Grimpe Hiver 2014

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1 > grimpE > numéro 7, décembre 2013 PORTRAIT DE LA SITUATION AU QUÉBEC COMMENT BIEN PRÉPARER UNE SESSION LES BLESSURES ET LES JEUNES GRIMPEURS ALPINISME: SOIF DE RECONNAISSANCE ? SPÉCIAL > GRIMPE EN GYM GLACÉ DE PEUR DANS NOTRE MAGAZINE ...ET BIEN PLUS !

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Spécial grimpe en gym Glacé de peur Alpinisme: soif de reconnaissance ... et bien plus!

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1 > grimpE > numéro 7, décembre 2013

PORTRAIT DE LA SITUATION AU QUÉBEC COMMENT BIEN PRÉPARER UNE SESSION LES BLESSURES ET LES JEUNES GRIMPEURS

ALPINISME: SOIF DE RECONNAISSANCE ?

SPÉCIAL > GRIMPE EN GYM

GLACÉ DE PEUR

DANS NOTRE MAGAZINE

...ET BIEN PLUS !

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Comme plusieurs, j’ai commencé à grimper à l’intérieur. Pendant longtemps, j’ai surtout connu les parois artificielles, avant de mettre les mains sur la roche. Les temps et les mœurs changent, si bien qu’ils seront rares, ceux qui grimperont exclusivement sur le rocher.

Fut une époque où s’enfermer dans une pièce pour pratiquer l’escalade était source de moquerie. Puis, cela devint un passage obligé, durant la saison morte ou encore pour travailler un projet. Aujourd’hui, c’est devenu une partie intégrante de l’escalade, et plusieurs préfèrent même le plastique à la roche, pour l’environnement plus stable, la possibilité de grimper à tout moment, la logistique plus simple.

Toute une génération de grimpeurs sera désormais le produit des gymnases. Et c’est une très bonne nouvelle : l’escalade peut y être pratiquée de façon très sécuritaire, de façon plus sociale, sans compter les avantages intrinsèques à l’entraînement qu’assure ce terrain de jeu.

Le climat hivernal fait partie de notre réalité, au Québec, et si plusieurs embrassent l’escalade de glace, les gyms deviennent une alternative de plus en plus attrayante pour ceux qui n’en font pas – ils sont nombreux! On peut donc dire qu’il est facile de grimper à longueur d’année dans la Belle Province, et même si ce ne sont pas de magnifiques parois rocheuses ensoleillées, ce sont de beaux murs malgré tout. J’ai eu l’occasion de voir plusieurs gymnases québécois, et nous n’avons rien à envier à qui que ce soit, tant par la qualité de leurs problèmes que de par les angles et la hauteur de leurs murs. Il se développe des talents d’ouvreurs dans chacune de ces institutions, au plus grand bénéfice de tous les grimpeurs. La participation aux compétitions et autres événements sociaux nous démontre aussi la belle vitalité dont jouit le sport à l’heure actuelle.

Il ne reste qu’à souhaiter que ce succès ne s’estompe pas, puisqu’il garantit qu’il y aura encore demain des grimpeurs passionnés, douze mois par année, qui transmettront leur goût de l’escalade, soit en ouvrant de nouvelles voies, en

publiant de nouveaux livres-guides ou encore en initiant d’autres personnes à notre sport. Désormais, la santé de l’escalade passe aussi par la santé des gyms, et ce n’est pas une mauvaise chose.

----------------------------------Je voudrais souligner au passage notre « anniversaire ». Il y a un peu plus d’un an, Ian Bergeron et moi avons lancé ce magazine en ligne, avec très peu de moyens. Nous pensons qu’une publication comme celle-ci est vitale pour la communauté, que c’est une façon de vous garder informés. Nous tentons constamment de nous renouveler, même si nous n’avons pas les moyens d’être à la hauteur de nos ambitions. Plusieurs d’entre vous m’ont souligné récemment qu’ils appréciaient le magazine. Nous sommes bien heureux de l’entendre, et de savoir que vous êtes toujours plus nombreux à nous lire. Partagez-le, Grimpe vous appartient, en quelque sorte, puisqu’il est gratuit et que nous tentons d’y refléter ce qui se passe parmi les grimpeurs du Québec. Un grand merci à Ian Bergeron et à Alexandre Geoffrion, sans qui cette revue n’aurait pas vu le jour.

par David Savoie Rédacteur en chef [email protected]

Ventes et publicités: EscaladeQuebec.com [email protected]

Mise en garde : L’escalade comporte desrisques pouvant causer des blessures ou un décès. Toute information ou tout conseil reçu par le présent magazine ne dispense quiconque d’évaluer lui-même les risques auxquels il peut être exposé. EscaladeQuebec.com recommande d’acquérir les connaissances et l’expérience nécessaires avant de s’aventurer en paroi, en montagne ou sur toute structure verticaale. Vous devez accepter les risques et responsabilités inhérents pouvant survenir lors de la pratique de vos activités.

Tous droits réservés EscaladeQuebec.com : Le contenu de ce magazine ne peut être reproduit, en tout ou en partie, sans le consentement explicite de l’éditeur. Les opinions qui sont exprimées sont celles des auteurs; elles ne reflètent pas nécessairement la position d’EscaladeQuebec.com.

ÉDITO >

Page couverture Crédit photo : Alain Denis

ÉLOGE DU PLASTIQUE

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La belle saison de roche que constitue habituellement l’automne a été relativement bousculée par de la pluie et du temps froid. Malgré tout, certains grimpeurs ont pu profiter de quelques belles journées pour réaliser des enchaînements notables. C’est notamment le cas de Marc-Antoine Larente, qui a récemment grimpé Samourai Crawler, un V12 situé à Bolton, en Estrie. Une bonne façon de terminer la saison, lui qui a ajouté à sa liste de croix plusieurs V10 et un V11 durant les derniers mois.

Scénario similaire pour Samuel Sigouin. Le grimpeur de Laval a sorti Zoolander, un V11 dans les Laurentides. L’automne 2013 a été une bonne saison pour le jeune homme, qui a notamment ouvert deux autres V11 au cours des derniers mois.

Égal à lui-même, Sébastien Lazure semble encore en bonne forme : lors d’un court voyage à Farley, au Massachusetts, il a fait Full Sized Man, V13, et un V10 en deux essais le lendemain. Tout cela, évidemment, avant de remporter l’étape du Tour de Bloc qui se déroulait au centre Allez Up.

Comme une boîte à surprise, Yves Gravelle démontre qu’il peut faire de bonnes performances même s’il n’est pas sur le radar : il a ouvert un V12, Into Darkness, à Luskville, en Outaouais, peu de temps avant de lui aussi dominer la compétition TDB qui se tenait à Ottawa. Côté corde, les grimpeurs de voies n’ont pas été en reste. Félicien Roy – qui grimpe dehors depuis moins de trois ans – a récemment « clippé » le relais de Strict Scrutiny, cotée 5.14a. Il y a quelques mois, il faisait sa première 5.13d !

Dans le coin de Québec, Olivier Turgeon a lui aussi fait sa première 5.14a, Bacille de Koch, ouverte par Jeff Beaulieu, au Sanatorium, une ligne qui relie les crux de deux 5.13d.

Évidemment, ce ne sont ici que les ascensions remarquées par l’équipe de la rédaction de Grimpe. Faites-nous part de vos réalisations si vous jugez qu’elles méritent d’être publiées !

par David Savoie

Faits saillants >

ENCHAÎNEMENTS AUTOMNAUX

Crédit photo : Sébastien Préseault-Céré

C’est ce qui s’appelle un bon début de saison : la glace à peine formée du Québec n’a pas empêché Nathan Kutcher de visiter St-Alban au mois de novembre et de faire trois M10 à vue – Extasie, Petit Victor et Histoire de coeur – en une seule journée, sans éperon, tout en ayant plus de huit heures de route dans le corps ! Si un M10 à vue n’est rien de nouveau au Québec, c’est le fait que l’Ontarien ait enchaîné ces trois voies en un si court laps de temps qui est impressionnant. « Habituellement, quand je voyage, j’essaie de faire les voies à vue, pour ne passer beaucoup de temps sur une voie en particulier. J’ai déjà fait un M10 à vue auparavant, mais jamais trois en une journée ! C’est tout l’entraînement que j’ai fait durant l’été en vue de la Coupe du Monde de glace qui m’a permis d’être aussi en forme pour faire ces voies », explique-t-il.

La roche du site se prête particulièrement bien à l’escalade à vue, en raison de la solidité des strates horizontales, estime Benoît Dubois, qui connaît bien l’endroit. Nathan Kutcher avait causé la surprise à Ouray, au Colorado, en remportant le Ouray Ice Festival, sans n’avoir jamais participé à de grosses compétitions auparavant. Il se prépare maintenant pour une compétition au Montana, avant de participer aux étapes de la Coupe du monde. Il va aussi participer aux Jeux olympiques qui se tiennent en Russie, où l’escalade de glace sera un sport en démonstration.

par David Savoie

NATHAN KUTCHER FRAPPE ENCORE

NATHAN KUTCHER DANS UN M9 DE SAINT-ALBAN.

