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    Henry Grville

    DDoossiiaa

    BeQ

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    Henry Grville

    Dosia

    roman

    La Bibliothque lectronique du QubecCollection tous les ventsVolume 629 : version 1.01

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    Henry Grville, pseudonyme de Alice MarieCleste Durand neFleury (1842-1902), a publide nombreux romans, des nouvelles, des pices,de la posie ; elle a t son poque un crivain

    succs.

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    De la mme auteure, la Bibliothque :

    Suzanne Normis

    Lexpiation de Savli

    CroquisUn crime

    Le moulin Frappier

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    Dosia

    dition de rfrence :

    Paris, E. Plon et Cie, 1883.

    Quarante-deuxime dition.

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    I

    Ctait au camp de Krasno-Slo, quelqueskilomtres de Ptersbourg.

    On finissait de dner au mess des gardes cheval. Les jeunes officiers avaient clbr la ftede lun dentre eux, et la socit tait monte cejoyeux diapason qui suit les bons repas.

    Une dernire tourne de vin de Champagnecirculait autour de la table. La tente du mess,releve dun ct, laissait entrer les derniersrayons dun beau soleil de juin : il pouvait treneuf heures du soir, la poussire, souleve tout lejour par les pieds des chevaux et de linfanterie,redescendait lentement sur la terre faisant unnimbe dor au camp tout entier.

    Vers le petit thtre dt, o la jeunesse sedsennuie de son exil militaire, roulaient denombreuses calches, emportant les officiersmaris avec leurs femmes ; les petits drochkis,

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    gostes, troits comme un fourreau dpe, surlesquels perche un jeune officier, voiturant le

    plus souvent un camarade sur ses genoux, fautede place pour lasseoir son ct, prenaient lesdevants et dposaient leur fardeau sur le perronde la salle de spectacle.

    Cette joyeuse file dquipages roulaitincessamment de lautre ct de la place ; mais la

    reprsentation de ce soir-l ne devait pas treembellie par les casquettes blanches lisrrouge : MM. les gardes cheval avaient dcidde clore la soire au mess. On y tait si bien ! Delarges potiches de Chine ventrues laissaientchapper des bouquets en feu dartifice ; des

    pyramides de fruits sentassaient dans les coupesde cristal ; les tambours taient copieusementgarnis de bonbons et de fruits confits, toutofficier de dix-huit ans est doubl dun bb,amateur de friandises ; de grands massifsdarbustes la sombre verdure cachaient les

    pieux qui soutenaient la tente... ; bref, ces jeunesgens, dont beaucoup taient millionnaires,staient arrangs pour trouver tous les jours aucamp un cho de leur riche intrieur citadin, et ils

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    y avaient russi. Dailleurs quand pour un dnerdamis on se cotise deux cents francs par tte,

    cest bien le moins quon dne confortablement. O peut-on tre mieux quau sein de sa

    famille ? fredonna le hros de la fte, en selaissant aller paresseusement sur sa chaise,pendant quon servait le caf et les cigares.

    Vous tes ma famille, mes chers amis, mafamille patriotique, ma famille dt, sentend,car pour les autres saisons jai une autre famille !continua-t-il en riant de ce rire gras et satisfait quidnote une petite, toute petite pointe.

    Les camarades lui rpondirent par un chur

    dclats de rire et dexclamations joyeuses. Jai mme une famille pour chaque saison,reprit Pierre Mourief avec la mme bonnehumeur. Jai ma famille de Ptersbourg pourlhiver ; ma famille de Kazan pour la chasse...lautomne, veux-je dire ; ma famille du Ladoga

    pour le printemps... La saison des nids et des amours ! jeta un

    interlocuteur un peu gai.

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    Le colonel, qui avait assist au dner, il taitlami de toute cette belle jeunesse, jugea que le

    moment tait venu de se retirer, et recula sonsige. Les vieux officiers, au nombre de quatre oucinq, limitrent.

    Vous vous en allez, colonel ? scria Pierreen sappuyant des deux mains sur la table. Cestune dfection ! le colonel qui fuit devant

    lennemi !... Eh ! vous autres, le punch !... cria-t-il en russe aux soldats de service. Prsentonslennemi au colonel, il nosera pas abandonnerson drapeau.

    Jai un rendez-vous daffaire, dit en souriantle chef du rgiment, vous voudrez bienmexcuser... Cest trs srieux ! ajouta-t-il dunton si grave, que Pierre et les autres officiersninsistrent pas.

    Le colonel se retira, serrant toutes les mains etrpondant tous les sourires.

    Quil est gentil, le colonel ! dit un lieutenant,il sen va juste temps pour se faire regretter.

    Parbleu ! cest un homme desprit ! rpondit

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    un capitaine de vingt-cinq ans environ, dcor dela croix de Saint-Georges, et dont la belle figure

    offrait un mlange trs piquant de gravit et demalice. Il a vu que Pierre allait dire des btises, etcomme il ne veut pas le mettre aux arrts pour lejour de sa fte...

    Des btises, moi ? Tu ne me connais pas !riposta Pierre avec une gravit innarrable.

    Tout le mess clata de rire.

    Des btises ! Est-ce que cest une btise quedavoir une famille pour chaque saison ! Cest aucontraire le moyen de ne jamais vivre seul. Or, leSeigneur a dit lhomme quil nest pas bon

    dtre seul !... Monte sur la table ! cria-t-on de toutes parts.Allons, en chaire ! nous allons avoir un sermon.

    Non, je ne monterai pas, fit Pierre ensecouant la tte ; je naurais qu mettre les piedsdans le punch.

    Le punch arrivait flambant, formidable, dansun norme bassin dargent aux armes durgiment. Les petits bois de mme mtal,

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    marqus aux mmes armes, qui remplaaient lesverres, se rangrent autour de la coupe

    magistrale, en corps darme bien ordonn.Pierre prit la grande cuiller et commena

    agiter consciencieusement le liquide enflamm.

    Ta famille dhiver, cela se comprend, dit unofficier ; la famille de chasse, cest raisonnableaussi ; mais que diable peux-tu faire de ta famillede printemps ?

    Est-ce que cela se demande ? fit Pierre avecun ton de supriorit sans gal.

    Mais encore ? insista un autre.

    Je lui fais la cour ! jeta triomphalement le

    jeune officier. Il ny a que des femmes.Un clat de rire roula dun bout lautre de la

    tente et revint sur lui-mme comme une balleviolemment lance contre une muraille. PierreMourief ne put conserver son srieux.

    Sur huit verstes carres de terrain, reprit-il,jai dix-neuf cousines. Il y en cinq dans la maison gauche de la route, en arrivant ; il y en troisdans la maison droite, deux verstes plus loin ; il

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    y en a sept sur la rivire et quatre au bord du lac.Total, dix-neuf. Et vous me demandez quoi bon

    ma famille de printemps !Il haussa les paules et se remit faire flamber

    le punch.

    laquelle as-tu fait la cour ? lui demanda unvoisin.

    toutes ! rpondit Pierre dun airvainqueur.

    Il rflchit un moment et reprit :

    Non, je nai pas fait la cour lane, parcequelle a trente-sept ans, ni la plus jeune, parcequelle a dix-sept mois et demi... Mais jai fait la

    cour toutes les autres. Oh ! si tu comptes les bbs... dit son voisin

    dun air ddaigneux.

    Les bbs ? sachez, monsieur, quil ny apire coquette quune petite fille de douze ans ; et

    comme elle est cense ignorer les vertusfminines, elle vient vous tirer par votre surtoutet vous dit : Eh bien ! cousin, vous ne me faitesplus de compliments ?

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    Accord ! rugit la moiti du mess la plusvoisine du punch.

    Mais as-tu russi prs de quelque autrecousine ? reprit lofficier la croix de Saint-Georges, en se rapprochant.

    Russi ?... Hum !... fit Pierre.

    Aprs une seconde de rflexion, il clata de

    rire en scriant : Oh ! que oui, jai russi ! jen ai enlev une !

    Enlev ?

    Quest-ce que tu en as fait ? cria-t-on.

    Ah ! voil ! en croisant les bras sur sa

    poitrine, quest-ce que je peux bien en avoir fait ?Mille suppositions se croisrent comme des

    baonnettes dans lair satur dalcool etdaromates. Le capitaine Sourof tait devenu trssrieux.

    quelle poque as-tu fait cette bellequipe ? demanda-t-il Pierre.

    Il y a environ six semaines, rpondit celui-ci : ctait pendant mon dernier cong.

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    Et tu ne nous en as jamais parl ? Oh ! lecachottier ! Oh ! le mystrieux ! Oh ! le mauvais

    camarade ! cirrent les jeunes fous en frappantdans leurs mains.

    Voulez-vous savoir mon histoire ? demandaPierre Mourief en reposant sa grande cuiller.

    Le punch ne flambait plus que faiblement ; lesplantons avaient allum de nombreuxcandlabres, il faisait clair comme en plein jour.

    Oui ! oui ! cria-t-on.

    Sourof navait pas lair content.

    Pierre, dit-il demi-voix, pense un peu ceque tu vas faire.

    Oh ! monsieur le comte, rpondit Pierre avecune gravit demprunt, soyez tranquille : onnoffensera pas vos chastes oreilles.

    Le comte rprima un geste dhumeur.

    L ! dit Pierre en posant la main sur le bras

    du jeune capitaine, tu marrtera si tu trouves queje vais trop loin.

    Ah ! le bon billet ! scria le voisin den

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    face.

    Pas si mauvais ! fit Pierre dun air narquois.

    Vous verrez que cest lui qui me priera decontinuer. Attention ! je commence.

    Le punch circula autour de la table, on allumades cigares, des cigarettes turques, des paquitosen paille de mas, en un mot tout ce qui peut sefumer sous le ciel, et Pierre commena son rcit.

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    II

    Je ne vous dirai point dans quelle maisonvivait la cousine que jai enleve, ni combien elleavait de surs ; cela pourrait vous mettre sur la

    voie, et je prfre laisser peser le soupon sur cesdix-neuf Grces ou Muses, votre choix. Je vousdirai seulement que ma cousine... Palmyre...

    Palmyre nest pas un nom russe ! cria unevoix.

    Disons Clmentine, alors !

    Clmentine non plus nest pas russe !

    Raison de plus, riposta Pierre, puisque je neveux pas vous dire son nom ! Ma cousineClmentine vient davoir dix-sept ans, et cest laplus mal leve dune famille o toutes les

    demoiselles sont mal leves. La cause de cettedplorable ducation est assez singulire. Matante Eudoxie, je vous prviens que ce nest passon nom, ma tante eut pour premier enfant une

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    fille admirablement laide. Dsole de voir cettefleur dsagrable spanouir son foyer, elle

    sappliqua lorner de toutes les vertus quipeuvent embellir une femme. Mais ma tantePrascovie...

    Eudoxie ! fit un cornette...

