Grenoble : portrait de ville (1995 - 2002

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Points forts sur l'évolution de la Capitale du Dauphiné pour la période 1995 - 2002

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Date d’impression / avril 2010

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Qui veut réussir trouve des solutions. Qui veut échouer trouve des excuses.

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Note de l’auteur Aux USA, une sorte de petit bréviaire du commentateur politique donne les recommandations suivantes : - tu éviteras de faire des pronostics définitifs, - tu ne manqueras jamais d’indiquer les réactions de

groupes qui pourraient changer l’issue du scrutin, - tu choisiras pour analyse les indicateurs où les écarts de

voix sont les plus faibles, - tu mettras en évidence des incidents de campagne

susceptibles de remettre en cause des écarts trop importants,

... La presse se nourrit de ce suspens qui appelle la prochaine enquête, donc du lectorat et ainsi de suite…

Même avec de telles recommandations techniques, la période 1995-2002 manque de suspens tant le cours des élections est à sens unique sur cette période dans l’agglomération grenobloise.

Le vote de 1995 consiste à «tourner la page». La crise provient de comportements qui ne doivent pas se reproduire. Il faut donc évoluer vers un autre ensemble de règles porté par de nouveaux leaders.

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Cette nouvelle donne impose un repositionnement de l’ancienne majorité du début des années 80. Elle doit répondre à une question simple : comment redevenir leader quand son bilan est pour partie emporté par une volonté de tourner la page ? Comment fait-on pour être leader dans de telles circonstances ? C’est souvent simple en période ordinaire. Il faut être le premier. Le premier c’est la légende. La légende vit toujours. Le second est soit un suiveur soit le premier des … perdants. Alain Carignon fut le premier. Le premier à avoir gagné Grenoble mettant fin à 18 ans de mandats socialistes. Le premier à avoir gagné le Conseil Général de l’Isère mettant fin à 10 ans de pouvoir socialiste. Michel Destot fut à son tour le premier. Le premier à ramener une collectivité dans le giron socialiste depuis la rafale des défaites du début des années 80. Pour les autres, l’accession au rang de leader est plus difficile. Des postulants n’y parviendront jamais. D’autres franchiront le seuil. Derrière cette frontière, ce tome 2 vise surtout à chercher à identifier la réalité des tendances qui ont construit les évolutions. Il y a un imaginaire tout puissant. La droite était usée, défaite face à une gauche conquérante. Cet imaginaire est confortable. Il évite de faire l’effort pour chercher le réel.

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Mais n’est-ce pas une machine à produire de l’illusion politique en fabriquant à bon compte des certitudes à bon marché ? Cet imaginaire frappe beaucoup dans la Capitale du Dauphiné comme actuellement d’ailleurs dans l’ensemble de notre pays. La société Française s’adonne aujourd’hui sans retenue à l’imaginaire. La vérité est occultée parce qu’elle est douloureuse à admettre. La réalité s’efface devant l’illusion, et l’illusion devient réalité. Merveilleuse thérapie collective sans doute, dont les politiques jouent sans pudeur ni remords. Mais thérapie sans issue, parce qu’elle est le contraire de ce qu’exige notre temps. Le piège est là. Il se referme. La lucidité en meurt. Il y a cent exemples de cette négation des réalités les moins contestables, au détriment des véritables intérêts de la France. Désormais systématiques, de telles pratiques ne relèvent plus de simples inadvertances. Elles deviennent chaque jour davantage un mode de pensée voulu et organisé, qui consiste à faire du mensonge délibéré ou de l’illusion instrumentalisée un outil légitime du débat politique. Au sein de celui-ci, l’irrationnel est désormais chez lui. Dans la mesure où il constitue le fondement de toute pensée religieuse, force est donc de constater que la pensée politique de la France fonctionne aujourd’hui sur le mode religieux. Mais une pensée religieuse ne s’épanouit pas si nul n’en prend en charge l’élaboration et la diffusion. Point de religion, fut-elle politique, sans clergé. Et clergé il y a, pléthorique, cacophonique et suffisant.

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Classe politique à la compétence et à l’honnêteté variables, experts arrogants, intellectuels péremptoires à la pensée incertaine et veule, syndicalistes fonctionnarisés qui font commerce de démagogie idéaliste quand ce n’est pas d’aveuglement idéologique ou de mauvaise foi, représentants de collectifs de tous ordres et d’intérêts de toutes sortes à l’affût des modes du moment constituent un aréopage bigarré occupant les estrades et s’efforçant de vendre d’improbables illusions qu’ils disent, parfois sincèrement, représenter le progrès. Tous y ont bien entendu souvent un intérêt personnel, souvent matériel, et justifient leurs apparentes querelles par la nécessité de ne pas laisser le champ libre à des adversaires supposés malfaisants. Ainsi est devenue la pensée politique dans notre pays : l’amalgame de croyances omniprésentes portées par des gourous intellectuellement peu scrupuleux, le refus assumé du véritable esprit critique, le mépris de l’expérience, la fuite devant les réalités, la réhabilitation de l’esprit dogmatique et finalement le triomphe de l’irrationnel. En somme, la définition même de l’obscurantisme. La machine qui le fabrique est infernale et la France est en train d’en souffrir, parce que c’est la nature même de l’obscurantisme que de chercher le paradis et de trouver l’enfer. Le choix éditorial de ce tome 2 réside dans la volonté de tenter de rester à l’écart de cet imaginaire donc de cette forme d’obscurantisme.

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Cet effort ne peut intervenir que par la volonté permanente de revenir au réel. Le réel des actes comme des écrits, des bilans comme des engagements. Sous cet angle, cette période est compliquée parce qu’insaisissable et surtout très éloignée de l’imaginaire. Il n’y a pas d’un côté un pouvoir sortant qui serait balayé par une tempête du changement. Le Département reste à droite jusqu’en 2001. C’est donc une longue cohabitation géographique qui est intervenue. Pendant cette période, la gauche ne s’installe pas comme un nouveau pouvoir qui réformerait fondamentalement. Elle donne le sentiment de grignoter tranquillement pour récupérer quasi-naturellement le pouvoir départemental. Ce parcours repose sur de nouvelles règles dont celle de la multiplicité des détenteurs de pouvoirs succédant à l’unicité d’hier

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De 1995 à 2002, la gauche a vécu l’éclosion de trois nouveaux leaders : Michel Destot (élu Maire de Grenoble en 1995), Didier Migaud (élu Président de la Communauté d’agglomération grenobloise en 1995), André Vallini (élu Président du Conseil Général en mars 2001). Trois pour Un Michel Destot est celui qui a rendu possible le parcours des autres. Il a rang de précurseur. Sans la conquête de la Ville de Grenoble, la majorité de l’agglomération serait demeurée à droite et la reconquête du Département de l’Isère aurait été considérablement plus délicate. C’est un rocardien historique. Né en septembre 1947 à Malo Les Bains dans le Nord, il a débuté son engagement politique par une candidature PSU aux élections législatives en mars 1973 où il devait obtenir au 1er tour 2 531 voix, soit 4,95% des 51 040 suffrages exprimés. Il incarne un socialisme modéré réformateur. Si Michel Destot a connu son ascension politique dans le courant Rocard, Didier Migaud a été un fidèle du courant Mitterrand. Né en juin 1952 à St Symphorien (Indre et Loire),

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il est arrivé dans l’Isère en 1976 et a travaillé au cabinet de Louis Mermaz avant d’exercer les fonctions de Directeur de Cabinet du Président du Conseil Général de l’Isère de 1978 à 1985. Il est aujourd’hui un fabiusien bon teint. André Vallini est le seul à être originaire de l’Isère. Il est né le 15 juillet 1956. Il a effectué sa scolarité universitaire à Grenoble notamment à l’Institut d’Etudes Politiques de Grenoble. Il est aujourd’hui l’un des animateurs les plus actifs du courant Hollande. Son accession à la Présidence du Conseil Général de l’Isère l’a placé au 1er rang des personnalités politiques nationales du Parti Socialiste. Là où la droite avait installé un «pouvoir unique», la gauche a promu trois personnalités aux tempéraments très différents. Un pluralisme généralisé Non seulement, les leaders socialistes sont plusieurs mais aussi les majorités sont désormais très plurielles. A Grenoble, le pluralisme est politique. Au Département, le pluralisme est territorial. Au sein des instances municipales de la Capitale du Dauphiné, les écologistes font entendre leur différence au-delà de ce qu’il est commun d’observer. Leurs publications sont même parfois la principale doctrine d’opposition allant bien au-delà des critiques exprimées par l’opposition municipale. Sur le plan Départemental, l’Isère est historiquement un territoire éclaté. Le Nord Isère est plus attiré par Lyon que par Grenoble.

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Le Sud Isère incarne une tradition de montagne vite heurtée par l’impérialisme urbain. Avec cette réalité territoriale, il n’y a jamais eu un vote départemental mais autant de scrutins que de cantons. Ces diversités reposent aussi sur des sociologies très diverses. Dans l’Isère comme dans l’agglomération grenobloise, trois groupes occupent une place privilégiée. Le premier est composé des « matérialistes ». Il s'agit d'une population plutôt jeune ou d'âge moyen qui se caractérise par un faible niveau d'implication politique et souvent aussi par une plus faible propension à participer aux scrutins. Ce sont d’abord des « consommateurs-citoyens ». Globalement, ils ne sont pas très satisfaits de leur vie et aspirent à "plus" d'argent, plus d'emplois, plus de confort. Ils aspirent aussi à plus de sociabilité, davantage de contacts humains, plus de tolérance… Ils sont peu sensibles à la propagande politique classique. Leur perception du monde politique est plus "sensorielle" que raisonnée. Leur vote dépendra donc beaucoup des «images de campagne». Si l’agglomération grenobloise ne se différencie pas trop significativement des autres agglomérations françaises, ce groupe de «matérialistes» peut représenter jusqu’à un électeur sur cinq. Ce groupe va constituer le noyau dur des soutiens du PS parce que le climat des «affaires» qui a dominé le début des années 90 emportant le reste du bilan pourtant très important.

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La seconde catégorie majeure est appelée «les modérés». A l'inverse de la précédente, cette catégorie est plutôt satisfaite de sa vie et affiche une certaine culture politique. Elle rassemble à la fois des hommes et des femmes (un peu plus de femmes toutefois) se disant proches de la gauche pour les uns, proches de la droite pour les autres. Ils ont en commun de rejeter l'affrontement politique trop exacerbé. Assez hésitants, ils reconnaissent qu'ils changent souvent de décision de vote en cours de campagne, voire même hésitent jusque dans l'isoloir pour certains. Plus attachés aux hommes qu'à leurs étiquettes, cette population est une cible clef désormais de toute campagne électorale. La sociologie grenobloise offre certains particularismes dont la surreprésentation des professions intellectuelles. De ce fait, ce groupe des «modérés» est surreprésenté dans l’agglomération grenobloise. Pour les mêmes raisons que celles exposées précédemment (les «affaires»), ce groupe boude la droite locale. Le troisième groupe qui d’ordinaire «fait l’élection» réside dans les électeurs classiques de chacun des principaux partis en présence. Cet électorat est nécessaire pour constituer la «rampe de lancement» mais aucune composante politique n’a aujourd’hui l’influence suffisante pour «faire une élection». Les deux autres groupes préalablement présentés font donc la différence. Alors que le PS bénéficie déjà des soutiens ponctuels de deux groupes importants, il va compter sur une union solide quand la droite se divise de façon profonde.

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Cette sociologie porte en elle une «traversée du désert» pour la droite. C’est cette traversée qui débute en 1995 et qui s’étale sur toute la période jusqu’en 2002. Une droite désemparée La droite locale ne pouvait trouver de «fenêtre de tir» qu’à une triple condition. Tout d’abord, elle pouvait tenter de regagner l’électorat matérialiste. A cette fin, il lui fallait livrer deux batailles : celle de la morale et celle de son bilan. Elle n’a livré aucune de ces deux batailles. Pour reconquérir les modérés flottants, il lui fallait «revenir à la mode». La droite n’est pas parvenue à trouver un leadership la plaçant en ordre de gagne. Il ne lui restait donc plus qu’à attendre l’éventuelle division de la nouvelle majorité. Sur cette période, elle n’est pas intervenue. A Grenoble, l’éclatement politique de la majorité municipale a souvent été frôlé mais sans conséquence pratique durable. Le réformisme modéré du Maire est parvenu à être concilié avec les approches doctrinaires rigides des écologistes. A la Métro, une double compatibilité s’est installée. La première compatibilité, loin d’être évidente a priori, est intervenue entre le Président de la Métro et le Maire de la Ville chef lieu. Très peu d’agglomérations Françaises vivent une telle diversité de leaders. Généralement, l’organisation

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politique est simple. Le Maire de la Ville chef-lieu est le Président de la Communauté d’Agglomération. Quand il ne cumule pas ces deux fonctions, celle de la Présidence de la Communauté incombe à l’un de ses adjoints. La seconde compatibilité a été entre les forces politiques avec une intégration réussie des écologistes grâce à la prise en considération de leurs priorités dans deux domaines tout particulièrement : les voies de communication et la place réduite de l’automobile dans la ville. Sous ces deux angles, il y a une indiscutable «spécificité Grenobloise». La période 1995 à 2002 est en effet frappée par une forte spécificité. La gauche reprend tous les pouvoirs perdus au début des années 80 face à une concurrente qui ne livre pas bataille ou la livre tellement mal.

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La défaite de 1995 ou la bataille du bilan non livrée

Le terme de reconquête a souvent été utilisé pour évoquer la victoire de la gauche en 1995. Il est mal adapté. La gauche a récupéré un pouvoir que la droite n’a pas su ou n’a plus voulu défendre comme il le méritait pour offrir une réelle compétition. En effet, il n’y a eu ni bataille du bilan ni mise en œuvre d’un nouveau leadership. 1995 : un nouveau Grenoble Le vrai bilan, c’est reconnaître qu’en 1995 Grenoble n’est plus la Ville du début des années 80 tant les réalisations ont été nombreuses : - le Musée d'Intérêt National, - le Summum, - le CNAC, - les médiathèques Alliance et St Bruno, - la rénovation du Muséum d'Histoire Naturelle, - la réhabilitation des théâtres Le Rio et Ste Marie d'en Bas, de Poche, le 145, l'Espace 600 et la création du théâtre Prémol,

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- le site St Laurent, - les écoles ont été modernisées : construction du centre de rééducation motrice et l'école maternelle Jules Verne, reconstruction de l'école maternelle Les Primevères au Village Olympique, restructuration du groupe scolaire Menon, du L.E.P. Jean Jaurès, rénovation des écoles Cornélie Gemond, Villeneuve, Joseph Vallier … - quatre MAPAD (400 places) ont été construites, - 111 places supplémentaires en domiciles collectifs pour personnes âgées, - 640 places de crèche supplémentaires de 1983 à 1995, - la rénovation du centre de santé Villeneuve, - les 140 places d'accueil pour S.D.F. créées entre 1985 et 1995 (centre d'accueil municipal abri temporaire de solidarité), - la création de la maison des habitants, - reconstruction de la M.J.C. Jouhaux, - ouverture du centre de loisirs Hoche, - construction de la Clef de Sol, - rénovation des sous-sols du Palais de l'Université, - construction du centre Bachelard, - reconstruction de la Maison pour Tous Léon Blum, - reconstruction de la M.J.C. Prémol, - aménagement et reconstruction de la M.J.C Anatole France, - rénovation de la piste Bachelard, - création du centre sportif Reyniès Bayard, - création de dix terrains de sport de proximité (Villeneuve, Teisseire, Abbaye, Grand Chatelet, Anatole France, Mutualité, Jouhaux, Clos d'Or...), - participation à la reconstruction de la piscine universitaire -restructuration de la tribune Lesdiguières, - rénovation de la piscine Villeneuve (Iris), - parkings: M.I.N., Terray, Schuman, Denfert, Alpexpo,

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… De nouveaux quartiers De nouveaux quartiers ont vu le jour. C’est le cas d’Europole. Europole avait pour mission de répondre à deux enjeux: - un enjeu d'urbanisme puisqu'il s'agissait de rénover un quartier en voie de délinquance au coeur de Grenoble. - un enjeu économique pour donner à Grenoble sa place de métropole régionale. En 1995, sur les 240 000 m2 du programme, 45 % sont construits et 54 % des droits à bâtir sont vendus : construction de 37 000 m2 de bureaux, 238 logements, 700 000 m2 de WTC, 2 hôtels, 4500 m2 d'espace congrès. Sur le plan économique, en mars 1995, 1 144 emplois sont recensés, travaillant dans 64 sociétés installées sur Europole. Plus de la moitié sont des emplois nouveaux pour la Ville de Grenoble, La commercialisation d'Europole, ce sont également 238 logements décomposés en: - 42 logements locatifs sociaux - 50 logements en accession à la propriété - 146 logements en locatif intermédiaire Toute cette réalité a été gommée par le climat des «affaires» mais aussi par les chiffres assénés au sujet de la dette. Un bilan retracé par l’image avec un livre «Alain Carignon, le cœur en tête». Bâti sur une multitude de photos, cette initiative a été concrétisée par Jacques Glénat et Hubert Odier. Tiré à plusieurs milliers d’exemplaires, ce beau livre

