GIACOMETTI Un Aveugle Avance La Main Dans Le Vide Dans La Noir Dans La Nuit

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Pierre Antoine Villemaine . Giacometti, « Un aveugle avance la main dans le vide (dans le noir ? dans la nuit) » Giacometti, « Un aveugle avance la main dans le vide (dans le noir ? dans la nuit) »[1] « Du linge étendu, linge de corps et linge de maison, retenu par des pinces, pendait à une corde. » René Char[2] « Ce matin en me réveillant je vis ma serviette pour la première fois, une serviette sans poids dans une immobilité jamais aperçue et comme en suspens dans un eroyable silence. » Alberto Giacometti[3] L’un des objectifs du metteur en scène lors de la conception d’un spectacle est de trouver, d’inventer

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    Pierre Antoine Villemaine . Giacometti, Unaveugle avance la main dans le vide (dans lenoir ? dans la nuit)

    Giacometti, Un aveugle avance la main dans le vide (dans le noir ?dans la nuit) [1]

    Du linge tendu, linge de corps et linge de maison, retenu par des pinces, pendait une corde. Ren Char[2]

    Ce matin en me rveillant je vis ma serviette pour la premire fois, une serviette sans poids dansune immobilit jamais aperue et comme en suspens dans un eroyable silence. AlbertoGiacometti[3]

    Lun des objectifs du metteur en scne lors de la conception dun spectacle est de trouver, dinventer

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    le mot, lexpression, qui concentrera lhtrognit de son accs une uvre. Trouver le motifindiquant la direction, la tension principale qui orientera lapproche avec les acteurs, quidterminera lespace, le dcor et la lumire.

    Le motif de la suspension nous est apparu comme le mouvement qui anime souterrainement notrespectacle sur Giacometti. Cette suspension, nous lentendons essentiellement comme interruption,csure, syncope. Comme un arrt, une coupe dans le temps et lespace. La suspension est une trve,une pause, un ajournement, un dir. Suspendre son jugement, son savoir, son vouloir,interrompre momentanment le cours des choses, cest :

    1/ sinterroger sur ce qui nous semble tre une des conditions que requiert tout geste crateur, savoir la touche, qui, nous dit Didier Anzieu serait la premire phase de lacte crateur. Acte quasihallucinatoire qui est ouverture dun chaos, dun tat de saisissement, de lmoi, du risque et duvertige [4].

    2/ se donner la possibilit de sinterroger sur les modalits de sa propre approche. Comment ce quise prsente vient nous, comment cela arrive. Cest observer le mouvement de lapparatre et tenterde le porter la comprhension de ses propres possibilits.

    La suspension a un lieu : celui du milieu, de lintervalle, de linterstice, de lentredeux. Ce nest pas unlieu de repos mais un lieu de tension, un centre de suspension vibratoire crit Mallarm. Ltre ensuspend est celui qui est en attente, en rserve, en sourance, cest un tre non-encore achev, untre en devenir. Il est celui qui nest pas assur de la fermet dun sol et/ou dune langue. Le tempsde la suspension est celui du non encore clos, du non encore accompli, dun vnement qui nestpas assur de son avoir-lieu. Ltre en suspend est celui qui est sur le seuil. Ni dehors ni dedans.Entre la vie et la mort. Anim/inanim. Cest un survivant. tre suspendu, cest tre accroch, expos.Une suspension, cest aussi lamortisseur, le rebond, la souplesse.

    Lors dun entretien, le peintre Djamel Tatah dclare : La suspension, cest ce que je veux peindre.Cest ce rapport au temps que je veux induire dans le tableau. [] Il y a une ide intemporelle dansla suspension. Le temps circule. Cest de la prsence. Un tableau, cest la suspension silencieuse dunvnement [] cest lattente dune transformation, dun vnement .[5]

    *

    Aprs le spectacle sur Georges Bataille[6] qui tait une mditation sur limage et son drobement,mditation qui avait tourn essentiellement autour du point, cet objet sans vrit objective , queBataille assimile au sourire de ltre aim , nous avions le dsir de creuser plus encore ce quil entait de lexposition de lacteur sur un plateau ; daner notre questionnement et sa mise en uvresur les transformations, mutations, dgurations et mtamorphoses dun corps expos aux regards.De prciser cette suspension de lacteur qui sapproche et se retire dans son tranget de par

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    linsistance dun regard qui se dpose sur lui ; comment sopre le glissement dun tre vivant uneimage, comment il navigue de labsence la prsence ; comment enn une gure apparat depuis lechamp de sa disparition.

    A loccasion dune communication, nous crivions[7] : Voir un corps. Un corps qui devient image ;une prsence qui se mtamorphose. Un vivant devient objet pour un regard. Non que la forme sedfasse, mais une autre enveloppe apparat. Un autre corps sextrait du premier. Pas tout fait unautre. Pas tout fait le mme. Un autre qui nest pas une simple duplication. Qui lui ressemblecependant, qui a un air de famille. Et qui se trouve ct lui ? Non, plutt sorti de lui, maintenant lerapport : ils sont issus du mme tronc commun. Cet autre ne se dtache pas vraiment du premier. Ilse marque dans mon il tel un calque, une rplique, une preuve. Il sache trs lgrement enavant de lui, comme sil se prcdait. Un cart inme les spare. Un mince dcalage. (un ventail, unfeuillet, un escalier, un pli.) Ils sont si proches. Limage vacille. Elle tremble, se dissocie, se disjoint.Limage vibre. Processus de double vue ? Une double vue qui sopposerait la claire voyance de monpremier coup dil ? En tout cas loriginal semble maintenant accompagn dune doublureimmatrielle, fantomatique.

    Le plus frappant lors ce glissement serait ce sentiment que ce qui est devant nous se retire, sloigneet, dans le mme temps, vient nous, ou plus prcisment revient vers nous, pouss vers lavant,travers par une force qui ne vient pas seulement de lui mais dune puissance qui le dpasse. Je levois maintenant trs nettement. Presque trop nettement. Je suis impressionn par la sret de ladcoupe, la prcision incroyable des contours, la clart anormale de la silhouette qui se dtache.Cette nettet bouleverse. Celui qui se prpare lire mapparat telle une image dcoupe dans dupapier, un tre de surface, dune planitude sans profondeur. La vision est dune prcisiondformante. Ralisme magique. Apparition hyperraliste. Ce que je vois nest plus ce que je voyais ily a un instant. Ma perception shallucine. Je suis frapp maintenant par lindtermination de cettedcoupe : la limite se fait poreuse entre le corps et lespace, cette limite nest plus si assure, lescontours se brouillent ; il ny a plus de dmarcation nette entre le monde extrieur et le corps. Lesbords se font bordure. Lhomme semble fait de la mme substance que ce qui lentoure. Lesentiment quil svanouit, quil se dissipe, quil va disparatre. Cest un adieu. Il transparat, semblesenfoncer, se dfaire dans lespace. Et lorsquil revient nous, renaissent des points dombre, descourbures, des plans, des reliefs : le volume rapparat. Voir ce corps. Du coup dil au regard. Monregard nest plus tranquillement pos sur un objet sr, constant, disposition. Ce nest plus le regardqui sy connat, qui on ne la fait pas, qui reconnat sans voir. Dsormais il est atteint, bouscul parlquivoque de cette prsence qui nappartient aucun prsent, dtruit mme le prsent o elle semble seproduire.[8]

    Cette instabilit, cette plasticit des corps et des visages, cette suspension du temps et de lespacesont au cur de lexprience que nous transmet Giacometti dans son uvre silencieuse aussi bienque dans ses crits. Cette uvre nous invite une attention plus aigu lespace, aux corps, laprsence, composants essentiels du thtre. Ces crits se prsentent avant tout comme letmoignage dun regard la poursuite du rel. Nous avons convi les spectateurs faire uneexprience dun regard qui soit semblable celle du peintre. Il sagissait de mettre en place undispositif qui produirait sur le plateau une image inquite, tremble, vacillante et une prsence

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    humaine fragile et rayonnante, forte de sa fragilit mme.

