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48 | 2009 | aster | 39> 62 Graphismes techniques : tâches, nature et causes des difficultés des apprenants Christian Hamon, UMR STEF, ENS Cachan, INRP, Universud Paris ; [email protected] Cet article passe en revue les principaux résultats de recherches empiri- ques menées en France ces quinze dernières années et relatives aux graphismes techniques. Ces travaux rendent compte à la fois de l’évolution parallèle des méthodes et des contenus d’enseignement résultant de l’introduction récente dans l’enseignement technologique de nouveaux graphismes techniques, et de la nature et des causes des difficultés qu’éprouvent les apprenants (élèves, étudiants ou adultes en formation) lors de tâches mettant en œuvre ce type de graphisme. Ces recherches traitent de problématiques liées aux modes de représen- tation des systèmes mécaniques, aux processus de conception de produits industriels et aux automatismes. « Les capacités nécessaires pour comprendre, mais aussi produire des images et figures techniques sont fondamentales pour l’enseignement scientifique et technologique à de nombreux niveaux, depuis l’école jusqu’à l’université » (Lowe, 2000). Longtemps, seul le dessin technique fut utilisé puis enseigné (Deforge, 1981). Une longue tradition de recherche, initiée dans les années 1960, a permis de concevoir l’activité de lecture du dessin technique comme mettant en jeu des relations spatiales, des codes et des connaissances techniques (Baldy & Weill- Fassina, 1985), nécessitant, pour les apprenants, la maîtrise progressive et soli- daire de trois champs conceptuels : la géométrie, la sémiologie et la technologie (Vérillon, 1996). Des recherches sur les relations aux normes (Gahlouz, 1994) et l’identification des difficultés à comprendre le fonctionnement d’une machine à partir de sa description, et notamment de sa représentation graphique, ont été réalisées dans les années 1980 (Rabardel, 1980). Parallèlement de nombreuses études ont porté sur l’apprentissage et le rôle de la schématisation (Vezin, 1985).

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Graphismes techniques : tâches, nature et causes des difficultés des apprenants

Christian Hamon, UMR STEF, ENS Cachan, INRP, Universud Paris ; [email protected]

Cet article passe en revue les principaux résultats de recherches empiri-ques menées en France ces quinze dernières années et relatives aux graphismes techniques.

Ces travaux rendent compte à la fois de l’évolution parallèle des méthodes et des contenus d’enseignement résultant de l’introduction récente dans l’enseignement technologique de nouveaux graphismes techniques, et de la nature et des causes des difficultés qu’éprouvent les apprenants (élèves, étudiants ou adultes en formation) lors de tâches mettant en œuvre ce type de graphisme.

Ces recherches traitent de problématiques liées aux modes de représen-tation des systèmes mécaniques, aux processus de conception de produits industriels et aux automatismes.

« Les capacités nécessaires pour comprendre, mais aussi produire des images et figures techniques sont fondamentales pour l’enseignement scientifique et technologique à de nombreux niveaux, depuis l’école jusqu’à l’université » (Lowe, 2000).

Longtemps, seul le dessin technique fut utilisé puis enseigné (Deforge, 1981). Une longue tradition de recherche, initiée dans les années 1960, a permis de concevoir l’activité de lecture du dessin technique comme mettant en jeu des relations spatiales, des codes et des connaissances techniques (Baldy & Weill-Fassina, 1985), nécessitant, pour les apprenants, la maîtrise progressive et soli-daire de trois champs conceptuels : la géométrie, la sémiologie et la technologie (Vérillon, 1996). Des recherches sur les relations aux normes (Gahlouz, 1994) et l’identification des difficultés à comprendre le fonctionnement d’une machine à partir de sa description, et notamment de sa représentation graphique, ont été réalisées dans les années 1980 (Rabardel, 1980). Parallèlement de nombreuses études ont porté sur l’apprentissage et le rôle de la schématisation (Vezin, 1985).

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Les recherches se sont ensuite élargies à d’autres graphismes. On peut situer comme date charnière de ce changement, celle du Colloque international organisé par l’équipe de la Recherche coopérative sur programme (RCP 722/CNRS) au Centre international d’études pédagogiques les 19, 20 et 21 novembre 1986, qui donnera naissance au livre Le dessin technique : apprentissage, utilisations, évolutions sous la direction de Pierre Rabardel et Annie Weill-Fassina (Rabardel & Weill-Fassina, 1987). Cette période charnière coïncide avec l’ouverture, en 1987, des premières options TSA1 (Technologie des systèmes automatisés) en classe de seconde, révéla-trice d’une mutation fondamentale d’un « enseignement des techniques » vers un « enseignement de la technologie » (Lebeaume, 2004) et du passage d’une vision systémique d’interrelations entre « des éléments », à la distinction de « partie opérative et de partie commande » (Cartonnet, 2002). L’expression système automa-tisé, qui fait alors son entrée dans le monde de l’éducation, renvoie aujourd’hui à la notion plus large de système de contrôle.

À partir des années 1990, l’enseignement du dessin technique (anciennement appelé dessin de construction mécanique ou dessin industriel) prend de nouvelles formes : projets, travail collaboratif, utilisation de logiciels de dessin assisté par ordinateur (DAO). Dans le même temps apparaissent, dans les programmes scolaires, de nouveaux outils graphiques de description des systèmes techniques2 : schémas fonctionnels (SADT, FAST…) et autres schémas technologiques et ciné-matiques. Enfin, les langages formels, comme le GRAFCET et l’algorigramme, font leur entrée dans les classes de seconde en même temps que les systèmes automatisés.