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montrait par l’image les changements intervenus dans la Capitale du Dauphiné. Très soutenu jusqu'en 1993, le rythme d'investissement a été corrigé à compter de 1994. En 1994, la Ville autofinance (par le biais de l'épargne brute) une proportion de plus en plus importante de ses dépenses: 8 % en 1991, 17 % en 1992, 33 % en 1993, 65 % en 1994. L'épargne brute et les subventions reçues (ainsi que le FCTV A) couvrent intégralement les besoins, les autres recettes pouvant être affectées au désendettement. A compter de 1993, l'endettement consolidé de la Ville n'augmente plus significativement (+1,3 % en 1993, + 0,1 % en 1994). Une réduction aurait même été enregistrée en 1994 en l'absence de la reprise d'emprunts de la SAlEM Malherbe Olympique (39 MF), de la régie foncière (7,7 MF), de l'OPALE (0,9MF) et de l'ex FCGD (1,2 MF), reprise concomitante de transferts de patrimoine. A cette époque, la stabilisation de la dette, combinée au redressement de l'épargne, se traduit par l'amélioration de la capacité de désendettement. Pour la première fois depuis le début du nouveau mandat de 1989, la dette représente moins de 15 ans d’épargne, 13,2 ans exactement. Pour apprécier le niveau d'endettement, il convient de comparer la dette aux moyens de remboursement dont la Ville dispose, et en premier l'épargne brute. Le rapport dette/épargne brute, exprimé en nombre d'années, mesure la

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capacité de désendettement dans les conditions budgétaires et financières du moment. Pour une commune, il est souhaitable de le maintenir en dessous de 15 ans, voire quelque peu en deçà. Cette borne correspond en effet à la durée classique des emprunts et rejoint le délai moyen d'amortissement des équipements communaux. Loin de tels chiffres, l’opposition va subir le débat sur le ratio "dette/population", certes parlant, mais qui présente le grave inconvénient d'être complètement insensible à une amélioration (ou à une détérioration) du potentiel de remboursement de l'encours et surtout l’appréciation de la réalité de l’effort d’investissement. La naissance d’un vide Pour livrer cette bataille du bilan, l’opposition municipale pouvait compter a priori sur trois artisans : trouver un nouveau leader qui endosse le bilan des années 89-95, ouvrir de nouvelles perspectives, montrer que les Grenoblois seraient les gagnants de ces nouvelles perspectives comme ils l’avaient été des réalisations qui faisaient désormais leur quotidien. Sur ces trois fronts, les échecs ont été cinglants. La droite s’est avérée incapable de se renouveler. Elle comptait pourtant en son sein des personnalités aux tempéraments réellement divers. Quatre créneaux théoriques étaient concevables : le sage, l’héritier, le dauphin, le contestataire pour le changement dans la majorité d’alors.

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La fonction de « sage » avait sur le plan grenoblois un titulaire tout désigné : Pierre Gascon. Dès 1981, il était le «père» de cette équipe de jeunes lui apportant de l’expérience, de la diplomatie, le goût de l’union au-delà des enjeux de carrières personnelles. Dans tous les moments délicats, il était le médiateur idéal. Il a particulièrement bien réussi dans ses fonctions de Premier Adjoint chargé du personnel à la Ville de Grenoble. Les salariés ont découvert un interlocuteur sérieux, connaissant ses dossiers et avide de dialogue. La fonction d’héritier pouvait être occupée par Richard Cazenave qui incarne un profil plus «bonapartiste» que celui d’Alain Carignon. Affecté par des difficultés personnelles, il n’a pas eu le ressort pour apparaître alors comme l’héritier naturel de celui dont il fut pourtant pendant de très nombreuses années un ami très proche. Richard Cazenave avait tous les atouts pour assurer un successeur charismatique. Le rôle de dauphin pouvait aller à un plus jeune issu notamment de la hiérarchie administrative comme Henri Baile. Cet ancien Directeur des Affaires Culturelles de la Ville de Grenoble a un tempérament conceptuel qui le conduit à la modération, à l’ouverture et au respect de la tendance historique des débats d’idées. Quant aux contestataires de l’intérieur, François Paramelle et Jean-Pierre Saul-Guibert étaient désignés pour vivre une évolution de ce type. La première a toujours été rebelle. Elle a témoigné une grande capacité à vivre le social avec un sens d’écoute et de proximité. De plus, la droite aurait fait preuve d’anticipation

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en se rangeant derrière une tête de liste féminine, situation historique. Pour Jean-Pierre Saul-Guibert, avocat talentueux, l’enjeu était de retourner à la politique lui qui s‘était réinvesti entièrement dans ses responsabilités professionnelles après avoir vécu lors du premier mandat (1983-1989) sa véritable passion : l’urbanisme. Jean Pierre Saul-Guibert incarne l’exemple du dévouement au collectif. Il a accepté de céder sa place lors des cantonales de l’union pour ne pas vivre une primaire trop disputée. Il a été l’artisan conceptuel des principaux arbitrages du programme de mars 1983. Il réunissait toutes les qualités pour exercer une fonction de Maire avec talent et autorité morale. Cette liste est loin d’être exhaustive. D’autres talents réels pouvaient s’impliquer dans une vie politique Grenobloise qu’ils connaissaient de façon détaillée : Joël de Leiris, directeur de la campagne de 1989 et universitaire réputé ; Pierre Ambroise Thomas qui occupa la responsabilité éminente de Directeur Général de la Santé ; Philippe Langenieux Villard, brillant Directeur de la Communication qui signa en 2001 une tribune libre pleine d’allant sur l’avenir de la Capitale du Dauphiné ; Charles Descours, Sénateur très dynamique qui s’impliqua avec talent dans la gestion des transports collectifs … Aucun d’entre eux n’a fait le pas pour «remettre de l’ordre» et se placer en situation de nouvelle performance politique. Comment expliquer cette situation ? Quatre raisons se cumulent alors.

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Tout d’abord, le choc psychologique a cassé beaucoup de ressorts mentaux. Personne ne pouvait imaginer que la belle aventure de 1983 puisse prendre un tour aussi dramatique. Ensuite, second facteur, au-delà des déclarations officielles, chacun savait que la victoire de 1983 avait certes été le fruit d’un effort collectif exemplaire mais elle demeurait d’abord la victoire d’Alain Carignon. Le mandat de Maire était le sien. Chercher à lui succéder paraissait injuste comme si une punition supplémentaire serait infligée en plus de celle déjà perçue comme tellement disproportionnée. Cette dimension affective a beaucoup compté privant de la froideur des seules analyses techniques et ce volet honore les intéressés qui ont montré une sensibilité humaine trop souvent rare en politique. Puis, troisième facteur, la bataille sur Grenoble s’annonçait «sauvage» et le KO technique était généralisé dans les rangs de la majorité sortante. Enfin, les habitudes de «travail en commun» avaient été perdues. Dès 1989, avec la composition de la nouvelle équipe municipale, le collectif de l’équipe était plus apparent que réel. Les rivalités avaient creusé des sillons souvent parallèles. Les discussions étaient moins cordiales donc moins confiantes. L’éclatement en coulisses avait donné lieu à la naissance de solitudes qui se sont révélées dans les moments les plus difficiles. Dans de telles circonstances exceptionnelles, cette solitude rend impossible des challenges aussi imprévisibles et dangereux.

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Sous cet angle, l’échec collectif était donc le résultat des tendances d’éclatement nées dès le renouvellement de 1989 auxquelles s’ajoutait un climat imprévisible et insaisissable. Dès le début du second mandat municipal, une étape de modification de l’opinion dans son rapport à Alain Carignon est ouverte y compris au sein même de son équipe municipale. Cette évolution concerne quatre domaines : De la confiance à la suspicion : de 1983 à 1988, face à

une nouvelle initiative d’Alain Carignon, l’opinion se disait «il va m’étonner, me séduire». A compter de 1990, la réaction spontanée est «il faut attendre pour voir».

De la joie à l’amertume : l’engouement de départ se

transforme en ambitions non satisfaites. De l’union à la jalousie : l’homme qui monte est devenu

l’homme qui encombre parce qu’il veut tout décider. De la cohérence à l’éclatement : à force de vouloir tout

décider en circuit court et rapide, les priorités ne sont plus visibles.

Dans ce contexte, de nouveaux espaces se libèrent. Mais aucun d’entre eux ne sera occupé. Dans certains pays à l’exemple des démocraties anglo-saxonnes, chaque pouvoir veille à préparer l’alternance y compris en son

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sein. C’est la seule façon pour traverser les crises sans perdre le pouvoir. Par inexpérience, puis par accélération des évènements, cette faculté d’alternance interne n’a pas été occupée. L’engrenage des défaites débutait.

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Sur le plan départemental, l’érosion collective progresse

La défaite départementale s’est construite dans la durée à la différence de l’électrochoc Grenoblois intervenu dans la brutalité. Une des caractéristiques de l'Isère réside traditionnellement dans les contrastes existant entre:

- des zones urbaines et des zones très rurales, - des régions de plaines et de plateaux et des régions de montagnes, - des activités économiques de pointe sur le plan technologique et intellectuel et des activités économiques, notamment industrielles, connaissant des problèmes de rééquilibrage, - des territoires ruraux "anciens" et des territoires à la pointe de la modernité. L’Isère est un espace ouvert Cette ouverture se manifeste notamment à travers trois types de signes, qui, sans concerner une majorité de la population

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ou de l'activité du département, contribuent néanmoins à lui donner une personnalité particulière : - une tradition de migration et plus précisément

d'immigration (étrangers mais également français venus d'autres départements) qui, pour être moins forte que certaines périodes précédentes, n'en constitue pas néanmoins un trait de personnalité. Ceci se traduit par exemple par l'existence à Grenoble d'une proportion importante d'électeurs ayant une culture étrangère, dans la mesure où ils sont français depuis une ou deux générations seulement,

- une part relativement plus importante que pour d'autres

départements y compris les départements avoisinants, d'activités économiques tournées vers l'étranger, en liaison avec un niveau moyen de "culture", surtout dans l'agglomération grenobloise, sensiblement supérieur à la moyenne nationale. Ce niveau se traduit notamment par une proportion importante de professions et d'activités intellectuelles ainsi que par une vie associative développée.

L’Isère est un Département éclaté L’enjeu d’une politique départementale vise donc à créer des éléments fédérateurs, susceptibles de mobiliser le plus grand nombre d'Isérois ce qui passe probablement par la mise en avant de "projets", "d'ambitions" plus fortement soulignés que dans d'autres départements.

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Ceci peut notamment expliquer l'accueil positif, de thèmes de communication tournés vers le futur, "demain". Cette recherche de thèmes fédérateurs doit être accompagnée d'un sens aigu du terrain et du concret, afin de légitimer à partir de réponses précises aux problèmes de chacun des segments de population et de sensibilités, la pertinence d'un discours tourné vers le futur. Dans cet esprit, la qualité, non seulement de l'implantation électorale mais également de la présence physique active des élus ou candidats, chacun dans «son» canton, constitue un signe important de cette recherche de concret, de "présent". 1983 à 1995 : Grenoble devient le drapeau de l’Isère Les difficultés grenobloises ont considérablement changé la donne départementale. Les années 80 avaient été pour l'Isère la découverte de facteurs d'incertitudes, principalement liés aux questions économiques, et à travers elles, à l'emploi. L'augmentation du chômage et la mise en difficulté de certaines entreprises (notamment industrielles) semblent avoir introduit une rupture par rapport à une période antérieure caractérisée globalement par un dynamisme à la fois objectif et surtout perçu par l’opinion parfois même au-delà de la réalité des chiffres. Ceci se manifeste également à travers des décalages, surtout sensibles au début des années 80, entre la réalité de l'insécurité, (relativement faible) et la perception de cette

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insécurité (visiblement plus forte que la réalité) : ce décalage traduit en fait une insécurité «morale». Ce besoin de sécurisation, voire de fierté d’appartenance, s’est construit à partir de 1985 sur une offre départementale structurée autour des réussites de Grenoble comme Capitale du Département. La fédération du département se construit autour de la réussite de Grenoble et d’un leader politique aux destinées nationales reconnues notamment par des fonctions ministérielles de premier plan ; ce qui est l’exception dans l’histoire de Grenoble. Ce double levier intervient au moment où la gauche est sans leader. Début 1990, la gauche ne possède plus de leader incontesté à fort coefficient "charismatique" d’avenir. La personnalité et l'impact de Louis Mermaz sont avant tout liés désormais à sa proximité avec le Président Mitterrand. Usé par quasiment deux décennies de responsabilité à la tête de la ville de Grenoble, Dubedout n'a pas été remplacé. La conquête de la direction du Conseil Général s'était en grande partie effectuée à partir de Grenoble devenue le "symbole" peu contesté du département. Cette conquête est appuyée sur la personnalité d'Alain Carignon dont l'aura est supérieure à celle des partis qui le soutiennent comme l’ont montré les élections d’octobre 1988. Les chevaux de bataille de l'opposition d’alors

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Les chevaux de bataille de l'opposition PS se perpétuent de 83 à 87 sur certains points. Pendant sa traversée d’opposition, la gauche a témoigné deux qualités fortes. D’une part, elle n’a jamais renoncé à son rôle d’opposition. D’autre part, elle n’a pas multiplié les axes de critiques. Elle a choisi un axe qu’elle a répété en permanence : la communication personnalisée. Dans la continuité des critiques sur l'action municipale Alain Carignon figurent : - la communication excessive et trop personnalisée d'Alain Carignon, - la tertiarisation de l’économie – prestige, La gauche a matraqué cette attaque alors même que, au-delà des critiques et malgré des différences d'approches et d'analyses, des accords parfois très larges sont nés sur plusieurs sujets majeurs dont : - les enjeux économiques (Synchrotron) ou le développement des zones d’accueil du Grésivaudan, - la synergie recherche-entreprise - la formation - le capital humain - les relations avec les milieux universitaires - le désenclavement de l’Isère - l'importance de l'environnement culturel. Au fil des années, l’opposition se focalise sur Alain Carignon dans ses critiques et accusations. L’opposition a acquis la certitude que la chute d’Alain Carignon emporterait tout l’édifice. Ce parti pris va s’avérer gagnant.

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Cette conviction est née lors d’une affaire dite du Pyralène courant 1988. En quelques jours, l’unicité des pouvoirs était devenue la démonstration que le pouvoir «hyper concentré» pouvait ouvrir une médiatisation nationale forte aux retombées locales considérables. Un seul dossier délicat et il pouvait mettre en cause un Ministre, un Président de Conseil Général et un Maire de Ville chef lieu de Département. A la lumière de cette leçon, l’opposition va adapter sa politique. Elle partage les décisions concrètes mais ne rate aucune occasion de tirer sur la personne même d’Alain Carignon. Il n’est plus question de contenus d’actions mais de coups publicitaires, de coûts élevés … L’information vit son premier décalage A compter de 1988, un décalage naît entre la presse nationale et la presse locale. Alain Carignon bénéficie toujours d'une bonne image dans la presse nationale, notamment en ce qui concerne son mandat d'élu local et régional. Mais son image locale se négativise y compris dans le Dauphiné Libéré. Dans la presse nationale, l'image d'Alain Carignon est très positive. La presse de gauche paradoxalement a le compliment plus facile que celle de droite. Il apparaît comme une personnalité individuelle et politique qu'on pourrait dire de" bon aloi ».

