Gestalt Et Depression

43
GESTALT et DEPRESSION L’accompagnement de clients dépressifs _________________ Par Jacotte VERILLON Article de fin de 3 ème cycle EPG (Option : Psychothérapie) Présentation le 4 décembre 2004

description

psicho

Transcript of Gestalt Et Depression

GESTALT et DEPRESSION

Laccompagnement de clients dpressifs

_________________

Par Jacotte VERILLON

Article de fin de 3me cycle EPG

(Option: Psychothrapie)

Prsentation le 4 dcembre 2004

ECOLE PARISIENNE DE GESTALT

Jacotte VERILLON

32 rue du Dr Alcide Maurin

Tl. 04 75 40 63 79

26400 CREST

Email: [email protected]

SOMMAIRE

INTRODUCTION: Des souris et des hommes

p. 3

1) La souris dans le bocal

2) Pam ou le fond de la valle

I - DEFINITIONS de et autour de la dpression

p. 4

II - LES ATOUTS DE LA GESTALT-THERAPIE

p. 6 pour laccompagnement des clients dpressifs

1) 1) Laccueil, la prsence et le contact

2) 2) Lawareness et le a

3) 3) Limplication (contrle) et lengagement du thrapeute

4) 4) Le cadre

5) 5) Cycle de lexprience, frontire-contact et rsistances

III - LES LIMITES (possibles) DE LA GESTALT

p. 16

IV POUR UNE PSYCHOTHERAPIE INTEGRATIVE

p. 19

1) 1) Gestalt et autres approches

2) 2) Pam: les tapes dune thrapie

CONCLUSION

p. 24

BIBLIOGRAPHIE

p. 26

APPENDICE

p.28

GESTALT ET DEPRESSION

Laccompagnement de clients dpressifs

Par Jacotte Vrillon

INTRODUCTION: Des Souris et des Hommes

1. 1. La souris dans le bocal

Le modle de laboratoire que les Neurosciences donnent gnralement pour reprsenter et

reproduire -- la dpression, est celui dune souris dans un bocal de verre aux parois lisses.

Au dbut, la souris cherche grimper le long des parois de sa prison pour tenter de retrouver la libert; elle utilise pour cela toutes ses forces et son nergie, spuise peu peu, puis se rsigne et devient abattue, immobile, fige. De lagitation, elle passe la panique, puis au dcouragement, labattement, la rsignation. Elle nessaie plus, ne tente plus rien, est prostre.

Le raffinement de lexprience consiste mettre de leau au fond du bocal, et la regarder nager jusqu puisement et jusqu la noyade! (Test de Porsolt).

Il y a donc, chez la souris, un tat disolement, denfermement, de frustration intense, de stress et de manque, une qute o elle spuise, suivi dun tat de dimmobilit, de rsignation et de prostration.

( Un ami chercheur ma dit quune souris au naturel tenait environ une minute avant de se laisser sombrer, une souris sous antidpresseur peut nager environ trois minutes avant de spuiser. Elle est moins encline au stress, au dcouragement, plus endurante. En tout cas, cest ce que lexprience cherche mesurer prouver?-- travers cette mise en uvre).

Rassurez-vous, lecteurs gestaltistes attentifs aux tres et la vie : Le chercheur, dans sa mansutude, sort la souris du bocal juste avant la noyade, et la remet au sec! (Cest peut-tre l dailleurs, aprs ce traumatisme, quelle aurait besoin dune psychothrapie, ou au moins dune bonne sance dEMDR, pour effacer ltat de choc subi! Heureusement, les souris ont du ressort!)

Quen est-il des humains? Que se passe-t-il pour eux? (Et qui va les aider sortir du bocal?)

2. Pam ou le fond de la valle

Pam est une petite femme menue, trs amaigrie, toute fine, presque transparente, avec de grands yeux bruns qui lui mangent le visage o la fatigue et lpuisement peuvent se lire.

A 42 ans, elle a fait une tentative de suicide suivie de deux mois dhpital psychiatrique, et soigne son angoisse, ses insomnies et ses ides noires avec des anxiolytiques, des somnifres et des antidpresseurs que le psychiatre de ltablissement lui a prescrit.

Se sentant encore fragile et affaiblie, elle fait appel moi pour tre accompagne en psychothrapie sa sortie de lhpital psy, alors quelle revient dans sa vie quotidienne et reprend son travail mi-temps.

Elle se plaint dune grande fatigue physique et nerveuse, dune difficult fonctionner dans sa vie quotidienne, dinsomnies, et dune grosse douleur depuis lenfance.

Aprs avoir quitt le domicile de ses parents tt, lge de 17 ans, et vcu deux ans de sa jeunesse ltranger, elle a travaill dans le journalisme la plus grande partie de sa vie, Paris.

Puis, ne sen sortant plus toute seule avec son enfant, elle revient dans le village de ses parents pour finir dlever sa fille la campagne, prs du giron familial, dans une valle de lArdche dont elle narrive pas repartir.