    *

    On sait ce quest une tte ! On se souvient de ces mots que Breton lance Giacometti lors de larupture de ce dernier avec le surralisme. Ce sont en eet les ttes qui animent Giacometti et plusencore, cest le regard : Un jour, alors que je voulais dessiner une jeune lle, quelque chose mafrapp, cest--dire que, tout dun coup, jai vu que la seule chose qui restait vivante, ctait le regard.Le reste, la tte qui se transformait en crne, devenait peu prs lquivalent du crne du mort. Cequi faisait la dirence entre le mort et la personne ctait son regard. Alors je me suis demand etjy ai pens depuis si, au fond, il ny aurait pas intrt sculpter un crne de mort.[9] On a lavolont de sculpter un vivant, mais dans le vivant il ny a pas de doute, ce qui le fait vivant, cest sonregard. [10]

    A propos des portraits quil ralise, Antonin Artaud parle, lui, dune qute perdue du visage : Lestraits du visage, crit-il, nont pas encore trouv la forme quils indiquent et dsignent, et ne fontquesquisser [] Ce qui veut dire que le visage na pas encore trouv sa face [] cest au peintre de lalui donner. [11] Ou encore : Depuis mille et mille ans en eet que le visage humain parle etrespire, on a encore comme limpression quil na pas encore commenc dire ce quil est et ce quilsait. [12]

    Ce sera donc cette qute perdue, cette interrogation assidue du visage humain que poursuivraGiacometti aprs sa rupture avec Breton. Sil narrive pas retenir ce quil voit, cest que, dit-il : Lesttes des personnages ne sont que mouvement perptuel du dedans, du dehors, elles se refondsans arrt, leur ct transparent. [] Elles sont une masse en mouvement, allure, forme changeanteet jamais tout fait saisissable .[13] Certes, comme le note Didi-Huberman, Giacometti dans sespropos rejoue, comme trop souvent, ce topos de la littrature artistique en quoi nousreconnaissons les qutes passionnes , les checs sublimes et les miracles dont tantdartistes, rels ou mythiques, furent crdits, depuis le Grec Apelle jusquau Frenhofer de Balzac,depuis Lonard jusqu Czanne, de qui Giacometti voulait clairement prolonger, rincarner, lalgendaire inquitude .[14] Il nempche : Lapparition parfois, je crois que je vais lattraper, etpuis, je la reperds, et il faut recommencer .[15] Giacometti sent que ce quil ralise le trahit, ngalepas sa vision. Mais ne serait-ce pas tant lincapacit du peintre raliser ce quil voit, (ce quil dclarejusqu exasprer ses proches), mais, plus prcisment, parce que le propre du corps est depouvoir tre autre que ce quon voit comme lcrit Artaud ?[16] Ce ne serait donc pas tant uneincomptence quune impossible saisie de ltre. Cest que le visage se drobe labsoluetransparence du peru. Le tourment de Giacometti est cet eort qui se heurte linvisibilit qui seloge au cur mme du visible, qui lui est coalescente. cette prsence qui sore en se retirant.Cest cette dicult mme de la prsentation laquelle il saronte, et qui le meut. : Au cur, auplus intime du fait mme de prsenter, crit Philippe Lacoue-Labarthe, dans une manire (celarelve en eet du style) de faire paratre linapparaissant qui sous-tend, ou plus exactement qui seretire et se referme dans la prsentation mme..[17] Ce que nous voyons npuise pas la prsence. Elle se donne en son retrait, de sorte quelle doit tre retrace sans n. Cette impossible capture deltre, son drobement exaspre le dsir. Ce qui arrive est linsatiable dsir de ce qui narrive pas

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    crit Bataille.[18] Ce drobement est la condition de luvre, son preuve, la longue marche ditGiacometti.

    Ce que Giacometti sculpte, cest la Distance .[19]

    La mise place du modle pour le portrait chez Giacometti obit une ordonnance extrmementprcise. Il sagit de trouver la juste distance, la bonne orientation. Cest ce que rapporte James Lord : En n de compte, il mit son chevalet en place et posa auprs un petit tabouret dont il ajustasoigneusement les pieds de devant deux marques rouges peintes sur le ciment de latelier. Il yavait des marques semblables destines aux pieds de devant de la chaise du modle, quil minvita mettre en place avec une gale prcision. [] Il tait assis de telle sorte que sa tte se trouvait unmtre vingt-cinq ou un mtre cinquante de la mienne et me regardait quarante-cinq degrs parrapport la toile place juste devant lui. Il ne mindiqua aucune pose prendre, mais il me demandade le regarder en face, la tte droite, les yeux dans les yeux [20] La distance permet de contrlerles dimensions du modle. Il faut que celui-ci ne soit ni trop proche, car alors la forme se perdrait auprot du dtail, dans des micro-perceptions et le corps deviendrait un paysage chaotique, ni troploin car alors napparatrait quune silhouette. [21]

    Dans la mise en place du modle, il importe que le corps se dtache dun fond qui maintienne ladistance de la reconnaissance. On ne retrouve pas chez Giacometti les grands aplats chers Bacon.La gure chez Giacometti semble surgir dun fond immmorial, originaire. Elle en provient, elle senextirpe. Elle lui reste lie, profondment ancre. Ce fond dailleurs transparat sur le corpstranslucide du modle, sauf bien entendu sur le visage qui retient, concentre toute la tension duportrait. Comme si une partie du corps tait nglige au prot exclusif du regard, ce qui, par ailleurs,sinscrit dans toute la tradition du portrait. Dans les portraits de Giacometti, surtout ceux de ladernire priode, le fond est peine esquiss, crit Dupin, ou trac avec la plus grandeinsouciance. Lindirenciation des fonds souligne lisolement du sujet et manifeste cette prsencedu vide autour des tres et des choses. [] Le fond est savamment abandonn lui-mme ; gris etinforme, la fois sale et lumineux. [22] Ces fonds recueillent la mmoire de la venue du tableau. Ony pressent en eet les premiers essais, les recouvrements des premires gures, les repentirs. Unedchirure du fond, une sorte de halo dun gris plus clair borde le haut du corps, hauteur despaules. Ces auroles qui entourent la tte sont comme la trace dun eacement dune autre versiondu portrait. Elles rappellent galement les icnes byzantines. Ce sont les rapports du fond et de lagure qui gnrent le sentiment de la profondeur. Moi je pense que Czanne a cherch laprofondeur toute sa vie dclare Giacometti. Il suivra le mme chemin. Cette profondeur, cetteouverture de lespace que Giacometti associe un silence est essentielle : Javais tout dun coupconscience de la profondeur dans laquelle nous baignons tous, et quon ne remarque pas parcequon y est habitu. La profondeur mtamorphosait les gens, les arbres, les objets. Il y avait unsilence extraordinaire, presque angoissant. Car le sentiment de la profondeur engendre le silence,noie les objets dans le silence.[23]