L’arrivée de ces outils graphiques et de ces nouvelles méthodes conduit à demander aux apprenants de nouvelles tâches, et leur usage génère de nouvelles difficultés. Quelles sont alors la nature et les causes des difficultés des apprenants lors de tâches mettant en œuvre ces nouveaux graphismes techniques ? C’est à cette question que cet article propose des réponses en présentant les résultats d’un ensemble de travaux empiriques menés en France depuis une quinzaine d’années qui, même si l’on ne peut pas vraiment parler « d’école française », s’inscrit dans une trajectoire de recherches initiées au milieu des années soixante.

L’objectif de cet article est de transmettre des connaissances récentes relatives aux difficultés que rencontrent les apprenants lors d’activités de lecture ou d’écriture de graphismes techniques. Si les résultats (partiels) des travaux de recherche présentés ne fournissent pas de recette toute faite, ils peuvent sensibiliser les utili-sateurs particuliers que sont les professionnels de l’éducation à la complexité et aux multiples difficultés auxquelles sont confrontés les apprenants face à des tâches

1 Une typologie des figures utilisées en seconde TSA a été proposée (Doulin, 1996), une synthèse en est donnée en annexe I.

2 Les notions de graphisme technique sont présentées en annexe 2.

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mettant en œuvre des graphismes techniques. La connaissance et la prise en compte d’un certain nombre de causes à ces difficultés doivent permettre la vigilance et l’adaptation des démarches et des méthodes d’enseignement- apprentissage utilisées avec les apprenants.

La conclusion sera l’occasion de rappeler l’importance, souvent négligée par les formateurs, de l’apprentissage méthodique du décodage des graphismes techniques et de proposer quelques pistes de réflexion pour l’avenir.

1. Méthodologie

1.1. Recherche des sources bibliographiques

Les recherches bibliographiques se sont volontairement limitées à des docu-ments francophones afin de faire le point des recherches françaises sur la question. Pour rassembler les sources (articles scientifiques, thèses et monographies), deux listes de mots-clés, une longue liste généraliste (technologie, technique, dessin, graphisme, schéma, image, langage, communication, figure, icône…) et une plus spécifique aux graphismes utilisés dans les industries mécaniques et électriques (FAST, schéma cinématique, GRAFCET, GEMMA…), ont été utilisées afin de les sélectionner dans les sommaires de revue, catalogues de bibliothèque, comptes rendus de colloques et sur Internet. À partir de ce premier corpus (et des biblio-graphies qu’il recelait) une deuxième recherche a été effectuée, notamment à partir du nom des auteurs, afin de s’assurer de la meilleure saturation possible du sujet.

1.2. Constitution du corpus

Après mise à l’écart des contributions trop éloignées de la problématique, tant par le contenu (images, illustrations, graphiques…) que par le type (article théorique, analyse de situation, usage de l’ordinateur…), un ensemble de textes faisant état de résultats de travaux empiriques portant sur les graphismes techniques a été dégagé.

Parmi ces textes, les uns traitent du dessin technique et sont convoqués pour leur caractère de référence, les autres, postérieurs aux années 1990, forment trois groupes distincts, chacun centré sur un type de tâches demandées à des sujets novices ou experts ; cet ensemble nous semble permettre de répondre à la question posée.

Enfin, à partir du corpus primaire, une présentation de quelques graphismes techniques, propres à illustrer certains des travaux présentés, est proposée en annexe.

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2. Recherches empiriques et résultats

Structuré en fonction du type de tâches demandées aux apprenants, ce chapitre passe en revue les recherches qui ont accompagné les évolutions récentes des méthodes, des outils et des contenus d’enseignement relatifs aux graphismes techniques. Il présente les résultats significatifs de ces recherches, en montrant tantôt les causes des difficultés et erreurs des apprenants, tantôt les différences de comportement et les différentes stratégies de résolution de problème développées par les experts ou par les novices.

Pour mener à bien les travaux présentés, les chercheurs ont mis en œuvre divers outils méthodologiques : observations, questionnaires, analyses comparatives des productions graphiques, entretiens avec les apprenants et des enseignants, et mise en place de moyens de « pistage » par enregistrement des activités des sujets.

La première section du chapitre étudie les difficultés spécifiques auxquelles sont confrontés les étudiants lors de l’apprentissage des processus de conception de produits industriels, difficultés liées aux conditions, aux méthodes et surtout à la nature d’un tel apprentissage.

La deuxième section analyse, au travers des productions de lycéens, l’efficience (ou la non-efficience) d’outils permettant le passage d’un mode de représentation en deux dimensions (2D) à un mode de représentation en trois dimensions (3D).

Enfin, la troisième section met en évidence différents types d’obstacles (terme pris dans un sens large) que rencontrent les novices pour décrire, à l’aide d’outils graphiques, le fonctionnement d’un automatisme.

2.1. Graphismes techniques et difficultés liées aux activités de conception

Dans l’enseignement des processus de conception de systèmes mécaniques, le recours aux graphismes techniques est systématique. La production des élèves (dessin, schémas…) se révèle alors un témoin rigoureux de leurs difficultés, des résultats des enseignements et parfois de l’activité des enseignants.

