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Gouvernance corporative : une radiographie Gilles Paquet www.gouvernance.ca Note préparée à l’automne 2009

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Gouvernance corporative : une radiographie

Gilles Paquet www.gouvernance.ca

Note préparée à l’automne 2009

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Table des matières

Introduction Les notions de gouvernance et de gouvernance corporative Glissement de Grand G à petit g Focalisation sur la gouvernance dans le secteur privé Gouvernance en tant que manière de voir Deux paradigmes insatisfaisants Un troisième qui l’est moins, mais… Organisation hybride et gouvernance baroque Williamson en tant que point de départ Organisation hybride Mécanismes de coordination Anatomie et physiologie des organisations Gouvernance sur mesure Gouvernance clinique en petit et en grand Radoubs Conformance et performance Particularités des mécanismes Quelques principes-guides Refondations Nouvelle dominance des actifs intangibles Fin de la sécurité de la courbe normale Erosion du soubassement moral Par où commencer? Au plan théorique Au plan structurel Au plan de la technologie Au plan général A plus long terme? Centralité de la connaissance Enchevêtrement relationnels Affectio societatis Nouveau paradigme expérimental Conclusion

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“The curious task of economics is to demonstrate to men how little they really know about what they imagine they can design “ F.A. Hayek « …bringing organizational insights into the corporate governance debate, has direct implications for the design of corporate governance mechanisms, whose profile is different from that usually prescribed on the basis of economics and law only” Anna Grandori Introduction La gouvernance corporative (i.e., les processus de gouverne des méso-organisations privées, publiques ou sans but lucratif) est devenue un sujet chaud au cours des dernières décennies surtout à cause des dérapages (ENRON, Caisse de dépôts et placements du Québec, Croix-Rouge et sang contaminé, etc.) qui ont semblé démontrer que, dans tous les secteurs, les méso-organisations n’étaient pas aussi bien gouvernées qu’elles le devraient. On a été amené à réexaminer bon nombre d’approches conventionnelles, et de solutions qui ne semblaient plus aussi satisfaisantes qu’on l’avait cru. Ces travaux ont débronzé certains postulats considérés comme avérés, cherché à saisir un peu mieux la dynamique de ces diverses organisations en prenant davantage en compte l’importance de la trame de leurs environnements et des procès d’auto-organisation incontournables, et exploré un éventail plus vaste de mécanismes de gouvernance susceptibles d’être utilisés à bon escient. Notre propos n’est pas de faire une recension de cette vaste littérature, mais seulement d’en faire une radiographie rapide qui identifie certaines dimensions-clés : (1) le cœur des notions de gouvernance et de gouvernance corporative, (2) les faiblesses des paradigmes à la mode, (3) une présentation succincte des organisations hybrides qui réclament une gouvernance baroque, et un inventaire préliminaire de l’outillage mental susceptible de nous aider à inventer des solutions inédites aux pathologies de gouvernance, (4) les défis en train de nous obliger à redéfinir la notion de gouvernance corporative, et même la dynamique de notre système économique à court et à plus long terme, (5) les radoubs qui s’imposent dans l’immédiat, et (6) les points d’ancrage pour fonder une transition vers un paradigme entièrement nouveau pour définir la nouvelle gouvernance.

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Les notions de gouvernance et de gouvernance corporative J’ai montré ailleurs (Paquet 2009a) le cheminement difficultueux des travaux en gouvernance. Ce n’est que bien lentement, au fil des crises, qu’on a réalisé qu’on avait fait fausse route en s’en remettant à des leaders censément omniscients et omnipotents et censément dévoués à la poursuite de valeurs communes. En fait cette double lubie, qui nous a coûté tellement cher, reste bien ancrée dans notre inconscient collectif – le fruit de bien des années de programmation. Remettre en question les deux mythes fondateurs de cette lubie – (1) qu’une instance est et doit toujours être en charge dans nos organisations et dans nos sociétés, et (2) que des valeurs communes guident l’action de cette instance en charge – a été un travail herculéen. Tous les potentats ainsi remis en question ont passé à l’attaque et dénoncé l’approche gouvernance comme inutile, idéologique et toxique parce qu’elle déboulonnait leur dominium, et attaquait leur mantra – la vache sacrée que constitue l’idée de « valeurs communes » que certains esprits instruits prétendaient pouvoir distiller – idée qui a des assises bien fragiles dans une société aussi diverse et pluraliste que la nôtre. Glissement de Grand G Gouvernement à petit g gouvernance Les potentats de tous les secteurs (privé, public et sans but lucratif) ont réaffirmé qu’ils étaient en charge et proposé un éventaire des valeurs transcendantes qui les inspiraient. Mais ce sont ceux du secteur public qui l’ont fait avec le plus d’effronterie: l’état a commencé à écrire son nom avec un grand É, et à s’auto-conférer le rôle de gardien exclusif et irremplaçable des intérêts supérieurs et transcendants de la nation, intérêts communs qu’il était seul à pouvoir déchiffrer. Cette illusion jacobine est un canon qui a été entretenu avec beaucoup d’astuce par les grands commis de l’état. En remplacement de cette idée de Grand G (gouvernement) – tant pour les entreprises privées que pour les organisations publiques ou sans but lucratif – nous avons proposé (Paquet 1999a) celle de petit g (gouvernance) – qui correspond à l’ensemble des mécanismes permettant d’assurer une coordination efficace quand le pouvoir, les ressources et l’information sont vastement distribués entre plusieurs mains. Il s’agit là d’une fonction qui fait penser (en infiniment plus complexe) à l’idée de pilote automatique – un ensemble de mécanismes capables en tant qu’ensemble non seulement de jouer le rôle de sentinelle financière, ou d’instance stratégique – comme assureur de résilience – mais encore de jouer le rôle de générateur d’exploration, d’ajustement créatif, et d’innovation (Goldsmith & Eggers 2004 ; Chait et al. 2005). Le mot gouvernance ne connote cependant pas seulement un ensemble de mécanismes auquel on aboutit: c’est tout à la fois (1) une manière de voir ou une approche à l’étude de la gouverne adaptée à cette nouvelle réalité turbulente, diverse et pluraliste, (2) un outillage mental qui permet de construire un régime de gouvernance efficace, et (3) un appareil clinique qui propose les moyens de corriger une gouvernance défectueuse – qui en arrivent à produire en continu un appareil de gouvernance toujours en renouvellement pour s’ajuster aux circonstances inédites.

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Focalisation sur la gouvernance corporative dans le secteur privé Afin de cerner mieux les problèmes posés par la gouvernance corporative, je porterai ici mon attention plus particulièrement sur le cas des entreprises privées à responsabilité limitée pour lesquelles les intervenants significatifs sont le plus souvent à la fois moins nombreux et moins complexes tant dans leurs motivations que dans leurs prises de position (Paquet 2009b : Part II). Cela ne veut pas dire cependant que la notion de gouvernance corporative connote strictement la gouverne des entreprises privées. Elle réfère à l’ensemble des mécanismes utilisés pour assurer la gouverne d‘organisations considérées comme des méso-entités séparables aux fins de leur administration. Dans le cas du secteur privé, ces méso-entités sont un nœud d’investisseurs, d’entrepreneurs, de fournisseurs, de travailleurs, etc. dont il faut assurer la coordination à l’intérieur de contraintes légales plus ou moins robustement établies. Mais des problèmes connexes se posent dans les organisations des autres secteurs. En ce sens la gouvernance corporative est un concept ample qui réfère au bon usage de familles des mécanismes de coordination s’appliquant à des méso-entités où le pouvoir, les ressources et l’information sont réparties entre plusieurs mains, et ce dans tous les secteurs. La gouvernance corporative dans le secteur privé ne réduit pas non plus tous les intervenants à des simples robots qui poursuivraient mécaniquement leurs seuls intérêts étroits et mesquins dans chacun de leurs actes (Sen 1977) comme certains manuels de management ou d’économie le proposent. Ainsi que le soulignait John Maynard Keynes il y a bien longtemps, les «esprits animaux » jouent un rôle important dans la prise de décision des gens d’affaires. Il s’ensuit que beaucoup de décisions privées (mais c’est la même chose dans les secteurs public et sans but lucratif) sont prises d’une manière spontanée sur la base d’éléments qui ne cadrent pas du tout avec la notion que c’est toujours la moyenne pondérée des avantages nets potentiels multipliés par leur probabilité respective qui va définir l’action choisie (Akerlof & Schiller 2009:3 ff). Dans un monde où l’incertitude fondamentale rend souvent les calculs probabilistes futiles, ces décisions peuvent se fonder sur des heuristiques – i.e., des méthodes empiriques, souvent fruits d’une intelligence inconsciente, plutôt que sur des raisonnements analytiques – comme le fait un joueur de baseball gardant l’œil sur la balle frappée en hauteur et ajustant la vitesse de sa course pour pouvoir attraper la balle qui tombe (Gigerenzer 2007). Une bonne gouvernance corporative va donc devoir compter avec les esprits animaux (et tenir compte de la confiance, de ce qui est ‘fair’, de la mauvaise foi et de la corruption, etc.) mais aussi avec le bon usage des « rules of thumb » (des méthodes empiriques) etc. Elle vise à assurer par un arsenal de mécanismes (lumière, sermon, carotte et bâton – si l’on me permet de grandement simplifier) le degré de résilience et d’apprentissage organisationnel aussi grand que possible dans une organisation cherchant à répondre aux besoins divers d’une population plurielle mais devant opérer dans un univers où pouvoir, ressources et information sont vastement distribués entre plusieurs mains.