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Moderne, soucieux de sa liberté et de celle des autres ; il est présenté comme habile (il n'attaque pas de front, ménage ses alliés et se concilie ses opposants) ; préoccupé par les courants porteurs ("apte à humer l'air du temps") et les valeurs morales de la société c'est-à-dire un mélange d'enthousiasme et de prudence. Il ne se présente pas comme un homme de pouvoir et apparaît plus politique que politicien. Mais, dans la presse locale, son image devient plus ambiguë. La presse locale est la première à le présenter comme «boulimique de pouvoir» notamment lors d’une opération de prise de pouvoir au Cargo. Elle dénonce «Grenoble les dents longues» et cherche en permanence à mettre en conflit théorique le Président du Département et … le Maire de Grenoble. C’est dans l’audiovisuel national qu’Alain Carignon réussit le mieux à cette époque. Ni démagogue, ni intellectuel, il apparaît comme un individu attentif, réfléchi, sincère. Dans ses propos, il manie beaucoup plus les idées (mais pas comme un intellectuel) que les chiffres. Il se place souvent sur un plan moral notamment dans la lutte contre l’extrême droite. Il a de bonnes formules, simples et efficaces, tempérées. Son registre de vocabulaire est clair, pragmatique, précis. Il est économe de gestes, le ton est assuré, le plus souvent mesuré ; parfois ironique, il n'est jamais agressif. Lorsqu’il est

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dans la foule, Alain Carignon semble avoir un très bon sens du contact. Il bouge beaucoup, se montre à son aise, très souriant et plus "allant". Impression chaleureuse, il dégage naturel et sympathie. L’information entre en crise : tout est perçu comme communication Le premier facteur de crise est lié à la surexposition. De l'individu à l'élu local, puis à l'homme politique, dans ce qui est de l'ordre du mandat, des valeurs individuelles ou des objectifs, les différents visages d'Alain Carignon se superposent et se chevauchent. Le personnage dans son ensemble peut ainsi apparaître flou, insaisissable. Ce qui a longtemps signifié un atout pour un homme politique ("atypique") a créé un sentiment de confusion. Le "Maire-Ministre-Président" est présenté comme difficile à situer. Surtout, cette exposition permanente est exploitée par l’opposition qui dénonce un «système de communication» : Alain Carignon se fait connaître, Grenoble se fait connaître, leur image commune est ouverte dynamique, novatrice. Par les modifications qu’elle apporte, l’équipe d’Alain Carignon a bousculé les codes de l’information provinciale. La province française se doit de respecter un «code des valeurs» très strict policé par des décennies de coutumes. Le «paysage local» est composé d’acteurs au rôle social bien établi. Les responsables publics exercent leurs mandats par pur dévouement à un attachement viscéral à leur ville «qu’ils

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aiment de toutes leurs fibres» ; ce qui explique tous les «sacrifices» qu’ils consentent. Les Chefs d’entreprises sont d’abord proches de leurs salariés et se méfient comme la peste de démonstrations « ostentatoires » de leur aisance financière. Les banquiers locaux sont des « exemples de vertu » guidés par le seul souci de l’économie locale qu’ils aident bien sûr de toutes leurs forces et de façon égale qu’il s’agisse du petit artisan inconnu, du commerçant obscur au découvert permanent, de l’entrepreneur institutionnel copain de golf ou de la jeune start-up perfusée d’aides publiques. Cette province lisse et proprette doit avoir une information à son image. Comme chaque corps est supposé incarner les « bonnes valeurs collectives », le quotidien régional a certes la structure juridique d’une entreprise mais il affiche l’esprit d’un service public délivrant l’information objective avec rigueur, avec équité et déontologie… Si la province française est souvent triste, c’est parce que progressivement ces « clichés » sont étouffants d’hypocrisie, de fausse candeur. Or, dans bien des domaines, l’équipe de 1983 a cassé ces codes. Grenoble devient trop « à la une » Pendant de nombreuses décennies, Grenoble a été un lieu privilégié de pluralisme d’informations et d’innovations. Cette période a pris fin au début des années 2000.

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En 1925, lors de l’exposition Internationale de la Houille Blanche, Grenoble fut la 1ère ville de France à se doter d’une radio locale. En 1968, elle fut le territoire pilote de la presse gratuite avec le «38» et fut le point d’ancrage du lancement d’un empire national avec à sa tête un grand entrepreneur, M. Paul Dini. En 1973, sous l’initiative de Daniel Populus et de Jean Verlhac, deux créateurs très imaginatifs dans leurs domaines respectifs, elle expérimenta la première télévision locale dans le quartier de la Villeneuve. 3 000 foyers câblés pouvaient recevoir des images enregistrées et diffusées depuis la maison de quartier voisine. Du 3 juin au 14 juillet 1981, Radio G a émis depuis un studio installé à la Maison du Tourisme. Radio G émettra pendant 6 semaines et accueillera sur ses ondes un débat entre Hubert Dubedout et Alain Carignon, trois jours avant le second tour des élections législatives. En novembre 1981, Grenoble lance le projet CLAIRE (catalogue local d’avis, d’informations, de renseignements électroniques). Une banque de données de 12 000 fiches peut être consultée sur des terminaux d’ordinateurs installés dans une trentaine de lieux publics. En octobre 1983, à l’initiative d’Alain Carignon, de Jean Folco, son Adjoint à la Communication et de Philippe Langenieux –Villard, nouveau Directeur de Communication, Grenoble crée un évènement national. La Ville est la 1ère de France à vendre en kiosques son nouveau magazine municipal «Grenoble mensuel». Les grenoblois relèvent le défi.

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En 1984, l’étude Domas Ipsos révèle en faveur de « Grenoble Mensuel » un taux de lecture de plus de 20% des Grenoblois, ce qui place ce magazine en tête de tous les magazines vendus en kiosque à Grenoble. Du jamais vu. 12 février 1987, Alain Carignon et Gérard Longuet, Ministre des Postes et des télécommunications, signent les conventions pour la mise en place d’un réseau optique et coaxial géré par Grenoble TV Câble. A l’occasion de toutes ces étapes, Grenoble est en tête. Les Grenoblois vivent des expériences non vécues dans les autres villes de province. Ils ont parfois même des décennies d’avance sur des projets nationaux à l’exemple de l’expérience Claire. A la même époque, l’information « classique » est marquée par le pluralisme. La presse quotidienne est certes dominée par le Dauphiné Libéré, mais le Progrès, la «page Rhône-Alpes» du Monde, celle de Libération créent souvent l’évènement. La presse gratuite connaît des initiatives multiples à l’exemple d’Info Semaine lancé par l’un des plus grands professionnels indépendants et créatifs que fut Lucien Sallières tragiquement disparu prématurément. En 1988, Grenoble connaît même un nouveau gratuit «Télé Plus» qui mélange programmes télés et infos locales. Actualité Dauphiné a longtemps constitué un mensuel référent auquel s’ajoutait le 1er samedi de chaque mois le supplément Rhône-Alpes du Figaro Magazine.

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Ce panorama de pluralisme dépasse tous les repères en matière de radios locales. Mais, ce faisant, Grenoble est dans la moyenne de l’évolution nationale dans ce domaine. Très régulièrement, en complément de ces supports installés, Grenoble accueille des initiatives ponctuelles. Par des initiatives de ruptures dans de nombreux domaines dont les pratiques référendaires, le mandat municipal de 1983 à 1989 a probablement déstabilisé les équilibres de cette Ville qui, sous son discours d’olympisme et de rénovation, cache une aspiration au confort douillet classique des villes moyennes de province. La décennie 90 a d’ailleurs enregistré la disparition de toute « exception grenobloise » en matière d’information. Les monopoles d’informations L’agglomération grenobloise vit désormais au rythme des monopoles d’informations comme toutes les autres villes : un support par segment de marché. Le Dauphiné Libéré est le seul quotidien régional. Il n’y a plus de mensuel. A l’exception de l’hebdomadaire économique «Les Affiches», entre les journaux publics et le Dauphiné Libéré, il n’y a plus aucun support d’information. Il faudra attendre la fin des années 2000 pour retrouver des gratuits généralistes souvent en complément papier de sites Internet, ce qui est une initiative intéressante. La situation des «Affiches » a toujours été anachronique. De tous temps, cet hebdomadaire a été un exemple

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d’indépendance et de qualité technique d’informations lié aux recettes exceptionnelles des annonces légales, qui sont sa «rente de situation». Tous les autres supports d’informations ont disparu. Elle est loin l’époque comme dans les années 1950 où il y avait le choix à Grenoble entre Le Réveil, Les Allobroges, Le Travailleur Alpin, Le Dauphiné Libéré. Bien au-delà, ont également disparus : Vérité Rhône Alpes, Interpeller la Presse, Ville ouverte, Le Point du jour, Le Journal Rhône Alpes, Projecteurs, … Ce cimetière des initiatives d’un pluralisme d’informations pose d’ailleurs maintenant des questions indispensables quant à la réalité de la démocratie locale. Une démocratie locale peut-elle vivre sans pluralisme d’information ? La réponse dépend de la façon dont informent les monopoles. Les informations des monopoles En préalable, une question majeure s’impose : les supports institutionnels publics ou para-publics (revue Présences pour la Chambre de Commerce) peuvent-ils être qualifiés de « presse » ?

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Même si, y compris sur le plan national, la presse a progressivement évolué vers une logique d’opinions ; force est de constater qu’il n’est pas concevable qu’un support public lève des questions de nature à mettre en difficulté l’exécutif qui dirige la collectivité en question. Les supports publics institutionnels sont «la voix officielle» de la collectivité publique qui finance la structure en question. Il ne saurait donc être question de leur demander d’être garants du pluralisme ou d’investigations. Ils délivrent une information de service public avec les «habits du dimanche» : la collectivité est belle, le soleil rayonne, les trottoirs sont propres, les citoyens sont heureux…. Par conséquent, structurellement, le seul vecteur de pluralisme ne peut que résider dans un seul support : le Dauphiné Libéré. Pendant longtemps, le Dauphiné Libéré avait le discours de la neutralité mais des pratiques différentes. Du temps de Line Reix, les colonnes de politique nationale ont parfois un ancrage manifeste voire même polémique. Quant aux pages locales, serait-il aujourd’hui possible et concevable que le Dauphiné Libéré conduise contre la municipalité une campagne de presse comparable à celle menée en 1968 lors du réaménagement de la Place Grenette ? Avec le recul et de façon quasi-générale, le groupe Hersant, dénoncé lors du Congrès de Valence de 1981 comme une «toile d’araignée politique à nettoyer», apparaîtra d’abord comme l’instigateur d’une presse locale légitimiste. Elle est

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aux côtés du pouvoir quelque soit le pouvoir, de gauche comme de droite. Elle sera d’autant plus proche d’un nouveau pouvoir qu’elle aura été perçue comme docile avec le précédent. Ce «cap journalistique» est généralisé jusqu’au plus petit village où c’est même parfois désormais un élu municipal qui assure la rubrique locale pour le Dauphiné Libéré… Comment interpréter cette situation ? Avec la décentralisation, les collectivités locales ont un pouvoir financier considérable. Elles sont ainsi souvent devenues les 1ers annonceurs publicitaires. A-t-on déjà vu un journal « tirer » contre ses annonceurs a fortiori quand ses ventes baissent et que les recettes publicitaires occupent une place de plus en plus déterminante dans les ressources globales ? Un cordon financier s’est créé rendant quasi-nulle la marge de manœuvre du quotidien local quel qu’il soit. La « rédaction en chef » est assurée par le comptable. Avec la perte de Grenoble en 1995 et une évolution de ce type des supports d’informations, l’opposition Grenobloise est privée de toute tribune. Cette réalité technique contribue aussi à expliquer le déséquilibre dans la défense des bilans. Un seul outil pouvait éviter un tel déséquilibre de 1995 à 2001 : le Conseil Général.

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Or, dans les choix des deux Présidents pendant cette période, le dossier de Grenoble est mal géré pour des raisons différentes. Michel Hannoun n’est probablement pas mécontent de laisser dresser un «droit d’inventaire» sur les dossiers grenoblois qui lui permettent de régler des comptes anciens sans avoir à s’en mêler personnellement. De surcroît, de façon paradoxale, Michel Hannoun qui est longtemps passé pour un organisateur méthodique s’avère dans cette nouvelle fonction un solitaire passionné par des discours conceptuels mais surtout non désireux de préparer en amont les combats politiques avec les arbitrages qui en découlent. Quant à Bernard Saugey, il avait le meilleur profil pour assainir la situation et consolider un nouveau pouvoir. Il fut longtemps 1er Vice-Président d’Alain Carignon. Bernard Saugey est un remarquable stratège politique. Mais il est aussi un humaniste qui a le sens du dialogue. Cet administrateur de journaux connait tous les détails des enjeux de communication. Tant de talents auraient dû permettre de consolider le pouvoir départemental. Mais il a payé le prix le plus lourd de rester à l’écart des enjeux purement Grenoblois. En effet, la Capitale du Dauphiné est le levier incontournable de tout pouvoir politique y compris en Isère. Michel Destot a construit une image de Capitale modeste, de PS gestionnaire. Il ne restait qu’à attendre les renouvellements pour enregistrer la bascule politique qui intervint en 2001 à l’issue d’une campagne départementale inexistante pour la droite qui a refusé de la départementaliser et de livrer les batailles

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en ordre efficace dans l’agglomération Grenobloise subissant ainsi les conséquences de son érosion progressive.

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2001 : la droite perd le Département «tout naturellement»

Quand elle prépare le renouvellement de 2001, la droite iséroise a perdu beaucoup de ses fondamentaux du début des années 80. Elle ne cherche plus à livrer la bataille du programme. Elle ne livre même pas une bataille du bilan départemental. Elle n’arbitre pas pour éviter des duels locaux fratricides. La droite se comporte en campagne comme elle s’est comportée dans les dernières années de sa gestion : une mutuelle d’intérêts. Elle accepte de subir les élections dans le cadre cantonal pensant qu’ainsi elle pourrait échapper à une sanction politique. C’est oublier que le même jour, les électeurs vont voter pour les élections municipales. Ces dernières vont totalement

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éclipser les élections cantonales. Le PS renforce ses positions municipales et récupère le Département comme un lot collatéral. 2001 est un résumé de tous les maux qui vont désormais scotcher la droite pendant de nombreuses années. Tout d’abord, elle ne livre pas le duel des leaderships. Ni sur le plan des hommes et encore moins sur le terrain des idées qu’elle a totalement déserté. Qui pourrait aujourd’hui citer des propositions qui seraient la valeur ajoutée de la droite sans être partagées par le PS ? Sur le plan humain, la droite est entièrement décapitée. La comparaison entre les générations des années 80 et des années 2000 traduit une inversion totale des dynamiques. Début 1980, la droite fourmille de tempéraments charismatiques : Carignon, Saugey, Cabanel, Boyer, Faure, Descours, Hannoun, Remiller, Cupillard, Péquignot, Poirier, Machefaux, Saul-Guibert, Paramelle, Michal, de Villard … Toutes ces personnalités occupent des géographies complémentaires mais surtout des créneaux de compétences également complémentaires. A cette époque, la gauche est paralysée dans les querelles nationales (mermaziens/ rocardiens). Ses leaders de premier rang sont usés. La relève est peu connue. Début 2000, c’est le contraire. Le jeu est totalement redistribué. La droite est usée. Bon nombre de ses leaders initiaux ont été emportés par des soucis ou des occupations autres. La gauche a fait naître une génération dynamique :

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Destot, Migaud, Vallini, Baietto, Giraud, Deschamps, Fioraso, Siebert, Chiron, Revol… Bien davantage, depuis 1995, la gauche mène l’offensive sur le plan des idées dans des conditions paradoxales. Marx a toujours raison sur un point au moins Sur le plan des idées, la comparaison des programmes est édifiante. Le dernier programme de la droite date des années 1988 avec le groupe de travail «Idées». Mais ce programme est laissé au vestiaire alors que non seulement il a le mérite d’exister mais que sa pertinence est incontestable sur de nombreux points. La gauche donne le sentiment d’avoir investi les terrains de l’analyse comme des projets. Dès le début des années 90, elle publie un livre blanc sur l’agglomération Grenobloise. Son contenu vise à poser les bases d’une grille d’analyses et de propositions. Qu’indique-t-il ? Il est indispensable de revenir à l’introduction de ce livre blanc qui annonce : «C’est en effet à la fin des années soixante que le syndicat intercommunal d'études, qui précédait le SIEPARG, demandait à la toute nouvelle Agence d'Urbanisme de l'Agglomération de mettre à l'étude, conformément à la loi d'Orientation Foncière de 1967, un Schéma Directeur d'Aménagement et d'Urbanisme. Ce schéma, qui ne sera publié qu'en 1973, était précédé, dès 1969, d'un "Livre Blanc" qui proposait aux élus, aux administrations et au public un programme général d'aménagement du site grenoblois. Ce programme présentait

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plusieurs hypothèses d'aménagement qui furent largement discutées deux ans durant: l'hypothèse retenue servit de base au SDAU qui fut lui-même le cadre de l'élaboration des plans d'Occupation des Sols, régissant l'urbanisation des communes. BEAUCOUP DE CHOSES ONT CHANGÉ EN 20 ANS. La physionomie actuelle de l'agglomération résulte en grande partie des orientations prises dans les documents précités; mais certaines dispositions ne se sont que partiellement concrétisées (comme par exemple la création de centres secondaires destinés à décharger le centre de Grenoble...) d'autres ont eu beaucoup de mal à être maintenues (les coupures vertes dans les vallées...). Mais, surtout, le contexte économique, l'évolution démographique, les modes de vie ont changé. IL EST TEMPS, À PARTIR DES DONNÉES D'AUJOURD'HUI, D'ÉTABLIR UN NOUVEAU PROJET POUR L'AGGLOMÉRATION. Dans le grand bouleversement économique et social que nous connaissons depuis dix ans et qui n'est pas terminé, une communauté de plus de 400 000 personnes ne peut se résoudre à vivre sans perspectives, ni sur des schémas vieux de vingt ans. Nous devons donc examiner comment sont perçus et souhaités aujourd'hui mode de vie et développement économique. UN MODE DE VIE PRIS ENTRE DEUX EXIGENCES CONTRADICTOIRES

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D'une part, une exigence d'extension de l'espace urbanisé (habitat pavillonnaire...), d'autre part une exigence d'économie de l'espace qui résulte d'une prise de conscience de sa rareté dans notre agglomération si resserrée entre les montagnes. Contradiction dans la vie quotidienne entre le désir de beaucoup de bénéficier d'un environnement vert et l'allongement des déplacements ou la dispersion des services que cela entraîne pour tous. Il n'est pas possible de laisser au seul "marché immobilier" le soin de résoudre ces contradictions, on sait trop aux dépends de qui cela sera fait. UN DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE QUI SE CHERCHE. L'espace économique de l'agglomération a changé: il s'est élargi d'une part jusqu'au bassin d'emploi tout entier et d'autre part jusqu'aux dimensions du marché international. Le contexte économique lui aussi s'est profondément transformé: les activités et les entreprises traditionnelles connaissent des difficultés à maintenir les emplois à travers les restructurations, et les initiatives qui se multiplient dans les nouvelles branches n'ont pas encore permis d' asseoir l'agglomération dans une nouvelle stabilité industrielle. OR FACE À CES BOULEVERSEMENTS, QUE S'EST-IL PASSÉ ? La coopération intercommunale a piétiné en n'adaptant pas ses objectifs des années 60 aux problèmes nouveaux. L'extension de l'espace urbanisé de l'agglomération n'a pas été accompagnée d'une coordination du SIEPARG avec les syndicats voisins.