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Tirer sur des prises de plastique, grimper sur des murs de bois ou de résine, résoudre des problèmes identifiés par du ruban adhésif ou des prises de même couleur ? Les grimpeurs du Québec en redemandent, et les salles d’escalade intérieure prospèrent comme jamais. Tour d’horizon du phénomène.

Jadis, la grimpe à l’intérieur était presque conspuée, perçue comme un mal nécessaire pour passer la saison morte. Désormais, elle est devenue partie intégrante de l’escalade, et même pour certains, le principal endroit où grimper. Les salles d’escalade intérieure ont suivi la tendance. En une vingtaine d’années, le Québec est passé de deux salles à plus d’une dizaine, et toutes sont bien remplies les soirs de semaine.

La première salle d’escalade intérieure privée du Québec a vu le jour il y a 20 ans dans la capitale provinciale en 1993. Encore aujourd’hui, le RocGym accueille 125 clients en moyenne par jour.

Au moment d’ouvrir son gym, il a fallu que François-Guy Thivierge fasse beaucoup de promotion pour le sport, qui était alors inconnu du grand public. « L’idée d’avoir un gym, c’était de pouvoir aller grimper beau temps, mauvais temps », dit-il.

Si l’escalade sportive a eu la cote à la fin des années 90 et au début des années 2000, c’est désormais le bloc qui attire davantage les foules.

François-Guy Thivierge dit avoir remarqué la tendance lourde vers cette discipline il y a près de huit ans. « Au cours des dernières années, on a eu une augmentation de 20 à 30 % de notre clientèle à cause du bloc », dit-il, pendant que moulinette et escalade sportive ont connu une baisse pour la même période.

La directrice de l’Institut pour le marketing du sport de l’Université Laurentienne, Ann Pegoraro, fait le même constat. Selon elle, le bloc est le fer de lance de cette nouvelle popularité. « Les endroits pour le pratiquer sont plus accessibles, et cela demande moins de préparation qu’avec les autres types d’escalade. C’est également une activité que l’on peut pratiquer avec des amis, en groupe, ce qui est en fait une discipline plus sociale qui permet d’augmenter la participation », note la chercheuse.

SPÉCIAL GRIMPE INTÉRIEURE

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« Dans l’industrie sportive, il y a toujours des modes et des tendances qui vont et qui viennent. Ce qui pourrait sauver le bloc d’être une de ces modes, c’est le fait qu’il s’agisse d’escalade que l’on peut pratiquer dans un environnement sécuritaire et social. »

Cela permet aussi à des débutants de s’initier au sport sans crainte. Sans compter que les contraintes financières demeurent relativement peu élevées, ce qui contribue à rendre cette activité plus attrayante, estime Ann Pegoraro.

Un phénomène intéressant semble se produire: lorsqu’une nouvelle salle ouvre ses portes, les gyms avoisinants voient leur clientèle augmenter, selon ce que rapportent plusieurs propriétaires.

« Ça fait parler du sport », note Maria Izquierdo, du Centre Horizon Roc. « Et ça va le rendre disponible à de nouvelles personnes. »

Chose certaine, peu importe le facteur, l’escalade connaît une croissance notable. Depuis 2008, certaines salles ont vu leur achalandage augmenter entre 10 et 15 % chaque année.

De nombreux propriétaires de gyms disent s’inspirer de ce qui se fait ailleurs – ceux du reste de la province,

du pays ou ailleurs dans le monde.

À l’inverse, avec Internet et les vidéos de compétitions de partout sur la planète, les grimpeurs-consommateurs savent aussi à quoi s’en tenir et deviennent plus exigeants.

« Les gens sont mieux informés, ils savent ce qu’ils veulent. Il faut prévoir les coups avant qu’il n’y ait des plaintes. Je pense que ça, c’est une bonne chose pour le consommateur », dit Jean-Marc de la Plante, du centre Allez Up à Montréal. « Les gyms ont la responsabilité de garder le niveau de service élevé, parce qu’ils gagnent leur vie comme ça. »

DES CHANGEMENTSL’évolution des salles a aussi eu un impact sur les prises et la façon dont les murs sont construits. Les premiers gyms bâtissaient leurs propres murs en bois selon la forme de leurs installations. Aujourd’hui, de plus en plus de salles optent pour des murs préfabriqués, notamment de la compagnie bulgare Walltopia.

Au chapitre des prises, le Québec a vu passer quelques compagnies qui fabriquent des prises – Globe, Sûre Prise, Passe Montagne et Délire, notamment. Quant à

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ce qui est vissé sur les murs où vous grimpez, les prises proviennent maintenant des quatre coins du monde.

Des changements se produisent aussi au chapitre de la perception. Les préjugés envers les grimpeurs d’intérieur tendent à disparaître également, note Jean-Marc de La Plante, d’Allez Up. Personne ne se fait plus affubler du terme « rat de gymnase » (en anglais, « gym rat »), ce qui témoigne, selon lui, d’une évolution des mentalités.

Avec les années, la compétition a aussi pris une plus large place dans « l’écosystème » de l’escalade de la province. Il y a des équipes, tant pour adultes que pour les jeunes, dans la plupart des gyms.

Cette croissance se traduit aussi sur le circuit compétitif. Par exemple, jusqu’à 300 personnes se sont présentées au Tour de Bloc le 16 novembre à Allez Up.

La Fédération québécoise de la montagne et de l’escalade (FQME) a développé son propre circuit de compétition – dont les résultats comptent désormais pour le classement national, une nouveauté cette année.

« Depuis les cinq dernières années, on a vu un boom. On a toujours de plus en plus de jeunes, et on a aussi beaucoup de relève », explique le directeur technique de la FQME, Éric Lachance.

Avec certains récents changements dans la gestion des compétitions, l’escalade a maintenant plus de chance d’être reconnue comme un sport officiel par le gouvernement canadien – ce qui signifiera, éventuellement, des subventions aux organisations et l’intégration de l’escalade dans des programmes de sport-études. Ce qui, par la suite, pourrait se traduire par de nouveaux grimpeurs.

ET L’AVENIR ?Quel sera le futur de la grimpe à l’intérieur au Québec? D’après Ann Pegoraro, l’escalade suit les pas d’autres sports jadis qualifiés d’« extrêmes » avant qu’ils ne deviennent grand public.

« Le fait qu’on peut voir un mur d’escalade un peu partout rend le sport plus visible. Plus c’est visible, plus il est perçu de façon positive. Il faut se souvenir des débuts des Xgames, qui a offert une belle vitrine à certains sports extrêmes, et comment ils sont devenus très populaires, comme la planche à neige et le BMX, qui sont maintenant aux Olympiques. Il y a plusieurs similarités avec l’escalade, qui a été retenue sur la liste courte des sports en démonstration pour 2020. C’est également une indication de sa popularité croissante et de son apparition dans la culture populaire. »

Pour le moment, cette popularité grandissante s’exprime par des projets de nouvelles salles et certains gyms envisagent aussi des agrandissements – notamment Allez Up, qui devrait annoncer un projet au début de l’année 2014.

François-Guy Thivierge estime que les prochains centres d’escalade de la province seront moins grands. « Ce ne sera plus la course aux gyms qui coûtent des millions. Il faut que les gyms soient ‘cool’», pense-t-il.

« Il va y avoir une spécialisation, pense de son côté Jean-Marc de la Plante. Les gyms vont arrêter de tenter de plaire à tout le monde et ils vont se concentrer sur un type de grimpeurs. Il va y avoir plus de compétition. »

Mais tous les propriétaires de gyms ne songent pas à l’avenir de la même façon: certains anticipent un marché qui approche la saturation – à savoir que le nombre de grimpeur va se stabiliser, et peut-être faire stagner les affaires.

par David Savoie

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Ils préfèrent grimper à l’intérieur

Les centres d’escalade, créés à l’origine pour permettre aux grimpeurs de garder la forme pendant la saison morte, voient maintenant naître une nouvelle créature : le grimpeur de plastique. Aujourd’hui, l’escalade intérieure est devenue une discipline en soi, et plusieurs personnes préfèrent même les prises de couleur à la roche. Miniportraits de quelques-uns de ces grimpeurs 2.0.

GABRIEL HARTON19 ANS, QUÉBEC GRIMPEUR DEPUIS 2 ANS

J’aime le fait d’être avec plusieurs grimpeurs et de grimper les mêmes voies. Je crois que les gens sont plus sociables à l’intérieur et s’entraîdent davantage. On n’a pas besoin de se déplacer loin pour avoir accès à une grande diversité de voies. À l’intérieur, on s’améliore beaucoup plus vite et c’est plus simple de travailler nos faiblesses. Et une bonne séance de grimpe en salle après une dure journée, ça fait tellement de bien! On oublie tout le reste et on dort bien le soir. À mon avis, l’escalade à l’extérieur est plus individuelle, tu es plus livré à toi-même tandis qu’à l’intérieur, tu vois les autres grimper et tu reçois des conseils, la communauté est plus grande. Avec l’escalade intérieure, tu risques de trouver des voies qui se grimpent de façon plus intuitive, car elles ont été faites par l’homme et non pas par la nature. Quand je vais visiter une ville, j’essaie de me trouver du temps pour découvrir un nouveau gym.

