureusement de l’autre côté de la colonne, il ne

s’aperçoit de rien. À peu près à mi-chemin, mon voisin, qui porte 2 valises m’en passe une, je le

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remercie, me voilà comme les autres sauf que je suis 6ème sur le rang, mais je me serre le plus

possible. Nous arrivons en vue de la gare ; la voie ferrée se trouve plus haut que le chemin ; nous la

voyons de loin. Nous nous arrêtons donc ; mon groupe de 50 se trouve à environ 200 mètres de

l’entrée de la gare. Il est 8h40. Les Allemands qui nous gardent partent dans la salle d’attente. Je suis

un peu inquiet par le passage du portillon, mais suis quand même satisfait d’être où je suis.

Certains voisins qui craignent peut être d’être pris comme complices, ou qui sont seulement

mécontents de mon évasion me donnent de mauvais conseils, comme celui d’aller me cacher à 10m

sur notre droite dans un abri de la Luftwaffe ; j’ai eu assez de mal à me joindre à la colonne pour en

sortir maintenant. Puis je vois un prisonnier se détacher du groupe de 50 qui nous précède. Je ne le

connais pas. Il me dit, « J’ai vu, comment tu as opéré, tu t’es bien débrouillé. Reste le portillon. Je te

propose de prendre ma place dans mon groupe, je prends la tienne. Vous serez 50, donc un groupe

régulier ; nous serons 51 et s’ils demandent les papiers tout le monde sera en règle. Je trouve cela

idéal, mais mes imbéciles de voisins disent qu’ils n’acceptent pas et commencent à faire du bruit.

Craignant l’attroupement, je remercie mon visiteur et reste là.

Le train arrive enfin il est 9h20. Pour 9h51 et près de 1200 prisonniers, cela ne fait guère plus de 1

seconde par homme. Les 1° groupes passent, enfin le nôtre. Soupir de soulagement à environ 3

mètres du portillon quand je peux voir le déroulement des opérations : un officier compte, mais

laisse monter dans le train, cela ne sert à rien de compter, car au 51ème les autres sont déjà dans le

convoi. Je passe le 38 ou 39ème.

Roger Prévotaux (j’ai su son nom par la suite), celui du groupe précédent qui m’a fait la proposition

d’échange, m’attend à la portière du wagon où il est monté. Je rends la valise à mon voisin en le

remerciant et monte. Je ne serai pas dans le wagon de mon groupe. Dans le couloir je surveille le

51ième. IL est mis de côté, l’officier fait passer le reste du convoi et lui demande ses papiers. En règle

évidemment, il semble hésiter quand le mécanicien de la locomotive donne 3 coups de sifflet

stridents. L’officier lève les bras et fait signe de passer. C’est gagné, le train part de suite et je suis

presque étonné de le voir démarrer. La 2ème partie de mon évasion s’est passée avec succès.

Nous sommes dans le premier compartiment du wagon. Nous sommes 8, je suis assis à côté de

Prévotaux, mais parlons peu, les 6 autres ignorent que je suis évadé. Quand nous voulons discuter de

la suite possible, nous allons dans le bout du couloir. Nous ne pensons pas à un contrôle dans le train,

car nous venons d’être comptés. Il est peu probable que l’officier signale un homme de trop, car il est

responsable. Reste le passage de la frontière, où nous pourrions passer sous une autre

administration ? Enfin il faut attendre.

Je reste assis sans m’endormir. À midi ½, mes voisins sortent des conserves et saucissons, ils

s’étonnent que je n’aie rien prévu ; Prévotaux et 2 autres me ravitaillent ; je leur donne du chocolat.

À 3h1/2 nous arrivons à Stuttgart, il commence à pleuvoir. Le train s’arrête une bonne heure ;

certains infirmiers, brassard marqué de la Croix Rouge au bras, rapatrié également passent sur le

quai du train, au cas où quelqu’un aurait besoin de soins ; c’est ainsi que j’aperçois mon homonyme

Bruley, boucher à Troyes. Je ne lui fais pas signe, car son étonnement probable serait dangereux. (Il

ira du reste un mois après à Estissac pour donner de mes nouvelles de vive voix, c’est là qu’il

apprendra mon évasion).