Telle la souris dans son bocal, Pam se sent coince au fond de sa valle et dans sa vie, incapable de trouver des solutions, accumulant le stress et les problmes (pre autoritaire et intrusif tentant de lui grer sa vie, mre ambivalente et peu soutenante, fille en pleine crise dadolescence et en rbellion contre elle pour lavoir amene dans ce trou perdu, amant ambivalent et peu engag ou plutt trs engag ailleursqui dcide de rompre la relation avec elle brutalement).

Pam sombre, puis passe lacte: Cest la T.S

Je ne vais pas ici faire une tude complte du cas de Pam, mais je reparlerai delle un peu plus loin dans cet article, lors de moments de sa thrapie avec moi. Je pourrai aussi parler dun ou deux autres clients, de la mme manire, pour illustrer mon propos.

Je me propose dabord de donner quelques dfinitions de la dpression, quelques observations sur les tenants et aboutissants de ltat dpressif et de son approche thrapeutique, puis je parlerai des atouts de la Gestalt-Thrapie face une telle pathologie, mais aussi de ses limites possibles. Je nommerai enfin les tapes de cette traverse du dsert deux, dans un accompagnement thrapeutique intgratif, et je dirai ce en quoi certaines approches alternatives complmentaires pourront aider au traitement de cette affliction pnible.

I DEFINITIONS (de et autour de la dpression)

La dpression est une des maladies de ce sicle. Elle est la cause premire des demandes de psychothrapie. Cest un tat douloureux de souffrance psychique et damoindrissement physique caractris, nous dit le DSM IV, par plusieurs critres et symptmes (cinq au moins parmi les suivants):

- Une humeur dpressive durable (plusieurs semaines au moins, souvent des mois), parfois remplace par de lirritabilit.

- Une perte dintrt ou de plaisir pour les activits de la vie de tous les jours.

- Une perte de poids et dapptit (ou parfois son contraire: gain excessif de poids).

- Des phnomnes frquents dinsomnie (ou son contraire: lhypersomnie), donc une perte du rythme du sommeil.

- Un ralentissement psychomoteur (ou une agitation fbrile).

- Une sensation de fatigue et de perte dnergie.

- Un sentiment de dvalorisation (perte destime de soi) ou dune culpabilit excessive ou inapproprie.

- Une diminution de laptitude penser (ralentissement idatoire), se concentrer, entranant souvent de lindcision (voire une inhibition presque totale devant laction).

La personne ne peut plus agir ni fonctionner normalement dans la vie quotidienne.

Dans les cas extrmes, une hospitalisation est ncessaire avec prise de plusieurs mdicaments antidpresseurs/anxiolytiques, notamment sil y a une trop grande altration du fonctionnement social, ou des penses de mort rcurrentes menant des tentatives de suicide.

Cest une perte du got de vivre, un effondrement de lnergie vitale, accompagn dun abattement et dune grande souffrance psychique, et souvent de symptmes physiques, la rsistance physique et nerveuse de la personne tant mise mal (ainsi que son systme immunitaire).

Les vnements dclenchants peuvent tre le stress, le surmenage, la perte dun tre cher ou dun emploi, une rupture affective, des difficults relationnelles, une accumulation de soucis matriels ou de tous ordres, de confrontations difficiles avec lenvironnement, mais lvnement dclenchant nest pas toujours en rapport avec la profondeur de la souffrance.

Nol Salath dfinit ltat dpressif comme une raction de dcouragement lors de la confrontation avec lune des contraintes existentielles --alors que ltat anxieux est, selon lui, une raction de peur devant la menace, relle ou imaginaire, dun danger identifi ou non. Parfois les deux sont prsents et confondus.

Dans tous les cas il y a rupture de contact avec le champ, peru comme trop menaant/douloureux/pnible, un repli sur soi, sur son univers interne, une rtroflexion ou une inhibition de lnergie vitale, une limitation du potentiel dinteraction. (Salath, 104)

Pierre Van Damme, dans son article Dpression et Rgression, reprend tout dabord la position existentielle pour dfinir la dpression comme une crise de sens, et pour nous indiquer que le dpressif appelle au secours du fond de son isolement en ayant le sentiment que personne ne peut le comprendre vraiment. (Revue Gestalt n23, 114)

Do la frquence des thmes existentiels dans les proccupations du dprim, et des contraintes comme la solitude, la perte de sens (avant de devenir qute de sens), la difficult de responsabilisation, la culpabilit, la honte, la finitude (confrontation avec la mort, lanantissement, le vide).

Gilles Delisle parle dune affliction bio-psycho-sociale, aussi bien pour ce qui est des causes que des symptmes et des effets:

- Bio, pour les symptmes physiques, douleurs chroniques etc aussi bien que pour la biochimie du cerveau et du systme psycho-neuro-immunologique (par le biais des neurotransmetteurs).