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Gouvernance en tant que manière de voir Face à un environnement externe incertain, turbulent et pluraliste, et à un environnement interne bariolé, les organisations privées doivent s’ajuster vite et de manière créatrice. Or comme personne n’a toute l’information, toutes les ressources et tout le pouvoir, il faut assurer une certaine coordination entre les parties prenantes, c’est-à-dire entre tous ceux qui ont une partie significative du pouvoir, des ressources et de l’information. Décider quelles sont les parties prenantes qui ont une importance significative est le premier défi : de quels intervenants ne peut-on pas se passer à l’intérieur d’un régime de gouvernance qui promettrait coordination efficace, résilience, et innovation? Deux paradigmes insatisfaisants En tant qu'architecture organisationnelle, la société privée a évolué dans le temps de manière à s'ajuster aux lieux et circonstances. C'est ainsi que certaines innovations importantes (comme les sociétés à responsabilité limitée, la personnalité 1égale de la firme, etc.) ont été des façons de faciliter la coopération et la prise de risque en faisant de 1'entreprise une entité 1égale séparée, de manière à ce que l'on puisse y regrouper des propriétaires de divers types de capitaux (matériel, humain, financier, intellectuel, etc.) sans que les personnes impliquées dans cette aventure soient forcées de se porter responsables personnellement du passif de la société en sus de leur mise de fonds ou de leur investissement initial. Au cours des dernières années, la littérature spécialisée a proposé deux grandes approches au problème de la gouvernance corporative des sociétés privées. La première considère la société privée à capital action et responsabilité limitée comme la propriété privée de ses seuls actionnaires, i.e. des personnes qui ont investi du capital financier dans 1'entreprise sous forme d’actions. La seconde considère la société comme une institution sociale impliquant un bien plus grand nombre d’associés qui contribuent diverses sortes de capitaux (Paquet 2005a : Partie II). Dans le premier cas, les partenaires légitimes dans la gouvernance de la société se réduisent à ses actionnaires. Les autres ‘collaborateurs’ sont considérés comme des personnes ou groupes engagés par contrat. La technologie sociale de gouvernance est alors simplement une série de contrats pour s'assurer que les autres intervenants (qui sont des agents) travaillent bien dans l'intérêt des actionnaires (qui sont les principaux). Dans ce cas, le conseil d'administration et autres instances de gouverne sont les représentants des seuls actionnaires et doivent leur rendre des comptes: leur rôle clé est de résoudre les problèmes d'agence, i.e., de s'assurer que tous les autres ‘collaborateurs’ travaillent dans l'intérêt des actionnaires dont ils sont les agents.

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Dans le second cas, la société est définie comme étant composée de divers partenaires qui apportent à l'organisation diverses formes de capitaux (financier, humain, cognitif, etc.). Cette multiplicité de ‘principaux’ implique évidemment qu’on devra négocier une réconciliation efficace des divers points de vue de ces diverses parties prenantes. Le conseil d'administration et les autres instances de gouverne représentent alors tous ces intervenants (considérés comme principaux), et ils doivent leur faire rapport en tant que fiduciaires (trustees) à qui les intervenants principaux ont confié le travail de coordination de leurs divers actifs. Les autres collaborateurs périphériques sont engagés par contrat et ont à rendre des comptes à l’aréopage des principaux et de leurs représentants. Dans le premier cas, le régime de gouvernance est chargé normalement d'assurer le plus haut rendement aux actionnaires; dans le second cas, il s’agit d’effectuer une allocation raisonnable des risques et de la valeur ajoutée entre les divers stakeholders. Ni l’une ni l’autre de ces approches n’est complètement satisfaisante. La première présume que les investisseurs financiers sont non seulement les seuls principaux légitimes, mais qu’ils sont aussi les meilleurs juges des stratégies à adopter, et qu’ils ont les compétences nécessaires pour les mettre en place. C’est douteux (Paquet 2005a 198ss). La seconde pose des problèmes logistiques de coordination insurmontables si le nombre d’intervenants ‘considérés comme légitimes’ est très grand (Aoki 2004). Pour être praticable, cette seconde approche réclamerait des ajustements importants dans nombre de dimensions de l’administration des entreprises – nouveau tableau de bord, gouvernance en réseau, etc.(Paquet 2008a : ch. 3). Et un troisième qui l’est moins, mais… Il s’est donc développé un paradigme intermédiaire, si l’on peut dire, qui semble davantage praticable : une manière de voir la gouvernance corporative qui (1) ne se réduit pas à prendre en compte les actionnaires mais ne tente pas non plus de coordonner toutes les parties prenantes possibles et imaginables mais se concentre sur les intervenants principaux qui ont investi de manière significative dans des actifs spécifiques à l’entreprise ou l’organisation; et (2) ne fige pas la répartition des risques et du surplus de valeur ajoutée de manière rigide et permanente, mais permet le déplacement contingent des droits de propriété sur ce résidu entre les intervenants selon les circonstances. Ce troisième paradigme accepte donc à la fois possibilité de multiples principaux et partage contingent des créances et obligations entre les divers intervenants (Aoki 2004). Ainsi (par exemple), on peut imaginer un processus de négociation ou une convention pour décider de la répartition du surplus autour d’une comptabilité des comptes de surplus qui détermine à la lumière des circonstances quelle part du surplus devrait être versée aux actionnaires, aux travailleurs, aux fournisseurs, aux clients (sous forme de prix plus bas), etc. – un dispositif infiniment moins rigide qui laisse place à tout un ensemble d’ajustements selon les circonstances (Paquet 2008a : 91ss). On peut imaginer des arrangements contingents aussi pour le partage des risques.

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Ces formes hybrides d’organisation, loin d’être un cas exceptionnel, sont en fait monnaie courante dans la vie de tous les jours. Dans le cas de ce troisième paradigme, le rôle des instances de gouverne comme les conseils d’administration doit s’ajuster aux nouveaux rôles définis par une gouvernance baroque faite sur mesure. Il ne s’agit plus seulement d’agir comme sentinelle financière, ou de dessiner les stratégies et les axes de développement, mais encore de définir les conventions pour négocier un partage du surplus et des risques qui assure à la fois la résilience et le développement de l’organisation, mais aussi un partage qui satisfasse aux règles de fairness et une coordination porteuse de productivité et de créativité. Organisations hybrides et gouvernance baroque Ce qui est attrayant dans l’approche intermédiaire à la Aoki, c’est qu’elle nous fait pénétrer à l’intérieur de l’organisation, et qu’elle pose clairement l’incontournabilité de la contingence. Plus question des règles toutes faites d’application généralisée, mais priorité à l’architecture organisationnelle cousue main, sur mesure. Il ne saurait en effet être question d’appliquer mécaniquement les mêmes recettes à un réseau de franchisés, à une nouvelle entreprise de haute technologie, et à un complexe industriel bien établi. Chaque organisation opère dans un contexte unique, et s’il existe des difficultés communes, elles se posent dans un contexte qui est le plus souvent suffisamment différent pour qu’il soit sage de mettre en place un régime de gouvernance adapté à ces irrégularités. Ce genre d’exploration des entrailles des organisations a été trop souvent négligée, mais depuis une cinquantaine d’années on a commencé à y travailler intensément (par exemple Simon 1947; March & Simon 1958; Leibenstein 1987). Voilà qui a permis de développer un arsenal de mécanismes inédits pour enrichir le portefeuille des instruments disponibles pour la construction de régimes de gouvernance baroques correspondant aux organisations hybrides. Pour les besoins de cette section (et pour aider à définir le problème de la manière la plus simple possible), je m’en tiendrai au cadre général des coûts de transaction tel que développé au cours des ans par Oliver Williamson, parce que c’est le plus parcimonieux (Williamson 1970, 1975, 1985, 1996). Cependant, à la toute fin du texte, on verra qu’il est probable qu’on devra faire appel dans l’avenir à un appareil d’analyse plus sophistiqué pour analyser la gouvernance corporative. L’approche Williamson L’approche par les coûts de transaction part des travaux de Ronald Coase qui, dès les années 1930, s’interrogeait sur les origines de la firme et en expliquait l’émergence par par l’existence de coûts d’information et de transaction des opérations sur le marché, et par les avantages qu’on pouvait tirer à développer certaines formes d’arrangements contractuels de rechange moins coûteux à exécuter (Coase 1937). Pour lui, comme pour D.H. Robertson qu’il cite, les firmes dans le monde mercantile sont comme ces « islands of conscious power in this ocean of unconscious cooperation like lumps of butter coagulating in a pail of buttermilk ».

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L’idée ne devait pas avoir beaucoup de résonance avant les années 1960 après que Coase eut donné une version plus complète de l’approche par les coûts de transaction, mais une version qui semblait réduire l’importance de ces coûts. (Coase 1960). Au cours des quinze années qui vont suivre, on allait pouvoir, grâce à cette approche, intégrer tout un ensemble de considérations sur la nécessité d’économiser les coûts d’organisation engendrés par les mécanismes de marché et jeter les bases d’une discussion cohérente du choix des formes d’organisation économique capables de le faire (Williamson 1970, 1985; McManus 1972, Richardson 1972, Alchian & Demsetz 1972). Ces débats devaient déboucher sur un effort ambitieux pour expliquer à la fois les diverses formes d’organisation économique et leurs régimes de gouvernance dans un univers qui reconnait explicitement certaines formes d’incertitude, de complexité et d’opportunisme. Williamson a été ainsi amené à développer un outillage mental pour faire ce travail. Au départ, il s’est concentré sur les pôles extrêmes de l’éventail marché-hiérarchie en considérant les formes hybrides comme instables. Mais à proportion que ses travaux se développent dans les années 80 et 90, il en arrive à voir les formes métissées d’organisation comme beaucoup plus stables qu’on l’avait cru, et commandant des régimes de gouvernance baroque appropriés et cohérents bien arrimés à ces contextes (Ménard 2009). Au fil des travaux de Williamson, ces formes hybrides d’organisation (et les formes de gouvernance baroque qui s’y arriment parce qu’elles économisent les coûts de l’information et de transaction, mais aussi qu’elles postulent une rationalité toujours limitée, tout en protégeant des risques d’opportunisme) ont acquis certaines caractéristiques distinctives synthétisées par Ménard (2009: 92ss) : elles commandent (1) un certain type de droit contractuel qui donne beaucoup de place à la négociation, aux ajustements au cours de la vie du contrat, et à la résolution de conflits par des voies informelles; (2) une plus grande autonomie dans les processus d’ajustement que ce que permettent les hiérarchies, mais plus de collaboration que ce que produisent les marchés; et (3) des incitations plus intenses que ce qu’offrent les hiérarchies mais moindres que ce sur quoi les marchés sont construits. Organisations hybrides La notion d’organisation hybride à la Williamson a mis bien du temps à s’imposer. Ce n’est qu’avec la popularité accrue des joint-ventures, des partenariats, mais aussi des organisations transnationales multilatérales, qu’il est devenu clair que les organisations concrètes étaient de plus en plus métissées, qu’elles ne pouvaient pas se réduire à la poursuite d’un seul objectif, mais qu’elles constituaient le plus souvent un lieu d’armistices plus ou moins réussis entre des groupes en coexistence plus ou moins hostile poursuivant des objectifs plus ou moins compatibles.