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Guerre, Captivité & Evasion de Jacques Bruley 25

Le train repart et nous nous apercevons qu’un convoi de soldats allemands nous suit ou nous

précède suivant les tronçons de ligne. Il est possible que notre train Croix Rouge couvre le convoi en

cas d’attaque aérienne. La nuit arrive assez vite. Nous dînons sommairement. Pas d’électricité dans le

train, ce n’est pas pour me déplaire. Je ne dors pas et notre convoi s’arrête vers 10 heures au moins

pendant 4 heures, nous sommes dans une gare de triage. Je m’assoupis enfin et à mon réveil nous

sommes à Mannheim. Dans la matinée lors d’un arrêt, des prisonniers le long de la voie nous disent

que nous sommes à 50 kilomètres de la frontière.

À midi le train s’arrête en gare de Hombourg ; il fait soleil. Les « posten » crient quelque chose et je

m’inquiète d’un contrôle possible. Je décide que s’ils nous font descendre pour nous compter, je me

planquerai. Mais Prévotaux va aux renseignements et me rassure. Ceux qui veulent descendre

peuvent aller toucher un repas chaud dans un réfectoire de permissionnaires allemands. (2 grandes

baraques, dortoirs, lavabos, douches et grande salle à manger. Environ 400 d’entre nous descendent

dont Prévotaux et moi. Soupe de légumes épaisse, pas mauvaise. Je vais ensuite me laver un peu aux

lavabos. ¼ heure après nous reprenons notre place et le train démarre. Donc aucun contrôle, j’ai de

plus en plus confiance dans la réussite de mon entreprise.

Avant Metz nous avons pu voir des centaines de jeunes gens en civil, alignés sur des places

publiques, ce devaient être des enrôlements de force dans la Wehrmacht. À 5 heures nous étions à

Nancy, tout le monde descend ; sur le quai, des responsables de la Croix Rouge française nous font

mettre sur 3 rangs très aérés. Des jeunes filles passent en nous offrant du bouillon et 2 cigarettes que

je donne à mon voisin. Il fallait que la France fût bien pauvre, pour ne pas faire plus, mais ce n’est pas

une critique, car en réalité beaucoup d’entre nous ont eu le minimum grâce aux colis.

Les interprètes crient pour prévenir qu’il est interdit de donner la moindre lettre aux infirmières. Cela

me donne l’idée d’essayer d’envoyer un télégramme pour me faire envoyer des affaires à Maisons-

Laffitte. L’une des jeunes filles à qui je le demande accepte, je lui donne l’argent pour ce libellé

destiné à l’oncle Georges : « Bien arrivé Nancy, envoi Guido et affaires personnelles chez Mr

Anselmi , signé Furcy » (pour information les prénoms de mon père sont : Jacques, Léon, Jules, Furcy).

Le train repart vers 6h1/2. Le temps paraît long, je n’arrive pas à dormir. À 3h heures, le train s’arrête

en gare de Châlons-sur-Marne ; brouillard assez épais, le paysage est sinistre. À 6 heures La Ferté-

sous-Jouarre. Il est possible de descendre, mais je crains un service en gare possible. Je repars donc

avec le train, mais décidé, cette fois à sauter le plus tôt possible. Nous nous rapprochons de Paris. Je

retire ma veste militaire qui fait apparaître mon blouson bleu marine, et avec Prévotaux me tiens

près de la portière surveillant le parcours ; 6h1/2, 6h3/4 le train marche toujours trop vite et que de

piquets !! Je n’avais jamais remarqué le nombre imposant de piquets le long des lignes. C’est le petit

jour.

