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GR21 Groupe de Réflexion sur l’Énergie Et l’Environnement au 21 ème siècle Mars 2013 RENCONTRES « NUCLÉAIRE, RAYONNEMENTS ET SANTÉ » 2013 Par Yvon Grall Introduction La réunion du 8 février 2013 était consacrée aux « actualités sur les cancers et les rayonnements ionisants ». Elle comportait deux parties distinctes, tout d’abord trois exposés sur les cancers liés aux irradiations, puis une controverse sur les faibles doses, M. Bourguignon présentant les « arguments inquiétants » et A. Aurengo défendant les « argument rassurants », avant une table ronde générale répondant aux questions du public. Progrès dans la connaissance de la cancérogénèse radio-induite Après une brève introduction de J.P. Vuilliez (Faculté de Médecine de Grenoble) présentant les thèmes et les conférenciers, Sylvie Chevillard (Direction des Sciences du vivant Fontenay aux Roses) nous a entretenu des progrès dans la connaissance de la cancérogenèse radio-induite. On sait qu’il existe deux domaines distincts, celui des effets déterministes (les seuls au delà de 3 Gy) et celui des effets stochastiques (ou aléatoires : commençant à partir de 0,1 Gy). En dessous de 0,1 Gy, on n’a jamais relevé d’effet réellement distinct de la cancérogenèse « naturelle ». L’épidémiologie atteint là ses limites car, pour être significatif, un tel effet réclamerait l’étude de cohortes de sujets considérables, où les variations interindividuelles seraient source d’erreurs supplémentaires. D’où la notion de RLSS (Relation Linéaire Sans Seuil) basée sur le principe de précaution (et non sur des expérimentations) et destinée à tracer une limite « large » en vue d’établir des normes de radioprotection « sécurisantes ». Les effets déterministes sont simples : c’est la mort, proportionnellement à la dose, d’un grand nombre de cellules que les tissus et les organes doivent prendre en compte pour tenter de retrouver (si possible) leur intégrité. Une dose létale est atteinte quand les organes essentiels voient leurs fonctions vitales définitivement compromises sans espoir de reconstitution. Les effets stochastiques ont eux une gravité indépendante de la dose : le délai d’apparition des cancers radio-induits est toujours important (10 ans pour les leucémies, 30 à 40 ans pour les cancers solides) et dans la plupart des cas, on ne sait toujours pas identifier un cancer radio-induit par rapport à son homologue « naturel ». On n’a pas non plus de réponse précise concernant le problème de l’importance du débit de dose, bien que de nombreuses études soient en cours. Des travaux intéressants sont actuellement en cours sur le séquençage de nombreux gènes qui pourraient permettre dans l’avenir de meilleures discriminations entre les différents types de cancers. En effet, l’étude des « marqueurs » spécifiques de l’impact des rayonnements est un domaine en plein essor. Mais le travail est difficile, les séries relativement petites et la variabilité interindividuelle vient se surajouter à la variabilité entre les types de cancers et rend les premiers résultats encore incertains. Les tumeurs radio-induites sont de plus assez rares, d’où une puissance statistique faible dans de nombreux cas. Mais la recherche systématique de gènes fournissant une signature « classante » progresse. Les caractéristiques de 322 gènes dans le cancer de la thyroïde ont été relevées avec succès dans un groupe de sujets étudiés « en aveugle ». Ce premier travail (considérable) a permis de mettre en évidence 5 gènes plus efficaces pour une bonne classification. L’étude se poursuit en direction des tumeurs du sein et des sarcomes, mais on est encore loin de pouvoir identifier clairement des marqueurs précis de la radio-induction, chaque cancer pouvant avoir sa « signature » particulière qui reste à identifier. Quant à la question « le tissu SAIN irradié présente-t-il d’emblée des caractéristiques décelables ? », elle reste pour l’instant sans réponse. Le conférencier suivant, Pierre Bey (Pr. émérite de cancérologie-radiothérapie à l’Université de Lorraine) a traité de l’important sujet des deuxièmes cancers apparaissant après radiothérapie (donc dans un contexte de fortes doses à un moment de la vie). Il est incontestable que la radiothérapie, qui concerne chaque année environ 180.000 patients, présente des risques d’effets secondaires, soit déterministes (à seuil et proportionnels aux doses immédiats ou plus tardifs), soit stochastiques (apparition ultérieure de seconds cancers répartis au hasard). Notons que ces derniers, souvent maîtrisables et à latence d’apparition longue (de 20 à 40 ans ou plus parfois), sont à mettre en balance avec l’éradication d’un cancer primitif, mortel à court terme. Compte tenu de plus de l’âge moyen de la survenue d’un cancer (67 ans pour les hommes, 64 ans pour les femmes) on voit que la radiothérapie, malgré le risque connu de second cancer, a toute sa place dans la gamme des thérapeutiques actuelles, surtout que l’évolution des techniques permet de cibler de mieux en mieux les zones sensibles et d’éviter au maximum les irradiations de tissus sains. Les doses utilisées sur le volume cible varient de 45 à 50 Gy si la radiothérapie est associée à la chirurgie et/ou à la chimiothérapie, pouvant monter de 70 à 80 Gy si la radiothérapie est la seule thérapeutique envisageable. Un