YVES GRAVELLE 28 ANS, GATINEAU GRIMPEUR DEPUIS 11 ANS

Dans la région de Gatineau, la saison d’escalade extérieure est très courte, surtout pour le bloc. Les sites d’escalade sont aussi très limités. L’escalade intérieure me permet de garder la forme et de pratiquer mon sport à l’année, peu importe la météo. En plus, elle me permet de tester mes limites en toute sécurité et confort. Cela nous permet aussi d’obtenir des mouvements très créatifs lors d’ouverture de nouveaux blocs et voies. Je trouve qu’il y a aussi une certaine énergie dans un gym d’escalade qu’on ne trouve pas dehors. Je crois que l’escalade intérieure est devenue une discipline sportive très compétitive et que l’escalade extérieure est davantage un loisir. Grimper à l’intérieur est plus en plus populaire et le circuit de compétitions se développe très rapidement. Il est aussi de plus en plus accessible, en raison du nombre croissant de centres d’escalade.

Par contre, un des problèmes que je vois beaucoup avec l’escalade intérieure est au chapitre des blessures : les gens progressent très rapidement et les tendons n’ont pas de temps de se développer adéquatement, surtout chez les grimpeurs qui débutent après la puberté. La force des doigts prend plusieurs années à acquérir, il faut y aller doucement au début!

MARCO PAULO 30 ANS, ST-EUSTACHE GRIMPEUR DEPUIS 7 ANS

Ce que j’aime de l’escalade intérieure c’est que ça se rapproche d’un entraînement en gym, mais sans la monotonie de pousser de la fonte. Ça me permet de faire du conditionnement physique, tout en ayant un objectif clair qui me motive à persévérer. C’est également facile d’y aller régulièrement étant donné que c’est près de chez moi et que je ne suis pas dépendant de la température pour en faire. L’équipement requis est relativement minime, et avec un abonnement annuel, c’est très abordable d’y aller souvent. Même si je n’ai jamais grimpé à l’extérieur, je peux affirmer avec certitude que, selon ce que j’aime et ce que je recherche de l’escalade, je préfère l’escalade intérieure. J’aimerais quand même essayer l’escalade extérieure, ça semble intéressant à d’autres niveaux, mais il est certain que je n’aurais pas autant d’intérêt que pour l’escalade intérieure. L’été, il y a trop d’activités que j’aime faire et qui nécessitent une température clémente. Je vois plus l’escalade extérieure comme une activité de « fin de semaine », une sortie entre amis, qui permet de pratiquer un sport intéressant et de voir de beaux paysages. Une période de grimpe en gym ne prend normalement que quelques heures contrairement à l’escalade extérieure qui dure souvent une journée entière, sinon plus. Il est aussi plus facile de travailler un projet en gym, puisque je sais que même si je ne le réussis pas un soir, je vais pouvoir revenir bientôt et le réessayer.

par David Savoie

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Le soleil se couche tôt, il fait froid et les feuilles rouges ont disparu : c’est bel et bien l’hiver, et le moment est venu pour beaucoup d’entre nous de rentrer en salle. À moins de pouvoir se permettre de migrer là où on peut grimper de la roche même en janvier, la grimpe sur plastique est l’option la plus efficace pour se garder en forme et développer ses habilités de grimpe. Mais il est important de bien planifier son temps à l’intérieur.

UNE SESSIONUne bonne session devrait toujours s’amorcer avec un bon échauffement en quatre parties. Premièrement, une activation cardiovasculaire d’au moins cinq minutes est nécessaire : vélo stationnaire, corde à danser, jumping jack, etc. Il faut suer légèrement et sentir que sa température s’élève – pas besoin de suer à grosses gouttes ! Deuxième partie : quelques étirements balistiques et non statiques. Ensuite, une activation musculaire : quelques push-up, tractions, activation des muscles des abdominaux et des muscles fléchisseurs et extenseurs du poignet. Finalement, on grimpe et on y va doucement. Il faut que l’intensité augmente pour arriver au summum de nos capacités après une demi-heure. C’est à ce moment que le travail de notre technique est optimal. On est réchauffé et notre système nerveux n’est pas saturé d’informations.

Après l’échauffement, c’est le temps d’attaquer nos faiblesses ! Travaillez ce qui vous pose problème : beaucoup de grimpeurs choisissent des voies en fonction de leurs forces. Il faut cependant laisser tomber votre ego pendant cette partie de la session. Ayez du plaisir à apprendre de vos erreurs. Lorsque vous sentez qu’il n’y a plus aucun progrès possible, il est temps de passer à autre chose. Grimpez tout ce que vous voudrez à partir de ce moment. Si vous vous entraînez physiquement, c’est le temps de débuter votre programme. Gardez en tête qu’il faut varier l’intensité des exercices.

N’attendez pas d’être complètement épuisé avant de terminer votre session. Le corps et le système nerveux intègrent mieux les nouvelles informations lorsqu’il lui reste de l’énergie.

PROGRESSERPour progresser, il suffit, règle générale, d’être constant dans nos efforts. Pour certains, il est recommandé de faire un entraînement plus spécifique. Par contre, la portion entraînement ne devrait jamais dépasser plus de 10 % du temps total disponible pour un débutant, de 20 % pour un grimpeur intermédiaire et de 40 % pour un grimpeur avancé.

Au fil de l’hiver, il faut absolument varier l’intensité de vos séances et le volume de grimpe que vous ferez. Si les deux sont au maximum en tout temps, les blessures et le surentraînement vous guettent. En suivant les bases de la périodisation de l’entraînement, on peut facilement éviter ces erreurs. Commencez votre hiver tranquillement, faites des voies ou des blocs plus faciles, mais en grande quantité. Travaillez vos faiblesses à moindre intensité. Utilisez votre bon jugement! Après quelques semaines, augmentez la difficulté, mais n’oubliez pas de diminuer le volume. Pendant cette période, profitez-en pour travailler votre force maximale de grimpe. Travaillez des problèmes ou des voies plus difficiles et essayez d’enchaîner un maximum de mouvements. Si vous êtes capable de tenir les prises, essayez-vous ! Continuez à vous réserver un moment au début de votre séance pour pratiquer vos faiblesses.

Quelques semaines avant le début de la belle saison, il est temps de travailler votre force endurance, ce qui vous permettra de grimper même si vous êtes pompé. Enchaînez plusieurs problèmes les uns après les autres. Prenez un temps de repos et recommencez ce processus quelques fois. Pendant cette période d’entraînement, il est très important de vous reposer amplement, de vous hydrater et surtout de ne pas trop vous entraîner !

ERREURS COMMUNESSi pendant l’hiver vous sentez vos performances diminuer, pour une raison ou une autre, la première chose à faire est de réévaluer votre situation. Posez-vous quelques questions : est-ce que j’en ai trop fait ? Est-ce que je grimpe toujours jusqu’à épuisement ? Est-ce que je mange suffisamment ? Est-ce que je suis assez hydraté avant, pendant et après une session ?

Une autre erreur est de s’arrêter au fait que l’escalade est un sport où le ratio force/poids change tout. Dans les faits, cette affirmation est vraie, mais c’est la manière populaire de la percevoir qui est erronée. Être plus léger permet de tenir plus facilement sur certaines prises. Par contre, perdre beaucoup de poids peut mener à une perte d’énergie et à un risque de blessures dramatiquement plus élevé. Être plus fort peut vouloir dire que vous allez être un peu plus lourd, mais aussi que vous pourrez effectuer des mouvements plus exigeants. C’est souvent ce qui permet de dépasser vos limites !

par Guillaume Raymond

Bien préparer ses sessions

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2350, avenue du Colisée, Québec, (QC), G1L 5A1418.647.4422

Nouveautés 2014

cross-fit escalade

High line + slack line

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Ouvreur en chef et entraîneur de l’équipe junior chez Horizon Roc, Nicolas Vouillamez s’intéresse à l’entraînement mental en escalade depuis un bon moment, si bien que cela fait maintenant

partie du programme que suivent les jeunes de l’équipe de compétition. Selon lui, cette portion de l’escalade n’est pas suffisamment explorée, même si les grimpeurs peuvent en bénéficier grandement ! « L’escalade, on dit tout le temps que c’est physique, qu’il y a de la technique et de la souplesse. Mais selon moi, l’aspect mental est un élément à part entière de l’escalade aussi. »

Beaucoup de grimpeurs adultes sont déjà conscients de cette notion, dit-il, mais il essaie de l’intégrer dans l’entraînement des jeunes. « On le sait que c’est important, mais on oublie de se mettre au défi sur ce point-là. »

Lorsqu’il supervise les jeunes grimpeurs, il aborde plusieurs facettes de l’entraînement mental. D’abord, la plus connue, la chute, et tout ce qui peut influencer la prise de décision par rapport à une peur. S’entraîner pour mieux gérer le stress ou la crainte de tomber est à la portée de tous, fait valoir Nicolas Vouillamoz, même pour ceux qui ne cherchent pas la performance.