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Méga communauté

Quasi-rentes et risques

Processus, design, choix d’instruments et conventions

Monitoring, évaluation et apprentissage

La réconciliation efficace des forces en présence réclame une certaine mise en situation qui ressemble à ce que doivent vivre les parties prenantes dans un partenariat. Figure 1. L’organisation hybride et son milieu I II III IV + + + Le module I connote le milieu sociologique dans lequel l’organisation est encastrée: les divers intervenants proches et lointains, le contexte institutionnel, la culture et le climat social ambiant. C’est le monde qu’il faudra découper en intervenants significatifs ou non – ceux qu’il faudra incorporer à la gouvernance directement ou non. Le module II est au cœur de la raison d’être de l’entreprise : il connote le lieu des opérations, la mission de l’entreprise, le surplus potentiel ou la valeur ajoutée envisageable par l’entreprise et la nature des risques à encourir: dimensions importantes de la collaboration proposée par l’organisation dont le régime de gouvernance devra arbitrer le partage. Le module III a rapport au design des arrangements (formels et informels) : la définition des rôles et responsabilités, le choix des instruments, les plans de contingence et l’accord sur les protocoles de modification des plans selon les éventualités. La co-gouvernance (qui est centrale dans les organisations hybrides) ne peut être viable sans ces mécanismes de sûreté garantie. Le module IV est centré sur la monitarisation et le processus de révision permanente des plans – mélange de problèmes de conformance et de performance – à proportion que l’entreprise survit et apprend. Le gros de la littérature spécialisée sur la gouvernance corporative a négligé un peu les modules I et II pour se concentrer davantage sur les aspects mécaniques des modules III et IV. De plus, cette littérature suggère des recettes standardisées pour ces arrangements en se concentrant particulièrement sur les règles du jeu à promouvoir au conseil d’administration : taille, types de comités, etc. Ces dimensions sont importantes, mais elles ne sont pas les plus importantes du régime de gouvernance. A tous les niveaux (international, national et local, mais aussi privé, public et sans but lucratif) il est devenu clair que la prise compte de tous les modules entraîne la mise en place de régimes de gouvernance qui ont des contours et des trames fort différents : des régimes de gouvernance baroque qui peuvent répondre à un certain nombre de principes généraux, mais qui doivent mixer les mécanismes et maintenir un certain équilibre entre des impératifs contradictoires (Williamson 1995; Jacquet et al 2002; Grandori 2004; Paquet 1999b, 2005b, 2008b, 2009c).

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Éventail des mécanismes de coordination Ce cadre général des régimes de gouvernance baroque semblerait ouvrir la porte à un vaste éventail de mécanismes de coordination : bon usage de principes divers (maximum de participation, vérité des prix et des coûts, subsidiarité, concurrence, multistabilité), et de mécanismes différents (forums, contrats moraux, mécanismes d’apprentissage, mécanismes à sureté intégrée) entre autres (Paquet 2005a : 167-176). Mais la littérature spécialisée montre que bien peu de ces mécanismes sont en fait utilisés. On s’en tient le plus souvent (1) à l’allocation des droits de propriété, (2) à la réglementation formelle, (3) au contrôle hiérarchique, et (4) aux mécanismes à saveur de marché (incitatifs, concurrence, indépendance des conseils d’administration, etc.). C’est le cas tout au moins dans les organisations dont la gouvernance est relativement conventionnelle. Dans les travaux qui ont exploré plus avant la gouvernance baroque, d’autres mécanismes se sont pourtant imposés : (1) la négociation, (2) les normes sociales, (3) les conventions, et (4) la gouvernance communautaire (l’influence importante des communautés de pratique, des communautés épistémiques, des communautés de sens qui assurent le régime de croisière) (Grandori 2004 :13s). En fait, les avantages de la minceur, de l’agilité, et de la souplesse dans le monde moderne turbulent sont tels que nombre de firmes importantes (et des pays aussi) ont choisi de ne pas gérer leurs affaires comme s'il s'agissait d'un engin de production global mais plutôt comme une multitude de petites unités quasi-indépendantes coordonnées par une structure fédérale à cause des déséconomies d'échelle organisationnelles engendrées par l’édification d’un régime de gouvernance de grande taille (Kohr 1941). Voilà qui a engendré une recherche plus vigoureuse de mécanismes de coordination susceptibles d’assurer une gouvernance effective faite sur mesure. A la source de ces percées vers des protocoles innovateurs, on trouve les tensions entre forces contradictoires : le mot fédéral est souvent utilisé pour qualifier ces tensions permanentes entre gros/petit, mondial/local, non-centralisé/centralisé, pluraliste/cohérent, etc. Les nouvelles formes d'organisation vont donc naître de ces formes de tiraillements, et être lentes à se déployer parce que dans le monde de la gouvernance corporative le redesign de la gouverne et l’adoption de mécanismes inédits de coordination sont souvent risqués, et qu’ils doivent se vivre en temps réel. Seules les crises profondes dans l’organisation autorisent à faire de telles expérimentations. L’idée de faire l’expérience de nouveaux prototypes est encore considérée comme aventureuse même si l’on sait qu’elle est source très riche d’apprentissage collectif. Même si l’expérimentation est timide (en particulier à cause du conservatisme des conseillers légaux), on a commencé à donner plus d’importance au design organisationnel. En plus des références usuelles à la transparence, on entend désormais souvent des appels à la subsidiarité, et à une défense plus vigoureuse de formes d’organisation modestes et supplétives, reconnaissant la nécessité de prendre en compte les particularités des organisations et de leur gouvernance.

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Anatomie et physiologie des organisations et des régimes de gouvernance Dans ces versions hybrides en émergence de l'organisation et de leurs régimes de gouvernance baroque sur mesure, un certain nombre de caractéristiques fondamentales ressortent qui peuvent servir à mobiliser le meilleur usage des divers mécanismes. On peut les résumer sous deux grandes rubriques: l’anatomie et la physiologie des régimes de gouvernance baroque (Paquet 2008a : introduction). (a) Ainsi, au niveau de l’anatomie, certains impératifs s’imposent dans l’organisation hybride. Composer avec un environnement turbulent force l'organisation à adopter un modèle qui lui permet d'utiliser les pulsations mêmes de 1'environnement à la manière dont celui qui fait du surfing utilise la vague : les organisations doivent utiliser 1'environnement de façon stratégique afin d'apprendre plus rapidement, de s'adapter plus vite. Cela demande de la non-centralisation, et il doit y avoir négociation et marchandages constants avec les partenaires. Pour ce faire, l’organisation hybride doit compter sur (i) des structures modulaires – des structures plus légères, plus horizontales, des réseaux et des rapports informels dans des unités libérées du fatras procédurier, investies du pouvoir de définir leur mission et leurs clientèles, et d'inventer des indicateurs de rendement différents; (ii) des méso-forums interactifs – endroits où réconcilier les points de vue, endroits de délibérations et négociations; de plus en plus, une société basée sur la participation et la négociation en remplace une autre basée sur les règles rigides. Elle réclame courtiers, négociateurs, animateurs dans ce réseau; (iii) des partenariats, contrats moraux et conventions souples – dans ce contexte, les règles rigides ne sont pas utiles, car l’environnement évolue rapidement et de nouvelles orientations sont toujours en cours d'é1aboration et de redéfinition (Paquet 1991-92). (b) Au plan de la physiologie, l’apprentissage social est la dynamique dominante. L'efficacité, la souplesse et l'utilité du nouveau modèle organisationnel découlent de sa capacité à apprendre vite. Or on apprend vite quand (1) le processus d'acquisition d’information nouvelle se trouve accentué par la promotion de 1'expérimentation, l’utilisation de systèmes temporaires tels que des groupes de travail; (2) le processus de rétention et d'utilisation de l’information nouvelle se trouve amélioré par le travail d'équipe, et le partage des expériences; et (3) la capacité d'apprentissage permanent et d'auto-renouvellement de l’organisation se trouve garantie par des mécanismes permettant d'évaluer les expériences et d'écarter de façon ordonnée les méthodes qui ne fonctionnent pas. Dans ces circonstances, certains principes majeurs animent le processus d'apprentissage et vont donc guider le travail d’architecture organisationnelle: (i) le principe du dialogue, qui pose la coexistence de logiques contradictoires au coeur même de la définition des problèmes; l'apprentissage collectif se produit moyennant le maintien de forces complémentaires/antagonistes : il faut embrasser un monde affligé de paradoxes, d'anomalies et de contradictions, tels que, par exemple, l’opposition entre

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organiser/concentrer et désorganiser/désintégrer, entre imputabilité et collégialité, entre autonomie et partenariat – toutes contradictions avec lesquelles les organisations sont aux prises à l’heure actuelle; le maintien de ces contradictions est inhérent au “principe fédéral”; (ii) le principe de réflexivité qui établit que le régime de gouvernance produit non seulement un extrant mais se produit lui-même par l'intermédiaire de ses activités; le régime de gouvernance est différent un jour donné de ce qu'il était la veille et de ce qu’il sera le jour d’après : rôles et technologies progressent, on en prend conscience et cela fait évoluer le fonctionnement du système. Le régime de gouvernance s’auto-organise : il façonne ses membres et ses membres le façonnent. Régime de gouvernance sur mesure La construction d’une gouvernance baroque sur mesure pour les organisations hybrides pose donc un problème fondamental de design organisationnel. Or la littérature conventionnelle en gouvernance corporative a voulu faire l’économie de cette dimension. On s’est contenté le plus souvent (1) de définir un plus petit commun dénominateur de ce qui semblait requis à peu près partout, (2) de construire des brouillons de règles d’or sur ce minimum minimorum, et (3) de présenter ces brouillons comme des panacées à adopter vastement dans les organisations pour pacifier la galerie et les régulateurs. Le gros des dérapages des dernières années devait montrer le caractère nettement inadéquat et même toxique de ces prétendues règles d’or sans fondements solides. Majorité d’administrateurs indépendants, conseil d’administration de moins de 15 membres, comité de vérification robuste, etc. – autant de suggestions qui sont souvent utiles mais qui n’offre aucune garantie contre la tromperie et la fourberie. Ce qui plus est ces règles ne font rien pour assurer la capacité à gouverner les organisations dans le sens de la résilience et de l’innovation. Souvent ces normes cadrent mal avec les impératifs de gouvernance des organisations et les empêchent de fonctionner au meilleur de leurs capacités et habiletés. Ainsi l’obligation d’avoir un nombre d’administrateurs indépendants peut empêcher d’avoir un conseil d’administration qui a toutes les compétences précises requises. En conséquence, nombre de sociétés qui avaient mis en place un régime de gouvernance standard patenté selon ces livres de recettes ont vécu des expériences désastreuses. En fait on en est venu à reconnaître qu’il n’y a pas de prêt-à-porter en gouvernance et pas de recette miracle. Gouvernance clinique en petit et en grand Le régime de gouvernance sur mesure nécessaire pour assurer un stewardship éclairé peut dans certaines circonstances émerger organiquement et instantanément (Paquet 2009b : ch 5). Dans la plupart des cas cependant il n’émergera qu’au fil de l’expérience et pas nécessairement sous une forme optimale : les tractations entre les parties prenantes font que parfois des distorsions s’installent à demeure. Ces pathologies (vices de construction, dérèglements, prisons mentales, etc.) réclament alors des modifications dans la forme organisationnelle et le régime de gouvernance (Paquet 2004). En fait, dans un monde aussi turbulent que le nôtre, ces ajustements sont nécessaires en continu.