- Psycho, pour ce qui est des difficults psycho-affectives ( difficult crer des liens affectivement sains , sentiments de manque et dabandon ds une rupture de lien prcoce, carence affective, expriences dchec )

- Sociale, de par la pression ressentie de lenvironnement, la difficult dinsertion ou dadaptation, linhibition, lisolement, les phobies sociales, etc

On pourrait rajouter aussi, dans le volet psycho-neuro-immunologique, les effets plus ou moins long terme, pouvant aller jusqu latteinte de certains organes ou fonctions de lorganisme, laffaiblissement du systme nerveux et le drglement du systme immunitaire, par le biais du disfonctionnement des neurotransmetteurs tels que la srotonine, la dopamine, et dautres: Pour ne nommer quune tude ce sujet (maintenant trs tudi par les neuro- sciences), je mappuierai sur les recherches de Joan Borysenko, Docteur en Biologie cellulaire et co-fondatrice de la clinique Corps/Esprit dans les annes 80 (Mind/Body Clinic) la Facult de Mdecine de Harvard aux Etats-Unis. Je cite en traduisantde lamricain:

Cest ltat de stress chronique souvent caus par des penses et attitudes ngatives et un sentiment prolong dimpuissance ( helplessness )- qui est le vrai dfi pour la gurison. Ce sentiment constant de dtresse peut bouleverser notre quilibre endocrinien, en levant le taux dhormone immunorductrice, le cortisol, et en dtruisant son rythme naturel journalier. La dtresse et limpuissance chronique prive galement le cerveau du neurotransmetteur vital quest la norpinphrine, substance chimique de nos cellules nerveuses dont le cerveau a besoin pour produire les sentiments de contentement et de satisfaction. Des tudes immunologiques rvlent galement que le sentiment dincapacit grer le stress, plus que lvnement stressant lui-mme, est ce qui affaiblit le plus le systme immunitaire. (Joan Borysenko, 21)

(Le terme dhumeur utilis ds les dbuts de la psychanalyse --comme dans humeur dpressive ou troubles de lhumeur, avec son double sens dtat psycho-affectif et de fluide humoral interne, tait dj une premire intuition de ces scrtions du systme nerveux central, de cette irrigation des neurones , au niveau des synapses du cerveau, par les neurotransmetteurs, minuscules gouttes de liquides bio-chimiques dont le rle est de huiler les cellules nerveuses et dquilibrer lhumeur.

Le bain humoral tait une premire notion de la bio-chimie du cerveau et du systme nerveux, l anctre, pour ainsi dire, de lajustement de ces scrtions internes que sont les neurotransmetteurs, pour un bon fonctionnement psycho-neuro-endocrinien, et un bon quilibre bio-psycho-affectif.)

Ces scrtions internes, apparemment, rgulent lquilibre bio-psycho-affectif, mais sont aussi rgules par lui. Cest ce que nous explique Joan Borysenko (et , autour delle, toute la recherche en Psycho-neuro-immunologie).

Les sentiments de dtresse, dimpuissance, et dincapacit faire face au stress et aux vnements de la vie dont elle nous parle, cest bien cela qui caractrise, entre autres, ltat dpressif. Il est donc, plus que dautres, vulnrable un affaiblissement immunitaire et un drglement des fonctions psycho-neuro-immunologiques (soit quil en soit leffet, soit quil en soit la cause, le physique et le psychique tant ici imbriqus et saffectant tour de rle

--certaines tudes allant jusqu dire que la dpression serait une maladie inflammatoire)

Sophie Fourrure ( dans son mmoire EPG 2e cycle) va jusqu parler de sa propre dpression en terme de dlabrement gnral, physique et psychique.

Elle dcrit son tat comme une grande fatigue, un tat de faiblesse, envie de rien, une difficult de concentration accompagne de dvalorisation et retrait total, et nous donne finalement sa dfinition de la dpression: Un tat de grande souffrance morale introvertie et dpuisement psychologique avec retentissement sur le physique accompagn dun sentiment de perte (dun avant qui ne pourra jamais tre retrouv), de dsespoir (dun futur qui ne sera gure meilleur) et de dprciation (je ne suis pas normale, cest de ma faute, je ny arriverai jamais).

Lexprience de la perte (et/ou le sentiment de perte) est au cur de la souffrance dpressive:

- perte de quelque chose ou de quelquun

- perte dune relation, dun emploi, dun statut

- perte damour (perte affective, perte de liens)

- perte dun tat antrieur (de bien-tre, de joie, de confort, etc)

- perte du sommeil et du repos

- perte de sensations

- perte dnergie

- perte destime de soi

- perte du sens de sa vie

- perte du contact

- perte du got de vivre.

Enfin, sur le plan spirituel, cette crise de sens et cette traverse du dsert ou nuit de lme peuvent aussi tre vue comme une preuve initiatique, une ncessit imprieuse de changement, de transformation intrieure, de revenir lessentiel, une vritable mutation de lindividu, une remise en question de ses valeurs et de sa vie, un besoin de changement radical de point de vue, une qute de vision comme diraient les chamans amrindiens, qui, si cette traverse est russie, amnera la personne de nouvelles perspectives, une nouvelle vie, un nouveau dpart.

Cest lexprience initiatique et symbolique de la mort et de la renaissance.