    La distance, ou plutt le sentiment de la distance, qui distribue les dimensions est aecte chez

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    Giacometti. Lui, il veut peindre ce quil voit, tout simplement. Et voila que les tres et les objets sertrcissent vertigineusement sur sa toile. Cest ce quil rapporte dune sance de travail avec sonpre : Et moi jai dessin une fois dans son atelier javais 18-19 ans des poires qui taient surune table la distance normale dune nature morte. Et les poires devenaient toujours minuscules. Jerecommenais, elles redevenaient toujours exactement la mme taille. Mon pre agac, adit : Mais commence les faire comme elles sont, comme tu les vois ! Et il les a corriges. Jaiessay de les faire comme a et puis, malgr moi jai gomm, jai gomm et elles redevenues unedemie-heure aprs, exactement au millimtre, de la mme taille que les premires. [24] Il rapportegalement qu une priode de sa vie, lensemble de ses sculptures tenait dans une botedallumette ! Ces gurines, il les a sculptes tout simplement comme il les a vues, cest--dire:inniment distantes, environnes de vide.

    Dans le geste de peindre, dans le temps mme de lexcution, la distance se modie en permanenceet le peintre saronte au chaos, au dferlement. Il se bat avec un grouillement de couleurs, de traits,de taches. Il se retrouve bientt face une muraille de peinture. Il se noie dans cette confusion.Giacometti senfonce dans le visage du modle. Il semble trop proche de la matrialit de lapeinture, trop proche du jet. Il semble sgarer hors de la composition et perdre la structure.[25] Etpourtant, crit Deleuze, ce sont ces petites perceptions obscures, confuses, qui composent nosmacroperceptions, nos aperceptions conscientes, claires et distinctes : jamais une perceptionconsciente narriverait si elle nintgrait un ensemble inni de petites perceptions qui dsquilibrentla macroperception prcdente et prparent la suivante. [26] Ainsi, lorsque le spectateur sloignesusamment de la toile, lorsquil prend le recul ncessaire, trouve la juste distance, alors lacomposition apparat avec une force incomparable. Cest ce que rapporte Genet propos de sonpropre portrait quest en train dexcuter Giacometti : Le portrait mapparat dabord comme unenchevtrement de lignes courbes, virgules, cercles ferms traverss dune scante, plutt roses,gris ou noirs un trange vert sy mle aussi enchevtrement trs dlicat quil tait en train de faire,o sans doute il se perdait. Mais jai lide de sortir le tableau dans la cour : le rsultat est erayant. mesure que je mloigne (jirai jusqu ouvrir la porte de la cour, sortir dans la rue, reculant vingt ouvingt-cinq mtres) le visage, avec tout son model mapparat, simpose selon ce phnomne djdcrit et propre aux gures de Giacometti vient ma rencontre, fond sur moi et se re-prcipitedans la toile do il partait, devient dune prsence, dune ralit et dun relief terribles. [27]

    La mise en place de la pose est une mise en scne qui dnit une aire de jeu pour un regardhallucin. Cest que le regard port aux tres par Giacometti rend compte dun double mouvement :un va et vient du rel vers luvre et de luvre vers le rel. Cest que pour complter laperception, note Merleau-Ponty, les souvenirs ont besoin dtre rendu possibles par la physionomiedes donnes. Avant tout apport de mmoire, ce qui est vu doit prsentement sorganiser de manire morir un tableau o je puisse reconnatre mes expriences antrieures .[28] Cela signie quelexprience valide, vrie la vision attendue, souhaite. La vision cherche et trouve sa conrmation.Giacometti retrouve ainsi dans chacun de ses portraits une motion initiale qui informe son regard.(Est-ce pour cela que les portraits se ressemblent ? Plus cest vous, plus vous devenez nimportequi , dclare-t-il.[29]) Sa ralit, ce quil peroit, est transgure. Ds lors luvre se prsentecomme le rappel, la commmoration dun vnement. Giacometti se lance la poursuite dun objetperdu, la recherche dun lieu, dune aire de jeu pour cet vnement. Comme lenfant, il joue et

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    rejoue avec la dimension de labsence. Ce jeu est fragile, incertain, risqu, mais aussi source de miseen mouvement, source de toute transformation et de jouissance. Le jeu cre la fte de la mort,crit Pierre Fdida, [], le jeu claire le deuil : il en eectue le sens cach. [30] propos du jeu delenfant, Winnicott note que cette prcarit du jeu vient de ce quil se situe toujours sur une lignethorique entre le subjectif et lobjectivement peru et que cette aire de jeu o lon joue nest pasla ralit psychique interne. Elle est en dehors de lindividu, mais elle nappartient pas non plus aumonde extrieur [31]. Cette aire se situe dans lentredeux, en suspens. Une motion cele dans lepass serait donc le point aveugle que Giacometti ressasse, dploie linni dans son uvre ; unemotion originaire quil ractualiserait sans cesse, dont lorigine ne serait pas historique maishors du temps. Lorigine, crit Didi-Huberman, nest pas seulement ce qui a lieu une fois et nauraplus jamais lieu. Cest tout aussi bien et mme plus exactement comme ce qui au prsent nousrevient comme de trs loin, nous touche au plus intime, et tel un travail insistant du retour, maisimprvisible, qui viendrait dlivrer son signe et son symptme .[32]

    Luvre est ainsi laire de jeu o Giacometti renoue et rejoue avec labsence. Ce jeu est risqu critWinnicott, car il faut admettre que le jeu est toujours mme de se muer en quelque chosederayant. Et lon peut tenir les jeux (game) avec ce quils comportent dorganis, comme unetentative de tenir distance laspect erayant du jeu (play) (La langue anglaise possde deux motspour dire le jeu : game est le jeu qui obit des rgles dtermines, prcises, qui donc dnissent uncadre, des limites, loppos de play qui est le jeu qui se dploie librement, qui souvre laventure.)