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Ces modifications vont être de deux types. D’une part, il pourra s’agir d’ajustements mineurs au fil des changements dans l’environnement (plus ou moins facilités par des interventions plombières). Ces modifications ajustent à la marge le régime de gouvernance et l’affine sans le modifier en profondeur. C’est ce qu’on pourrait nommer les ajustements par la petite boucle. D’autre part, il y a des modifications plus importantes commandées par des changements dans certaines variables fondamentales qui vont déclencher une discontinuité dans l’ordre des choses et un ajustement majeur dans la structure de l’organisation et le fonctionnement du régime de gouvernance. Ce genre d’ajustement en profondeur va transformer à la fois le régime de gouvernance et la forme de l’organisation. C’est ce qu’on pourra nommer des ajustements par la grande boucle. (Williamson 1970 : 44). Pour simplifier nous appellerons les premiers ajustements, radoubs, et les seconds, refondations. (1) radoubs C’est au moment de procéder aux radoubs qui s’imposent suite à un dérapage que l’on se rend compte de la pauvreté de l’approche conventionnelle à la gouvernance corporative. Les plombiers qu’on appelle à la rescousse pour faciliter ou accélérer le travail des automatismes sont d’une bien faible utilité : ils se contentent le plus souvent de sermons sur la transparence accrue, une surveillance intensifiée tant par des administrateurs indépendants que par des instances de vérification, etc. De tels contrôles tendent à resserrer la surveillance, mais il n’y a rien dans cet appareil de contrôle qui est susceptible de produire un régime de stewardship susceptible de guider l’organisation sur la voie de l’apprentissage et du renouvellement continus. Gouvernance, dans ce monde légalo-comptable, se résume trop souvent à la seule fonction de sentinelle financière et se concentre trop exclusivement sur les problèmes de conformance. Ce faisant on rigidifie et ossifie tout, et on décervèle l’organisation : on la réduit à vivre strictement sur la défensive. Tout le caractère de stewardship, de dépassement et de créativité du régime de gouvernance est systématiquement occulté. Conformance et performance La gouvernance baroque ne vise pas à engendrer une sorte de rigor mortis. Les radoubs visent à ré-animer l’organisation et à lui insuffler le dynamisme nécessaire pour qu’elle trouve son équilibre entre résilience et progressivité. L’insistance sur la conformance en arrive à détruire ce travail d’animation et à atténuer la centralité de la performance dans le travail de gouverne. La focalisation sur la plomberie interne de conformance fait qu’on réduit indûment l’importance du contexte plus vaste dans la définition d’un régime de gouvernance efficace. On peut mieux comprendre le rôle distinct de la conformance et de la performance dans la gouverne à l’aide de la figure 2 (Garratt 1996).

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Figure 2. Gouvernance baroque

Court-terme Long-terme

Externe

Interne Les diverses aires d’opération du régime de gouvernance corporative s’inscrivent dans le cycle ABCD. Le quadrant A est là où se définit la prise en compte de l’environnement et de la mégacommunauté, l’impact du climat et de la culture dans lesquels baigne l’entreprise – autant d’éléments à partir desquels elle définit sa mission. Le quadrant B est là où se cristallise le positionnement de l’organisation et la traduction de la mission en termes stratégiques. Le quadrant C est celui de la gestion interne de l’organisation. Le quadrant D est celui de la reddition de compte aux intervenants et aux régulateurs. Les quadrants du haut du rectangle correspondent à l’aire de responsabilité maximale du conseil d’administration et des instances de stewardship. Les quadrants du bas du rectangle sont largement le domaine du personnel cadre et du PDG. Les quadrants de gauche sont axés sur la conformance (interne et externe), alors que les quadrants de droite sont axés sur la performance – visant à assurer le maintien, le progrès et le renouvellement de l’organisation. Ces quatre quadrants sont différents des modules du tableau 1 qui synthétisait le processus d’apprentissage, mais ils s’y arriment relativement bien. Les deux premiers modules (I, II) sont focalisés relativement plus sur la performance alors que les deux derniers (III, IV) sont davantage focalisés sur la conformance.

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Face aux dérapages mineurs d’une organisation, si la source du problème n’émerge pas organiquement, il faut évidemment la débusquer tant dans les quadrants et les modules appropriés : mettre le doigt sur la famille de mécanismes qui fait défaut, sur le quadrant à travers lequel il faut intervenir. Il se peut, par exemple, que la cause et la source du dérapage soient attribuées sommairement au fonctionnement du conseil d’administration et de ses comités. Mais cela n’est pas plus utile que le patient montrant son ventre du doigt au médecin pour indiquer l’endroit où il a mal. Il faut comprendre les rôles distincts de support à la performance et à la conformance du conseil d’administration (et de ses comités), et ses rôles pluriels dans le processus d’apprentissage continu qui est au cœur de l’évolution de l’organisation (et la dynamique de complémentarité entre ABCD) avant de pouvoir suggérer quel mécanisme additionnel ou correctif, qui ne s’est pas imposé organiquement, est susceptible de résoudre le problème. Particularités des mécanismes En design organisationnel, le designer est souvent dans la même situation que le mécanicien dans un bled éloigné : il n’a ni les outils sophistiqués ni toutes les pièces de rechange, il doit bricoler avec les moyens du bord, improviser, voir si cela marche, et si non, essayer autre chose (Gigerenzer 2001 : 43). Le défi est de remettre le charriot en route coûte que coûte. Les mécanismes sont des patterns de causalité qu’on observe : ils sont fréquemment déclenchés par des conditions pas toujours bien connues, et avec des conséquences sinon indéterminées tout au moins plus ou moins prévisibles avec certitude. Il s’agit d’une chaine causale qui peut jouer ou pas selon le cas, ou même jouer en sens inverse d’une fois à l’autre. Ce n’est pas une loi, mais c’est bien davantage qu’une description (Elster 1993, 2007). C’est ainsi que l’amélioration du niveau de vie peut soit calmer les revendications de la fronde ou, en attisant les expectatives déraisonnablement, déclencher la révolution. Il se peut que les désirs s’ajustent aux réalités ou que les désirs veuillent se transformer en réalités. Les proverbes saisissent souvent bien ces patterns de causalité, mais il existe souvent des proverbes qui définissent des causalités contradictoires: « loin des yeux, loin du cœur » versus « absence makes the heart grow fonder ». Ainsi la batterie de règles nouvelles infligées aux organisations dans la foulée des scandales financiers récents ont fort peu fait pour s’attaquer aux problèmes de fond. La loi Sarbanes-Oxley, par exemple, est un cadre légal qui reste peu appliqué, alors que c’est un changement de culture qui s’imposerait. Diagnostic erroné, actions discutables, bonne conscience achetée à rabais, mais pas de problème résolu (Naciri 2006 : ch. 3). De la même manière, le dérapage financier qui a suivi la crise dans le monde des hypothèques aux Etats-Unis a donné lieu à bien des analyses controuvées faisant appel à l’équivalent économique de l’alchimie. Il n’est donc pas surprenant que les solutions hydrauliques qu’on a proposées (pomper de l’argent public dans des institutions financières imprudentes pour les soulager d’actifs à valeur douteuse) soient considérées comme inadéquates : elles ignorent la dynamique du cycle de crédit.

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Quelques principes-guides Dans les radoubs qui s’imposent à la gouvernance corporative (que ce soit à la Caisse de dépôts ou à la Gendarmerie royale du Canada ou chez GM), il est peu probable qu’une formule-panacée soit utilisable. Chaque méso-organisation a des défis particuliers qui réclament des réponses particulières. Or c’est là que le bât blesse. Une trop grande portion de la littérature spécialisée en gouvernance corporative se concentre sur quelques recettes générales dont l’efficacité n’a jamais été prouvée. Ce qui manque est une expertise en design organisationnel (Paquet 2007), et la reconnaissance que l’expérimentation est incontournable, que le contexte est déterminant, et que l’on peut souvent avoir la triste surprise de voir des mécanismes qui ont joué bien ailleurs ne pas avoir les effets voulus ici. Il ne serait pas utile pour nous d’ajouter ici une autre liste de recettes à celles qui ont déjà cours. Nous nous contenterons de suggérer quelques principes-guides qui pourront alerter les observateurs à certains vices majeurs dont semblent souffrir nos organisations d’une manière plus ou moins chronique. La façon de corriger ces vices (qui ne réussissent pas à s’auto-corriger organiquement) va devoir prendre en compte le contexte et devra compter sur l’ingéniosité des experts-conseils dont on espère qu’ils ne sont pas simplement des revendeurs de remèdes brevetés. Tant au niveau national qu’international, cinq principes semblent avoir retenu l’attention des observateurs (Jacquet et al 2002; Paquet 2005a) : maximum de participation/démocratisation, vérité des prix/responsabilité politique, subsidiarité, concurrence/solidarité, et multistabilité. Dans la plupart des dossiers, c’est un dosage astucieux des cinq principes qui va permettre de confectionner des arrangements qui marchent bien. Il s’agit de mettre en place des arrangements fondés sur le support d’un éventail d’acteurs aussi grand que possible, sur un dosage viable de transparence et d’imputabilité économique, politique et sociale, sur un degré de subsidiarité (décentralisation vers le niveau local) et de multistabilité (découpage en sous-systèmes plus ou moins autonomes) qui n’en détruira pas la logique d’ensemble et les cohérences nationales et locales, sur un mélange pratique de concurrence et de réciprocité, et sur un découpage en domaines séparés, mais aussi d’équilibre entre domaines et institutions qui soit considéré comme acceptable (Paquet 2008a : ch.5).. Pas surprenant que ce genre d’équilibre subtil soit rarement atteint organiquement. Ces principes ne donnent pas la clé de l’énigme, ils attirent simplement l’attention sur certaines sources possibles de dysfonctions. Une fois le problème détecté, il restera le plus gros du travail : développer ingénieusement des façons de bricoler des réponses utiles aux défis identifiés. C’est donc dans les laboratoires de la pratique qu’il faut travailler : aller sur le terrain, observer des situations paradoxales, esquisser des réponses plausibles, et apprendre ainsi sur le tas, expérimentalement, comme le font tous les professionnels (Paquet 2004, 2005a, 2008a).

