Gnosticism, Curs

32
Luc Fritz icp - Cycle 2005/2006 Cours : Initiation à la théologie patristique Cours n° iv Le début du discours anti-hérétique 3 janvier 2006 I. LE GNOSTICISME HÉRÉTIQUE ........................................................................................................106 1. GNOSE ET GNOSTICISME 106 2. LES SOURCES D' INFORMATION SUR LE GNOSTICISME 108 a. Les sources indirectes .......................................................................................................................108 b. Les sources directes ..........................................................................................................................108 3. DEUX FIGURES DE PROUE : MARCION ET VALENTIN 111 a. Marcion .............................................................................................................................................111 b. Valentin .............................................................................................................................................115 4. QUELQUES CARACTÉRISTIQUES DE LA GNOSE ANCIENNE 117 II. IRÉNÉE.............................................................................................................................................119 1. L'HOMME ET SES OEUVRES 119 a. Quelques données biographiques ....................................................................................................119 b. Le corpus ...........................................................................................................................................123 2. LES PRÉSUPPOSÉS MÉTHODOLOGIQUES D'IRÉNÉE 124 a. La foi baptismale ..............................................................................................................................125 b. La connaissance de Dieu ..................................................................................................................126 c. La règle de la foi ...............................................................................................................................128 3. ASPECTS DE LA CHRISTOLOGIE IRÉNÉENNE 129 a. La préexistence du Fils .....................................................................................................................129 b. L'unité du Christ ...............................................................................................................................131 c. La récapitulation dans le Christ .......................................................................................................133 CONCLUSION ........................................................................................................................................136

description

non

Transcript of Gnosticism, Curs

  • Luc Fritz icp - Cycle 2005/2006 Cours : Initiation la thologie patristique

    Cours n iv

    Le dbut du discours anti-hrtique 3 janvier 2006

    I. LE GNOSTICISME HRTIQUE ........................................................................................................106

    1. GNOSE ET GNOSTICISME 106

    2. LES SOURCES D'INFORMATION SUR LE GNOSTICISME 108

    a. Les sources indirectes.......................................................................................................................108

    b. Les sources directes..........................................................................................................................108

    3. DEUX FIGURES DE PROUE : MARCION ET VALENTIN 111

    a. Marcion .............................................................................................................................................111

    b. Valentin .............................................................................................................................................115

    4. QUELQUES CARACTRISTIQUES DE LA GNOSE ANCIENNE 117

    II. IRNE.............................................................................................................................................119

    1. L'HOMME ET SES OEUVRES 119

    a. Quelques donnes biographiques ....................................................................................................119

    b. Le corpus...........................................................................................................................................123

    2. LES PRSUPPOSS MTHODOLOGIQUES D'IRNE 124

    a. La foi baptismale ..............................................................................................................................125

    b. La connaissance de Dieu..................................................................................................................126

    c. La rgle de la foi ...............................................................................................................................128

    3. ASPECTS DE LA CHRISTOLOGIE IRNENNE 129

    a. La prexistence du Fils.....................................................................................................................129

    b. L'unit du Christ ...............................................................................................................................131

    c. La rcapitulation dans le Christ .......................................................................................................133

    CONCLUSION........................................................................................................................................136

  • 106

    Lors du prcdent cours, nous avons abord les crits des Pres apologistes. Nous

    avons vu que leur souci principal tait de prsenter la foi chrtienne des personnes, juives

    ou paennes, qui ne connaissaient pas le christianisme. l'exception de Thophile

    d'Antioche, d'Apollinaire de Hirapolis et probablement de Mliton de Sardes, les

    apologistes taient des lacs qui dfendaient le Christ et ses disciples dans une culture qui

    leur tait plutt hostile.

    Centrons prsent notre attention sur les communauts chrtiennes elles-mmes.

    Elles connaissent en cette fin de deuxime sicle une certaine fbrilit car elles sont

    traverses par des courants religieux gnostiques qui exercent une grande sduction auprs

    des fidles1. Irne, qui vient d'tre nomm vque de Lyon, est trs sensible au danger que

    reprsente, pour les chrtiens les plus faibles, cette mouvance religieuse. Celle-ci proclame en

    effet que le salut appartient ceux qui ont la connaissance et s'oppose ainsi radicalement

    l'enseignement vanglique qui annonce que tout homme peut tre sauv par sa foi en

    Jsus-Christ. Aussi Irne entreprend-il, la demande d'un ami, de rfuter cette gnose au

    nom menteur .

    I. LE GNOSTICISME HRTIQUE

    1. Gnose et gnosticisme

    La gnose le terme vient du grec gnw'si", connaissance , est un mouvement

    spirituel qui de manire gnrale propose quelques lus, c'est--dire ses adeptes, un salut

    qui s'acquiert par la connaissance d'une rvlation qui leur est rserve. Remarquons

    toutefois qu' l'poque d'Irne les communauts gnostiques proposent leur enseignement

    un large public, ce sont des communauts ouvertes, accueillant tous ceux qui veulent bien

    venir2.

    1 Voir IRNE DE LYON, AH III, 15, 2. 2 Voir JACQUES FANTINO, La thologie dIrne. Lecture des critures en rponse lexgse gnostique. Une approche trinitaire, CF 180, Cerf, Paris 1994, p. 135.

  • 107

    La gnose est un mouvement protestaire 3. Elle est une tentative de pallier sur le plan

    religieux et spirituel une frustration cause par le monde environnant. Le gnostique ne se

    sent pas de ce monde. Angoiss, il s'interroge sur l'existence :

    Qui tions-nous ? Que sommes-nous devenus ? O tions-nous ? O avons-nous t jets ? Vers quel but nous htons-nous ? D'o sommes-nous rachets ? Qu'est-ce que la gnration ? Et la rgnration ? 4

    Mais le phnomne gnostique est aussi, et peut-tre avant tout, une anthropologie 5. Le

    gnostique recherche son moi originel grce une connaissance parfaite qui est suppose le

    librer du monde mauvais dans lequel il a t prcipit :

    Celui qui a la gnose est un tre d'en-haut. S'il est appel, il entend, il rpond et se tourne vers Celui qui l'appelle, pour remonter vers Lui. Et il ne sait comment on l'appelle. Avec la gnose, il fait la volont de Celui qui l'a appel, il dsire Lui tre agrable, il reoit le repos ; son nom propre lui appartient. Celui qui possdera la gnose sait d'o il est venu et o il va ; il sait, comme quelqu'un d'ivre qui est sorti de son ivresse, est revenu lui et a rtabli ce qui lui est propre.6

    Cette connaissance doit l'amener au salut qui consiste en une libration de la matire

    mauvaise pour retrouver le principe divin originaire, le Dieu inconnu et absolument

    transcendant, qui dj constitue le gnostique par la parcelle de divinit qu'il porte en lui.

    En 1966, les spcialistes de la gnose ont essay de distinguer la gnose proprement

    dite du gnosticisme7. Nous inspirant de leur dfinition nous dirons que le gnosticisme est la

    manifestation historique de la gnose, en rgime chrtien, aux IIe et IIIe sicles. La limite de

    cette distinction vient de ce que les Anciens diffrenciaient non pas le gnosticisme de la

    gnose mais la gnose vritable de la gnose mensongre. Paralllement le substantif et l'adjectif

    gnostique admettent eux aussi une double interprtation 8. Ils peuvent dsigner le vritable

    croyant chez Clment d'Alexandrie ou le sympathisant de l'un de ces courants hrtiques

    qui revendiquent pour leurs membres le titre de gnostiques. Les hrsiologues largiront

    encore le sens de ce terme en appelant gnostiques des hrtiques qui ne le furent pas mais en

    qui ils veulent reconnatre les ascendants des gnostiques qui leur sont contemporains. Ils

    cherchent par ce biais tablir, en parallle la succession apostolique, une successio

    3 Voir J. - BO INARD, Le judasme alexandrin et les gnoses , dans tudes sur le judasme hellnistique, Lectio divina 119, Cerf, Paris 1984, p. 101. 4 CLMENT D'ALEXANDRIE, Extraits de Thodote, 78, 1 (SC 23, Paris 1948, p. 203). 5 Voir J. - EXANARD, art. c., p. 102. 6 vangile de vrit, NH I, 22, 2-19. (R. KUNTZMANN ET J. DUBOIS, Nag Hammadi, vangile selon Thomas. Textes gnostiques aux origines du christianisme, SPE 58, Paris 1987, p.26.) 7 Ils regroupent sous l'appellation gnose ces tendances universelles de la pense qui trouvent un dnominateur commun autour dans la notion de connaissance. Le manichisme, le mandisme, la kabbale peuvent tre considrs comme des formes de gnose . Cette dfinition est cependant trop large et conduit la confusion. Voir MADELEINE SCOPELLO, Courants gnostiques dans J.-M. MAYEUR, CH. ET L. PIETRI, ANDR VAUCHEZ, MARC VENARD, Histoire du christianisme des origines nos jours. Le nouveau peuple (des origines 250), t. I, Descle, Paris 2000, p. 332. On retrouvera les mmes lments dans Les Gnostiques, Cerf, Paris 1991, p. 13. 8 M. Tardieu prsente l'histoire du mot gnostique, avec ses huit acceptions diffrentes dans M. TARDIEU, J.-D. DUBOIS, Introduction la littrature gnostique I, Initiations au christianisme ancien , Cerf, Paris 1986, p. 21-37.

  • 108

    haereticorum 9. Mais les gnostiques se veulent chrtiens10 et se rclament eux aussi des

    aptres et de leurs successeurs :

    Basilide [] revendique pour matre Glaucias, l'interprte de Pierre, ainsi qu'ils s'en vantent eux-mmes. De mme ils rapportent que Valentin a t disciple de Thodas ; celui-ci tait un familier de Paul.11

    2. Les sources d'information sur le gnosticisme

    On distingue les sources indirectes et les sources directes :

    a. Les sources indirectes

    Celui qui cherche des informations sur les thologies des courants gnostiques

    trouvera nombre d'informations dans les oeuvres des Pres qui les ont combattus. Hgsippe

    (Mmoires, l'ouvrage perdu est cit par Eusbe de Csare dans HE IV, 22) Irne de Lyon,

    Hippolyte de Rome (lenchos ou Philosophumena, le Syntagma est perdu, mais on peut le

    reconstituer partir des paragraphes 46 53 du Pseudo-Tertullien, De la prescription des

    hrtiques), Tertullien (Contre les Valentiniens, De la prescription des hrtiques), Clment

    d'Alexandrie (les Stromates), Origne (Commentaire sur Saint Jean) ragissent aux doctrines

    gnostiques. La comparaison de ces crits montre que si les exposs chrtiens sont fiables

    quant la doctrine qu'ils prtent aux hrtiques, ils manquent sans doute de bienveillance

    ds lors qu'ils dcrivent les moeurs de leurs contradicteurs.

    b. Les sources directes

    Les crits gnostiques qui ont t retrouvs sont classs d'aprs les lieux o sont

    conservs les manuscrits12 :

    9 Voir M. TARDIEU, J.-D. DUBOIS, Introduction la littrature gnostique, o. c., p. 25. Citons la gnalogie des hrtiques propose par Hgsippe (EUSBE DE CSARE, HE IV, XXII, 4-5) : Aprs que Jacques le Juste eut rendu son tmoignage comme le Seigneur et pour la mme doctrine, le fils de son oncle, Simon, fils de Clopas, fut tabli vque : tous le prfrrent, comme deuxime vque parce qu'il tait cousin du Seigneur. L'glise tait alors appele vierge parce qu'elle n'avait pas encore t souille par de vains discours. Ce fut Thbouthis, parce qu'il n'tait pas devenu vque, qui commena la souiller parmi le peuple, partir des sept sectes juives dont il tait aussi membre : de ces sectes sortirent Simon, le pre des Simoniens ; Clobius, le pre des Clobiens ; Dosithe, le pre des Dosithens ; Gortheios, le pre des Gorathniens, et les Masbothens. De ceux-ci viennent les Mnandrianistes, les Marcianistes, les Carpocratiens, les Valentiniens, les Basilidiens, les Satorniliens, qui, chacun pour sa part et d'une manire diffrente avaient introduit leur propre opinion. 10 Voir par exemple JUSTIN, Dial. 35. 11 CLMENT D'ALEXANDRIE, Stromates VII, 106, 4. 12 Voir M. TARDIEU, Encyclopdia universalis, p. 539 ; Introduction la littrature gnostique, o. c., p. 65 et svt..