Deux types d’activités spécifiques coexistent lors de l’apprentissage de la conception de produits industriels : une activité d’apprentissage de type lecture lors de l’analyse fonctionnelle et structurelle des systèmes techniques existants et une activité de création de type écriture lors d’analyses de conception ou de modifica-tion de produits. Lors d’activités de conception dans le cadre de projets, l’analyse fonctionnelle et structurelle et l’étude des principes de fonctionnement amènent à faire des choix de représentation (dessin, schéma…) adaptés aux problèmes géné-raux, mais aussi et surtout, à réinvestir et à adapter des connaissances acquises antérieurement. Plusieurs recherches se sont intéressées à ces particularités liées aux formations de techniciens supérieurs et d’ingénieurs pour mieux connaître les

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difficultés des étudiants et ainsi mieux accompagner les possibilités d’évolution de l’enseignement de la conception mécanique.

• Caractériser les difficultés pour mieux les anticiper

L’organisation du travail dans les entreprises industrielles évolue vers un modèle d’ingénierie concourante3 et les postes de travail s’informatisent. Ces nouvelles pratiques, prises en compte dans les formations technologiques de concepteurs de produits industriels, techniciens et ingénieurs spécialisés, sont source de difficultés « nouvelles » pour les étudiants. Une étude relative aux difficultés auxquelles sont confrontés ces étudiants (Huchette, 2005) a mis en évidence les défauts de connaissance des étudiants lors d’activités de conception de type partagé. Munis de consignes, d’une messagerie électronique et d’un poste de visioconférence, deux groupes jumelés travaillent à distance. Ils doivent dessiner sur une feuille de calque, à l’échelle un, le plan d’avant-projet d’une partie de la machine dont ils ont la charge (à partir d’un schéma cinématique dessiné lors d’une précédente séance). Les dessins produits par les deux groupes distants doivent se compléter par superposition des calques.

L’analyse des erreurs de ces dessins et du comportement des étudiants (enre-gistrement des « chat » et des visioconférences) a permis de caractériser les difficultés des étudiants et les causes d’erreurs lors d’un travail collaboratif à distance : défauts de coordination, défauts de prise en compte du travail du groupe jumelé, défauts d’utilisation des outils de communication et défauts d’utilisation d’un vocabulaire univoque.

• Caractériser les difficultés pour faire évoluer les formations

Toujours dans le cadre d’une formation à l’ingénierie concourante à distance (réalisation d’un dessin d’ensemble), les chercheurs (Cartonnet & Huchette, 2003) se sont intéressés à trois moments de conception collective (il s’agissait de produire un dessin technique) : description de solutions techniques proposées, évaluation de ces solutions à l’aide de critères, et choix final d’une solution. Dans une tâche de conception de type industriel, le spécialiste étudie les performances attendues du produit et, de manière prioritaire et précise, les modes de défaillances prépondérants (ensemble des risques de panne connus pour un type de solution technique). L’analyse des critères énoncés par les étudiants révèlent que ceux-ci réinvestissent les critères proposés par l’enseignant mais ne tiennent pas compte de la particularité de l’objet à concevoir, particularité qui impose des choix d’architecture, de composants et de dimensionnement. Ainsi pour concevoir, il faut tantôt généraliser à l’aide des différents types de schémas caractéristiques des systèmes techniques, tantôt particulariser en ayant recours aux bases de données

3 Appelée aussi conception simultanée, l’ingénierie concourante se caractérise par la prise en considération, dès la conception, du cycle de vie du produit et l’utilisation partagée des technologies de l’information et de la communication par les différents acteurs concepteurs du produit.

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construites de manière empirique et à l’utilisation de résultats scientifiques par le biais de la modélisation.

Aussi, pour les auteurs, parmi les trois capacités enseignées en formation technologique : généralisation, particularisation et évaluation par modélisation, la particularisation dans sa spécificité doit-elle devenir un objectif de formation.

• Démarche de projet et difficultés spécifiques

L’observation de deux situations de formation dans un cadre de projet (Prudhomme, 2002), l’une dans une institution d’enseignement initial, en Brevet de technicien supérieur de Conception de produits industriels (BTS CPI), l’autre dans une institution de formation en entreprise, a permis d’analyser les connaissances mobili-sées en relation avec les conditions dans lesquelles se déroulent les projets. Les données recueillies ont été des productions graphiques (analyse fonctionnelle, dessin technique…), d’une part, et des verbalisations d’autre part (rapports personnels des formés aux objets enseignés et aux négociations à leur sujet, rapports personnels des formateurs et rapports institutionnels attendus). Dans les conditions de l’enseigne-ment, les contraintes du système d’enseignement (temps, devoir d’enseignement…) changent la nature du problème et du sens que construisent les étudiants dans leur rapport personnel à l’objet. Les objets de l’analyse fonctionnelle ne sont pas instru-mentés pour concevoir, le schéma fonctionnel passe du statut d’outil d’aide à la conception à un statut d’objet de connaissance à finalité formelle. Le cadre de l’ensei-gnement à la conception par projet, où chaque projet est un cas particulier, met en jeu un processus complexe d’interactions où l’enseignant occupe une position double, l’une d’enseignant, l’autre de concepteur. Les objets d’enseignement : fonctions à remplir, schémas, solutions techniques, besoin perçu, contraintes externes et internes, critères d’appréciation et de conception et la réalisation effective du projet s’entre-mêlent. Face à cette complexité et à la nécessité de voir le projet aboutir, des connais-sances ayant trait aux solutions ou relatives aux contraintes sont mobilisées sans avoir été enseignées. Il s’ensuit un appauvrissement du processus de conception enseigné. Cette étude confirme les résultats de l’étude précédente et montre que l’analyse de solutions est un prérequis pour pouvoir aborder l’analyse fonctionnelle. Or, quand les étudiants peuvent faire référence à des solutions, ils n’accordent plus de légitimité à la recherche fonctionnelle.

