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CHAPITRE II GRANDEUR ET DECADENCE DES RANAS

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CHAPITRE II

GRANDEUR ET DECADENCE DES RANAS

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L'atmosphere feerique du Rajputana, vue au depart, continuera

dans ce chapitre, a travers les decors de luxe des palais, et Ia majeste des

durbars du pays. Mais, des l'arrivee des voyageurs fran~ais dans ce pays,

un element nouveau se presentera : Ia presence anglaise. Les voyageurs

se rendront compte du fait que les rois du pays ne possedaient pas en fait

le pouvoir absolu dans leur propre pays. A Udaipur, par exemple, le

resident anglais controlait indirectement le Rana d'Udaipur. Ceci est

evident du fait que ce demier n'avait pas d'autorite d'arreter !'entree des

etrangers dans son pays.

D'apres les accords signes entre le regent et les rois du Rajputana,

tout Europeen sauf les Anglais, etait oblige d'avoir Ia penmsswn du

regent, pour entrer dans le Rajputana.

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"On m'avait prevenu qu'a Jaipur cette clause etait strictement observee, et qu'il fallait tout d'abord se mettre en regie avec !'agency" I_

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Cela nous indique !'influence exercee par les Anglais dans !'administration

du pays. Mais, il est a savoir si cette intervention occidentale, rendue

inevitable a cause des raisons politiques, aura une prise forte sur les

moeurs du pays.

Nous tenterons d'examiner si les voyageurs comme Rousselet

auront l'occasion de decouvrir le monde authentique du Rajputana. Nos

enquetes visent a examiner si !'impression d'un monde feerique, temoigne

au depart va continuer, meme apres Ia rencontre des voyageurs etrangers

avec les rois du pays. D'apres ces ecrits, les chefs du Rajputana, seront­

ils dignes de gouvemer ce monde fantastique? Or, il est aussi a analyser

si l'univers des Maharajas sera aussi impressionnant, que lors de sa

premiere perception par les voyageurs fran~ais.

En effet ce chapitre correspond a Ia deuxieme etape dans Ia voie de

Ia decouverte du Rajputana par les voyageurs etrangers. Nous venons

d'examiner Ia premiere perception de ce monde royal. Or, il est clair que

dans celui-ci, les rois ne seront pas representes comme des rois modeles,

par les Europeens. De fait, Ia relation entre ces demiers et les Indiens au

Rajputana, etait basee sur l'incredulite. Chacun etait mefiant de l'autre.

L'impression generale que les Europeens etaient consideres

superieurs, par le peuple du pays est fausse. D'apres les sources

1 ROUSSELET Louis, op.cit., p.265.

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fran~aises, la majotite de la population etait contre la presence

europeenne dans leur pays. De plus, les prejuges religieux les

empechaient de voir les Europeens d'un bon oeil. A cette epoque, tous les

etrangers etaient consideres "mlecha" ou indigne d'avoir Ia consideration

des gens du pays. C'est ainsi que s'explique le comportement d'un

brahmin, pretre de Chittore, vis-a-vis de Rousselet1• La permission

d'entrer dans les temples etait interdite aux etrangers. Que cette metiance

soit reciproque, se confinne dans !'attitude de Rousselet vers le ministre

d'Udaipur, un brahmin, avant meme son entree officielle dans l'etat.

"( ---) mais c' est"un brahme non un Raj pout ; il s' informe du but de notre voyage, et nous repond par ces promesses indiennes qui ne promettent rien du tout"2.

De fait, Rousselet estimait les rajpouts plus que les Brahmins. Sa maniere

de se moquer des paroles indiennes montre un manque d'estime pour les

Indiens en generale. D'ailleurs, cette idee du peuple asiatique ne tenant

pas ses promesses, n'est pas nouveau chez les Europeens. Par exemple, au

18eme siecle, Chevalier de Doudron tenait le meme discours, pendant son

voyage en In de par les desertsJ.

1 Rousselet chassa dans Ia region de Minar qui etait en "shasun" ou· sous l'autorie du brahmin, et ainsi sacree. Le brahmin irrite de ce fait voulait le punir ''par Ia famine". La dispute entre les.deux fut suivi d'une altercation violcnte. Ibid., p.227.

2 Ibid., p.176.

3 DOUDRON Chevalier de, ''Voyage dans I'Inde par les deserts", Revue historique de /'lnde franr;aise, publie par A. Martineau, 1916-17, p.180.

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Cette mefiance, eprouvee par les Europeens a I' egard du peuple de

ce pays etait reciproque. D'apres Jacquemont, les Indiens avaient divise

les Europeens en deux categories distinctes. lis utilisaient deux

expressions pour eux : "saheb Iogue" c'est a dire des seigneurs ou

gentilhommes et "gora Iogue" des hommes ayant Ia peau blanche. Les

premiers etaient respectes par eux, et ceux de la deuxieme categorie, tres

souvent redoutes, mais jamais respectes1• Cette atmosphere de mefiance

reciproque, a quel point serait-elle un obstacle pour Ia description

objective de Ia societe rajpoute ?

Ce chapitre se divisera en deux parties Exotisme oriental,

elegance occidentale et Sadisme et sophistication · indienne. Dans Ia

premiere partie nous allons traiter de !'influence de !'Occident sur

l'Orient. Tout en gardant le luxe oriental, les rois du pays avaient adopte

les manieres europeennes. Ainsi, comme souleve par Rousselet, avec· des

costumes gracieux orientaux et des joyaux hereditaires se trouverait aussi

Ia coutume anglaise de "take wine". Cette influence d'Europe se verrait

surtout dans Ia cuisine et les boissons. L 'univers issu de ce melange

bizarre de I' Occident et de I' Orient fera le sujet principal de cette partie.

La deuxieme partie, Sadisme et sophistication indienne insistera

plutot sur 1' a~pect cruel des rois, releve par les sources fran~aises. La

chasse, le loisir favori des rajpouts le demontre tres bien. La description

detaillee des parties de chasse, faite par les voyageurs etrangers,

1 JACQUEMONT Victor, Letters from India val. II, New Delhi, Asian Educational Services, 1993, p.272.

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soulignera bien la cruaute et le sang froid oriental. Les duels grotesques

de "Talwarbazi" ainsi que le combat entre le sanglier et le panthere

manifesteront d'une fa~on indiscutable, le gout de la violence innee chez

les habitants du Rajputana. Cette partie tachera aussi de decrire l'etat

. actuel des rois, tombes dans la torpeur et la mollesse, signe distinctif des

princes de l'Asie, d'apres les sources fran~aises 1 • Entin l'exotisme et la

sophistication du monde royal du Rajputana, cohabitent-t-ils avec Ia

barbarie?

1 "(---) ce genre de mollesse qui fait les delices de Ia plupart des princes de I'Asie. lis meurent en quelque sorte au monde et aux affaires pour se donner tout entier a une Iache et stupide paresse". MODAVE Comte de, op.cit., p.489.

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A. Exotisme oriental, elegance occidentale :

Le caractere · exotique de l'univers royal se rencontre partout au

Rajputana. D'apres les sources franyaises, les scenes de durbar sont d'une

richesse et d'une grandeur incroyables. De fait, ce monde fantastique des

rois, des nobles, des durbars et des animaux exotiques, correspond a l'image de l'univers de Mille et une nuits de Rousselet. La ville d'Udaipur,

"la plus belle au monde", selon Rousselet, pourrait etre en effet, Ia ville

ou le prince Zeyn Alasnam se trouva au Caire1•

Lorsque Rousselet rencontre le roi de Mewar dans le palais de

celui-ci, la grandeur imposante du rituel correspond assez bien a ce que

s 'attendent les voyageurs etrangers.

"(--) avant que nous ( Major Nixon et Rousselet) ne mettions pied a terre dans !'immense cour, ou le Rao de BaidJah nous attend, charge de Maharana de nous recevoir au haut du perron. Ensuite les tchaubdars a canne d'or nous conduisent a Ia salle du trone ou le durbar. ( ---) Les huissiers nous introduisent bruyamment dans Ia salle ou

1 "Apres beaucoup de fatigue et de peine, it arriva dans cette fameuse ville, qui en a peu de semblable au monde, soit pour Ia grandeur so it pour Ia beaute". GALLAND Antoine, QP-.cit., p.21.