    Giacometti hallucine le visage quil peroit. On notera que le mot allemand Gesicht signie la foisvisage et vision. La commotion revient, se reprsente. Ce choc, Giacometti le rappelle avec insistancedans de multiples variantes, dont celle-ci : Quand pour la premire fois japerus clairement la tteque je regardais se ger, simmobiliser dans linstant, dnitivement. Je tremblai de terreur commejamais encore dans ma vie une sueur froide courut dans mon dos. Ce ntait plus une tte vivante,mais un objet que je regardais comme nimporte quel autre objet, mais non, autrement, non pascomme nimporte quel objet, mais comme quelque chose de vif et mort simultanment. Je poussaiun cri de terreur comme si je venais de franchir un seuil, comme si jentrais dans un inonde encorejamais vu. [33]

    Ce nest donc pas une distance mesurable que sculpte Giacometti, mais une distance motionnelle,une distance prouve. Cette distance est celle quinstaure la prsence mme du modle. Cettedistance, crit Maurice Blanchot, nest en rien distincte de la prsence laquelle elle appartient, demme quelle appartient cet absolu distant quest autrui, au point que lon pourrait dire que ce queGiacometti sculpte, cest la Distance, nous la livrant et nous livrant elle, distance mouvante etrigide, menaante et accueillante, tolrante-intolrante, et telle quelle nous est donne chaque foispour toujours et chaque fois sabme en un instant: distance qui est la profondeur mme de laprsence, laquelle, tant toute manifeste, rduite sa surface, semble sans intriorit, pourtantinviolable, parce ce que identique linni du Dehors. [34] Distance inniment uctuante, jamaisassure. Le modle apparat comme proche et distant la fois, distant dans sa proximit mme,immerg dans une ralit sans mesure.

    Cette prsence apparat Giacometti dans une suspension du mouvement, comme un surgissement

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    de rel. Ltre vu est isol, spar, absolument. Il lui est donn comme une suite de dinstants, unenchanement saccad dimages, comme le dlement syncop dun diaporama plus que dans lacontinuit rythmique dun lm. Tous les vivants taient morts, et cette vision se rpta souventdans le mtro, dans la rue, clans le restaurant, devant mes amis. Ce garon de chez Lipp quisimmobilisait, pench sur moi, la bouche ouverte, sans aucun rapport avec le moment prcdent, avecle moment suivant, la bouche ouverte, les yeux gs dans une immobilit absolue. [35]

    Les portraits de Caroline

    Freud rappelle que limpression optique reste le chemin par lequel lexcitation libidinale est le plusfrquemment veille Le regard est dsir, il est semblable la caresse dont parle Levinas, caresse,crit-il qui consiste ne se saisir de rien, solliciter ce qui schappe sans cesse de sa forme versun avenir jamais assez avenir solliciter ce qui se drobe comme sil ntait pas encore. Ellecherche, elle fouille. Ce nest pas une intentionnalit de dvoilement, mais de recherche : marche linvisible. [36]

    Dans la dernire partie de son uvre Giacometti ne soccupera pratiquement plus que de troismodles : ses proches, savoir sa femme Annette, son frre Diego et enn Caroline, jeune femmerencontre dans les bars de Montparnasse.[37] Avec cette dernire, la pulsion scopique sera porte son comble. Cest toute une rotique du regard qui va se jouer entre eux. Regarder, cest exhiberson regard. (Tertullien) Ainsi chacun va tour tour voir et tre vu. Si modle et le peintre tendent fonder une entit unique, voire une fusion, remarquaient Lord et Genet, cette fusion trouvera enCaroline son point dexcs. Plus de cinq ans au total de fascination rciproque, crit Bonnefoy. Cettepassion voque la passion bataillienne. La passion de ce narrateur absorb par une intrigue deterreur, de mort et de dsir pour Madame Edwarda, avide de son secret, crit Bataille, sans douterun instant que la mort rgnt en elle. [38] Comment ne pas citer ces mots : Elle me vit : de sonregard, ce moment-l, je sus quil revenait de limpossible et je vis, au fond delle, une xitvertigineuse [] Lamour, dans ses yeux tait mort, un froid daurore en manait, une transparenceo je lisais la mort.[39] Caroline dclara un jour Jtais sa dmesure. [40] Avec elle, Giacometti vatraverser lpreuve de lexcs de la prsence et de lexcs dabsence. preuve de passage de lultramatrialit dun corps, dune prsence exorbitante [41], une dmatrialisation de cecorps qui sloigne, qui se retire jusqu devenir une gure du sacr. Sacr dont Jean-Luc Nancy parleprcisment en termes dloignement : Ce divin ou ce sacr nest autre chose quelloignement et le creusement travers lequel se fait le contact avec lintime : travers lequel sedclare la passion de son in/extriorit innie passion de sourance et passion de dsir. Cestlcartement ncessaire la communication de soi. En ce sens tout portrait est sacr (autant diredailleurs secret .)[42] Cest que la relation de dsir nous place dans un face face avec quelquun

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    qui tout la fois est une personne et une non personne.

    Les premiers portraits de Caroline sont semblables ceux que Giacometti ralise de sa femme et deson frre. Ils se dpersonnalisent, tendent vers lanonymat. Le regard se lance, il se jette en avant de cette face quon dirait porteuse dyeux. [43] Ce regard semble surgir de trs loin, du fond dunebote noire. Sur ces premiers portraits, nous discernons les yeux de Caroline. Ils sont dune xitcadavrique, comme vitris. Ils touchent, atteignent, percent le regardeur avec la violence inouedune che, dune pointe (punctum). Cest un regard impersonnel, un regard ptri qui ptrie son tour celui qui le croise. Cest le regard de la Mduse, de cette Mduse qui est la jouissance parle regard ce que les Sirnes sont la jouissance par la voix. Le regard, sil insiste est virtuellementfou, crit Roland Barthes dans La chambre claire, il est la fois eet de vrit et eet de folie. [44] Lepeintre est celui qui mduse le modle, le paralyse, le ge, limmobilise sur la toile, mais qui est saisi,mdus son tour. Tout tableau est une tte de Mduse, dit Le Caravage. On peut vaincre laterreur par limage de la terreur. Tout peintre est Perse . Au fur et mesure des portraits, les yeuxde Caroline disparaissaient pour faire place un trou noir. Plus de lueur, plus de reet dune lumiredu monde extrieur dans la pupille, plus dclat, plus dmail du regard. (Barthes) Liris des yeuxsestompe, les couleurs disparaissent. Reste un point dintensit. Un point qui serait situ derrireles yeux, comme un regard derrire le regard et qui lanimerait. Un point intrieur qui nousregarde travers les yeux crit Giacometti.[45] Le noir de la pupille a envahi tout son champ devision.[46] Ce regard est semblable au trou noir des physiciens, cette rgion de lespace qui est dotedun champ gravitationnel si intense quaucun rayonnement ne peut sen chapper, o la densit,inniment compresse en un point, o tous les objets clestes proches, inexorablement attirs, syengourent et ne peuvent jamais en ressortir. Le regard de Giacometti est aspir, englouti, dfaitpar la densit ce noir. Les yeux de Caroline se sont retirs pour faire place une absence de regard.Non, pas tout fait une absence de regard, ni le regard dune absente, mais le regard mme delabsence.[47] Cest ce regard de labsence que Giacometti soutient de toutes ses forces, au risque dedfaillir. Le visage est devenu un conte de terreur. (Deleuze) Une tte, un crne. Le visage toutentier est devenu regard. Dsormais Giacometti se heurte au goure insondable de la face. (Artaud) Il fait face lanonyme, ce quil y a inhumain dans lhomme, son visagebunker,dvisagi.[48] Le visage humain porte en eet une espce de mort perptuelle sur son visage crit Artaud, la face humaine telle quelle est se cherche encore avec deux yeux, un nez, unebouche et les deux cavits auriculaires qui rpondent aux trous des orbites comme les quatreouvertures du caveau de la prochaine mort. [49] Rappelons-nous la mouche du rcit Le rve, leSphinx et la mort de T. : A ce moment-l, une mouche sapprocha du trou noir de la bouche etlentement y disparut. [50] Cette mouche est comme un appel du dedans, une invitation pntrer lintrieur du crne, lintrieur de la caverne quest le crne. Le regard dsire lintrieur du corps,dsire pntrer dans le lieu du secret, dans la crypte, dans le creuset crit Derrida propos desdessins dArtaud.[51] Un regard pntrant donc, par la bouche, par les orbites et qui explorerait lescreux, les cavits, qui parcourrait la cave dun corps devenu caveau. Giacometti, tel Artaud creusantlnigme du visage humain, cherche alors son lieu dans une cavit. Comme lui, insistant sur les trousdu visage, il rencontre le vide de lorice, le chaos, le khaein, la bance abyssale du visage enlouverture de tous ses trous, de sa bouche de vrit, de ses yeux creuss.[52] (Derrida) Dans cettecavit, il vient se lover, il vient y perdre les limites de son corps, vient sy fondre et sy confondre.Dans Hier, sables mouvants, Giacometti nous rapporte sous la forme dun rcit vraisemblable, la