  • 109

    Le codex de Londres

    Le codex13 Askewianus a t achet vers 1750 par A. Askew. C'est un parchemin

    crit en copte sahidique, copie d'un texte original grec perdu, qui comporte la Pistis Sophia,

    ouvrage qui s'tend sur 178 feuillets et qui daterait du milieu du IVe sicle.

    Le codex d'Oxford

    Ce manuscrit sur papyrus a t achet en Haute-gypte par un voyageur cossais,

    James Bruce. Dcouvert en 1773, le codex Brucianus est une version copte sahidique d'un

    original grec qui daterait de la seconde moiti du quatrime sicle. Il comporte le Livre du

    grand trait initiatique et la Topographie cleste.

    Le codex de Berlin

    Le codex Berolinensis Gnosticus 8502 a t dcouvert en 1896 en Haute-gypte. Il

    comporte 72 feuillets et est compos de quatre traits rdigs originellement en grec au

    deuxime sicle et traduit en copte sahidique la fin du quatrime sicle. Il comporte

    L'vangile selon Marie, L'Apocryphon de Jean, La Sagesse de Jsus-Christ et L'Acte de Pierre.

    La collection du Caire : la bibliothque de Nag Hammadi14

    13 Codex est un terme latin qui a l'origine signifie "tronc d'arbre" et dsignant ensuite les tablettes de bois servant pour l'criture, puis les manuscrits sur papyrus ou sur parchemin relis en cahiers par la tranche comme nos livres. Il se distingue du volumen qui est un manuscrit bobin en rouleaux (voir DOUARD LIPINSKI, Dictionnaire encyclopdique de la Bible, Codex ). 14 D. M. Scholer dite priodiquement la bibliographie relative Nag Hammadi. Le dernier supplment la bibliographie originale est paru dans NT, 42/1, 2000, p. 39-85. La liste des ouvrages gnostiques est emprunt au site de la Bibliothque Copte de Nag Hammadi (BCNH) sur http://www.ftsr.ulaval.ca/bcnh/. ROBINSON J. M. (ed), The Nag Hammadi Library in English, Brill, Leiden 19964, propose, en un seul volume bon march, une traduction anglaise des textes de Nag Hammadi. On trouvera dition scientifique, avec une traduction franaise, dans la collection Bibliothque Copte de Nag Hammadi , section Textes , Presse de l'universit de Laval-Peeters, Qubec.

    Fin 1945, prs de Nag Hammadi, des

    paysans gyptiens dterraient une jarre conte-

    nant 13 codices de papyrus, des volumes relis

    plat et recouverts de cuir. Ils venaient de faire

    lune des plus formidables dcouvertes de

    manuscrits anciens du XXe sicle.

    Codices trouvs Nag Hammadi (cf. www.gnosis.org/naghamm/nhl.html)

  • 110

    Dans un tat de conservation variable, les 1156 pages inscrites renferment 54

    oeuvres diffrentes, la plupart inconnues par ailleurs. Dabord rdigs en grec,

    vraisemblablement au cours du IIe sicle, ces textes ont ensuite t traduits en copte puis

    copis vers le milieu du IVe sicle dans des codices qui ont par la suite t enfouis dans une

    jarre, probablement au dbut du Ve sicle.

    Dans la liste qui suit, la premire colonne donne le numro de chaque codex et le

    numro dordre de lcrit lintrieur de celui-ci ; la deuxime colonne donne les pages de

    dbut et de fin de chaque crit ; la troisime donne les titres et la quatrime colonne les

    sigles par lesquels on dsigne chaque crit dans la BCNH. I,1 A-B Prire de l'aptre Paul PrPaul I,2 1-16 L'ptre apocryphe de Jacques ApocrJac I,3 16-43 L'vangile de vrit EvVer I,4 43-50 Le Trait sur la rsurrection Rheg I,5 51-138 Le Trait tripartite TracTri II,1 1-32 L'Apocryphon de Jean ApocrJn II,2 32-51 L'vangile selon Thomas EvTh II,3 51-86 L'vangile selon Philippe EvPhil II,4 86-97 L'Hypostase des archontes HypArch II,5 97-127 L'crit sans titre Ecr sT II,6 127-137 L'Exgse de l'me ExAm II,7 138-145 Le Livre de Thomas LivTh 145 Colophon III,1 1-40 L'Apocryphon de Jean ApocrJn III,2 40-69 Le Livre sacr du Grand esprit invisible ou vangile gyptien GrEsp III,3 70-90 Eugnoste le Bienheureux Eug III,4 90-119 La Sagesse de Jsus-Christ SJC III,5 120-147 Le Dialogue du Sauveur DialSauv IV,1 1-49 LApocryphon de Jean ApocrJn IV,2 50-81 Le Livre sacr du Grand esprit invisible ou vangile gyptien GrEsp V,1 1-17 Eugnoste le Bienheureux Eug V,2 17-24 L'Apocalypse de Paul ApocPaul V,3 24-44 1re Apocalypse de Jacques 1ApocJac V,4 44-63 2me Apocalypse de Jacques 2ApocJac V,5 64-85 L'Apocalypse d'Adam ApocAd VI,1 1-12 Les Actes de Pierre et des douze aptres AcPil2Ap VI,2 13-21 La Bront Bront VI,3 22-35 Authentikos Logos AuthLog VI,4 36-48 Le Concept de notre Grande Puissance GrPuis VI,5 48-51 Fragment de la Rpublique de Platon, 588b-589b PlatoRep VI,6 52-63 L'Ogdoade et l'Ennade EgdEnn VI,7 63-65 Prire d'action de grces PriAcGr 65 Notice de scribe VI,8 65-78 Fragment du Discours parfait DP VII,1 1-49 La Paraphrase de Sem ParaSem VII,2 49-70 Deuxime Trait du Grand Seth GrSeth VII,3 70-84 Apocalypse de Pierre ApocPi VII,4 84-118 Les Leons de Silvanos Silv

  • 111

    118 Notice de scribe VII,5 118-127 Les Trois Stles de Seth 3StSeth 127 Colophon VIII,1 1-132 Zostrien Zost VIII,2 132-140 La Lettre de Pierre Philippe PiPhil IX,1 1-27 Melchisdek Melch IX,2 27-29 Nora Nor IX,3 29-74 Le Tmoignage vritable TemVer X,1 1-68 Marsans Mar XI,1 1-21 L'Interprtation de la gnose InterpGn XI,2 22-44 Expos valentinien ExpVal XI,3 45-69 Allogne Allog XI,4 69-72 Hypsiphrone Hyps XII,1 15*-34* Les Sentences de Sextus Ssext XII,2 53*-60* L'vangile de vrit EvVer XII,3 Fragments Frm XIII,1 35*-50* Prtennoia trimorphe PrTri XIII,2 50* L'crit sans titre Ecr sT

    3. Deux figures de proue : Marcion et Valentin

    Le christianisme a t marqu en creux par deux grands thologiens. Le premier,

    Marcion, n'est pas un gnostique proprement parler15. Sa manire de se rfrer aux

    critures diffre, par exemple, nettement de celle de Valentin, vritable figure de proue du

    gnosticisme. Nous retraons ici les grandes lignes de leurs doctrines.

    a. Marcion

    15 Mal compris, Marcion a parfois pu tre assimil aux gnostiques car il avait en commun avec beaucoup d'entre eux : 1. le rejet de l'Ancien Testament, 2. la conception de Dieu comme tant l'Inconnu, 3. la sparation du Crateur du monde et du Dieu suprieur, 4. la conception de Dieu comme l'absolument bon, 5. la conception du Crateur du monde (=lgislateur) comme d'un intermdiaire en quelque sorte, 6. l'acceptation de l'ternit de la matire, 7. le doctisme en ce qui concerne le Christ, 8. la doctrine selon laquelle la chair ne ressuscite pas, 9. l'ascse dualiste. Mais mme la parent avec ces doctrines montre elle seule qu'elle ne peut exprimer ni l'essence du gnosticisme, ni celle du marcionisme, car : 1. dans le gnosticisme la religion est dtermine par la gnose, chez Marcion c'est la pistis (foi) au Christ crucifi qui la dtermine ; l est rassemble l'aristocratie des hommes de l'esprit, ici les lus sont les frres vivant dans l'humilit, 2. l domine dans l'abme et le silence le Dieu inommable, ici Dieu domine comme Christ ; l l'esprit de l'homme est de la mme souche que le Dieu le plus haut, ici celui-ci est l'tranger absolu et proche seulement par la rdemption, 3. l dominent les mythes extra-bibliques, ici ils font dfaut, 4. l la doctrine de la descente et de la monte de l'me (de l'esprit) est fondamentale, ici elle manque ; l l'esprit retourne dans sa patrie, ici une contre trangre doit devenir pour lui patrie, 5. l rgne une tradition apostolique cache, l elle manque, 6. l les mauvais restent mauvais, ici ils sont capables de rdemption, 7. l il y a une magie des mystres, ici elle manque. (ADOLF VON HARNACK, Marcion, l'vangile du Dieu tranger. Contribution l'histoire de la fondation de l'glise catholique, trad. Bernard Lauret, Cerf, Paris 2003, p. 221-222, n. 1).

  • 112

    Marcion, fils de l'vque de Sinope dans le Pont, fut l'un des grands thologiens

    hrtiques du IIe sicle16. Se mesurrent lui, en autres Justin, Thophile d'Antioche,

    Philippe de Gortyne, Modeste, Rhodon, Irne, Tertullien et Hippolyte de Rome17. Vers

    140, Marcion s'installa Rome o il fut vraisemblablement le disciple de Cerdon18. en

    croire Origne, c'tait un homme particulirement instruit et vers dans les critures19.

    Armateur fortun20, il avait fait don de 200 000 sesterces21 la communaut chrtienne de

    Rome qui les lui rendit22 avant de le chasser en juillet 144 23. Marcion fonda alors sa propre

    glise24 qui s'panouit rapidement et durablement25. Ses crits les Antithses26 et une

    lettre27 ont disparu. Nous ne connaissons sa doctrine que par les rfutations qu'elle

    suscita. Il mourut vers 160.