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Les possibilités offertes par les lois de décentralisation ont été, au mieux, utilisées individuellement par chaque commune, le SIEPARG n'a pas été l'élément moteur d'une réflexion ni d'une action collective. L'équipe "libérale" au pouvoir dans la ville centre, l'agglomération et le département s'est contentée de modifier, au jour le jour et en fonction de ses intérêts du moment, les documents qui régissent l'aménagement. Ce "laisser-faire" n'est profitable ni pour les habitants (les prix du logement le montre) ni même pour la plupart des activités économiques (qui sont à long terme pénalisées par l'incohérence du développement). Ce laisser-faire n'est acceptable ni pour le présent ni pour l'avenir.

IL EST PLUS QUE TEMPS QUE l'AGGLOMÉRATION SE DONNE UN PROJET COLLECTIF POUR SON CADRE DE VIE COMME POUR SON DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE. Ce projet ne saurait être qu'intercommunal, conçu dans un esprit de partenariat avec les collectivités voisines et imaginé dans un cadre départemental et régional. Ce manifeste des élus socialistes et apparentés des communes du SIEPARG n'a d'autre ambition que de lancer une réflexion concertée entre tous les acteurs concernés par l'avenir de l'agglomération grenobloise. Un "livre blanc" pour l'aménagement de cette agglomération doit être mis en chantier immédiatement, dans un esprit de large concertation démocratique, trop de temps a déjà été perdu ». Les signataires de ce document sont : Charles Guibbaud, maire de Gières, Président du groupe

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Jean Perron-Bailly, maire de Domène Bernard Cuchet, maire-adjoint d'Echirolles Marc Baietto, maire d'Eybens Jean Baringou, maire-adjoint d'Eybens Edi Tissino, maire-adjoint de Fontaine Dominique Lefebvre, maire de Murianette André Genevois, maire-adjoint de Poisat Pierre Bon, maire de Poisat Joël Chapron, maire-adjoint de Pont de Claix Jean-François Delahais, maire de Saint Egrève Elisabeth Mutel, maire-adjoint de Saint Martin d'Hères Jean Monneret, maire-adjoint de Saint Martin d'Hères Bernard Cornu, maire de Saint Martin le Vinoux Maurice Ragot, maire-adjoint de Saint Martin le Vinoux Daniel Zenatti, maire de Veurey-Voroize Michel Brunei, maire-adjoint de Veurey-Voroize LES PRÉSIDENTS DES GROUPES SOCIALISTES ET APPARENTÉS DES / COMMUNES DU SIEPARG Claix: Jean-Louis Falcoz-Vigne Domène : Jean Perron-Bailly Echirolles: Bernard Montergnolle Eybens: Gilbert Deras Fontaine: Eddi Tissino Gières : Charles Guibbaud Grenoble: Michel Destot Meylan: Bernard Soulage Poisat: Jean Tanniou Pont de Claix: Joël Chapron Saint Egrève : Yves Sonzogni Saint Martin d'Hères: Jean Monneret Saint Martin le Vinoux: Bernard Cornu

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Sassenage: Alain Chaplais Seyssinet: Bruno Detrie Seyssins: Didier Migaud LES MEMBRES DU GROUPE DE TRAVAIL AYANT ÉLABORÉ CE DOCUMENT Bernard Montergnolle, maire-adjoint d'Echirolles Xavier Chauvin, maire-adjoint d'Eybens Charles Guibbaud, maire de Gières Jean-Paul Giraud, conseiller municipal de Grenoble Gérald Dulac, conseiller municipal de Grenoble Annie Deschamps, conseiller municipal de Grenoble Pierre Bon, maire de Poisat Joël Chapron, maire-adjoint de Pont de Claix Eric Grall, maire adjoint de Saint Egrève Frédéric Vergez, maire-adjoint de Saint Egrève Jean Monneret, maire-adjoint de Saint Martin d'Hères Bernard Cornu, maire de Saint Martin le Vinoux Lucien Cohen, conseiller municipal de Sassenage Coordination: Jean-François Parent, urbaniste, secrétaire fédéral aux études L’opposition d’alors dénonce le «laisser faire». Mais sur le fond, elle ne donne aucun exemple concret. Elle évoque des «changements nécessaires» mais là aussi sur le fond elle n’entre pas dans le détail. Ce document a vocation à donner un nouveau contenu de doctrine mais il est vide de contenu concret. L’opposition surfe sur un rejet politique sans entrer dans le détail de

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l’éventuel rejet d’une politique pour en substituer une autre radicalement différente. L’opposition gagne le terrain des idées sans … idée fondamentalement nouvelle. Gagnant ce terrain des idées, elle s’approprie progressivement le pouvoir politique parce que s’il y a un domaine où l’analyse marxiste est juste c’est que la conquête des idées devance toujours la conquête du pouvoir politique. Une radicalisation de l’opposition Dès 1987, le parti socialiste a commencé à se structurer comme opposition. Il édite une revue «Prospectives» d’une quinzaine de pages. Le Directeur de Publication est Monsieur Jean-Paul Giraud, alors Conseiller Municipal d’Opposition. Le PS va dénoncer les dépenses de communication qui auraient été celles de la Municipalité Carignon de 1983 à 1985 mais «oublie» qu’en janvier 1983 l’association Grenoble Animation Information était dotée d’un budget de 8 532 000 F, soit 1 300 000 €. Cette association comprenait pas moins de 26 salariés dont 22 salariés en CDI à temps plein, soit une masse salariale annuelle de 3 650 000 F. A cette date, la Ville de Grenoble était la collectivité la plus dépensière en France en matière de communication municipale... A compter du numéro 2 daté de mars 1987 consacré à «la communication locale : le système Carignon», ce périodique «Prospectives» a trouvé son créneau : transformer les actions municipales en permanents coups médiatiques. Le ton est

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donné dès l’introduction par le décompte des photos d’Alain Carignon parues dans le Dauphiné Libéré. Tout ne serait qu’astuces ou manœuvres de la part de la municipalité. Dans un abécédaire des outils de la communication, le Dauphiné Libéré est vigoureusement dénoncé de même que le Progrès, «les radios libres»… Page 06, la section Dauphiné Savoie des journalistes CFDT dénonce «Les Affiches bien gentilles pour le pouvoir en place». A les entendre, il ne resterait à ce moment que la voix du quotidien l’Humanité, les pages locales du Monde comme «ballon d’oxygène de la presse écrite». Ils précisent plus loin «FR3 et Radio France Isère surtout apportent aussi une touche de pluralisme». A compter de fin 1989, la vie politique grenobloise est centrée sur les «affaires». Le 1 juin 1990, une page entière de l’Humanité est consacré aux «affaires grenobloises : l’étau se ressert». Il est question de l’OPALE, du groupe BOUYGUES et de façon marginale du « service municipal des eaux vendu au privé». A la même époque, le quotidien Le Monde évoque lui le 22 mai 1990 «gestion de l’office HLM de Grenoble : M. Carignon a été blanchi par la Cour de Cassation mais d’autres informations pourraient être ouvertes». Ces articles font suite à une tribune libre de Michel Destot paru le 30 mars 1990 dans les colonnes du Monde sous le titre «Où va Grenoble ?». Cet article dénonce «les relations peu claires avec certains milieux d’affaires» et il se termine par une dernière phrase qui en dit long : «il est temps de redonner les bases d’une morale dans la vie politique municipale à Grenoble».

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De mai à décembre 90, tout n’est qu’escalade dans cette ambiance. En plein été, le Canard Enchainé (numéro du 08 août 1990) dénonce «avec ses airs candides, c’est un des maires de France qui donnent le plus de boulot au Canard» en raison des nombreuses affaires qui le poursuivent. Début septembre 1990, c’est autour de l’un des élus emblématiques de l’ouverture, Aziz Sahiri, d’être au cœur d’une affaire portant sur «France Plus Isère». La phase ultime arrive le samedi 21 octobre 1990. Il est 19 h 10, FR3 Grenoble a consacré un reportage mettant en cause un membre de la famille d’Alain Carignon suite à un article paru dans l’Express du 18 octobre. Comment sortir de cette tenaille ? Une réunion de travail est programmée pour collecter les propositions. Il est question de transparence, de la création d’une association «moralisère», d’une remise en question des outils de communication. Mais rien ne sera décidé pour application. Au moment où Alain Carignon est assailli par une nouvelle ambiance grenobloise ; il démultiplie ses efforts en politique nationale avec la promotion d’un front républicain contre le FN. Une initiative qui entraîne en juin 1990 le lancement à son encontre d’une procédure d’exclusion du RPR. En juin 1990, l’escalade nationale bat tous les records. Alain Juppé effectue une déclaration assassine indiquant que le Maire de Grenoble avait «franchi la ligne jaune». De son côté Alain Carignon affirme qu’il ne changera pas d’avis et dénonce un procédé stalinien «digne de la place du Colonel Fabien».

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Quelques semaines pus tard, dans VSD, Alain Carignon donne un long entretien sur trois pages entières. Pour la première fois, une question est posée sur un thème nouveau. Le journaliste Philippe Labi interpelle : « Est-ce qu’on peut imaginer qu’en 1995 Alain Carignon se présente dans la course à l’Elysée ? ». Il répond d’abord sur le nécessaire renouveau de la vie politique puis il indique « il faudrait vraiment que personne n’en soit le porte parole pour que je le sois moi-même ». L’entretien se termine sur les affaires à Grenoble. Le Maire élude le sujet et considère que le dossier est désormais clos. Cet entretien traduit l’état d’esprit du moment. Les affaires sont passées et il ouvre un nouveau dossier qui n’est pas moins que la modernisation de la vie politique nationale. La relation entre ces deux fronts est explosive. Une ambiance nationale explosive De 1986 à 2002, la montée en puissance des affaires est un phénomène sans précédent dans la vie publique française. D’accidents épisodiques et éphémères, à compter de la fin de l’été 1986, les affaires deviennent le repère permanent des commentaires journalistiques donc de l’opinion. Pendant la montée en puissance (1986-1989), l’ambiance est à la dénonciation et à l’inquisition journalistique tous azimuts. Début novembre 1987, Le Nouvel Observateur titre à la une : «tous pourris ?» et consacre 8 pages (Pages 53 à 60) de son numéro du 6-12 novembre 1987 à dresser le match des

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affaires entre la droite et a gauche. La même semaine, l’autre hebdomadaire national leader Le Point consacre lui 6 pages aux «finances secrètes des partis politiques». Tout y passe : scandales, affaires, trafics d’influence, fonds secrets, contrats à l’exportation, délits d’initiés, relations privilégiées avec des banques… Deux ans plus tard, Le Nouvel Observateur vit en février 1989 une étape supplémentaire. Pour promouvoir la vente de son numéro du 16 février 1989, il fait apposer dans les grandes villes de France des affichettes qui reprennent sa une : «Votre maire est-il corrompu ?» Le 17 décembre 1992, l’Evénement du Jeudi consacre 24 pages (!) au thème du «peuple contre les élites». Il dresse la liste d’idées noires qui ont pris ancrage dont : - les députés : tous à Paris, tous des pourris, - l’Etat : le plus grand voleur, - les experts : pas plus que moi, - les média : ils nous manipulent, - les syndicats : s’ils n’existaient pas, on serait mieux défendu, - les sondages : ils ne m’interrogent jamais… Avec la montée du Front National et le début de l’abstention, les média vont progressivement prendre conscience de leur responsabilité. Une responsabilité d’autant plus grande que si la décennie 80 a été celle de l’énergie, la décennie 90 voit une réelle montée en puissance du rigorisme et de la morale.

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La crise n’a pas seulement été économique. Elle a été aussi psychologique et culturelle. L’opinion déboussolée face à un futur sans avenir est partie à la recherche de coupables. Tous ceux qui détiennent un certain pouvoir sont rendus responsables de la crise. D’où un désir de vengeance de l’opinion vis-à-vis des dirigeants. Il faudra attendre le premier tour de la présidentielle 2002 avec le score du Front National pour que la presse change radicalement de cap considérant qu’à entretenir en permanence ce climat, elle faisait le jeu de l’extrême droite. Très rapidement, les affaires ne vont plus faire les unes. Faut-il pour autant en déduire que, quittant les unes, les «affaires» aient disparu totalement ? Dans ce climat particulier, la majorité départementale est étrangement ailleurs c'est-à-dire nulle part. Face au vide, la majorité départementale n’oppose rien La majorité départementale n’a livré aucune bataille. Elle pouvait chercher à égaliser le «passif de morale». Les exemples concrets sont nombreux. Refusant de s’engager dans le «partage des fautes», elle aurait pu ouvrir le dossier du «lave plus blanc» pour l’avenir. Des propositions concrètes ont été faites en la matière. Sur ce sujet, elle a décidé de subir l’opprobre de façon solitaire. C’est aisé de le reconnaître ainsi a posteriori. Dans le feu de l’action, la situation était considérablement compliquée puisque les «affaires» ont impacté l’ensemble de la vie politique Française dans des circonstances souvent étonnantes.

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Quand on compare les enquêtes internationales, la vie politique Française est marquée par deux discrédits exceptionnellement forts :

• le discrédit qui frappe la «parole d’élection»,

• le discrédit qui frappe le «personnel politique». Que cachent ces deux discrédits ? Dans l’actuelle vie politique française, il n’est pas concevable qu’un programme électoral puisse être appliqué. C’est ouvertement le «piège à illusions». Tant que cet état d’esprit demeurera c’est tout le contrat démocratique qui sera faussé ; d’où les radicalisations et la place des votes pour les extrêmes. Le second discrédit est celui qui frappe les classes dirigeantes françaises. Elles sont perçues comme incapables, épargnées du sort commun et suscitent un besoin de vengeance contre les élites qui atteint des scores sans précédent. Tant que ces deux discrédits demeureront la vie politique française sera très fragile et incertaine. Péguy avait coutume de déclarer «tout est politique aux politiciens. Mais tout est morale aux honnêtes gens». Les politiciens doivent réintroduire de la morale manifeste. Cette morale c’est celle qui se situe entre moralisation et démoralisation. Il ne s’agit pas de moraliser au prix de déclarations ou d’actes excessifs.

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Il ne s’agit pas davantage de s’accoutumer à une triste réalité qui génère une démobilisation gravissime. Toute la qualité de la réponse tiendra à son sens de l’équilibre et à sa portée générale pour bien attester qu’une vraie nouvelle page s’ouvre. A Grenoble comme dans bon nombre d’autres géographies secouées par des affaires, la majorité au pouvoir n’a pas su trouver les moyens pour montrer qu’une «nouvelle page» pouvait s’écrire par elle. Par conséquent, elle s’est condamnée à vivre l’alternance par élimination. Plus surprenante est en revanche son impossibilité à incarner l’avenir sur d’autres dossiers. En effet, il y avait pourtant au moins trois dossiers clivants qu’elle pouvait chercher à investir pour l’avenir : les voies de communication, l’économie, l’organisation des pouvoirs locaux. En ce qui concerne les voies de communication, c’était probablement le sujet le plus facile à traiter pour elle. Le diagnostic est connu depuis 1986 : l’asphyxie de l’agglomération. Face à ce diagnostic, le PS est paralysé par l’accord politique avec les Verts. En 1986, le CETE d’Aix en Provence, organisme d’étude des directions départementales de l’équipement, remet un rapport très complet dans le cadre des études préalables à la décision sur l’autoroute Grenoble – Sisteron. En janvier 1994, l’Agence d’Urbanisme de l’Agglomération Grenobloise a publié un document technique qui était le fruit de travaux longs associant tous les partenaires concernés.

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Ce document intitulé « le déséquilibre en marche, images de la région grenobloise » avait le préambule suivant : « afin de mieux cerner l’évolution de la Région Urbaine Grenobloise, dans la perspective de la réalisation du futur schéma directeur, l’Agence d’Urbanisme a réalisé un certain nombre d’études statistiques à partir des données du Recensement Général de la Population de 1990 et des précédents sur un périmètre élargi à 291 Communes». Des chiffres majeurs étaient mis en évidence pour aboutir à des décisions politiques urgentes dont les chiffres suivants. En 1975, un quart des emplois sur la Ville de Grenoble étaient occupés par des migrants venant d’une autre Commune. En 1990, ces chiffres sont passés à plus d’un tiers. En 1975, 48 Communes de l’Isère avaient au moins 20 % de leurs actifs qui allaient travailler à Grenoble. En 1990, ces Communes étaient passées au nombre de 77. Entre 1975 et 1990, les migrations quotidiennes entre l’agglomération et les extérieurs de première proximité ont augmenté de 130 % en volume. En 1990, chaque jour 40 000 personnes extérieures à l’agglomération grenobloise venaient travailler dans l’agglomération grenobloise alors qu’elles n’étaient que 16 000 en 1975... Tous ces chiffres justifiaient le choix du titre de cette publication technique : le déséquilibre en marche. Que s’est-il passé de 1990 à 2005 ?