    Virginie ! reprit imperturbablement Mourief.Ma tante Virginie na pas la main heureuse.Quand il lui arrive de saler des concombres, ellemet gnralement trop de sel, et quand ce sontdes confitures, parfois elle ny met pas assez desucre. Cette fois elle traita sa fille comme lesconcombres, mais cette diffrence prs cest dusucre dont elle mit trop. Bref, pour parler clair,elle leva si bien sa fille ane, elle lui inculpatant de vertus et de perfections, que la chrecrature devint intolrable. Sa douceur chrtiennela rendait plus dplaisante que tout le vinaigredune conserve... Excusez, mes amis, cescomparaisons culinaires ; mais si vous saviez

    quel culte on professe pour les conserves chez matante Pulchrie !... Enfin ma cousine premiretait si parfaite, que ma tante, au dsespoir,

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    dclara que son second enfant, qui se fitbeaucoup attendre, par parenthse, slverait

    tout seul. Ainsi en fut-il. Ma tante reut du cielune jolie collection de filles qui se sont leveschacune sa guise, et je vous rponds que, dansla collection, il y en a dassez curieuses.

    Peut-on les voir ? fit un officier.

    Non, mon tendre ami.

    Pour de largent ! insista un autre.

    Pas mme gratis ! rpliqua Pierre. Or macousine Clmentine est la plus mal leve detoutes, jugez un peu ! Je ne vous citerai quundtail, il vous donnera une ide du reste : lorsque

    table on prsente un entremets de son got, ellefait servir tout le monde avant elle ; puis, aumoment o le domestique lui offre le plat, ellepasse son doigt rose sur lextrmit de sa languede velours et fait le simulacre de dcrire un cerclesur le bord du plat avec son doigt mignon.

    prsent, dit-elle, personne ne peut plus en vouloir,et tout est pour moi !

    Oh ! fit lassistance scandalise.

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    Et elle mange tout, car cest une joliefourchette, je vous en rponds. Voil donc la

    cousine que jai enleve. Vous me demanderezpeut-tre pourquoi, quand dans la collection demes cousines il y en a dautres certainementmoins mal leves, mme parmi ses surs, pourquoi jai prfr celle-l. Mais cest quelle aun avantage : elle est jolie comme un cur.

    Blonde ? dit un curieux. Chtain clair, avec des yeux bleus et des cils

    longs comme a.

    Pierre indiqua son bras jusqu la saigne.

    Grande ?

    Toute petite, avec des pieds et des mainsimperceptibles, une taille fine, fine comme unfil ; et de lesprit... oh ! de lesprit !

    Plus que toi ? fit le comte Sourof, redevenude belle humeur.

    Les femmes ont toujours plus desprit queles hommes ! fit sentencieusement PierreMourief. Il y a des hommes qui veulent fairecroire le contraire, mais...

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    Il passa deux ou trois fois son index devantson nez avec un geste ngatif fort loquent. Tout

    le mess battit des mains. Or continua le hros, ma cousine adore

    lquitation. Et de fait, elle a raison, car cheval,elle est divine. Elle monte un grand diable decheval, haut comme le cheval du colonel, maisplus maigre ; un de ces chevaux secs qui ruent,

    vous savez ? Celui-l ne dment pas les traditionsde sa race : il rue tout propos et sans propos. Ilfaut voir alors Clmentine, perche sur cettemachine fantastique, sincliner gracieusement enavant chaque ruade. Pendant que cette bte delApocalypse fait feu des quatre pieds, ma

    cousine a lair aussi son aise que si elle vousoffrait une tasse de th.

    Eh ! cest une matresse femme, ta cousine !fit observer un officier.

    Oh ! oui, scria Pierre, vous le verrez bien.

    Or, il y a peu prs six semaines, ctait aucommencement de mai, jtais assis sur un de cesbancs quon a dans les jardins, vous savez ? unetrs longue planche pose ses deux extrmits

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    de faon flchir sous le poids du corps...

    Oui, une balanoire mouvement vertical.

    Justement. Jtais assis l-dessus, aidant ma digestion par un exercice mesur, mebalanant lgrement de bas en haut et de haut enbas, comme un bonhomme suspendu un fil decaoutchouc. Il tombait des chenilles dun grosarbre qui ombrageait cette balanoire, je lesvois encore, lorsque jentendis un grand fracasde portes vitres.

    Oh ! me dis-je, une vitre casse !

    Je prte loreille. Non ! la vitre ntait pascasse. Sauv ! merci mon Dieu, pensai-je en

    reprenant ma cigarette.Javais peine profr cette oraison

    jaculatoire, que japerus un tourbillon blanc quidgringolait le long du perron. Il faut vous direque ce perron est compos de neuf marches sihautes, quon se cogne les genoux contre le

    menton quand on les monte. Jugez un peu sil estfacile de les descendre. Le tourbillon blanc arrivesur le gazon, maperoit, sarrte effar, reprend

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    sa course et se jette dans mes bras si fort, que jemanque de tomber la renverse de lautre ct du

    banc. Oh ! mon cousin, je suis bien malheureuse !

    me dit Clmentine en pleurant chaudes larmes.

    Je lavais reue dans mes bras, je nosai lyretenir : les fentres de la maison nousregardaient dun air furibond. Je lassis sur lebanc auprs de moi et je repris ma place. Javaisperdu ma cigarette dans la bagarre.

    Contez-moi vos peines, ma cousine ! lui dis-je.

    Elle est toujours jolie ; mais, quand elle

    pleure, elle a quelque chose de particulirementattrayant.

    Maman me fera mourir de chagrin ! me dit-elle en se frottant les yeux de toutes ses forcesavec son mouchoir, dont elle avait fait un toutpetit tampon, gros comme un d coudre. Elle ne

    veut plus que je monte Bayard ! Votre grand cheval ? fis-je un peu

    interloqu.

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    Oui, mon pauvre Bayard, il maime tant ! Ilest si doux !

    Sur ce point, je ntais pas de lavis deClmentine, mais je gardai un silence prudent.

    Maman lui en veut, je ne sais pourquoi...Pour me contrarier, je crois. Eh bien ! oui, il ruequelquefois ; mais qui est-ce qui est parfait ?

    Je minclinai devant cette vritphilosophique.

    Hier, il tait de mauvaise humeur ; notrejuge de paix est venu avec nous pied jusquaubois...

    Je le sais, je vous accompagnais.

    Ah ! oui. Eh bien ! arriv au foss de sable,Bayard sest mis ruer, et le juge de paix a tcouvert de poussire. Ah ! ah ! fit Clmentinedj console, en clatant de rire ; mon Dieu,quil tait drle ! En a-t-il mang, du sable ! alempchera de parler ses pauvres paysans,quil malmne ! Et maman est furieuse ! Elle ditque Bayard est une vilaine bte, et quil faut luifaire traner le tonneau... vous savez, le tonneau

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    pour aller chercher de leau de source, l-bas,dans la valle ?

    Oui, oui, je sais. Jespre bien que lorsquon lattellera il se

    dpchera de tout casser et quil dfoncera letonneau.

    Ah !

    Maman aura beau dire, Bayard nest pas unevilaine bte. Et puis, sil a ru hier, ce nest pas safaute...

    Ah ! ce nest pas sa faute ? fis-je enregardant Clmentine la drobe.

    Non ! dit-elle bravement cest moi qui laifait ruer. a mamuse : je le lui ai appris.

    Vous avez trouv un colier docile, lui dis-je, ne sachant que rpondre.

    Oh ! oui, il tait peut-tre un peu dispos denaissance, mais il est trs obissant.

    Pour cela !... ajoutai-je.Clmentine ny fit pas attention.

    Je le dteste, ce juge de paix, reprit-elle.

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    Savez-vous pourquoi ?

    Non, ma cousine.

    Eh bien, cest un prtendu ! Cest pour celaque maman est si fche.

    Un petit frisson de jalousie me mordit le cur.Jusque-l, je navais regard Clmentine quecomme une enfant absurde et charmante ; mais

    lombre de ce juge de paix venait de bouleversermes ides.

    Un prtendu pour vous ? lui dis-je.

    Pour moi, ou pour Sophie, ou pour Lucrce,ou pour... (Elle nomma encore quelques surs.)Cest un prtendu en gnral, vous comprenez,

    mon cousin.Lide de ce prtendu en gnral tait

    moins effrayante. Cependant, je ne retrouvai pasma tranquillit. Clmentine, tout fait calme,avait mis en branle notre balanoire lastique, etle bout de son pied mignon, effleurant la terre detemps en temps, nous communiquait uneimpulsion plus vive. Machinalement, je me mis limiter, et pendant un moment nous nous

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    balanmes sans mot dire.

    Dites donc, mon cousin, fit tout coup

    Clmentine, est-ce quon se marie dans les gardes cheval ?

    Mais oui, ma cousine, on se marie...certainement ! Pas beaucoup, mais enfin...

    Pas beaucoup ? rpta Clmentine en fixant

    sur moi ses jolis yeux bleus encore humides delarmes.

    Cest--dire quil y a beaucoup dofficiersqui ne se marient pas, ou qui quittent le rgimentlors de leur mariage ; mais il y a aussi desofficiers maris.

    Clmentine continuait se balancer ; moiaussi. Une grosse chenille tomba sur ses cheveux.

    Permettez, ma cousine, lui dis-je ; vous avezune chenille sur la tte.

    Elle inclina sa jolie tte vers moi, et je

    mefforai de dgager cette sotte chenille descheveux friss et rebelles o elle saccrochait. Centait pas tche aise : la maudite craturerentrait et sortait ses pattes dune faon si

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    malencontreuse que javais grand-peur de tirerces beaux cheveux chtains. Mes mains,

    dailleurs, taient fort maladroites. Je russispourtant.

    Voil qui est fait, ma cousine, lui dis-je.

    Je me sentais fort rouge. Elle navait pasbronch.

    Merci ! dit-elle.Et nous recommenmes nous balancer.

    Je ne sais quel lutin se mlait de nos affaires ; une seconde chenille tomba, cette fois surlpaule de Clmentine. Je la saisis sans criergare, et jeus le temps de sentir la peau tide et

    souple sous la mousseline de son corsage. Il en pleut donc ? dit-elle tranquillement en

    levant les yeux vers larbre.

    Allons-nous-en, lui dis-je, m par unecertaine envie de lentraner dans les alles

    dsertes et ombrages du vieux jardin. Mais non, dit-elle ; cest trs amusant de se

    balancer. Sil tombe des chenilles, vous me lesterez.

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    Je ne demande pas mieux, ma cousine,rpondis-je.

    En mme temps je touchai la terre du pied etnous voil repartis. Hop ! hop !

    Au bout dun moment, Clmentine me dit sanslever les yeux :

    Est-il vrai, mon cousin, que je sois si

    mchante ? Mais non... lui rpondis-je. Vous tes

    seulement un peu... fantasque.

    Maman me dit que je suis dtestable, et quepersonne ne peut maimer.

    Oh ! par exemple ! fis-je avec chaleur.

    Vous maimez, vous ? dit-elle ingnument,en plongeant ses yeux droit dans les miens.

    Oui, je vous aime ! mcriai-je tout perdu.

    Les chenilles, Bayard, le juge de paix et cettebalanoire endiable mavaient fait perdre la tte.

    L ! quand je le disais ! fit Clmentinetriomphante. Eh bien ! mon cousin, pousez-moi.