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siege le roi, assis sur un trone d'argent supporte par des lions d'or et entoure de ses nobles"'·

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Les tchaubdars2 a canne d'or, les huissiers et le trone d'argent supporte

des lions d'or incament parfaitement le monde singulier du luxe oriental

mythifie par les Europeens.

L'aspect luxueux se manifeste aussi dans les costumes somptueux,

des nobles entoures d'oriflammes, escortes des cavaliers.

"T oute Ia brill ante feodalite de Mewar est reunie dans cette cour immense. II y existe une tumulte de cavaliers aux somptueux costumes et d'elephants aux sieges d'or ou d'argent. Une quarantaine de fauteuils sont ranges en demi­cercle sous le beau-ciel representant Ia salle de Durbar ; les nobles entoures d'oriflammes, escortes de leurs ecuyers, viennent y prendre place"3.

La tenue rajpoute accentue !'impression de Ia richesse enorme des princes

de Ia region.

"Le costume est fort gracieux. Une longue tunique collante et de pantalons aussi tres collants, fait d'etoffes richement brodees et rehaussees de passementeries d'or. lis portent aux pieds et aux mains de lourds bracelets d'or, Ia ceinture garnie d'un arsenal de poignards, dagues, epees. A l'epaule,

I Ibid., pp. 190:.193.

2 Lcs gardiens du roi, en costume de ceremonie.

3 ROUSSELET Louis, op.cit., p.214.

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Je bouclier rond en peau de rhinoceros transparente, orne de bosses en or"1.

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Que le regent anglais amve en meme temps que le roi, indique son

importance, en le playant ainsi a un niveau eleve dans l'echelle sociale. De

fait, il est au-dessus des nobles de la region.

Le roi pourtant reste au sommet de cette echelle. Le luxe et Ia

richesse du monde royal se manifeste a travers le portrait du roi, fait par

Rousse let.

"Le prince est resplendissant de diamands et de joyaux ; il s'assoit a l'indienne sur le coussin de velours et s'appuie sur un bouclier en peau de rhinoceros, transparente comme l' ambre ; son tarwar enrichit de pierreries et sur ses genoux ; ses pieds charges aussi de bijoux, sont nus, et ses sandales reposent sur un tabouret d'argent"2.

Cette description ne se differe pas beaucoup de celle de Bernier, lorsqu'il

vit I' empereur mogol dans son durbar3 . Pourtant, une difference frappe le

spectateur : chez Rousselet, le roi s'asseyait a l'indienne c' est a dire par

terre, tandis qu'au 17 erne siecle Aurangzeb etait ass is sur le trone celebre

de "peacock"_ dont le cout estime par Bernier, revenait a quarante million

de rupees.

I Ibid. p.l81.

2 Ibid.

3 BERNIER Fran~ois, op.cit., p.202.

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Au 17 erne siecle, Bernier etait parmi les spectateurs dans le durbar

mogol, alors que Rousselet et ses compagnons sont re9us comme les

invites d'honneur du roi de Mewar dans son durbar. Ils s' assoient a droite

du roi c'est-a-dire a Ia place d'honneur reservee aux gens importants, dans

Ia hierarchie du pays. Les princes feodaux de Ia region se m~ttent a

gauche, selon leur importance et les "thakurs"1, se trouvant au bout de

cette hierarchie, s'installent sur les fauteuils places a }'angle droit, a

chaque extremite de cette ligne. La presence des Europeens dans le

durbar estune evolution, depuis l'epoque de Bernier.

Ce dernier donnait plus d'importance a l'aspect economique du ...

trone de peacock, tandis que Rousselet donne plus d'importance au

respect de Ia hierarchie a Mewar. Cela met en evidence le caractere

traditionnel de Ia royaute du Rajputana. La scene de durbar de Rousselet

est singuliere dans Ia mesure ou c'est Ia premiere fois qu'un Fran9ais s 'y

trouve a Mewar, signalant les nuances de Ia hierarchie du durbar.

D'ailleurs, cette scene se differencie, grace a l'exotisme des bijoux

hereditaires et des turbans typiques de Ia region, portes par les nobles.

"Tous ces hommes sont pares de leurs plus beaux atours, etoffes de brocart, chales du Thibet, joyaux hereditaires, arrnes de prix. Les turbans, qui distinguent chaque clan, offrent des formes les plus variees, depuis Ia gracieuse toque de mousseline, entouree de filet de diamants, que

1 Les seigneurs feodaux du pays.

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n

I

portent les nobles de Ia cour, jusqu'au lourd cone de Haras et au casque grec des chefs Rathores" 1.

Rousselet .mentionne les etoffes de brocart, chales du Thibet et la

gracieuse toque de mousseline, entouree de filet de diamants dans le but

de faire ressortir l'opulence des rois du pays. Sa description montre bien

que ces tissus etaient bien connus et admires par le peuple fran~ais,

comme etani des objets coiiteux. D'ailleurs, Bernier en parlait deja au

1 7 erne siecle en decrivant les luxes du serail dans la cour mogol.

"Ajoutez encore, si vous voulez, cette incroyable depense de ce serail qu'on ne saurait presque croire : cet abime de toiles fines, d'or, de brocart, d'etoffes de soie, de broderie, de muse, d'ambres, d'huile de senteur et de perle"2.

Or, Ia couleur locale fait la nouveaute du tableau de Mewar. En effet,

Rousselet decrit des coiffes typiques appartenant aux differentes tribus

rajpoutes.

Cet exotisme se voit de nouveau, dans le spectacle cosmique de

"surya namaskar"3 a Pushkar, decrit par Rousselet. Les lectelirs sont

amenes a eprouver une sensation nouvelle, essentiellement romantique, a

travers cette scene. II nous parait que Rousselet profite d'une occasion

religieuse, pour presenter devant son public une scene quasi erotique. Le

mythe de Krishna, lui foumit un bon point de depart, pour cette

1 ROUSSELET Lou~s, op.cit., p.214.

2 BERNIER Fran~ois, op.cit., p.l61.

3 La prierc matinale qu 'on offre au Dieu Solei!.

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experience exaltante. Elle commence par }'apparition des jeunes filles

representant des sirenes d'amour. L'aspect des celles-ci, se plongeant

dans le lac, defiant les alligators dangereux, rend cette scene encore plus

etrange et interessante.

"Devant Je temple de Krichna, Je dieu d'amour, des troupes de jeunes filJes completement nues, ou couvertes d'un simple voile de gaze, s' ebattent joyeu_sement et font retentir Ia plage de leurs rires frais et senores ; elles poursuivent a Ia nage et en les voyant de temps a autre se dresser hors de l'eau, le sein nu et les cheveux epars sur Jes epaules, on croit voir les belles Apsaras, qui surent charmer Ie divin Brahma"1.

Le rythme joue un role important dans cette scene. Elle commence avec le

son agreable de l'ebattement joyeux, et des rires de jeunes filles. Ensuite,

I' auteur decrit 1 'acte de surya namaskar, Ia priere du lever du soleil,

execute en silence complete. Pendant le surya namaskar, on n'entend que

des rites sacres et quelques "shlokas" 1 prononces a voix basse. La priere

terminee, ce murmure se transforme petit a petit en vacarme. Rousselet

reussit bien a faire ressentir l'exotisme oriental a ses lecteurs, a travers

cette scene .

La description de ce rite par Rousselet nous semble bien plus

singuliere que celle de Bernier. Bien que celui-ci parle aussi du bain sacre

pendant l'eclipse, sa description est moins impressionnante que celle de

Rousselet.

1 ROUSSELET Louis, op.cit., pp.259 - 60.

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"( --) ce fleuve pres d'une Jieue de long, couvert de Gentils ou idolatres qui etaient dans I'eau jusqu'a Ia ceinture, regardant attentivement vers le ciel pour se plonger et se laver dans le moment que }'eclipse commencerait. Les petits garyon et les petites filles etaient tout nus comme Ia main, les hommes l'etaient aussi, ( ---) les filles qui depassaient six ou sept ans etaient couvertes d'un seul drap"2.

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Les nuances mythiques et erotiques, rendent Ia scene de jeunes femmes

nues, se baignant dans le lac, unique chez Rousselet.