Dans une phase de conception, l’intervention de l’enseignant, qui consiste à guider les étudiants vers « une solution », a un effet inhibiteur sur leur activité, effet qui va à l’encontre du but recherché en imposant une logique scolaire débouchant sur « la bonne solution ». Cela limite fortement l’activité d’analyse de recherche de solutions des étudiants. Les connaissances préalables à la conception ne sont pas toutes disponibles chez les étudiants, elles se construisent dans l’action. Ces parti-cularités doivent être prises en compte par la formation initiale aux métiers de concepteur.

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2.2. Graphismes techniques et difficultés liées au passage du 2D au 3D

En mécanique, le plan d’ensemble4 est un document technique qui représente en deux dimensions (2D) un mécanisme constitué de plusieurs pièces en mouve-ment (on parle aussi d’assemblage). Sa lecture doit permettre d’identifier la caté-gorie à laquelle appartient le mécanisme représenté (une boîte de vitesse par exemple), puis de comprendre de façon globale les relations mécaniques entre les différentes parties du dispositif (les composants) et leurs mouvements respectifs (rotation et/ou translation) dans les trois dimensions (3D). Mais si les connais-sances technologiques professionnelles des experts sont autant d’atouts pour aider au décodage des dessins techniques, celles-ci sont parfois la cause d’erreurs dues à une mauvaise interprétation du fonctionnement d’un mécanisme qui leur semble familier (Rabardel, 1982), voir l’exemple d’un système simple de transmission de mouvement en annexe 3.

La vue en perspective est un autre mode de représentation en 2D, utilisée pour modéliser les mécanismes. L’avènement des logiciels de DAO, comme les modeleurs volumiques5, permet aujourd’hui de visualiser simultanément l’ensemble des pièces d’un mécanisme et leur mouvement respectif grâce à l’animation et cela sous n’importe quel angle choisi par l’opérateur.

• Choix du mode de représentation

L’effet du mode de présentation d’un mécanisme (Cartonnet & Poitou, 1996), que ce soit pour des novices (élèves de TSA) ou des experts (dessinateurs profes-sionnels de bureaux d’études), n’est pas significatif quand il s’agit de reconnaître la catégorie du mécanisme ou l’identification des mouvements des pièces. En revanche, la compréhension globale des relations mécaniques et des possibilités cinématiques entre les pièces dépend à la fois du mode de représentation et du niveau des sujets. Ainsi, trois groupes constitués de novices et d’experts avaient à décoder un document technique relatif à un même bras manipulateur. Chaque groupe disposait soit du plan d’ensemble, soit d’une vue en perspective, soit d’une vue autostéréoscopique (image en relief). Pour l’identification des mouvements, le plan d’ensemble est le plus problématique aussi bien pour les experts que pour les novices, la vue en perspective réussit mieux aux experts alors que la vue de l’image en relief permet aux novices d’atteindre les performances des experts. Pour identifier les composants (nombre et nature), les dessinateurs, qui ont une plus grande connaissance technologique, réussissent mieux que les élèves sauf pour le mode « relief » où, là encore, ceux-ci atteignent les performances des experts. Enfin, quand il s’agit d’identifier des mouvements, seul le mode de repré-sentation autostéréoscopique a une influence significative : les élèves ayant observé le bras manipulateur en relief réussissent mieux que les autres élèves.

4 Le plan d’ensemble est présenté en annexe 3.5 Un modeleur numérique est présenté en annexe 4.

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Cette étude a permis de démontrer l’effet favorable de la représentation stéréoscopique qui autorise un niveau élevé de codage du relief et d’iconicité ainsi qu’une saisie perceptive active.

• Mise en œuvre d’un instrument sémiotique

La compréhension globale des relations mécaniques et des possibilités ciné-matiques entre les pièces d’un mécanisme à partir du décodage d’un plan d’en-semble par des élèves (seconde TSA et première) a été étudiée de manière empirique (Froment, 2002) en ayant recours à deux types de graphismes : le croquis à main levée qui laisse l’initiative aux élèves et le schéma cinématique6, adapté à la description de mécanismes complexes. Les élèves avaient à expliquer le fonctionnement d’un sécateur électronique.

Dans un premier temps, l’analyse des croquis à main levée et des explications orales a permis d’établir une typologie des réponses mettant en évidence quatre types bien distincts de production : la simplification (le mécanisme est ramené à un objet connu, le sécateur manuel, absence de moteur…), l’approximation (analyse sommaire et imparfaite, seuls les éléments principaux apparaissent), l’interprétation (solution originale, fonctionnelle mais pas en concordance avec l’objet) et enfin la résolution correcte du problème.