    Je vous avoue, mes amis, que, quand je

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    Un clat de rire interrompit lorateur.

    Est-ce de moi, messieurs, ou delle que vous

    riez ? fit Pierre en se levant.Il avait arros son rcit dun certain nombre de

    verres de punch, et ses yeux nannonaient pasdes dispositions trop pacifiques.

    Cest que je nentends pas quon rie ni de

    lun ni de lautre ! continua-t-il.Sourof le tira par la manche.

    Cest du camp que nous rions ! lui dit-il.Continue !

    Bon ! fit Mourief. Cest que ce nest pasrisible au moins !

    Non, non, va toujours !

    Eh bien ! messieurs nous voil fiancs.Seulement, me dit Clmentine, nen parle pas maman : tu sais quel est son esprit decontradiction ; nous en parlerons quand il sera

    temps... Fort bien ; mais javais oubli que moncong allait finir et que je partais lesurlendemain.

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    III

    Vous me croirez si vous voulez, mes chersamis, continua Pierre aprs avoir fait circuler lepunch autour de la table : la perspective de ce

    mariage ne meffrayait pas du tout. Parbleu ! une si jolie femme ! fit-on de loin.

    Jolie, oui, mais pas commode... une peudans le genre de son cheval, qui ruait dune faonsi obissante ! Mais dans ce moment-l je nypensais pas. Dailleurs, ctait lheure du dner.Clmentine senvola, je la suivis. Elle grimpaitbien mieux que moi cet espce descalier encasse-cou dont je vous ai parl, et je ne laretrouvai qu table, tirant les oreilles sa plusjeune sur, qui poussait des cris de paon. Matante eut beaucoup de peine rtablir unsemblant de calme dans cet intrieur agit par levent dune tempte perptuelle, au moral,sentend. Le silence se fit devant les assiettes

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    pleines de soupe trop grasse, que le cuisinier dece chteau fait la perfection. Ma bonne tante,

    qui est maigre comme un clou, se dlectait. Oh ! la bonne soupe ! disait-elle de temps en

    temps.

    Ma fiance, dun air innocent, dgraissait lasienne par petites cuilleres dans lassiette de sonvoisin, le prtre de la paroisse, invit, ce jour-l loccasion de je ne sais quelle fte. Le bravehomme ne sen apercevait pas, absorb quil taitdans lexplication pineuse dun litige clrical.Nous touffions tous nos rires. Enfin ma tantesaperut du mange de sa fille.

    Oh ! fi ! lhorreur ! scria-t-elle. Jai fini, maman ! rpondit ma fiance en sehtant davaler son potage.

    Elle posa sa cuiller sur son assiette et promenasur lassemble un regard satisfait.

    Cette conduite aurait d me donner rflchir.Et bien ! non. Je trouvai Clmentine adorable.Elle ne prenait peut-tre pas tout fait assez ausrieux le changement qui stait fait dans son

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    existence, mais elle tait si bien comme cela !

    Aprs dner, on joua aux gorelki.Chacun prit

    sa chacune, et les couples salignrent. Vousconnaissez ce jeu : celui qui na pas trouv departenaire est charg de donner le signal et decourir aprs les autres. Je cherchais Clmentinepour lui donner la main, lorsquelle apparuttenant par le collier un norme chien de Terre-

    Neuve quelle adore, et qui sappelle Pluton. Quest-ce que vous voulez faire de cette

    bte ? lui dis-je.

    Cest mon cavalier ! rpondit-elle en serangeant avec son chien dans la file des couples.

    Pluton sassit sur sa queue et tira la langue. Eh bien, et moi ?

    Vous ? fit-elle en me riant au nez. Cest vousqui brlerez !

    De fait, jtais le dernier, et il ny avait plus de

    dames. la grande joie des gens srieux restssur le balcon, je pris la tte de la file et je donnaile signal en frappant des mains. Le premiercouple situ derrire moi se spara, et, passant de

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    chaque ct de ma personne, essaya de serejoindre en avant. Je feignis de vouloir saisir la

    jeune fille, mais sans beaucoup denthousiasme,et le couple haletant, runi de nouveau, retourna la queue pour attendre son tour. Je fis de mmeavec plusieurs autres : ctait Clmentine quilme fallait, et jtais curieux de voir ce quelleferait de son chien quand je laurais attrape.

    Un coup dil furtif mavertit que ctait elle de courir. Je frappai dans mes mains : Unedeux, trois ! Une boule noire passa ma droite,un nuage blanc ma gauche. Je me dirigeai versle nuage blanc, mais au moment o jallaislatteindre...

    Pille, Pluton ! cria ma fiance.Pluton saccrocha dsesprment aux pans de

    mon surtout duniforme.

    Je me mis tournoyer, pensant faire lcherprise mon adversaire ; mais celui-ci avait

    coutume de nobir qu un mot magique dont jenavais pas le plus lger souvenir. Moiti riant,moiti fch, je cessai de tournoyer, et je regardailassistance. Ils riaient tous se pmer.

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    Les jeunes officiers qui coutaient ce rcit nese faisaient pas non plus faute de rire. Pierre, trs

    srieux, reprit son discours aprs un court silence. Clmentine stait laisse tomber par terre et

    riait plus que tous les autres ensemble. Entredeux crises, ma tante, qui nen pouvait plus, luicriait : Fais donc lcher pluton !

    Je ne peux pas !... rpondait ma fiance enriant de plus belle.

    Eh bien ! lui dis-je, ne vous gnez pas !Quand vous aurez fini...

    Et je tentai de masseoir aussi sur le gazon ;mais Pluton grommelant me tira si

    nergiquement, que je fus oblig de rester debout.Enfin Clmentine reprit son srieux et dit sonchien :

    Cest bon, Pluton !

    Lanimal, docile, desserra les dents et vint secoucher prs delle. Cest comme a quellelevait les btes.

    Les officiers applaudirent vivement laproraison de leur camarade. Aprs ? aprs ?

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    cria-t-on de toutes parts.

    Pierre promena sur lassemble un regard

    triomphant et reprit : Il ny eut pas moyen de parler avec elle ce

    soir-l. Dailleurs, je lui gardais un peu rancunedu procd de son chien. Jallai donc me coucheren me promettant de lui faire entendre raisonquand elle serait ma femme.

    Le lendemain matin, il ntait pas encore septheures, jentendis une pluie de sable, ml de fingravier, tomber contre mes vitres. Je sautai lafentre, je louvris et jentendis un clat de riresenfuir au loin sous les grandes alles du vieux

    jardin. Je fus vite habill et vite arriv au fond dece mystrieux fouillis de verdure... Rien !

    Je cherchai dans tous les bosquets, dans toutesles retraites... Rien !

    Et de temps en temps un rire argentin medfiait travers les charmilles.

    Enfin, comme je commenais avoir envie deretourner la maison prendre mon caf, carjtais jeun, je vis, entre deux alisiers, le

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    visage mutin de ma fiance. Je bondis vers elle,et, non sans me piquer un peu les doigts, je la

    saisis par la taille.Ah ! mes amis !... je navais pas eu le temps

    de sentir palpiter son cur sous ma main, que jereus... jen rougirai jusqu mon dernier jour... jereus un matre soufflet !

    Pierre, penaud, regarda son auditoire, quimanquait absolument de gravit. Le comteSourof souriait dun air content.

    Ah ! a vous amuse ! reprit le hros de lafte. Eh bien ! moi, a ne mamusa pas. Ce nestpas gentil, lui dis-je ; est-ce quun fianc na pas

    le droit dattraper sa fiance quand elle lui faitdes niches ?

    Non ! me rpondit-elle toute rouge decolre ; et, si tu recommences, je le dirai maman.

    Mais, ma chre, quand nous serons maris...

    Eh bien ! fit-elle avec un aplomb qui merenversa, ce nest pas une raison pour tregrossier, quand on est mari ! Jeu de main, jeu de

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    vilain !

    Elle me tira la langue, messieurs ; elle me tira

    positivement la langue et me tourna le dos. Je netentai pas de la suivre.

    Jtais assis depuis cinq minutes dans la salle manger, devant ma tasse de caf la crme, bienparfum, et je savourais avec dlices les petitspains au beurre tout chauds quon ne fait nullepart aussi bien que chez ma tante... lorsque je visentrer Clmentine. Nous tions les premiers cette heure matinale.

    Fort grave, encore un peu rouge de sa rcentecolre, elle sassit ct de moi, se fit donner une

    tasse de caf et tira elle le sucrier. La vieillegouvernante tte de brebis, qui a vainementessay dduquer toute cette bande indiscipline,poussa un soupir, nessaya pas de protester etregarda ailleurs. Les doigts de Clmentinefouillaient dans le sucrier dargent avec de petits

    tintements trs joyeux ; elle avait missoigneusement les pinces de ct. Dlibrment,elle jeta un morceau de sucre dans sa tasse, puis,du mme air tranquille, un autre morceau dans la

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    mienne.

    Mais, cousine, lui dis-je, mon caf est sucr.

    a ne fait rien, rpondit-elle sans setroubler ; et deux autres morceaux de sucretombrent dans mon pauvre caf. Elle remplit sapropre tasse jusqu la faire dborder, puis tenditle sucrier vide la gouvernante. Je commenais deviner son projet.

    Il ny en a plus ! dit-elle. Allez en chercher,je vous prie.

    La pauvre gouvernante poussa un autre soupir ctait le fond de sa conversation et sortitavec les clefs.

    Pierre, dit Clmentine, pardonnez-moi !Je la regardai : elle avait vraiment lair

    srieux.

    Je ne vous en veux pas, lui rpondis-je, condition que vous ne recommencerez pas.

    Ni vous non plus, fit-elle vivement. Marchfait !

    Messieurs, quauriez-vous dit ma place ?

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    March fait ! rpondis-je.

    Elle frappa joyeusement des mains.

    Ah ! la bonne vie que nous allons mener !dit-elle. Quel dommage que vous partiezdemain !... Mais vous reviendrez bientt ?

    Certainement ! fis-je avec conviction.

    La journe se passa trs agrablement. Mes

    mains avaient de temps en temps des vellitssoigneusement rprimes de rder autour de macousine ; mais, cela prs, tout alla fort bien. Matante ne gronda sa fille que deux ou trois fois ;ses autres filles, dailleurs, ne lui laissrent pasbeaucoup le loisir de soccuper delle. Malgr

    cela, je ne pus changer une parole en particulieravec Clmentine, qui sarrangeait toujours pouravoir quelquun en tiers dans nos rencontres.

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    IV

    Le lendemain tait le jour de mon dpart. Dsle matin, aprs avoir command mes chevauxpour huit heures du soir, je descendis au jardin

    pour essayer de causer avec ma fiance, et jallaime poster sur cette fameuse balanoire tmoin denos serments.

    Je me demandais depuis un quart dheure, pardsuvrement, lorsquelle descendit le terribleperron et vint sasseoir auprs de moi.

    La circonstance tait solennelle ; nanmoins,ma jeune fiance toucha la terre du pied commeAnte, et hop ! nous voil en lair.

    Je pars ce soir, lui dis-je en sautillant enmesure sur la planche.