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Toutes ces tendances se sont accentuées au point d’arriver au constat suivant : «Grenoble : une attractivité handicapée par les difficultés croissantes des déplacements. … Les principales voies d’accès sont engorgées aux heures de pointe et le moindre accident provoque un blocage complet de l’agglomération. Les transports ferroviaires ne sont pas au niveau requis pour une agglomération de cette taille... ». Qui dresse ce constat ? Un bulletin interne de l’UMP qui, pour une fois, oublierait les querelles intestines pour penser aux priorités quotidiennes des citoyens ? Non. Une publication hérétique et marginale capable de s’exprimer à l’abri des dépendances commerciales ? Non. Ce constat d’une agglomération paralysée est dressé officiellement à la page 02 du rapport réalisé par les services du Conseil Général de l’Isère et publié le 14 juin 2005. Le 1er constat avait été effectué en janvier 1994. 11 ans plus tard, une institution majeure (le Département de l’Isère) effectue un pas supplémentaire et officialise le constat quotidiennement opéré par des dizaines de milliers d’usagers. Pourquoi ces constats ne sont-ils suivis d’aucune conséquence pratique ?

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Les voies de communication ont été victimes d’arbitrages politiques au sein des nouvelles majorités locales. Le poids déterminant des écologistes a paralysé les élus socialistes. En juillet 1990, les élus socialistes et apparentés du Sieparg (mère de la Métro) publiaient une brochure de réflexion intitulée «l’avenir de l’agglomération grenobloise». Aux pages 22 et 23 figure la liste des signataires c'est-à-dire tous ceux qui sont maintenant en charge des dossiers de l’agglomération depuis 1995. A la page 13 dudit document sont mentionnés les objectifs prioritaires en matière de déplacements. Les engagements sont clairs. C’est la reprise des propositions de la DDE qui avaient obtenu un certain consensus. Il est donc question de l’aménagement de l’A 480, de la réalisation de l’U4… Les Verts ont impacté deux dossiers de façon privilégiée : le gel des voies de communication et la place de l’automobile dans la Ville de Grenoble. Alors que la droite avait combattu pour la réalisation de l’autoroute Grenoble-Valence puis de l’autoroute Grenoble-Sisteron, elle ne conduit pas de vastes campagnes pour dénoncer le blocage des plans de contournements routiers de la Capitale du Dauphiné. C’est un exemple caricatural des abandons de toute discussion sur les projets. Il en est de même pour la révision des politiques économiques locales.

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La naissance d’une économie mixte locale quasi-généralisée

A l’automne 2005, l’annonce par Hewlett Packard de la suppression d’effectifs à court terme sur son site grenoblois a placé l’agglomération grenobloise en état de choc. Hewlett-Packard a plusieurs pôles en France : 2120 salariés à Grenoble-Eybens, 400 salariés à l’Ile d’Abeau, 930 aux Ulis, 300 à Sofia Antipolis, 1 100 salariés à Issy les Moulineaux. Il faut remonter à 1974 pour connaître de telles annonces sur des marques emblématiques. A cette époque, l’économie locale a subi un vrai retournement de tendance. Mais elle a su trouver les ressources d’un renouvellement.

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La question est alors double. D’une part, savoir si l’économie locale va connaître un tel défi de repositionnement ? D’autre part et dans ce cas, a-t-elle les moyens d’une nouvelle vitalité à l’exemple du rebond opéré dans les années 80 ? Les forces traditionnelles de l’économie grenobloise L’économie grenobloise a longtemps réuni quatre atouts. Tout d’abord, c’était une économie équilibrée. La réalité économique était beaucoup plus diversifiée que la seule image de Grenoble nouvelles technologies, sciences du futur. L’agglomération a longtemps su éviter le piège de la mono-industrie. Tous les secteurs étaient représentés. Pendant longtemps, l’industrie grenobloise pouvait se définir d’abord par la négative. Elle comprenait tous les métiers sauf la construction automobile, navale et aéronautique. Cette tradition diversifiée a été son point fort diminuant sa vulnérabilité face aux restructurations brutales. Second atout : sa réactivité. Son tissu de PME, la place du tertiaire d’entreprise ont été ses leviers principaux de réactivité. Troisième atout, une région de personnels qualifiés. L’agglomération grenobloise disposait d’une chaîne de formation très performante. Ses trois universités, l’INPG, ses sept écoles spécialisées, son Ecole de Commerce, son Ecole Supérieure des Affaires, ses IUT...ont contribué à l’existence incontestable d’un pôle performant d’enseignement

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supérieur. La même performance est reconnue quant aux lycées, collèges. L’agglomération a aussi la chance de pouvoir compter sur des laboratoires de qualité dans des disciplines les plus variées. Quatrième atout et loin d’être mineur, le cadre de vie. C’est un enjeu déterminant dans l’attractivité de l’agglomération. 25 stations de sports d’hiver se situent à moins de deux heures de route du centre ville. La Méditerranée est à trois heures. Les équipements collectifs sont très importants, culturels, sportifs. Bref, pour une société internationale, Grenoble est une géographie accueillante. Trois périodes de logiques de politiques économiques De 1970 à 2005, trois logiques de politiques économiques ont été mises en œuvre par les pouvoirs publics locaux. De 1975 à 1983, les municipalités Dubedout ont mis en œuvre un «socialisme municipal» classique. Hubert Dubedout a innové comme seuls en France Frêche à Montpellier et Deferre à Marseille ont eu la volonté et la possibilité de le faire. Les collectivités locales se dotent alors d’outils d’interventions bien avant que les lois de décentralisation ne leur en reconnaissent la faculté légale. Le BIEN, la SADI, le Comité d’Expansion, le service municipal d’action économique sont des outils importants des collectivités locales. Ces outils ont été à cette époque interprétés par les organismes classiques de représentation des forces économiques comme des «leviers illégitimes»

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d’interventionnisme local et ont contribué à renforcer les tensions avec les organismes consulaires qui, à la même période, ont vécu comme une agression le développement considérable de la grande distribution en périphérie de Grenoble. Chaque CDUC (commission départementale d’urbanisme commercial) était le lieu d’oppositions irréductibles. De 1983 à 1995, les municipalités Carignon ont installé une autre logique. Le «discours fondateur» a été celui du 12 décembre 1983. Trois orientations se dégagent. La municipalité réaffirme sa priorité au développement diversifié tout particulièrement à destination des PME-PMI. Elle rassemble tous les organismes d’interventions au sein d’un Conseil de Valorisation de l’Economie Grenobloise. Dans une logique plus «libérale», elle considère que l’économie est d’abord le métier des chefs d’entreprises et que donc l’action publique doit aller à l’environnement : voies de communication, grands équipements publics, réseau international des villes… L’objectivité des chiffres conduit à reconnaître que la politique des grands chantiers a produit des effets très positifs sur l’emploi. Le seul BTP (bâtiment et travaux publics) perdait en moyenne 400 emplois par an. A partir de 1986, la tendance s’inverse pour arriver à un solde positif de création d’emplois de 320 emplois en moyenne par an. Pendant cette période, les PME (moins de 10 salariés) de tous secteurs ont créé 400 emplois supplémentaires par an de 1984 à 1988 pour franchir le seuil de 500 emplois nouveaux par an à partir de 1988.

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Pendant cette période, l’objectif a été placé sur les PME et la diversification. Cinq intervenants ont joué un rôle majeur. René Michal, en qualité de Président de la Chambre de Commerce et d’Industrie, veille à ce qu’une pause soit opérée dans le quadrillage de l’agglomération par la grande distribution. Roger Pellat Finet intervient au sein du COVEG et est un porte-parole convaincant des PME-PMI. Joël de Leiris, universitaire, renforce les liens avec les Universités, les laboratoires. Vincent Rivier, qui à succédé à Michel Destot au Commissariat Général aux Rencontres de Grenoble donne une vision conceptuelle de synthèse des opérations et s’avèrera un très efficace ambassadeur de la Ville de Grenoble auprès des instances nationales. Enfin, Pierre Beras, Président du Tribunal de Commerce de Grenoble veille, avec indépendance et autorité, à défendre les entreprises locales contre des manœuvres nationales ou des opérations bancaires irrespectueuses du «climat familial» des entreprises locales. Par certaines décisions et avec l’aide des services spécialisés de l’Etat, il a évité des restructurations qui auraient pesé lourd en termes de suppressions d’emplois à l’exemple notamment de l’offensive menée contre Kis par un concurrent qui ne se refusait aucun moyen. De surcroît, toutes les collectivités locales (Ville, Sieparg et Département) oeuvraient dans la même direction.

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1995-2001, des modifications majeures Les équipes de l’agglomération une fois placées sous la Présidence de Didier Migaud, celles de la Ville de Grenoble sous l’autorité de Michel Destot, ont apporté des modifications majeures. A la diversification antérieure, elles ont substitué une spécialisation officielle à destination des nouvelles technologies. Aux actions sur l’environnement économique (grands chantiers, voies de communication...), elles ont intensifié les aides publiques directes aux entreprises. Enfin, le partenariat a été lié principalement à destination de grandes entreprises. Ces trois repères sont les points communs d’une nouvelle logique économique d’abord marquée par des profils très différents. Le Maire de Grenoble arrive d’un univers qui est celui de la recherche et des liens permanents entre le secteur public et le secteur privé. Quant au Président de la Métro, il donne le sentiment de rester en retrait en matière d’économie en raison de positions électorales très dépendantes de l’électorat communiste très influent dans sa circonscription (plateau matheysin, chimie pontoise…). Dans ce contexte global interviennent des opérations ponctuelles à l’exemple de la pacification des relations entre

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Grenoble et Lyon conduite par Geneviève Fioraso, Adjointe à l’Economie du Maire de Grenoble. S’il n’y plus d’hostilité déclarée entre les politiques engagés à gauche et les chefs d’entreprises, à la différence de la période antérieure à 1983, ce sont des univers aux chemins parallèles pour ceux qui ne sont pas dépendants des subventions ou de marchés publics locaux. Il faut certes toujours se méfier des formules simplificatrices mais il est possible de dire que si, en 1983, les opposants municipaux regrettaient «l’OPA de la Chambre de Commerce sur la Ville» ; les opposants actuels pourraient dénoncer «l’OPA des grandes entreprises de nouvelles technologies sur l’agglo». C’est ce contexte qui a donné à l’annonce d’HP son retentissement exceptionnel. Elle est la remise en question de la politique économique mise en œuvre dans l’agglomération grenobloise depuis 1995. Grenoble n’est ni la Californie ni Singapour Cette décision d’HP pouvait ouvrir quatre questions de fond. Tout d’abord, le degré de spécialisation dans les filières de nouvelles technologies n’a-t-il pas atteint un niveau trop élevé exposant excessivement l’économie locale à des retournements majeurs de ce segment d’activité ? L’enjeu des nouvelles technologies est d’abord aujourd’hui celui du coût des emplois qualifiés. Il est désormais possible

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d’obtenir la même qualification en Inde par exemple parmi d’autres pour un prix défiant toute concurrence. Quelle sera la valeur ajoutée de la localisation grenobloise dans ce segment de marché si ce n’est plus celle de l’emploi qualifié ? C’est la question fondamentale dans ce dossier. Ensuite, les entreprises dans ce domaine sont internationales par obligation. Si cette mondialisation est dénoncée parce qu’elle rend impuissants les Etats représentant des dizaines de millions d’habitants, comment pourrait-elle ne pas emporter comme un «fétu de paille» l’expression de collectivités de moins de 500 000 habitants ? Troisième question, l’impact de la «mesure de rétorsion» que constituerait la demande de remboursements des aides. Ce sujet désormais très à la mode appelle plusieurs remarques. Tout d’abord, à notre connaissance, il n’y a pas eu de conditionnalité contractuelle expresse dans la délibération attributive de subventions. Dans quelle mesure serait-il alors juridiquement possible d’introduire a posteriori un tel critère ? Comment introduire rétroactivement des critères non fixés dans une délibération attributive initiale ? Deuxième considération, qui peut sérieusement imaginer qu’un million d’euros, pour prendre le cas de la subvention du département de l’Isère, soit une pénalité dissuasive pour HP à l’échelle de son groupe mondial ? Ces arguments ne constituent donc pas de vrais outils de pression. Enfin, dernière question, l’agglomération grenobloise a-t-elle eu raison de fonder la quasi-totalité de son image de marque

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externe sur les nouvelles technologies ? C’est un débat ancien. De nombreuses mises en garde avaient été formulées dans divers ouvrages (1988 : Grenoble : portrait de ville page 252). Dès 1979, Pierre Frappat dans un ouvrage célèbre dénonçait «le mythe blessé» et s’interrogeait sur le dilemme quant à l’évolution pour Grenoble entre «la Californie ou Singapour». Force est de constater que l’agglomération grenobloise n’est ni l’une ni l’autre ; c’est justement peut-être là que résident ses difficultés ... L’adoption d’objectifs en matière économique La «mutualisation» de la taxe professionnelle au sein de la Métro a créé une réelle démotivation des élus municipaux. De trop de concurrence dans les années 80 entre les zones d’activités économiques, la Métro est passée à une quasi-démotivation. Il était possible d’imaginer que l’opposition pose des questions sur les sujets suivants :

Le taux de taxe professionnelle n’est-il pas trop élevé dans l’agglomération grenobloise ? Le PDG d’HP rappelle les «impôts versés»... Ne faut-il pas organiser différemment les outils d’interventions économiques dépendant des structures publiques ?

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Ne faut-il pas mettre en place des mesures spécifiques pour redynamiser des secteurs du tertiaire produisant des emplois de proximité non délocalisables à l’exemple des services à la personne (loi Borloo du 27/07/05) significativement sous représentés dans l’agglomération grenobloise ? Ne faut-il pas favoriser l’émergence d’un nouveau pôle de services bancaires et financiers sans lequel aucune ville moderne ne peut sérieusement prétendre au statut de «ville de décision économique» ? Les trois collectivités locales ne doivent-elles pas constituer une «task force» exceptionnelle avec un commandement unique pour donner une expression et une action uniques dans les dossiers majeurs. Des décideurs internationaux comme HP ne vont pas multiplier les discussions au gré des interlocuteurs aussi nombreux que les collectivités locales françaises dont l’émiettement bat tous les records d’Europe ?

Sur tous ces sujets, l’opposition a été muette. Non seulement, elle n’a pas proposé d’alternative mais elle n’a même pas posé de questions …

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La fiscalité absente des débats Il est en de même sur le sujet de la fiscalité locale. En 1991, MM Quermonne, Larger et Monnier ont publié un rapport sur «un dispositif d’évaluation des politiques publiques pour la Région Rhône Alpes». Ce rapport contient tous les détails possibles pour la mise en place d’une politique transparente d’évaluation des politiques publiques. Il n’a jamais été mis en œuvre par une institution locale. En 2005, le rapport Pébereau sur la dette de la France met en avant les dérives des collectivités locales. Les budgets de fonctionnement ont explosé. Les recrutements ont augmenté dans des proportions totalement déconnectées de la réalité des évolutions des compétences. La Métro est devenue une caricature des structures publiques budgétivores. La structuration financière de la Métro a entraîné une uniformisation par le haut de la taxe professionnelle.

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Ainsi, pour les Communes dernièrement adhérentes et au moment où la morosité économique est indiscutable, la taxe professionnelle (TP) a commencé son ascension vers des hauts sommets. Le taux de TP va progressivement passer de 12,5 % à plus de 21 % dans certaines des Communes. La collecte des ordures ménagères a parfois augmenté de 30 % sans modification du service. La liste des hausses est longue. Ces hausses de fiscalité sont d’autant moins justifiées que dans le même temps les impôts municipaux ont eux aussi connu des hausses considérables. Or, en principe, l’adhésion à la Métro entraîne le transfert de compétences importantes hier du ressort des Communes. Si alors même qu’elles doivent faire face à moins de compétences, aucune diminution significative de fiscalité municipale n’intervient ; c’est donc une hausse historique des impôts municipaux. Cette contestation du niveau cumulé des impôts locaux dans un contexte de forte augmentation de l’emprunt va être conduite mais par les Verts et non pas par l’opposition de droite. C’est au titre de la protection contre les hausses fiscales que les Verts vont lutter contre : «Le projet de la Rocade Nord (600 M€ estimés dont 8 M€ d’études déjà engagées et un viaduc à 100 M€) dont personne ne veut plus prendre la responsabilité, qui est inutile et dangereux pour ses conséquences sur la pollution atmosphérique. Le grand stade d’agglomération qui ne répond pas à un intérêt général.

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Les subventions à des intérêts privés sans contrepartie et pour un développement sans débat, tels que

Alliance ST Micro, Philips, Motorola (17,5 M€ Métro et ville), Biopolis OGM (6,6 M€ HT), Nanobio (1ère tranche 23,5 M€ HT dont 10 M€

Métro), Minatec … Ce sont les Verts associés à l’exécutif de la Métro qui dressent un portrait aussi sombre de l’état des finances de la Métro face à un mutisme étonnant de la part de l’opposition à la Métro. Comment comprendre cette situation ? La bataille des droites avait pris le pas sur l’opposition républicaine habituelle.