    Marcion tait proccup par la question du mal28. D'o vient le mal ? Pour avancer

    dans sa rflexion, Marcion part du prsuppos qui veut que Dieu ne puisse tre la fois juste

    et bon. Il ne russira pas dpasser ce dilemme29. Il le contournera donc en affirmant

    l'existence d'un autre Dieu car si Dieu n'est injuste en aucune circonstance ni en aucune

    manire 30, il est indispensable qu'existe un autre Dieu qui puisse faire preuve de bont :

    L'homme du Pont (Marcion) nous prsente deux dieux [] ce qui lui a inspir cette prsomption, c'est un passage bien simple de l'enseignement du Seigneur, quand il applique aux hommes et non des

    16 Pour une bibliographie jour, voir MICHEL TARDIEU, Marcion depuis Harnack , dans A. VON HARNACK, o. c., p. 488-561. 17 Voir JRME, Des hommes illustres, 17, 23, 25, 30, 32, 37. 18 Cerdon rsida Rome sous Hygin, entre 136 et 140. IRNE, AH I, 27, 1. Le lien entre Cerdon et Marcion, en ce qui concerne le coeur de la pense de second, serait toutefois tnu. Selon Harnack, du fait que l'glise marcionite n'a jamais fait mention de Cerdon [] et a vnr exclusivement Marcion comme son fondateur, le rapport de dpendance, dans lequel Irne et Hippolyte ont plac Marcion, repose sur un erreur, voire une falsification (o. c., p. 48). 19 Personne ne peut btir une hrsie s'il n'est une nature ardente et ne possde les dons de la nature qui ont t crs par le Dieu crateur, tel fut Marcion que nous considrons comme trs savant (ORIGNE, Commentaire sur Ose, II, 10, 1, cit par B. Lauret dans A. VON HARNACK, o. c., p. 21. 20 Voir Rhodon cit par EUSBE DE CSARE, HE V, XIII, 3 ; TERTULLIEN, Trait de la prescription contre les hrtiques 30, 1 ; Contre Marcion I, 18, 4 ; III, 6, 3 ; IV, 9, 2 ; V, 1, 2. 21 Voir TERTULLIEN, Trait de la prescription contre les hrtiques 30, 2. Cette somme reprsente environ huit mois de salaire d'un haut fonctionnaire de l'ordre questre (prfet du prtoire par exemple). 22 Voir TERTULLIEN, Contre Marcion IV, 4, 3. 23 Voir TERTULLIEN, Contre Marcion I, 19, 3 et la note 3 de Ren Braun, SC 365, p. 186-187. 24 C'est notamment en raction au baptme confr par l'glise marcionite que saint Cyprien utilisera la formule hors de l'glise, pas de salut (Lettres, LXXIII, 21, 2). Interrog sur la validit du baptme des hrtiques, Cyprien rpondra que ce baptme ne sert rien puisqu'il ne confesse pas la foi authentique qui seule accorde le pardon des pchs et donc le salut, c'est pourquoi il faut baptiser ceux qui viennent de l'hrsie l'glise . La parole de Cyprien s'adresse des chrtiens. Elle ne peut donc tre oppose des croyants d'autres traditions religieuses. 25 Voir JUSTIN, 1 Apo 26, 6 ; TERTULLIEN, Contre Marcion V, 19. 26 TERTULLIEN, Contre Marcion I, 19, 4 : La sparation entre la Loi et l'vangile constitue l'oeuvre propre et principale de Marcion : ses disciples ne pourront renier ce qui constitue pour eux le livre souverain, par lequel en effet ils sont initis et endurcis dans leur hrsie. Il s'agit des Antithses de Marcion, c'est--dire des "oppositions contradictoires", qui essaient d'tablir un dsaccord entre la Loi et l'vangile, afin de conclure de l'opposition de pense des deux livres l'opposition des deux dieux. 27 Voir TERTULLIEN, Contre Marcion IV, 4, 3-4. 28 Pour prciser la doctrine de Marcion, je m'inspire librement de l'introduction de Jean-Pierre Mah dans TERTULLIEN, La chair du Christ, SC 216, Cerf, Paris 1975, p. 69-93. 29 Une manire lgante de dpasser cette aporie est dveloppe dans le PSEUDO-JUSTIN, Trait sur la rsurrection, 8. 30 PLATON, Thtte, 176a-177a.

  • 113

    dieux , les exemples du bon et du mauvais arbre : Le bon arbre ne produit pas de mauvais fruits ni le mauvais de bons fruits (Lc 6, 43) ; c'est--dire : la pense ou la foi ne produit pas d'oeuvres mauvaises quand elle est bonne, ni de bonnes quand elle est mauvaise. Marcion tait min [] par le problme du mal, de l'origine du mal ; ses yeux taient affaiblis par la dmesure de sa curiosit mme ; c'est alors qu'il trouva la parole du Crateur : C'est moi qui cre les maux (Is 45, 7) ; plus il avait prsum que le Crateur tait l'auteur du mal [], plus son interprtation comprit comme tant ce Crateur le mauvais arbre porteur de mauvais fruits, c'est--dire de "maux", et prsuma qu'il devait exister un autre dieu correspondant au bon arbre porteur de bons fruits. Et c'est ainsi que, dcouvrant dans le Christ comme une autre conomie, faite uniquement de bont parce qu'elle s'opposait celle du Crateur, il lui fut facile de dduire par raisonnement une divinit nouvelle et trangre qui se serait rvle dans son Christ ; et, partir de l, il lui a suffi d'un peu de levain pour faire tourner l'aigreur de l'hrsie toute la pte de la foi. Il trouva mme en un dnomm Cerdon quelqu'un qui l'instruisit dans cette abomination.31

    Pour Marcion, le Dieu source de malheur (Is 45, 7) ne pouvait tre le Pre de Jsus-Christ

    car celui-ci est infiniment bon. Il s'ensuit que si le Dieu bon, le Pre de Jsus-Christ, n'est

    pas le Dieu crateur prsent dans les critures anciennes, il convient non seulement

    d'abandonner les textes de la Loi car ceux-ci ne correspondent pas au message

    vanglique , mais encore de corriger les textes no-testamentaires falsifis par les

    chrtiens judasants. En dfinitive, Marcion ne gardera des critures que l'vangile de Luc et

    les lettres authentiques de Paul qu'il corrigera en fonction du credo marcionite32. Il constitue

    ainsi le premier canon des crits notestamentaires33.

    Dans sa qute d'un Dieu bon, Marcion confond volontiers le Dieu juste et le Dieu

    mchant. Pourquoi cela ? coutons-le :

    Si Dieu possde la bont, la prescience de l'avenir et la puissance d'carter le mal, pourquoi a-t-il souffert que l'homme, son image et sa ressemblance, bien mieux mme sa substance par l'origine de l'me, tombe de la dsobissance sa loi dans la mort en se laissant circonvenir par le diable ?34

    Marcion ne peut accepter que le Dieu tout-puissant n'ait rien fait pour empcher l'homme

    de dsobir et de tomber sous le coup de la Loi. Ce qu'il dnonce, c'est en fait un Dieu

    pervers, certes juste, mais d'une justice de condamnation imparable et donc injuste car

    l'homme, selon lui, ne peut chapper au pch et au mal. Marcion ne fait ici aucune allusion

    la libert humaine qui pourrait tre un rempart contre le mal. Il rappelle simplement un

    aspect de son anthropologie d'inspiration platonicienne qui rend l'abandon de Dieu encore

    plus inexplicable : pourquoi ce Dieu a-t-il abandonn l'homme alors que celui-ci contient

    une parcelle de divinit qui est l'origine de son me ?

    Marcion met donc un terme son questionnement en affirmant que le Dieu juste est

    un Dieu mchant puisqu'il laisse l'homme se perdre. Mais si ce Dieu n'a pas t capable

    31 TERTULLIEN, Contre Marcion I, 2, 1-3. 32 Voir IRNE DE LYON, AH I, 27, 2. 33 Voir B. ALAND, Marcion, marcionisme dans DECA II, p. 1541-1543. 34 TERTULLIEN, Contre Marcion II, 5, 1-2.

  • 114

    d'empcher la ruine de l'homme, c'est qu'il n'est pas non plus le Dieu vritable, le Dieu

    tout-puissant :

    Car, s'il avait t bon, donc incapable de vouloir une telle ventualit, s'il avait t prescient, donc n'ignorant pas ce qui allait arriver, s'il avait t puissant, donc en mesure de repousser, en aucune faon ne serait arriv ce qui, sous ces trois conditions de la majest divine, ne pouvait arriver. Mais si la chose est bien arrive, il est manifeste qu'au contraire on ne saurait croire ni la bont ni la prescience ni la puissance de Dieu. Car, dans la mesure o rien de semblable ne serait arriv si Dieu avait t tel, c'est--dire bon, prescient et puissant, dans cette mme mesure c'est parce que Dieu n'est pas tel que l'vnement s'est produit.35

    Le Dieu crateur n'est donc pas le vrai Dieu, il n'est qu'un dmiurge malhabile qui a faonn

    une matire mauvaise prexistante et ternelle36. Il ignore d'ailleurs tout du Dieu vritable

    qui habite un monde spirituel infiniment loign du sien. Heureusement que ce Dieu bon,

    touch par la dtresse de l'humanit, envoie son Christ pour annoncer la rmission des

    pchs sans punition aucune37 des hommes qui lui sont totalement trangers puisqu'ils

    sont l'oeuvre du Dmiurge38.

    Pour Marcion qui considre que la matire est mauvaise, il est impensable que le

    Christ ait revtu une chair produite par le Dmiurge. Le Christ ne pouvait donc avoir

    qu'une apparence de chair, une putativa caro, comme l'crit Tertullien. C'est pourquoi

    Marcion et ses disciples, s'appuyant sur les paroles mmes du Christ, affirment que celui-ci

    n'est pas n :

    Lui-mme, disent-ils, il atteste n'tre pas n par ces mots : Qui est ma mre et qui sont mes frres ?39

    Qu'il est apparu subitement Capharnam sans avoir t annonc par les prophtes :

    Marcion pose d'abord que, la quinzime anne du principat de Tibre, le Christ est descendu dans une cit de Galile, Capharnam.40

    Ce Christ, nouveau, est diffrent de l'envoy du Crateur, le Christ guerrier annonc par les

    crits prophtiques41. Il n'a d'ailleurs pas besoin d'tre annonc car sa qualit de fils,

    d'envoy et de Christ est authentifie par les miracles 42. Ce Christ dispose d'une chair

    apparente qui a toutes les qualits de la chair (elle tait consistante, passible, etc), elle

    n'est cependant pas issue de la matire et de l'action du Dmiurge, mais du monde cleste et

    du Dieu bon. Pour tayer sa position Marcion se rfre 1 Co 15, 47-49 en introduisant les

    mots le Seigneur dans la citation de l'ptre paulinienne :

    35 TERTULLIEN, Ibid.. 36 Voir TERTULLIEN, Contre Marcion I, 15, 4 - 5. 37 Voir TERTULLIEN, Contre Marcion I, 27, 1. 38 Voir TERTULLIEN, Contre Marcion I, 23, 2-3. 39 TERTULLIEN, Contre Marcion IV, 19, 6. 40 TERTULLIEN, Contre Marcion IV, 7, 1. 41 Voir TERTULLIEN, Contre Marcion III, 13, 1. 42 TERTULLIEN, Contre Marcion III, 3, 1.

  • 115

    Le premier homme, issu du sol, est terrestre (coi>kov"), le deuxime est le Seigneur qui vient du ciel. Tel a t le terrestre, tels seront aussi les terrestres ; tel le cleste (ejpouravnio"), tels seront aussi les clestes. Et de mme que nous avons port l'image du terrestre, nous porterons aussi l'image du cleste.43

    Le Christ cleste de Marcion est ainsi un homme venu des cieux, qui cre en nous une

    seconde humanit, fille de la premire, o la chair, et donc le mal, n'a point de part. Cette

    conception conduit une thique asctique qui fuit la matire mauvaise et ses tentations.

    Marcion prconise par exemple le renoncement au mariage et la procration en raction

    au Dieu vtro-testamentaire qui dit aux hommes : Croissez et multipliez-vous (Gn 1, 28).

    b. Valentin

    Valentin est d'origine gyptienne44. Il serait n Phrbon avant de se rendre

    Alexandrie pour y recevoir une ducation grecque45. Il est vraisemblable qu'il devint

    chrtien en gypte car il occupera plus tard une charge d'enseignement, or une telle mission

    n'tait pas confie un nouveau converti46. Clment nous apprend qu'il fut trs actif

    Alexandrie durant le rgne d'Hadrien entre 117 et 13847. Il vint Rome vers 140 sous le

    pontificat d'Hygin (136-140), il atteignit son apoge sous Pie (140-155) et se maintint

    jusqu' Anicet (155-166) 48. Enseignant brillant et loquent, il connut un rel succs.