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Cette approche expérimentaliste a beaucoup plus de chance d’être utile qu’un effort futile pour tirer des leçons de la lecture des sermons en vogue (Bowen 2008) ou de l’inscription aux cours machinaux des instituts en train d’exploiter – et c’est bien mérité – la bonne foi des entreprises qui cherchent bonne conscience à bon marché (2) refondations La gouvernance corporative doit souvent faire face à des défis beaucoup plus grands quand certaines variables fondamentales sont perturbées, quand l’organisation sort du corridor des comportements susceptibles de réussir, par rétroaction rapide, à assurer les autocorrections nécessaires pour que l’organisation survive et prospère face à un environnement générateur de surprises. Il est évidemment souvent difficile de déterminer si l’organisation fait face à un choc mineur (et que des petits radoubs vont suffire) ou si ses fondements sont remis en question (et qu’une refondation s’impose). La tendance est évidemment pour les officiels d’interpréter la plupart des chocs comme réclamant seulement des ajustements mineurs, et ne nécessitant pas une remise en question fondamentale de la nature même de l’organisation. Cette dissonance cognitive est souvent coûteuse. Et elle menace d’être dramatiquement coûteuse quand le genre de dérapages de la gouvernance corporative qu’on a vécu au cours des derniers temps suggère que c’est la notion même de gouvernance corporative telle qu’on la connaît et qu’on la pratique qui est interpellée. La nouvelle dominance des actifs intangibles L’une des transformations les plus importantes dans les organisations modernes a été la dématérialisation de leurs activités. Les entreprises du début du siècle dernier avaient à organiser l’arrimage du travail physique, du capital-machines et des ressources naturelles – actifs on ne peut plus tangibles – alors que celles des dernières décennies ont à intégrer des actifs plus intangibles (connaissance, processus, réseaux, relations, etc.) qu’on étiquette encore capital (capital humain, capital intellectuel, etc.) – appellations un peu fallacieuses puisqu’il s’agit de différentes condensations de connaissances. Ultimement, les actifs intangibles et la connaissance sont devenus plus importants que tous les autres, et donc ont commencé à imposer des impératifs sur la gouverne (Stewart 1997, 2001). Cette intangibilité a eu deux effets majeurs. D’abord, accroître dramatiquement la fongibilité des formes organisationnelles en éliminant les rigidités imposées par les facteurs de production traditionnels; ensuite, modifier dramatiquement les régimes de gouvernance – depuis les régimes hiérarchiques traditionnels vers des régimes fondés autant que possible sur la décentralisation, l’auto-organisation et un réseau de traités négociés entre des petites unités aussi autonomes que possible – que Warnecke n’hésite pas nommer « fractales » (Bowman & Kogut 1995 : ch.2; Warnecke 1993).

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Contrairement à ce qu’on a voulu faire croire, le nouveau design vise non pas à « gérer » la connaissance et l’information mais à empouvoirer ceux qui ont la connaissance et à leur laisser en faire le meilleur usage possible. Cela s’est traduit par le développement de compartiments créatifs (Fairtlough 1994) et de régimes de gouvernance qui dramatiquement misent sur la subsidiarité (la dévolution des décisions au niveau le plus local possible où la décision peut être effectivement prise) et la non-centralisation du contrôle. Ce glissement vers un régime de gouvernance qui mêle hiérarchie, hétérarchie et autonomie responsable, mais qui donne le dominium à l’hétérarchie ne se fait pas brutalement mais évolutionnairement et lentement. Mais les formes hiérarchiques sont en perte de vitesse (Fairtlough 2005). Ces réseaux de « traités négociés » au cœur du régime de gouvernance en train de s’installer commandent des transformations dans les flux d’information, dans les structures légales et les conventions comptables, mais aussi et surtout dans la culture organisationnelle (Stewart 2001 : ch. 11; Malone et al. 2003; Malone 2004). Or les résistances sont fortes. Les traditions empêchent souvent les expérimentations les plus prometteuses. Voilà qui explique que des façons de refonder la notion d’organisation sur ces bases nouvelles (Saint-Onge & Armstrong 2004) tournent court. La fluidité nouvelle engendrée par la division cognitive du travail (Moati & Mouhoud 1994) a rendu la malléabilité des organisations encore plus importante, mais aussi l’économie plus volatile. Toute l’économie a acquis la volatilité de la finance. Le régime de gouvernance doit donc pouvoir réguler des réseaux beaucoup plus complexes où on fait l’expérience d’une incertitude combien plus grande. Or, comme selon la loi de Ashby, on ne peut réguler un système complexe qu’à l’aide d’un régime de gouvernance au moins tout aussi complexe, le défi de générer, dans les divers compartiments, des régimes de gouvernance à la hauteur des difficultés, est de taille. La fin de la sécurité de la courbe normale Cette volatilité exhaussée à laquelle la gouvernance doit faire face porte à conséquence. L’un de ceux qui depuis des décennies suggèrent qu’il faut repenser les bases de la finance (et donc de l’économie puisqu’elle en copie désormais la volatilité) – et qui le fait avec de plus en plus de véhémence – est Benoît Mandelbrot (Mandelbrot & Hudson 2004). Son argumentation est simple: notre théorie financière est fondée sur des postulats gaussiens irrecevables, et nos financiers « are like a shipbuilder who assumes that gales are rare and hurricanes myths; so that he builds his vessel for speed, capacity, and comfort – giving little thought to stability and strength” (276). Il faut accepter plutôt qu’on vit dans le monde du “cygne noir” (Taleb 2007) – où l’improbable et même l’impensable sont à prévoir – et donc qu’on a tort de continuer à théoriser comme si on vivait dans un monde gaussien (le monde de la courbe normale). On vit plutôt dans un monde à la Cauchy-Levy, où la variance est infinie, dans un pays sujet aux avalanches. Donc là où on prétend triturer un risque apprivoisable, il y a incertitude hors de notre contrôle.

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Le capitalisme dans ces conditions sort de ses gonds. Les chocs et soubresauts qu’on pensait infiniment improbables se produisent. Les mécanismes de gouvernance doivent évidemment changer pour s’ajuster à ce nouveau monde. On a vu les effets désastreux de l’alchimie financière qui a entraîné aux États-Unis une chute de 25% du volume des papiers commerciaux (qui servent à financer le monde des affaires) entre le troisième trimestre de 2007 et le troisième trimestre de 2008 alors que le PIB nominal croissait à un rythme de 3.4% (Akerloff & Shiller 2009 : 87). C’est un autre capitalisme qui s’est construit sur ces alchimies, et donc un cadre réglementaire nouveau sera nécessaire, et une gouvernance corporative à l’avenant. De quoi aurait l’air une gouvernance corporative qui tienne pleinement compte de l’incertitude exhaussée d’un environnement hyper-turbulent et d’une complexité telle qu’il réclame des capacités d’ajustement plus grandes que celles qui existent? Emery et Trist (1965, 1973) ont montré comment des environnements passant de stables à des stades de plus en plus turbulents commandent des types d’ajustement fort différents : simplement tactiques au début, puis stratégiques, et enfin devant prendre la forme d’accords ou de collaboration, selon le cas. Mais quand l’environnement devient hyper-turbulent (Type 5 dans le langage de McCann et Selsky 1984), il se peut que même la collaboration ne suffise plus. Dans ce cas, il faut souvent rien de moins qu’un triage qui puisse départager les enclaves (qui ont la capacité d’adaptation nécessaire pour survivre), des tourbillons (qui n’ont pas la capacité d’adaptation suffisante pour survivre). Ce découpage est un processus dynamique qui mêle l’auto-organisation aux interventions les plus diverses, qui va évoluer dans le temps, et va commander un apprentissage collectif de tous les instants. Dans ce travail de transformation majeure, plus question d’optimiser mécaniquement comme dans un jeu dont le structure est bien définie, mais d’accepter que les problèmes sont fondamentalement mal structurés et qu’on va devoir (1) se contenter de méthodes quasi-analytiques, de méthodes d’expérimentation qui obligent à redéfinir le problème à mesure que l’analyse progresse, et (2) faire usage d’heuristiques plutôt que des méthodes usuelles d’optimisation (Ansoff 1960; Paquet 2009b: ch 1; Gigerenzer 2001) Ce genre de triage en tant que processus d’allocation des ressources peut fort bien être indésirable au plan humain ou éthique, mais représenter la seule solution de survie. Inversement, des contraintes politico-éthiques peuvent empêcher qu’on les utilise et entraîner l’implosion de l’organisation. En fait, ce mélange d’un environnement à variance infinie ou sujet aux avalanches, de problèmes mal-définis, de recours à des heuristiques qui débordent la rationalité instrumentale usuelle, et de dimensions éthiques qui informent les choix – fait que la gouvernance corporative déborde largement les seuls confins de la comptabilité et du droit (Williamson 2005).

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L’érosion du soubassement moral Finalement, les difficultés des dernières décennies en gouvernance corporative ont révélé une crise de ses fondements moraux. C’est à ce niveau diront certains qu’il faut chercher certaines voies de sortie de crise. Le système capitaliste de marchés bâti sur le libéralisme économique et les intérêts particuliers des individus – qui est le nôtre – a été perçu depuis Adam Smith et John Stuart Mill comme reposant sur des fondements sociaux dérivés de la morale, de la religion et de la coutume qui arrivaient à contenir les excès de la culture individualiste effrénée. Ces fondements ont maintenant cessé de jouer leur rôle, et le système économique n’est plus contenu dans un corridor praticable. En sus de l’exhaussement de la complexité, de l’incertitude, de la turbulence dans l’environnement, et de la volatilité et de la fongibilité des arrangements organisationnels, il y a en effet eu déclin des fondements moraux sur lesquels étaient construites l’économie de marchés et nos démocraties. Il y a eu de tout temps des excès et des débordements dans les sociétés capitalistes, mais le relativisme moral qui est devenu la norme a dramatiquement entamé les bases de confiance sur lesquelles le système est bâti (Rosanvallon 2006). Fred Hirsch (1976) a montré de manière élégante comment les vertus censément supportées par les institutions comme la religion ont eu tendance à s’effacer ou à s’affaiblir, avec pour conséquence que les contraintes à la recherche des intérêts particuliers réussissent moins à décourager les excès. Les éléments hétéroclites qui fondent en général la culture et le capital social de base ne sont non pas un substitut au droit et aux règles mais un complément important. Ils constituent un soubassement de l’ordre social, et les assises sur lesquelles reposent les conventions, les contrats moraux, et l’ensemble des obligations réciproques informelles des membres de la communauté. Il est certain que la gouvernance corporative est imbibée de ces valeurs ambiantes. Il s’agit des règles informelles du jeu social en vigueur dans une société donnée. L’érosion de ce soubassement de confiance et d’engagement mutuel entraîne la nécessité d’y suppléer par des arrangements contractuels formels contraignants auxquels on résiste dans nos sociétés libérales. Ces cultures de base sur lesquelles sont érigées les structures capitalistes sont fort différentes d’un pays à l’autre (Hampden-Turner & Trompenaars 1993). Certaines révèlent un capital social plus riche – ce que Fukuyama (1995) nomme les sociétés à forte confiance, par opposition aux sociétés à faible confiance. La question n’est donc pas de définir un type idéal a propager et généraliser, mais de reconnaître qu’il y a eu en général une atténuation du contrôle social sur les opérations économiques et donc l’obligation de débattre afin de pouvoir énoncer préférablement de manière floue et informelle (si on veut éviter de le faire clairement et formellement à cause des rigidités que cela pourrait entraîner) les contraintes qui sont jugées utiles ou même nécessaires pour que le système fonctionne bien.