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Le programme sans lendemain : les propositions du Groupe Idées

Au milieu des années 80, le Secrétariat général pour les affaires régionales a présenté trois scenarii de prospective à l'horizon 1995-2000 et la stratégie de développement qui est y est associée :

- « les citadelles » : chaque ville se développe de façon autonome dans l'ignorance des autres cités constitutives,

- « le ticket », les villes développent des réseaux et maillages

suivant les deux axes géographiques, naturels de la région,

- « la cohésion régionale hiérarchisée », structurée autour de

Lyon, ville internationale. Un groupe «Idées» réunissant des élus des majorités Grenobloises et Départementales des années 80 travaille pour identifier un programme.

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Il a animé pendant de longs mois des structures de réflexion qui anticipaient les évolutions politiques. Ainsi, le 8 mars 1988, une association voit le jour : IDEES. Ses statuts précisent qu’elle a pour finalité de rassembler les compétences, les énergies et les volontés «loin des clivages politiques, des oppositions géographiques, à l’écart de tant d’autres facteurs qui divisent artificiellement». Autour d’Alain Carignon, 18 membres fondateurs sont réunis : Pierre Beghin, Chérifa Ben Achour, Aimée Bénistant, Pierre Berthier, Laurent Boix-Vives, Yvon Chaix, Maurice Finiasz, Jacques Glénat, Bernard Guimier, Georges Lespinard,, Jeanie Longo, Max Micoud, Serge Papagalli, Bruno Saby, Catherine Stahl, Marc Tarduc, Haroun Tazieff et Marie-Thérèse Trillat. Ils vont travailler de façon quasi hebdomadaire et produire deux rapports d’un nombre global de deux cents pages. C’est un travail laborieux, sérieux qui dresse l’éventail des priorités pour Grenoble et l'Isère. Pour les voies de communication, ce groupe retient notamment :

qu'en matière de circulation routière, tant pour les voies de contournement, que pour les grands axes routiers (y compris les deux autoroutes futures, Grenoble-Valence et Grenoble-Sisteron, 2e axe européen Nord-Sud), Grenoble souffre de deux handicaps : le manque de liaison directe avec l'Italie et le poids de Lyon, métropole limitrophe, qui

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s’installe comme le noeud naturel de communications (air, eau, rail, route) que le potentiel stratégique de développement constitué par la zone de Moirans-Voreppe et sa desserte est porteur que l'avenir de l'aéroport de St Geoirs après la mise en service de la gare TGV de Satolas impose des remises en cause majeures et urgentes, que la réalisation des axes routiers précités ne suffit pas à positionner Grenoble et sa région dans la dynamique régionale européenne. La barrière Alpine reste infranchissable, la liaison ferroviaire TGV actuelle sur Lyon et Paris est insatisfaisante, de même que les liaisons Ouest vers Valence et Est vers Chambéry - Genève. Grenoble n'est pas non plus reliée directement aux grandes métropoles italiennes.

En conséquence, le groupe a choisi de centrer sa réflexion sur ce thème sur les mesures de désenclavement. Il recommande :

de conforter le positionnement de Grenoble et de réduire les distances. Le TGV via Satolas qui implique un gain de 20 minutes mais aussi le shuntage du Grand Lemps avec un gain potentiel de 15 minutes voire plutôt la réalisation d'une ligne en site propre via St Geoirs par la vallée de la Bièvre dont la faisabilité est à nouveau sérieusement réexaminée par la SNCF. De ce fait, l'aéroport verrait ses vocations touristique et d'affaires renforcées.

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Un axe autoroutier sur Marseille le plus efficient et le plus rentable économiquement pour l'usager et l'exploitant (pentes cumulées, ouvrages d'art, etc, ...). D'où le tracé direct sur Sisteron avec des bretelles de desserte en points spécifiques. La réalisation de cet axe répond à un impératif économique régional voire international. Une décision gouvernementale visant à la retarder serait lourdement préjudiciable pour le développement économique du Sud-Est de la France et pour son intégration dans la dynamique méditerranéenne à terme. Travailler au désenclavement de l'arrière-pays de l'Oisans et à la prévention de risques majeurs (éboulements sur Séchilienne, ...) avec la création d'une voie souterraine par tunnel associée à des tracés à ciel ouvert en site naturel ou sur ouvrage d'art (du type de ce qui est fait en Italie), à vocation mixte, double ou triple eau, route, rail, en certains endroits, par exemple tunnel sous Belledonne. Pour l’agglomération grenobloise, il s'agit de tisser les réseaux en maillage par complémentarité entre les différents types de transports pour faciliter les dessertes inter-agglomérations et intra-urbaines. La desserte cadencée avec une première liaison Rives-Grenoble prévue prochainement, une desserte RER pouvant par ailleurs associer les arrêts à l'intérieur de la ville de Grenoble, ALPEXPO par exemple. Il recommande l'opportunité d'un desserrement du trafic ferroviaire sur la gare de Grenoble en dissociant les trafics TGV et RER du trafic ferroviaire passagers classiques : réfléchir à l'implantation d'une nouvelle gare en agglomération. Une alternative envisage la circulation des trains le long du Drac pour rattraper ensuite la ligne de Chambéry à

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hauteur du Rondeau. Le segment ferroviaire Gare-centre ville-Rondeau ainsi dégagé permettrait un aménagement urbanistique, ou encore une affectation à une desserte de ceinture associée à la desserte cadencée, à voir avec la SNCF. Le contournement de Grenoble par dérivation du trafic routier sous la Bastille en complément d'une voie sous Belledonne en direction de l'Oisans. la création d’une liaison TGV Grenoble - Chambéry- Genève.

En matière d’organisation territoriale dans l’agglomération grenobloise, ce groupe effectue des propositions très novatrices. Il note d’abord que pour son développement urbain la ville de Grenoble à terme est confrontée à trois contraintes majeures : une relative exiguïté du territoire municipal, 1813 hectares, fortement urbanisé au cours des années 1970 qui ont marqué la vive expansion de la ville, le déclin réel de sa population depuis 1980 à l'image de nombreuses autres villes françaises. Lors du recensement de 1982, Grenoble comptait 156 500 âmes accusant un recul de population de près de 7 % par rapport à 1975. Simultanément la périphérie qui avait poursuivi une expansion rapide voit sa population se stabiliser, un déséquilibre dans la structure de la population et sa répartition à l'intérieur de la ville.

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Ainsi globalement c'est le constat d'un relatif vieillissement de la population non compensé par les flux migratoires qui s'effectuent au détriment des classes d'âges intermédiaires. La population jeune compose les quartiers Sud de la ville alors que les quartiers anciens se dévitalisent traduisant une double réalité, l'immobilisme du logement dans le centre comme dans les vieux quartiers et une diversité d'origine des populations. A cette réalité démographique, s'ajoutent aussi de nouveaux modes de comportement dont le résultat est une tendance à la multiplication des unités d'habitation et à la réduction du taux d'occupation du parc logement. Par voie de conséquence, Grenoble montre des besoins importants en logement et plus particulièrement en logement social. Ainsi, la politique urbaine au cours des dernières années a été marquée par une volonté de renforcement des capacités de construction (habitat et activités), laquelle s'est concentrée sur la révision du POS et le relèvement du COS. Parmi de nombreuses propositions, il y en a deux qui méritent une attention particulière. D’une part, la valorisation du centre ville. Cette volonté passait notamment par le retour des étudiants dans la Ville de Grenoble qui est une Ville universitaire en ayant peu d’étudiants sur son territoire. D’autre part, le second axe consistait à valoriser la Bastille, cette montagne dans la ville. L’objectif de ce groupe était de faire en

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sorte que Grenoble soit une ville où les touristes s’arrêtent au lieu de contourner la ville. Cette volonté passe par la définition d’une âme qui soit la valeur ajoutée de la ville. C’est un exemple des choix qui ont été opérés. Les Verts ont rendu la ville dissuasive pour les automobiles. Le centre ville n’a fait l’objet d’aucun effort pour le rendre plus attractif à des tiers bien au contraire. Les propositions du groupe IDEES reposaient sur des mesures entièrement différentes. Ce débat qui est un véritable projet de ville n’a jamais été livré. Ce programme qui a fait l’objet de travaux lourds, documentés, d’échanges permanents avec des experts, des représentants de la société civile est passé aux oubliettes du jour au lendemain.

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La bataille des droites

Fin 1990, la droite Iséroise est composée de 5 groupes :

- Les artisans de 1983, - Les pièces rapportées de 1988, - Les évadés de 1994, - Les bébés Carignon, - Les spectateurs du futur.

Ces 5 groupes ne parviennent pas à cohabiter. Bien davantage, depuis 1995, leurs oppositions internes priment Sur tout le reste condamnant ainsi la droite à une opposition durable. En effet, la terre Iséroise est peu favorable à la droite. L’agglomération grenobloise l’est encore moins. Si la droite ne fait pas d’abord le plein de ses voix naturelles, parvenir au seuil de 50 % lui est impossible.

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L’équation de toute élection Une élection est la plus imprévisible des consultations. Et pourtant, progressivement, une équation s’est dégagée. Une élection serait : E = N + P + C + X. N, c’est la notoriété. L’opinion ne vote pas pour un candidat

qu’elle ne connaît pas. La notoriété ne fait pas l’élection mais l’élection est hors d’atteinte d’un inconnu.

P, c’est la popularité. La popularité doit accompagner la

notoriété. En France, la popularité repose sur un positionnement dans l’une

des 4 cases suivantes : le Héros qui se détache du lot, le Séducteur qui répond à la mode du moment, le Juste qui incarne le point d’équilibre d’une société, le Savant qui apporte une réponse technique de confiance aux problèmes posés.

Alain Carignon appartiennent à la catégorie des Séducteurs. Michel Destot a été le Juste qui pouvait être le rempart contre les abus du mandat précédent. Didier Migaud a occupé la case du Savant : le technicien qui répond aux problèmes posés.

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A chaque niveau, un candidat doit se positionner sur l’une de ces cases.

C, c’est la conjoncture qui rythme les modes. L’élection n’est

pas un rendez-vous en dehors du temps. Bien au contraire, c’est un rendez-vous avec un calendrier qui vit et qui impose des cycles différents de profils souhaités.

X, c’est les capacités à remplir pour une élection donnée.

C’est la part de variable appliquée aux spécificités de la fonction en jeu.

Dans la longue marche vers une élection, chaque étape

impose ses actes fondamentaux. Le candidat de la Séduction doit aller vers un «rêve collectif».

Il doit être le moteur du changement d’une société, permettre de construire ce rêve collectif.

Le candidat qui se veut Juste doit choisir des actes liés à un

magistère moral. Le candidat qui se veut Héros doit travailler le passage de

l’image à l’imagination. Il doit s’identifier à de nouveaux modèles.

A compter de 1994, la droite a été dans l’incapacité à faire

émerger un leader qui puisse respecter les équations de toute élection pour une raison très simple : les divisions en son sein faisaient naître une telle perturbation d’images que toute communication globale positive était impossible.

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Cinq groupes ennemis Les «artisans de 1983» sont celles et ceux qui ont participé à

la campagne de mars 1983. Ils méritent le qualificatif d’artisans car ils ont construit une campagne avec des bouts de ficelles grâce à beaucoup de dévouement, beaucoup de conviction et beaucoup de militantisme dans la dernière ligne droite.

Dans ce groupe, l’affectif et le collectif comptent beaucoup.

L’affectif a soudé les tempéraments à l’origine car il a permis de surmonter des épreuves considérables. Les temps difficiles ont scellé des amitiés durables. Il y a une psychologie d’anciens combattants qui distinguent ceux qui ont été du « combat » et ceux qui furent absents.

A 34 ans, Alain Carignon est devenu le vainqueur

emblématique des municipales de mars 1983. Son parcours politique a débuté dès 1971 à Saint Martin d’Hères. Puis à l’occasion d’élections législatives, il est le suppléant de Pierre Volumard qui sera battu par Hubert Dubedout.

Sa première victoire significative, il l’obtient en 1976 en

gagnant un canton de Grenoble contre Christian de Battisti, ancien secrétaire fédéral de l’UDR passé au Parti Socialiste après la présidentielle de 1974. En 1977, il est jugé trop jeune pour conduire la liste aux municipales contre Hubert Dubedout. Il cède la place à un ingénieur qui disparaîtra ensuite rapidement de la scène politique locale.

Ses qualités sont vite reconnues. La proximité est son premier

atout. Il est accessible. Ses permanences ne désemplissent pas. En plein hiver, il conduit une tournée des quartiers qui

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impressionnera chacun de ses colistiers. Chaque matin, dans le coffre de la 4L, il place 3 paires de bottes en cuir à l’intérieur fourré. Il sait qu’en fin de matinée, le porte à porte l’amènera à poser la première paire détrempée par la neige mouillée et qu’il en sera de même au milieu de l’après midi. Pour suivre ce rythme, ses colistiers doivent établir un tourniquet tellement de telles visites sont épuisantes.

Sa seconde qualité est celle de l’écoute. Il laisse parler ses

interlocuteurs. Il n’est pas là à leur refaire le monde en permanence. Non seulement il écoute attentivement mais surtout il prend en considération les avis émis. C’est ce dernier volet qui lui a conféré une dimension fédératrice incontestable.

Pendant 10 ans, la droite a rassemblé des personnalités

venant d’horizons les plus divers. Au Conseil Général de l’Isère, le Sénateur Jean Boyer très

modéré était aux côtés du flamboyant Jean-Guy Cupillard. L’intellectuel Guy Cabanel croisait le fer aux côtés de Maurice Savin qui revendiquait avec talent et honneur son parcours professionnel loin des estrades doctorales. Jean Yves Poirier apportait le sourire permanent quand Pierre Grataloup incarnait de façon caricaturale la rigueur du notaire de province. Charles Descours s’emballait quand Alain Moyne Bressand modérait. La palette des tempéraments, des expériences était très large.

Il en fut de même à la Ville de Grenoble. La composante

féminine était très représentée bien avant toute contrainte légale. Mmes Paramelle, Bellot, Phion, d’Ornano, Tchidemian, Soldano, Bugada, Debryune, Buttard

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notamment exerçaient des responsabilités de premier plan avec des délégations réelles. Le catholique pratiquant Bruno de Gelis échangeait avec le libertaire Maurice Bertrand mais aussi avec le protestant Joël de Leiris …

Rarement, l’éventail fut aussi large. Cette diversité avait trois ciments. Tout d’abord, un lien affectif étroit avec Alain Carignon. Ensuite, un programme précis qui avait valeur de «feuille de

route». Enfin, une vie professionnelle qui existait en dehors de la

politique. Ces trois ciments ont disparu. Les composantes de la droite se

détestent. Elles ne prennent même plus le temps de travailler un quelconque programme. Les professionnels de la politique ont tout envahi.

Le premier ciment va être modifié avec les «pièces

rapportées» de 1988 qui correspondent à des recrues de droite comme de gauche. Certes la nouvelle gauche occupe une place particulière dans cet éventail. Mais il en est de même pour certaines personnalités de droite comme Max Micoud.

Les «évadés de 1994» sont tous ceux qui ont été actifs,

bénéficié de l’organisation politique mise en œuvre mais qui ont, dès le début des «affaires», tiré un cordon sanitaire d’urgence. Ils «ne savaient rien», n’avaient rien vu, rien

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entendu … tout juste connaissaient-ils les hémicycles des assemblées où ils avaient été élus et encore ...

Les «bébés Carignon» sont ceux qui ont composé les cabinets

à partir des conquêtes de 1983 et 1985. Ce sont des strates successives de personnalités qui ont découvert la politique souvent sans autre profession au préalable. La hiérarchie administrative gérait les collectivités et ces collaborateurs «administraient» la politique au quotidien : les humeurs des uns, les perspectives des autres. Mais ils n’ont jamais pris des responsabilités opérationnelles dans le déroulement de dossiers lourds.

Ils ont une caractéristique commune : une téléphonite aigüe. C’est une génération qui vit l’emballement permanent avec

une forte capacité à l’auto-intoxication. Sa fragilité résume à elle seule les difficultés de renouvellement car tant de mauvaises habitudes ont été prises.

Enfin, les «spectateurs du futur» sont ceux qui se préparent

toujours pour demain. Ce sont les spécialistes de l’attente. Demain, tout peut revenir comme hier. Ils ne visent pas à gagner un pouvoir mais à le récupérer.

Ces cinq groupes s’avèrent incapables de travailler ensemble ;

d’où les divisions durables car ce sont des profils très différents d’identités.

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La force de Michel Destot : inventer la «collectivité couette»

Sans appréciation partisane, Alain Carignon et Michel Destot

sont d’abord des produits de deux époques différentes. Le premier correspond à la naissance des patriotismes locaux.

Le second incarne bien la nouvelle génération des «collectivités couettes».

Alain Carignon : les patriotismes locaux Historiquement, le patriotisme est l’expression d’une identité

linguistique, culturelle, géographique qui cherche à s’affirmer progressivement dans un cadre politique. Le patriotisme n’est pas une idéologie. C’est un état d’esprit qui repose sur l’exaltation de critères d’identité (géographique, culturelle …) pour présenter une alternative.

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Cette approche de «nouvelle offre» repose souvent sur un terrain qui est d’abord celui de l’échec des approches idéologiques plus universalistes.