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GR21 Groupe de Réflexion sur l’Énergie Et l’Environnement au 21ème siècle

Mars 2013

RENCONTRES « NUCLÉAIRE, RAYONNEMENTS ET SANTÉ » 2013

Par Yvon Grall Introduction La réunion du 8 février 2013 était consacrée aux « actualités sur les cancers et les rayonnements ionisants ». Elle comportait deux parties distinctes, tout d’abord trois exposés sur les cancers liés aux irradiations, puis une controverse sur les faibles doses, M. Bourguignon présentant les « arguments inquiétants » et A. Aurengo défendant les « argument rassurants », avant une table ronde générale répondant aux questions du public. Progrès dans la connaissance de la cancérogénèse radio-induite Après une brève introduction de J.P. Vuilliez (Faculté de Médecine de Grenoble) présentant les thèmes et les conférenciers, Sylvie Chevillard (Direction des Sciences du vivant – Fontenay aux Roses) nous a entretenu des progrès dans la connaissance de la cancérogenèse radio-induite. On sait qu’il existe deux domaines distincts, celui des effets déterministes (les seuls au delà de 3 Gy) et celui des effets stochastiques (ou aléatoires : commençant à partir de 0,1 Gy). En dessous de 0,1 Gy, on n’a jamais relevé d’effet réellement distinct de la cancérogenèse « naturelle ». L’épidémiologie atteint là ses limites car, pour être significatif, un tel effet réclamerait l’étude de cohortes de sujets considérables, où les variations interindividuelles seraient source d’erreurs supplémentaires. D’où la notion de RLSS (Relation Linéaire Sans Seuil) basée sur le principe de précaution (et non sur des expérimentations) et destinée à tracer une limite « large » en vue d’établir des normes de radioprotection « sécurisantes ». Les effets déterministes sont simples : c’est la mort, proportionnellement à la dose, d’un grand nombre de cellules que les tissus et les organes doivent prendre en compte pour tenter de retrouver (si possible) leur intégrité. Une dose létale est atteinte quand les organes essentiels voient leurs fonctions vitales définitivement compromises sans espoir de reconstitution. Les effets stochastiques ont eux une gravité indépendante de la dose : le délai d’apparition des cancers radio-induits est toujours important (10 ans pour les leucémies, 30 à 40 ans pour les cancers solides) et dans la plupart des cas, on ne sait toujours pas identifier un cancer radio-induit par rapport à son homologue « naturel ». On n’a pas non plus de réponse précise concernant le problème de l’importance du débit de dose, bien que de nombreuses études soient en cours. Des travaux intéressants sont actuellement en cours sur le séquençage de nombreux gènes qui pourraient permettre dans l’avenir de meilleures discriminations entre les différents types de cancers. En effet, l’étude des « marqueurs » spécifiques de l’impact des rayonnements est un domaine en plein essor. Mais le travail est difficile, les séries relativement petites et la variabilité interindividuelle vient se surajouter à la variabilité entre les types de cancers et rend les premiers résultats encore incertains. Les tumeurs radio-induites sont de plus assez rares, d’où une puissance statistique faible dans de nombreux cas. Mais la recherche systématique de gènes fournissant une signature « classante » progresse. Les caractéristiques de 322 gènes dans le cancer de la thyroïde ont été relevées avec succès dans un groupe de sujets étudiés « en aveugle ». Ce premier travail (considérable) a permis de mettre en évidence 5 gènes plus efficaces pour une bonne classification. L’étude se poursuit en direction des tumeurs du sein et des sarcomes, mais on est encore loin de pouvoir identifier clairement des marqueurs précis de la radio-induction, chaque cancer pouvant avoir sa « signature » particulière qui reste à identifier. Quant à la question « le tissu SAIN irradié présente-t-il d’emblée des caractéristiques décelables ? », elle reste pour l’instant sans réponse. Le conférencier suivant, Pierre Bey (Pr. émérite de cancérologie-radiothérapie à l’Université de Lorraine) a traité de l’important sujet des deuxièmes cancers apparaissant après radiothérapie (donc dans un contexte de fortes doses à un moment de la vie). Il est incontestable que la radiothérapie, qui concerne chaque année environ 180.000 patients, présente des risques d’effets secondaires, soit déterministes (à seuil et proportionnels aux doses – immédiats ou plus tardifs), soit stochastiques (apparition ultérieure de seconds cancers répartis au hasard). Notons que ces derniers, souvent maîtrisables et à latence d’apparition longue (de 20 à 40 ans ou plus parfois), sont à mettre en balance avec l’éradication d’un cancer primitif, mortel à court terme. Compte tenu de plus de l’âge moyen de la survenue d’un cancer (67 ans pour les hommes, 64 ans pour les femmes) on voit que la radiothérapie, malgré le risque connu de second cancer, a toute sa place dans la gamme des thérapeutiques actuelles, surtout que l’évolution des techniques permet de cibler de mieux en mieux les zones sensibles et d’éviter au maximum les irradiations de tissus sains. Les doses utilisées sur le volume cible varient de 45 à 50 Gy si la radiothérapie est associée à la chirurgie et/ou à la chimiothérapie, pouvant monter de 70 à 80 Gy si la radiothérapie est la seule thérapeutique envisageable. Un