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    dcouverte enfantine dune grotte prs dun monolithe dune couleur dore, souvrant la base surune caverne : tout le dessous tait creux, leau avait fait ce travail [] L, jessayais de creuser un troujuste assez grand pour y pntrer [] Une fois l, je mimaginais cet endroit trs chaud et noir ; jecroyais devoir prouver une grande joie. [53] Il construit donc un vide pour venir lhabiter. Un creuxo vient sjourner le corps. Pour y jouer et jouir. Il rejoint ainsi la matrice originaire laquelle ilsidentie. Comme sil avait retrouv un lieu de vrit. Sy perdant, sy abandonnant, il devientlespace environnant, il devient le vide mme.

    Lune des oeuvres les plus frappantes de cette identication de Giacometti avec le vide estcertainement Lobjet invisible (Mains tenant le vide) qui date de 1934. Statue au corps de femme,dote dun visage animal et dont les longues mains presque jointes, enclosent et maintiennent uneplace vacante. Bonnefoy tablit un rapprochement avec La Madone entoure danges, tempera surpanneau de Cimabue que Giacometti apprciait tout particulirement. Cette Madone prsente demme des doigts trs minces, els qui enserrent lenfant Jsus. Avec prudence, devant cetteoeuvre si clairement oedipienne , Bonnefoy avance : Postuler lenfant dans ces mains, lepercevoir comme le ls absent et prsent qui donnerait sens au fantasme, est moins une rverie, mon sens, quapprocher la vrit de luvre. [54] Je rappelle, poursuit-il, que La femme cuillre, dequelques annes antrieures, nous tait paru gravide, mais dun enfant qui lui aussi tait un vide,un nant tout autant quune prsence .

    Ce que voit Giacometti en Caroline le consume. Son dsir exacerb est semblable celui duchasseur Acton. Acton dsire Diane, la chasseresse court vtu . Post dans les fourrs, ilsurprend nue la desse prenant son bain, entoure de ses suivantes. Diane laperoit. Alors, ellepuisa de leau et inonda le visage du jeune homme [] et elle ajouta Et maintenant, libre toidaller raconter, si tu le peux, que tu mas vu sans le voile ! [55] Le voyeur est perc par lobjet deson regard. Lexcs du voir et du savoir (Oedipe, Tirsias) est condamn par les grecs qui y voient ldmesure. La prtention de saisir la vrit nue, sans voile, mne lblouissement, la folie, lamort par mise en pices du corps, dmembrement, dispersion ou dvoration.

    La Pointe lil (1931), est une uvre tout fait exemplaire de cette intrication de jeu, de dsir etde violence. Elle est limage mme du regard acr, aiguis, pntrant de Giacometti. Cette oeuvre ala dimension dun jeu de socit. Un socle de bois rectangulaire est creus en son pourtour dunerigole qui dessine un circuit. lune des extrmits de ce socle, une tte de trs petite dimensionge par un clou et, lui faisant face, un stylet une longue lame ele xe galement sur unecourte tige dacier. Cette pointe, frle les yeux du visage, elle est sur le point de senfoncer dans lil,de crever les yeux. Une suite de photographies en noir et blanc de Man Ray qui se joue de lombreporte du stylet, renforce cette impression de culte froid et glac de mise mort. Il y a chezGiacometti une cruaut luvre.[56] Ce que rappelle Jacques Dupin : Il y a, il y avait surtout, chezGiacometti, un instinct de cruaut, un besoin de destruction qui conditionnent troitement sonactivit cratrice. []. Le spectacle de la violence le fascine et le terrie. Nagure, avec des personnesde rencontres ou des amis, surtout des femmes, il ne pouvait sempcher dimaginer comment lestuer [57]. Ce qui nous dit clairement La Pointe lil, cest que, dune part, le regard est dsir etprofanation et, dautre part, que regarder intensment mne laveuglement. Par son excs, lepeintre perd son modle et il se perd lui-mme. Il fera dsormais lexprience de la nuit. Une fois

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    encore, Giacometti nous semble proche de Lexprience intrieure de Bataille qui crit Ce qui setrouve alors dans lobscurit profonde est un pre dsir de voir quand, devant ce dsir, tout sedrobe. [58] Ces mots pourraient concentrer lexprience de Giacometti avec Caroline. Se perdre etperdre luvre. Et si laveuglement tait une des conditions quexigeait luvre ? Rappelons ces motsde Didier Anzieu : Devenir crateur, cest laisser se produire, au moment opportun dune criseintrieure (mais ce moment, toujours risqu, ne sera reconnu opportun quaprs coup), unedissociation ou une rgression du Moi, partielles, brusques et profondes : cest ltat desaisissement. [59]

    *

    Cest une suspension, cest Elle.

    En face dune suspension, il dit : Cest une suspension, cest Elle. Et rien de plus. Et cetteconstatation soudaine illumine le peintre. La suspension. Sur le papier elle sera, dans sa plus navenudit. Jean Genet[60]

    Mais la comdienne nest pas le modle du peintre, elle nest pas ge sur une toile inanime. Elleparle ! Et de mme que le regard, la parole scrute et fouille le visible. La parole dirige la vue, elle faitvoir, fait arriver, fait apparatre. Avec prcision, les mots de Giacometti vont sculpter ce visage de lacomdienne expos aux regards. Le spectateur est suspendu aux lvres de lactrice. Ce quilcontemple (car il sagit bien dinstaurer une contemplation, une contemplation visuelle et auditive)est trac par les mots quelle prononce. Sa perception est guide, sa vision modele par la parole.Les mots de Giacometti voquent, suggrent, rappellent, font entrevoir. Ils dirigent lattention duspectateur, la focalise. Sil ny avait pas de mots, juste une prsence muette sur le devant de la scne,la tension se dissiperait rapidement et rien se manifesterait. Le visible est ainsi ctionnalis par lediscours. Les mots que profre la comdienne orientent les regards ports sur son corps, ce sontdes caresses ou des coups dont elle peroit la touche. Le spectateur entre ainsi en travail. Ce quilperoit oscille dans lentre-deux du voir et de lentendre. couter quelquun, entendre sa voix, exigede la part de celui qui coute, une attention ouverte lentre-deux du corps et du discours et qui nese crispe ni sur limpression de la voix [ou du corps] ni sur lexpression du discours. (Denis Vasse)[61] La voix fminine qui emprunte le je de Giacometti renforce cette oscillation. Le choix dunefemme pour interprter ces crits est essentiel. Il cre un cart entre ce que le spectateur voit et cequil entend. Cette inadquation met son coute et sa vision en veil, en alerte. Si un homme disait,jouait les mots de Giacometti peut-tre qu la limite, on ne le verrait mme pas. Nous verrionsquelquun qui joue () Giacometti, cest--dire quil apparatrait comme signe mime dunpersonnage quand bien mme sil sen distancierait. Ce nest pas notre propos. Ce que nous

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    cherchons, ce nest pas la production dune image, reconnaissable, identiable, mais plusexactement lexposition dune prsence qui chapperait de justesse au signe.