    Tertullien l'accuse d'avoir quitt l'glise parce que celle-ci n'a pas voulu de lui comme

    vque de Rome49. Il faut cependant se garder d'accorder trop de crdit cette information

    car l'ambition appartenait au catalogue des reproches habituellement adresss aux

    adversaires de la foi chrtienne par la littrature anti-hrtique50. De fait, l'avocat

    carthaginois affirme ailleurs que Valentin avait t expuls de l'glise en raison de sa

    43 Voir TERTULLIEN, Contre Marcion V, 10, 9-11. 44 HIPPOLYTE DE ROME, Philosophumena VI, 21. 45 Voir PIPHANE, Panarion 31, 2. 46 Voir ELIZABETH A. LEEPER, From Alexandria to Rome : the Valentinian Connection to the Incorporation of Exorcism as a Prebaptismal Rite , VCh. 44, 1990, p. 12. 47 CLMENT D'ALEXANDRIE, Stromates VII, 106, SC 428. 48 IRNE DE LYON, AH III, 4, 3. 49 TERTULLIEN, Contre les Valentiniens IV, 1 : Valentin avait espr l'piscopat : et son talent et son loquence lui avaient valu du prestige ; mais c'est un autre qui obtint le sige piscopal, grce l'avantage qu'il tirait de son martyre : Valentin en fut indign et rompit avec l'glise et la doctrine authentique. 50 E. A. Leeper (o. c. p. 12) remarque que les Valentiniens n'apparaissent dans la liste des hrtiques cits par Justin que dans Dial. 35. Ni Valentin ni ses disciples ne sont mentionns dans les Apologies (voir 1 Apo 26), soit parce que Justin ne les connaissait pas, soit parce qu'ils n'occasionnaient pas de difficult. E. A. Leeper en conclut que c'est durant l'intervalle qui spare la rdaction de ces deux ouvrages qu' une distinction a t opre, tout du moins par certains enseignants chrtiens, tel Justin, entre "nous" [ceux qui sont dans la communion de l'glise] et "eux" et qu'on s'efforait de distinguer les "hrtiques" des vritables chrtiens (p. 13). Si effectivement Valentin avait rompu avec l'glise pour la raison indique par Tertullien et si la premire Apologie de Justin a t rdige entre 148 et 154 (voir cours prcdent p. 84), ce ne peut tre l'lection de Pie sur le sige de Rome (en 140) qui causa la rupture avec Valentin car l'vnement, ncessairement, aurait t connu de Justin. C'est donc l'lection d'Anicet la tte de l'glise romaine qui conduisit Valentin rompre la communion ecclsiale. Mais Pie n'a pas t un confesseur de la foi. Durant cette priode, il n'y a que le pape Anicet qui fut un confesseur. Cette contradiction est une raison supplmentaire pour se montrer prudent quant la prise en compte de l'accusation de Tertullien.

  • 116

    curiosit toujours inquite 51. Il mourut probablement vers l'an 160 car sa prsence dans

    la capitale impriale recouvrait peu prs le rgne d'Antonin (138-161)52. Ses disciples se

    diviseront aprs sa mort en une cole orientale reprsente par Thodote et en une cole

    occidentale dont Ptolme53 et Hraclon sont les principaux reprsentants. De ses oeuvres

    il ne nous reste que quelques fragments qui ne permettent pas une reconstitution de sa

    pense. Sa doctrine est connue par le tmoignage de ses disciples.

    Voici une description du systme valentinien d'aprs le tmoignage de Ptolme

    (Irne, AH I, I, 1 I, 8, 4). M. Simon en donne un condens que nous citons ici. Il n'est

    pas inutile de nous plonger dans cet univers trange et complexe avant que de prsenter les

    principales caractristiques du gnosticisme.

    Au sommet du Panthon valentinien se trouve un Dieu suprme appel Pre ou Abme, avec, ses cts, un principe fminin nomm Pense ou Silence. Ce premier couple, ou premire syzygie, engendre son tour des couples, jusqu' ce que l'on arrive au chiffre 15. Ceux-ci forment 30 ons [c'est--dire 30 entits divines] et constituent le plrme [c'est--dire tout ce qui est cleste] qui se divise en trois sries : l'un de 8 ons, l'autre de 10, l'autre enfin de 12. L'ogdoade primitive comprend les couples suivants : Abme et Pense, Monogne et Vrit, Logos et Vie, Homme et glise. Au sein de ce plrme se passe une sorte de drame transcendantal. Le dernier des ons, Sophia, veut saisir et comprendre le Pre comme le Fils seul peut le faire. Il en rsulte une perturbation du plrme dans lequel le mal et les passions font leur apparition. Pour rtablir l'ordre ces lments mauvais sont exclus du plrme et donnent naissance une sagesse d'en bas, Achamot. De plus, pour maintenir l'ordre et l'harmonie au sein de la divinit est cr un nouveau couple, Christ et Saint Esprit. Une fois guri, le plrme produit alors le Sauveur qui porte galement le nom de Jsus. L'action du Sauveur s'exerce sur la sagesse exclue du plrme et lui donne forme. Avec les lments hyliques de Sophia, le Sauveur cre la matire invisible, avec les lments psychiques, il prpare le Dmiurge, qui est le Dieu de la Gense, le Dieu des Juifs. Ce dernier cre le monde sensible et forme des hommes soit purement hyliques, soit galement psychiques. Le Dmiurge ignore tout du monde suprieur et croit tre le seul Dieu. Cependant, son insu, au moment o il soufflait sur l'homme, des lments pneumatiques, provenant de la Sophia extrieure, se sont introduits dans la cration. Ainsi le monde est form de trois lments, tous trois issus de Sophia : des lments hyliques et psychiques provenant de Sophia par l'intermdiaire du Dmiurge, des lments pneumatiques provenant de Sophia. On voit apparatre ici la division en trois catgories d'hommes. Le Sauveur, mu de piti pour ces lments pneumatiques disperss dans la matire, dcide de descendre sur terre pour les rassembler. Il prend un vtement de semences pneumatiques, puis une substance psychique, mais il ne peut prendre un corps hylique. Pour se rendre visible, il utilise un artifice. Pour certains valentiniens, ce Sauveur d'en-haut est venu sur Jsus au moment de son baptme sous la forme de la colombe et il l'a quitt au moment de la passion. Par sa prdication, le Sauveur donne la rvlation libratrice qui permet aux semences pneumatiques de se librer et de remonter vers le Pre. Lorsque toutes les semences auront t libres, elles retourneront dans le plrme, les semences psychiques resteront aux portes du plrme, l'lment hylique sera dtruit. Ce systme curieux ne retient du christianisme pratiquement que la figure du Sauveur qui annonce la vraie gnose. Mais on y trouve galement nombre d'allusions des textes bibliques, l'vangile, aux lettres pauliniennes qui, interprtes la lumire du schma de base, apportent des appuis scripturaires ces lucubrations.54

    51 TERTULLIEN, Trait de la prescription contre les hrtiques 30, 2. 52 Voir TERTULLIEN, Trait de la prescription contre les hrtiques 30, 2. 53 Un trs beau texte de Ptolme a t dit par G. QUISPEL, Lettre Flora, SC 24 bis, Paris 1966. 54 M. SIMON, A. BENOIT, Le Judasme et le Christianisme antique, PUF, Paris 19913, p. 149-150.

  • 117

    4. Quelques caractristiques de la gnose ancienne

    1. Le plrme est constitu de dieux multiples. Valentin en propose trente, mais le

    panthon gnostique peut s'enrichir de plusieurs centaines d'ons. Au sommet de la

    hirarchie cleste se trouve le Dieu absolument inconnu et transcendant qui pourtant se fait

    connatre grce sa dimension fminine dsigne ici par Silence ou Pense. Par un acte de

    rflexion sur lui-mme, d'autofcondation, le dieu inconnu met la premire entit cleste55.

    Ces dieux manent successivement de l'union d'un principe divin masculin et d'un principe

    divin fminin. Marcion ne partage pas ces spculations mythologiques, c'est pourquoi on ne

    peut purement et simplement le placer parmi les gnostiques.

    2. Les christologies gnostiques dissminent la personne du Fils en une multitude

    d'appellations. Nous l'avons dj constat chez Marcion qui distingue d'une part le Christ

    du Dmiurge et d'autre part le Christ envoy par le Dieu bon. Ici le Monogne, le Logos, le

    Christ, le Sauveur sont autant d'entits diffrentes. Notez aussi que le Sauveur n'est pas le

    Fils du crateur, mais une production du plrme.

    3. Cette opposition des dieux conduit une opposition irrductible entre l'ancien et

    le nouveau testament, opposition qui s'inscrit plus largement dans le dualisme foncier des

    gnostiques qui spare, dans le cosmos, la lumire des tnbres et, dans l'homme, le principe

    pneumatique du principe matriel 56. Le rejet des critures anciennes conduit aussi, non

    pas en intention, mais de fait, un certain anti-judasme.

    4. Nous avons soulign que la gnose tait un mouvement protestataire qui rejette un

    monde qu'il juge totalement mauvais. Il s'ensuit que les divinits infernales ne sont plus

    circonscrites en un lieu, elles envahissent le monde tout entier. Cette position anticosmique

    s'enracine dans la conviction que le mal prcde la cration et induit une position

    anticharnelle l'homme est prisonnier d'un corps incapable de salut , et anti-historique

    l'homme est prisonnier du temps dans lequel rien ne peut se construire 57.

    5. La gnose est foncirement litiste. Elle n'est source de salut que pour celles et ceux

    qui appartiennent au monde pneumatique. Les hommes issus de la matire sont d'ores et

    dj perdus, ceux qui appartiennent au monde psychique ont droit un salut de second

    ordre. La libert humaine n'existe pas. Cela se comprend aisment puisque le mal qui

    prcde la cration s'impose l'homme dont le devenir est prdtermin par sa nature

    matrielle, psychique ou spirituelle.

    55 Voir G. FILORAMO, Gnose - gnosticisme , DECA I, p. 1063. 56 G. FILORAMO, ibid.. 57 Voir B. SESBO, Tout rcapituler dans le Christ, christologie et sotriologie d'Irne de Lyon, Descle, Paris 2000, p. 26.

  • 118

    Conclusion

    Issus le plus souvent du monde grec, les gnostiques ont essay de rendre compte de la

    nouveaut radicale de l'vangile. Une lecture bienveillante entendra certaines de leurs

    thses de manires orthodoxes. Celle, par exemple, qui dit que le Christ donne accs la

    connaissance du Pre en rvlant

    que celui-ci est incomprhensible et insaisissable et que personne ne peut le voir ni l'entendre, sinon travers le seul Monogne.58

    Il semble par ailleurs que certains des rites gnostiques aient t intgrs la liturgie de la

    Grande glise c'est--dire dans la liturgie des communauts qui ne se sont pas reconnues

    dans les systmes gnostiques et qui leur ont oppos une autre lecture des critures, une

    approche plus positive de la ralit et le souci de s'inscrire dans la tradition apostolique 59.

    Ce serait notamment le cas du rite d'exorcisme au cours de la liturgie baptismale60.

    Si les gnostiques ont t combattus par les reprsentants de la Grande glise, c'est

    principalement en raison de leur christologie docte qui nie l'incarnation vritable au nom

    de la dignit d'un Dieu qui ne saurait prendre une chair que les disciples de Valentin

    considrent comme mauvaise. Ce postulat aboutit un clatement du Christ en plusieurs

    personnalits et une sotriologie absolument incompatible avec l'enseignement des

    Aptres. C'est encore parce que, dans la pense judo-chrtienne, la cration du monde est

    considre comme une chose bonne qui rsulte d'un acte libre et souverain de Dieu tandis

    que pour les gnostiques la fabrication du monde relve d'une ncessit mauvaise qui

    s'exprime en termes d'manation. C'est enfin parce que, chez les gnostiques, le salut procur

    par l'initiation, est extrieur, automatique et inamissible, quelle que soit la conduite

    ultrieure de celui qui en a reu la promesse, [tandis que ] pour un chrtien, le salut est un

    don intrieur, prcaire et rvocable, qui requiert de l'homme une persvrance de tous les

    instants 61.