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Il est souvent fort difficile (même quand les intervenants au cœur du jeu en sentent eux-mêmes le besoin) de trouver des formulations praticables pour remplacer les valeurs intériorisées qui autrefois jouaient le rôle de garde-fous. En conséquence, soit on le fait manu militari d’une manière sclérosante avec des conséquences déplorables sur la rigidité des relations interpersonnelles, soit on néglige simplement de le faire avec pour effet un laisser aller qui permet que des comportements toxiques se déploient. Dans les deux cas, il est clair que des arrangements informels incorporés dans les pratiques et la culture des entreprises ne peuvent que partiellement remplacer l’ancien soubassement mais c’est mieux que rien. Des règles prohibitives peuvent évidemment être énoncées, mais leur effet est souvent nocif sur le capital social de confiance qui reste en place – lequel joue un rôle fondamental pour faciliter la collaboration et encourager la réciprocité. L’impact sur la gouvernance corporative est dramatique, et l’entreprise s’en voit appauvrie. Cette détérioration se fait souvent de manière lente et invisible. C’est seulement trop tard – quand il y a manques flagrants au niveau de la culture organisationnelle, manques qu’on a eu beau jeu de nier parce que moins visibles et quand les effets délétères sont irréversibles – qu’ils sautent aux yeux. Manque de confiance et de civilité, déloyauté active et passive, individualisme destructeur, peu de cas pour ceux que l’organisation dit vouloir servir – autant de capital social détruit et difficile sinon impossible à reconstruire. Souvent cette transformation ne pourra se faire sans des transformations dramatiques de l’organisation. Plus question d’ajustements plombiers : c’est la théorie de ce qu’est et que veut être l’organisation qu’il faut revoir (Solomon & Flores 2001; O’Neill 2002).. Dans les terrains où j’ai travaillé (que ce soit dans le privé, le public ou dans le sans but lucratif) la culture de l’organisation a souvent été érodée sans qu’on s’en aperçoive parce que les valeurs de communauté qu’elle véhiculait reposaient ‘naturellement’ sur certaines vertus cardinales (temperentia – savoir respecter les limites, ne pas aller trop loin; prudentia – savoir poursuivre des objectifs raisonnables et pratiques; fortitudo – capacité de tenir compte du contexte et du long terme; justitia – le sens de ce qui est bien et de donner à chacun ce qui lui est dû), et que ces vertus en sont arrivées à perdre leur valeur d’usage. Certains croient que cette glissade est irréversible et qu’elle va obliger la gouvernance corporative à une révolution morale pour se reconstruire les fondements d’une sorte de théologie civile (Ramos 1981). Faute de quoi, les modèles de gouvernance corporative en vogue vont devenir de plus en plus dysfonctionnelles, perdre complètement le gros de leur utilité clinique, et donc perdre aussi complètement leur légitimité. Quoi faire face à ces défis qui commandent radoubs et refondations? Travailler en parallèle à radouber et à refonder, mais en reconnaissant qu’il est bien des choses qu’on peut espérer corriger à court terme et de manière plombière, mais que d’autres qui sont à la source de crises des fondements vont demander du temps et réclamer beaucoup de créativité.

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Par où commencer? Il ne suffit pas de constater des dérives dans l’environnement et de pressentir les radoubs et les refondations qui s’imposent à la gouvernance corporative, il faut aussi suggérer comment ce processus pourrait s’amorcer. Dans le court terme, il faudra procéder à trois niveaux. La gouvernance corporative en tant que système est composée de trois éléments : théorie, structure, et technologie. La théorie connote les vues (à l’intérieur et à l’extérieur) à propos des objectifs, des opérations, de l’environnement et de l’avenir du système; la structure constitue l’ensemble des rôles des membres, et des relations entre eux. Ces deux composantes reflètent et influencent la technologie en place (les mécanismes de coordination), et ces trois dimensions sont en interaction de telle façon que quand il y a changement dans une dimension, cela affecte les autres (Schön 1971). Même s’il est plus facile de bricoler la technologie, que de changer les structures, et de changer les structures que de transformer la théorie, c’est simultanément à ces trois niveaux qu’il faut procéder de manière à ce que l’ensemble des efforts de bricolage porte à conséquence. L’objectif avoué est de débarbouiller le système capitaliste de nombreuses scories qui sont en train de le faire dérailler de sa mission qui est de produire de la valeur ajoutée, vers une dominance agiotage et casino qui donne une place indue aux spéculateurs (Allaire et Firsirotu 2009). On ne saurait être exhaustif en quelques pages, et les observateurs de la gouvernance corporative pourront allonger ces listes, mais l’objectif général de cette section est de redonner son importance aux fondements ‘moraux’ des organisations et des marchés (comme le faisait Adam Smith), de réorienter les organisations vers la production de valeur ajoutée durable (quelle qu’en soit la forme – production, stabilité, capital social, etc.), et de s’assurer que le capital organisationnel (valeur fondamentale pour Alfred Marshall) ne soit pas dilapidé mais maintenu, agrandi et renouvelé par une gouverne qui ne fait pas l’économie d’un intérêt profond pour la pérennité des organisations, leur résilience et leur évolution créatrice en tant qu’organisations. Au plan théorique A ce niveau, deux grands recadrages s’imposent :

• la fin de l’hégémonie de la finance (qu’on devrait .épeler, comme Alfred Jarry le suggérait – phynance) sur la gouvernance;

• une redéfinition de la notion de propriété de l’organisation et de ses impératifs de gouverne axée sur l’importance de sa pérennité.

Au cours des dernières décennies, le gros de la littérature spécialisée en gouvernance a été dominé par un courant qui en a fait un sous-cas du problème d’agence – problème de la mise en place de structures qui assurent que les agents travaillent pour le principal.

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Cette notion étriquée de la gouvernance (inspirée par le premier paradigme présenté plus haut – celui qui considère la société privée à capital action et responsabilité limitée comme la propriété privée des seules personnes qui ont investi du capital financier dans l’entreprise sous forme d’actions) a entraîné un dérapage important à proportion que l’actionnariat s’est considérablement transformé au cours des dernières décennies. Comme le rappelaient récemment Allaire et Firsirotu (2007), la période moyenne de détention des actions pour les sociétés inscrites à la bourse de New York est passée de plus de sept ans en 1960, à deux ans en 1992, à sept mois en 2005. On ne saurait croire que ces actionnaires nomades – et leurs ‘représentants’ aux conseils d’administration – vont avoir la connaissance nécessaire et un intérêt quelconque pour piloter l’organisation de manière à réaliser la création durable de valeur ajoutée à long terme et pour assurer sa pérennité. En fait, comme on l’a suggéré plus haut, le paradigme de la gouverne comme dominium exclusif des actionnaires financiers est irrecevable : on ne peut plus sérieusement dire que l’entreprise appartient à ses actionnaires qui n’ont plus les qualités généralement associées à la notion de ‘propriétaire’. Il manque à ces actionnaires non seulement compétence et intérêt, mais plus fondamentalement aussi l’affectio societatis qui est un critère de qualification et d’existence du contrat de société dans le Code civil français : volonté commune (implicite ou explicite) à plusieurs personnes physiques ou morales à s’associer et à collaborer. Cette volonté peut avoir divers degrés d’intensité. Mais il est clair que cette volonté commune (inhérente à la notion de société du paradigme des stakeholders mentionné plus haut) ajoute un supplément important au simple contrat : elle constitue une convention morale focalisée sur la pérennité de l’organisation à laquelle l’actionnariat nomade ne participe pas. Dans le Code civil français on n’a pas cherché à formaliser l’affectio societatis (et avec raison) mais son esprit imbibe la notion de société et explique les formes de gouvernance intégrant les diverses parties prenantes. C’est cet esprit qui doit imbiber la redéfinition de la ‘propriété’ des entreprises et des organisations, et orienter la confection des modes de gouverne (http://fr.wikipedia.org/wiki/Affectio_societatis). Nous y reviendrons plus loin. Au plan structurel A ce niveau, deux modifications semblent nécessaires:

• rendre les conseils d’administration légitimes et crédibles; • repenser le travail des agences de notation; • favoriser les formes de sociétés avec actionnaires de contrôle ou l’équivalent

Les conseils d’administration tels que conçus et opérant aujourd’hui sont fort mal équipés pour assurer une gouverne efficace et éclairée. Ils ne sont le plus souvent ni légitimes ni crédibles.

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La légitimité ne saurait s’asseoir simplement sur l’indépendance. En effet si l’indépendance par rapport aux gestionnaires qui ont beaucoup de connaissances mais qui peuvent avoir des intérêts différents de ceux des propriétaires d’actifs divers (stakeholders) est un élément à tenir en compte, l’indépendance comme telle ne saurait suffire. Si la pérennité de l’organisation est d’importance centrale, les administrateurs doivent être l’écho des divers détenteurs d’actifs dans la société, et avoir l’autorité de mettre au pas les gestionnaires. En un sens, l’idée d’un minimum d’actions détenues par les administrateurs assurerait une base minimale de légitimité puisque l’administrateur aurait censément un intérêt personnel dans le succès de l’entreprise. Quant à la crédibilité elle dépend de l’expertise des administrateurs qui, elle-même, découle et des compétences de la personne et de la connaissance de l’organisation. Selon la nature de la société, il se peut fort bien que l’indépendance des administrateurs se réalise au détriment de la qualité de la gouvernance. Quant aux agences de dotation, il est clair que leur rôle est aussi suspect que celui des maisons de comptabilité qui faisaient la vérification des états financiers de sociétés tout en dépendant par ailleurs de contrats juteux de consultance des mêmes sociétés. Il semble qu’il faille trouver des moyens de financer autrement les maisons de notation et non pas leur demander de noter les sociétés qui les financent. Pour ce qui est des formes d’organisation, il appert que la performance en terme de valeur ajoutée durable est bien meilleure quand la performance des sociétés n’est pas dopée par les pressions à court terme pour voir s’apprécier le prix de l’action en bourse. Voilà qui a commencé à faire qu’on s’intéresse de plus en plus à diverses techniques qui permettent aux sociétés de se donner des actionnaires de contrôle – catégorie d’actions à droit de vote multiple, coopératives, etc. Non seulement ces formes d’organisation ont une meilleure performance, mais elles permettent d’échapper à la tyrannie de la maximisation du prix du titre à court terme pour servir les fins des actionnaires financiers agioteurs ou des gestionnaires détenteurs de stock options. La stabilité qu’assurent les actionnaires de contrôle ou leur équivalent fait aussi que les sociétés peuvent parfois échapper à des acquisitions hostiles par le jeu des taux de change qui pourraient menacer certaines sociétés-phares d’un petit pays si de tels mécanismes de protection n’existaient pas. Quand le dollar canadien s’est effondré, qui dit si Ford n’aurait pas zieuté Magna, et Boeing, Bombardier, si celles-ci n’avaient pas été protégées par les soins d’un actionnaire de contrôle? Il est évident que l’existence d’actions multivotantes, de délais entre l’acquisition d’une action et l’obtention d’un droit de vote, et autres mécanismes de ce genre permettent aux sociétés d’échapper à la tyrannie des agioteurs. Ces mécanismes atténuent aussi le dominium du simple actionnaire et pourront donc être critiqués. Il s’agit de baliser ce travail de stabilisation des sociétés en imposant des limites au nombre de voix permises par une action et à la période de qualification de l’actionnaire au droit de vote. Dans chaque cas, l’acheteur de l’action saurait quelles contraintes sont imposées au moment d’acheter, et le ferait donc en toute connaissance de cause.