Vient ensuite le dialogue interne – tout ce que vous vous dites mentalement lorsque vous grimpez peut avoir une influence importante, sans que vous en ayez conscience.

Et enfin, l’entraînement mental lié à la performance : visualisation ou relaxation avant une compétition ou un essai dans une voie difficile qui vous donner du fil à retordre.

Comme il est impossible de grimper dehors à l’année au Québec, il fait cet entraînement mental à l’intérieur durant la saison morte.

« C’est comme tout le reste des aptitudes, il faut continuer à les entraîner. Quand tu arrêtes de faire un entraînement en endurance, tu perds en endurance. C’est la même chose avec le psychologique », dit-il. De la même façon, arrêter de chuter ou cesser de dompter son dialogue intérieur peut mener à une stagnation des résultats.

Nicolas Vouillamoz aime bien faire réfléchir ses athlètes : il leur demande de revenir sur certains moments d’une compétition ou encore, d’écrire tout ce qui leur passait par la tête quand ils se trouvaient dans le crux d’une voie. Se répéter un mot clé durant des passages difficiles est un autre truc qu’il suggère.

Plusieurs athlètes bénéficient de ce type d’entraînement, selon lui. Il y en a qui gagnent en confiance, d’autres qui grimpent de façon plus dynamique sans craindre de tomber. Une bonne référence : les livres d’Arno Ilgner, qui couvrent bien tous les aspects de l’entraînement mental.

par David Savoie

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Entraîner le cerveau aussi

LA SAISON DU PLASTIQUE EST BIEN AMORCÉE, ALORS POURQUOI NE PAS EN PROFITER POUR GONFLER VOS MUSCLES… ET VOTRE FORCE MENTALE! SUIVEZ LE GUIDE, NICOLAS VOUILLAMEZ.

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Il s’agit peut-être de la plus vieille coopérative de bloc du Québec, voire du Canada, et c’est certainement l’une des plus mythiques.

C’est dans un loft du quartier Saint-Henri à Montréal que se trouve cette petite coopérative – plus connue sous le nom de cave ou château, parce qu’elle est située dans le projet de loft Château Saint-Ambroise. Un pan de mur à 45 degrés, un autre à 70, un grand mur vertical, des poutres et un pan Güllich : c’est le laboratoire spartiate où s’entraîne une poignée de grimpeurs montréalais. L’endroit a « produit » plusieurs brutes qui ont marqué la courte histoire de l’escalade dans la province, notamment une partie de l’équipe de Dr Topo. Encore aujourd’hui, il n’est pas rare, en une soirée, de réunir des grimpeurs de 5.14 et des gens qui font le podium dans des compétitions de bloc.

Voilà maintenant près de 15 ans que le cave existe. À ses débuts, ce n’était en fait qu’un mur dans l’appartement d’un grimpeur, sur le boulevard Saint-Laurent, un mur démantelé après moins d’un an, se souvient Julien Duchêne, un des membres fondateurs. En 1999, il emménage avec un autre grimpeur, Simon Gélinas, et ils construisent à leur tour un grand mur dans un salon. « C’était le lieu de rencontre de plusieurs grimpeurs. On faisait des sessions tout le temps chez nous », explique-t-il. L’année suivante, une dizaine de personnes se regroupent pour louer un local et former une coopérative informelle, toujours sur le boulevard Saint-Laurent, cette fois dans un sous-sol. « Il n’y avait

aucun endroit à l’époque où on pouvait faire du bloc à Montréal. Pour nous, c’était clair : si tu veux t’améliorer, il faut que tu fasses du bloc ! », explique Julien Duchêne. Lui-même passe de 5.10+ à 5.12b en deux essais après quelques mois de grimpe à la coop. L’endroit acquiert une aura de mystère et de secret, même à l’extérieur de la métropole. Pourquoi la coopérative a-t-elle produit autant de grimpeurs forts ? « C’était la bonne ambiance, la motivation et la synergie qui étaient toujours là », pense Julien Duchêne.

Le voisinage – présence de toxicomanes et de seringues souillées – amène les grimpeurs à vouloir déménager leurs pénates. C’est là que le cave s’établit au Château Saint-Ambroise.

Après quelques mois houleux, pendant lesquels l’avenir du caveau a été remis en question, il y a désormais suffisamment de membres pour en assurer la survie. « Ça nous a demandé beaucoup d’efforts, mais maintenant, ça va bien », dit Julien Bourassa-Moreau, qui cogère l’endroit depuis maintenant un peu plus d’un an. « Les gens avaient l’impression que c’était trop difficile, que c’était réservé uniquement à des grimpeurs forts », explique-t-il. « Ceux qui vont s’entraîner au cave cherchent à s’améliorer, c’est un peu normal qu’ils s’améliorent! C’est un excellent outil. »

Pour l’année prochaine, les gestionnaires voudraient que le cave devienne une véritable coopérative enregistrée, avec une structure légale. « Ça devrait nous permettre de faire plus de publicité et d’impliquer davantage les gens », souligne Julien Bourassa-Moreau.

par David Savoie

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LE REPAIRE DES BRUTES

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JEUNES :MODE D’EMPLOI

Le nombre de jeunes grimpeurs explose au Québec, et plusieurs d’entre eux participent à des compétitions. Ce qui en amène beaucoup à s’entraîner pour s’améliorer. Bien que cette discipline en soit encore à ses débuts, certains athlètes souffrent déjà de blessures. Voici un petit mode d’emploi pour parents et entraîneurs afin d’éviter les problèmes chez les jeunes accros du plastique.

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Un des rares portraits scientifiques de la situation provient du travail de Nani Woollings, du Centre de recherche de la prévention des blessures sportives de l’Université de Calgary, qui a mené une étude

sur les blessures chez les jeunes grimpeurs canadiens. Elle-même s’est blessée alors qu’elle faisait partie d’une équipe compétitive junior. En tant qu’entraîneuse, quelques années plus tard, elle voit aussi des jeunes subir des blessures similaires. C’est ce qui l’a inspirée à mener des travaux sur le sujet.

Selon le résultat de ses études, 63 % des jeunes sondés ont subi au moins une nouvelle blessure au cours des 12 derniers mois, et de ce nombre, 31 % disent avoir eu plusieurs traumas durant la même période. Quel est le taux d’incidence des blessures en escalade chez les jeunes ? Il est aussi élevé que dans plusieurs autres sports pour le même groupe d’âge – notamment le hockey et le soccer. Les jeunes grimpeurs connaissent sensiblement les mêmes problèmes que les adultes : entorses, tendinites aux mains, aux doigts et aux épaules sont les blessures les plus communes. « J’ai aussi exploré plusieurs facteurs de risques potentiels qui provoquent des blessures, et j’ai noté que les adolescents âgés de 15 à 19 ans étaient plus à risque de se blesser en faisant du bloc et de l’escalade sportive que les jeunes enfants et les adolescents de 11 à 14 ans », dit-elle.

D’après ses recherches, il n’y aurait aucun lien de causalité entre le poids d’un grimpeur et les blessures liées à l’escalade.

Elle a aussi pu déterminer que plusieurs facteurs n’ont absolument pas d’impact sur le taux d’incidence des blessures. Le niveau d’escalade, le sexe, le fait de pratiquer d’autres sports, une période de refroidissement (le fameux « cool down »), ou encore le statut socioéconomique ne changent strictement rien à la probabilité d’avoir une blessure.

Mélissa Lacasse entraîne des jeunes au centre Vertical à Montréal depuis plusieurs années. Elle rappelle que l’entraînement spécifique chez les grimpeurs juniors est encore nouveau. « Avec les circuits de compétitions qui se développent, le niveau des grimpeurs qui augmente, les équipes compétitives qui poussent comme des champignons, il est certain qu’il y aura de plus en plus de blessures parce que plus de gens repoussent leurs limites. De plus, les études sur l’entraînement en escalade sont rares par rapport à celles faites pour les autres sports, et les entraîneurs ne disposent pas de formation spécifique à l’escalade. Cela a une influence sur le taux d’incidence des blessures. Je crois que notre rôle en tant qu’entraîneur est l’éducation aux blessures. Il faut sensibiliser les jeunes aux types de blessures, à l’impact que cela aura à long terme, à l’importance du repos et surtout à l’écoute de leur corps », dit-elle.