Avant darriver l toutefois, il faudra bien la faire cette traverse du dsert, sous peine de rester coinc dans un mal-tre vie, une dsnergtisation durable, un puisement chronique.

La psychothrapie propose de lentreprendre deux par le biais de la relation thrapeutique et hermneutique (cration deux dun nouveau sens tiss conjointement au fil des sances).

Il sagira dun cheminement deux, dans la dure.

Pour complter ces dfinitions de la dpression, il faudrait parler aussi plus en dtails (je ne ferai que les nommer ici) des diffrents types de dpression, endogne, psychogne (quest-ce qui est de lordre de linn dans les gnes familiaux-- et de lacquis --dans les vnements de la vie?), des dpressions situationnelles ou chroniques, rptitives,

du cas des borderlines ou personnalits-limites ainsi que de celui des maniaco-dpressifs et autres dpressions avec caractristiques psychotiques (dcompensation, dissociation, perte de contact avec la ralit, ides dlirantes voire hallucinations), des dpressions saisonnires, des spcificits de la dpression aux diffrents ges de la vie

Pour ma cliente Pam, par exemple, je dfinirais sa dpression comme plutt situationnelle (isolement, surmenage, accumulation de stress et dvnements traumatisants intrusion de son pre, agressivit de sa fille adolescente, abandon soudain de son petit ami) sur un fond archaque dj dpressif toutefois (manque de soins maternels dans la petite enfance, rejet de la mre occupe avec un autre enfant).

La svrit des troubles devra tre considre et limportance du noyau psychotique si possible valu avant de se lancer dans laventure avec un dpressif. Les dpressions graves, celles o les mdicaments sont indispensables pendant de longues dures (parfois vie pour les maniaco-dpressifs) demanderont le suivi rgulier dun psychiatre. Le rle du psychothrapeute sera, en parallle, de soutenir et daccompagner la personne travers son mal-tre, sa douleur morale et ses problmes existentiels, de tenter de faire du sens, deux, partir de cet tat de confusion douloureux, de reprer les Gestalts inacheves du pass et daccepter de descendre avec son client jusqu la racine des traumatismes, bref tout laccompagnement thrapeutique dont nous allons parler maintenant.

(Ce qui ne dispensera pas le thrapeute de vrifier auprs de son client les diffrents paramtres de sa vie qui pourront lui paratre important comme:

- lhygine de vie de celui-ci

- ltendue de son rseau relationnel familial et amical (rseau de soutien)

- sa situation matrielle et professionnelle

- son environnement, et les vnements dclenchant ltat dpressif, qui seront pris en compte et valus leur juste valeur:

En un mot, tout le champ environnemental dans lequel il baigne dans sa vie de tous les jours , avec ses facteurs de risque et ses facteurs de rsilience (Champ III dans la classification des champs de Gilles Delisle, cest dire le champ de l ailleurs /maintenant --la vie courante du client--, le champ I tant lici/maintenant de la sance et de la relation thrapeutique, cher la GESTALT.)

Comment la GESTALT donc, psychothrapie humaniste et existentielle, certes, mais base sur un souci de responsabilisation du client et de crativit dans lici-maintenant (ajustement crateur), va-t-elle aborder ce genre de demande, rpondre ces tats douloureux, accueillir les personnes dpressives dans une telle urgence, souffrance, confusion voire tats morbides?

Car il va sagir de comprendre et daccompagner lincomprhensible et le vide (Van Damme, 109).

Comment le Psychothrapeute Gestaltiste va-t-il sy prendre?

II LES ATOUTS DE LA GESTALT-THERAPIE

1 . Laccueil, la prsence et le contact

La GESTALT est avant tout une thrapie relationnelle chaleureuse. Le client dpressif

a besoin de cet accueil chaleureux pas dbordant ni envahissant mais chaleureux, rassurant, ouvert. Il a besoin de chaleur humaine, dacceptation et de comprhension.

Le thrapeute gestaltiste sintresse son client et sait crer le contact, mme si celui-ci, dpressif, est en retrait, peu prsent lautre, envahi quil est par sa souffrance et sa fatigue, et peut avoir des difficults communiquer, nommer, voir clair.

Le thrapeute gestaltiste a appris dvelopper sa prsence: une prsence tranquille, calme, rassurante.Le client est confus, inquiet, dcentr par sa souffrance. Le thrapeute, lui, est centr dans la prsence.

Le thrapeute gestaltiste donne souvent une impression dnergie (par son corps o lnergie circule, par son attitude, par son regard). Le dpressif, lui, nen a plus. Il arrive souvent au bout du rouleau, abattu, puis. Il pourra se ressourcer en sa prsence, se lcher peut-tre, sappuyer sur lui.

Le thrapeute gestaltiste sait accueillir les motions mme les plus sombres--, les ambiances y compris la tristesse et le dsespoir. Le client pourra venir poser l sa peine, lcher son fardeau. Le thrapeute est prt comprendre, mme au-del des mots, et accepter sans jugement. Le dpressif a besoin dtre compris et accept tel quil est, dans sa dtresse.