La poussée de patriotismes intervient ainsi lorsque les

références idéologiques traditionnelles deviennent inefficaces voire même suspectes. Il y a un moment où le décalage entre la «parole officielle» et la conscience collective de certaines difficultés produit un rejet des grilles classiques de lecture. Plus ce décalage dure ou se creuse, plus les repères classiques sont considérés comme instrumentalisés à des fins «impures» et suscitent un scepticisme croissant.

Les idéologies classiques ont toujours eu une vocation : être

un mécanisme de guide de la pensée pour apporter des solutions. Lorsque cette vocation n’est plus remplie, un espace se libère pour une autre grille d’analyse.

Cette poussée de patriotisme intervient donc classiquement

lorsque trois facteurs sont réunis. Tout d’abord, dans les circonstances où les idéologies

traditionnelles ont fait preuve de leurs faiblesses. Elles s’avèrent incapables de mettre en œuvre des solutions durables. Elles donnent le sentiment de s’accommoder de situations qui ne sont plus supportées par l’opinion publique. Cette dernière éprouve alors le besoin de se réfugier dans une autre voie. Ensuite, l’émergence du patriotisme accompagne les périodes où les valeurs universelles sont perçues comme un luxe. L’opinion publique ne conteste pas fondamentalement telle ou telle valeur d’accueil, de libéralisme, de tolérance mais elle

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considère que la pression des évènements du moment renvoie ces valeurs à des défis d’une autre époque ou à des aspects de «vitrine» qui n’ont plus de raison d’être. Enfin, dernière étape, face à des sociétés de plus en plus permissives, le patriotisme est perçu comme un moyen de «légitime défense». Pour se sauver dans des circonstances particulièrement mouvementées, le patriotisme apparaît alors comme une réponse car permettant de réaliser l’unité au moment même où elle serait menacée par des évènements forts. Le début des années 80 a rassemblé ces facteurs. La décentralisation est perçue comme une solution face à la crise de l’Etat. La gauche doit revoir ses fondamentaux et s’apprête à tourner les pages de son idéalisme. Ce contexte ouvre l’espace à une nouvelle génération de responsables locaux qui vont vivre les fiertés d’appartenance locale. Ce créneau est difficile à tenir dans le temps car il repose sur la «condamnation à réussir». La compétition est rude. La fierté locale n’accepte pas de cohabiter avec l’échec. C’est donc une redoutable pression que cette logique du «toujours premier». Alain Carignon, comme Michel Noir à Lyon, comme Michel Barnier en Savoie, Dominique Baudis à Toulouse … correspond à cette époque et à cette logique. Michel Destot est le résultat d’une autre époque : le besoin de protection par la collectivité locale. Elle n’est plus un drapeau qui mobilise mais la couette qui protège.

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Michel Destot : la gauche proche qui protège A son tour, Michel Destot est le produit de deux rendez-vous : la gauche qui gère et la gestion de proximité qui protège. La gauche qui gère est la nouvelle donne de la fin des années 90 ; ce qui explique qu’elle s’ancre dans les territoires locaux au point même que la gestion de gauche ne se différencie que de façon très pastel de la gestion classique. Des spécialistes du nombre, supposés très sérieux, défendent que le nouveau millénaire sera celui de la «Femme». Ils livrent une interprétation originale : - le millésime 1 est masculin, indépendant, singulier, - le millésime 2 est féminin, repose sur l’équilibre, le

partenariat, la famille.

Ce qui est plus important c’est tout simplement que la société dans son ensemble s’est adoucie dans ses valeurs. Les valeurs dominantes correspondent à des repères différents : - recherche d’harmonie, - pacifisme, - humanisme, - intuition, - modestie, - écoute, - sens pratique. La société n’attend ni la conformité ni la rupture brutale mais la transformation douce.

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Elle aspire à des changements pratiques immédiats et non pas à des objectifs généraux, ambitieux, lointains. Elle a besoin de confiance. Tout est perçu comme menace. Le besoin de confiance est la forme de protection qui traduit une aspiration plus forte que jamais à la sécurité comme assurance contre les risques généralisés qui nous guettent. Pour les citoyens, les nouvelles règles sont simples. En dehors de la proximité, tout est menace. Le monde est perçu comme déboussolé. Les remèdes ne guérissent plus. On ne vit plus dans une société qui demain sera meilleure mais on tente de survivre sur un radeau à la dérive dont on peut être éjecté à chaque instant. Dans ce contexte global, face au village planétaire qui inquiète sans identité, sans règle du jeu, il faut retrouver un espace de solidarités, de projet collectif, de micro-société où l’individu peut se raccrocher. C’est le rôle de la collectivité de proximité. Dans cette collectivité, le citoyen va rechercher des valeurs de considération, de dialogue, de respect, de protection. C’est la «collectivité couette». L’avenir est à la dissociation entre le lointain qui inquiète et le proche qui doit rassurer. Le lointain qui inquiète parce que tous les grands problèmes perçus semblent sans réponse efficace (environnement, inégalités, guerres, crises urbaines…).

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En revanche, la proximité doit sauvegarder l’optimisme. Elle incarne les micro-actions qui font du bien manifestement. Ce sont les petites causes, les petits gestes dont on se met à rêver de l’immensité de l’impact s’ils étaient reproduits à l’échelle de la planète. Le local devient le nouvel espace de la qualité et de la citoyenneté. C’est d’abord la qualité de la décision politique qui doit reposer sur un dialogue permanent. Bertrand Delanoë, grand détecteur de tendances, a initié le «programme d’orientation» c'est-à-dire l’étape de dialogue qui précède l’adoption du programme définitif. Les Français veulent être écoutés et surtout compris. Le chômage n’est pas seulement une agression matérielle. C’est d’abord un moment d’incompréhension entre un individu et la société. A défaut de trouver du travail, le chômeur veut d’abord être compris. Il en est de même dans le rapport à la santé. A défaut de soigner le mal, il importe au moins de prévenir la souffrance. C’est aussi le cas de la qualité de la ville qui devient plus simplement la qualité de la vie : faire beau, agrémenter les espaces… C’est une nouvelle mentalité qui s’est fait jour. Parce que le lointain est sans repère ni règle, le proche a besoin de balisages, de régulations. Il y a donc place pour une diffusion de codes de déontologie, de chartes, de labels de

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qualité, de tableaux comparatifs, de communication informative, de contrats de confiance… C’est un formalisme incontournable qui retarde les procédures mais c’est le prix à payer pour le retour de la confiance. Le local trouve une justification importante : c’est l’endroit où la société redevient vivable. C’est la clef du retour à la confiance. Il faut recréer une identité, des racines, un projet, des règles du jeu. Cette aspiration au local va connaître des développements particuliers avec l’évolution des nouvelles technologies. Ces 5 dernières années ont été une accélération sans précédent de l’avènement d’un nouveau citoyen qui met en partage ses propres productions et qui s’invite au banquet de multiples productions anonymes à travers le monde. Ces relais deviennent les plus puissants et contribuent à créer de nouveaux circuits d’influences qui contournent les autorités et institutions traditionnelles. C’est l’ère de l’ego-casting. Cette ère, c’est la possibilité de faire venir le monde à soi, où que l’on soit, à n’importe quel moment mais c’est aussi la possibilité d’influer sur ce monde en fonction de ses exigences personnelles. Les technologies sont au cœur d’un changement social majeur. Elles ont créé un nouveau réseau d’influence. Nous ne sommes qu’au début d’une nouvelle donne.

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Une nouvelle étape s’est déjà ouverte avec le renforcement des communautés. Ces communautés vont se structurer, peser un poids de plus en plus lourd. L’opinion publique Française est en train de vivre une nouvelle cohabitation entre d’une part sa quête d’efficacité sur le plan national et d’autre part sa recherche de protection sur le plan local. De cette cohabitation résultent deux profils très différents de leaders. Sur le plan national, il importe d’incarner un leader d’action efficace. Sur le plan local, il est utile d’incarner un homme de réflexion au-dessus de la mêlée. A ce niveau, le succès semble résider dans la capacité à dépolitiser son image. Cette dépolitisation est un gage de pérennité. C’est une nouvelle étape dans l’ancrage pour réussir localement. La mode n’est plus aux leaders charismatiques qui visent bien au-delà du seul terrain local. Ce profil là était la marque des années 80 et 90. Le temps est désormais à l’ambition locale à part entière. Le Maire devient une fonction qui remplit toute l’ambition avec un profil de titulaires qui allient des qualités simples : écoute, proximité, gestion avec précaution …

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Le succès de Michel Destot est un marqueur de cette évolution. Il est modeste, enraciné, semble voué entièrement à sa ville où le commentaire qui résume le socle de sa performance électorale est «Michel Destot n’est pas socialiste». La dépolitisation de sa gestion est ainsi devenue sa véritable rente de situation. Dans ce cadre, le Maire incarne les valeurs maternelles de la société. Les comportements caricaturalement masculins ne font plus recette sur le plan local. Les comportements traditionnels sont rejetés. Il ne faut pas incarner l’énergie, la force, la puissance, le commandement. Bien au contraire, les élus locaux les plus populaires sont à l’opposé de ces repères masculins. Ils incarnent l’adoucissement, la modération, le respect, le dialogue, la compréhension. L’autorité locale est d’abord une autorité qui s’entoure d’égards. La raison est simple. Plus le citoyen se sent citoyen du monde, plus il aspire à des racines. Perdu au sein de nouvelles entités lointaines et abstraites, le citoyen souffre d’un manque de solidarité et il aspire à une microsociété d’ancrage. Il va la retrouver dans sa Commune. A ce niveau, il a besoin de propositions concrètes auxquelles il peut s’associer où le nous s’écrit d’abord moi.

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Ce climat a conduit à l’émergence d’une nouvelle génération d’élus locaux éloignés des bâtisseurs charismatiques proclamés chefs des conquêtes locales. C’est aujourd’hui le modérateur qui écoute, le pacificateur qui réunit, le facilitateur qui organise de façon humaine l’assistance aux individus. Michel Destot est l’un des symboles de cette mode. Cette mode a été rendue possible également par l’évolution générale qui a frappé la citoyenneté. Un citoyen a des repères simples qui fondent ses actes civiques : - il a besoin de considération. Il sait que la qualité de

citoyen lui donne des droits importants dans un régime démocratique,

- il se positionne en appartenance à un groupe, - il aspire à la satisfaction d’enjeux personnels, - si les enjeux personnels sont remplis, il devient le garant

d’enjeux collectifs. Si les enjeux personnels ne sont pas remplis, il délaissera les enjeux collectifs pour tenter de satisfaire d’abord ses enjeux personnels.

La recherche d’appartenance à un groupe a longtemps privilégié une place importante aux partis politiques. Ces derniers modelaient même parfois la vision qu’un citoyen peut avoir de la réalité et guidaient fortement ses intentions de votes.

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Ce rapport à un parti politique avait des conséquences pratiques : - il révélait une appartenance forte voire même militante, - le parti «mettait de l’ordre» dans les préférences des

citoyens concernés et surtout hiérarchisait des priorités. Le parti politique était donc un simplificateur de comportements. Ce critère d’appartenance a été fragilisé pour deux raisons. D’une part, les partis politiques ont perdu en qualité de référence. Leur statut s’est beaucoup désacralisé sous l’influence de nombreux facteurs. Mais surtout, d’autre part, la désappartenance à un groupe politique est non seulement le résultat de la baisse de l’image de marque des partis mais l’affirmation d’une culture politique personnelle qui équivaut à la revendication d’un certain épanouissement intellectuel. Sur le fond, les citoyens ont gagné en connaissance individuelle des dossiers. Ils sont de plus en plus connaisseurs de questions. Ils se constituent donc en conséquence une opinion et ensuite seulement ils cherchent à voter pour un candidat qui partage leur point de vue. Ce dernier volet pose une question majeure : pour les citoyens qui gardent une référence à un parti politique, attendent-ils du parti que leur soit dictée leur façon de penser ou bien cherchent-ils une formation et un candidat qui répondent à leurs convictions ?

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Le «citoyen idéologue ou militant» est de moins en moins présent. La fidélité aux partis politiques a fondu comme neige au soleil. Elle est désormais totalement dépendante de l’action du parti tout particulièrement quand celui-ci est en charge des responsabilités du pouvoir. Cette évolution explique les mouvements importants de blocs de voix passant d’un camp politique à un autre au gré des circonstances. L’étape suivante consiste donc à définir les circonstances de nature à justifier des modifications de comportement électoral. S’agit-il de questions de fond ou de sujets d’actualité ? La règle constatée par les études conduites sur ce sujet est celle de la primauté des sujets d’actualité. Pour qu’une question de fond prenne plus d’influence qu’un sujet d’actualité, il faut deux critères cumulatifs : - d’une part, qu’il s’agisse d’une vague de fond relative à

un réel dossier d’une ampleur considérable (guerre, questions économiques exceptionnelles…),

- mais surtout d’autre part que l’un des candidats ait des positions clivantes éloignées des priorités collectives consensuelles, si elles existent.

En d’autres termes, si la question de fond appelle des réponses assez proches de la part des deux candidats, l’électorat retourne à des sujets d’actualité. Par conséquent, la règle très installée est celle de la primauté des questions d’actualité. Mais ce critère de choix est

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aujourd’hui mis en difficulté par un autre enjeu : la répartition entre les citoyens qui votent et ceux qui ne votent pas. Cette séparation appelle une question pratique : qu’est ce qui peut réellement conduire un citoyen à ne pas voter ? Les études universitaires conduites sur ce sujet apportent des enseignements qui divergent des réponses traditionnellement admises. La baisse de participation est d’abord liée au sentiment que le vote ne changera rien au «système». Plus un circuit de décisions politiques est perçu comme manifestement «autonome», plus la participation civique chute. Le second facteur d’abstention est lié au sentiment qu’a le citoyen d’exercer une influence décisive sur le vote. Si le choix collectif lui parait acquis d’avance et à l’abri de sa participation individuelle; il sera tenté par l’abstention. Enfin, et seulement en troisième position, apparaît comme facteur le rejet des partis politiques. Le «nouveau citoyen» non seulement aspire à une nouvelle considération mais encore fait la chasse aux attributs de la classe politique classique.

Ces attributs touchent à l’apparence comme au contenu même de l’expression. L’apparence paraît toujours guidée par une attitude hautaine qui maintiendrait les intéressés au-dessus du commun. Le costume cravate avec des couleurs sombres est ainsi devenu une sorte d’uniforme trans-partis.

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Quant à l’expression, elle est fortement matinée d’intellectualisme littéraire quelle que soit d’ailleurs la formation initiale des intéressés. Le plus étonnant, ce n’est pas tant l’existence de tels traits dominants mais l’attractivité d’un code de conduite adopté de façon caricaturale par ceux que pourtant leurs parcours initiaux avaient éloignés de tels comportements. Après leur entrée dans cette «classe politique», des femmes se déféminisent, même d’anciens ouvriers communistes s’approprient les critères du notable politique préalablement résumés.

Cette situation est aujourd’hui menacée par des signes annonciateurs d’éventuels changements profonds.

L’émergence d’une méfiance vis-à-vis du Pouvoir

Pendant des décennies, les citoyens Français ont entretenu un rapport particulier avec l’Etat. Ils voyaient l’Etat comme ils voyaient les monarques, plus alliés qu’ennemis, plus protecteurs que dangereux, plus garants que menaçants.

Ces qualités de protection, de sécurité, de gardien de la liberté individuelle s’effondrent ou se sont déjà effondrées. Comment l’Etat pourrait-il être crédible pour protéger autrui alors qu’aux yeux d’un nombre de plus en plus important il n’est déjà plus apte à se protéger lui-même, que son fonctionnement est éloigné des règles élémentaires d’efficacité et encore davantage d’efficience ?

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La population évolue donc vers une conception à l’anglo-saxonne marquée par la méfiance vis-à-vis du Pouvoir. Elle craint les abus de pouvoirs ; donc elle souhaite que le Pouvoir fasse peu, ne s’occupe plus de tout.

L’exemple le plus poussé de cet état d’esprit est celui des USA où la liberté c’est l’absence de Gouvernement.

Cette évolution emporte avec elle, tous ceux qui incarnent le Pouvoir Elle emporte également ceux qui sont des «satellites» du Pouvoir à l’exemple de la presse et de la justice. Cette méfiance creuse un fossé entre les personnes de Pouvoir et les citoyens. Tant que ce fossé existera ou pire s’il s’amplifie, c’est le divorce assuré entre deux mondes au mieux séparés et au pire totalement opposés.

La fin du «prêt à penser»

Un grand hebdomadaire national a consacré dernièrement sa une aux «iconoclastes». Le divorce entre la «classe politique» et les citoyens laisse un espace pour une nouvelle pensée et une nouvelle parole qui heurtent délibérément les «repères officiels».

L’opinion publique française va-t-elle installer une mode passagère ou réellement un nouvel état d’esprit ?

Si c’est une mode passagère, son caractère éphémère va signifier qu’en dehors de «marginaux», tout rentrera vite dans l’ordre traditionnel. La «classe politique» ne sera donc pas sérieusement ébranlée dans ses repères habituels.

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Si c’est l’installation d’un nouvel état d’esprit, il faut se préparer à l’émergence d’actes fondateurs «révolutionnaires» à l’exemple des attitudes suivantes communes dans d’autres démocraties mais totalement étrangères aux mœurs politiques françaises :

- imagine-t-on un candidat à la présidentielle venir

rencontrer des ouvriers en portant une chemise à carreaux avec les boutons supérieurs ouverts et une casquette d’ouvriers sur la tête : provocation ou similitude ?