Le train ralentit dans une légère montée et je peux lire Noisy-le-Sec ! Je dis à Prévotaux « Si je peux

sauter, c’est parfait ». 200 mètres après la gare le train a encore un peu ralenti (je pense 40 à

l’heure). Je suis dans le haut du marchepied et au moment de sauter Prévotaux me dit « Va de ma

part au magasin Felix Potin de Noisy-le-Sec, c’est un client ». Je saute, roule un peu, aucun mal. Je

me cache sous des wagons de marchandises arrêtés sur la voie d’à côté, cela au cas où quelqu’un

m’aurait vu. C’est le petit jour et j’aperçois sur ma droite la gare de Noisy-le-Sec avec ses lumières

jaunâtres.

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Guerre, Captivité & Evasion de Jacques Bruley 26

Tout est calme, je traverse alors toutes les voies, saute par-dessus la palissade faite de traverses et

me trouve dans une rue déserte. 300 mètres plus loin, je rencontre une vieille femme à qui je

demande où se trouve le Félix Potin. C’est justement à environs 400 mètres d’où je me trouve. Le

magasin est fermé, mais à côté il y a un passage qui doit mener à l’arrière-boutique. En effet une

femme de ménage travaille. Elle me dit que le patron ne va pas tarder à descendre. Quelques

instants plus tard, il arrive, je me présente de la part de Prévotaux, il le connaît très bien, par

téléphone intérieur il informe sa femme et sa fille qui arrivent en robe de chambre.

***

Pour mémoire le plan d’ensemble prévoyait les parties suivantes :

F – Maisons Laffitte

G – Passage de la ligne

H – Marmande, Nîmes, Impressions

Ce que je sais, c’est qu’un jour à Maisons-Laffitte, Lili rentrant de courses, entendant un pas d’homme

derrière elle, au bout d’un moment, plus ou moins rassurée, se retourne pour voir, et aperçoit Jacques

qui la suit. Un différend a existé entre mon père et elle, sur le fait que papa disait qu’à ce moment il

était tel qu’il devait passer pour un simple passant, alors que Lili disait qu’il n’était pas rasé, pas

propre, et avait vraiment l’air d’un vagabond.

Quoi qu’il en soit, il suit Lili, arrive chez les Anselmi, et retrouve Nicky. Quelque temps après, il passe

avec elle la ligne de démarcation et il se marie à Nice six mois après son évasion, le 25 avril 1942. Sur

la photo de leur mariage en annexe, mon père est encore bien maigre.

Michel

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Annexe 3ème partie

Fiche de démobilisation du 21/10/1941

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Guerre, Captivité & Evasion de Jacques Bruley 28

Annexe 3ème partie

Nice 25 Avril 1942 – Mariage de mes parents : Jacques et Nicky.

État des services aux armées de Jacques Bruley

Classe 1935.

Affecté au 186ème

Régiment d’artillerie lourde à tracteurs, arrivé au corps et incorporé le 19 octobre 1936,

services comptant du 15 octobre 1936. Affecté au 108ème

Régiment d’artillerie le 15 octobre 1937

(organisation). Renvoyé dans ses foyers le 15 octobre 1938 et passé dans la disponibilité le dit jour. Rayé

des contrôles le 15 octobre 1938.

Rappelé sous les drapeaux le 21 mars 1939 en application du décret de loi du 20 mars 1939, affecté au

108ème

régiment d’artillerie, arrivé au corps le 21 mars 1939. Nommé Brigadier le 15 mai 1939. Aux armées

le 2 septembre 1939. Fait prisonnier le 21 juin 1940 à Corcieux (Vosges). Interné au stalag VII A matricule

48 921. Cesse la captivité le 21 octobre 1941. Démobilisé le 21 octobre 1941 par le centre démobilisateur

de Bourg (Ain).

Passe classe de mobilisation 1929 comme père de 3 enfants vivants le 9 juillet 1952 (art. 58).

Date de libération du service militaire 15 octobre 1964.