    Le dploiement de la parole opre galement un ralentissement, une longation du temps. Cedploiement ouvre le temps de lattention. Il cre un temps suspendu, celui de la contemplation. Letemps aecte le regard. Cette contemplation nest pas passivit, mais rception active : la chose vuenest pas donne une fois pour toute, elle est labile, mallable. Une image faisant signe, indiqueraitune direction, qui dsignerait mais dont le sens resterait produire. Une image qui montrerait, quine dmontrerait pas. Cette contemplation serait analogue lcoute ottante de Freud.Contemplation ottante donc, qui ntablirait pas une hirarchisation des donnes, qui netrancherait pas immdiatement, ne conclurait pas de suite. Cette contemplation cre un regard actif.Le spectateur est invit devenir co-crateur de ce quil voit. Il ne sagit pas de comprendre mais derecevoir, daccueillir et dlaborer. Le visage de la comdienne ne se prsente pas en eet comme unsigne interprter, il ne supporte pas une signication. Il nest le pas le support dune ide, duneintelligibilit. Il est cet essentiellement cach [qui] se jette vers la lumire, sans devenirsignication. [62] Lapparition de lautre nest pas un vnement de la connaissance, mais unvnement du sentiment. Il ne signie pas autre chose que ce quil est. Le messager est lemessage dit Levinas. Lautre nannonce aucun sens, il est lannonce, cest--dire le non-sens, levisage dautrui est sa manire de signier. [63]

    Donc la comdienne est assise lavant scne sur une chaise, trs proche du public. Le regard duspectateur simmobilise sur son visage dans un long plan xe. Pas daction, si ce nest le dploiementde la parole. Dans ce plan xe, le corps vu est la fois objet et sujet, vif et mort la fois (Giacometti). Dans le portrait du peintre, cest la gure inanime qui nous regarde comme un trevivant. Quant au modle et la comdienne, lopration est inverse : pris dans limage, cest levivant qui est vu comme une chose. Ds lors, elle est une prsence en suspend, prise dans unentrelacs danim et dinanim. Dans les deux cas, il sagit dun change, de la rencontre avec unregard. Que cet change soit eectif (la touche directe) ou seulement pressenti (le regard adress,tourn vers), cest le sentiment de se sentir regard qui nous retient. Et ce sentiment, cestprcisment lexprience de laura dont parle Walter Benjamin : Car il nest point de regard quinattende une rponse de ltre auquel il sadresse. Que cette attente soit comble (par une pense,par un eort volontaire dattention, tout aussi bien que par un regard au sens troit du terme),lexprience de laura connat alors sa plnitude. [Elle] repose donc sur le transfert, au niveau desrapports entre linanim ou la nature et lhomme, dune forme de raction courante dans lasocit humaine. Ds quon est ou quon se croit regard, on lve les yeux. Sentir laura dunechose, cest lui confrer le pouvoir de lever les yeux. [64] Interpell, celui qui se croyait en scuritdans la pnombre de la salle est contact, saisit, pris dans un face face. Face face qui est untoucher distance. Celui qui est l, devant moi, mon semblable, ce lui qui est vu soudain me regarde. Apparition incertaine dit Giacometti. Apparition interrogative crira Sartre.

    Le spectateur se fait alors voyeur, voyant. Linconnu, cest ce qui est jet l devant lui, ici etmaintenant, en pleine lumire. Prsence troublante, que rien ne cache, qui sore nous et qui nepeut tre saisi. Tout est ici dcouvert, il ny a rien derrire et cela nous reste opaque. Cetteexposition est sans mystre, sans dramatisation, sans pathos, dune simplicit sans mesure. Ce nest

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    pas un corps mystrique : ce corps est lvident, le manifeste secret de ltre, le mystre de sa clartmme.

    Giacometti najoute pas, il retire de la matire ses sculptures, il abstrait de la terre jusqu linstantcritique o la statue est proche de leondrement, jusqu que cela ne tienne qu un l. Cettetension vers lpure est excs. Excs de simplicit et de nudit. Excs que nous devons transposersur la scne. Que lextrme simplicit recherche ne devienne pas synonyme daustrit. Si lacomdienne bouge peu et la pose en eet est inniment sobre elle ne se ge pas. Cest dire que son immobile est un actif agissant. (Artaud) Elle est en arrt, ce qui ne veut pas dire en repos. Lapuissance du combat saccomplit dans le silence de toute action. (Bataille)[65] Elle est en arrt,comme lanimal est aux aguets. Son immobilit est un mouvement sur place, sans dplacement, quiagit par vibration et rayonnement, irradiation. Elle est en vigilance. Son calme provient de soncoute attentive de la profondeur silencieuse de lespace. La dicult consiste prserver la vitalit,la force armative et la lgret de lesquisse au sein mme de lpure. On se souvient queGiacometti disait envier la grce arienne de Miro.

    Dans Le rve, le Sphinx et la mort de T., texte souvent cit ici, Giacometti nous rvle lexprience lechoc, la commotion , une troue dans la vie crit-il,[66] quil a prouv en assistant la mortdun proche. Exprience capitale a boulevers de fond en comble sa manire dapprhender lemonde. Une rvlation que cette mort de lautre et aussi, peut-tre, une chance. Oui, tout a chang,une porte sest ouverte brusquement sur un monde inconnu jusqualors. Ce jour-l, la ralit sestrevalorise pour moi du tout au tout [67] dit-il. Le texte part la drive, il fonctionne par sautsdaects, par associations ; il passe allgrement du prsent au pass, accumulant les retours enarrire, les reprises et les ressassements. Giacometti semble prendre un malin plaisir brouiller lespistes, sgarer et garer son lecteur. Ce que nous retiendrons : lexprience de cette mort endirecte nous est rapporte avec distance. Lexprience est si grave, elle lengage si profondmentquelle ne peut tre restitue que dans un loignement de soi, avec lgret, une lgretessentielle. Si la mort est toujours prsente, cest avec le sourire aux lvres , selon lheureuseexpression de Meyerhold que la comdienne interprtera ce texte.[68] Cest en souriant, rappelleDeleuze, que Czanne prononait ces mots : Cest erayant la vie ! Dautre part, autre formedloignement : ce rcit prend un tour ctif. Son statut est de fait indcidable. Est-ce dubiographique ?, est-ce de la ction ? Vrit des faits ou vrit de lmotion ? Cet indcidable, cettesuspension, est le moteur cette criture, ce qui lanime, il en est le ressort. (Cet indcidableconsisterait ce que lvnement quest la mort dautrui nous met hors de nous-mme, queretenons-nous ?, quarrive-t-il, exactement ? ) Retenons cet loignement de soi, il est capital. Iloriente en eet de manire dcisive linterprtation de lactrice. Il dtermine sa tension aective. Cetloignement est un rapport de non-identication avec le dire du texte et le pathos quil vhicule. Lacomdienne ne mimera donc pas les aects, ne les redoublera pas lors de son interprtation. Ellemaintiendra une distance. Non pas la distance de celle qui sait, ou une distance impassible, car,bien entendu elle est traverse par les motions, le texte rsonne en elle, dans son intimit, maisbien parce que la distance est inscrite dans le procs mme de lmotion, comme dessaisissementde soi. Celui qui est touch, saisi, aect ne sappartient plus. Cest prcisment cela faire uneexprience. Rappelons la dnition que propose Martin Heidegger : Faire une exprience avecquoi que ce soit, une chose, un tre humain, un dieu, cela veut dire : le laisser venir sur nous, quil