gradient de dose (bien qu’aussi « serré » que possible techniquement parlant) est pourtant inévitable autour de la zone cible. Au delà, il faut compter sur une irradiation faible à très faible des organes avoisinants (quelques dizaines de milligrays par exemple). Chez l’adulte, les seconds cancers touchent principalement la prostate (85% de survie 10 ans après le diagnostic), les cancers gynécologiques (avec un risque plus élevé si la maladie survient avant 50 ans), la maladie de Hodgkin et les cancers du testicule (rares mais frappant surtout des sujets jeunes, avec une très bonne curabilité). Reste le cas toujours délicat des seconds cancers de l’enfant traité par radiothérapie. En France, actuellement, 1700 cancers sont diagnostiqués avant l’âge de 15 ans (2300 avant 18 ans). Le taux de guérison avoisine 80% et l’espérance de vie d’un enfant guéri est de 70 à 80 ans, sous menace d’un second cancer évidemment. Le délai moyen d’apparition d’un second cancer dû à l’irradiation est de 17 ans (sein, cerveau, thyroïde, mélanome, leucémie myéloïde) et finalement, pourrait concerner statistiquement 15 à 20 enfants par an. En conclusion, si le risque de second cancer lié à la radiothérapie existe incontestablement, il reste relativement faible. Sur la période 1973-2002, les registres américains ont étudié 647.672 patients adultes sur lesquels 3266 ont fait un second cancer imputable à la radiothérapie, soit 5 cancers sur 1000 (0,5%) . Ce risque : - Diminue avec l’âge de l’irradiation (maximum chez l’enfant) - Augmente avec la dose reçue par chaque organe - Augmente avec le délai et persiste dans le temps - Est à mettre en balance avec le bénéfice espéré Le risque reste finalement très faible par rapport à l’amélioration spectaculaire des résultats obtenus dans le traitement de maladies mortelles mais l’accroissement des taux de guérison et l’allongement progressif de l’espérance de vie font que le problème perdure et nécessite des mesures. Celles-ci vont reposer sur la meilleure justification des indications de la radiothérapie, l’optimisation technique des traitements et la recherche de la meilleure stratégie d’irradiation. « Agrégats » de leucémie autour des centrales nucléaires C’est ensuite Jacqueline Clavel (INSERM U 1018 - Villejuif) qui nous a parlé des données épidémiologiques concernant les « agrégats » de leucémies autour des centrales nucléaires. Le problème existe depuis les premiers travaux autour de Sellafield (1983) puis Dounreay et les controverses autour de ces sites se sont multipliées. Une étude d’incidence multisite INSERM/INRS sur la période 1990/2001, faite à partir du registre concernant toutes les leucémies de l’enfant en France n’a montré AUCUN excès de leucémies dans le voisinage de 25 centrales, par rapport au nombre de cas attendus. Toutefois, compte tenu d’une étude allemande signalant un excès de leucémies concernant les enfants de moins de 5 ans séjournant au voisinage d’une centrale, une modification de l’étude française