Dans un deuxième temps, un tableau comparatif a été réalisé à l’issue de la production du schéma cinématique par les élèves (de première uniquement). Pour produire le schéma cinématique, les élèves disposaient sur un ordinateur d’une « base technologique ». Les contenus (savoirs enseignés dans le domaine, anima-tion du sécateur, catalogue de liaisons, définitions…) étaient accessibles par un menu à sept entrées ; le temps de navigation de chaque élève dans chaque menu était enregistré. Un menu permettait de dessiner le schéma cinématique. La comparaison des résultats permet de tirer les enseignements suivants : un premier groupe, homogène, réussit dans les deux épreuves ; pour les autres, il n’y a pas d’amélioration pour 71 % des élèves, le schéma cinématique n’est donc pas, à lui seul, un outil efficace d’aide à l’explicitation du fonctionnement d’un mécanisme.

Ce résultat est confirmé par l’étude des cas pris individuellement. Le pistage minuté des démarches des élèves lors de l’utilisation de la « base technologique » permet l’analyse des protocoles individuels de traitement d’un problème cinéma-tique. Quatre procédures caractéristiques se distinguent du point de vue des transformations opérées entre les deux épreuves : transformation nulle lorsque les élèves n’utilisent la base technologique que pour reproduire leur parcours d’apprentissage ; manifeste mais inadaptée dans le cas de procédure pseudo-experte lorsque l’élève accède peu à la base technologique et reproduit son schéma initial dessiné à main levée ; sans repère dans le cas de procédure empi-rique lorsque l’élève explore la totalité de la base technologique, en tant que but

6 Le schéma cinématique est présenté en annexe 5.

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à atteindre, avant de construire le schéma demandé ; enfin judicieuse, par l’utili-sation de l’animation, mais vouée à l’échec lorsque l’élève cherche à traduire les mouvements apparents des différentes pièces du sécateur par des procédures alternées d’observation de l’animation et de réalisation du schéma cinématique.

Ainsi la dimension exercices, tâches et travaux d’exécution, l’emporte sur la mise en œuvre d’un instrument sémiotique. La séquence d’animation, pourtant très réaliste, du fonctionnement mécanique ne fait pas évoluer l’analyse des sujets. Tout se passe comme si la tâche prescrite (établir le schéma cinématique) se résumait à retranscrire les solutions proposées dans les croquis à main levée et non à résoudre un véritable problème. Les élèves n’ont ni révisé, ni modifié leurs représentations initiales à la faveur du changement conséquent de l’instrumenta-tion. Il semble que l’analogie entre situation expérimentale et situation d’ensei-gnement a prédisposé l’élève ayant une parfaite connaissance du schéma cinéma-tique à se placer dans une dynamique d’apprentissage plutôt que d’application. Cette confusion conduit à l’échec de l’opérationnalisation attendue.

Parmi les enseignements de ces travaux, on retiendra que le schéma cinéma-tique est un instrument qui possède une faible efficacité cognitive.

• De nouveaux outils

Si le recours à l’animation virtuelle en 3D d’un mécanisme à l’aide d’un mode-leur volumique n’est que de peu de secours pour en réaliser le schéma cinéma-tique, il en va autrement lorsqu’il s’agit d’extraire une pièce d’un plan d’ensemble pour en réaliser le dessin de définition7 (Ben Romdhane, Mami & Bouraoui, 2005). Les résultats de ces travaux récents confirment des résultats déjà anciens, à savoir que la maîtrise de l’écriture du dessin de définition ne permet pas la lecture d’un plan d’ensemble (Fassina & Petit, 1968). Il est important de rappeler que, dans une logique de conception industrielle, c’est la réalisation du plan d’ensemble qui permet ensuite la réalisation des dessins de définition nécessaires à la fabrication des différentes pièces d’un mécanisme. La logique est différente dans l’enseigne-ment du dessin technique où l’on apprend d’abord les règles de dessin de défini-tion, puis celles de la lecture de plans d’ensemble. La principale difficulté pour l’élève, dans la lecture d’un plan d’ensemble, résulte de ses méconnaissances en technologie. Pour identifier les pièces, celui-ci, en s’intéressant davantage à la géométrie qu’à la fonction de la pièce au sein du mécanisme, limite ses possibilités d’investigation. La mise à disposition d’un outil de DAO leur permet d’analyser individuellement leur propre démarche et suscite ainsi chez eux une activité de métacognition. Ils peuvent alors à loisir observer de façon dynamique le méca-nisme, suivant différents angles de vue, en représentation conventionnelle ou avec rendu réaliste (couleurs et textures).

7 Le dessin de définition est présenté en annexe 6.

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Le principal résultat de ces travaux est que les représentations en 3D, en offrant la possibilité de « voir » les objets complexes en perspective ou en éclaté et de les manipuler virtuellement, permettent de façon ergonomique un enseignement- apprentissage du décodage du dessin d’ensemble. Cependant, alors que l’usage des modeleurs volumiques s’est banalisé en quelques années en France, on peut s’étonner du faible nombre de recherches relatives à l’usage de ce nouvel outil.

2.3. Graphismes techniques et difficultés liées aux automatismes

Un système contrôlé ou système automatisé peut être modélisé, simplement et indépendamment de la technologie utilisée, par une unité de contrôle ou de commande qui émet des ordres (informations) à une unité opérative qui agit sur l’environnement (action) et renvoie des comptes rendus (informations) à l’unité de contrôle. Aujourd’hui les unités de contrôles sont programmables.