    58 IRNE, AH I, 2, 5. 59 Voir GHISLAIN LAFONT, Histoire thologique de l'glise catholique. Itinraire et formes de la thologie, CF 179, Cerf, Paris 1994, p. 57. 60 Voir ELIZABETH A. LEEPER, From Alexandria to Rome : the Valentinian Connection to the Incorporation of Exorcism as a Prebaptismal Rite , art. c.. 61 LUC BRISSON, Le christianisme face la philosophie dans MONIQUE CANTO-SPERBER, Philosophie grecque, PUF, Paris 1997, p. 712.

  • 119

    II. IRNE

    1. L'homme et ses oeuvres

    a. Quelques donnes biographiques

    Elles sont pour l'essentiel issues de l'oeuvre d'Irne. Celui-ci est originaire d'Asie

    Mineure. Smyrne (Izmir), alors qu'il tait adolescent62, Irne avait entendu Polycarpe.

    Celui-ci avait connu un Jean qui avait vu le Seigneur63. Une lettre son ami Florinus qui

    s'tait laiss sduire par la gnose est l'occasion pour Irne de rappeler la filiation apostolique

    de la Grande glise :

    Je t'ai vu en effet, quand j'tais encore enfant (pai``" e[ti w[n), dans l'Asie infrieure, auprs de Polycarpe ; tu brillais la cour impriale et tu t'efforais d'avoir une bonne rputation auprs de lui. Car je me souviens mieux des choses de ce temps-l que des vnements rcents. En effet les connaissances acquises ds l'enfance grandissent avec l'me et s'unissent elle, de telle sorte que je puis dire l'endroit o s'asseyait le bienheureux Polycarpe pour parler, comment il entrait et sortait, sa faon de vivre, son aspect physique, les entretiens qu'il tenait devant la foule, comment il rapportait ses relations avec Jean et avec les autres qui avaient vu le Seigneur, comment il rappelait leurs paroles et les choses qu'il leur avait entendu dire au sujet du Seigneur, de ses miracles, de son enseignement ; comment Polycarpe, aprs avoir reu tout cela des tmoins oculaires de la vie du Verbe, le rapportait conformment aux critures. Ces choses, alors aussi, par la misricorde de Dieu qui est venue sur moi, je les ai coutes avec soin et je les ai notes non pas sur du papier, mais dans mon coeur.64

    Or Polycarpe mourut martyr quatre-vingt six ans, le dimanche 23 fvrier 16765. Il tait dj

    vque quand Ignace d'Antioche passa Smyrne avant de se rendre Rome pour y tre

    martyris (entre 110 et 13066). Si l'on tient compte de ce qu'Irne devait tre un homme

    accompli (cf. 2 Tm 3, 17) lorsque'il assuma, en 177, la succession de Pothin la tte de

    l'glise de Lyon, et de ce qu'il tait dj prtre lorsqu'il arriva Lyon67, l'on peut supposer

    qu'il est n entre 135 et 145.

    62 IRNE, AH III, 3, 4 cit par EUSBE, HE IV 14, 3 : Nous-mme nous l'avons vu [Polycarpe] ejn th`` prwvth/ hJmw``n hJlikiva/ . Voir aussi EUSBE, HE V 5, 8. 63 Voir IRNE, AH III, 3, 4. 64 Lettre Florinus dans EUSBE, HE V 20, 5-7. 65 Le bienheureux Polycarpe a rendu tmoignage au dbut du mois de Xanthique, le deuxime jour, le septime jour avant les calendes de mars, un jour de grand sabbat, la huitime heure. Il avait t arrt par Hrode, sous le pontificat de Philippe de Tralles, et le proconsulat de Statius Quadratus, mais sous le rgne ternel de notre Seigneur Jsus-Christ (Martyre de Polycarpe 21, SC 10 bis, p. 271). Pour la fixation de la date, voir PIERRE BRIND'AMOUR, La date du martyre de Polycarpe (le 23 fv. 167) dans Analecta Bollandiana, t. 98 (1980), p. 456-462. 66 PIERRE NAUTIN, Ignace d'Antioche , DECA I, p. 1209. 67 JRME, Des hommes illustres, 35 : Irne, prtre de Pothin, vque de Lyon, dans les Gaules, fut envoy par les martyrs de cette ville Rome, pour y traiter quelques questions touchant leur glise.

  • 120

    Il est vraisemblable qu'Irne quitta Smyrne l'adolescence pour complter sa

    formation Rome, ville cosmopolite et intellectuelle, o se donnaient rendez-vous tous ceux

    qui avaient quelque ambition, quelque enseignement ou doctrine transmettre68.

    En 177, Irne arrive Lyon, la capitale des Gaules 69. Des chrtiens des

    communauts de Vienne et de Lyon, prisonniers en raison des perscutions, l'invitent

    transmettre un message au pape leuthre (175 ? - 189). Ils y expriment, au dire d'Eusbe,

    leur sentiment sur le mouvement prophtique qui commence se rpandre en Phrygie.

    Dtail de la table de Peutinger. Lugduno caput Galliarum

    Montan, l'instigateur de cette Nouvelle Prophtie, connaissait un certain succs et

    l'engouement que suscitait son courant charismatique veillait l'inquitude. Eusbe de

    Csare rapporte que les agissements des montanistes taient l'origine de dissensions et

    c'est pourquoi les communauts de Lyon et de Vienne, dont bon nombre de membres

    furent vraisemblablement des sympathisants de ce mouvement, se crurent obliges de

    donner leur opinion sur la question. L'historien ecclsiastique juge leur avis prudent et

    tout fait orthodoxe 70. Ceux qui deviendront sous peu des martyrs envoient Irne

    Rome, auprs du pape Eleuthre, avec une lettre qui est le document crit le plus ancien de

    l'glise des Gaules. Ils y disent notamment :

    Nous prions pour que, encore et toujours, tu te rjouisses en Dieu, pre leuthre. Nous avons charg de te remettre ces lettres notre frre et compagnon, Irne, et nous te demandons de le prendre en considration, comme un zlateur du testament du Christ. Si nous savions que la situation procure la justice quelqu'un, nous l'aurions d'abord prsent comme un presbytre de l'glise, ce qu'il est en effet. 71

    68 Voir FRANOIS-M.-M. SAGNARD, La gnose valentinienne et le tmoignage de Saint Irne, tudes de philosophie mdivale 36, Vrin, Paris 1947, p. 57-62 ; P. NAUTIN, Lettres et crivains chrtiens des IIe et IIIe sicles, Patristica 2, Cerf, Paris 1961, p. 93. 69 Table de Peutinger, fol. 3. Le fac-simil du ms. est accessible sur le site de la Bibliotheca Augustana, www.fh-augsburg.de/~harsch/Chronologia/Lspost03/Tabula/tab_intr.html. Les Trois-Gaules taient composes de la Belgique, de la Celtique et de l'Aquitaine. Sur la communaut chrtienne de Lyon, voir Amable Audin, Sur les origines de l'glise de Lyon , dans L'homme devant Dieu. Mlanges offerts au Pre Henri de Lubac, t. 1, Thologie 56, Aubier, Paris 1963, p. 223-234. 70 EUSBE, HE V 3, 4. 71 EUSBE, HE V 4, 2.

  • 121

    Peut-tre ce voyage pargna-t-il Irne d'tre victime de la perscution72 qui s'abat sur les

    chrtiens de mtropole gauloise en cette anne 17773. De retour Lyon, Irne est nomm

    vque de la cit gauloise en remplacement de Pothin qui dcda des suites des mauvais

    traitements dont il avait t victime74. C'est probablement durant son pontificat que le

    nouvel vque de Lyon crivit son trait Contre les hrsies75.

    Un peu plus tard, sous le pontificat de Victor (189-198), Irne agit en vritable

    homme de paix 76. Un diffrend sur la date de la clbration de la fte de Pque agitait les

    communauts chrtiennes77. Les glises asiates ftaient la rsurrection le quatorze du mois de

    Nisan, le quatorzime jour du mois lunaire, que celui-ci tombe un dimanche ou non.

    L'glise de Rome et les autres communauts chrtiennes clbraient Pque le dimanche qui

    suit cette date. Victor, soucieux peut-tre d'viter un retour aux pratiques juives78, cherchait

    imposer la coutume romaine l'ensemble des glises. Mais des vques lui crivirent pour

    protester.

    Parmi eux se trouvait aussi Irne, crivant au nom des frres qu'il dirigeait en Gaule : il tablit d'abord qu'il faut clbrer seulement au jour du dimanche le mystre de la rsurrection du Seigneur ; puis il exhorte Victor, de manire trs convenable, ne pas retrancher des glises de Dieu tout entires, qui gardent la tradition d'une ancienne coutume, ; et, beaucoup d'autres choses, il ajoute ceci en propres termes : "La discussion n'est pas seulement sur le jour, mais aussi sur la manire de jener. Les uns pensent qu'ils doivent jener un seul jour ; d'autre deux, d'autres encore davantage [] 79

    La querelle porte sur une question de discipline ecclsiastique. Irne peroit sans doute la

    porte thologique de cette question puisqu'il souligne qu'il faut effectivement fter la

    rsurrection du Seigneur le dimanche. Qu'est-ce dire ? Prtend-il qu'il faut respecter

    l'usage romain ? Oui et non. Oui, pour ceux qui effectivement ftent la rsurrection du

    Seigneur. Non, parce que les quartodcimans clbraient non pas d'abord la rsurrection du

    Seigneur, mais sa Passion. Dans ce dernier cas, la liturgie peut tre clbre n'importe quel

    jour de la semaine80. D'ailleurs poursuit-il

    72 Voir MAURICE JOURJON, Irne , Catholicisme VI, col. 82. 73 Voir EUSBE, Prol. 1 pour la date et HE V 1 pour le rcit de la perscution. 74 Voir EUSBE, HE V 5, 8. 75 Voir IRNE, AH III, 3, 3. Irne mentionne que c'est maintenant leuthre qui, en douzime lieu partir des aptres, dteint la fonction de l'piscopat Rome. Cette remarque nous situe entre 174 et 189. 76 Voir EUSBE, HE V 24, 18. 77 Une homlie anonyme du quatrime sicle rend compte de la mobilit de la fte de Pque. Voir P. NAUTIN, Homlies pascales III, SC 48, Cerf, Paris 1957. 78 Selon le livre Contre toutes les hrsies du Pseudo-Tertullien (A. Kroymann, CCSL 2, Turnhout 1954, p. 1410), Blastus, auquel Irne adresse une lettre Au sujet du schisme, visait introduire subrepticement le judasme et prtendait que la Pque ne peut pas tre clbre autrement que selon la loi de Mose du quatorzime jour du mois [de Nisan] (8, 1, cit par RANIERO CANTALAMESSA, o. c., p. 151). 79 EUSBE, HE V 24, 11-12. 80 Il est bien clair qu' choisir comme date de la fte l'anniversaire de la passion plutt que celui de la rsurrection on en venait accentuer diffremment les deux vnements. Cependant [] Qu'on le considre vendredi de la passion, comme le faisaient les Quartodcimans d'Asie Mineure, ou partir du dimanche de la rsurrection, comme le faisaient les autres, le mystre de la Pque change de perspective et de climat spirituel

  • 122

    une telle diversit d'observances ne s'est pas produite maintenant, de notre temps, mais longtemps auparavant, sous nos devanciers qui, sans tenir l'exactitude, comme il semble, ont conserv la coutume dans sa simplicit et ses caractres particuliers, et l'ont transmise aprs eux. Tous ceux-l n'en gardaient pas moins la paix, et nous gardons aussi la paix les uns envers les autres : la diffrence du jene confirme l'accord de la foi81.