Le thrapeute est ouvert, disponible, accueillant. Le dpressif, dabord ferm (enferm dans sa solitude et son monde clos), mais en demande extrme, pourra commencer souvrir, se poser dans lintimit du cabinet. Il ne faudra pas le brusquer: Souvrir, pour lui, pourra tre: commencer respirer, sentir quil peut recevoir de laide, que quelquun va enfin le comprendre. Peut-tre commencera-t-il par pleurer tout son sol, l, dans ce cadre scurisant, labri dun monde quil ressent comme menaant. Il pourra laisser sortir son dsespoir, sabandonner peu peu malgr sa peur de se dissoudre ou son envie de mourir.

Le thrapeute gestaltiste na pas forcment tout de suite besoin du verbal. Il est laise dans le non-verbal, dans lattention une attitude, un micro-geste, un dtail physique: une larme qui coule sur une joue, une gorge serre qui avale, une main qui se crispe sur le bras du fauteuil ces dtails il pourra commencer prendre la mesure de la souffrance et de langoisse du client.

Il est possible que le client dpressif ne puisse pas tout de suite parler, nommer, formuler sa souffrance, mais quil soit coinc dans le non-verbal, que les sanglots et langoisse serre sa gorge, quun brouillard emplisse sa tte. Le thrapeute gestaltiste saura mettre des mots sur ce quil voit, sent, devine, imagine. Il saura parler la place du client lorsque ce sera ncessaire, proposer des hypothses, reconnatre le mal de vivre, dans le respect et lattention. Il saura aussi se taire et rester l, respecter le rythme de lautre, accepter le silence et le vide.

2 . Lawareness et le a

Le thrapeute gestaltiste a appris tre attentif et conscient avant de parler (et dans son langage). Il sait pratiquer lawareness du moment prsent, des attitudes, des gestes, de lmergence du a du client, de ses propres sensations et ractions. Il sait percevoir une ambiance tout en restant conscient de ce qui se passe en lui, des chos que la prsence de cet autre provoque en lui: dans son corps, son cur, ses sensations. Il peut apprendre cela au client, par osmose, en exprimant ce quil ressent (quand je te vois pleurer, l, en face de moi, je sens mon cur qui se serre , ou quand jimagine ta souffrance, jai limpression dun grand trou noir..). Lui apprendre ressentir et nommer ses impressions corporelles, ses sensations, ses motions, y compris son vide et son trou noir. Lui apprendre les circonscrire, les nommer, en saisir la forme. Lui permettre dy aller, au plus juste de lui-mme.

Il peut enrichir lawareness du client en le ramenant ses sensations corporelles, ses cinq sens, son a --mme si celui-ci est envahi par lanesthsie ou la souffrance. Par son awareness lui , il peut r-ouvrir le monde perceptuel du client: Jentends lhorloge, les secondes qui sgrnent pendant que tu restes dans ce long silence.Et toi, que perois-tu au cur de ce silence?.

Le thrapeute peut faire remarquer au client quil ne respire presque plus, et linviter porter son attention sur la respiration; le ramener une sorte de mditation sur linstant prsent et sur tout ce qui est de lordre de la vie: le sang dans les veines, les battements du cur, lair qui entre dans les poumons, le souffle Tout ce que le dpressif a oubli, lawareness de linstant prsent peut le lui rappeler.

Mme si le client nest conscient que de ses penses morbides, de son dsir de mort, il nest plus tout seul les ctoyer. Il est accompagn. Il les nomme quelquun, il se confie (dbut de la formation dun lien). En les nommant et les circonscrivant, il peut commencer sen dcoller, ntre plus comptement identifi cet tat (dbut de conscience du tmoin).

Lawareness enlve de langoisse aussi car elle montre que , dans un premier temps, il ny a rien faire, juste tre, l, et noter les diffrents aspects du ressenti de cet tre, les accueillir. Peut-tre que, peu peu, le dpressif pourra ressentir que son vide est en fait plein de mille petites choses de la vie.

En partageant ses insights sur la situation et ltat intrieur du client ou la comprhension quil en ale thrapeute lui r-apprend sentir, toucher , accepter (et plus tard comprendre, faire sens). Il lui montre le chemin, lui donne des outils. Il laide voir, nommer, poser plat ses sensations, son ressenti, sa situation. Ce nest qu partir de ce constat, de cet tat des lieux fait dans laccueil, lempathie et la comprhension que thrapeute et client pourront commencer cheminer ensemble, travers ltape rgressive, vers une co-construction de sens puis, peu peu, dans les lentes tapes de la reconstruction. (Avec des moments de reproduction, puis de reconnaissance, avant darriver une rparation).

3 . Lengagement du thrapeute et son implication contrle

Il est probable que dans les premiers mois (au moins) la psychothrapie du client dpressif soit une simple thrapie de soutien: crer la confiance, assurer la scurit, tre la mre suffisamment bonne qui accueille, accepte inconditionnellement, reconnat, protge et comprend, sera une tape essentielle.

Le thrapeute sera engag dans ce soutien --ltat de fragilit et de dpendance du dpressif ntant pas prendre la lgre. Cest un contrat dassistance personne en danger, surtout sil y a menace de suicide.