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    nous atteigne, nous tombe dessus, nous renverse et nous rende autre. Dans cette expression, faire ne signie justement pas que nous sommes les oprateurs de lexprience; faire veut dire ici,comme dans la locution faire une maladie , passer travers, sourir de bout en bout, endurer,accueillir ce qui nous atteint en nous soumettant lui. Cela se fait, cela marche, cela convient, celasarrange. [69]

    La comdienne active ce dessaisissement[70], elle joue avec sa propre dstabilisation, avec sapropre fragilit. Cest un art du suspens. Cest lart du danger, cest le risque de lacteur.[71] Noussommes toujours dans ce jeu de variations innies de la distance, dans ces jeux du proche et dulointain.[72] propos de Kafka, Maurice Blanchot fait cette remarque qui vaudra pour le jeu de lacomdienne : Tout se passe comme si, plus il sloignait de lui-mme, crit-il, plus il devenaitprsent. Le rcit de ction met, lintrieur de celui qui crit, une distance, un intervalle (ctif lui-mme), sans lequel il ne pourrait sexprimer. Cette distance doit dautant plus sapprofondir quelcrivain participe davantage son rcit. Il se met en cause, dans les deux sens ambigus du terme :cest de lui quil est question et cest lui qui est en question la limite supprim. [73]

    Parfois la comdienne ne sadresse pas directement au public. A qui parle-t-elle ? Elle est souscontrle, sous la garde dun regard impersonnel et omniprsent : celui de lespace dans lequel elleest immerge. Elle se sent comme une chose, une minuscule prsence isole au milieu dunimmense espace. Sexposant exister dans le visible, elle sexpose un regard invisible et vide. Lesmots quelle envoie se diusent puis se dissipent dans ltendue indnie du plateau. Ils sontdestins aux vivants bien sr, aux spectateurs dans la salle, mais galement aux absents, aupeuple des morts [74] crit Genet.

    Cest une suspension, cest Elle . Le spectateur ne sera donc pas en face dimages immdiatementidentiables, mais dimages inacheves, en mouvement, inductrices de rveries, dmotions et depenses. Nous emprunterons le terme de dguration, dguration cratrice, velyne Grossman: La dguration, crit-elle, est la fois d-cration et re-cration permanente des formesprovisoires et fragiles de soi et de lautre. [75] Limage premire, celle du premier coup dil, de lapremire reconnaissance serite, se dfait, perd de sa stabilit, de son assurance, de sa sret.Limage est plastique, cest--dire quelle possde une capacit se transformer, transformer sespropres limites, se dplacer, devenir autre.[76] Le vocable modle indique prcisment laplasticit, le modelage, le ptrir, la transformation.

    Dans une lettre Andr de Rnville (1933) Artaud crit : Il serait vain de considrer les corpscomme des organismes impermables et xs, Il ny a pas de matire, il ny a que des straticationsprovisoires dtat de vie. [77]

    Revue Thtre/Public N 180, mars 2006

    [1] Alberto Giacometti, crits, dition Hermann, Paris, 1992 p. 64.

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    [2] Ren Char, Alberto. Giacometti , Recherche de la base et du sommet, Pauvret et privilge, 1954

    [3] crits, p. 31.

    [4] Didier Anzieu, Le corps de luvre, Essais psychanalytiques sur le travail crateur, Gallimard, 1981, p.93.

    [5] Djamel Tatah, Barbara Stehl-Akhtar et Christophe Bident, Paris Muses, Actes Sud, 2003, p. 107.

    [6] La passion selon Georges Bataille. Spectacle ralis partir des textes Mme Edwarda et Lexprienceintrieure. Mise en en scne de Pierre Antoine Villemaine, avec Gisle Renard et Yves-Robert Viala.Lumire de Philippe Lacombe. Cration au Thtre de lAtalante, Paris, 1991.

    [7] Une lecture instable, Actes du Colloque Maurice Blanchot, direction Christophe Bident, Pierre Vilar,ditions Farrago, Automne 2003. Texte repris en 2005 dans la Revue Littrature, Thtre, unretour au texte ? ditions Larousse.

    [8] Maurice Blanchot, Le livre venir, Gallimard, 1959, pp. 18-19.

    [9] Ce crne sera luvre quil ralisera en 1933-34, intitule Le Cube. uvre, par dailleurs, queGiacometti ne revendique pas comme tant de la sculpture. Voir ce propos Georges Didi-Huberman, Le cube et le visage, Autour dune sculpture de Giacometti, Macula, 1993 ?

    [10] crits, p. 246.

    [11] Antonin Artaud, dessins, Paris, Centre Georges Pompidou, 1987, p. 48.

    [12] Ibid.

    [13] crits, p. 218.

    [14] Georges Didi-Huberman, Le cube et le visage, op. cit., p. 13.

    [15] Entretien avec Pierre Schneider. crits, p. 268.

    [16] Antonin Artaud, uvres compltes, XXII, p.106

    [17] Philippe Lacoue-Labarthe, La posie comme exprience, Christian Bourgois, 1986, p.128

    [18] Georges Bataille, uvres Compltes XII, p.316

    [19] Maurice Blanchot, Traces In LAmiti, Gallimard, 1971, p. 246

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    [20] James Lord, Un portrait par Giacometti, Collection Art et Artiste, Gallimard, 1991, p.17.

    [21] Voir Maurice Merleau-Ponty, Phnomnologie de la perception, dition Tel Gallimard, Paris, 1993,p.349.

    [22] Jacques Dupin, Alberto Giacometti, Textes pour une approche, Fourbis,1991, p.75

    [23] crits

    [24] Yves Bonnefoy, op. cit., p.65

    [25] Mais la dicult pour exprimer rellement ce dtail est la mme que pour traduire, pourcomprendre lensemble. Si je vous regarde en face, joublie le prol. Si je regarde le prol, joublie laface. Tout devient discontinu. Le fait est l. Je narrive plus jamais saisir lensemble. Trop dtagesTrop de niveaux Ltre humain se complexie. Et dans cette mesure, je narrive plus lapprhender. Entretien avec Andr Parinaud, crits, p. 270.