    En effet, rpondit-elle sans trop demlancolie ; et quand reviendras-tu ?

    Cest toi de me le dire, rpliquai-je. Tu

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    mas dfendu de parler ta mre.

    Oui, fit Clmentine dun air pensif, sans

    cesser toutefois de nous balancer ; elle ferait debeaux cris si elle savait que je suis fiance. Il fautattendre que Liouba soit marie.

    Je ne pus retenir une exclamation dsole.Liouba tait la fille ane dont les perfectionssans nombre avaient pouss ma pauvre tante larsolution dsespre de laisser ses enfantsslever eux-mmes.

    Liouba ! Seigneur Dieu ! Autant vaut parlerdes calendes grecques.

    Tu crois ? fit Clmentine dun air soucieux.

    Eh bien ! Lucrce, au moins...Lucrce avait vingt-trois ans, et son il

    gauche regardais son nez depuis le jour de sanaissance.

    Ce nest pas beaucoup plus consolant, dis-jeen secouant la tte.

    Eh bien ! quand tu voudras ! fit ma fianceavec une rsignation sereine. Tout de suite si tuveux !

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    Je rflchis et je me dis quavant de faire unedmarche aussi importante il fallait bien consulter

    un peu mes parents. Non, pas tout de suite, lui rpondis-je : on ne

    traite pas ces choses-l au pied lev. Tumcriras, la caserne des gardes cheval, tusais ?

    Oui, cest entendu !

    Et tu vas me laisser partir comme a, sans unpauvre petit baiser ?

    Elle me regarda de travers.

    Tu membrasseras, dit-elle, quand nousaurons bais les saintes images.

    Cette allusion la crmonie de nos fianaillesne me causa pas toute la joie que jtais en droitden attendre. Nanmoins, je ne fis point lagrimace, et je profrai quelques parolesappropries la circonstance. Clmentinemcoutait en se balanant, et ce balancement,auquel je participais sans le vouloir, retirait, jedois lavouer, un peu de chaleur mesprotestations. Cependant, grce aux jolis yeux et

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    aux joues roses de ma cousine, je sentais renatremon loquence, lorsque Clmentine bondit

    terre, me laissant sur la balanoire, fortinterloqu, je lavoue. Je faillis tomber de lasecousse, et, pendant que je reprenais pied, elletait dj loin.

    Jentendis, deux minutes aprs, les gammeschromatiques les plus lamentables rouler dun

    bout lautre du piano sous les doigts de fer dema fantasque cousine, et je renonai lespoirdune conversation plus srieuse.

    Je me trompais cependant : le ciel me rservaitune surprise. Une heure avant le dner, la maisonjouissait de la plus douce tranquillit, ce pointque deux ou trois fois la gouvernante inquitestait drange pour sassurer quil ntait arrivaucun malheur : je fumais ma cigarette sous lamarquise, quand jentendis des cris aigus retentir ltage suprieur.

    La gouvernante disparut. La voix de ma tantese fit entendre, dominant le tumulte par unformidable : Cest trop fort, la fin,mademoiselle !

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    Prvoyant une explication de famille, etnaturellement dou dune rpugnance instinctive

    pour ces sortes de choses, je mloignaidiscrtement et je menfonai dans les charmillesdu vieux jardin.

    Javais fait deux ou trois fois le tour dulabyrinthe et je navais rencontr que descolimaons, lorsque jentendis des pas prcipits,

    des froissements de verdure, et mon nom cri demi-voix par ma fiance en personne.

    Je marrtai, je criai : Ici... Et, une minuteaprs, Clmentine, palpitante, se jeta dans mesbras, comme lavant-veille. Mais, craignant unsecond soufflet, je mabstins de la serrer sur moncur.

    Emmne-moi ! dit-elle en fondant en larmes.

    Je tirai mon mouchoir de poche, elle avaitperdu le sien, et jessuyai ses yeux. Peineinutile ! elle avait l deux robinets de fontaine.

    Quand le mouchoir fut tout fait mouill, elleltendit sur un buisson pour le faire scher, et seslarmes sarrtrent delles-mmes.

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    Nous avions gagn un petit kiosque moisi, quiformait le centre du labyrinthe. Ctait une espce

    de couvercle port sur huit colonnes depuislongtemps dvores par la mousse. Le pltretomb par morceaux laissait voir la brique decette laide architecture. Une peuplade nombreusede grenouilles, choques par notre intrusion dansleur paisible domaine, sautillait et l dun air

    menaant.Clmentine, qui naimait pas les grenouilles,

    sassit la turque sur un des bancs de pierreplacs entre les colonnes et ramassasoigneusement ses jupes autour delle. Elle avaitlair dune petite idole hindoue bien gentille,

    sans multiplication de bras ni de ttes. Quest-ce quil y a ? lui dis-je enfin.

    Il y a que ma mre me fera mourir dechagrin ! rpondit ma cousine en pleurant nouveau.

    Je nai plus de mouchoir, lui fis-je observeravec douceur.

    Elle essuya ses yeux dans un pli de sa robe et

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    reprit son calme.

    Je suis la plus malheureuse des filles, dit-elle

    en se croisant les bras.Comment faisait-elle pour garder lquilibre,

    cest ce que je me demande encore.

    Ma mre a jur de me faire mourir dedsespoir !

    Quest-ce quelle ta fait, ma pauvre chrie ?lui dis-je en masseyant tout prs delle.

    Elle rangea un peu les plis de sa jupe, serecroisa les bras et continua.

    Cest un systme. Avant-hier, ctaitBayard ; aujourdhui, cest Pluton ; demain, cesera toi, probablement ! Tous ceux que jaime,scria Clmentine en levant ses yeux indignsvers le petit couvercle en briques moisies quinous abritait.

    Lassociation entre Pluton, Bayard et moi ne

    me flattait que mdiocrement ; mais la fin de laphrase tait un heureux correctif. Je tmoign unesorte de reconnaissance par un tendre regard, etClmentine reprit en hochant la tte avec

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    vhmence :

    Oui, ce matin, ils nont pas eu honte

    datteler Bayard au tonneau ! Mon noble Bayard ce mprisable tonneau ! Aussi je lui ai fait : Kt !kt ! et il a tout dfonc. Je te lavais bien dit !

    Je ne pus garder mon srieux lide de cespectacle, dont javais t priv grce lafcheuse ncessit de ranger ma valise.Clmentine, gagne par mon hilarit, montra sespetites dents blanches dans un clat de rire muet,puis reprenant sa gravit et son discours :

    Javais besoin de me venger, dit-elle. Lecocher avait dit quon ferait un autre brancard

    beaucoup plus long et qualors Bayard auraitbeau ruer, une fois attel il ne pourrait plus riencasser... Il nest pas bte, le cocher ! fit-elle en setournant brusquement vers moi.

    Non, il nest pas bte ! rptai-je dun airconvaincu.

    Jtais dcid dire comme elle. Mais il est mchant, reprit ma fiance,

    puisquil a trouv moyen de rduire mon brave

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    Bayard au vil mtier de porteur deau ! Je voulaisdonc me venger... Tu sais que je couche dans la

    chambre de ma sur Lucrce ? Non, je ne le savais pas.

    Eh bien ! cest la vrit. Or, elle dteste leschiens en gnral, et mon chien Pluton enparticulier. Alors, pendant quelle faisait la siestesur son lit, jai t chercher Pluton, je lui ai misdes chiffons autour des pattes, il sest laissfaire : il est si bon ! cest un agneau !...

    Javais bien des raisons pour ne pas adorer cetagneau-l, mais je les gardai pour moi.

    Alors, continua-t-elle, vois-tu dici Pluton

    avec des bottes fourres, montant lescalier ? Jele tenais par le collier et je lui disais loreille :Tout beau ! Il marchait bien doucement, et noussommes entrs dans la chambre. Je lui ai montrmon lit. Il a tant desprit, il a compris tout desuite, et il a saut dessus. Ma sur a un peu

    remu, mais elle ne sest pas rveille. Cest ceque je voulais. Jai tourn la tte de Pluton duct de la chambre : a, par exemple, a na past facile ; je lai couch sur loreiller, je lui ai

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    pass une camisole, je lui ai jet un chle sur lecorps, et aprs avoir dmaillot ses belles grosses

    pattes noires, je les ai allonges sur le matelas.Jamais tu nas vu douceur pareille. Ah ! si lesgens valaient mon chien, le monde irait bienmieux !

    Jacquiesai dun signe. Elle continua.

    Jai donn mes ordres Pluton et je suisalle masseoir prs de la fentre avec monouvrage. Comme Lucrce ne se rveillait pas, jaitouss un peu... Elle ouvre les yeux, se retourne,et tout prs delle, couch sur mon lit, ma place,elle voit la figure noire de Pluton qui la regardaiten tirant la langue. Il avait chaud, tu comprends,sous ce chle... Si tu savais comme elle a cri !

    Je riais de si bon cur, que Clmentine devinttoute triste.

    Oui, oui, dit-elle, cest trs drle, mais elle aappel maman, qui est venue ; on a voulu battre

    mon Pluton ! Il sest lev, il a dchir macamisole, il a grogn, montr les dents, et mamana dcid quon lenverra la mtairie que nousavons cinquante verstes dici... Lexil ! pauvre

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    Pluton !... Et moi, que vais-je devenir ? On rosseBayard, on exile mon chien, et tu ten vas !

    Elle recommena de pleurer, et cette fois je nelui offris pas de mouchoir : jtais mu de sadouleur sincre, bien quil ft difficile dereconnatre la part qui men revenait entre soncheval et son chien.

    Elle sauta bas de son banc, tenant toujours sarobe un peu releve, de crainte des grenouilles.Ses jolis petits pieds, chausss dtroites bottinesmordores, brillaient comme du bronze sur levieux pav.

    Emmne-moi ! dit-elle. Je ne veux pas rester

    ici ! Mais, ma chrie !... lui dis-je.

    Emmne-moi ! dit-elle en frappant de sonpetit pied dor.

    Je ne puis pas ainsi...

    Enlve-moi ! on enlve les jeunes filles dansles romans, et on les pouse. Tu mamneras tesparents ; ils me connaissent bien ! Ton premaime beaucoup. Enlve-moi !

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    Mais, ma mignonne...

    Tu ne veux pas ? Cest donc que tu ne

    maimes pas ! Oh ! le monstre, qui a menti ! Ehbien ! moi, je ne rentrerai pas dans cettemchante maison o lon crie toute la journe, olon se dispute, o lon ne maime pas... je menirai !

    O ? lui dis-je.

    Sa colre mamusait et me touchait la fois.

    Elle me parut tout coup grandir dunecoude ; ses yeux lancrent un clair, un vrairegard de femme, non denfant.

    L ! dit-elle en allongeant le bras vers la

    rivire qui brillait au soleil, quelque pas denous.

    Elle avait dit ce met si srieusement, que jefrissonnai.

    Non, ma chrie ! lui dis-je en lui caressant la

    main bien timidement : non, je ne veux pas. Emmne moi, alors ! fit-elle en se tournant

    vers moi, toute ple, les yeux gros de larmes.