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Au plan de la technologie A ce niveau, plusieurs bricolages importants peuvent servir de déclencheurs, nous n’en mentionnons que quelques-uns :

• homologation des nouveaux produits financiers; • revoir la latitude des caisses de retraite en matière d’investissements • contraintes sur les stock-options et autres modes de rémunération exorbitantes

qui pourraient engendrer des incitations perverses Dans tous ces cas, il s’agit de mesures pour mieux informer le public, pour éviter que les régimes de rentes soient les bailleurs de fonds des spéculateurs, et pour éliminer les incitations à viser le dopage du prix de l’action à court terme au lieu de la valeur ajoutée durable à long terme. Ces balises aideraient grandement à réduire l’affolement des marchés financiers. Le fait qu’on permette à des produits financiers inédits dont le coefficient de risque est à peu près impossible à déterminer d’envahir les marchés hors de tout contrôle, de laisser les fonds spéculatifs s’y alimenter avec la complicité des caisses de retraite devenues aventureuses, et de stimuler cet affolement par des rémunérations exorbitantes engendrées par les stock-options – a attisé les débordements de la finance. Il ne s’agit pas d’imposer des contraintes déraisonnables mais de s’assurer que l’on ne puisse pas trafiquer des produits financiers dangereux et faire croire qu’ils sont sans risques, que les caisses de retraite soient mieux encadrées, et que les gestionnaires ne puissent encaisser bonis ou réaliser leurs stock options que dans le moyen terme de manière à réaligner leur attention vers un horizon temporel plus long. Même si ces changements techniques sont à la surface des choses, ils auraient l’avantage de focaliser l’attention et de déclencher des cascades d’ajustements aux autres niveaux. Au plan plus général C’est par ce genre de mélange astucieux de déblocages au niveau théorique, structurel et technologique que l’on peut espérer déclencher les ajustements qui s’imposent non seulement dans la gouvernance corporative stricto sensu mais dans le système socio-économique tout entier. Car si l’accent est bien davantage mis sur la plomberie dans les radoubs usuels proposés à la gouvernance corporative, même les observateurs des sciences de la gestion ont maintenant bien compris que l’on ne pourra pas changer la gouvernance corporative sans changer le système socio-économique : ils parlent même d’un nouveau capitalisme qu’on voudrait pouvoir construire sur un capital social renouvelé et une socialité nouvelle (Allaire et Firsirotu 2009). On hésite encore dans les sciences de la gestion à secouer le joug de la phynance et à parler de socialité et de soubassement moral de l’économie, mais la tendance dans cette direction est lourde. La crise financière des dernières années a ouvert les yeux des experts aux mirages de la gouvernance conventionnelle.

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Quant à savoir quelle forme exacte prendra la gouvernance corporative de l’avenir? Combien de temps mettra-t-on à la construire? Quel sera le nouveau cœur commun de cette famille de gouvernes corporatives qui devra être obligatoirement bariolée pour s’ajuster à un environnement pluraliste et varié? Difficile de la dire pour le moment. Mais ce qui est certain, c’est que cette nouvelle gouvernance corporative échappera définitivement aux menottes de la phynance et au carcan légalo-comptable, et qu’on est en train de l’inventer. A plus long terme? Malgré leur utilité certaine, les correctifs mentionnés dans la dernière section ne sauraient suffire. En effet ils réparent ou contraignent certaines formes de dérapages et en atténuent certains effets malencontreux, mais ne proposent pas une version renouvelée de la gouvernance corporative adaptée aux nouvelles réalités évoquées plus haut. Sans espérer dessiner en quelques pages les contours du nouveau paradigme qui nécessairement s’imposera, il est possible de proposer certains éléments d’une version praticable qui réponde aux nouveaux défis. Centralité de la connaissance L’une des modifications les plus importantes qui s’imposent est une refondation de la notion d’organisation sur des bases différentes. Le travail des néo-institutionnalistes comme Oliver Williamson (dont nous avons parlé plus haut) a été important en développant les analyses autour d’une unité d’analyse nouvelle – la transaction – et en construisant une approche aux organisations en termes de coûts de transaction. Cette tradition Coase-Williamson (avec ses diverses variantes explicitées par Ravix 2008) a mis l’accent sur la notion de contrat : l’organisation a été définie comme ensemble de contrats. Cette caractérisation est cependant incomplète en ce sens qu’elle ne convie pas une image essentiellement dynamique de la coordination. Les branches marshallienne et autrichienne des programmes de recherche en économie ont mis l’accent beaucoup plus systématiquement sur cette dimension dynamique et, ce faisant, ont mis au cœur de leur approche aux organisations la notion de connaissance. Pour ces programmes de recherche, connaissance et capacités sont les ressources fondamentales de l’organisation définie comme processus de production de connaissance plutôt que comme engin de transformation d’input en output (Ravix 2008 : 466-470). Cette caractérisation des organisations les présente comme confrontées à deux grands problèmes : celui de la consolidation de la connaissance qui est dispersée entre bien des têtes et des lieux, et celui de la création de connaissance qui commande des combinaisons nouvelles de connaissances et d’apprentissages (Foss & Christensen 2001). L’évolution de l’organisation dépend de la façon dont les intervenants arrivent (ou non) à une cohérence cognitive par le truchement de la gouvernance corporative. L’organisation est ainsi définie non plus par le produit mais par la connaissance et l’apprentissage.

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Cette manière de voir est déterminante et établit une séquence dans la contribution des divers intervenants sur la base de leurs domaines et champs d’expérience. Par exemple, il est clair que les gestionnaires (à cause de leur meilleure connaissance de l’organisation et de leurs compétences) doivent le plus souvent faire le premier pas dans le design de la production et du traitement de la connaissance nouvelle et de l’innovation – tant pour ce qui est de l’exploitation de la connaissance disponible que pour l’exploration de nouveaux horizons. Les autres intervenants vont venir ensuite supporter ou nier support à ces initiatives. Voilà qui inverse complètement le point de vue de la théorie de l’agence (Ravix 2008 : 473). Dans ce monde des organisations définies comme producteurs et processeurs de connaissances, les formes organisationnelles échappent à la simple dichotomie coercition-échange ou hiérarchie-marché. La dynamique de l’organisation est en fait marquée par un enchevêtrement de relations hiérarchiques, d’échange et de collaboration avec un dosage qui évolue selon les activités. En fait, la dynamique de l’enchevêtrement des relations et modes de coordination est déterminée par la nature des conventions nécessaires pour que la coordination soit réussie. Enchevêtrements relationnels G.B. Richardson (1972) tout comme Kenneth Boulding (1970) (parmi bien d’autres) ont suggéré un triptyque de modes de coordination (hiérarchie, coopération, marché) et ont cherché à déterminer quelle combinaison de ces mécanismes est susceptible de mieux faire le travail de coordination dans diverses circonstances. Ainsi Richardon a suggéré que la hiérarchie peut être requise pour des activités similaires et complémentaires tandis que pour des activités complémentaires mais non similaires, coopération ou marché pourront être choisis selon qu’il faut coordonner ex ante ou ex post (Froehlicher 2000 : 117). Ce genre de raccourci à la Richardson est utile mais indûment simplificateur. La plupart du temps il faudra bricoler un mélange astucieux de mécanismes des trois sortes, et les bien enchevêtrer pour bien orchestrer la bonne exploitation des connaissances en place et l’exploration heureuse de l’apprentissage de connaissances nouvelles. La figure 3 inspirée de Boulding illustre bien le processus. Chaque sommet du triangle représente l’usage d’un mécanisme à l’état pur et l’intérieur du triangle des mélanges des divers mécanismes d’intégration. Les nœuds de relations au cœur du triangle mêlent les mécanismes et ne sont pas nécessairement homogènes dans l’ensemble d’une organisation. On peut voir coexister divers mélanges de relations marchandes, hiérarchiques et coopératives dans divers compartiments au sein d’une même organisation, et voir ces mélanges évoluer selon les changements de la donne (Froehlicher 200 : 124ss). Et cela peut se faire soit organiquement par auto-organisation ou comme résultat d’interventions destinées à faire meilleur usage de la connaissance disponible ou à améliorer le processus d’apprentissage et de création de connaissance nouvelle.

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Figure 3

Enchevêtrements relationnels

Hiérarchie Échange Coopération Cette focalisation sur la dimension connaissance des organisations et la complexification de la problématique pour incorporer des mécanismes de coordination qui mêlent allègrement hiérarchie, coopération et autonomie responsable dans l’échange ont l’immense avantage de présenter l’organisation comme un système de production et de traitement de la connaissance extrêmement malléable. Voilà qui permet de voir comment on va pouvoir accommoder une variété de pressions contextuelles, et de circonstances particulières attribuables à la spécificité des actifs et aux coûts de transaction, mais sans la contrainte de devoir se limiter à ces seules pressions. L’unité d’analyse devient ici le mécanisme et c’est la configuration des mécanismes en provenance des trois grandes familles et de toutes les façons de les recombiner, qui est au cœur du problème de design de l’organisation. Les gens, les machines, les systèmes techniques et administratifs sont tous des supports de connaissances. L’organisation en tant que multiples processus de connaissances peut être découpée de bien des façons, et les processus recombinés de diverses manières, mais sa gouvernance ne peut se concrétiser qu’en enchevêtrements relationnels complexes dont il existe déjà certaines stylisations (Wikström & Norman 1994; Weiss 2007). Nous faisons écho à une autre stylisation plus loin. Ces stylisations ne sont pas seulement un ensemble de relations techniques: un certain animus y tient une place essentielle.