« Certains jeunes de mon équipe s’entraînent environ 15 heures par semaine. Il n’y a probablement aucun grimpeur adulte qui s’entraîne avec la même intensité »,

note de son côté Denis Mimeault, entraîneur de l’équipe junior au centre d’escalade Délire à Québec. « L’entraînement à haute intensité amène son lot de blessures et c’est le rôle de l’entraîneur d’en éviter le plus possible chez les athlètes. Malheureusement, on ne les évite pas toutes. »

Les jeunes motivés par la performance ont souvent tendance à masquer leurs blessures pour continuer, affirme Mélissa Lacasse. Selon elle, il faut être attentif aux signes de fatigue et aux changements dans le style de grimpe. « Il faut connaître nos jeunes. Il m’arrive souvent de dire à un jeune de prendre du repos pour la semaine parce que je vois des signes de fatigue et que je ne veux pas attendre que ça se transforme en blessure ! »

« Il faut aussi que les jeunes évitent de se spécialiser trop tôt, dit-elle. Ils doivent explorer diverses activités et être exposés à différents types de mouvements. Il est important d’avoir un ou des congés annuels durant lesquels les jeunes restent actifs, sans pratiquer l’activité dans laquelle ils sont spécialisés. J’appelle ça mettre le corps en jachère. »

Pour Denis Mimeault, le plus important est d’avoir une bonne relation athlète-entraîneur. « L’entraîneur qui connaît bien son athlète pourra voir comment il performe et deviner lorsqu’il y a quelque chose qui cloche. Du côté de l’athlète, s’il a une grande confiance en son entraîneur, il ne sera pas gêné de tout lui dire (douleur, blessure, fatigue, etc.). C’est cette relation qui, à mon avis, prévient le plus les blessures. »

« Les jeunes grimpeurs sont vulnérables aux blessures, mais il n’y a pas encore de protocole établi en ce qui concerne l’enseignement ou l’entraînement, notamment parce qu’il n’y a pas beaucoup de recherches scientifiques dans le domaine », soutient de son côté la chercheuse Nani Woollings. « Nous sommes encore très loin d’avoir des techniques d’entraînement pour les jeunes, et une de mes principales conclusions, c’est qu’il doit y avoir plus de recherches. »

CE QU’IL FAUT FAIRE : un bon échauffement complet, avec une structure intelligente d’entraînement et une fréquence adéquate de travail pour les muscles. Il faut aussi travailler les muscles antagonistes.

CE QU’IL FAUT ÉVITER DE FAIRE : une session de campus à la fin d’une séance d’entraînement – le corps est fatigué, et les risques de blessure sont importants si on tente de faire un exercice aussi exigeant que le pan Güllich. Continuer de grimper lorsque vous avez une douleur.

par David Savoie

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RYTHME ET SONS POUR GRIMPER

Album : Stardust Artiste : Marky Lyrical Réalisation : Riddim Wise Style musical : Reggae, yes General! Parution : 2013

Avec un premier album datant de 2001, de véritables bijoux sonores sortis avec « Inword » (« One Seed », « Purify » et « Live is Life »), une mixtape remarquée et un changement de nom de scène, le Montréalais d’adoption Marky Lyrical (anciennement Jah Faith) était enfin prêt pour une nouvelle parution. Stardust regroupe des productions variées qui témoignent de la diversité du reggae en 2013. Sa démarche, teintée de spiritualité (le mec a étudié en religion quand même!), porte une réflexion sur le monde qui l’entoure. Impossible de passer sous silence les excellentes productions digit de Dreadsquad (Leave this Place) et Poirier (Party, Party) qui nous ramènent tout droit à la fin des années 1980, époque où le son digital dominait la scène reggae. Des « riddims » très 21e siècle, une production impeccable, une écriture intelligente et une voix au grain particulier font de Marky Lyrical un artiste incontournable. Je vous mets au défi de ne pas bouger la tête dès les premières notes. Disponible sur iTunes

Album : Montréal $ud Artiste : Dead Obies Réalisation : VNCE / Dead Obies Style musical : Post-Rap Parution : 2013

Ça, si ce n’est pas déjà le buzz dans ta galaxie, c’est une question de jours! Les Dead O’s ont le beat pesant et des couplets plein le chargeur. Cinq rappeurs et un producteur, ça rentre au poste. Ils décrivent leur son comme post-rap pour faire une distinction avec le son original avec lequel ils ont grandi. Les lignes de basse de « Get Dough » et « Runnin’ » sont implacables. Les effets sont légion sur « Love song » sans jamais être étourdissants. Montréal $ud est un heureux mélange d’échantillonnages improbables qui nous font attendre le prochain intermède avec un gros sourire. Les textes ne sont pas toujours faciles à suivre pour une oreille non exercée. Heureusement, l’album inclut les paroles en québécois. Dead Obies représente Hochelaga, donc si jamais ton gym est dans ce coin-là, cet album est la trame sonore de ta session. Disponible sur Bandcamp : deadobies.bandcamp.com et sur iTunes

Album : The Love Album Artiste : Anaïs Réalisation : Dan The Automator Style musical : Pop franco? Nah, c’est plus que ça. Parution : 2008

OK, ici, le choix peut paraître saugrenu. Mais à première vue seulement. Parce que c’est avec les oreilles qu’on juge d’un album. Anaïs a réalisé cette galette avec Dan The Automator. Ça, c’est le producteur derrière une série d’albums aussi solides que de l’uréthane vissé sur un mur (Gorillaz, Deltron 3030, Kool Keith). Agréable surprise en fait. Les amateurs de Serge Gainsbourg s’y retrouveront avec les textes savoureux racontés plus que chantés (« Qui c’est la fille sur la photo ») tandis que les amateurs d’histoires d’amour impossible se régaleront de la névrose du personnage de « J’sais pas ». Avec Dan The Automator, une chose est sûre, les instrumentaux sont bien accrocheurs (« Clint Eastwood » de Gorillaz, ça vous dit quelque chose?) Les arrangements sont vraiment bons sur « Entre deux verres » avec un jeu d’orgue et une batterie très rétro. Pour ceux qui ne sont pas trop chanson française, Anaïs a cru bon sortir une version anglophone également. Et ça marche aussi. Disponible sur iTunes

Album : Planet Electric Artiste : Delhi 2 Dublin Réalisation : Delhi 2 Dublin Style musical : Electronica, (quant à moi, c’est un ragoût musical) Parution : 2010

Après une première écoute, on se rend bien compte que ce groupe n’a pas fait le trajet en ligne droite entre Delhi et Dublin. Il a profité du parcours pour s’accrocher les pieds dans toutes sortes de sons en chemin. Et c’est tant mieux comme ça. Le mélange violon, sitar, électro fonctionne vraiment bien sur « Master Crowley », le titre d’ouverture. La suite de l’album inclut un gros Raggae (« Raise it Up ») en plus d’une incursion « drum n’ Bass » (« Tommy ») avec un « hook » très…accrocheur. Les saveurs orientales viennent toujours bien s’imbriquer dans le mix électro. Attitude positive d’un bout à l’autre. En fait, cet album est un délire vitaminé. Ouais, bon avec le mélange des influences de tous, c’est un « ragoût irlandais » avec juste assez de cari pour sender fort. Impossible de rester écrasé dans le matelas, ce qui est parfait pour un repos actif entre deux essais. Disponible sur iTunes et sur cdbaby.com

Qui dit grimpe à l’intérieur dit également musique, un ingrédient essentiel à une bonne session d’escalade. Radi O. Bruno, enthousiaste musical, « reggae selector », toujours à la recherche de pépites musicales, vous propose ici ses choix d’artistes qui vous permettront peut-être d’enchaîner vos projets sur plastique, ou bien seulement de vous mettre de bonnes notes dans l’oreille.

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BLOCPeñoles, Mexique

C’est peut-être la prochaine destination populaire pour le bloc : Peñoles au Mexique, dans l’État du Chihuahua. Jadis, les champs de gros blocs étaient utilisés par les nomades, puis ils ont servi d’abris aux révolutionnaires mexicains. Aujourd’hui, ils sont la promesse d’une quantité quasi illimitée de problèmes, avec un rocher de la qualité de Hueco Tanks, au Texas, mais sans son accès limité. Peut-être aurez-vous l’occasion d’ouvrir vos propres problèmes ? Ce sera cependant un peu complexe au chapitre de la logistique : vous devez camper sous les blocs, et amener toutes vos provisions avec vous. Notez aussi qu’il s’agit aussi d’une région marquée par la violence en raison de la guerre entre les narcotrafiquants.

ESCALADE SPORTIVEAntalya, Turquie

Il y a des stalactites à profusion et énormément de voies, mais ce n’est pas la Grèce. Il y a des dévers et du soleil, mais ce n’est pas l’Espagne. La Turquie est un endroit à découvrir pour ceux qui aiment « clipper » des dégaines : beau, bon, peu cher… Bref, tous les ingrédients d’une bonne destination de grimpe y sont réunis. Le développement des parois a fait en sorte qu’il y a de tout pour tous – en termes de cotes et de genre. Sans oublier qu’il y a d’autres sites à proximité qui connaissent aussi une bonne expansion. En prime, il vous sera facile de jouer au touriste pendant vos journées de repos. De quoi en faire un voyage mémorable.

ESCALADE TRADITIONNELLEFrey, Argentine

Le granit de Val-David vous occupe l’esprit même lorsque la Belle Province est recouverte d’un manteau blanc ? Filez vers l’Amérique du Sud pour découvrir les tours de granit de Frey.