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    Ses lvres avaient lexpression dun enfantboudeur qui veut quon le caresse et quon se

    rconcilie avec lui. Eh bien ! oui ! lui dis-je, moiti fou...

    Cette expression caressante, ces yeux pleins deprire mavaient ensorcel.

    Merci ! fit-elle en sautant de joie. Ce soir ?

    Oui, ce soir huit heures. Je tattendrai au bout du jardin. Pars comme

    lordinaire, et au bout du jardin fais arrter tontarantass. Je te rejoindrai.

    Nous ntions pas loin de Ptersbourg :quelques heures de poste nous en sparaient. Jeme dis que je la mnerais chez ma mre, aussittarriv... Le sort en tait jet, jpouseraisClmentine.

    Elle me serra joyeusement les mains, puissarrta, prtant loreille : la cloche sonnait le

    dner. Elle menvoya un baiser du bout de sesdoigts mignons et disparut, toujours relevant sarobe de peur des grenouilles.

    Je fis une sotte figure pendant le dner. Je

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    nosais affronter les regards de ma tante, qui mecomblait dattentions et de bons morceaux. Elle

    eut la bont prvoyante de faire mettre un pouletrti dans mon tarantass. Lide de ce poulet queje mangerais clandestinement avec sa filleminspirait des remords au point darrter lesbouches dans ma gorge, ce que voyant, ma tantefit joindre au poulet un gros morceau de tarte

    pour souper.Le regard de ma fiance suivit joyeusement la

    tarte, et, audace indigne ! elle me cligna de lil !Cette jeune fille navait pas ide de mestourments !... Enfin vint le soir, et lheure dudpart. Mon tarantass, attel de trois chevaux de

    poste, arriva tout sonnant et grelottant devant leperron. Ma tante me bnit ; toutes mes cousinesme souhaitrent un bon voyage, je grimpai dansmon quipage, dont, la surprise gnrale, je fislever la capote, malgr la beaut de la soire ; jemassis, et, fouette cocher ! je laissai derrire

    moi la demeure hospitalire envers laquelle je memontrais si ingrat.

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    V

    Pierre Mourief sinterrompit et promena sonregard sur le mess. Deux ou trois officiersvaincus par le nombre des flacons vids,

    sommeillaient placidement ; le reste delassemble attendait avec curiosit la fin de sonrcit.

    Le comte Sourof, devenu fort grave, regardaitPierre dans le blanc des yeux.

    Je vous ennuie ? fit celui-ci dun airinnocent.

    Non, non, continue, dit Sourof de sa voixcalme.

    Ah ! je ty prends. Vous tes tmoins,messieurs et amis, que cest Sourof qui ma dit de

    continuer ; je lavais prdit ! Vous en preneznote ?

    Oui ! oui ! lui rpondit-on de tous cts.

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    Le jeune comte sourit.

    Eh bien ! je te le dis une fois de plus,

    continue ! dit-il de bonne grce.Pierre lui fit le salut militaire et reprit son rcit

    aprs avoir mis sa chaise lenvers pour sasseoir califourchon.

    Je tournai le coin du jardin, suivant quil

    mavait t ordonn, et je fis arrter monquipage. Personne ! Un instant je crus que cetteproposition denlvement navait t quuneaimable mystification de ma charmante cousine,et je ne saurais dire qu cette ide mon curprouvt une douleur bien vive ; mais je faisais

    injure Clmentine. Je la vis accourir danslalle, un petit paquet la main : elle ouvrit laporte palissade qui donnait sur la route, et, dunsaut, bondit dans la calche. Je sautai aprs elle.

    Touche ! dis-je mon postillon, Finnoisflegmatique qui stait endormi sur son sige

    pendant cette pause.Quand vous aurez une femme enlever, mes

    amis, je vous recommande de prendre un cocher

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    finnois ; ces gens-l dorment toujours, netournent pas seulement la tte et ne se rappellent

    jamais rien. Au fait, vous savez cela aussi bienque moi, et ma recommandation tait inutile.

    Mon postillon se secoua, secoua aussi lesrnes sur le dos de ses btes, fit entendre unsifflement mlancolique, et nous voil partis.

    Ds que je fus remis dune alarme sichaude , je me tournai vers ma fiance. Elle memit dans les mains son petit paquet.

    Tiens, dit-elle, pose a quelque part.

    Quest-ce que cest ? lui demandai-je enpalpant des objets ronds ; lenveloppe tait un fin

    mouchoir de batiste nou aux quatre coins. Ce sont des provisions de bouche pour la

    route, me rpondit-elle.

    Je dnouai le mouchoir, curieux de savoir ceque Clmentine appelait des provisions debouche. Je trouvai une longue tranche de painnoir, coupe en deux et replie sur elle-mme,avec du sel gris au milieu, et deux oranges.

    La situation tait si grave, que cette

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    dcouverte me laissa srieux.

    Jai vol les oranges la femme de charge,

    dit-elle, et le pain noir la cuisine. Je voulaisprendre aussi des confitures, mais je nai pastrouv dans quoi les mettre.

    a naurait pas t bien commode, lui fis-jeobserver, et puis nous navons pas de pain blanc.

    Oh ! fit Clmentine, les confitures, a semange sans pain !

    Il ny avait rien rpondre. Aussi je gardai lesilence.

    Nous roulions, pas trs vite ; les chevaux quinous tranaient avaient videmment couru au

    moins une poste le jour mme. Singulierenlvement ! Une jeune fille qui emporte pourtout bagage un mouchoir de batiste, et deschevaux qui ne peuvent pas courir !

    Va donc plus vite ! dis-je en tapant dans ledos de mon Finnois pour le rveiller.

    a ne se peut pas, Votre Honneur ! rpondit-il dun air ensommeill, en se tournant demivers nous. Le cheval de gauche a perdu un fer, et

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    la jument de brancard boite depuis deux ans.Mauvais chevaux, Votre Honneur, il ny a rien

    faire !Puisquil ny avait rien faire, je me rassis,

    dpit. Clmentine riait :

    Cest trs amusant ! disait-elle. Comme cestamusant !

    Notez quil faisait encore trs clair, et quenous croisions tout moment des paysans quirevenaient du travail. Ils taient leur chapeau etrestaient bouche bante nous regarder sur lebord de la route. Clmentine leur faisait de petitssignes de tte fort bienveillants.

    Mais, ma chre, lui dis-je, tu veux doncquon coure aprs nous ?

    Oh ! il ny a pas de danger ! fit-elle ensecouant la tte. Pourquoi veux-tu que ces gensaillent raconter chez nous que je me promneavec toi sur la route ! Et puis, quand ils le

    diraient, on croirait que cest une de mes folies.Ctait vrai pourtant ! mon excellente tante

    tait si loin de me souponner, que, lui et-on dit

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    que je fuyais avec sa fille sur la route dePtersbourg, elle net pas daign y attacher

    dimportance.Cette pense mavait amoindri mes propres

    yeux. Nous traversions une fort peu loigne dela maison de ma tante ; il ny avait plus depaysans sur la route, le soleil tait couch, lesrossignols chantaient plein gosier dans le taillis,

    mon Finnois dormait comme un loir ; je mesentis plein daudace, et je rsolus de profiter desavantages que me donnait ma situation.

    Cher ange !... dis-je Clmentine en merapprochant, non sans une infinit de prcautions.

    Clmentine fouillait dans sa poche avec uneinquitude vidente.

    Quy a-t-il ? lui demandai-je en interrompantmon bel exorde.

    Jai oubli mon porte-monnaie ! fit-elle avecdsespoir.

    Cest un dtail. Combien y avait-il dans tonporte-monnaie ?

    Soixante-quinze kopecks, rpondit-elle en

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    tournant vers moi ses grands yeux pleins detrouble.

    Ce nest pas une fortune ; ma mre tedonnera un autre porte-monnaie, lui dis-je parmanire de consolation.

    Cest ma tante Mourief qui va tre tonne !scria Clmentine en frappant des mains. Quellesurprise ! Jadore les surprises.

    Ma mre aussi adorait les surprises, mais jentais pas sr que celle que nous lui prparionsft de son got.

    Pour chasser ce doute importun, je merapprochai encore un peu de ma jolie fiance, et

    je glissai tout doucement un bras derrire elle.Comme elle se tenait droite, elle ne sen apertpas. Jen profitai pour memparer de sa maingauche : elle me laissa faire, parce que jeregardais attentivement ses bagues.

    Ma chre petite femme, lui dis-je, comme

    nous serons heureux ! Oh ! oui, rpondit-elle ; tu feras venir

    Bayard et Pluton, nest-ce pas ? Maman ne te les

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    refusera pas.

    Certes non, ma tante ne les refuserait pas, et

    cest prcisment ce qui me chagrinait, car cesdeux animaux trop bien dresss mopposeraientsans aucun doute une rivalit redoutable dans lecur de ma fiance. Enfin, je passai outre.

    Nous vivrons toujours ensemble, nous nenous quitterons plus... Est-ce que tu maimes,Clmentine ?

    Mais oui, fit-elle avec une sorte de piti.Voil dj deux fois que tu me le demandes.Combien de fois faudra-t-il te le dire ?

    videmment, ma cousine et moi, nous

    navions de commun, en ce moment, que lescoussins de notre quipage ; nous vivions dansdeux mondes compltement trangers lun lautre.

    Je me hasardai brler mes vaisseaux.Jenlaai Clmentine de mon bras droit, je

    lattirai moi et jappliqu un baiser bien sentisur ses cheveux... Mais, au moment o mes lvrestouchaient son visage, sa main droite, reste libre

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    malheureusement, saplatissait sur le mien avecun bruit si retentissant, que le Finnois, rveill en

    sursaut, se hta de faire claquer ses rnes sur lesdos de son attelage.

    Clmentine ! fis-je irrit, cest le second !

    Et ce sera comme a toutes les fois que tuseras impertinent ! me rpondit-elle avec lavaillantise dun jeune coq dj expert dans lescombats.

    Mais, que diable ! fis-je, fort mcontent, cenest pas pour autre chose quon se marie !Quand on ne veut pas se laisser embrasser, on nese fait pas enlever !

    Clmentine devint ponceau, honte ou colre,je nen sais rien. Jtais extraordinairementmont, et je la regardais dun air furieux.

    Ah ! on ne se fait pas enlever ! Ah ! cestpour membrasser que tu menlves ! Eh bien !attends ! ce ne sera pas long !

    Elle avait dtach le tablier du tarantass et seprparait sauter terre, au risque de se casserquelque chose : je la retins, non sans peine, et

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    mes mains, noues autour de sa taille, non partendresse, je vous le jure, mais pour la protger,

    reurent plus dune gratignure dans la bagarre.Elle se dfendait comme un lionceau en bas ge,mais avec une vigueur surprenante.

    la fin, vaincue, elle se laissa tomber sur lecoussin.

    Je nai que ce que je mrite ! fit-elle dun airsombre. Mais cest une indignit ! Un galanthomme ne se conduit pas ainsi !

    Javais tir mon mouchoir et jtanchais lesgouttelettes de sang qui venaient la surface demes gratignures.

    Je lui montrai la batiste marbre de petitestaches roses.

    Est-ce que tu crois, dis-je quune demoisellebien leve se conduit ainsi ?