a vu le jour sous le nom d’étude GEOCAP. On a décidé de tenir compte dans cette nouvelle analyse, en plus de la proximité des centrales nucléaires, du taux de la radioactivité naturelle, de la présence de lignes à haute tension, de la pollution atmosphérique et de la présence éventuelle de sites classés « Seveso », soit une étude multifactorielle détaillée. Une localisation géographique précise des habitations des jeunes patients a pu aussi être faite. Sur la période 2002/2007, les leucémies de l’enfant ont représenté 470 cas par an (2753 cas) comparés à 5000 témoins/an, soit 30.000 témoins en tout. On a relevé globalement un « pic d’incidence » des leucémies autour de l’âge de 2/3 ans et les résultats font apparaître une incidence plus élevée des leucémies dans un rayon inférieur à 5 km autour des centrales (excès de risque : 1,9) mais sans pouvoir déterminer si l’effet concerne plutôt une centrale en particulier, le nombre de cas étant beaucoup trop réduit. Les facteurs annexes (puissance de la centrale, bord de mer ou frontière, statut urbain ou rural par exemple) n’ont apparemment aucune influence. Notons aussi que les barres d’erreur autour des points moyens sont de grandes dimensions. Enfin, en reclassant les sujets en fonction de la dose estimée (du fait des rejets gazeux modélisés avec l’aide de l’étude des vents dominants) tout effet disparaît et il n’y a plus d’excès observable. La conclusion est pour l’instant prudente : si un effet statistique apparaît concernant les leucémies de l’enfant dans la bande des 5 km, pourquoi cet effet n’est-il pas apparu dans l’étude portant sur la période 1990-2001, menée avec autant de précision et de rigueur ? Quel est le rôle du zonage et sa fiabilité ? Le risque n’est pas apparu plus élevé pour les enfants les plus exposés : pourquoi ? Enfin, l’excès n’est pas localisé sur un site correspondant à tel ou tel type de centrale et surtout, les doses sont extrêmement basses (de l’ordre du micro-Sievert) soit très inférieures à la radioactivité naturelle. D’autres causes pourraient-elles expliquer simplement cette constatation, au demeurant ténue, comme on a tenté de le faire à Sellafield en étudiant les effets du brassage des populations ? Cancérogénèse radio-induite et effets des faibles doses. La deuxième partie de la réunion était consacrée à un débat entre Michel Bourguignon (Professeur des Universités - Commissaire à l’ASN) et André Aurengo (Professeur des Universités – Hôpital de La Pitié-Salpêtrière), consacré à la controverse sur la cancérogenèse radio-induite et l’effet des faibles doses. Faibles doses « nocives » ? … Michel Bourguignon a entamé les « hostilités » en dressant un panorama des raisons qui poussent actuellement à penser que les faibles (ou même très faibles) doses peuvent avoir des effets nocifs, au moins sur certains individus. Il a repris dans son exposé l’essentiel des données qu’il avait développé lors de la réunion « Nucléaire et Santé » de 2012, que nous résumons ci-dessous.