Il sera aussi impliqu dans certains aspects de ce soutien, comme la composante physique, corporelle (le Holding et Handling de Winnicott).

Sophie Fourrure nous confirme ce besoin de toucher du client dpressif, besoin de chaleur humaine, de soutien physique, de contenance (Fourrure, 34):

La question de pouvoir toucher son client se pose en tant que psychothrapeute. Ma rponse personnelle est claire, pour avoir connu labsence parfois cruelle de soutien physique et exprimenter dautres fois le contact physique scurisant [] Les moyens purement verbaux peuvent devenir traumatisants si, dans certaines phases, le patient est priv dun soutien tangible et physique

Franck M. Staemmler prconise une contenance et un soutien directs et physiques lorsque le patient ressent la souffrance dans le domaine du soi noyau(terminologie de Stern).

Il affirme quune rponse uniquement verbale du thrapeute peut paratre cruelle et cynique au patient si la distance physique est maintenue. ( Fourrure,34)

Balint galement sest exprim ce sujet: Le contact est toujours dune importance vitale pour la progression de la cure. Si ce contact existe, le patient peut aller de lavant. Sil nexiste pas, le patient risque de se sentir abandonn, perdu, priv de ses possibilits de changement, incapable de bouger. [] Revivre le traumatisme sans un soutien interpersonnel appropri, cest tre nouveau submerg par lexprience et subir nouveau le traumatisme. (Balint. Le Dfaut Fondamental. Cit par Sophie Fourrure, p.34)

Il sagira de vrifier la vraie demande du client, parfois de deviner son vrai besoin non exprim ouvertement, et de trouver le cas chant- le toucher juste.

Le thrapeute gestaltise saura prendre cette responsabilit dune implication corporelle adquate. Pour ce qui est du toucher et du soutien corporel, sa formation nen est pas exempte et il saura trouver les gestes justes, la bonne distance ou proximit, au bon moment, de la manire la plus adapte au besoin du client et la situation.

Pour ce qui est de lmotionnel, il pourra montrer (sans en rajouter et en prenant soin de ne pas se laisser envahir par la dtresse du client) quil est touch par son dsespoir, quil comprend son malaise, quil compatt avec la douleur de lenfant bless/abandonn/maltrait en lui.

Pour ce qui est de la vie personnelle du thrapeute toutefois, mieux vaudra que le client en sache le moins possible, au moins pendant toute la phase trs rgressive, pour permettre un certain transfert. Le thrapeute prendra soin de montrer son empathie mais de ne pas trop parler de lui-mme, pour tre tout lcoute de la spcificit du ressenti de ce client-l, telle la mre penche sur le berceau de son enfantIl sagira bien dune implication contrle, au plus juste de la situation. Si le thrapeute a connu lui-mme la dpression et que les chos de ltat ou la situation du client rsonnent fort en lui, il devra tre tout spcialement vigilant son contre-transfert (qui pourra servir la thrapie pour comprendre empathiquement ce que le client vit, mais la desservir sil y a trop didentification projective ou introjective).

Le thrapeute devra choisir entre les moments o il sera prfrable de rester dans un silence empathique, de proposer du holding, et ceux o il conviendra, au contraire, de nommer ce qui se passe, de trouver les mots justes pour clarifier lexprience du client, ou nommer son ressenti lui (le thrapeute), ou encore de reformuler les mots du client, de sadapter au niveau de conscience et de vocabulaire du client, son ge intrieur dans les moments rgressifs (en utilisant des mots ou des gestes tout simples que lenfant de 1,2 ou 3 ans en lui peut comprendre, si cest bien l que le client sest arrt , et que la Gestalt inacheve se situe).

4. Le Cadre

Le cadre devra tre la fois scurisant et souple:

On rappellera au client que le cabinet, le temps de la sance, est son espace-temps lui, et on crera une atmosphre de scurit. Un crneau horaire rgulier (hebdomadaire -- voire bi-hebdomadaire dans les moments les plus critiques) sur lequel il puisse compter pourra contribuer au sentiment de scurit, tre un point de repre dans sa vie du moment, et pourra laider tenir dans les phases de rechtes ou les crises danxit.

Lamnagement du cadre, suivant la gravit de ltat de la personne, pourra inclure un numro de portable appeler en cas dextrme urgence dtresse profonde ou crise dangoisse insurmontable--, des objets transitionnels --peluches, objets symboliques de la sance que le client pourra emporter avec lui, pour se conforter ou comme rappel du soutien, du lien thrapeutique.

Sil est trs puis et quil en exprime le dsir le client pourra sallonger ( prvoir un divan ou un matelas et des coussins). La position allonge sera particulirement adapte dans les moments les plus rgressifs o il lui arrivera aussi de se retrouver recroquevill en position ftale.

Certains thrapeutes prconisent la thrapie ambulatoire ponctuelle dans la nature, un parc ou un jardin, certains moments adquats du travail, et lchange de courrier, lenvoi de cartes postales, spcialement lors dabsences du thrapeute ou de vacances, qui sont des moments dlicats pouvant raviver le sentiment de solitude et dabandon du client.