La splendeur royale ainsi que le gout marque de Ia royaute pour

l'erotisme se voient aussi pendant Ia rete de Jag Niwas. La distinction de

cette scene est de devoiler un systeme unique au Rajputana : de faire

elever les jeunes filles pour plaire a Ia royaute. Ces bayaderes jouaient un

role pendant toutes les festivites royales. Elles peuvent etre vues a

l'arrivee de Maharana pour cette fete.

"( --) les tchoubdars a canne d'or forment Ia haie, Ie cortege s'avance precede de bayaderes, chantant un hymne et le Maharana accompagne des invites embarquent avec solennite dans une demi-douzaine de barques"3 .

Rousselet est frappe par les manieres raffinees et Ia purete de l'accent de

ces jeunes filles. Son enquete revele un systeme unique suivi au

Rajputana. Selon Rousselet, les nautchnis du Rajputana sont m1eux

1 La priere en vers sanskrit offerte a Dieu.

2 BERNIER Franc;:ois, op.cit., p.228.

3 ROUSSELET Louis, op.cit., p.l98.

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instruites et plus sophistiquee~_ que celles de quelques autres regions du

nord (voir Image I 0 d'un nautclmi d' Alwar )_

"qu'elles sont differentes des nautchnis vulgaires mal instruites car des leur age bas on les eleve avec un grand soin. Elles apprennent tout ce qui peut charmer, Ia poesie, Ia musique, lt~s manieres agreables "1.

Rousselet semble etre le seul a mentionner cette education des filles. Les

autres sources sont silencieuses a cet egard.

La journee de rete a Jag Niwas s'approche le plus a ce que les

Europeens attendait de cette terre des rois. Les jets d'eau en cascade

partout, et mille ,ruisseaux murmurant parmi les parterres rendent cette

scene feerique_ Pour Rousselet, elle compte parmi les plus belles de sa vie

en Inde. La promenade sur l'eau qui suit ne fait que renforcer l'image de Ia

grandeur et de l'exotisme oriental de cet univers royal.

"( ---) Ia June se leve et eclaire de sa . douce lumiere les vieilles coupoles du palais ; l'eau scintille et Ia brise nous apporte les poetiques accents du Tas bi tas, chante par les nautchnis qui nous suivent a distance"2.

Cet univers semble s'approcher de l'univers de Mille et une nuits de

Rousselet, par les immenses gondoles de ceremonies d'une forme tres

gracieuse sur lesquels le Rana et ses invites etaient assis. Ces gondoles

2 Ibid., p.202.

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ont de grandes figures de chevaux ou de paons a demi immerges dans

l'eau comme les coursiers de char de Neptune. Pour }'auteur, ces gondoles

rapellent peut-etre le bateau enchante du roi des genies de Mille et une

nuits.

"En parlant ainsi, il aper~ut tout a coup sur le lac un bateau fait de bois de sandal rouge. II avait un mat d'ambre fin avec une banderole de satin bleu. II n'y avait dedans qu'un batelier dont Ia tete ressemblait a celle d'un elephant, et son corps avait Ia forme de celui d'un tigre" 1.

Quoi que similaires, Ia presence d'un batelier bizarre dans Ia deuxieme

scene Ia rend surnaturelle tandis que les etres humains donnent une allure

plus realiste a Ia deuxieme.

En dehors du luxe et de l'exotisme, Ia fete a Jag Niwas sert aussi a signaler l'arbitraire du roi dans Ia societe de I'epoque. s{n desir _pouvait

changer l'apparence d'un endroit en un clin d'oeil. Cela se voit de Ia scene

oil on decrit les preparations pour cette rete.

"Cette lie si calme et si deserte, il y a quelques jours, est en ce moment le theatre d'une grande animation ; les domestiques de Rana vont et viennent, debarquent les provisions(--) "2.

Ce monde unique oil tout se faisait pou_r le plaisir du roi etait peut etre ce

qui interessait Rousselet le plus. II aurait bien voulu temoigner seuleme~t

1 GALLAND Antoine, op.cit., p.27.

2 Ibid.

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de cette originalite depourvue de toute influence etrangere. Mais Ia

presence anglaise dans le · pays depuis quelque temps avait deja

commence a se manifester dans les moeurs de cet etat traditionnel.

L'influence europeenne entrait petit a petit dans tous les domaines de Ia

vie royale.

L'ascendant de l'Europe se voit bien pendant Ia tete a Jag Niwas.

L'attention favorable que l'on porte aux etrangers ainsi que !'influence de

Ia vie europeenne sont evidentes des remarques suivantes :

"A l'extremite de l'ile, tout un batiment est reserve aux invites du roi avec des tits, des chaises, des toilettes et un petit dejeuner. Dans une cour voi~ine, les cuisiniers s'occupent a preparer le dejeuner le plus substantiel. Les bhangicoulis arrivent avec des provisions de Champagne et de still- hock remarquable" 1.

Le fait que tout un batiment est reserve aux invites europeens du roi

montre Ia valeur que Ia royaute de l'epoque leur accorde. Or, !'influence

de !'Europe se voit aussi dans le choix des boissons. Le Rajputa~a, fiere "

de ses vins reconnus sous les noms de "Asha" et "Kesar kasturi", les

laisse de cote au profit des boissons de l'Europe. De plus, le commerce

grandissant au profit des britanniques temoigne de cette influence

occidentale.

Les ecrits fran9ais signalent que !'influence europeenne augmente .

petit-a-petit, dans ce monde oriental. De fait, ce melange bizarre de

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l'Orient et de I'Occident foumit parfois d'etranges scenes pendant le camp

royal. Prenons un exemple de camp royal a Mewar : le reveil au camp se

fait avec un verre de cherry sui vi d'une douche donnee par les bhishtis, 1 a

1' indienne2.

Le dejeuner au camp met en lumiere encore une fois, le melange de

ces deux styles. Une portion du repas royal indien est toujours envoyee,

aux invites etrangers. Or, selon Rousselet, Ie dejeuner est suivi du repas

de "Bara sahib"3 a l'europeen. L'epithete de "Bara sahib" donnee aux

Europeens, demontre un sentiment d'inferiorite chez Ies lndiens vis-a-vis

de ceux-ci bien que ce sentiment d'inferiorite ne soit pas repandue. Les

Europeens se croyaient aussi superieurs au peuple du pays. Ceci se

manifeste de leur mepris pour tout ce qui venait de ce pays, confirmant

une subjectivite dans leur optique. Un exemple de ceci se trouve dans Ia

maniere dont Ie repas du pays est dectit par eux.

"( --) quelques-uns de ces plats figuraient cependant d 'une maniere plus honorable sur nos grandes tables d'Europe"4 .

Or, cette influence de l'Europe n'a pas penetre le monde oriental

brusquement. Elle se voyait aussi au 17eme siecle, ce qui est evident du

desir de Jahangir de faire porter a toute sa cour Ies habits europeens.

1 Un bhishti c'est un homme charge de porter de I'eau dans de gros sac.

2 ROUSSELET Louis, op.cit., pp.206-207.

3 Cela veut dire un grand seigneur ou gentilhomme.

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Jahangir respectait beaucoup Ia religion chretienne, et il voulait que ceci

se manifeste aussi par ses actes.

"Les memes Peres disent que ce roi, pour commencer tout de bon a autoriser le christianisme, fit dessin de faire habiller toute Ia cour a l'europeenne, et qu'apres avoir tout prepare pour cela, et s'y etre lui-meme habille en particulier, il fit venir un des principaux Omrahs, auquel il demande ce qu'illui semblait de cet habillement" 1.

Mais a l'epoque mogol, !'exposition ouverte de ce gout pour tout ce qui

venait de !'Europe n'etait pas du tout acceptable. La reponse froide de

I' Omrah de J ahangir en termes suivantes le confirme :

"Mais cet Omrah bien etonne lui ayant repondu tout froidement que c'etait une chose bien dangereuse, il fut oblige de changer de dessin et touma !'affaire en raillerie"2.

Les ecrits de Bernier restent silencieux a propos de !'influence europeenne

sur Ia cuisine du pays. Or, au 19eme siecle, cet ascendant commence deja

a se manifester dans Ia cuisine indienne. Ces remarques de Rousselet le

confirment.

"Nous ne touchons naturellement que pour Ia forme a ce dejeuner monstre, qui va regaler notre suite, et nous

' 1 BERNIER Franc;ois, op.cit., p.217.