    Irne entend par l que le fait de jener plus ou moins longtemps ou de clbrer tel ou tel

    jour la Pque du Seigneur, suppose au-del de la diffrence des pratiques un accord des

    communauts quant celui qu'elles clbrent : Jsus, le Christ mort et ressuscit pour le

    salut des hommes. C'est cela qui importe, et Irne de rappeler Victor que c'est bien cela

    qu'avaient compris ses prdcesseurs :

    les presbytres antrieurs Ster qui ont dirig l'glise que tu gouvernes aujourd'hui, c'est--dire Anicet, Pie, Hygin, Tlsphore, Xyste, n'ont pas non plus gard eux-mmes (le quatorzime jour) et ils n'ont pas impos (leur usage) ceux qui taient avec eux ; et bien que ne gardant pas eux-mmes (le quatorzime jour), ils n'en taient pas moins en paix avec ceux qui venaient des chrtients dans lesquelles il tait gard, lorsqu'ils arrivaient chez eux. Pourtant, le scandale tait plus grand, pour ceux qui ne l'observaient pas, de voir observer par d'autres (le quatorzime jour). Personne cependant ne fut jamais rejet cause de cette conduite. Mais ceux-l mme qui n'observaient pas (le quatorzime jour), c'est--dire les presbytres qui t'ont prcd, envoyaient l'eucharistie ceux des chrtients qui l'observaient.82

    Ni Eusbe de Csare, ni non plus aucun Pre, ne nous informe sur la mort de saint

    Irne. Il existe une tradition tardive qui reconnat en saint Irne un confesseur de la foi.

    Jrme, la fin du IVe sicle, lui accorde la palme du martyre 83 mais il n'en dit rien dans son

    ouvrage sur les hommes illustres84. Selon Grgoire de Tours, Irne serait mort martyr suite

    une perscution qui aurait clate Lyon en 20285. Mais il s'agit vraisemblablement d'une

    mprise, Grgoire confondant probablement les massacres lis la prise de la ville par

    Septime Svre en 197 et ceux de la perscution de 17786. Remarquons encore qu'il est peu

    probable, compte-tenu de la stature d'Irne, que sa mort soit passe inaperue s'il avait

    succomb au cours d'une perscution87.

    peut-tre, mais non de contenu. (RANIERO CANTALAMESSA, La Pque dans l'glise ancienne, Peter Lang, Berne 1980, p. XIX-XX. 81 EUSBE, HE V 24, 13. 82 EUSBE, HE V 24, 14-15. Voir les 16-17 qui rappellent l'attitude respectueuse d'Anicet et de Polycarpe. 83 JRME, Commentaire sur Isae, 64, 4. 84 JRME, Les hommes illustres, 35. 85 GRGOIRE DE TOURS, Histoire des francs, I, 27 : Le premier [martyr] fut Pothin, vque de la ville de Lyon, qui, plein de jours, subit pour le nom du Christ divers supplices. Saint Irne, successeur de ce martyr, et qui avait t envoy dans cette ville par saint Polycarpe, se distingua par une admirable vertu [] Une perscution s'tant leve, le dmon suscita, par la main du tyran, de telles guerres dans ce pays, un si grand nombre de fidles furent gorgs parce qu'ils confessaient le nom du Seigneur, que des fleuves de sang chrtien couraient sur les places publiques, et que nous ne pourrions dire le nombre ni le nom des martyrs ; le Seigneur les a inscrits sur le livre de vie. Le bourreau ayant fait infliger, en sa prsence, d'horribles supplices Saint Irne, le consacra ainsi notre Seigneur Jsus-Christ. (trad. M. Guizot, Didier et Cie, Paris 1874, p. 25-26). 86 Sur le martyre et la mort d'Irne, voir M. JOURJON, art. c., col. 82-83. 87 L'tat de la question du martyre d'Irne est prsent dans J. VAN DER STRAETEN, Saint Irne fut-il martyr ? dans Les martyrs de Lyon (177), Colloque internationaux du CNRS 575, CNRS, Paris 1978, p. 145-152.

  • 123

    b. Le corpus

    Eusbe de Csare cite plusieurs oeuvres d'Irne : Blastus, au sujet du schisme ;

    Florinus, au sujet de la monarchie, ou que Dieu n'est pas l'auteur des maux ; un trait Sur

    l'Ogdoade88 ; un trait De la Science ; des Entretiens. Tous ces ouvrages sont perdus. Eusbe

    en rapporte tout au plus quelques lignes. Nous disposons par contre de deux autres livres

    d'Irne :

    IRNE DE LYON, Contre les hrsies. Dnonciation et rfutation de la gnose au nom menteur.

    Trad. Adelin Rousseau, Cerf, Paris 19913. Il constitue la premire prsentation d'ensemble

    de l'histoire du salut.

    IRNE DE LYON, Dmonstration de la prdication apostolique, SC 406, Paris 1995.

    Le Contre les hrsies veut dnoncer et rfuter la gnose au nom menteur. cette fin,

    Irne procde avec beaucoup de mthode. Son ouvrage se dcompose en cinq livres :

    - le premier est consacr l'explicitation des thses gnostiques. L'affaire est importante car

    ces doctrines tiraient une partie de leur prestige de leur caractre secret. Une manire de les

    combattre tait d'exposer ces doctrines sur la place publique : C'est dj les avoir vaincu,

    dit Irne, que de les avoir fait connatre 89. Mais la conversion des hrtiques demande

    que l'on aille au fond des choses, car n'avoir qu'une connaissance partielle de leurs

    doctrines, l'on est accul proposer des solutions inadquates :

    Quiconque veut les convertir doit connatre exactement leur systme. Impossible, en effet, de gurir des malades, si l'on ignore le mal dont ils souffrent. Voil pourquoi nos prdcesseurs, pourtant bien suprieurs nous, n'ont pu s'opposer de faon satisfaisante aux disciples de Valentin : ils ignoraient leur systme. Ce systme nous te l'avons fait connatre avec toute l'exactitude possible dans notre premier livre.90

    - le deuxime livre procde une rfutation des thses gnostiques par les arguments de la

    raison en se rfrant tantt l'enseignement propre chacun d'eux, tel qu'ils nous l'ont

    laiss dans leurs crits, tantt l'aide d'un expos procdant par preuves multiformes 91.

    Cette rfutation cependant ne suffit pas, car les Gnostiques tayent galement leurs propos

    par des citations de l'criture.

    - le troisime livre veut rfuter les adversaires par la totalit des critures, ainsi

    88 Voir EUSBE, HE V 20, 1. 89 IRNE, AH I, 31, 4. 90 IRNE, AH IV, prf. 2. 91 IRNE, AH V, prf.

  • 124

    toutes les critures, tant prophtiques qu'vangliques [] proclament clairement et sans ambigut qu'un seul et unique Dieu, l'exclusion de tout autre, a fait toutes choses par son Verbe.92

    Mais la tche se rvlera vite trop lourde. Irne consacrera ds lors ce livre une rfutation

    des gnostiques en soulignant l'accord qui existe entre les crits vtro-testamentaire et

    l'enseignement des Aptres. Il remet au prochain livre le soin d'apporter les paroles du

    Seigneur pour complter ce qui vient d'tre dit 93.

    - Le livre IV portera donc sur l'accord des prophtes avec les paroles du Seigneur. La

    dmonstration d'Irne distinguera les paroles du Seigneur qui sont claires de celles o il

    s'exprime en parabole.

    - Le dernier livre a une porte plus eschatologique. Irne utilise les paroles du Seigneur

    auxquelles il n'a pas encore eu recours ainsi que les lettres de Paul. Il y aborde notamment la

    question de la rsurrection de la chair.

    La Dmonstration de la prdication apostolique est une catchse postrieure la

    Rfutation laquelle elle se rfre en son chapitre 99. Elle se compose d'un expos de la foi

    chrtienne (1 41) et d'une dmonstration de cette foi (42 97).

    2. Les prsupposs mthodologiques d'Irne

    L'objection de principe qu'Irne va opposer ses adversaires peut se rsumer en un

    triple reproche. Leur doctrine

    n'a pas t annonce par les prophtes, ni enseigne par le Seigneur, ni transmise par les aptres94

    Elle trahit donc les critures anciennes, les vangiles, et la Tradition apostolique. Les

    gnostiques cependant

    se vantent d'avoir reu la connaissance plus excellemment que tous les autres hommes. Tout en allguant des textes trangers aux critures [] ils ne s'en efforcent pas moins d'accommoder leurs dires, d'une manire plausible, tantt des paraboles du Seigneur, tantt des oracles des prophtes, tantt des paroles d'aptres, afin que leur fiction ne paraisse pas dpourvue de tmoignage. Ils bouleversent l'ordonnance et l'enchanement des critures et, pour autant qu'il dpend d'eux, ils disloquent les membres de la vrit.95

    Le conflit porte tout la fois sur le corpus scripturaire de rfrence, sur la mthode

    exgtique et sur l'authentification de ce qui est avanc. L'vque lyonnais ne reconnat

    dans les spculations gnostiques qu'un travestissement de la vrit :

    92 IRNE, AH II, 27, 2. 93 IRNE, AH I, 10, 2. 94 IRNE, AH I, 8, 1. 95 IRNE, AH I, 8, 1.

  • 125

    Il en est comme de l'authentique portrait d'un roi qu'aurait ralis avec grand soin un habile artiste au moyen d'une riche mosaque. Pour effacer les traits de l'homme, quelqu'un bouleverse alors l'agencement des pierres, de faon faire apparatre l'image, maladroitement dessine, d'un chien ou d'un renard. Puis il dclare premptoirement que c'est l l'authentique portrait du roi effectu par l'habile artiste. Il montre les pierres [] et, par l'clat de ces pierres, il parvient tromper les simples, c'est--dire ceux qui ignorent les traits du roi, et les persuader que cette dtestable image du renard est l'authentique portrait du roi.96

    Irne va fonder sa rfutation et sa dmonstration sur la foi baptismale. C'est partir d'elle

    qu'il se propose d'entrer dans une connaissance toujours plus profonde de la divinit . Il

    s'appuiera sur la rgle de vrit qui lui a t transmise par la tradition apostolique pour

    approfondir et expliciter le mystre de la foi chrtienne.

    a. La foi baptismale

    Au commencement de la Dmonstration qu'il adresse son ami Marcien, Irne

    rappelle qu'il n'existe qu'un seul chemin qui conduit au royaume des cieux en unissant

    l'homme Dieu 97 tous les autres aboutissent la mort car ils sparent l'homme et Dieu

    , et ce chemin, c'est l'homme tout entier qui le parcourt dans son me et dans son corps,

    l'me avanant sur le chemin de la pit en se laissant gagner par la vrit, le corps en se

    maintenant dans la puret98. Pour progresser dans cette voie l'homme dispose de la rgle de

    la foi99, c'est--dire d'une mthodologie particulire propre la recherche thologique100. Il

    importe donc de

    garder sans l'inflchir la rgle de la foi et [de] mettre en pratique les commandements de Dieu, en croyant en Dieu, en le craignant, parce qu'il est Seigneur, et en l'aimant, parce qu'il est Pre. Cette mise en pratique nat de la foi, car, "si vous ne croyez pas", dit Isae, "vous ne comprendrez pas non plus" (Is 7, 9 LXX); quant la foi, c'est la vrit qui la fait natre, car la foi s'tablit de faon ferme dans le rel vritablement existant, de telle sorte que nous croyions ce qui est, tel qu'il est, et que, croyant ce qui est, tel qu'il est, nous gardions toujours inbranlablement notre conviction son gard.101

    La foi en un Dieu Pre est l'origine d'une nouvelle intelligence du rel. La pratique

    des commandements, le respect de la rgle de la foi, dcoulent de la foi qui donne entendre

    ce qui autrement serait incomprhensible. : si vous ne croyez pas, vous ne comprendrez pas

    non plus 102. Irne semble ensuite prvenir une objection des gnostiques : non, la foi ne

    96 IRNE, AH I, 8, 1. 97 IRNE, Dm. 1. 98 Voir IRNE, Dm. 2. 99 Irne se rfre indiffremment "la rgle de vrit" ou "la rgle de foi". La premire formule est surtout utilise dans l'Adversus Haereses, la seconde dans la Dmonstration. Cela tient peut-tre au fait, que pour les Gnostiques, c'est moins la foi que la gnose et la vrit qui servent exprimer le salut. Pour la grande glise, au contraire, dans une prsentation du salut comme l'est la Dmonstration, c'est la foi qui occupe le premier plan. (J. FANTINO, o. c., p. 20). 100 Voir V. GROSSI, Regula fidei , DECA II, p. 2163-2164. 101 IRNE, Dm. 3. 102 Irne est, ma connaissance, le premier se rfrer la citation d'Isae pour signifier que la foi est indispensable une comprhension juste du mystre, n'en dplaise aux gnostiques qui accordaient le primat la connaissance. Saint Augustin, quelque trois sicles plus tard, synthtisera les deux positions en une seule formule trs quilibre : comprends donc pour croire et crois pour comprendre (Sermon 43, 4, 7, voir GEORGES

  • 126

    s'inscrit pas dans le vide, elle se fonde au contraire sur ce qui est103. Or ce qui est par

    excellence, c'est Dieu lui-mme. Irne fait explicitement rfrence Ex 3, 14 au deuxime

    paragraphe de la Dmonstration. L'tre au sens large savoir Dieu et le monde cr , est

    oppos au nant, l'assise solide de la foi chrtienne la spculation vaine des gnostiques.