    [26] Sur les micro et macro perceptions ainsi que sur lhallucination, voir Gilles Deleuze, Laperception dans les plis , In Le pli, Leibniz et le baroque, Les ditions de Minuit, 1988, pp. 114-120.

    [27] Jean Genet, Latelier dAlberto Giacometti, dition LArbalte, Paris, 1958, p.31

    [28] Maurice Merleau-Ponty, Phnomnologie de la perception, op. cit., p.27

    [29] Entretien avec Pierre Schneider, crits, p.263. Ou encore : La ressemblance ? Je ne reconnaisplus les gens force de les voir , entretien avec Pierre Dumayet, p. 285

    [30] Pierre Fdida, Labsence, ditions Gallimard, Paris, 1977, p.138

    [31] D. W.Winnicott, Jeu et ralit, Folio/Essais, Gallimard,1975, p.103

    [32] Georges Didi-Huberman, Devant limage, ditions de Minuit, Paris, 1991, p.107. Didi-Hubermanrenvoie au texte de Pierre Fdida, Pass anachronique et prsent rminiscent.

    [33] Le rve, le Sphinx et la mort de T , texte paru dans la Revue Labyrinthe en 1946, crits, p.30

    [34] Maurice Blanchot, Traces In LAmiti, Gallimard, 1971, p. 246

    [35] Le Rve, le Sphinx et la mort de T , p.30. Voir galement, lentretien avec Parinaud, p.265

    [36] Emmanuel Levinas, Totalit et inni, essai sur lextriorit, Martinus Nijho Publishers, Quatrimedition, 1971, 235

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    [37] Yves Bonnefoy, op. cit., p.460. Et, p.452 : Un intrt vhment, hors de proportion avec sonobjet, parut-il tous ses proches. Un intrt qui fut cause entre lun et lautre de rapports aussi suiviset aussi intenses qutranges, et qui durrent jusqu la mort dAlberto .

    [38] Georges Bataille, Mme Edwarda, uvres Compltes III, Gallimard, 1971, p.29

    [39] ibid.

    [40] Voir Jean Genet, Latelier, op. cit., p.40 : Il regrette les bordels disparus. Je crois quils ont tenu et leur souvenir tient encore trop de place dans sa vie, pour quon nen parle pas. Il me semble quily entrait presquen adorateur. Il y venait pour sy voir genoux en face dune divinit implacable etlointaine.

    [41] Voir Emmanuel Levinas, Totalit et inni, op. cit. , p. 223.

    [42] Jean-Luc Nancy, Le regard du portrait, Galile, 2000, p. 57.

    [43] Yves Bonnefoy, op. cit., p. 309

    [44] Roland Barthes, uvres compltes (d. . Marty), Paris, Le Seuil, t. V, 1995, p. 880.

    [45] crits, p. 218

    [46] Giacometti dclare Andr Parinaud : Oui, tout lart consiste peut-tre arriver situer lapupille Le regard est fait par lentourage de lil. Lil a toujours lair froid et distant. Cest lecontenant qui dtermine lil. crits, p.270

    [47] Cest ainsi que le portrait immortalise : il rend immortel dans la mort. Mais plus exactementpeut-tre : le portrait immortalise moins une personne quil ne prsente la mort (immortelle) en(une) personne . Jean-Luc Nancy, Le regard, op. cit., p.54

    [48] Voir Gilles Deleuze, Flix Guattari, Mille Plateaux, ditions de Minuit, Paris, 1980, pp. 208-230

    [49] Antonin Artaud, dessins, Paris, Centre Georges Pompidou, 1987

    [50] Le rve, le Sphinx et la mort de T. , crits, p. 29.

    [51] Voir Jacques Derrida, Artaud le Moma, Galile, 2002, p.60 et suivantes. Par ailleurs, Derrida faitremarquer que le mot creuset est quasi lanagramme de secret .

    [52] Ibid.

    [53] crits, p. 8

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    [54] Voir Yves Bonnefoy, pp. 224-235

    [55] Ovide, Mtamorphoses III, Flammarion, 1966, p.94

    [56] Voir Jacques Hassoun, La cruaut mlancolique, Aubier/Psychanalyse, 1995

    [57] Jacques Dupin, Alberto Giacometti, op. cit., p.17

    [58] Georges Bataille, Lexprience Intrieure, Oeuvres Compltes I, dition Gallimard, Paris, pp.144-145

    [59] Didier Anzieu, Essais psychanalytiques sur le travail crateur , op . cit. p. 93

    [60] Jean Genet, Latelier dAlberto Giacometti, op. cit., p.56

    [61] Cit par Roland Barthes, uvres compltes (d. . Marty), Paris, Le Seuil, t. V, 1995, p.350

    [62] Emmanuel Levinas, Totalit et inni, op. cit., p.234

    [63] Emmanuel Levinas, Altrit et transcendance, Montpellier, Fata Morgana, 1995, p.172.

    [64] Walter Benjamin, Sur quelques thmes baudelairiens , trad. M. de J. Lacoste, in CharlesBaudelaire, un pote lyrique lapoge du capitalisme, Ed. Payot, 1982, p. 200

    [65] Georges Bataille, La pratique de joie devant la mort, uvres Compltes I, p. 555

    [66] crits, p. 35

    [67] Ibid.

    [68] Vsevolod Meyerhold, crits sur le thtre, 1977, p. 115.

    [69] Martin Heidegger, Acheminement vers la parole, Tel Gallimard, 1976, p. 143.

    [70] Ce que Didier Anzieu repre comme le second moment de lacte crateur : La partie du Moireste consciente (sinon cest la folie) rapporte de cet tat un matriel inconscient, rprim, ourefoul, ou mme jamais encore mobilis, sur lequel la pense prconsciente, jusque-l court-circuite, reprend ses droits. op. cit., p. 93.

    [71] Risquer (wagen) crit Heidegger, signie : faire entrer dans le mouvement du jeu, mettre sur labalance, lcher dans le pril Martin Heidegger, Pourquoi des potes ? , Les chemins qui ne mnentnul part, Tel Gallimard, p. 338.

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    [72] Ce jeu avec la distance est lune des dnitions quattribue Walter Benjamin laura : Uniqueapparition dun lointain, si proche quelle puisse tre In Luvre dart lre de la reproductiontechnique (1936) trad. Maurice de Gandillac, Paris, 1971, (d. 1974), p. 145.

    [73] Maurice Blanchot, La part du feu, Gallimard, 1979, p.29.

    [74] Jean Genet, op. cit., p.13.

    [75] velyne Grossman, La dguration, Artaud, Beckett, Michaux, Les ditions de Minuit, 2004, p. 9.

    [76] Voir Catherine Malabou, La plasticit au soir de lcriture, Dialectique, destruction, dconstruction,Collections Variation, ditions Lo Scheer, 2005. Elle crit notamment, p.108 : Le rgime privilgidu changement est limplosion continue de la forme, par o elle se remanie et se reformecontinuellement.

    [77] Antonin Artaud, uvres Compltes, tome V, Gallimard, p. 148.

    Cette entre a t publie dans Essai, Format, Genre, Texte le 19 avril 2012 [http://hors-

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