    Cest bien fait ! rpliqua-t-elle, et jerecommencerai tous les jours !

    Tous les jours ?

    Toutes les fois que tu seras grossier !

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    Alors, ma chre, lui dis-je, ce nest pas lapeine de nous marier ! Nous pouvons nous

    quereller sans cela. Bien entendu ! Adieu, je men vais. Bon

    voyage !

    Elle allait sauter... Je la calmai dun mot.

    Retourne la maison, jai oubli quelque

    chose, dis-je mon Finnois, que tout ce tapagenavait rveill qu demi.

    Il grogna bien un peu, mais la promesse dunrouble de pourboire donna des ailes la jumentboiteuse, et nous roulmes bientt vers la maisonde ma tante, tous deux fort bourrus, et chacun

    dans notre coin.Langle du jardin apparut bientt. Jallais

    dposer Clmentine o je lavais prise, elle fit ungeste ngatif.

    Eh bien ! dit-elle, que penserait-on de moi ?Il faut que tu me ramnes au perron.

    Mais on me demandera des explications !

    Dis ce que tu voudras : la vrit, si tu veux !

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    Elle se rencogna, maussade. Chose trssingulire ! nous ntions plus fiancs, et nous

    navions pas cess de nous tutoyer. vrai dire,ctait une habitude de nos jeunes annes, quenous avions eu beaucoup de peine perdre : onnest pas cousins pour rien.

    Le tarantass sarrta devant le perron, lbahissement gnral de toute la maisonne,

    accourue au bruit des roues. Ma tante dominaittoute la famille de sa haute stature, exhausse desa maigreur phnomnale.

    Mon Dieu, Pierre, quest-ce quil y a ?scria la digne femme bouleverse.

    Ma cousine mavait fait un bout de conduite,je vous la ramne.

    Clmentine descendit prestement et senfuitdans sa chambre pour viter les reproches de samre sur son manque de convenance.

    Elle ta drang de ta route, Pierre, me dit

    mon excellente tante ; pardonne-lui, cest uneenfant mal leve.

    Je nai rien lui pardonner, ma tante,

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    rpondis-je de mon mieux : mais il est bien vraique cest une enfant.

    Je repartis aussitt, plus lger quune plume,je mendormis et nouvris plus les yeux jusquPtersbourg. Vous me demandiez ce que javaisfait de ma cousine aprs lavoir enleve ? Voilce que jen ai fait, et si Platon y trouve redire, jesuis prt accepter ses reproches.

    Platon tait le comte Sourof, quon plaisantaitsouvent de ce prnom, si bien daccord avec sasagesse et sa philosophie souriante.

    Platon ny voit rien redire, rpliqua celui-ci, mais ton histoire est excellente, et tu nous as

    bien amuss. Je te vote une plume dhonneur. Assez bavard ! Des cartes ! cria un de ceuxqui avaient dormi.

    On apporta des cartes et des rafrachissements.Le reste de la soire scoula comme toutes lessoires de ce genre.

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    VI

    Le lendemain tait un dimanche, Pierre gotaitencore les douceurs dun lit peu moelleux, quandle comte Platon entra dans sa cabane et vint

    sasseoir auprs de son oreiller.Le jeune officier billa deux ou trois fois,

    stira de toutes ses forces et tendit la main sonami.

    Jai la tte un peu lourde, lui dit-il, jauraitrop dormi.

    Non, fit Platon en souriant, tu as trop bu.

    Moi ? Oh ! peut-on calomnier ainsi unpauvre officier, innocent comme notre mre ve !

    Aprs le pch ?

    Avant ! Soit ! mettons que tu nas pas trop bu... tu astrop parl.

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    Hein ? fit Pierre en se mettant sur son sant.Jai trop parl ? Quest-ce que jai dit ? Jai dit

    des btises ? Pas prcisment. Tu as racont une certaine

    histoire denlvement qui, si elle est vraie...

    Ah ! scria Pierre, jai parl de ma cousineDosia !

    Tu as parl dune cousine Clmentine, tu aseu lhabilet de ne pas trahir son vrai nom ; mais,mon pauvre ami, tu as fait de cette jeune fille unportrait si original et si ressemblant, que le moinshabile la reconnatrait.

    Pierre, dsol se balanait tristement, le visage

    cach dans ses deux mains. Animal ! scria-t-il, triple sot !... Et...

    quest-ce que jai bien pu dire ?

    Platon lui esquissa en quelque mots le rcit dela veille.

    Ah ! soupira Pierre satisfait, je nai pasbrod au moins ! Je nai dit que lexacte vrit...In vino veritas... Et tu mas laiss aller, toi, laSagesse ?

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    Comment veux-tu arrter un homme un peugris qui samuse amuser les autres ? Tu as eu un

    succs fou avec ton histoire...Le front de Pierre sclaircit : on nest jamais

    fch dapprendre quon a eu un succs fou, lorsmme quon ne sen souvient pas, et lors mmequon a d ce succs des moyens lgrementrprhensibles.

    Il faut tcher de rparer cette tourderie,continua Platon en voyant le bon effet de sondiscours.

    Oui, mais comment ?

    tant daccord sur la fin, les deux jeunes gens

    dbattirent les moyens et se sparrent au boutdun quart dheure.

    Le soir mme, aprs dner, au moment o lesplus presss allaient dserter le mess, Platon fitun signe, et lon apporta un grand bol de punchflambant, de format beaucoup plus modeste

    pourtant que celui de la veille. Quest-ce que cela veut dire ? scrirent les

    officiers.

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    Quelques-uns, prts partir, subissantlattraction, revinrent sur leurs pas.

    Cela veut dire, messieurs, fit Platon dun airconfus, que jai perdu mon pari et que jemexcute.

    Quel pari ?

    Mourief avait pari quil inventerait de

    toutes pices un petit roman, aussi bien quunlittrateur tous crins. Javais soutenu lecontraire. Il nous a amuss et sduits hier soiravec son histoire denlvement. Jai perdu. Jemexcute.

    Oh ! sduits, sduits ! scria un des jeunes

    gens en se rapprochant. Tu nas pas tant perduton pari que tu veux bien le dire, car, pour moi, jenai pas cru un mot de cette aventure.

    Ni moi ! dit un second.

    Ni moi ! profra un troisime. Ctait tropjoli pour tre vrai !

    Cette dernire rflexion mit du baume surlamour-propre de Mourief, qui commenait sendolorir.

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    Et puis, conclut un quatrime, quel estlhomme assez modeste pour raconter une

    histoire o il joue un rle si peu brillant ? On estplus chatouilleux quand il sagit de soi-mme !

    Pierre changea un sourire avec son ami.

    La conversation, une fois dtourne de lavritable piste, sgara de plus en plus, et lepunch disparut au milieu de la gaiet gnrale.

    Lheure venue, les deux jeunes gens reprirentensemble le chemin de leurs baraques. Lair taitcharg dune senteur aromatique particulire,celle des bourgeons de peuplier nouvellementclos. Cette belle nuit de juin, presque sans

    ombres, ne provoquait sans doute pas auxconfidences, car ils marchrent silencieuxjusquau moment de se sparer.

    Ta cousine Dosia est-elle vraiment si malleve ? dit tout coup Platon au momentdentrer dans sa baraque.

    Ah ! mon cher, je ne sais pas au juste ce quejai dit, mais tout cela est fort au-dessous de lavrit : il maurait fallu parler vingt-quatre heures

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    sans dsemparer pour te donner une ide peuprs exacte de cette fantasque demoiselle.

    Fantasque, soit ! dit Platon en souriant ; maisfort originale, et trs vertueuse, coup sr,malgr son escapade.

    Originale, certes ; vertueuse, encore plus !Jai de bonnes raisons pour men souvenir,rpondit Pierre en passant lgrement la main sursa joue. Tu parles dor, la Sagesse !

    Bonsoir, fit Platon en lui tendant la main.

    Bonsoir ! rpondit Pierre, qui sen alla dunpas agile et souple.

    Platon le regarda sloigner, rflchit un

    moment, puis rentra dans sa petite isba etsendormit sans perdre une minute de pluslongues rflexions.

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    VII

    Le comte Platon Sourof avait une sur, laprincesse Sophie Koutsky, aussi raisonnable,aussi sense que lui-mme. De toute sa vie, elle

    navait fait quune folie, commis quuneimprudence, celle dpouser dix-sept ans unmari malade, quelle aimait tendrement, quelleavait soign avec tout le dvouement possible, etqui lavait laisse veuve au bout de dix-huit mois.

    Vous ne faites jamais de btises, ma chre,

    lui avait dit ce sujet la grande-duchesse N...dont elle tait la filleule ; mais il parat que vousavez lintention de rgler dun seul coup toutvotre pass et tout votre avenir, en fait de folies.

    Sophie stait contente de sourire et de baiserrespectueusement la main de son augustemarraine. Huit jours aprs, le prince Koutsky, unrayon de bonheur sur son visage maci par lesfivres, conduisait lglise celle qui voulait bien

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    partager sa triste vie pour le peu de temps quelledevait encore durer.

    Si Koutsky tait riche, passe encore, disaitun gros gnral dartillerie aussi intelligent queses boulets de canon. Mais il na pas le sou ! Quepeut-elle aimer dans ce fivreux ?

    Le sacrifice ! lui jeta bien en face une belleenthousiaste de vingt ans.

    Le gnral sinclina dun air aimable etbalbutia un compliment ; mais il navait pascompris, et il ntait pas le seul.

    Sophie Koutsky soigna en effet son marijusquau dernier moment, le mit de ses mains

    dans le cercueil, prit le deuil de veuve et continua vivre aussi calme, aussi raisonnable que jamais.

    Ce quelle avait recherch dans le mariagetait, en effet, cette soif du martyre qui tourmenteles grandes mes. Elle avait aim Koutsky parcequil tait malade et condamn mourir bientt ;

    elle avait vu une bonne uvre faire en donnant ce mourant les joies du foyer domestique, dunintrieur harmonieux, dune tendresse infatigable

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    et dvoue.

    Si son mari net pas pris les fivres au

    Turkestan en servant son pays, elle et peut-tret moins gnreuse ; mais dans de tellescirconstances il lui semblait payer sa dette lhumanit et son pays tout ensemble.

    Quand elle quitta le noir pour le lilas, on luidemanda ce quelle comptait faire.

    Vivre un peu pour mon plaisir, rpondit-elle.

    En effet, depuis trois ou quatre ans quelletait veuve, on la voyait peu prs partout o unehonnte femme peut se montrer seule. Grce cette dignit simple, cette aisance tranquille et

    calmante, pour ainsi dire, qui lui servait dgide,sa grande jeunesse navait pas t un obstacle sa libert.

    La famille avait dabord parl de la ncessitdun chaperon, mais la princesse, sans senoffusquer dailleurs, avait repouss cette ide.

    Mon chaperon serait ou une vieille femmevritablement digne de respect, et en ce cas ilme faudrait la mnager et la soigner, ce qui me

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    couperait les ailes, ou une demoiselle decompagnie nullement vnrable, que je pourrais

    traner partout ma suite, mais dont la protectionne serait pas srieuse. Alors, quoi bon ?Laissez-moi comme je suis, et si je fais quelquesottise, nous en reparlerons.