    C'est en mditant sur le rel que l'homme en quelque sorte vrifie la vrit de sa foi et cette

    vrification le garde inbranlable dans ses convictions. Mais quelle est cette foi ? C'est la foi

    baptismale transmise par les presbytres, disciples des aptres. Elle

    nous engage nous souvenir que nous avons reu le baptme pour la rmission des pchs au nom de Dieu le Pre, au nom de Jsus-Christ, le Fils de Dieu incarn, mort et ressuscit, et dans l'Esprit Saint de Dieu ; elle nous enseigne que ce baptme est le sceau de l'ternelle vie et la nouvelle naissance en Dieu, en sorte que ce ne soit plus d'hommes mortels, mais du Dieu ternel, que nous soyons dornavant les fils104

    La foi baptismale est trinitaire. Il n'est donc pas possible de sparer le Pre du Fils et de

    l'Esprit comme le font les gnostiques. La foi baptismale est salutaire : c'est par le baptme que

    l'homme est sauv, c'est par lui que tout homme devient enfant de Dieu, qu'il partage

    l'immortalit divine.

    b. La connaissance de Dieu

    Irne dveloppe les implications thologiques de la foi baptismale dans la suite de la

    Dmonstration ( 4 6), puis, adoptant la structure du chiasme, il clt sa rflexion en

    revenant au baptme :

    C'est pourquoi le baptme de notre rgnration [Cf. Tite 3, 5], a lieu par ces trois articles, nous octroyant la nouvelle naissance en Dieu le Pre par son Fils dans l'Esprit Saint : car ceux qui portent l'Esprit de Dieu [Cf. Ga 4, 6] vont au Verbe, autrement dit au Fils, et le Fils les conduit au Pre, et le Pre leur procure l'incorruptibilit. Ainsi donc ni sans l'Esprit il n'est possible de voir le Verbe de Dieu, ni sans le Fils on ne peut accder au Pre [cf. Jn 14, 6] : car la connaissance du Pre [cf. Jn 14, 7], c'est le Fils, et la connaissance du Fils de Dieu, c'est par l'Esprit Saint qu'elle a lieu [cf. 1 Co 12, 3] ; quant l'Esprit, le Fils le dispense selon le bon plaisir du Pre [Cf. Tite 3, 6], ceux que veut et de la manire que veut le Pre.105

    La mditation irnenne se dploie partir du baptme qui introduit l'homme la

    vie divine. C'est grce l'Esprit, par le Fils et selon la volont du Pre que l'homme est

    appel connatre Dieu. Cette vie ou cette connaissance de Dieu est don du Pre, du Fils et

    de l'Esprit.

    L'vque de Lyon se bat ici contre deux thses gnostiques. La premire affirme qu'il est

    possible de connatre des choses sur Dieu et que cette connaissance appartient

    naturellement aux tres spirituels. Irne rfute cette opinion en soutenant que la

    HUMEAU, Les plus beaux sermons de saint Augustin, tudes augustiniennes, 1986, t. 1, p. 181-189. 103 Voir H. U. VON BALTHASAR, La gloire et la croix, 2, Cerf DDB, Paris 1993, p. 40 et svt. 104 IRNE, Dm. 3.

  • 127

    connaissance de Dieu n'est pas connaturelle l'homme. L'homme ne peut donc la

    revendiquer. Il ne lui est possible que de l'accueillir. L'allusion insistante l'ptre de Paul

    Tite est ici capitale. Elle rappelle l'absolue gratuit du don de Dieu qui, dans sa souveraine

    libert, sauve tous les hommes non parce qu'ils le mritent ou parce qu'ils sont habits

    par une parcelle de la divinit , mais parce qu'il les aime. Les hrtiques gnostiques

    prtendent par ailleurs qu'il est absolument impossible aux hommes de connatre Dieu :

    Ils ont [] imagin, au-dessus de ce Dieu, un Dieu qui n'est pas, pour paratre avoir trouv un grand Dieu que personne ne peut connatre, qui ne communique pas avec le genre humain et n'administre pas les affaires terrestres [] un Dieu qui ne sert rien, ni pour lui-mme, ni pour les autres, bref un Dieu sans Providence.106

    L'vque de Lyon rfute leur position en s'appuyant sur la sixime batitude :

    Les prophtes annonaient [] d'avance que Dieu serait vu des hommes, conformment ce que dit aussi le Seigneur : Bienheureux les coeurs purs, car ils verront Dieu. Certes, selon sa grandeur et son inexprimable (ajnexhvthton) gloire, nul ne verra Dieu et vivra, car le Pre est insaisissable (ajcwvrhto") ; mais selon son amour, sa philanthropie et sa toute-puissance, il va jusqu' accorder ceux qui l'aiment le privilge de voir Dieu ce que, prcisment prophtisaient les prophtes car ce qui est impossible aux hommes est possible Dieu. Par lui-mme en effet, l'homme ne pourra jamais voir Dieu, mais Dieu, s'il le veut, sera vu des hommes, de ceux qu'il veut, quand il veut et comme il veut.107

    Irne distingue Dieu selon sa grandeur c'est--dire le fait qu'il ne puisse tre contenu par

    rien, qu'il transcende toute ralit, que l'homme n'a aucune prise sur l'tre de Dieu, sur son

    essence , et la liaison amoureuse que Dieu entretient avec l'homme et dans laquelle il se

    rvle et se donne connatre selon son bon vouloir.

    La confession de foi baptismale est la voie royale qui mne la connaissance de Dieu.

    L'Esprit ouvre l'homme au mystre divin en lui rvlant le Fils du Pre. C'tait vrai pour les

    prophtes, ce l'est a fortiori pour les baptiss. La connaissance de Dieu relve ainsi d'une

    forme d'apprentissage qui ne consiste pas d'abord en l'acquisition d'un savoir mais en une

    plonge dans la vie de Dieu : Allez, enseignez toutes les nations, les baptisant au nom du

    Pre, du Fils et du Saint Esprit (Mt 28, 19). Baptiser, c'est enseigner. tre baptis, c'est

    d'une manire ou d'une autre, avoir part la mort et la rsurrection du Christ, accueillir

    Dieu qui se rvle amour et pardon, faire l'exprience du salut en Jsus-Christ.

    c. La rgle de la foi

    La foi baptismale peut tre l'objet d'interprtations divergentes. Toutes ne sont pas

    conforment au mystre du salut rvl en Jsus-Christ. Il importe de ce fait de dlimiter le

    cadre partir duquel celle-ci doit tre comprise. Irne se situe rsolument dans l'glise. Il

    105 IRNE, Dm. 7. 106 IRNE, AH III, 24, 2.

  • 128

    rpond aux gnostiques en parlant au nom de la foi reue de l'glise pour le bien des

    personnes qui lui ont t confies. Son but est trs simple : face la multiplicit des thories

    et des dieux gnostiques, prouver partir de l'unit qui se manifeste dans les critures qu'il

    n'y a qu'un seul Dieu et un seul Christ que confesse unanimement la foi chrtienne108.

    Sa rflexion trouve appui dans la rgle de vrit qui reformule la foi baptismale

    partir de l'enseignement reu de la tradition. La rgle de vrit comporte une profession de

    foi qui, dans l'Adversus haereses, peut tre exprime soit sous forme binaire109, soit sous forme

    ternaire110. Reue par toute l'glise, elle rsume pour Irne la prdication des Aptres. Elle

    reprsente la tradition de la foi vivante hrite de l'ge apostolique. C'est donc partir de foi

    transmise par les Aptres, partir de cette tradition, qu'il convient de lire les critures :

    Car si les langues diffrent travers le monde, le contenu de la tradition est un et identique. Et ni les glises tablies en Germanie n'ont d'autre foi ou d'autre tradition, ni celles qui sont chez les Ibres, ni celles qui sont chez les Celtes, ni celles de l'Orient, de l'gypte, de la Libye, ni celles qui sont tablies au centre du monde ; mais de mme que le soleil, cette crature de Dieu, est un et identique dans le monde entier, de mme cette lumire qu'est la prdication de la vrit brille partout et illumine tous les hommes qui veulent parvenir la connaissance de la vrit. Et ni le plus puissant en discours parmi les chefs des glises ne dira autre chose que cela - car personne n'est au-dessus du Matre , ni celui qui est faible en paroles n'amoindrira cette tradition : car la foi tant une et identique, ni celui qui peut en disserter abondamment n'a plus, ni celui qui n'en parle que peu n'a moins.111

    Confront la multiplicit et la contradiction des gnoses mensongres qui, selon

    Irne, parlent partir de leur propre fond, l'vque des Gaules choisit de se situer dans

    l'glise, corps vivant qui a pour fondation les Aptres et dans laquelle s'opre la

    transmission publique et institutionnelle (par la succession piscopale) de la foi. C'est dans

    cette tradition vivante que le chrtien est appel recevoir l'criture qui lui dcouvre le don

    de Dieu.

    3. Aspects de la christologie irnenne

    107 IRNE, AH IV, 20, 5. 108 Voir IRNE, AH V, prf. 109 Les aptres nous ont transmis l'enseignement suivant : - un seul Dieu, Crateur du ciel et de la terre, qui fut prch par la Loi et les prophtes ; - un seul Christ, Fils de Dieu. (IRNE, AH III, 1, 2). 110 L'glise bien que disperse dans le monde entier jusqu'aux extrmits de la terre, ayant reu des aptres et de leurs disciples la foi - en un seul Dieu, Pre tout-puissant, qui a fait le ciel et la terre et la mer et tout ce qu'ils contiennent, - et un seul Christ Jsus, le Fils de Dieu, qui s'est incarn pour notre salut, - et en l'Esprit Saint, qui a proclam par les prophtes les conomies, la venue, la naissance du sein de la Vierge, la Passion, la rsurrection d'entre les morts et l'enlvement corporel dans les cieux du Bien-Aim Christ Jsus notre Seigneur et la parousie du haut des cieux dans la gloire du Pre, pour rcapituler toute chose et ressusciter toute chair de tout le genre humain, afin que devant le Christ Jsus notre Seigneur, notre Dieu, notre Sauveur et notre Roi, selon le bon plaisir du Pre invisible, tout genou flchisse au ciel, sur la terre et dans les enfers et que toute langue le confesse (Ph 2, 10-11) (IRNE, AH I, 10, 1). 111 IRNE, AH I, 10, 2.