Le cas des faibles doses est complexe et suscite de nombreuses questions: existence réelle d’un risque ? Linéarité de la relation dose-réponse ? Existence d’un seuil ? Seuil universel ou individuel ? Radio-sensibilité variable d’un individu à un autre? Par définition, les faibles doses sont celles en dessous desquelles on n’observe pas d’effets sanitaires, du moins décelables par l’épidémiologie : effectivement, les études pratiquées sur de grands nombres de cas n’ont pas mis en évidence d’effet détectable pour un ordre de grandeur des doses inférieur à 100 mSv pour l’adulte, 50 mSv chez l’enfant (mais ces valeurs sont fournies en mGy dans la CIPR n° 99, d’où une certaine incertitude liée aux facteurs de transcription dans le calcul en Sv). Il a semblé important de se tourner vers les progrès récents effectués en radiobiologie pour voir si une nouvelle cible d’investigation, objective celle-là, ne permettrait pas d’éclairer mieux le problème. On sait que les cassures de l’ADN sont à l’origine d’un dysfonctionnement du noyau cellulaire pouvant aboutir soit à la restitution ad integrum, soit à la mort cellulaire (apoptose), soit à une réparation fautive, laquelle, si la cellule reste viable, peut induire l’apparition d’une cellule proliférative de type cancéreux. Les lésions de l’ADN peuvent être de plusieurs types (cassures simple brin, double brin, altération des bases, pontages, liaisons protéiniques) et apparaissent spontanément sans arrêt dans notre corps (plusieurs milliers chaque jour). Le cancer ne se produit que s’il y a prolifération de cellules porteuses d’une mauvaise combinaison de mauvaises lésions de l’ADN. Il y aurait nécessité d’une accumulation progressive sur plusieurs années de lésions ADN combinées à une « vigilance » affaiblie du tissu environnant pour induire le développement du cancer. Or, on sait maintenant visualiser ces lésions ADN par immunofluorescence (voir le compte-rendu de NS 2012). Le gain de sensibilité est considérable (x100) et on peut quantifier les effets d’un seul examen radiologique avec un seuil efficace de 1 mGy. On peut ainsi mettre en évidence les cassures double-brin mal réparées ainsi que d’autres marqueurs cellulaires. Remarquons toutefois qu’il ne s’agit que d’un fait constaté in vitro (abondance plus ou moins élevée de lésions ou de réparations fautives) et que l’induction d’un cancer reste liée à de nombreux phénomènes intermédiaires complexes qui peuvent jouer en réduisant ou au contraire en majorant le risque de cancérogenèse. Si on tente de relier ces constatations à la clinique, on voit que le phénomène de la sensibilité individuelle des sujets à la radiothérapie est connu depuis longtemps (1911). Effet « déterministe » puisqu’il s’agissait toujours de doses élevées, il a pu être relié à des défauts génétiques dans la signalisation et la réparation de l’ADN lors de certaines affections. Le danger est majoré lors de l’irradiation de tels patients puisqu’un risque mortel existerait pour des doses courantes en radiothérapie. On considère qu’une proportion de 5 à 10% de la population (peut-être même plus) serait concernée, il est vrai avec une sensibilité variable selon les sujets et selon l’atteinte plus ou moins accusée de leur code génétique. A la limite, compte tenu de l’étendue restreinte des « groupes » actuellement identifiés, on peut penser qu’il pourrait y avoir un continuum de radiosensibilité, de l’hypersensibilité marquée à une certaine « radio-résistance ». La plupart des cancers correspondant à un vieillissement cellulaire (risque x 300 entre 10 ans et 80 ans) avec une accumulation au hasard de « mauvaises » lésions, il importe de ne pas majorer le risque d’exposition à des génotoxiques supplémentaires. L’étude des cassures « double brin » de l’ADN a montré une sensibilité significativement accrue chez des femmes à haut risque génétique de cancer du sein. On peut penser que les lésions de l’ADN sont les mêmes dans l’hypersensibilité aux rayonnements et dans le déclenchement d’un cancer « spontané « et il est à nouveau important de ne pas multiplier les « agressions extérieures » chez ces sujets particulièrement exposés au risque de cancer. On en vient donc à une définition nettement plus nuancée des « faibles doses » : celles-ci sont inégalement réparties à la surface du globe (c’est la radioactivité « naturelle » qui est en cause) sans entraîner d’effets décelables (en dessous de 100 mGy pour l’adulte et de 50 mGy pour l’enfant et l’adolescent) mais subsistent les problèmes :