2 Ibid., p.218.

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preferons I' excellente cuisine de Bara Sahib, arrosee du moselle des caves royales" 1.

81

Tout en mettant l'accent sur l'influence europeenne dans l'univers royal de

l'epoque, ces remarques signalent le mepris des Europeens, pour Ia

cuisine du pays. En serait-il autrement si on sait que l'autorite supreme

etait, en fait, le regent anglais ?

De fait, les regents anglais vivaient aussi luxieusement que les rois

du pays pendant Ia periode en question. Nous savons deja que celui de

Mewar habitait dans un palais superbe a Udaipur.

"C'est sur ce terrain conquis par eux sur Ia nature que les Europeens ont eleve leurs habitations princieres ; !'agent politique y occupe un palais d'une magnificense tout asiatique, entoure d'un pare de plusieurs arpents"2 .

La presence europeenne se montre parfois en forme de Ia sophistication

occidentale. La vie au camp en est un bgn exemple. La description d'un de

ces camps se trouve dans les lettres de V. Jacquemont. II y etait invite par

Lord William. Ce camp se playait a mi-chemin entre Alwar et Jaipur.

Jacquemont l'appelle un "petit Europe dans le desert". L'orchestre meme y

jouait une chanson franyaise.

1 ROUSSELET Louis, op.cit., pp.206 -207.

2 Ibid., pp.265-266.

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"Un excellent orchestre jouait Ia "Parisienne" pendant - -l'heure du repas ; au milieu d'u1_:1_ desert de Rajpootana I

Qu'est-ce que vous en dites ?" 1 .

82

. Ainsi, les Europeens jouissaient des moeurs europeens dans I' ambiance de

luxe asiatique. II est probable qu'ils tiennent aussi une sorte de durbar

dans leurs residences. II est done peu Surprenant que les manieres

europeennes soient copiees par les Indiens. Toutefois, ce n'etait pas le

cas, a l'epoque de Bernier. Dans ce sens, les temoignages de Rousselet

nous apportent une nouvelle lumiere sur !'evolution des moeurs au

Rajputana.

Cependant, le Rajputana ne s'isole pas dans cette imitation. Le

milieu occidental avait petit-a-petit eu son emprise sur tout le nord de

l'Inde. La maniere occidentale dont Jacquemont etait reyue par un prince

musulman, pres de Delhi, reconfirme ce que nous venons de dire. D'apres . .

Jacquemont, a Ferozpur le petit dejeuner lui etait servi "avec toute

elegance et style de I' Ouest que l'on pourrait imaginer"2•

En effet, a cette epoque, les diners royaux se caracterisaient par

une elegance toute occidentale. Ceci se manifeste dans un des diners,

donne par le Rana, a Khush Mahal, son palais de plaisir. Le Rana lui­

meme ne participait pas a ce diner. II se retirait apres avoir reyu les

1" An excellent orchestra played the"Parisienne" during the meal; in the middle of a desert in Rajpootana ! What say you to that ?" JACQUEMONT Victor, op.cit., p.273.

2 Ibid., p.265.

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invites et ne revenait que plus tard pour participer dans Ia ceremonie des

"toasts".

"( ---)Le diner lui-meme sort toujours des cuisines de l'ambassade et par consequent est tout a fait europeen ; les vins viennent de Ia cave du roi et sont d'excellente qualite. Le Rana revoit les convives et les fait asseoir autour de Ia table, puis it se retire ( --). Des toasts nombreux font vite disparaitre Ia gene, Rajpouts et Europeens se melent gaiement, rivalisant d'entrain pour faire honneur aux breuvages de !'Occident et aux cigares des Phillipines ou de Ia Havane" 1.

En fait, !'usage grandissant des produits de !'Europe etait tellememt

apparent que Rousselet ne peut pas s'empecher de commenter hi-dessus.

"( --)depuis, j'ai pu me convaincre que les Raj pouts ont laisse de cote les principes de leur caste, en ce qui regarde !'usage de nos vins et de nos tabacs, dont its font une grande consommation"2.

Ce comportement peut etre considere comme une maniere indirecte

d'accepter Ia superiorite europeenne.

Ainsi, les voyageurs fran~ais dans cette deuxieme etape de leur

decouverte trouvent un monde exotique, oriental, mais mis sous le joug de

l'Occident. Cet univers oriental semble en train de perdre son originalite

au profit de l'influence grandissante de l'Europe. Par consequent,. les

1 ROUSSELET Louis, op.ciL p.217.

2 Ibid.

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Franyais ne trouvent pas ce qu'ils sont venus chercher au Rajputana : un - '

monde oriental par excellence.

Bien que ce monde presente parfois des scenes exotiques et ideales

correspondant a leur prefiguration de ce pays, ils rencontrent, Ia plupart

du temps, une imitation des moeurs de leur propre pays par l'elite

indienne. Cette influence europeenne serait-elle aussi apparente · lors de

l'analyse des rois du pays ? Cet ascendant de l'Occident se montrera-t-il

peut etre en fof!lle d'un desir des rois d'etre reconnus par des agents

politiques anglais?

Nous aborderons ces questions dans Ia deuxieme partie de ce

chapitre. Une vue plus detaillee de Ia personnalite, du comportement et

des loisirs va peut-etre changer l'optique etrangere. A quel niveau

}'influence europeenne penetre-t-elle dans Ia vie quotidienne royale, et de

queUe maniere les etrangers peryoivent-ils les rois du pays, seront aussi

examines dans Ia deuxieme partie Sadisme et sophistication indienne qui

suit.

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B. Sadisme et sophistication indienne

De caste guerriere (kshatriya), Ia vaillance etait une des ·qualites

cheries des rajpouts. La bravoure legendaire des soldats du Rajputana a

donne naissance a beaucoup de legendes populaires. Parmi les voyageurs

fran~ais, Bernier est un des premiers a en parler. Au 17 erne siecle, il fait

allusion a cette hardiesse legendaire en decrivant deux elephants, a

I' entree de Ia forteresse a Delhi. Sa description va ainsi :

"Je ne trouve rien de remarquable ill'entree si ce n'est deux grands elephants de pierre qui sont des deux cotes d'une des portes; sur l'un est Ia statue de Jaimal, ce fameux Raja de Chitter ; sur !'autre, celle de Patta, son frere. Ce sont ces deux braves, qui avec leur mere, encore plus brave qu'eux, donnerent tant d'affaires a Akbar et qui, dans les sieges des villes qu'ils soutinrent contre lui, donnerent des preuves si extraordinaires de leur generosite qu'ils aimerent mieux enfin se tuer dans des sorties avec leur mere que de se soumettre" 1.

D'apn!s les sources fran~aises, cette valeur se manifeste seulement en

forme d'une certaine sauvagerie au 19eme siecle. Le mythe de barbarie

asiatique n'etait pas nouveau chez les voyageurs fran~ais. Deja au 18eme

siecle, Capitaine Doudron le signalait, pendant son voyage en Inde par les

1 BERNIER Fran~ois, op.cit., p.l92.

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deserts. Notanunent, il mentiqnne deux monuments d'un genre singulier et

bien barbare.

"ce sont deux cones que je trouvai le premier decembre. lis me parurent avoir plus de vingt pieds de hauteur avec des bases assez grandes, et nouvellement batis. Des cordons fort rapproches depuis le sommet jusqu'a Ia base, couverts de tetes humaines qui y etaient attachees et baties par les cols, attestaient Ia vengeance d'un prince courrouce"1.

Plus tard, au 19eme siecle, les voyageurs fran~ais decrivent un

univers d'une sauvagerie semblable. En revanche, les Europeens sont

aussi qualifies par les Indiens comme cruels et barbares. Selon Modave,

les Europeens meritent bien ce mepris a cause de leurs actes abominables.

L'incident de l'Allemand2 nqus demontre que Ies Occidentaux sont tout a fait capable d'etre ausst cruels que Ies Asiatiques. Selon Modave, les

Indiens paraissent. doux et htimains par rapport a certains Europeens

cruels. Modave est le seul a qualifier les Indiens de "doux". D'habitude,

les voyageurs consideraient les gens du pays cruels et violents.