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Affectio societatis Dans un livre fort célébré, Michael J. Sandel (1998) rappelait que la démocratie n’était pas seulement affaires de technologies électorales et de mécanismes et procédures de légitimation, mais aussi affaire d’esprit civique et d’engagement. Il lui semblait qu’elle ne pouvait survivre et s’épanouir sans trouver une réponse à deux problèmes – l’impression que, individuellement et collectivement, on a perdu le contrôle des forces qui gouvernent nos vies, et qu’il y a érosion de la trame morale des communautés. On peut dire la même chose de la gouvernance corporative. Elle ne peut pas se contenter de radoubs plombiers et procéduriers ou de confectionner des enchevêtrements relationnels. Au cœur des opérations des organisations, un ingrédient essentiel est une volonté de travailler ensemble, un attachement à l’organisation. Or voilà qui souvent semble faire défaut. On est ici en face du même problème que celui des « sentiments moraux » aux fondements du libéralisme et des bons fonctionnements des marchés dont parlaient Adam Smith et John Stuart Mill et auxquels nous faisons écho plus haut.. Cette intention manifestée par les associés de poursuivre une œuvre commune n’est pas seulement un esprit de collaboration mais le droit pour chaque associé d’exercer un contrôle sur les actes des autres associés. Les juristes français ont un nom pour cette sorte d’engagement (affectio societatis) et cet ingrédient est de grande importance. Il s’agit d’un critère de validité et de qualification du contrat de société qui porte à conséquences : (1) la prohibition de la clause léonine attribuant tout l’avantage du contrat à un seul, et (2) la dissolution de la société pour justes motifs lorsqu’il y a grave mésintelligence entre les associés (Cuisinier 2008). L’existence de la volonté de s’associer, cet engagement à partager le destin de l’organisation et à y contribuer activement et de manière égalitaire – voilà une caractéristique fondamentale du contrat de société qui permet de reconnaître le véritable associé du simple bailleur de fonds. Il s’agit clairement dans la jurisprudence de beaucoup plus qu’une simple convergence d’intérêts ou qu’une simple collaboration : on parle de volonté commune de s’associer comme élément constitutif de l’organisation – dans ce cas précis il s’agit de la société privée. Or, comme on l’a montré, l’affectio societatis s’est clairement effiloché, et ce qui semble nécessaire n’est rien de moins que de susciter sa recrudescence. Certaines suggestions (1) pour favoriser des formes de sociétés qui donnent plus de place aux « véritables associés » (actions multi-votantes) ou (2) pour n’accorder droit d’intervention qu’après une certaine période de qualification, ou (3) pour promouvoir des arrangements où il y a une ou des parties prenantes de contrôle garantissant que les intérêts et la pérennité de l’organisation vont être au cœur de leurs motivations, ou (4) pour obliger les administrateurs à investir une partie importante de leur patrimoine dans la société qu’ils sont chargés d’administrer – vont toutes dans ce sens. Elles peuvent ne constituer qu’un bien faible substitut pour une vraie affectio societatis mais constituent des initiatives pour recréer une sorte de minimum minimorum d’affectio societatis.

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Nouveau paradigme expérimental Même si on ne le dit pas toujours aussi clairement, l’évolution des organisations et l’érosion de l’affectio societatis a entraîné la disparition de l’associé. Dans le cas de l’entreprise privée, l’émergence de la société anonyme par actions n’a été rien de plus qu’une forme très particulière et très efficace de financement: non plus l’organe d’un projet collectif mais simplement une technique permettant d’emprunter massivement des fonds (Hatchuel & Segrestin 2007 :31). Les chromos légalo-financiers de l’entreprise que colportent les manuels de droit, de comptabilité et de finance (axés sur les caractéristiques de la forme légale nommée société) sont bien incapables de saisir toute la complexité de la réalité entreprise part exemple. Comme le suggèrent Hatchuel & Segrestin (2007 : 32) : « Depuis le milieu du XIXe siècle, l’entreprise est devenue l’une des formes les plus complexes d’action collective. Les recherches récentes en gestion ont mis en évidence la complexité du « métabolisme » des entreprises qui sont continuellement en train d’innover, de regénérer leurs ressources et leurs objectifs. Elle n’est pas simplement consommatrice de ressources, elle doit aussi organiser des processus collectifs de conception et de découverte de nouvelles ressources. Ainsi l’entreprise est non seulement un lieu de coordination et de mise en valeurs de compétences spécifiques et complémentaires, mais aussi un espace de création de valeur, c’est-à-dire

- au-delà de la valeur actionnariale - de construction de nouvelles capacités d’action. C’est un espace où il faut prévoir, réduire les risques, expérimenter, capitaliser les expériences, former de nouvelles expertises, explorer de nouveaux marchés, construire de nouveaux espaces de développement… Autant d’actions qui n’ont rien de naturel, qui vont bien au-delà de la seule action du dirigeant et sur lesquelles les principes de la corporate governance. comme la micro-économique classique, sont parfaitement muets. » De là la nécessité de commencer à penser à comment on pourrait formuler un modèle d’entreprise qui échappe aux chromos légalo-financiers. Et c’est justement à cette tâche d’exploration que nous invitent Hatchuel & Segrestin dans le reste de leur article. Leur projet est dans la foulée de la redéfinition des organisations autour des processus de connaissances, et pourront sembler déconcertants pour ceux qui ont été formés par les manuels conventionnels. Notre propos n’est pas de suggérer que le croquis esquissé par Hatchuel et Segrestin est déjà en forme finale et définitive, et facile à mettre en application. Il s’agit tout au plus d’un devis préliminaire qui a pour but de suggérer la direction générale dans laquelle les travaux en gouvernance corporative vont devoir évoluer: on redéfinit la notion de base d’organisation qui devra guider ces travaux.

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Sans aller dans le grand détail, disons qu’ils proposent de définir l’entreprise (mais cela s’applique à l’organisation en général) comme des flux d’activités multiples sur des périodes temporelles données, formés, ordonnés et combinés pour être des contributions à l’activité collective. Ces flux contribuent à l’action collective et sont rétribués en conséquence. L’entreprise/organisation veut transformer ces flux passés et présents en potentiels de flux futurs – créer de nouveaux potentiels de valeur, des capacités d’actions génératrices de valeur. Ce n’est que par la combinaison de flux d’activités que vont être générés les potentiels. Pour qu’il y ait entreprise/organisation, il faut un lien entre les flux d’activités et la création de potentiels: c’est la capacité de gestion au sens le plus large. C’est un modèle fort général qui s’applique non seulement au secteur privé mais aux autres secteurs aussi. Reste (1) à définir la participation à l’entreprise (à partir de tous les flux d’activités de tous les stakeholders); (2) à distinguer les apporteurs de potentiels – les associés avec un statut particulier quel que soit la nature du potentiel mis en jeu (capital, savoir-faire, etc.); et (3) à assurer la participation à la gestion au sens le plus large des vrais associés – voilà qui peut mobiliser un éventail bariolé d’associés proches ou éloignés. Hatchuel et Segrestin développent à partir de cette nouvelle grammaire de l’entreprise un modèle particulier d’entreprise à progrès collectif. Ce croquis de Hatchuel & Segrestin n’est pas autre chose qu’une grammaire possible parmi d’autres pour échapper au caractère estropiant des encadrements légalo-financiers artificiels et irréalistes dans l’analyse des organisations. Pour ceux qui voudraient une grammaire davantage ouverte aux formes organisationnelles publiques ou sans but lucratif, une version de rechange a été proposée par Ostrom et Crawford (Ostrom 2005). Voilà qui met encore au centre du tapis le problème du design organisationnel qui orchestre l’enchevêtrement de relations qui module la participation à l’entreprise, l’intéressement des associés au potentiel généré, et l’engagement dans la gouvernance corporative (Weiss 2007). Voilà le genre d’expérimentations auxquelles invite ce genre de refondation. Conclusion Pour ceux qui sont en quête de certitudes, le travail en gouvernance est frustrant. Mais pas plus frustrant que celui de n’importe quel autre professionnel. Les internistes sont souvent perplexes devant des syndromes dont ils ne parviennent pas à décoder la source. Il existe aussi de nombreuses situations complexes où il y a désastre mais pas nécessairement responsabilité personnalisée (Dörner 1997). Dans le même esprit, des situations complexes peuvent n’être traitées que par de courtes thérapies de choc encore fort mal théorisées mais très efficaces (Watlawick 1991).

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La gouvernance corporative est en train de se réinventer. Les futurs dérapages ne sauraient être évités par le simple ajout d’une multitude d’édits et de décrets légalo-comptables. Ceux-ci ne sauraient qu’ossifier la gouvernance corporative à un moment où l’imagination va être de plus en plus nécessaire, et où une culture organisationnelle expérimentaliste va être essentielle pour redonner aux valeurs de base la place nécessaire. Les régimes de gouvernance corporative qu’on devra mettre en place vont devoir être construits sur mesure, agiles, et fortement ancrés dans une appréciation des dimensions techniques mais aussi morales de la gouverne, du travail de conformance et de performance à faire, et d’un capital social à assurer pour chaque organisation. Il en sortira une gouvernance corporative qui aura probablement peu à voir avec celle qui a cours: une gouvernance corporative construite sur une participation plus vaste et ouverte des intervenants signifiants, sur des liens plus ténus, sur des relations plus informelles, sur un meilleur équilibre entre pouvoir et incitatifs, entre contribution et rétribution, et sur le respect de certains principes considérés comme inviolables. Au cours des radoubs et à l’occasion des travaux de refondations, on a commencé à redécouvrir l’importance de la confiance, du capital social, et des vertus cardinales. On comprend mieux aussi les limites de la rationalité instrumentale qui a asséché les rapports humains, et les possibilités de la rationalité relationnelle et écologique – celle qui émerge du réseau et est fondée sur les interactions et délibérations entre les divers acteurs, celle qui secoue la fixation sur les critères de simple cohérence interne et vise la cohérence externe – l’arrimage entre action et contexte (Gigerenzer 2001). Reste à savoir si l’on arrivera à rebâtir sur le désintéressement et des motivations plus généreuses une gouvernance corporative qui pour le moment est entièrement phagocytée par une version immensément étriquée de l’homo economicus (Elster 2009). Notre pari est ancré dans la conviction profonde que l’expérience va réussir, et que l’ affectio societatis va être au cœur de la nouvelle gouvernance corporative.

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