- des faibles doses à fort débit de dose (expositions médicales telles que le scanner) - des fortes doses déclarées comme faibles doses (moyennage sur l’ensemble d’une population des effets

du radon dans l’habitat – 400 Bq/m3 = 200 mSv aux poumons) - des faibles doses répétées finissant par être équivalentes à une forte dose par effet de cumul.

La radiosensibilité individuelle est donc un phénomène incontestable, a priori responsable des effets secondaires « normaux » comme des complications d’une radiothérapie techniquement bien conduite. S’il existe un seuil probabiliste aux faibles doses, il pourrait différer selon les patients. Ceci serait en liaison avec des anomalies génétiques dans la signalisation et la réparation de l’ADN, qui rendent les faibles doses dangereuses chez des sujets porteurs de ces anomalies. On sait que le cancer du sein, favorisé par certaines conditions, provient dans environ 15% des cas de mutation des gènes BRCA1 et 2 et entraîne 11000 décès par an pour 53000 nouveaux cas détectés. Les cancers de l’ovaire et de la prostate ont aussi des « signatures » génétiques identifiées dans certains cas. Il convient donc d’être très prudent et de surveiller l’augmentation sensible des examens de dépistage (un facteur 2,5 en 20 ans – UNSCEAR), les irradiations médicales étant la 1ère cause d’exposition des personnes aux rayonnements (20 à 25% de la population chaque année) et ce phénomène apparaissant durable dans le temps. Eviter la répétition des examens, contrôler les techniques pour limiter les doses, tenir compte des doses cumulées, mettre au point des stratégies combinant un minimum d’irradiation avec d’autres techniques telles que l’échographie ou l’IRM, tout ceci devrait permettre de maintenir la qualité du diagnostic en réduisant le risque possible d’effet nocif sur certains individus radio-sensibles. La réglementation actuelle, qui demande la justification et l’optimisation des expositions aux rayonnements ionisants, est pour l’instant suffisante, en attendant la possibilité de déterminer le niveau de radiosensibilité de chaque individu, ce qui nécessitera encore de nombreux travaux de radiobiologie fondamentale. Oui mais … Après cet exposé des arguments « inquiétants », il appartenait à André Aurengo (PU-PH Université P. et M. Curie – Hôpital de la Pitié Salpêtrière à Paris) de nous faire part des éléments « rassurants ».

En effet, la cancérogenèse est un phénomène darwinien complexe, qui, pour se déclencher, doit combiner de nombreux facteurs tels que : l’autonomie de la division cellulaire, l’absence de mise en route des mécanismes anti-prolifération, l’immortalisation de la cellule tumorale, la suppression du contrôle par les cellules voisines, l’échappement au contrôle immunitaire. Lorsqu’apparaît une lésion de l’ADN, les voies « normales » conduisent soit à la réparation ad integrum, soit directement à la mort cellulaire (apoptose) soit à une réparation fautive. Cette dernière peut être soit létale (apoptose à nouveau) soit viable mais sans possibilité de descendance, soit enfin viable et potentiellement cancéreuse. Mais cette dernière doit échapper au contrôle micro-tissulaire par les cellules voisines, puis au contrôle immunitaire de l’organisme. C’est uniquement en cas de réparation fautive viable et survivant à tous les contrôles environnants que peut naître une tumeur, la destruction finale de toute cellule déviante étant beaucoup plus probable.