- l’émergence de tabloïds sans tabou y compris sur la vie

privée des responsables politiques. Pourquoi choisiraient-ils ce qui est bon pour leur communication et ce qui est interdit,

- la fin de l’expression «nation» dans les enjeux internes

des décisions gouvernementales. Il n’existe plus d’intérêt général abstrait supérieur aux intérêts particuliers organisés,

- la reconnaissance de la diversité territoriale. La France

uniforme prend fin. Des différences significatives existent et sont reconnues d’une région à l’autre,

- la remise en cause des conditions générales de

fonctionnement d’une presse française plus préoccupée par les opinions que par les informations.

Voilà quelques uns des principaux tests. A vouloir exclure les citoyens de la «classe politique» cette dernière risque un retour en force des premiers particulièrement rugueux.

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Les élections municipales de mars 2008 ont montré sur le plan national que la vie publique locale avait changé d’âge. De façon générale, nous avons assisté à quatre phénomènes généraux d’ambiance. 1) Sur le plan national, la majorité présidentielle est passée de la joie à l’amertume. La période de pré-campagne a été marquée par la polémique sur le «nouveau style présidentiel». Loin d’être un tremplin nécessaire, cette période s’est avérée un plongeoir pour de nombreux candidats ainsi entraînés dans des enjeux qui n’étaient pas de leur ressort. Nicolas Sarkozy est passé du statut de celui qui aide à monter comme lors des législatives 2007 à celui qui «encombre». Au printemps 2007, les indécis se disaient «il va me séduire». A l’hiver 2007-2008, les indécis se disaient, «il va me tromper» car chacun pouvait trouver dans le nouveau style présidentiel un acte fort qui puisse choquer et légitimer la distance. 2) L’opinion est passée de la confiance à la suspicion. Elle est devenue inquiète de ce que l’avenir peut lui réserver. Des éléments affectifs de confiance nés lors de la présidentielle sont devenus des éléments objectifs d’inquiétudes voire même de peurs : pouvoir d’achat, emploi, effets durables de la hausse des carburants… 3) La majorité présidentielle est passée de l’union à la jalousie dans ses relations internes des partenariats politiques. Les relations avec le Nouveau Centre se sont altérées. Celles avec la Gauche Moderne n’ont pas trouvé un réel point d’équilibre. Bref, le nouvel ancrage politique national n’est pas parvenu à s’enraciner localement.

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4) L’électorat est passé de la cohérence à l’éclatement. Faute de message fort et porteur de la part des représentants de la nouvelle majorité présidentielle, les concurrences locales ont donné naissance à un éclatement sans précédent. Dans ce contexte ponctuel, cette campagne a fait naître 10 enseignements majeurs aux traces probablement durables et profondes. 01 - la présidentialisation des scrutins locaux, 02 - l’avantage des sortants, 03 - les campagnes des fiertés locales, 04 - une communication offensive qui ignore la concurrence, 05 - la place dominante du marketing de la peur, 06 - la spécialisation des messages, 07 - la décision par enjeu, 08 - des médias locaux qui occupent toujours efficacement la fonction de régulateurs des choix, 09 - la reconnaissance d’un cadre légal inadapté, 10 - l’entrée dans un nouvel âge de la vie politique Française.

1-La présidentialisation des scrutins locaux Si un doute demeurait sur la présidentialisation du régime

politique Français, les dernières élections locales l’ont levé. La France est entrée totalement dans la logique permanente de démocratie d’opinion. Dans cette démocratie, c’est le Président de la République qui est au centre des appréciations.

En réalité, dans les Communes d’une certaine taille, il y a désormais une cohérence à déterminer entre trois communications initialement autonomes :

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- la popularité du Président qui sert de bonus ou de repoussoir, - la popularité du candidat leader de la liste, - la popularité du leader principal concurrent.

Les élections interviennent en fonction de ces trois curseurs.

De façon générale, les élections ont été marquées par les rapports entre ces formes de personnalisation du scrutin. Cette réalité montre que les communications doivent être recentrées sur non pas une addition de réalisations mais sur le style de celui ou de celle qui incarne ce bilan ou l’opposition.

Dans cette bataille du style, les mots clefs ont été : - changement : ce changement n’était pas tant une question d’âge d’état civil que la capacité à incarner une certaine fraîcheur, un renouvellement. - gagneur : là aussi, c’est le leader qui marque sa capacité à faire, à agir, à réaliser. - tolérance : derrière la connotation habituelle de ce mot est surtout apparue une attente de sympathie. C’est la proximité affective qui modère le poids pénalisant de l’engagement partisan. Cet élément affectif a occupé un rôle considérable auprès des électorats flottants.

Les municipales 2008 ont été une bataille d’images sur des critères émotionnels. Elles n’ont pas été une bataille de bilans ni de projets.

C’est la proximité humaine de terrain qui a communiqué en créant des évènements visuels accélérant l’implication et l’adhésion des citoyens.

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2-L’avantage des sortants Depuis le début des années 80, il était souvent question d'une

montée en puissance de «l'État spectacle». Cette formule doit s’appliquer au moins pareillement aux «Communes spectacles».

Les concepts et les chiffres doivent se transformer en images

pour qu'on les comprenne ou pour qu'on les prenne en compte. S'ils ne se transforment pas en images, ils disparaissent du débat.

Cette démocratie émotionnelle de l’instant qui manie les

symboles, les images bien au-delà de leur rationalité est le socle des victoires des sortants.

Cette logique de l’émotion visuelle immédiatement

consommable a d'ailleurs considérablement marginalisé le débat politique traditionnel. Les sortants qui ont le plus communiqué ont été manifestement très avantagés lors des élections.

Pour le sortant, la communication évènementielle dans un

cadre fortement personnalisé est aujourd’hui son principal atout dans la campagne électorale. L’image du «gestionnaire bon père de famille» a pris fin.

Il faut assumer une politique spectacle personnalisée. On oublie trop souvent que les possibilités de faire évoluer

rapidement une image sont très réduites. Le public se fige dans une certaine représentation à laquelle il associe un nom.

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Pour sortir de telles limites ou les faire évoluer, il faut compter avec le temps.

C’est la différence entre l’identification et la notoriété. Il ne

s’agit pas seulement d’être connu. Il faut être reconnu comme porteur de certaines qualités. Ces qualités sont difficiles à construire car l’opinion attend de la proximité et de la différence. Il faut être pareil aux autres et pourtant différent dans certains domaines, ce qui permet de dégager une valeur ajoutée.

C’est cette communication personnelle, émotionnelle, simple

qui a gagné sur la communication complexe, rationnelle, dialectique qui est devenue inaudible.

Il s’agissait d’être plutôt que de promettre. Il s’agissait de

séduire plutôt que de chercher à persuader. 3-Les campagnes des fiertés locales La fierté locale n’est pas une idéologie. C’est un état d’esprit

qui repose sur l’exaltation de critères d’identité (géographique, culturelle …) pour présenter une alternative aux idéologies habituelles et ouvrir des partenariats nouveaux.

La poussée des «patriotismes locaux» a été considérable. Les

campagnes des fiertés locales ont été innombrables : depuis le «temps d’avance» à Paris jusqu’à Lyon «la ville que le monde entier va nous envier» ...

Que traduit ce phénomène ?

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Tout d’abord, dans des circonstances où les idéologies traditionnelles ont fait preuve de leurs faiblesses et s’avèrent incapables de mettre en œuvre des solutions durables, l’opinion éprouve alors le besoin de se réfugier dans une autre voie.

Ensuite, l’émergence du patriotisme accompagne les périodes

où les valeurs universelles sont perçues comme un luxe. L’opinion publique ne conteste pas fondamentalement telle ou telle valeur d’accueil, de libéralisme, de tolérance mais elle considère que la pression des évènements du moment renvoie ces valeurs à des défis d’une autre époque ou à des aspects de «vitrine» qui n’ont plus de raison d’être.

Enfin, dernière étape, face à des sociétés de plus en plus

précaires, ce patriotisme local est perçu comme un moyen de «protection».

La période actuelle est marquée par l’échec sur trois fronts

d’aspirations vitales pour le progrès de l’espèce humaine : être, se réaliser, fraterniser. Face à ces échecs, la collectivité de proximité peut être une «collectivité couette» qui protège, qui atténue les chocs.

Cette tendance montre d’ailleurs un terrain très porteur pour

le PS. Une nouvelle cohabitation est née. Le pouvoir national est confié à une droite qui peut mener des réformes. Le pouvoir local est confié au Parti Socialiste qui doit faire vivre les filets de sécurité, cette protection sociale que l’on nous envie, cette chaleur humaine que l’on n’attend plus d’un pouvoir lointain mais que l’on exige du pouvoir le plus proche.

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La campagne «idéale» pour le moment c’est la fierté d’appartenance par cet ancrage de dimension humaine d’où les succès historiques de Paris et Lyon notamment.

4-Une communication offensive qui ignore la concurrence Sur le terrain, au-delà de la diversité des territoires, les

campagnes municipales 2008 ont été marquées par : - l’absence de débat, - l’absence de comparaison détaillée entre les programmes.

Les plagiats de programmes n’ont jamais été aussi nombreux

et surtout aussi peu sanctionnés par l’opinion. Les débats publics contradictoires ont été très peu nombreux et, lorsqu’ils ont existé, ils ont suscité un intérêt très modéré n’impactant pas réellement les ancrages de votes.

Les campagnes victorieuses ont souvent été des campagnes :

- d’une communication très offensive multi-supports, déroulant une thématique répétitive,

- et n’engageant aucun débat contradictoire avec les reproches ou critiques des autres listes qu’il suffisait de balayer par un «c’est faux» et passer au dossier suivant.

Le circuit court de communication candidat/opinion a

toujours prévalu sans intégrer dans ce rapport un seul concurrent.

Les campagnes 2008 ont été des caricatures de

«monologues».

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5-L’institutionnalisation du marketing de la peur Jusqu’en 1981, c’est la droite qui habituellement agitait le

drapeau de la peur à chaque consultation nationale incertaine pour elle.

En 1986, sur le plan national, c’est la gauche qui a repris ce

thème avec à cette époque la désormais célèbre campagne «au secours, la droite revient». Cette campagne a été lancée par le PS en décembre 1985, puis relayée au printemps 1986 par l’affichage «dis-moi jolie droite, pourquoi as-tu de si grandes dents ?».

Ce marketing de la peur s’intègre désormais dans le paysage

politique local de façon structurante. Il ne s’agit plus d’entrer dans la contradiction de dossiers précis mais d’agiter les chiffons rouges des peurs locales pour plomber les listes concurrentes là aussi sur des bases proclamatoires et non pas rationnelles.

6-La spécialisation des messages L’électorat a implosé. Les sentiments d’appartenances à des

tribus distinctes se sont renforcés. Il faut donc identifier ces cibles puis apporter des réponses précises à des questions très concrètes.

Présentée ainsi, cette nouvelle exigence peut paraître simple. Les élections locales 2008 ont été d’abord des élections de

réseaux, d’où là aussi l’avantage aux sortants. La communication généraliste a vécu. Il faut désormais

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segmenter les messages et donc disposer de la connaissance des cibles pour construire une communication efficace. La logistique des réseaux a beaucoup compté.

7-La décision par «l’élection par enjeu» L’opinion affecte au scrutin une question centrale, principale.

Par son vote, elle répond à cette question. C’est cette nouvelle logique qui explique l’impossibilité de

dresser désormais des cartes politiques durables. A chaque scrutin, la principale question peut changer et des mouvements considérables de votes peuvent en résulter.

Contrairement à ce qui est souvent dit, l’opinion ne change

pas. Elle change de question principale et ce faisant elle adapte son vote en conséquence.

8-Les médias locaux occupent toujours efficacement la

fonction de régulateurs des choix. Le positionnement de la campagne a correspondu au créneau

des médias locaux et tout particulièrement à celui de la presse quotidienne régionale.

Le marché étant devenu celui de l’image par la proximité sur

le terrain, la presse quotidienne régionale a tenu une influence particulière dans sa faculté à opérer un rendu banalisé des visites sur le terrain par exemple de l’élu sortant comme si la campagne électorale n’existait pas.

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Les élus sortants ont souvent particulièrement bien mis à profit les 12 mois supplémentaires pour multiplier les chantiers opportunément terminés dans la dernière ligne droite.

Dans certaines géographies, des pages entières de la PQR

constituaient le plus efficace compte rendu de bilan de l’équipe municipale sortante qui pouvait ainsi écraser, voire même tuer, l’espace du débat électoral proprement dit.

Cette logique du «terrain qui communique comme si

l’élection n’existait pas» est l’explication première de la prime aux sortants qui a marqué l’échéance 2008.

9-La reconnaissance d’un cadre légal désormais inadapté Cette reconnaissance d’inadaptation est manifeste dans 4

domaines. Tout d’abord, le plafond des dépenses de campagne pour un

montant globalement bas introduit un avantage aux sortants qui est considérable quand on ajoute la communication institutionnelle et celle via la PQR ouvertes de fait principalement aux sortants.

Ensuite, le calendrier des élections locales est désormais trop

éclaté pour permettre des scrutins qui ne soient pas détournés de leurs significations réelles. C’est probablement l’ensemble du calendrier électoral Français qui doit être révisé.

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Puis, un rôle trop réducteur est confié aux débats contradictoires. Des élections sont même parfois intervenues sans le moindre débat contradictoire comme si ouvertement le sortant reconnaissait qu’aucun challenger ne méritait de le «rencontrer».

Enfin, l’absence de cadre strict imposé aux médias

«institutionnels» introduit des disparités parfois extrêmes qui éloignent beaucoup du principe affirmé de l’égalité entre les candidats.

Si le plafond des dépenses a été introduit pour casser une

trop grande inégalité par l’argent, bon nombre de situations pérennisent désormais l’inégalité par le pouvoir ; ce qui n’est pas plus sain.

La modernisation du cadre légal des campagnes locales paraît

nécessaire. 10-L’entrée dans un nouvel âge de la vie publique locale

Française. Deux nouveaux paramètres ont fait une entrée dans la vie

publique locale : -le mouvement : les habitants n’attendent pas tant des

résultats que du mouvement. Le mouvement est la promesse de résultats. Cette étape suffit déjà pour partie aux citoyens,

-la communication : elle n’est plus la seule mise en scène de

l’action. Elle est une forme de l’action. Elle est même l’action sur le registre symbolique.

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Les victoires de mars 2008 ont été celles qui étaient porteuses de mouvement et de communication symbolique efficaces.

Sous ces deux angles, un nouvel âge de la vie publique locale

est né.

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Présentation de l’auteur

Denis BONZY est né à Grenoble il y a 54 ans. Il connaît particulièrement bien la Capitale du Dauphiné dans laquelle il a passé toute son enfance, sa scolarité et un parcours professionnel atypique. De formation universitaire juridique, ses qualités de rédacteur font qu’il sera choisi par Alain Carignon, le candidat challenger à la mairie de Grenoble, pour assumer la responsabilité de la Direction de Campagne de la liste «Ensemble Grenoble» en mars 1983. Au lendemain de la victoire, Alain Carignon le nomme Directeur de Cabinet du Maire de Grenoble, fonction qu’il assumera jusqu’en 1986. Puisque «l’on ne change pas une équipe qui gagne», Denis Bonzy sera également nommé Directeur de Campagne aux élections cantonales de mars 1985 qui installeront Alain Carignon comme Président du Conseil Général de l’Isère. A compter de 1986 et pendant près de 15 ans, Denis Bonzy gagnera un à un des mandats électoraux dans des géographies réputées difficiles car ancrées dans des sensibilités politiques différentes des siennes. Il sera tour à tour : Président de la Commission Recherche et Nouvelles Technologies et Vice-président chargé des Finances du Conseiller Régional Rhône-Alpes ; Président du Conseil d’Administration de l’Agence de l’Eau Rhône Méditerranée

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Corse nommé par Décret du Premier Ministre ; Conseiller Général de l’Isère et Maire. A la Présidence de l’Agence d’Urbanisme de la Région Grenobloise (AURG), il a été l’un des premiers à attirer l’attention sur les « déséquilibres en marche » entre la ville – centre et la périphérie. A la Présidence de la Commission des Finances et de l’Emploi du Conseil Général de l’Isère, il a mené une lutte permanente en faveur de la limitation de la dépense publique et du désendettement. Par ailleurs, Denis Bonzy a un parcours professionnel atypique faisant de lui respectivement un enseignant, un chef d’entreprise et un auteur. Au cours des dernières décennies, il a publié plusieurs ouvrages sur Grenoble et sur le marketing public. Aujourd’hui, il est consultant auprès de diverses sociétés et enseigne les systèmes d’informations financières au sein d’une Ecole Supérieure Lyonnaise de Commerce. Si Denis Bonzy connaît bien Grenoble pour avoir arpenté les chemins de randonnées alentours et les rues de la ville, porte à porte lors des élections, par son expérience de terrain il en connaît également les différents réseaux, tissus économiques, politiques, culturels et autres…. C’est cet éclairage multiple qui donne à son analyse un intérêt particulier.

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