• D’un paradigme à l’autre

Le développement des automatismes a entraîné le développement de langages formels. Ils permettent soit de programmer des unités de contrôle préexistantes chargées de piloter des processus (c’est le cas de l’organigramme utilisé pour la programmation des systèmes à microprocesseur en informatique industrielle et du GRAFCET pour la programmation des systèmes automatisés industriels : automates programmables), soit de concevoir des unités de contrôle spécifiques aux processus à commander, c’est le cas du graphe d’état. Ainsi deux paradigmes se côtoient : programmation et conception (Levin & Mioduser, 1996 ; Ginestié, 1996). La programmation repose essentiellement sur une analyse fonctionnelle du problème alors que la conception nécessite une analyse structurelle de l’unité de contrôle.

• Formalisme et technologie

Ces différences ne sont pas sans conséquence du point de vue des stratégies des élèves et de leur activité cognitive, que ce soit en phase d’écriture où il s’agit de représenter les propriétés d’un objet encore absent, ou en phase de lecture où il faut décoder des informations pour donner un sens au dessin (Baldy & Weill-Fassina, 1986). Les professionnels, en raison de leur connaissance des grands invariants des systèmes automatisés, ont développé une expertise à concevoir des processus sans anticiper sur les formes concrètes de leur réalisation, c’est-à-dire sur les solutions technologiques. Les résultats de recherche (Andreucci, 1993) montrent que, contrai-rement aux attentes des enseignants, la réalisation d’un GRAFCET système, qui décrit le fonctionnement d’un système automatisé indépendamment des formes technologiques, cause davantage de difficultés aux élèves que celle d’un GRAFCET technologique, qui fait référence aux solutions technologiques8. Cependant, pour des élèves de collège, le GRAFCET permet de développer une certaine compré-hension des systèmes automatisés et de décrire ces systèmes en associant les éléments de structure à la fonction qu’ils doivent remplir (Aravecchia, 2008).

8 Un exemple de GRAFCET système et de GRAFCET technologique sont présentés en annexe 7.

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Si la maîtrise du formalisme est indispensable pour établir ou lire un GRAFCET, elle reste insuffisante pour comprendre ou conceptualiser le fonctionnement d’un automatisme.

• Les espaces de problèmes

Les problèmes d’automatisme (Amigues & Ginestié, 1991) nécessitent de coor-donner quatre espaces de problème : le temporel (arrangement séquentiel de procé-dures élémentaires), le spatial (mise en mouvement de matière d’œuvre), le logique (interactions ordres et comptes rendus) et le fonctionnel (dépendant des solutions technologiques retenues). Pour un expert, la résolution d’un problème consiste, par gestion de l’indétermination (Lebahar, 1986), à identifier l’ensemble des contraintes puis à les transformer en propriétés afin de ne pas figer la solution, et ainsi pouvoir émettre des hypothèses sur l’ensemble des propriétés. Face à un problème d’auto-matisme de lecture et d’écriture (Amigues & Ginestié, 1991), ce ne sont pas les règles du GRAFCET qui constituent la difficulté mais la coordination des espaces problèmes. Les novices (élèves de TSA) ne découvrent pas l’ensemble des contraintes (donc l’ensemble du problème) et procèdent par réduction de l’incertitude en transformant certaines contraintes (celles qu’ils découvrent) en propriétés. Cela les conduit majo-ritairement à des stratégies de type séquentiel et aucun d’eux n’utilise une stratégie d’expert. En cas de blocage, peu nombreux sont ceux qui procèdent à des retours en arrière. La difficulté n’est pas mise de côté pour être résolue ultérieurement, mais provoque soit l’abandon, soit la réduction d’incertitude par une description partielle du problème, limitée à quelques cas particuliers au détriment de la solution.

Cette étude a mis en évidence différents types d’obstacle que rencontrent les élèves face à l’utilisation d’un langage formel pour résoudre un problème d’auto-matisme. Ces obstacles relèvent à la fois de la psychologie cognitive (coordination de différentes actions, espace…), de la pédagogie (normes de représentation graphique) et de l’épistémologie (utilisation de coordonnées, notion de cycle…).

• Du langage naturel au langage formel

Savoir identifier l’ensemble des contraintes est nécessaire, mais non suffisant, pour résoudre un problème d’automatisme. Le passage de la description en langage naturel du comportement attendu de l’objet à contrôler, à la transformation de cette description dans un langage formel pose problème s’il n’y a pas concordance entre les approches descriptive, procédurale ou déclarative, et les paradigmes conception ou programmation (Talis & Ginestié, 2005). C’est ce que démontrent les résultats de leurs travaux. Ainsi pour décrire le comportement d’un robot dont l’unique tâche est de suivre une ligne noire tracée sur un plateau blanc, la description, de manière correcte, du fonctionnement de l’unité de contrôle en langage naturel peut se faire selon deux approches distinctes :

– soit par une description verbale, de type procédural, qui passe par la défini-tion d’un ensemble de règles implicites et connectées les unes aux autres selon

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une organisation temporelle (« Lorsque le robot arrive sur le blanc […] Après ça, le robot arrive sur la bande noire et continue de tourner à gauche… », pour 35 % des 238 étudiants) ;

– soit par une description verbale, de type déclaratif, qui passe par la définition d’un système de règles sans relation temporelle entre elles («… En fait, il y a deux cas, le robot va à droite […] Et l’inverse, le robot va à gauche et il passe… », pour 65 % des 238 étudiants).