Concernant les effets des rayonnements ionisants, on sait qu’une dose de 1 mGy entraîne 1 cassure « simple-brin » (CSB) par cellule, 1 cassure « double-brin » (CDB) pour 25 cellules et une aberration chromosomique pour 10.000 cellules. Ces anomalies se heurtent ensuite à des mécanismes de défense fortement « non-linéaires » proportionnellement plus efficaces à faible dose. A l’état basal en effet, chaque cellule subit sans arrêt des agressions qui occasionnent 3 à 10.000 CSB par jour et 2 à 8 CDB par jour. A faible dose (et débit de dose < 5 mGy/min), les lésions complexes éventuelles ne sont pas réparées et on aboutit à l’apoptose. Avec quelques mGy supplémentaires, une « signalisation » apparaît, les lésions simples sont réparées et les complexes entraînent aussi l’apoptose. Jusqu’à 100 à 200 mGy, en plus de la signalisation, les systèmes de réparation sont activés, mais leur efficacité diminue avec la dose. Au dessus de 100 à 200 mGy, la réparation devient impérative pour la fonction tissulaire et la cellule entreprend la réparation des lésions complexes, avec un risque d’erreur croissant avec le nombre de lésions. La cancérogénicité augmente à ce moment : « le risque de cancer est le prix de la réparation ». Enfin, au delà de 500 mGy, c’est la stimulation de la prolifération cellulaire qui est activée dans le tissu concerné. Concernant la susceptibilité individuelle aux rayonnements, elle a été établie par la publication de Colin et Foray (Int. J. Rad. Biol. 2011) montrant que le défaut de réparation de lésions complexes et de l’ADN entraînait un risque augmenté de cancer du sein et de l’ovaire (par détection des lésions par immunofluorescence, comme indiqué ci-dessus). Mais ce travail, effectué in vitro, ne répond pas au vrai problème : que deviennent les cellules lésées dans les tissus et dans quelle proportion peuvent-elles outrepasser les défenses de l’organisme décrites ci-dessus et déclencher un cancer ? L’épidémiologie ne peut apporter que des réponses partielles, compte tenu du nombre de cas nécessaires pour espérer un résultat valable. Toutes les études épidémiologiques rapportées depuis Hiroshima montrent que les études statistiques ne sont pas significatives en dessous de 100 à 150 mSv chez l’adulte, malgré des cohortes considérables (600.000 sujets dans l’enquête du CIRC en 2005 concernant les travailleurs du nucléaire). L’étude des patients soumis à radiothérapie a aussi montré que seuls les hauts niveaux d’irradiation entraînaient des cancers secondaires radio-induits (voir la communication ci-dessus de P. Bey). Enfin, on sait que l’état de Kerala, aux Indes, connaît une irradiation naturelle moyenne de 70 mSv par an et par personne, sans effet sur le nombre de cancers détectés (100.000 personnes suivies). Pour les enfants, le risque est par contre beaucoup plus élevé : avec une dose cumulée de 50 mGy, le risque de leucémie est multiplié par 3 ainsi que le risque de cancer du cerveau au dessus de 60 mGy (Pearce et al – Lancet 2012).

Ne négligeons pas pour autant les pièges épidémiologiques qui permettent de douter parfois des conclusions des auteurs, mal étayées sur le plan de l’analyse et de la statistique. On peut constater par exemple :

- Une estimation rétrospective de la dose, toujours sujette à des erreurs possibles - Des biais d’anamnèse - Une dosimétrie incertaine ou insuffisamment vérifiée. - L’incertitude globale non prise en compte dans l’analyse.