1 DOUDRON Chevalier de, op.cit., p.l92.

• 2 II raconte l'acte monstrueux d'un Allemand qui voyageait avec ·sa femme indienne et ses deux enfants. Importune de leurs plaintes et de l'embarras de leur subsistance, il les jeta lui -meme, tous les trois dans le fond d'un puit. Et il n 'avait meme pas honte de ses actions. ''J'ai vu dans le camp de Sombre un Allemand qui se vantoit froidement de !'action Ia plus atroce et Ia plus denaturee qu'on puisse imaginer.(--) Ce seroit sans doutc rcndre un service considerable a !'Europe, si les gens du pays irrites de leurs crimes, en purgeoient Ia terre ; mais ils sont naturellemnt doux et humains." MODA VE Comte de, op.cit., p.419.

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1. Violence et cruaute :

D'apres les ecrits franyais, il est clair que Ia vie des rajpouts soit

pleine de violence et de cruaute. Dans l'ethique rajpoute, l'hero'isme avait

plus de valeur que Ia prudence. Le Rana d'Udaipur, adherant a cette

ethique, prefera passer toute sa vie dans Ia foret comme un refugie, plutot

que de se subjuger a l'empereur mogol. II eut plus d'appreciation des

bardes et des geneologistes que l'habile roi de Jaipur Sawai Mansingh. Ce

dernier s'aligna aux mogols pour sauver son pays de Ia destruction aux

mains de ceux-ci. Sa politique adroite etant consideree comme une

lachete, les rajpouts le meprisent toujours. C'etait plus digne pour un

rajpout de mourir au champ de bataille que de se sauver. Pour les

rajpouts, seuls comptaient le code d'honneur et Ia bravoure. Que le

respect de ce code puissent avoir des consequences dangereuses, n'avait

aucune importance. Si le rajpout n'est pas vainqueur, il doit etre mort. Se

retirer pour reprendre·la lutte plus tard ne serait pas accepte1• Les rajpouts

du Rajputana etaient tiers de ces valeurs. Bernier et Modave le

mentionnent en decrivant le comportement des rajpouts au champ de

bataille. Seulement, il faut dire que Ia description de Modave semble

n'etre qu'une pastiche de Bernier2.

1 RUDOLPH Hoeber et Susanne, Essays on Rajputana, Delhi, Concept Publishing Co., 1984, p.41.

2 BERNIER Fran<;:ois, op.cit., p.52. MODA VE Comte de, op.cit., p.380.

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Comme il etait difficile de retrouver de telles valeurs au 19eme

siecle, Rousselet essaye de les integrer dans son oeuvre a travers des

anecdotes du passe. L'anecdote du barde et de l'histoire de Ia prise du fort

d'Ontala en est un exemple. Ce recit souligne le caractere barbare des

.rajpouts. La description detaillee de Ia prise du fort signale Ia temerite

barbare des chefs du ·pays, et le sang froid oriental que nous venons de

voir chez le Chevalier de Doudron.

"( ---) Ie chef des saktas, en voyant Ia porte garnie des pointes de fer, s'accroche aux piques de Ia porte et ordonne sous peine de mort au mahaout de lancer l'enorme animal contre son corps. On obeit ; Ie chef est ecrase, son cadavre couvre le fer, Ia porte cede et le clan se rue dans l'interieur ( --)" 1. .

L'on se demande pourquoi Rousselet eprouve le besoin d'integrer cette

histoire dans son oeuvre. Est-ce parce que Ies rois du 19eme siecle

decrits par lui ne representaient pas l'image traditionnelle des rajpouts ? A

notre avis, une telle anecdote sert a illustrer les valeurs legendaires des

rajpouts. Car, a l'epoque de Rousselet, les rois du pays ne faisaient point

preuve d'autant de violence et de temerite. La fougue guerriere allant

jusqu'a Ia folie, correspondait mieux a l'image barbare et emelle des rois

asiatiques.

L'absence de compassion des gouvemants vis-a-vis des sujets se

manifeste pendant le spectacle des jongleurs. Outre l'exotisme oriental,

ces jongleurs et ces acrobates contribuent a presenter l'i111age de l'inde

1 ROUSSELET Louis, op.cit., pp.227- 228.

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ple_iD_~ debizarreries et de crufiute. Les tours les plus curieux sont faits par

de petites filles. Presque nues, elles se deroulent en boule et se courbent

en arriere. Selon Rousselet, parfois le spectacle devient cruel et repugnant

a l'extreme.

"Ou le spectacle devient cruel et repoussant, c'est lorsqu'on leur fait enlever des poids avec leurs yeux ; un bouton de metal, souvent provenant de quelque culotte europeenne, est placee sous les paupieres de chaque oeil, de fa9on a adherer a l'orbite elle meme ; a ces boutons sont attaches de ficelles soutenant un paquet quelque fois fort lourd, que )'enfant enleve ainsi a quelques centimetres du sol, sans )'aide de ses mains ; si le tour dure une minute, on voit de l'eau ruisseler le long des cordes ; c'est hideux. D'autres natnis jouent avec des sabres d'une fa90n tres curieuse" 1.

Les jeux de natnis, bien que habituels en Inde, ne sont pas ausst

dangereux que l'auteur les fait paraitre. Cet incident raconte par Rousselet

est incroyable. Ce qui rend l'acte cruel, c'est le fait qu'une petite fille, un

enfant l'execute. La condamnation de l'elite qui encourage, en tant que

spectateur ce divertissement est evident du discours de l'auteur. Il va plus

loin pour montrer le niveau de sensibilite plus eleve de sa propre societe

en disant:

"( ---) mais je crois que notre police ne tolererait pas Iongtemps un spectacle si peu moral et si dangereux" 2.

I Ibid., p.274.

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Ainsi nous voyons un effort de Ia part de l'auteur de confinner le gout

raffine et sophistique des Occidentaux par rapport a Ia barbarie indienne.

Cette sauvagerie orientale, et Ia cruaute contre les etre humains,

semblent atteindre leur apogee dans Ia scene de "Talwarbazi". Modave

l'appelle "le combat de gladiateurs". II n'a pas ete un temoin de ces

combats, mais il confirme que ses compatriotes y avaient assiste.

"La cour de raja de Cota passe pour une des plus magnifiques de l'lndoustan. Je suis oblige de m'en rapporter ace sujet a_ce que j'ai entendu dire, n'aiant rien vu par moi­meme qui put me confimer ce fait. Les combats de gladiateurs y soot un des plus ordinaires spectacles. Nos Francois de l'Indoustan ont assiste a plusieurs" 1.

Ce combat souligne l'esprit sadique des rois de l'epoque. Les etrangers

eprouvent du plaisir a raconter de tels incidents en grand detail, quelque

fois de maniere tres theatrale. Ainsi, ils cherchent a impregner les lecteurs

de l'idee de Ia cruaute orientale. De tels incidents suscitent la.,curiosite du

lecteur !'incitant a continuer sa lecture. Modave exagere en decrivant les

gens destines au metier de "Talwarbazi" comme des geants.

"Le raja retient quelques hommes a ce miserable metier. J'en ai vu trois ou quatre. On les prendroit pour des geans. Outre Ia hauteur de leur taille, Ia grosseur de leurs bras, cuisses et jambes, les fait asses remarquer. C'est veritablement une chose etonnante2. .

1 MODA VE Comte de, op.cit., p.480.

2 Ibid.

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Par Ia suite, avec Ia descriptiop de Ia bataille, Ia scene devient tout a fait

grotesque.

"Lorsqu'il est question de les faire combattre, on les arrne de fer de Ia tete aux pieds. Ils ont aux mains des gantelets garnies de pointes dorit ils frappent de si grands coups qu'ils brisent l'armure deffensive de leurs antagonistes. Apn!s. cela il n'est pas rare de voir voler en I' air une joue, une oreille, un oeil etc. Cet affreux spectacle est un des grands amusemens du raja de Cota"1.

Modave est le seul a parler de ce type de combat au Rajputana. Rousselet

en temoigna aussi en 1855, mais a Gujarat, lorsqu'il etait hote du raja de

Baroda2 • II n'a pourtant pas eu l'occasion dele voir au Rajputana. Peut-on

en deduire que ce mode d'amusement n'existait qu'a Kota au Rajputana?

Un autre spectacle temoigne d'une cruaute incroyable contre les

animaux : le combat entre le sanglier et Ia pailthere. Des le debut de Ia

description, l'auteur insiste sur Ia cruaute contre l'animal, condamnant

ainsi l'incident.