L’efficacité du passage du langage naturel au langage formel dépend directement du type de langage. Ainsi, les étudiants qui utilisent spontanément une description verbale de type procédural réussissent plus rapidement (moins de cycles de corrections) à écrire un organigramme qui relève du paradigme de programmation qu’un graphe d’état qui relève du paradigme de conception. Inversement, les étudiants qui utilisent une description verbale, de type déclaratif, réussissent plus rapidement à écrire un graphe d’état qu’un organigramme.

Ainsi, un des résultats significatifs de ces travaux est que, dans le processus de construction d’un algorithme de contrôle d’un système automatisé, le recours à la même approche, lors de la description verbale puis lors de sa transformation en langage formel, facilite l’élaboration d’une solution correcte.

3. Conclusion

3.1. Bilan

Les recherches des quinze dernières années, axées sur le graphisme technique, se sont principalement concentrées sur l’option TSA en classe de seconde et les formations supérieures de techniciens. Très peu de recherches portent sur l’enseignement au collège ou l’enseignement technique et professionnel, pourtant grands utilisateurs de graphismes techniques. De plus, ces recherches abordent un nombre limité de graphismes : le dessin technique, le schéma cinématique et les langages d’automatisme. Les graphismes techniques relatifs à l’analyse fonction-nelle (schémas fonctionnels), omniprésents dans les formations techniques, profes-sionnelles et les sciences de l’ingénieur, font figure de parent pauvre de la recherche. Quelles sont les causes de ces « non recherches » ? La relative jeunesse de la didactique des enseignements technologiques9 ? Le faible nombre de cher-cheurs, en sciences de l’éducation qui soient aussi technologues ? Sans doute un peu des deux. Pourtant les sujets de recherches ne manquent pas. Ainsi, l’appari-tion massive dans les établissements des modeleurs volumiques, venus tout droit

9 La naissance du séminaire spécialisé Didactique des disciplines technologiques, en 1990 à l’ENS Cachan, peut être considérée comme l’installation de ce champ de la recherche et le début de sa structuration scientifique, en raison de sa reconnaissance et de son financement par la Direction de la recherche et des études doctorales (Lebeaume, 1998).

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de l’industrie, change en profondeur les pratiques et les méthodes d’enseignement de la représentation des systèmes mécaniques. Les résultats des nombreuses recherches d’hier relatives au dessin technique sont-ils transposables à l’utilisation de ces nouveaux outils ? La question mérite d’être posée.

Pour modéliser un objet, un système ou un processus, chaque graphisme technique est spécifique et monosémique, et met en jeu des composantes syntaxique, sémantique et pragmatique qui lui sont propres et relèvent de para-digmes différents. L’impossibilité d’établir une typologie générale des graphismes techniques est à l’image de la diversité des situations techniques. Elle tient aussi à ce que certains de ces graphismes ne sont pas « techniques » par le signifiant qu’ils utilisent (quand celui-ci est un code général comme les organigrammes, les schémas fonctionnels…), mais par le signifié qu’ils représentent.

Lecture et écriture de graphismes mettent en jeu des processus cognitifs différents, et si la connaissance du code est nécessaire, elle n’est pas suffisante. Les résultats de recherches montrent que, sous prétexte que le référent à modé-liser est palpable, la tendance est de croire qu’il suffirait aux apprenants de connaître la symbolique pour réussir. Cela se traduit par l’apprentissage privilégié des différents signes et normes d’écriture au détriment d’activités représentatives et conceptuelles pourtant indispensables à la maîtrise des activités de lecture et d’écriture des langages techniques :

– lors de l’analyse de constatation (lecture de dessin et schéma), il s’agit de donner un sens au graphisme technique et de construire une représentation de certaines des propriétés d’un objet, d’un système ou d’un processus réel mais souvent absent ; l’activité de lecture met alors en jeu des compétences de déco-dage d’un modèle par sélection et interprétation d’informations pertinentes ;

– lors de l’analyse de conception, il s’agit de représenter, à l’aide d’un inter-médiaire graphique, certaines des propriétés d’un objet ou d’un système en devenir ; l’activité d’écriture met en jeu des compétences de codage d’un modèle, par réinvestissement de connaissances acquises antérieurement.

Et pourtant, les tâches à réaliser nécessitent un enchaînement d’activités au cours desquelles ils doivent effectuer des opérations de transcodage complexe. Ainsi pour dessiner le schéma cinématique d’un assemblage, les élèves doivent d’abord se construire une représentation mentale du fonctionnement dans l’espace d’un mécanisme qui leur est présenté en 2D, puis formaliser cette représentation mentale en 3D à l’aide de symboles représentatifs des liaisons entre les différentes pièces constituant le mécanisme. Des processus similaires, d’élaboration de modèles, sont à l’œuvre dans les tâches de représentation du fonctionnement d’un système contrôlé à l’aide de langage formel, avec en plus, une nécessaire adéqua-tion entre le langage verbal utilisé pour la description du fonctionnement, et le paradigme épistémique relevant de la technologie utilisée. Si, à l’efficacité maximale de la transmission d’un type d’information correspond un mode de représentation,

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le bon usage des outils graphiques ne résout pas toutes les difficultés des élèves à saisir des données proprement sémiotiques.