  • 129

    Cette section s'arrtera sur trois points de la christologie irnenne. Nous

    aborderons d'abord la question de la prexistence du Fils, nous verrons ensuite comment

    Irne dfend l'unit du Christ puis nous expliciterons ce qu'Irne entend quand il parle

    de la rcapitulation en Christ.

    a. La prexistence du Fils

    Si le Christ est Dieu, s'il est vraiment Dieu, cela implique, d'une manire ou d'une

    autre, qu'il existe depuis toute ternit. Justin et les Apologistes ont cherch rendre

    compte de la prexistence du Fils en rapprochant le Christ de la Sagesse mentionne dans le

    livre des Proverbes ou du Logos, bien commun des philosophes grecs. Par ce biais, ils

    espraient rendre compte de la divinit du Fils, justifiant de manire satisfaisante l'unicit du

    principe divin d'une part et la multiplicit qui affecte le Dieu chrtien d'autre part. Nous

    avons vu que Thophile d'Antioche distinguait deux tats du Verbe. Immanent quand il

    rside dans le coeur de Dieu, celui-ci s'extriorise en un moment logique donn pour

    procder l'oeuvre cratrice dont le Pre l'a charg.

    peu prs au mme moment, non plus Antioche, mais Lyon, Irne, pasteur

    soucieux de ses fidles les plus faibles, est aux prises avec les thologiens valentiniens qui

    opposent le Dieu absolument transcendant, inconnu, bon et conforme l'vangile au Dieu

    mauvais et crateur que dcrivent les critures anciennes. Le lien entre ces deux dieux et

    entre ces deux dieux et leur Christ respectif est tabli grce une ontogense manatiste.

    Celle-ci partir d'une rminiscence de la thologie des deux tats du Verbe met en place

    tout un panthon de divinits charges de creuser la distance entre le Dieu au-del de tout

    et la matire mauvaise issue de l'altration du plrme. L'oeuvre de cration devient ainsi la

    rsultante malheureuse d'un dysfonctionnement du monde divin.

    Confront au succs de cette thologie gnostique, Irne rejette explicitement cet

    avatar de la thologie des deux tats et la rcupration qui en est faite par les Valentiniens112

    :

    Concevant cette mission du Logos d'aprs la psychologie humaine et se lanant dans de tmraires conjectures sur Dieu, les Valentiniens croient faire une grande dcouverte en disant que le Logos a t

    112 Albert Houssiau fait remarquer qu' Irne ne vise en aucune manire la thorie apologtique du double tat du Verbe (A. HOUSSIAU, La christologie de saint Irne, PUL, Louvain 1955, p. 166). C'est exact, il dnonce effectivement la manire dont les gnostiques se rfrent la distinction stocienne pour mettre en place leur plrme mais il ne condamne pas la doctrine des Apologistes. Et de fait, Hippolyte, le disciple d'Irne (PHOTIUS, Bibliothque 121), fait galement sienne cette doctrine tout en refusant le recours au langage stocien, attitude qu'il n'aurait certainement pas adopte s'il avait pens trahir son matre (voir HIPPOLYTE DE ROME, Contre les hrsies 11, dit et traduit par PIERRE NAUTIN, Hippolyte, Contre les hrsies, Cerf, Paris 1949, p. 250-253). Cependant, il faut galement ajouter, qu'Irne se gardera bien de s'appuyer sur la thorie apologiste pour rendre compte de la prexistence du Christ.

  • 130

    mis par l'Intellect. Chacun sait assurment qu'on peut dire cela avec raison de l'homme ; mais s'il s'agit du Dieu qui est au-dessus de toutes choses, qui est tout entier Intellect et tout entier Parole [] qui n'a pas en lui une chose qui serait antrieure et une autre qui serait postrieure, mais qui demeure tout entier gal et semblable et un, on ne peut plus concevoir une telle mission avec l'ordre de succession qu'elle implique.113

    Le refus d'Irne est fond sur la transcendance et l'immutabilit de Dieu. Un argument du

    parti adverse vient conforter sa position. Dieu, aux dires des gnostiques, est ineffable. Or

    leurs spculations s'opposent radicalement leurs prsupposs :

    Celui qu'ils disent ineffable et innommable, ils le nomment et le dcrivent, et comme s'ils avaient fait eux-mmes l'accouchement, ils racontent son mission et sa gnration premires, en assimilant le Verbe de Dieu au verbe que profrent les hommes.114

    Irne souligne encore que l'criture ne renseigne pas au sujet de la gnration du Verbe :

    Que ce monde ait t fait par Dieu par mode de production et qu'il ait commenc dans le temps, toutes les critures nous l'enseignent ; mais quant savoir ce que Dieu fait auparavant, nulle criture ne nous l'indique. Donc la rponse la question pose appartient Dieu, et il ne faut pas vouloir imaginer des manations folles, stupides et blasphmatoires []115

    L'argumentation d'Irne est solide. Sa prise de position nous met cependant dans

    l'embarras. Pourquoi cela ? Parce que, avec les Apologistes et plus particulirement

    Thophile d'Antioche, nous pensions avoir trouv le moyen de rendre compte de la

    prexistence du Christ tout en confessant une divinit unique. Comment Irne va-t-il

    s'acquitter de cette tche dsormais ? La question n'est pas aborde pour elle-mme dans le

    Contre les hrsies. Irne y affirme que le Fils existe depuis toujours avec le Pre116. L'vque

    de Lyon ne se sent pas contraint de rendre raison de cette assertion. Elle semble aller de soi,

    n'tre qu'une consquence du prologue de l'vangile de Jean qu'il accueille comme un

    donn de foi 117. Il apportera en revanche une rponse plus dveloppe la question de la

    prexistence du Fils de Dieu dans les chapitres 43 52 de la Dmonstration de la prdication

    apostolique :

    que tout d'abord il existe un Fils Dieu et que ce Fils est, non seulement avant qu'il n'appart dans le monde, mais mme avant que le monde ft, c'est ce que le premier avoir prophtis, savoir Mose, dit en ces termes hbraques : "Baresith bara Elovim basan benowan samenthars", ce qui se traduit : "Un Fils tait au commencement ; Dieu cra par la suite le ciel et la terre".118

    Nous ne nous attarderons pas sur la citation hbraque et sa translittration. Retenons qu'

    la suite de Justin, Irne s'appuie sur les prophties et les logophanies des critures

    anciennes pour dmontrer la prexistence du Fils. Mais, il ne se contente pas de cela. Sur la

    113 IRNE, AH II, 13, 8. 114 IRNE, AH III, 28, 6. 115 IRNE, AH III, 28, 3. 116 Voir IRNE, AH II, 25, 3 ; II, 30, 9 ; III, 18, 1 ; IV, 20, 3. 117 Voir IRNE, AH III, 11, 1. 118 IRNE, Dm. 43.

  • 131

    base de ces tmoignages vtro-testamentaires, il souligne encore, l'encontre des

    gnostiques, que ce Fils est Seigneur au mme titre que le Pre et que c'est ce mme Fils

    prexistant, annonc par les prophtes, qui est venu dans le monde. Il conclut :

    Donc le Pre est Seigneur, et le Fils est Seigneur ; et le Pre est Dieu et le Fils est Dieu, car ce qui est n de Dieu est Dieu. Et ainsi, si nous considrons son tre et sa puissance et son essence, un seul Dieu apparat ; par contre si nous considrons l'conomie de notre salut, il y a et le Fils et le Pre : car, le Pre de toutes choses tant invisible et inaccessible aux cratures, c'est par l'entremise du Fils qu'il faut qu'aient accs au Pre ceux qui doivent s'approcher de Dieu.119

    L'articulation entre l'unit et la pluralit divines n'est plus rendue par la doctrine des deux

    tats du Verbe. Irne explicite ce paradoxe de la foi chrtienne en distinguant Dieu dans

    son mystre essentiel et la manifestation de ce mystre dans l'histoire des hommes

    (l'conomie120) : Dieu est un en son essence mais dans le dploiement de l'histoire du salut

    il se rvle et Pre et Fils. Le Fils, s'il est issu du Pre, est pleinement Dieu. Il est le mdiateur

    entre Dieu et les hommes. Il n'est pas l'instrument, la crature du Pre, comme le croient les

    gnostiques, il est Christ et Seigneur, le Sauveur des croyants :

    Donc, que le Fils de Dieu, prexistant toute cration, est le Christ prsent au Pre et prsent aux hommes et Roi de tous car le Pre lui a soumis toutes choses , et le Sauveur de ceux qui croient en lui, c'est ce que montrent les critures de ce genre [les prophties]121

    b. L'unit du Christ

    Nous avons vu que les gnostiques divisaient le Christ en une multiplicit d'entits

    ayant chacune un rle spcifique : Ils confessent ainsi de bouche un seul Christ Jsus mais

    ils le divisent en pense 122. Irne, patiemment, dmontrera que Jsus et le Christ sont

    un seul et mme tre 123 de sorte qu'il deviendra vident, l'encontre des christologies

    dveloppes par les gnostiques, que c'est bien le Verbe de Dieu qui est le Monogne, le

    Sauveur et qui, devenu Fils de l'homme, a support lui-mme, par amour des hommes, la

    souffrance et la mort :

    Notre Seigneur est bien le seul vrai Matre ; il est vraiment bon, lui, le Fils de Dieu ; il a support la souffrance, lui, le Verbe de Dieu le Pre devenu Fils de l'homme. Car il a lutt et vaincu : d'une part, il tait homme, combattant pour ses pres et rachetant leur dsobissance par son obissance ; d'autre part, il a enchan le fort, libr les faibles et octroy le salut l'ouvrage par lui model, en dtruisant le pch. Car le Seigneur est compatissant et misricordieux et il aime le genre humain.124

    119 IRNE, Dm. 47. 120 Sur la notion d' conomie , voir J. FANTINO, La thologie dIrne, o. c., en particulier p. 85-126. 121 IRNE, Dm. 52 . 122 IRNE, AH III, 16, 1. 123 IRNE, AH I, 9, 3. Voir aussi AH III, 16, 7. 124 IRNE, AH III, 18, 6.

  • 132

    Pour montrer que le Christ est tout la fois un homme et le Fils de Dieu, Irne

    s'appuie sur une thorie qui dfendait de manire un peu dconcertante la justice de Dieu.

    La question est la suivante : Dieu peut-il profiter de sa supriorit de Crateur pour vaincre

    son adversaire qui est une crature. Non, rpondent un certain nombre de Pres car sinon

    Dieu faillirait sa justice. Irne est de ceux-l. En effet si ce n'tait pas un homme qui

    avait vaincu l'adversaire de l'homme, l'ennemi n'aurait pas t vaincu en toute justice. Il

    importe donc que le Christ soit un homme pour qu'advienne le salut. Mais par ailleurs si

    ce n'tait pas Dieu qui nous avait octroy le salut, nous ne l'aurions pas de manire stable .

    Il a donc fallu que le Mdiateur avec chacune des parties, les rament l'une et l'autre

    l'amiti et la concorde, en sorte que tout la fois Dieu accueillt l'homme et que l'homme

    s'offrt Dieu 125. Christ, nouvel Adam, assumera la premire partie de la mission en tant

    qu'il est un homme vritable :

    car de mme que par la dsobissance d'un seul homme qui fut le premier model partir d'une terre vierge, beaucoup ont t constitus pcheurs et ont perdu la vie, ainsi fallait-il que par l'obissance d'un seul homme qui est, le premier, n de la Vierge, beaucoup soient justifis et reoivent le salut.126

    Mais ce Christ est-il vritablement Fils de Dieu ? Beaucoup le contestent et affirment qu'il

    est simplement un homme engendr de Joseph. Irne rpond que

    ceux qui prtendent que Jsus n'est qu'un pur homme engendr de Joseph demeurent dans l'esclavage de l'antique dsobissance, n'ayant pas encore t mlangs au Verbe de Dieu le Pre et n'ayant pas eu part la libert qui nous vient par le Fils, selon ce qu'il dit lui-m