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Guerre, Captivité & Evasion de Jacques Bruley 29

Annexe 3ème partie : Note de synthèse écrite en 2003.

Convoqué pour mon service militaire (26/10/1936, durée 2 ans) à Dijon au 186ème régiment

d’artillerie, libéré le 20/11/1938. Bruits de guerre, Munich. Reconvoqué Mars 39. 1/9/1939 c’est la

guerre.

Affecté au 174ème régiment d’artillerie basé à Nîmes, 2 mois à Manduel (10km de Nîmes, Gard), puis

monté au front à Petit-Tenquin (Moselle), village évacué. Tout l’hiver à Petit-Tenquin -25°. 10 mai

attaque allemande sur le nord et l’est de la France. Nous ne sommes pas concernés. Allemands à

Paris le 14 juin. Le 17 juin sans avoir de nouvelles, nous sommes encore au fond de la forêt

Vosgienne. Ordre de repli (un peu tard). Prisonnier le 21 juin, 1 mois à Forbach, 15 août à Moosburg

(40 kms de Munich).

Au stalag VIIA.

Essai de ferme avec 2 copains. Famille très sympathique, très arriérée. Resté 2 jours. Rentré au camp

avec certificat médical, gentiment donné par le docteur allemand.

Vie au camp.

Début difficile. Rien à manger pendant 2 mois. La famille n’étant pas encore rentrée dans l’Aube. Dès

que les paquets arrivent, nous ne nous nourrissons plus que grâce à eux.

Je ne fais rien jusqu’en janvier où ils demandent des interprètes d’anglais pour remplir les imprimés

des anglais, Australiens, Néo-Zélandais qui arrivaient nombreux de Libye (Tobrouk) et des îles

Grecques, Crête, Rhodes, etc.

20 septembre 1941

Du fait d’être interprète, j’appartenais à la « Karten » (service des cartes du camp) ; là j’ai connu un

soldat allemand (40 ans) qui habitait à Rio de Janeiro, il était venu voir ses parents et s’était laissé

prendre dans l’armée.

Un jour il me dit qu’un train partirait de la gare de Moosburg pour Paris le 5/10/41 à 9h 41 (je l’ai su

plus tard officiellement). Train composé de petits réformés incapables de travailler.

Projet d’évasion et évasion

Inutile de penser de joindre le convoi dans le camp. Il fallait donc s’évader du camp la veille ou plutôt

l’avant-veille, ce qui ne posait pas un gros problème.

Le 5 octobre était un dimanche, je me portais volontaire le vendredi pour un chantier pour remonter

les berges d’un canal. J’y suis allé le mercredi pour repérer le terrain.

Je partais donc le vendredi habillé en dessous d’un pantalon civil, d’un blouson de ski et de

chaussures légères (que j’avais aux pieds), 4 tablettes de chocolat, 1 petit flacon d’eau.

Nous étions 30 au début, je ne suis pas rassuré, les deux gardiens se tiennent l’un d’un côté, l’autre

de l’autre, mousqueton dans les mains. Cela a duré ½ heure puis l’un a appelé l’autre, ils sont allés

chercher 2 fagots et se sont assis ensemble, le mousqueton dans les feuilles. J’ai pensé que c’était le

moment de partir, ai déposé ma pelle et ai fait semblant d’aller pisser, mais ils ne me regardaient

pas. 100m d’une prairie puis le bois. J’ai déposé quelque chose pour montrer mon passage et pour

saupoudrer de produits contre les rats, pour nuire à l’odorat des chiens. Puis sans courir à l’endroit

que j’avais repéré et qui se rapprochait du camp. 40’ après j’étais arrivé (2kms environ), puis

j’entends le coup de fusil des gardiens demandant l’envoi des chiens. ½ heure après j’entends les

chiens qui se sont rapprochés nettement de moi (je pense 700 mètres) et puis cette direction

paraissant impossible à leurs maîtres, ceux-ci les ont rappelés et ce fut fini.