Il existe en effet des méthodes de calcul qui permettent d’apprécier la vraisemblance des résultats et de relier la dose RÉELLE (inconnue) à la dose ESTIMÉE (la seule connue). Le détail des calculs est trop long pour être rapporté ici, mais fait entrer dans le calcul final la prise en compte de l’incertitude sur les doses. On voit alors que bien des résultats, présentés comme significatifs si on pense avoir la valeur exacte de la dose, cessent de l’être et deviennent beaucoup plus incertains. C’est ainsi qu’un article pourtant publié dans « Lancet » en 2004 estime que 0,6% des cancers (700 cas) seraient dus chaque année aux radiographies au Royaume Uni et jusqu’à 3% au Japon (soit 7600 cas par an !). Ceci est le résultat d’un calcul erroné mêlant des effectifs considérables et des excès de risque extrapolés des fortes doses, sans réelle justification. On peut aussi parler d’incohérence dans les décisions de la CIPR qui propose d’abandonner la notion de « dose collective » tout en conservant la RLSS qui est son strict équivalent. Pour terminer, on en vient donc à comparer les mesures de précaution non justifiées présentes dans le « cercle vicieux » de Breyer (1994) à opposer au « cercle vertueux » de l’OMS (voir ci-dessous). Des déclarations imprudentes ou des commentaires abusifs peuvent ainsi pousser les patients à différer ou même à renoncer à des mesures de prévention et il faut savoir tenir compte du rapport bénéfice/risque.

Enfin, on peut rappeler l’analyse de Luc Ferry (sept 2008) à propos de la peur : « Là où réside la nouveauté, c’est la déculpabilisation de la peur. La peur n’est plus présentée comme une peur honteuse, infantile, elle est présentée comme le premier pas de la sagesse ». Table ronde La journée s’est terminée par une table ronde avec les différents intervenants pour qu’ils répondent aux questions du public. De nombreux points, déjà débattus en 2012, ont été repris dans la discussion et notamment les données présentées lors du débat sur les faibles doses : La statistique correspondant à 5 à 10% de sujets hypersensibles n’apparaît pas compatible avec le vécu des radiothérapeutes qui ne notent pas un tel pourcentage de complications graves parmi leurs patients. Mais en dehors d’une atteinte cancérigène mortelle à plus ou moins long terme, l’hypersensibilité aux rayonnements pourrait entraîner toute une gamme de troubles mineurs, plus ou moins handicapants et qui correspondraient à peu près à ces pourcentages, surtout si on admet l’existence d’un « continuum » de sensibilité progressivement croissante à partir du sujet « normal », ce qui reste encore à déterminer avec plus de précision. Par ailleurs, on peut se poser la question de savoir si les faibles doses sont réellement susceptibles d’induire un cancer ? En fait, ce qu’on sait démontrer, c’est l’existence de lésions « double brin » et on dispose de la possibilité de les quantifier. L’apparition d’un groupe de cellules tumorales est évidemment un autre problème, infiniment plus complexe, tenant compte de la signalisation des anomalies, des réparations fautives, détectées ou non et des réactions de protection de l’environnement cellulaire ou tissulaire qui peuvent être induites par les cassures d’ADN. Ajoutons les nombreux biais épidémiologiques pointés par A. Aurengo qui peuvent sous-tendre des résultats moins significatifs qu’on ne croit. Ce n’est évidemment pas une raison pour négliger les sujets exposés à des lésions graves à cause de leur hypersensibilité, même s’ils sont finalement relativement rares. Les études sont donc à poursuivre car de nombreux mécanismes profonds ne sont pas encore élucidés. Il ne saurait être question de renoncer à l’ensemble des examens radiologiques ni à la radiothérapie. Toutefois, en attendant de nouvelles précisions, on peut déjà (principe de précaution !) éviter la multiplication des doses inutiles et tous les radiologues, radiothérapeutes et médecins nucléaires sont d’accord pour appliquer des stratégies d’examen ou de thérapeutique incluant les derniers perfectionnements techniques et minimisant le plus possible les doses délivrées.

Y. GRALL

Risk

evaluation Action

evaluation

Option

generation