    Cette faon sommaire de rgler les questionsde convenance avait dabord un peu mu la

    famille ; puis Sophie tait si sage que lesbonnes gens avaient cess de soccuper de sespetites fantaisies innocentes.

    Le prince Koutsky navait pas laiss grand-chose sa veuve ; mais Sophie tait riche de sonchef, et sa fortune bien ordonne lui permettait devivre grandement. Son principal plaisir, en t,consistait surprendre de temps en tempsquelques bonnes amies en venant passer unejourne avec elles, dans les environs, et parfois illui arrivait de venir jusquau camp rendre visite son frre, quelle aimait beaucoup et qui la

    comprenait mieux que pas un tre au monde.Deux ou trois jours aprs lindiscrtion de

    Pierre Mourief, la belle princesse Sophie vint voir

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    le comte Sourof. Ses chevaux seuls pouvaient seplaindre de son humeur errante, car elle leur

    imposait de longues courses ; mais ctaient devaillantes btes, la fois belles et solides, et lacourse de Tsarko-Slo, o elle habitait pendantlt, jusquau camp de Krasno, ntait pas assezlongue pour les mettre sur les dents.

    La princesse passa la journe avec son frre,

    assista aux exercices, dna avec lui dans son isba,et, vers le soir, la calche quatre places dont ellese servait dans ces sortes doccasions savanadevant la petite maisonnette en bois.

    Mourief passait en ce moment. Sesoccupations lavaient tenu cart de cette partiedu camp pendant la journe ; et, ne connaissantpas la princesse, il ignorait qui appartenait cebel quipage. Une curiosit provoque peut-tremoins par lattelage de choix que par lapropritaire de ces biens, lui fit ralentir le pas.

    Sourof, reconduisant sa sur, sortit de lisba.La beaut et lexpression charmantes duvisage de la princesse, sa grande tournure, sadistinction exquise frapprent le jeune lieutenant.

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    Sophie venait de sasseoir dans la calche ;son frre, appuy sur la portire, causait avec

    elle ; il aperut le visage lgrement tonn dePierre, qui se retournait pour voir encore cettebelle personne, et, souriant, il lui fit un signedappel.

    Mourief rebroussa chemin et vint se rangerauprs de son ami.

    Ma chre Sophie, dit le comte, tu es la plussage des femmes : tu seras peut-tre bien aise defaire la connaissance du plus fou de nos jeunesbraves... Le lieutenant Pierre Mourief, mon ami ;la princesse Koutsky, ma sur.

    Pierre sinclina profondment. La princesseregarda un instant son frre et le nophyte.

    Venez me faire un bout de conduite,messieurs ; vous ne devez pas tre gens redouter deux ou trois verstes de chemin pied.

    Les deux jeunes gens obirent, et lattelage

    partit dun trot gal et parfait.

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    VIII

    Sil ny a pas dindiscrtion, monsieur, fit laprincesse aprs les premires banalitsinvitables, dites-moi pourquoi mon frre vous

    octroie une telle supriorit sur vos camarades dergiment ?

    Pierre se mit rire.

    Demandez-le-lui, madame, rpondit-il. Silveut vous le dire, je ratifie son jugement.

    On peut tout dire ma sur, fit Platon dunair moiti fier, moiti railleur ; ce nest pas pourrien quon la baptise Sophie. On aurait aussibien pu la baptiser Muette, car elle ne rptejamais rien.

    Pierre sinclina respectueusement, sans cesser

    de sourire. Fais ce quil te plaira, dit-il son ami ; toi

    aussi, tu es si sage, si sage... Vraiment, madame,ajouta-t-il en se tournant vers la princesse, assise

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    en face de lui, je ne mrite pas de me trouver ensi parfaite socit ; je ne me reconnais pas

    digne... Raconte-moi ce quil a fait, Platon, dit la

    princesse son frre. Tout cela, ce sont des faux-fuyants pour viter une confession terrible, je lesouponne. Vous avez tort, monsieur, reprit-elleen sadressant Mourief, la confession purifie

    dautant mieux que parfois elle suggre unmoyen de rparer une erreur.

    Ah ! madame, je noserai jamais...

    Je vais donc parler ta place, fit Platon, quiavait son ide. Imagine-toi, ma chre sur, que

    lautre jour, pour clbrer dignement le vingt-troisime anniversaire de sa naissance, lelieutenant Mourief, ici prsent, sest gris...

    Oh ! gris ! protesta Pierre. gay, tout auplus !

    ... En notre compagnie, continua Sourof. Tu

    peux bien te douter que si jy assistais, le malntait pas grave. Mais il tait si gai, quil nous aracont tout au long les fantaisies dune jeune

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    fille fort mal leve et que, pour ma part, sans laconnatre, je trouve charmante.

    Pierre fit une moue significative. Voyons, dit Platon, est-elle charmante, ou

    non ?

    Charmante, charmante... En thorie, oui...mais...

    Elle est fort mal leve ? demanda laprincesse.

    Horriblement.

    Jolie et de bonne famille ?

    Oui, princesse, lun et lautre sont

    incontestables. Cest Dosia Zaptine ! dit la princesse aprs

    une seconde de rflexion.

    Les deux jeunes gens se mirent rire. Pierresinclina.

    Madame, dit-il, je rends hommage votresagesse vraiment suprieure. Prs de vous, Zadignest quun colier.

    Comment as-tu devin ? Je ne savais pas

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    quune telle personne existt sous la lune.

    Il ny a quune Dosia au monde, rpondit

    sentencieusement la princesse, et il tait rserv M. Mourief dtre son prophte. Maintenant,messieurs, si vous voulez revenir chez vous avantla retraite, je vous conseille de ne pas perdre detemps, car vos jambes ne valent pas celles de mestrotteurs.

    Deux minutes aprs, la calche de la princessedisparaissait dans un nuage de poussire, et lesjeunes gens reprenaient le chemin du camp.

    Comment diable Sophie a-t-elle pureconnatre cette demoiselle Zaptine ? murmura

    Platon, et do la connat-elle? Oh ! rpondit son camarade par manire deconsolation, quand on la vue une fois, on neloublie plus !... Platon, pourquoi ne mavais-tujamais parl de ta sur ?

    Est-ce quon parle de la perfection ?

    rpondit Sourof de ce ton moiti railleur, moitisrieux, qui lui tait habituel. Elle apparat, etlon est bloui, voil !

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    Cest vrai ! rpondit Pierre, trs srieux.

    Et ils causrent chevaux jusquau moment de

    se quitter.

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    IX

    Sous ses dehors de gravit, Platon avait tsaisi dun soudain dsir de prendre de plusamples informations sur le compte de Dosia

    Zaptine, et ce dsir devint si vif, quil profita dupremier jour de libert pour aller rendre sa sursa visite amicale.

    Il trouva la princesse assise sur une simplechaise de Vienne en bois tourn, vtue de clair,mais habille ds le matin, lisant assidment un

    gros livre dont elle coupait les feuillets mesure. Sois le bienvenu, dit-elle en apercevant son

    frre dans lencadrement de la porte ; je pensais toi.

    Platon sapprocha, baisa la belle main blanche

    qui lui tait tendue, et changea un bon baiseravec sa sur ; la princesse ne mettait aucuneespce de poudre de riz et son frre pouvaitlembrasser sans crainte ; puis il sassit auprs

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    delle.

    Le petit salon, tendu de perse chatoyante, fond

    vert deau, tait meubl de quelques chaisescanneles ; une table dacajou, assez rococo, enencombrait le milieu ; deux fauteuils pour lesparesseux, un petit canap, une glace un peuverdtre, comme cest lordinaire dans lesmaisons de campagne de Tsarko-Slo, tel tait

    le mobilier de cette retraite modeste ; et pourtanttout y respirait une srnit, une ampleur qui nevenaient certes pas de lameublement. Peut-treles massifs darbustes en fleur, disposs partouto il stait trouv de la place, y apportaient-ilsde la srnit, et peut-tre tait-ce la grce

    tranquille de la princesse qui y mettait lampleur. Prends un fauteuil, dit Sophie son frre.

    Et toi ?

    Moi, jabhorre les fauteuils ; cest bon pourles paresseux ou pour les voyageurs qui viennent

    du camp visiter leur sur chrie. Je nhabitejamais que des chaises.

    Platon sallongea moelleusement dans le

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    fauteuil vert deau.

    Les fauteuils ont pourtant du bon, dit-il,

    surtout quand on a fait cheval une vingtaine deverstes. Quest-ce que tu lisais ?

    LIntelligence, de Taine.

    Et deux volumes in-octavo ! fit Platon. Sophie ! tu mblouis par ta raison. Quand tu

    auras fini, tu me les passeras. Tiens ! fit tranquillement la princesse en

    poussant le premier volume travers la table.

    Et elle se remit couper les pages avec sonpetit couteau divoire.

    Pourquoi te dpches-tu tant ce travailmaussade ? dit le jeune homme. Rien nest plusdplaisant que ce grincement de papier.

    Cest pour avoir fini, mon grand frre,rpondit Sophie en riant.

    Elle coupa rapidement les dernires pages,

    puis reposa le volume sur la table. Enfin ! dit-elle avec satisfaction. As-tu

    djeun ?

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    Non.

    Veux-tu quelque-chose ?

    Quand tu djeuneras, je taideraivaillamment, mais je puis attendre.

    La princesse sonna, donna quelques ordres,puis, prenant une tapisserie, revint sa place.Platon la suivait des yeux.

    Il y a longtemps que je te connais, dit-il ensouriant, et tu mtonnes toujours. Quand est-ceque tu ne fais rien ?

    Quand je dors, rpondit la princesse en riant.Et encore il marrive parfois de rver... Et toi,dis-moi un peu pourquoi tu tes si fort press de

    me rendre ma visite ? Parce que javais envie de te voir, fit Platon

    en jouant avec le gland du fauteuil.

    Et puis ?

    Le jeune homme leva les yeux et vit passer

    une ombre de raillerie dans ceux de sa sur. Tu es sorcire, Sophie ! dit-il en se levant.

    Quai-je devin, cette fois ?

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    Cest toi qui le diras. Si tu allais te tromper,ce serait bien amusant ; je nai garde de perdre

    cette chance. Tu es venu prendre des renseignements sur

    Dosia Zaptine, fit tranquillement la princesse.Dailleurs, jai prvenu ta demande, et je me suisinforme. Tu peux me demander ce que tuvoudras, mes rponses sont prtes.

    Platon, qui se promenait travers le salon,sarrta devant elle et se croisa les mains derrirele dos.

    Sais-tu que tu es dangereuse avec taperspicacit ? lui dit-il dun ton moiti srieux,

    moiti enjou. Dangereuse ? Pas pour toi, mon sage frre !rpondit-elle du mme ton.

    Eh bien ! que vas-tu me dire ? fit-il enreprenant son fauteuil et sa gaiet.

    Pose les questions, je rpondrai.

    Soit ! Dabord, qui est Dosia Zaptine ?

    Fdocia Savichna Zaptine est la fille dungnral-major en retraite, mort depuis cinq ans.