Un refuge près des voies vous offre un peu de confort, tout en conservant un côté « aventure » très présent : marches d’approche dans des collines patagoniennes, livres-guides fragmentaires, et un roc qui serait parmi les meilleurs du monde… Vous ne manquerez que d’une chose : du temps.

par David Savoie

Vous êtes allergique au plastique et la seule chose dont vous avez envie, c’est de continuer à grimper à l’extérieur sans être entouré d’une foule de monde qui a eu la même idée ? Voici trois suggestions pour découvrir des sites assez peu connus, où vous pourrez continuer à grimper pendant que tout le monde fait la file au gym !

Pour rester sur le rocher

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Trois questions à... >

YANNICK GIRARD

Le Québec en hiver devient le terrain de jeu rêvé pour les grimpeurs de glace, et encore plus pour ceux qui veulent ouvrir de nouvelles voies. Grimpe a posé quelques questions à Yannick Girard, âgé de 36 ans, qui a déjà 20 ans d’escalade de glace derrière la cravate, qui a ouvert plusieurs voies en glace et en mixte. Avec deux comparses, Louis Rousseau et Mathieu Leblanc, il a ouvert une nouvelle ligne sur le Gros Bras.

Quelle est la difficulté d’ouvrir de nouvelles voies en terrain mixte ?Trouver des lignes adaptées à nos capacités. On peut plus facilement évaluer son niveau en escalade de rocher ou même en cascade de glace, car c’est essentiellement basé sur des habiletés techniques. En terrain d’aventure mixte, c’est plus le courage et la détermination qui font la différence. Habituellement, c’est plus difficile de s’auto-évaluer sur ces aspects. 

Y’a-t-il beaucoup d’intérêt de la part de grimpeurs de faire ça ? Pourquoi, selon toi ?Convaincu! C’est même très à la mode. Faut se rappeler les catalogues des compagnies Petzl, Black Diamond et autres des dernières années, qui se sont passé le mot pour faire leur campagne de publicité avec des séances photo sur le Ben Nevis par exemple. Il y a même eu des populaires grimpeurs de glace québécois (et de mixte sportif) dans cette même vague qui ont été invité là-bas, en Écosse et qui ont livré leur impression dans un magazine en disant «  il y aurait plein d’endroits au Québec pour pratiquer ce genre d’escalade ». Je crois que lorsque plus de gens vont réaliser que c’est aussi possible chez nous, tout comme les grimpeurs de la Nouvelle-Angleterre le

font avec beaucoup d’élégance aussi dans un terrain pratiquement identique, ça deviendra un style plus pratiqué localement. Pas le choix, en fait, c’est la base de l’alpinisme au complet, de grimper des montagnes de roche l’hiver !

Cela fait un moment que tu grimpes en glace et en mixte assez fort au Québec, qu’est-ce qui te motive à continuer ?Le Québec! Il réunit toutes les conditions pour imaginer des hivernales uniques ainsi que ses acteurs inspirants comme Mathieu Péloquin. Je suis également motivé par les amis proches, avec qui je partage ses moments ainsi que les gens qui m’encouragent et me supportent. L’âge est peut-être moins nuisible que dans d’autres facettes de ce sport. L’escalade traditionnelle mixte, très similaire à l’alpinisme technique, bénéficie beaucoup de l’expérience. Je crois que je n’aurais pas été en mesure de grimper certaines lignes, même si j’avais été super entraîné à l’âge de 20 ans, par exemple. Mais c’est relatif à l’âge où nous avons débuté. La jeunesse apporte aussi un brin de naïveté qui s’avère parfois être l’ingrédient manquant. Je ne suis pas certain que je referais un bivouac ouvert sur le mur l’acropole des Draveurs en hiver avec un sac de couchage -5C. Quoi que…

par David Savoie

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Glacé de peurOn grimpe parfois pour se faire un peu peur, cela fait partie du plaisir. Mais il arrive – surtout en glace – que cela ne soit plus du tout agréable. Damien Côté, qui connaît bien les parois de glace de la province, vous propose son meilleur classement de ces voies effroyables. Lorsque vous planterez vos piolets cet hiver, vous pourrez pousser un soupir de soulagement, en vous disant qu’au moins, vous n’êtes pas sur une de ces trois voies !

LE CAP DE L’AUROREPersonnellement, je l’appelle le Cap de l’horreur. Situé en Gaspésie, à l’entrée de Percé – grande ville touristique estivale complètement déserte en hiver, où peu de commerces sont ouverts –, cette paroi est probablement celle qui offre la sortie la plus intéressante : 100 mètres vous séparent de votre véhicule et du dernier relais. Mais cela n’enlève rien à son degré d’engagement. Pour atteindre le bas de la voie, il vous faut soit rappeler, soit faire un détour de plus ou moins 2 heures, selon les conditions de neige. La voie se présente ainsi : une première partie déversante de 150 mètres, dont les 60 premiers mètres sont en glace simple. Par la

suite, trois longueurs de rocher rouge s’empilent. Le roc est un conglomérat, sur une face nord qui est exposée aux trois autres points cardinaux. Il est à la merci des intempéries. Et au pied du mur, c’est tout simplement la mer. Quand tu es à la base de la paroi, tu comprends l’immensité du projet. Ben Marion, un des plus grands chirurgiens du mixte moderne au Québec, a déjà laissé sa marque sur ce mur. Il a deux premières ascensions, et nous sommes équipés pour ouvrir une autre voie.

La glace te regarde, elle en a vu d’autres. Fouettée par les trois vents, elle grandit dans tous les sens. La plupart des longueurs sont en M7. Les grades de glace sont difficiles à définir. C’est tellement déversant et il y tellement d’étranges formations que t’en viens à te

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demander ce que tu fais là. Les vis ne représentent pas de protection valable dans les parties de glace pure de la voie. Nous avons passé quatre jours sur ce mur à essayer Double 7, Mobydick et notre projet, une variante de Double 7. Dans cette aventure, nous avons perdu trois piolets dans la mer, nous sommes sortis de route en raison du vent, et en tête, nous avons fait tomber un morceau de glace de la taille d’un autobus (et pas les petits). Comble de malheur, nous nous sommes alimentés de pain blanc et d’oeufs, parce que tout était fermé en ville. Dans cette péripétie, plusieurs fois le temps s’est arrêté et ma respiration aussi.  

L’APPARTEMENTIl est important de mentionner que toutes les voies sur ce mur de Port-Cartier sont très imposantes, avec des longueurs de plus ou moins 200 mètres et des difficultés de grade WI 5 à 7 et du mixte de M6 run out à M8 en traditionnel. Personnellement, plusieurs de ces voies m’ont fait peur.

La voie L’appartement a été ouverte par une équipe franco-québécoise au début des années 2000. Elle a été grimpée en deux jours, et les premiers ascensionnistes ont également fait du base jumping pour en redescendre. La voie n’est pas très fréquentée, et elle pourrait très bien s’appeler « l’évincement du locataire ». Le mur se divise en trois longueurs de corde, toutes plus difficiles les unes que les autres. La voie se présente par un immense toit qui conclut la dernière longueur. Un filet d’eau coule et vaporise la voie du mur déversant pour y créer des reliefs. Le chemin est assez évident, même si le mur donne froid dans le dos.

Au cours de notre deuxième mission sur ce mur, nous avons établi un camp avec une tente de prospecteur, un petit poêle à bois et une scie à chaîne. Le projet était de grimper toutes les voies du mur et de finir par L’appartement. Manu Forget était notre troisième comparse. Les derniers jours ont été pour nous extraordinaires et il est temps de finir ça en beauté. Il fait -42 oC. La paroi ne voit le soleil qu’entre 7 h et 9 h. La chaleur du soleil sur le mur a provoqué un tel contraste qu’un bloc de pierre de la taille d’un poêle de cuisine est venu rebondir au pied de la voie. On part. Cette formation de glace est complètement absurde. Chaque langue de glace est collée au mur déversant. Lorsque j’essaie de les crocheter, elles se détachent en tentant de m’entraîner avec elles. Ces morceaux de glace pèsent le même poids que moi. Nous avons porté deux manteaux de relais toute la journée, même lorsque nous grimpions en tête. La glace est complètement différente de tout ce que j’ai connu. Cette voie est selon moi une des plus spectaculaires au monde, chapeau aux ouvreurs. La protection de roche est de mise pour les relais, car mis à part cela, il

n’y a pas grand-chose. La glace ne se forme même pas toutes les années jusqu’au bas du toit. Incroyable.