Toute la nuit j’entendis le bruit d’une rivière, j’avais déjà bu mon flacon. À 100m je trouvais l’Isar,

30m de large, peu d’eau, mais très … Je bus 2 flacons et l’emportais plein. Puis ce fut une nuit longue,

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où je dormis un peu malgré un petit froid et les moustiques, puis la journée du samedi longue à

passer.

Mon 1° but était d’aller dans la gare de marchandises de Moosburg pour voir si par hasard notre

train ne serait pas arrivé. Je partis donc vers la voie ferrée (800m environ) qui était longée d’un petit

chemin piéton. Ensuite j’ai rencontré une vieille femme qui me dit « heil Hitler », je répondais de

même.

Puis un assez épais brouillard tomba, encore 1 km et dans la pénombre j’aperçus un homme se

cacher dans un buisson. Je vais au buisson, il me dit « British ». Lui aussi cherchait le train. Nous

sommes restés toute la nuit ensemble, puis au petit jour avons quitté le coin de la gare pour

regagner les environs du camp. À 500m de celui-ci, une rumeur, ils sortaient.

Il y avait là une laiterie, un grand terrain, personne de visible, mais surtout une grosse haie le long du

chemin. À un endroit un trou de 0m50 environ, on aurait dit tout préparé pour nous. Ils se

groupaient petit à petit, puis alors qu’il allait partir nous traversâmes (environ 7 mètres), je dis à

l’Anglais toi à droite, moi à gauche. Aucun gardien ne nous avait vus. Mais l’officier finissait de

compter, avant d’arriver à moi (il était de l’autre côté) je me glissais sous un petit pont sous le

chemin. Dès que je ne l’entendis plus, je ressortais, mais je me rendis compte que j’étais le seul à ne

pas avoir de valise. Nous nous mettons en route, toujours sans valise, puis au bout de 400 mètres, un

voisin qui en avait 2 m’en donne une après plusieurs demandes.

Tout est sans histoire jusqu’à 500m de la gare. Nous avons vu notre train arriver. J’étais dans les

derniers et attendis environ 20’. Le portillon me faisait peur, car on passait un par un, cela se passa

bien, car aucun contrôle sauf l’officier allemand qui ne demandait rien. Je montais dans le train et

depuis le couloir, surveillais, car je savais que nous étions par groupe de 50. Il arrête le 51ème, laisse

passer le reste. Il demanda ses papiers qui étaient en règle. Il hésitait, le chauffeur de la locomotive

donna un coup de sifflet et démarra.

Enfin le train part. Je retrouve un prisonnier qui m’a gardé une place à côté de lui. Il me donne de

quoi manger à midi, car je n’ai rien. Le train est très lent. À 1 heure nous sommes à l’ancienne

frontière. Le train s’arrête et les gardiens nous proposent un repas chaud, nous pouvons aussi rester

dans le train. Je vais déjeuner (une soupe aux légumes). À 17h30 gare de Nancy, thé chaud et

possibilité d’envoyer un télégramme, ce que je fais à l’oncle Georges.

Le train est lent, on ne peut pas dormir. J’ai décidé d’aller au bout, mais de sauter du train près de

Paris. À partir de 6h je fais attention aux gares où l’on passe. Je suis vraiment en civil près d’une

porte avec mon copain. Tout à coup Noisy-le-Sec. Mon copain me dit, si tu sautes là tu peux aller

chez Felix Potain, c’est un client. Le train ne va pas vite, car nous sommes dans une côte. Je saute,

passe par-dessus une palissade, je suis dans une rue de Noisy.

Je trouve facilement Felix Potain. J’y reste 2 heures, café et changement de pantalon, car les épiciers

trouvent le mien bien usé. Le patron a la même taille que moi. Je prends l’autobus – Porte de

Clignancourt – Métro Havre Caumartin – Gare Saint-Lazare – Maisons-Laffitte. Il est 11h45.

Je remonte la rue de Poissy et au bout du tout je rencontre Lili.