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    Elle a un nombre considrable de surs, je nesais plus au juste combien...

    Pierre Mourief en sait mieux le compte,interrompit Platon.

    Vraiment ? a fait le plus grand honneur ce jeune homme ! Je ne croyais pas trouver en luiltoffe dun calculateur.

    Oh ! fit Platon avec bonhomie, il saitcompter jusqu six ; et encore quand il sagit decotillons.

    Tu me rassures, rpondit la princesse avecson calme habituel. Eh bien ! mettons que Dosiaait cinq ou six surs. Sa mre est ne Morlof ;

    bonne noblesse ; la famille nest pas dpourvuede fortune et il ny a pas dhritier mle. Est-ce lce quil te fallait en fait de renseignement ?

    peu prs. Seconde question : le portraitque Pierre a trac delle est-il exact ?

    Je te ferai pralablement observer que je nesais pas quel portrait a trac M. Pierre, mais ildoit tre exact, puisque sur une simple indicationjai reconnu loriginal.

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    Platon sinclina en guise dacquiescement.

    Alors, fit-il aprs un court silence, elle est

    trs mal leve ? Absolument ! Elle tire pas mal le pistolet ;

    cest son pre qui lui a appris ce nobleamusement en la faisant tirer pendant un tentier dans une vieille casquette duniforme quileur servait de cible ; Dosia pouvait avoir unedizaine dannes. Son professeur est mort, maisla casquette est reste, avec le got de pistolet. Jeme rappelle avoir vu, un certain printemps, Dosiaarroser des poids de senteur, quelle avaitplants dans une assiette soupe, au moyen decette casquette-cible, tellement crible de trous,quelle pouvait servir darrosoir.

    Ici Platon ne put conserver son srieux, et laprincesse lui tint compagnie,.

    Et le reste ? fit-il quand il eut recouvr laparole.

    Le reste ? Il y a prendre et laisser. Jaidans lide quelle sait imparfaitement lagographie : elle ma adress sur Baden-Baden

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    des questions qui mont fait souponner quellecroyait cette ville situe sur les bords du Niagara.

    Maintenant je ne suis pas sre quelle mette leNiagara en Amrique. Blondin lui asingulirement brouill les ides avec sesprgrinations ; Blondin tait son hros lpoque o la casquette lui servait darrosoir.Elle rvait de se promener cheval sur une corde

    tendue en travers du Ladoga... Elle ma mmedemand si ce serait trs difficile. Je lui airpondu que le difficile ne serait pas de sepromener, mais de dcider le cheval.

    Le cheval qui rue ?

    Ah ! tu le connais ? Oui, le cheval qui rue,ou mme un autre.

    En effet, dit Platon, ce ne serait pas facile.Elle a donc renonc son projet ?

    Aprs quelques essais infructueux sur uneligne trace par terre, elle a d renoncer son

    rve, non sans un grand crve-cur. En histoire,elle est trs forte, elle a dvor un tas normede gros volumes dans la bibliothque de sonpre ; mais ces lectures nont pas modifi ses

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    ides sur la gographie. Elle crit trscorrectement les quatre langues, russe,

    allemande, franaise, anglaise ; elle joue dupiano trs bien, quand elle veut, mais elle ne veutpas toujours ; elle dessine la caricature avec untalent rare et ignore absolument les premiersprincipes de larithmtique.

    Cest complet ! dit le jeune homme avec un

    soupir. Mais quelle espce de personne est doncsa mre ?

    La femme la plus pose, la plus mthodique,la plus srieuse qui se puisse voir : maigre,maladive, un peu mlancolique, ignorante commeune carpe et pleine de foi dans la perfection desgouvernantes trangres, ce qui explique un peulducation bizarre de Dosia.

    Et les autres surs ?

    Ce sont de sages personnes, trs ranges,pdantes mme... Explique qui pourra ces

    anomalies. Un farfadet a d se glisser dans leberceau de Dosia le jour quelle est ne ; en lecherchant bien, on le trouverait peut-tre dans sestresses ou dans les plis de sa robe.

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    Et le moral ? fit Platon redevenu soucieux.

    Le moral est excellent, il rachte le reste.

    Les yeux du jeune officier exprimrent unesrie dinterrogation si loquentes que laprincesse se mit rire.

    Je crois, dit-elle, que M. Pierre a calomni sacharmante cousine ; sils se sont querells, il est

    certain quil na pas eu le dessus, car Dosia a uncaquet de premier ordre. Mais de moral, je lerpte, nen est pas moins excellent. Cette petitefille a trs bon cur, non pas ce bon cur quiconsiste donner tort et travers ce quonpossde ; mais elle a le cur gnreux et paye de

    sa personne loccasion. Je lai vue, en temps defivre, porter des secours ses paysans, commeune vaillante quelle est. Je lai vue se jeter leau pour repcher un petit marmouset de quatre cinq ans qui stait avanc trop loin en prenantun bain, et que le courant emportait : elle nage

    comme un poisson, par parenthse ; mais touthabille, ce nest pas rjouissant. Elle est bonne,trs bonne... aussi bonne quinsupportable, ajoutala princesse en riant.

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    Je te crois sans peine, dit Platon. Ces naturestoutes de contrastes violents sont galement

    susceptibles de mal et de bien... Mais la morale,quen faisons-nous dans tout cela ?

    Dosia est lhonneur mme, rpondit laprincesse. Cest la vraie fille de son pre.

    Platon avait repris sa marche dans le salon. Saphysionomie stait assombrie. Il garda le silence.

    Tu sais sur son compte quelque chose deplus que moi, dit affirmativement la princesse enle regardant.

    Oui !... Et cela me chagrine, car cette enfant,avec ses dfauts, me semble fort intressante...

    Et Platon confia sa sur les confidencescaractristiques de Pierre Mourief.

    Cest fcheux, dit la princesse quand sonfrre eut fini. Mais je ne vois l quunenfantillage...

    Sans doute, reprit Platon, cependant, pourcelui qui lpousera, cet enfantillage nest passans consquence.

    La princesse ne rpondit rien. La chose

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    envisage sous ce jour tait en effet srieuse.Heureusement, on annona le djeuner, et la

    conversation prit un autre cours.La journe scoula. Le soir venu, au moment

    o Platon se prparait monter en selle, sa surlarrta.

    Es-tu curieux de voir Dosia ? lui dit-elle.

    Platon rflchit un moment. Certainement, rpondit-il. Elle me fait leffet

    dun cureuil charmant et un peu farouche.

    Bien ! Nous aurons des rgates dans sixsemaines, je linviterai, sans sa mre, et tu laverras dans tout son beau.

    Platon prit cong de sa sur et galopa bienttvers le camp.

    Cest dommage ! se dit-il tout pensif ensecouant la tte.

    Cest dommage ! rpta-t-il une seconde fois

    au bout dun quart dheure.

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    Surpris lui-mme de cette persistance dunemme ide, il sinterrogea et saperut quil

    pensait Dosia Zaptine.

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    X

    Y a-t-il longtemps que tu nas vu ta sur ?demanda Pierre Mourief son ami, deux ou troisjours aprs cette visite.

    Non. Pourquoi ?Pierre hsita un moment.

    Tu as d lui donner une ide bien trange etpeu flatteuse de mon individu : les quelques motsque tu lui as dits au sujet de ma cousine Dosia

    nont pas pu lui faire augurer beaucoup de monintelligence...

    Pluton se mit rire.

    Dtrompe-toi, mon cher ! ma sur necondamne pas les gens pour si peu ; je ne croispas quelle ait pris mauvaise opinion de toi...Dailleurs, rien nest plus facile que de tenassurer.

    Comment cela ? fit Pierre, dont le visage se

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    couvrit dune rougeur joyeuse.

    En maccompagnant dimanche. Je dois

    djeuner avec elle ; nous partirons de bonneheure, avant la chaleur, et tu pourras texpliqueren long et en large sur le chapitre de teserrements.

    Pierre, enchant, remercia son ami, demandasi la princesse excuserait la poussire du voyage,si ce ntait pas trs impoli, et sur tous ces pointsse laissa rassurer le plus facilement du monde,car il ne demandait que cela.

    Le comte Sourof tait trs rserv dans lesprsentations quil faisait sa sur. Jusque-l

    bien peu de ses camarades avaient t admis lhonneur daborder la belle princesse Koutsky.Cette rserve venait dun sentiment naturel desconvenances ; il ne sied pas que la maison duneveuve soit pleine de jeunes gens. En invitantMourief laccompagner, le comte Platon stait

    donc dparti de ses habitudes ; si on letinterrog, ce sage et peut-tre perdu une parcellede sa srnit ; il est craindre quil nettmoign une ombre dhumeur lintrus qui se

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    mlait de questions si dlicates. Au fond, lecomte Platon avait engag Pierre Mourief

    djeuner chez sa sur parce quil sen remettait la pntration de celle-ci pour tirer du jeuneofficier tous les claircissements dsirables ausujet de son escapade avec Dosia Zaptine.

    Dosia tait devenue insensiblement le sujet detoutes ses rveries inconscientes. Les cheveux

    bouriffs, les bottines mordores et les yeuxrieurs de cette capricieuse flottaient devant sesyeux comme sil let connue. Il pensait elleavec regret, comme un jeune animal lev avecsoin, avec tendresse, et vol au moment o ilcommenait faire honneur son ducation. Il

    navait jamais vu cette petite fille intraitable, et illa plaignait comme sil let aime enfant ; il laplaignait davoir, si jeune, un souvenir quellevoudrait plus tard pouvoir effacer de sa vie auprix de tous les sacrifices...

    Le dimanche venu, les jeunes gens prirent la

    route de Tsarko-Slo, en calche, pour viter lapoussire. Platon se taisait. Pierre avait peine limiter et se contenait pourtant, de peur de

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    paratre indiscret. Au fond il grillait dadresser son ami les questions les plus diverses sur ce qui

    concernait la princesse Sophie. Enfin, il ny puttenir.

    Est-ce que ta sur est bel esprit ? demanda-t-il Platon. Je suis si ignorant !

    Si tu es ignorant, mon bon, rpondittranquillement le jeune officier, fie-toi ma surpour combler les lacunes de ton ducation. Elle teprtera des livres, ne tadressera pas une questionet te renverra penaud, pntr du dsir detinstruire, avec un gros bouquin sous le bras.Cest lusage de la maison. Jy passe comme lesautres.

    Et, soulevant le pan de son grand manteaudordonnance, Platon laissa entrevoir le volumede lIntelligence, bien et dment recouvert dunjournal franais.

    Elle ta prt cela ? fit avidement Mourief ;

    montre-le moi ! Oh ! tu peux le feuilleter et mme le lire

    discrtion : tu ny comprendras rien.

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    Pierre ouvrit en effet le livre deux ou troisendroits diffrents et le rendit son ami avec un

    visage piteux et dfait qui amna un sourire surles lvres de Platon.

    Mais alors, dit le pauvre garon, la princesseva me trouver horriblement bte ?

    Oh ! que non ! rpondit son ami. Elle nepense pas que, pour ntre pas une bte, on doivecomprendre dem