LA RUÉE VERS L’ORIl y a beaucoup d’appelés, mais peu d’élus : ils ne sont pas nombreux, les grimpeurs à avoir pu compléter cette voie. À ma connaissance, seulement deux équipes y sont parvenues. La glace ne s’y forme pas chaque année. Située dans les Hautes-Gorges-de-la-Rivière-Malbaie, la vallée est surtout connue pour « La pomme d’or » et « La loutre ». J’y suis allé souvent, mais jamais en faisant une tentative d’un seul coup. Ça, c’est l’idée à Yannick Girard. C’est sa quatrième tentative du genre. La veille, on étudie la météo. Prévision: -33 oC. Tout le monde se fait optimiste et chacun estime qu’il ne fera pas si froid. On dort dans le camion de Frank Bédard, notre troisième comparse. Au réveil, il fait plus froid que prévu. On part au beau milieu de la nuit. On fait du ski de fond en doudoune. Ce matin-là, je me suis « gelé » les poumons tellement il faisait froid. Le réchaud de gaz blanc a explosé sous la pression, ce qui a imbibé tout le matériel de carburant. Les bottes de Frank sont trempées de gaz. La montée, je l’ai faite le plus vite que j’ai pu. Mes pieds étaient tellement gelés, il fallait que je fasse un sprint de survie après 30 km d’approche. Mais maintenant à pied d’œuvre, j’hésite. Mes chums me réchauffent le cœur et on part en running belay. Les longueurs semblent bien formées avec le lever du soleil. La voie s’amorce par 100 mètres de glace, suivis d’une grande longueur de mixte sur du granite déversant, où nous attendent des plaquettes corrodées. Une autre longueur de glace assez raide nous amène à une série de longueurs précaire avec peu de glace, des dévers aux protections espacées et des piliers décollés. La voie n’était pas entièrement formée. Nous devons renoncer au projet, mais pour redescendre, le premier de cordée doit dégrimper 10 mètres en mixte avant de trouver une station de rappel. Au retour, on mange de la neige sans arrêt, nous sommes affamés. Une fois en ville, nous arrêtons pour acheter 40 $ de fast food. Pour ma part, j’ai perdu 6 livres en une seule journée. L’année suivante, un de mes amis a perdu la vie sur ce mur. Clin d’œil, Phil.

par Damien Côté

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En alpinisme, la ligne est parfois mince entre dépasser ses limites et mettre sa vie en danger. Avec pour trame de fond les expéditions hivernales qui se préparent pour le Nanga Parbat cet hiver, Louis Rousseau livre ses impressions sur la plus récente mode sur les sommets.

Je devais prendre la route, malgré une importante tempête de neige qui frappe le Québec. Par chance, j’ai de bons pneus d’hiver. Après plus d’une heure de conduite, près de Donnacona, mon véhicule n’accélère plus. Voyons donc! Je passe de la cinquième à la quatrième, le compteur affiche 70 km/h et ça continue de descendre. Rien à faire ! J’enfonce l’accélérateur. Aucune réponse du moteur, pas de voyants allumés sur le tableau de bord. Pas d’explication.

Ma vitesse de dépasse pas 60, mais c’est une bonne affaire, je ne vois rien en avant de moi à cause du vent et de la neige. Je continue de rester prudent et je me rends compte de la file de monde derrière moi quand j’arrive aux portes de Québec. Il y a des maudits fous malades dans tête qui me dépassent et deux ou trois manquent d’embrasser le décor.

Mon plan, c’est de rejoindre le Canadian Tire parce que j’ai une hypothèse. Mon moteur est complètement rempli de neige très fine qui bloque l’entrée d’air et le senseur du système d’injection ne détecte pas assez d’air pour ajouter de l’essence. Pas d’air, pas de gaz, donc pas de feu, ce qui veut dire pas d’accélération. Je dois alors dégager la neige de sous mon capot d’auto.

À la radio, le gars de la circulation annonce un méchant gros carambolage sur Dufferin en direction de Ste-Anne-de-Beaupré. Ouf, une chance que je n’ai pas passé par la ville comme je voulais faire au début.

Arrivé au garage, le gars qui ouvre mon capot n’avait jamais vu ça. Je dois attendre un bon moment, le temps de laisser fondre la neige et de déloger la glace. J’en profite pour aller sur les réseaux sociaux. Je tombe sur un message de Simone Moro, le fameux alpiniste italien. Je le connais, on partageait le même camp de base durant l’hiver en 2011. Il escaladait le Gasherbrum II avec Denis Urubko et Corey Richard, pendant que nous, on se cassait les dents sur le flanc sud du Gasherbrum I.

Je reste un peu perplexe. Afin de promouvoir sa prochaine expédition au Nanga Parbat cet hiver, Moro mentionne qu’en alpinisme, il n’y a plus rien à faire, plus rien à explorer, plus de sommet vierge à escalader. En tant qu’humain, pour continuer d’assouvir notre besoin d’explorer, d’avoir peur et être excité, il faut relancer la lutte entre l’homme et la nature et rendre le combat

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Soif de reconnaissance

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encore plus difficile, souffrir plus, dit-il en somme. L’idée, c’est de se lancer de plus gros défis. Si on fait ça, on va réinventer l’alpinisme. En conclusion, il ajoute que pour y arriver, il faut aller grimper l’hiver en Himalaya. Bla-bla-bla...

Jamais lu autant de niaiseries. Chaque année, on peut lire dans le Canadian Alpine Journal et dans l’American Alpine Journal qu’il y a eu l’ouverture de dizaines et de dizaines de nouvelles voies ou l’ascension de nouveaux sommets en Chine, au Pakistan, en Inde, etc. Il y a même des eu des expéditions en Afghanistan. Des projets originaux réalisés par des grimpeurs rêveurs, imaginatifs et ouverts d’esprit. Pas besoin de réinventer quoi que ce soit, tout est là déjà. Il faut seulement ouvrir les yeux et repousser les premières limites, celles qui se trouvent dans notre tête. Si je pousse l’audace, je trouve même que le message de Moro est irrespectueux envers ceux qui chaque année essayent de trouver le temps, l’argent et la motivation pour réaliser leurs rêves de montagne et passer du temps dans des conditions très difficiles. Comme si en fin de compte, leurs projets ne comptaient pas vraiment parce que ce n’est pas assez dur et glorieux aux yeux de Moro.

Ça fait partie de ce que j’aime le moins en alpinisme depuis un bout de temps. C’est l’idée qu’il faut souffrir de plus en plus, avoir de plus en plus de la misère, faire les choses le plus rapidement possible, l’idée de survivre aux éléments et conquérir la nature, se mettre de plus grands défis pour se prouver et avoir plus plus plus de reconnaissance. Pas

très surprenant finalement, ça concorde parfaitement à certaines valeurs de la société. Pas question ici d’aventure et de camaraderie.

Le message que je comprends de Moro c’est: si tu ne fais pas comme moi, ben ça ne vaut pas grand-chose et ça fait partie du vieux concept, d’un type d’alpinisme désuet que je redéfinirai. C’est égocentrique et je crois que l’objectif caché, c’est d’avoir son nom écrit quelque part. J’ai déjà souffert de ça en masse. Mon ancien partenaire est mort pour cette même raison et ses enfants sont orphelins maintenant. Je me demande ce que la femme de Moro et sa fille en pensent ? Elle a probablement dû lui poser la question ? Pourquoi, papa, tu dois partir cet hiver ?

Ça me fait penser à un certain alpiniste français très talentueux que j’aimais vraiment. Jean-Christophe Lafaille est mort en 2006, en essayant l’ascension du Makalu en solo en hiver. À l’époque, je me préparais pour ma première expédition sur un 8000 mètres. J’ai eu la nouvelle de sa disparition lors de sa tentative sommitale le jour de ma fête. Étrangement, l’alpiniste est mort dans les mêmes circonstances nébuleuses que mon partenaire Gerfried et mes deux amis au Gasherbrum I en hiver 2012. JC Lafaille avait lui aussi une femme et un enfant. J’avais alors écrit quelques lignes à ma mère par courriel.

Crédit photo : Louis Rousseau

LE NANGA PARBAT 8125 MÈTRES

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«J’espère encore qu’il puisse redescendre, mais il n’y pas beaucoup de chance, même aucune! J’espère qu’il n’est pas mort pour une image comme je disais dans mon dernier courriel, pour la pression des médias ou pour une stupide marque d’équipement. J’espère encore qu’il est mort à cause de sa passion et non pour l’ambition, mais encore là, mourir pour une passion, je trouve ça stupide, une passion, c’est pour vivre ! J’espère qu’il n’a pas oublié que l’on grimpe parce que c’est l’fun et non pas parce que c’est un emploi ! Ça me fait tellement chier quand des alpinistes disent qu’ils sont des grimpeurs professionnels.

En forme comme il était, il aurait pu vivre jusqu’à 80 ans et plus, il lui restait donc la moitié de sa vie encore et probablement qu’il aurait pu grimper jusqu’à 65 ans, même plus, et à un bon niveau. Pire encore, il aurait pu avoir la chance de voir grandir son enfant et grimper avec lui, et même avec ses petits enfants, pourquoi pas ! Ça vaut pas mal plus qu’un sommet de 8000 mètres en solo, l’hiver, sans oxygène ! Ou pousser une limite virtuelle qui finalement n’existe pas ailleurs que notre tête.

Mort pour sa passion, pour son sport. C’est de la foutaise ! Sacrifice pour ce qu’il aime vraiment ! Et sa femme, son enfant alors ?! Je suis vraiment écoeuré de ça, le monde qui crève pour rien ! Pour moi ce n’est rien de plus qu’un autre adolescent qui n’a pas su se contrôler… Quelqu’un qui n’a pas réussi à concilier vie amoureuse, famille, travail, ambition, passion, etc.