3.2. Perspective

Dans un environnement socio-technique en forte évolution, les futurs ouvriers, techniciens et ingénieurs devront posséder une maîtrise dynamique et générative d’une pluralité de moyens de représentation graphique. La question des conditions de la formation à une telle maîtrise par les élèves s’avère donc cruciale pour la didactique de la communication technique (Vérillon, 1996). En définitive, dans l’enseignement des graphismes, il est souvent tenu pour acquis que les choses à représenter font l’objet de significations claires, communes et partagées dès l’instant qu’elles se réfèrent à des entités matérielles bien concrètes et manipulables (Andreucci, Froment & Vérillon, 1996). « Une alphabétisation, une éducation aux représentations visuelles sont indispensables si l’on veut que les plages visuelles deviennent un véritable outil d’apprentissage, une technologie intellectuelle » (Peraya, 1995). Au vu des recherches les plus récentes, si la thèse de Jean René Doulin, soutenue en 1996, qui plaidait pour une méthodologie d’apprentissage du décodage des graphismes techniques au service de la modélisation des systèmes techniques, est toujours d’actualité en 2009, des questions, telles que pourquoi, comment et quand enseigner tel ou tel formalisme graphique, doivent trouver des réponses pertinentes. Le GRAFCET, langage « franco-européen », les limites du schéma cinématique inutilisé dans l’industrie et jugé peu efficace, l’enseignement du dessin technique en 2D, devenu obsolète face à la maquette numérique, doivent être interrogés. L’usage des modeleurs volumiques, l’avènement de la réalité virtuelle qui place directement les apprenants dans des environnements en 3D, pourvus du son, d’un retour d’effort, le tout relié directement à une plateforme d’enseignement (Mellet-d’Huart, 2004 ; Bascoul, 2007), ne manqueront pas de bousculer à nouveau, profondément, les méthodes et les contenus d’enseignement en technologie.  ■

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Annexe 1. Typologie des figures utilisées en seconde TSA (Doulin, 1996)

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IllustrationsIllustration photographique

Illustration infographique

Dessins et croquis

Dessin artistique réaliste

Croquis technique

Dessin projection perspective Normalisé

Dessin projection géométrale Normalisé

Graphes et schémas

Graphes sagittaux

Graphes arborescents (arbre)

Graphes imbriqués

Graphes fonctionnels

Graphes organiques

Algorigrammes Normalisé

Logigrammes Normalisé

GRAFCET Normalisé

GEMMA Normalisé

Graphes cause-effet (ISHIKAWA) Normalisé

Schémas de principe

Schéma structural mécanique Suivant les domaines

Schémas cinématiques Normalisé

Schémas électriques Normalisé

Schémas électroniques Normalisé

Schémas pneumatiques Normalisé

Schémas hydrauliques Normalisé

Diagrammes

Courbes et arabesques

Diagramme stéréographique

Chronogrammes

Histogrammes

Diagrammes-barres

Diagrammes-secteurs

Diagrammes-cibles

Courbes d’allures (Pareto)

Autres graphismes

Tableaux

Graphismes mixtes

Graphismes divers

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Annexe 2. Points de repères susceptibles de préciser la notion de graphisme technique

Quoi ? Un outil de modélisation permettant de décrire un produit réel ou imaginé (objet, système) selon un point de vue privilégié (fonctionnel, structurel…).

Pour quoi faire ? Pour communiquer et s’assurer de la conservation d’informations.

Comment ? À l’aide de figures réalisées à main levée ou d’instruments (infor-matiques ou non) en ayant recours à des codes et/ou des symboles (normalisés ou non), et (éventuellement) de textes.

Par qui ? Les ingénieurs et techniciens qui imaginent et conçoivent les produits (choix technique et technologique).

Pour qui ? Les opérateurs qui réalisent et mettent en œuvre.

Où ? Principalement dans le domaine des génies techniques (génies mécanique, électrique, civil… et sciences de l’ingénieur).

Quand ? À différents moments du cycle de vie d’un produit (conception, fabri-cation, commercialisation, installation, maintenance, recyclage et élimination).

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Annexe 3. Vue partielle du plan d’ensemble d’un système simple de transmission de mouvement (décompresseur d’un vélomoteur Solex)

Contrairement à une solution « classique » c’est le déplacement de la gaine (6) et non du câble (5) qui provoque le déplacement final de la pièce (2)

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Annexe 4. Un modeleur volumique est un logiciel qui permet de concevoir des objets en trois dimensions et de les visualiser à l’aide d’images fixes ou animées et selon différentes angles de vues

(Ben Romdhane, Mami et Bouraoui, 2005).

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Annexe 5. Le Schéma cinématique permet de traduire le fonctionnement d’un mécanisme à l’aide de symboles spécifiques, chaque symbole modélise un type de liaison (ou d’articulation) possible entre deux pièces

Schéma cinématique d’un sécateur électronique, schéma d’élève (Froment, 2002).

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Annexe 6. Le dessin de définition représente l’ensemble des formes et des dimensions nécessaires à la fabrication d’une pièce d’un mécanisme

Dessin de définition d’une pièce selon 2 vues en représentation orthogonale (De Vries, 2006).

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Annexe 7. Le GRAFCET système décrit l’enchaînement des actions (lever la barrière…) et des états du système (barrière levée…), le même GRAFCET du point de vue technologique décrit les composants réalisant les actions (moteur…) et ceux réalisant la prise d’information de l’état du système (détecteur de position de type fin de course fc…)

GRAFCET d’une barrière de parking automatisée (Bauer, Bourgeois et Jakubowicz, 2001).