Enfin, larrt de la thrapie devra tre prpar, ngoci, voire symbolis, en se rappelant quavec un client dpressif la fin ne sera parfois quun arrt temporaire, une pause, et que la porte lui est ouverte en cas de rechte possible, ou nouvelle phase difficile vivre.

Je parlerai ici de la fin de la thrapie de ma cliente Mona (ou en tout cas de la fin de son travail avec moi):

Mona et la poupe de chiffon

Emergeant dune phase dpressive de deux ans et reprenant pied dans la vie, se sentant de plus en plus autonome et dsirant voir si elle tenait debout toute seule aprs ce parcours suivi avec moi, Mona exprima le dsir darrter l sa thrapie ou au moins de faire une pause.

Nous prmes quelques sances pour conclure , et pour la toute dernire sance je lui proposai de faire le point sur son parcours avec moi en symbolisant celui-ci dans ses diffrentes tapes ou thmes. Elle me rponditquelle tait daccord mais quelle voulait le faire avec des objets et sans mots. Jacquiesais en lui intimant que peut-tre un titre pourrait tre mis sur chaque objet, et quon verrait partir de l

Elle arriva la dernire sance avec plusieurs objets reprsentant les diffrents secteurs de sa vie travaills en thrapie (symboliss par des dessins, photos, collages, objets trouvs dans la nature ou fabriqus par elle-mme comme une poupe de chiffon). Jtais touche de la voir ranger ainsi les thmes majeurs de sa vie, quelle disposa sur le sol en silence, en indiquant simplement:a cest le deuil de ma sur, a cest la prise de distance avec mon mari, a cest ma relation avec mon pre, a cest mon travail, et a cest ma petite fille intrieure. Nous prmes le temps de regarder ensemble ces objets de sa vie, dabord sans parler, avec respect, motion de ce partage, et un certain recueillement.

Un objet, toutefois lui posait encore problme: ctait cette poupe de chiffon: construite partir dun torchon de cuisine carreaux roses, des lastiques pour marquer les bras, deux bouts de bton attachs pour marquer les jambes, un visage triste dessin sur le chiffon, ainsi que lemplacement du ventre et du sexe tchs au marker noir ( cicatrice de maltraitances qui avait fait lobjet dune bonne partie de son travail thrapeutique).

La poupe reprsentait, me dit-elle, sa petite fille intrieure, petite fille blesse et pas compltement cicatrise dont elle ne savait pas quoi faire. Il ne semblait pas juste de la jeter la poubelle, ni de la remporter avec elle. Elle en avait marre de la porter. Elle la poussa du pied, sur la moquette.

Blanc, silence Nous regardions toutes deux le petit objet pos par terre

Je mapprochai de la poupe de chiffon, la ramassai avec soin et tendresse, la pris sur mon bras et contre mon coeur Je lui proposai alors den prendre soin et de la garder ici avec moi, jusqu ce quelle dcide de ce quelle voulait en faire.

Elle parut surprise (je navais pas pens a! dit-elle), soulage (il ny avait pour linstant pas de solution pour elle avec cette trace de son pass, cette partie delle-mme en voie de cicatrisation) et mue (que je veuille continuer prendre soin de cette partie delle- mme, et quelle pouvait la laisser ici, sous bonne garde, marquait ainsi le lien qui nous unissait, mme aprs son dpart).

Ctait une sorte dentaille au cadre, celui de la fin de la thrapie (avais-je du mal lcher cette cliente? la laisser partir?), mais qui voulait dire aussi: Moi je continue prendre soin de tes blessures, par la pense; tout ira bien, tu peux y aller, commencer ta nouvelle vie, lancien peut rester ici dans le secret de ce cabinet; mme sil y a quelque chose de pas tout fait fini, une blessure qui prend du temps se refermer, la gurison continuera de se faire partir de l, le processus est lanc, tout ira bien

Mona retourna sa vie, la vie. Je mis la poupe dans un tiroir, en attente, me disant parfois que si je commenais faire des trucs comme a avec mes clients, mes placards seraient pleins! Allais-je me laisser envahir ou menvahir moi-mme avec les rsidus de mes clients? Je lai mme travaill en supervision, recevant des feedbacks fort varis l-dessus des personnes du groupe. Comme avec Mona, la question ne fut pas tranche, mais laisse en attente

Un an plus tard, message de Mona sur mon rpondeur: Est-ce que tu as toujours la poupe que javais laisse chez toi lanne dernire? Je voudrais la rcuprerPeux-tu me rappeler ?

Je lui proposai une sance (gratuite celle-l), ou plutt une rencontre informelle dans mon cabinet, sentant une sorte de frontire-sas-passage de la relation thrapeutique la relation relle.