Le vrai défi, c’est la voie du milieu, c’est là que l’on comprend quelque chose. Non pas dans l’extrême ou le sacrifice. Le vrai défi, c’est d’aller grimper, arriver au sommet, redescendre et revenir à la maison pour rêver encore. Ce n’est pas miser le tout pour le tout ou se fier à notre chance !

Dans le fond, c’est son expérience, sa trop grande expérience, sa trop grande aisance à faire ce qu’il faisait qui l’ont tué. Il a

tenu les choses pour acquises et c’est exactement l’erreur à ne pas faire. C’est la preuve que l’on ne respecte pas la montagne et sa passion. Moi, j’aime tellement ça, que je veux continuer jusqu’à 110 ans, même si je dois le faire avec une canne ou en marchette ! J’aime tellement ça que je veux avoir des enfants et leur montrer que la montagne, c’est la meilleure école que l’on peut avoir et qu’à cause d’elle, on peut voyager, apprendre beaucoup de choses, être en santé, arriver à se connaître toujours un peu plus. Et surtout voir des paysages « poétiques » qui donnent une réponse à tous les pourquoi.»

Le garagiste m’appelle, mon moteur est dégelé. Tout est rentré dans l’ordre et je reprends la route tranquillement. En bravant cette tempête et les fous qui

dépassent, j’essaie d’être conscient de la chance que j’ai eu d’avoir ce trouble de moteur. En calculant rapidement, je crois que j’aurais finalement été impliqué dans le carambolage sur Dufferin. Peut-être que j’ai une bonne étoile, peut-être que j’écoute ma petite voix intérieure, même quand elle ne parle pas fort. Je pense souvent que j’aurais pu ne pas être loin du sommet avec mon partenaire Gerfried à l’hiver 2012 sur le Gasherbrum I. Si proche de l’illusion de la gloire, je serais disparu avec lui, Nisar et Cedric. Je ne voulais pas y aller à l’époque et je me rappelle bien lui avoir dit qu’il voulait simplement «bagger» la première hivernale et que ce n’était plus pour vivre une aventure et la camaraderie, mais pour une quête de reconnaissance...

Cet hiver, plusieurs équipes vont prendre la route du Nanga Parbat. Bien sûr, je vais suivre ça, mais je sais aussi que l’on va assister à une féroce et laide compétition pour savoir qui va dépasser l’autre et atteindre le sommet en premier. Un cocktail explosif, la combinaison parfaite pour avoir un carambolage désastreux. Ça va être comme une téléréalité hivernale sur le Nanga Parbat avec comme gros lot final un beau p’tit diplôme, qui dit : « félicitation, vous êtes le premier humain à vous geler le cul solide sur le sommet de cette montagne ». J’espère seulement qu’ils ont une bonne étoile, qu’ils vont écouter attentivement leur petite voix pour choisir le bon chemin afin de revenir sain et sauf à la maison.?

par Louis Rousseau

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AU DESSUS DU CAMP 1 SUR LE GASHERBRUM I

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BRIN DE VIE >

Comment l’alpinisme a changéDES COUREURS EXTRÊMES, DES GRIMPEURS QUI PROVIENNENT DU MONDE DE L’ESCALADE SPORTIVE, DES SOLOS IMPENSABLES: Y’A-T-IL D’AUTRES GRANDS BOULEVERSEMENTS À PRÉVOIR EN ALPINISME ?

Ils s’appellent Ueli Steck, Killian Jornet, Emily Harrington. Le premier a réalisé un solo sur la face sud de l’Annapurna, atteignant le sommet en moins de 28 heures. Pour sa part, Killian Jornet a battu le record de vitesse pour atteindre le sommet du mont Cervin en moins de trois heures. Et enfin Emily Harrington, qui n’avait pas d’expérience en alpinisme, mais des années de bloc et d’escalade sportive derrière la cravate, est parvenue au sommet de l’Everest et s’attaquera bientôt à l’Annapurna.

Pour Jacques Olek, figure bien connue de l’alpinisme au Québec, ce sont peut-être les expéditions hivernales qui sont la prochaine limite. « Il n’y a toujours pas eu d’ascension hivernale du K2. Et le taux de succès des expéditions hivernales est encore très faible. L’évolution est peut-être dans cette direction aujourd’hui », fait-il remarquer.

« Aujourd’hui, pour laisser sa trace dans l’histoire de l’himalayisme, il faut soit faire des voies très difficiles, soit en solo, soit en hivernale. Donc, il y a encore des défis qui restent », dit-il.

Mais ce n’est pas la première fois qu’il y a des changements en alpinisme. Maurice Isserman est historien et professeur au Hamilton College, à New York. Il se spécialise dans l’histoire de l’alpinisme, et il rappelle qu’il y a eu des changements auparavant dans le sport.

Les crampons – d’abord à quatre pointes, et ensuite 12 – ont remplacé les bottes cloutées. Au début du 20e siècle, les grimpeurs des Alpes commencent à utiliser des pitons et des mousquetons, ce qui ont permis de grimper des parois de roche ou de glace jusqu’alors impossible – notamment des parois déversantes. « C’était la règle solennelle, surtout chez les grimpeurs anglais, que les meneurs ne devaient pas tomber. Mais l’amélioration de l’équipement a permis aux grimpeurs de prendre des chutes et survivre, ce qui signifiait que des voies plus risquées pouvaient être tentées. »

Dans le cas de haute montagne, la plupart des sommets ont été d’abord grimpés par de très grandes expéditions. L’ascension en 1950 de l’Annapurna, par Maurice Herzog, fut le début de l’âge d’or de l’alpinisme himalayen selon lui. Après 1960, une nouvelle génération de grimpeurs délaisse les grosses expéditions – qui utilisaient des tactiques de siège notamment – pour se tourner vers un style plus alpin, notamment des solos, et sans soutien d’oxygène. Maurice Isserman note aussi un tout petit objet qui a révolutionné l’alpinisme: la lampe frontale, qui permettait d’étendre le temps disponible pour atteindre un sommet. « Sur l’Everest, la plupart des grimpeurs partent maintenant au petit matin, alors qu’en 1960, ils partaient à l’aube », note-t-il.

par David Savoie

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« MADE IN QUÉBEC »

Pendant un bref moment, un Québécois a fabriqué des piolets qui rivalisaient avec ceux des grandes marques.

« Dans le temps, je faisais beaucoup de glace et je commençais à faire du mixte. Je regardais les piolets et je ne trouvais pas ça satisfaisant. »

« Dans le temps », c’était en 2003, quand Raynald Robitaille a lancé Mixice, sa propre compagnie de piolet – tout en continuant à travailler à temps plein.

Le grimpeur voulait un produit qui pouvait tâter à la fois de la roche et de la glace, mais davantage orienté vers la roche. « Au début, quand j’ai lancé l’idée, tout le monde me disait que ça allait fonctionner, parce que ce serait un produit québécois, canadien », se souvient-il. D’une poignée en bois sculptée par un ami, il conçoit un premier modèle, d’abord pesant, qu’il retravaille. Après un an et demi de travail, le Magnum voit le jour. Le piolet est conçu pour le mixte, mais les lames de Petzl s’y arriment sans problème. Il passe tous les tests de sécurité, selon son concepteur. C’est également un outil sans dragonne – au moment où ce n’est pas encore à la mode chez les grimpeurs.

ÉQUIPEMENT >

Piolets

Avec son produit en main, Raynald Robitaille appelle les magasins de plein air pour qu’ils acceptent de vendre son piolet, en vain.

Conception de site web, promotion au Festiglace, il essaie de faire connaître ses piolets parmi les grimpeurs. Il va même en commanditer quelques-uns.

Vétéran d’escalade de glace, Antoine Moussette était l’un d’eux.« Son produit était très bon pour le prix », dit-il, « et ça pouvait rendre l’escalade de glace accessible à plus de gens. »

Les deux gâchettes et la poignée étaient très intéressantes, selon lui, mais l’épaisseur de la lame était peut-être problématique. « Le potentiel était là. »

Faute de moyens, Raynald Robitaille n’avait pas pu mettre un brevet sur le manche qu’il avait conçu. Quelques années plus tard, il voit apparaître chez Grivel, la compagnie italienne, un manche similaire à son invention.

Ce sont plus de 10 000 $ que Raynald Robitaille a engouffré dans l’aventure. Il reconnaît que ses piolets s’adressaient à un marché assez marginal. De la centaine de paires qu’il a produites, une quinzaine de paires ont été vendues. D’autres ont été données, et les piolets qu’il lui reste sont dans un grenier à Montréal, pendant que lui travaille à Kuujuaq, dans le Nord québécois.

Il dit avoir aimé l’expérience de fabriquer ses propres piolets, un processus au cours duquel il a beaucoup appris. « Ce qui me laisse amer, c’est que ni La Cordée, ni MEC (Mountain Equipment Coop) n’ont voulu embarquer là-dedans », dit-il, même si son produit était conçu au Québec et qu’il était de bonne qualité.

par David Savoie

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