"Le sanglier est seul ; c'est un superbe animal, d'une taille hors ligne, et arme de defenses tongues et aerees : it a ete fait prisonnier dans les gorges voisines, ou il commandait quelque harde, et Ia perle de sa liberte le met en rage ; il cherche un ennemi et lahoure le sol avec fureur" 3.

2 ROUSSELET Louis, op.cit., p 127.

3 Ibid., p.219.

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Detaillee, minutieuse, Ia description de Ia bataille va jusqu'a Ia limite du

grotesque ecoeurant.

"C'est celui -ci (le sanglier ) qui engage courageusement Ia lutte ; il s'elance avec impetuosite, et, se laissant etreindre par Ia panthere, lui dechire les flancs de ses defences. Les mouvements sont si rapides, si violents, que Ia panthere essaye de fuir ; alors elle est perdue, le sanglier profite de son avantage, et chacun de ses assauts furieux devient fatal a Ia bete feroce, qui, le crane dechire, les cotes brisees, aveuglee par le sang ne se defend plus ; une balle met un terme aux souffrances de Ia pauvre bete et le sanglier victorieux est applaudi par les assistants "1.

Comme le fait remarquer Rousselet, une certaine sophistication

caracterise cette sauvagerie.

"S'achamant sur le corps de sa victime, le vainqueur le met en lambeaux et par moment le lance jusqu'a l'extremite opposee de l'an!ne. La recompense de son courage sera pour lui Ia liberte ; Ia trappe est ouverte, et au milieu. des acclamations de Ia foule, it trottine lentement et philosophiquement vers ses montagnes2.

La liberte est le prix de la victoire pour le sanglier. Sa maniere gracieuse

de sortir de l'arime pour aller vers les montagnes met en Iumiere que la fin

du combat ne pourrait pas etre tout a fait barbare. Rousselet se met a Ia

place du juge, a l'ecart de Ia foule qui se rejouit et applaudit la scene.

2 Ibid.

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"II a cependant l'air pli.ltOt preoccupe que satisfait, car il s'arrete de moment a autre. Craint-il de retrouver sa place prise, ou retlechit-il a Ia perversite de cette panthere qui le retenait enferme dans ce chateau? En me retoumant vers les Raj pouts, je vois ·sur leurs traits combien ils sont heureux de Ia victoire de leur adversaire favori" 1.

93

La cruaute contre les animaux se voyait non seulement pendant les

combats, mais aussi en dehors des an!nes, quand on les entrainait afi.n de

les preparer pour le combat public. D'apres les sources fran~aises, les

elephants sont places dans une petite cour pavee, tres sale. On les fait

manger des choses stimulantes pour les rendre furieux. Leurs yeux, leurs

bouches beantes, et leurs troncs en mouvement constant signalent Ia fievre

et Ia turbulence. Heber condamne cette cruaute vis-a-vis des animaux

innocents.

I Ibid.

"C'etait pathetique de les voir. J'etais emu et degoute par Ia vue de ces creatures nobles, rendus fous et malade ainsi par Ia cruaute absurde de l'homme, pour qu'ils puissent s'infliger de nouveau de blessures et de Ia douleur pour le divertir"2.

2 "It was pathetic to see them. I was moved and disgusted at the sight of so noble creatures thus maddened and diseased by the absurd cruelty of man, in order that they might, for his diversion, inflict fresh pain 'and injuries on each other." · · . REGINALD Heber, Journey through upper provinces of India from Calcutta to Bombay, London, Oxford University 'Press, 1829, p.35. Notons aussi qu 'un autre voyageur, l'ltalien Niccolao Manucci observe aussi que l'amuscment general pour le roi a l'epoque etait de voir le combat des elephants rendus fous. a ce propos. C'etait une affaire bien dangereuse pour les mahao~ts qui montaient ces elephants, qui quelque fois en etaient victime. La scene devenait pathetique quand les maris se preparaient pour participer au combat et que les fenimes montraient leur impuissance devant Ia volonte du roi en brisant leurs bracelets et enlevant leur bijoux : des actes symboliques pour dire qu'elles allaient devenir des veuves.

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La cruaute contre !'elephant se voit aussi pendant Ia chasse. Un incident

raconte par Rousselet le confirme. En depit de leur entrainement_ pour Ia

chasse, ils se trouvent parfois dans une situation tout a fait pitoyable,

lorsqu'ils font face a Ia panthere. Une fois pendant Ia chasse, touchee par

Ia balle du prince, une panthere roule a quelques pas devant !'elephant de

Rousselet. Cette vue rend Ia condition de !'elephant pitoyable.

"L'animal terrific se mit a trembler, fit brusquement volte face, renversant Rousselet presque par choc et dechargeant son fusil. Malgre les efforts de mahaout, pris de panique, il les emporta au galop a travers Ia jungle"'·

Pour signaler que cela arrivait souvent pendant Ia chasse, Rousselet dit :

. "Ces frayeurs subites sont assez frequentes chez l'elephant, meme dresse pour Ia chasse au tigre"2.

De Ia maniere dont l'auteur decrit cet incident, Ia sympathie du lecteur va

naturellement avec !'animal. Le patron tient le mauvais role dans l'histoire.

Pourtant, il court aussi un danger enorme pendant de tels accidents.

I

"Quelque fois, dans des cas pareils les elephants· aveugles par Ia peur broient haodah et cavalier a quelque branche"3.

MANUCCI Niccolao, Historv of the state of great mogol ( 1653 - 1708 ) vol . L London, Oxford University Press, 1760, p.l33.

1 ROUSSELET Louis, op.cit., pp.299 -300.

3 Ibid.

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De plus, les elephants font preuve d'une sagacite et d'une sophistication

dans Ia poursuite de l'animal chasse. Quand un animal blesse s'enfonce

dans le fourre s'ecartant du troupeau, l'homme qui l'a atteint, se lance a Ia

poursuite avec son elephant. Alors, !'elephant joue le role d'un chien. II

suit infatigablement Ia piste, relevant les trainees du sanglier. Ses pieds

depourvus de sabots se posent d'une maniere tellement silencieuse qu'il

passe pres des animaux craintifs sans leur donner l'eveil. Rousselet dit a ce propos:

II Suivant a I' elephant Ia piste d'un animal blesse, il m'est arrive souvent d'apercevoir a quelques pas de moi de groupes de daims qui continuaient a brouter paisiblement malgre notre presence" I.

Au bout de Ia piste, il s'arrete soudainement.

"( --) et il faut longtemps regarder autour de soi avant d' · apercevoir le pauvre sanglier haletant et force ; affaisse parmi les epines. Une balle met un terme a ses souffrances, et l'elephant montre sa satisfaction par un coup de trompette"2.

Ainsi, une certaine sophistication se montre meme dans les actes de

cruaute de Ia royaute. Or, les remarques de Rousselet mettant en lumiere

cette sophistication royale ne sont pas du tout fausses : Ia legende· du

pays en signale aussi. D'apres Ia legende, un des divertissements favoris

I Ibid., p.205.

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du roi de Ia region de Bundi, qui se trouve pres de Kota, etait de faire

router un elephant du haut de Ia montagne. Cet acte du roi, a part de

demontrer son sadisme, temoignait d'une certaine sophistication dans Ia

maniere de faire souffiir l'animal. Ce melange bizarre de cruaute et de

sophistication se trouvera peut etre aussi pendant la chasse par le hank, le

loisir le plus distingue des Ranas de Mewar. Les etapes variees de cette

ceremonie religieuse seront abordees dans Ia partie suivante.

2. "Le hank" ou la battue au Rajputana : biere, champagne, chiens

sauvages, pantheres ecrasees

Les loisirs royaux donnent !'occasion aux voyageurs d'examiner de

pres le caractere des rois. La chasse releve principalement l'aspect

sadique du caractere des gouvernants du pays, devenant repugnante et

ainsi revoltante. Mais ces occasions deviennent parfois symbole de Ia

grandeur et de Ia sophistication royale, surtout pendant les ceremonies .

d'ouvertures et de clotures.

. De fait, Ia chasse, etant un moyen principal d'amusement des rois,

domine Ia vie royale de l'epoque. Une journee typique dans Ia compagnie

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de Ia royaute se passe ainsi : une reception officielle par le roi est suivie - ~ .

. , .

d'une joumee entiere consacree a Ia chasse. La soiree est destinee aux

nautchs et a d'autres amusements varies. Rousselet le mentionne lorsqu'il

decrit son sejour avec le roi de Banera a Mewar. La region de Mewar est

bien connue pour Ia chasse du sanglier.

"( ---) nous no us embrassons fratemellement selon )'antique usage et je lui fais Ies honneurs de mon palais de toile. Apres un long entretien, je l'accompagne de mon tour a son chateau, ou je passe une partie de Ia soiree. Le lendemain, nous allons chasser le sanglier, et cette seconde joumee se termine par des nautchs et des divertissements" 1.

Les sangliers etaient nombreux dans la foret de Mewar a l'epoque.

D'ailleurs, un sanglier etait considere "un adversaire favori" des rajpouts,

pendant les combats des animaux, grace aux prejuges religieux du pays.

D'apres ·Ia religion c'est l'animallie a la deesse Gouri2 .

Ces scenes de chasse sont d'un caractere inhumain et grotesque.

La chasse par le hank ou la battue se distingue parmi tous les tableaux de

Ia chasse, depeints par Rousselet. Elle commence par Ia pompe royale

pendant Ia ceremonie de l'ouverture officielle.

"Tout l'entourage de Rana de plus de six mille personnes rassemblent. ( ---) Le Rana, ass is sur son elephant de chasse, sort de son palais au milieu d'un. cortege de bar des qui recitent des hymnes de circonstance et agitent de

1 ROUSSELET Louis, op.cit., p.24l.

2 Ibid., p.219.

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grandes palmes omees de roses. Legrand veneur, Maharaj Singhji, monte sur un chameau richement harnache, marche au milieu des valets de meute ; les invites et les nobles suivent chacun sur un elephant ; derriere vient une nombreuse escorte de Rajpouts a cheval. Le cortege s'avance lentement dans Ia plaine au milieu d'une foule compacte de villageois venus pour assister a Ia ceremonie"1.

98

L'elegance rajpoute atteint son sommet dans cette scene. Le statut social

d'un chasseur determine l'animal qu'il va manter pendant la chasse. Le roi

et ses invites d'honneurs, etant au sommet de l'echelle sociale, ils montent

sur des elephants, symbole de Ia grandeur royale. Ensuite, Maharaj

Singhji, cuisinier favori du roi et chasseur repute, se presente a dos de

chameau, suivi d'escortes rajpouts a cheval.

D'apres Rousselet, Ia sophistication se voit de nouveau a Ia fin de

Ia joumee, lorsque Ia partie retoume de Ia chasse, apres avoir tue quatre

sangliers.

"Le trophee suffit pour le premier jour. Le cortege se reforme et rentre dans le meme ordre au camp. A Ia porte du palais, les bayaderes, parees de leurs plus beaux atours, viennent, comme autrefois les filles d'Israel, nous feliciter de nos exploits" 1 .

Ce beau tableau incluant des "bayaderes ressemblant aux filles d'Israel"

approche ce monde rajpout a l'univers des contes arabes. Ce demier

constitue )'image recurrente de I'Orient chez Rousselet.

I Ibid., pp.204 -205.

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Or, d'apres les ecrits, les quinze jours de battue et de parties de ' .

plaisir, deviennent une suited~ cauchemar et de terreur pour les animaux.

L'authenticite de la description de ce hank par Rousselet est indiscutable.

11 a ete temoin de cette battue. Mais, Ia maniere dont il decrit le sort des

animaux chasses, souligne plutot la barbarie des rajpouts. Cette barbarie

d'ailleurs est dans l'acte de chasser, en France ou ailleurs. La battue est

representee comme une bataille declaree par des hommes en grand

nombres, contre les animaux innocents et impuissants. Au bout d'un quart

d'heure de bruit formidable de gongs, de trompettes et des tam tams, les

animaux sont obliges de sortir de leur· cachette et d'avancer vers les

chasseurs. La scene devient alors tout a fait pathetique.

"A Dubock trois mille batteurs se rangent dans Ia montagne en haut. (--) ne laissant aux habitants de Ia foret d'autre issue que celle que nous commandons. La confusion devient indescriptible ; les sangliers s'entassent dans le ravin par centaines et le feu du houdi tonne sans interruption. Des -chacals, des hyenes passent pele mele avec les pores, ( - - -) toutes ces betes sont proie a une terreur folle"2.

En opposition a "Ia terreur folie" des antmaux, Rousselet decrit

l'insensibilite des chasseurs :

2 Ibid.

"II s'y installent ( a un :endroit strategique) en fauteuils a l'aise, des rafraichisseinents de Ia biere, champagne,

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limonade glacee, ne sont pas oublies. La chasse est ainsi Ia moins fatigante possible d'imaginer" 1.

100

Les deux termes contradictoires "Ia chasse", "Ia moins fatigante possible"

indiquent Ia paresse et Ia decadence des princes du pays, a l'epoque. De

fait, le but principal de Ia chasse traditionnelle etait le contraire : de

garantir que les gw!rriers se trouvent, a tout moment, en excellent

physique pour se livrer au combat. Cependant, Ia scene demontre une

certaine sophistication de moeurs chez Ia royaute indienne, grace a !'influence de l'Europe.

Par contre, Ia scene suivante est tout a fait saugrenue, lorsqu'il voit

Ia panthere, pris par terreur, essayant de contourer "l'houdi"2. Elle gravit

les rochers mais roule dans le ravin.

"( - -) le corp·s crible de balles, et aux cris de joie des rajpouts"3.

Cette phrase sert a mettre en lumiere le sang froid oriental. Et l'etape

suivante, l'examen du gibier accentue encore plus Ia cruaute innee de ces

exploits.

I Ibid.

"Le coup d'oeil est vraiment effrayant ; les animaux gisent les uns sur les autres dans un desordre terrible, et de vraies

2 "de petits fortins creneles ~nstruits pour servir d'affiits ; its soot generalemen~ places a l'entree d'un ravin, de fa~on que le feu des chasseurs en commande entierement Ie passage." Ibid., p.265.

3 Ibid.

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mares de sang remplissent les cavites de rochers. Plus de quarante sangliers, une quinzaine de chacals, hyenes et chiens des jungles et une panthere, tel est le resultat d'une heure et demie de hankh"I.

101

Cette description du gibier, fait de Ia chasse comme un massacre plut6t

qu'un jeu royal de l'aventure et de bravoure. Un vrai rajpout de:vrait en

avoir honte au lieu d'en etre fier. D'apres le n~cit, les animaux sont les

victimes innocentes de ces exploits. Ainsi, Rousselet cherche a susciter Ia

pitie du lecteur. La fa~on dont il decrit le chien sauvage le confirme.

"Ce qui m'interesse le plus parmi ces victimes, ce sont les chiens sauvages (cuon rutilans), dont j'ai souvent entendu parter(---) Reunis en troupes nombreuses, ces animaux traquent les daims et les antilopes, et grace a leur ruse et a leur agilite, en font une proie facile ; ils n'attaquent jamais l'homme"2.

La demiere phrase est revelatrice des sentiments de Rousselet, qm

condamne indirectement l'action de l'homme.

Pourtant, Ia chasse a Mewar semble moms emelle qu'ailleurs.

Pendant toute l'annee, Ia chasse dans les forets etait interdite par le roi.

D'habitude les animaux se trouvaient en paix.

I Ibid.

"Cette jungle est pleine d'animaux. Des edits royaux les protegent d'une rnaniere tres severe ; nul n.'a le droit, sans Ia

2 Ibid., p.206.

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/

permission du roi; de tirer un coup de fusil dans les environs" 1.

102

Cette interdiction se levait seulement une fois par an, pendant les quinze

· jours de chasse annuelle. Cet aspect de Ia chasse confmne un souci de la

royaute, de ne pas deranger l'equilibre de Ia nature. D'autre part, Ia chasse

annuelle de quinze jburs etait meme necessaire car elle contribuait a sauvegarder Ia population des animaux dangereux, dans les limites

desirees, pour qu'elle ne devienne pas menanyante aux hommes. Cela

servait aussi a garder 1' equilibre ecologique de Ia foret. Rousselet

n' insiste pas sur cet aspect. II s'interesse plutot a I' aspect cruel de Ia

chasse.

La cruaute contre les animaux se manifeste aussi dans une autre

scene, Ia chasse a l'ours. Le tableau commence par Ia description de Ia

nature et de Ia beaute tout a fait sublime de la foret. La montagne elevee,

couverte d'un bois sombre et formant un amphitheatre fait un endroit ideal

pour ce spectacle dramatique. Le silence y regne.

"Mais ce qui est frappant c'est le calme qui regne dans cette gorge, seuls quelques oiseaux poussent de petits cris et devant nous un singe qui sommeille-sur une branche"2 .

L'image du singe dormant sur la branche symbolise le calme supreme et Ia

tranquilite qui y regnent. D'un coup, ce silence est brise par Ies bruits

I Ibid., p.204.

2 Ibid., pp.221-222.

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produits par les batteurs. Le chaos total suit. Six chasseurs, annes de

fusils, font face a un seul ours,. ce qui rend Ia scene pitoyable aux yeux de

Rousselet. L'evocation de l'ours suscite Ia sympathie du lecteur.

"C'est un jeune. ; il est d'un beau noir ; sa fourrure est soyeuse et souple, ses griffes acerees (--)"1.

Par cette remarque Rousselet se distingue des autres chasseurs, se

detachant de ce qui se passe. Pourtant, il faisait partie de ces six chasseurs

qui avaient tire sur I'ours. Mais Ia chasse n'etait-elle pas toujours c.ela, que

ce soit en Inde ou en France ? Cette critique indirecte a travers Ia chasse,

est-elle destinee seulement aux chasseurs indiens ou it Ia communaute des

chasseurs en general ? Cette question n'est pas elucidee. Mais puisque Ia

scene se passe en Inde, et qu'a d'autres occasions, Rousselet critique

severement Ia royaute, on peut en deduire que l'auteur se sert de cet

incident pour desapprouver les rois du pays. Ceci dit, les scenes de

chasses de Rousselet sont uniques grace a leurs descriptions detaillees et

leur aspect authentique. Leur pareille ne se trouve pas ailleurs. Elles ont

aussi une valeur historique, car heureusement ce genre de chasse n'existe

plus dans le Rajputana d'aujourd'hui.

La chasse sur le lac montre aussi que Ia grandeur et Ia

sophistication du loisir royal est toujours impreignees de cruaute. La

destination de l'excursion royale etait un des innombrables palais d'ete.

I Ibid.

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104

Cette excursion apparait conune une experience inoubliable pour l'auteur,

grace a son aspect beau et romantique, bien que cruel.

Selon Rousselet, le spectacle du depart matinal se pn!sente comme

une des scenes doubles employees au theatre. Le contraste est bien

frappant ; d'un cote se trouve un hazar populeux, tandis que de l'autre, une

foret domine un marais avec des crocodiles, oil le tigre vient souvent se

desalterer. Absolument merveilleux, le tableau devrait etre capable de

mettre les lecteurs europeens en etat d'extase.

"Notre barque glisse doucement au milieu de ce merveilleux tableau ; un Ieger voile de vapeur plane sur Ia ville ; les domes de marbre qui couronnent les hauteurs, les pointes des pagodes sont col ores d'une teinte rosee ; les iles refletent dans l'eau leurs arcades et leur jardins"1.

Incarnant tous les elements du reve de l'Orient, ce spectacle semble bien

en accord avec les attentes des lecteurs. L'element exotique s'y ajoute par:

"(- -) ya et Ia quelques Indiens, couverts d'etoffes voyantes, se groupent sur les marches des ghats"2 .

Mais Ia scene de chasse gache cette joumee appellee "Ia ·plus belle de

notre vie en Inde" par Rousselet.

I Ibid., p.218.

2 Ibid.

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"Au milieu des herbes hautes de tous les cotes, des nuees d'oies, de canards, de flammands s'elevent. Aussitot Ia fusillade commence qui dure a peu pres une heure, le resultat est plus de deux cent cinquante paires de becassines et d'autres gibier"I.

105

L'usage du mot "fusillade" semble donner l'aspect negatif de Ia chasse.

Neanmoins, l'aspect charmant se retrouve plus tard, a la fin, avec Ia

promenade sur le bateau. Le Rana donne Ia touche exotique finale a ce

decor singulier, en parant le cou de chaque invite de guirlandes de roses

artistiques et en leur offrant le "bira"2.

' 2 Une feuille de betel, symbolise un grand honneur fait ida personne a qui le roi J'offre.

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106 •

L'optique fran~aise sur Ia societe change apres une vue detaillee de

celle-ci. L'univers sublime et feerique du premier chapitre se transforme

petit-a-petit ; on decouvre une vie fortement influencee par les moeurs

europeens, quoique toujours exotique. Des le depart, Rousselet remarque

que Ia presence etrangere joue un certain role politique dans le pays. Par

consequent, l'univers royal se presente comme un tableau bizarre resultat

du melange de l'exotisme oriental et l'elegance occidentale.

Des scenes de durbar avec les tchaubdars a canne d'or, Ia feodalite

brillante en costume gracieux et riche, le prince resplendissant de

diamants et de joyaux representent le luxe et Ia grandeur de cet univers.

Parfois, cet exotisme apparait impregne de l'erotisme surtout lors de

quelques fetes royale et ceremonies religieuses. Or, Ia presence etrangere

a des consequences directes. La royaute de }',epoque est decrite comme

etant soumise a !'influence grandissante de l'Europe. Cette influence se

manifeste notamment dans le cl10ix des boissons, Ia cuisine, les. cigares

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107

etc. D'ailleurs, elle s'exprime aussi quelque fois par Ia mustque et

l'orchestre. De fait, Ia cuisine europeenne etait tellement presente a l'epoque que, pendant les diners royaux, elle apparaissait toujours sur Ia

table, a cote de Ia cuisine du pays. Et, les Europeens se moquaient

souvent de l'engouement des Indiens pour tout ce qui venait. de l'Europe,

tout comme les Europeens etaient friands des produits indiens en ~urope.

Une attitude de mepris et de superiorite des Europeens se manifeste

lorsqu'ils decrivent les rois du pays. Ces derniers sont decrits comme

barbares et violents. D'apres les ecrits, Ia bravoure legendaire des rajpouts

etait remplacee par une lachete et une mollesse generale, chez les princes

du pays. Ces derniers sont generalement presentes comme ayant un

caractere sauvage et cruel. Ceci se manifeste surtout pendant la chasse : le

loisir favori des rajpouts. Or, d'apres les ecrits francais, les Europeens se

montrent parfois aussi cruets que les Indiens.

Enfm, un incident de chasse mentionne.par Rousselet, signale qu'un

thakour peut-etre aussi sensible que cruel. A Malakhera', les voyageurs

font une battue dans Ia foret et reviennent avec plusieurs antilopes. Et

panni ces antilopes, un employe du chatelain reconnait le cadavre d'un

animal favori de thakour, qui s'etait echappe depuis quelques jours.

1 Un village dans l'etat d'Alwar.

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"Le baron vient lui-meme reclamer le cadavre pour lui faire de belles funerai~les.~ II ne repond pas aux regrets exprimes" 1•

108

Cet incident est un des rares . a presenter le Rajpout comme un homme

sensible, capable d'adorer les animaux. Que cette sensibilite et

sophistication soient pn!sentes chez un thakour, representant de Ia

royaute, normalement decrite comme une classe emelle par les

Europeens, rend cette scene encore plus importante.

Si les etrangers ont presque passe sous silence le cote humain des

gens du pays, c'est peut-etre parce que les actes barbares etaient plus

apprecies par le public. II est clair de ceci que Ia description fran~aise

manque d'objectivite.

Apres avoir decouvert le pays et ses rois~ l'etape prochaine pour

les voyageurs sera Ia perception de Ia societe. Le Rajputana etait un etat

tres traditionnel et religieux. La religion etant un element essentiel dans Ia

vie du Rajputana, Ia vie n'y etait qu'une suite de retes religieuses, a en

croire les sources fran~aises. Nous verrons dans le chapitre suivant

concernant Ia religion et les fetes, si une etude detaillee de celles-ci

changera l'optique etrangere ou confirmera de nouveau !'impression creee

dans ce chapitre.

I Ibid. pp.292-293.