Elle arriva assez pimpante, sourire aux lvres, lil clair et pacifi, et me donna quelques nouvelles de sa vie. Nous parlmes dgale gale, ou presque. Elle mannona la cration dun nouveau lien avec un homme avec qui elle se sentait bien, et galement quelle avait dcid dentreprendre une formation de psychothrapeute et avait t accepte dans une cole ad hoc

Quand je lui rendis la poupe de sa petite fille blesse, elle me dit simplement, avec un sourire complice: Je pense pouvoir en prendre soin maintenant.

5. Cycle de lexprience, frontire-contact et rsistances

Chez le dpressif, le cycle de contact est comme avort prmaturment. Il y a mergence du a ou sensation, prise de conscience, mais peu ou pas dnergtisation (de mobilisation de lnergie, troisime tape du cycle de Katzeff. Cf. Ginger, 219), donc une grande difficult voire impossibilit passer laction, poser des actes. Indcision, hsitation, doute, confusion, sentiment dimpuissance ne font que ranimer la souffrance profonde, en un cercle vicieux infernal.

Au dpart, il est donc juste que la personne au fond de la dpression naie pas agir, soit prise en charge par son entourage -- y compris son thrapeute et dispose de temps pour se reposer, se ressourcer, et reoive un maximum de soutien et de chaleur affective mme si elle est incapable dy rpondre (tout ce qui peut lui tenir lieu de matrice pendant cette phase deffondrement). Car la seule chose avec laquelle elle est en plein contact cest sa souffrance, sa douleur morale, son mal-tre, son affliction qui saccompagne souvent de honte due au sentiment dimpuissance. Elle est coince dans le retrait:

La fixation la phase de retrait est la caractristique de la dpression: dans le retrait il y a dsintgration, dsir de mort, fixation une vieille Gestalt et impossibilit de former une nouvelle figure; souvent mergent des sensations de rien, de flou, de brouillard, qui bloquent tout processus de transformation. Cest le vide strile (Van Damme, 115),

ou alors dans un prcontact qui naboutit pasIl ny a pas dmergence de figure claire.

La frontire-contact est floue, imprcise, presquabsente, toute recroqueville quelle est autour du retrait du sujet comme sil voulait disparatre jamais dans larrire plan.

Cet tre courb et amaigri il perd quelques kilos chaque semaine--, cet interlocuteur qui ninterlocute plus, ce quasi-muet, voix basse et lente, cette absence de toute affection, cette incapacit dun seul geste de tendresse, dun seul regard chaleureux ou complice, cette dvalorisation de lui-mme [] Regardez cette allure de vaincu, cette dmarche lasse, ce revenu de tout, fragile, frileux et vulnrable, regardez-le avancer tandis que les autres sinterrogent: - Mais quest-ce quil a? (Labro, 38,40)

Le moi ou la fonction Je est amoindrie: la personne est comme perdue, hsitante, incapable de prendre des dcisions, ou de faire des choix, encore moins de les incarner dans laction:

Le matin au lever, premier pas sur le sol, un vertige vous saisit. Vous vous rattrapez au mur, la porte du placard. Ce faisant, vous vous apercevez que vous tremblez. Vous passez devant une glace. Vous regardez ce type qui nest pas vous. Lhorreur de la situation, soudain, vous frappe comme un coup derrire la nuque. Alors, il faut sasseoir sur le rebord du lit. Vous ne pouvez plus avancer. Vous nosez plus repasser devant la glace. Vous tes face au rien, au nant. (Labro, 45)

La seule action envisageable est le suicide, pour en finir:

Seul dans cet espace sans forme et sans couleur, je suis saisi par leffroi, le geste possible du suicide se dessine, se concrtise. Oui, cest possible et cest peut-tre cela quil faut faire. Au moins, a arrtera tout, ce sera une dlivrance. La broyeuse ne broiera plus rien. (Labro,75)

Le a est prsent avec ses affects de tristesse, de dsespoir, dennui, de culpabilit voire de honte, parfois dirritabilit (colre ou rage soudaine devant lincomprhension des autres, ou retourne contre soi-mme), mais le je ne rpond plus.

Dans la fonction personnalit limage de soi est ngative (perte destime de soi, auto- dvalorisation). Bless narcissiquement, le dprim peroit le monde comme frustrant, menaant, non soutenant, et se replie dans son uf. Ses Gestalts inacheves ont voir avec des deuils non termins, des sparations mal assumes, des checs non accepts.

La rsistance la plus visible, dans cet tat de retrait du dpressif, est la rtroflexion: lnergie ne peut plus aller vers lextrieur ou les autres ( sauf par quelques colres/rage chez le dprim agressif), et se retourne le plus souvent contre lui-mme (jusqu lautoagression ou la tentative de suicide, ainsi que dans les somatisations).

Lintrojection consiste en des messages dvalorisants que le dprim continue de senvoyer lui-mme (nullit), ou des croyances invalidantes (fatalit).

La projection dimages idalises (dans la perte dune personne aime) ou au contraire dimages de rejet ou dincapacit (sur tous ceux qui ne le comprennent pas) sera courante (idalisation/dvalorisation/, regrets/critiques).

La confluence: La personne dpressive est dpendante des autres. Elle est dans une attente souvent irraliste. Elle est mal spare, tel lenfant qui attend encore quelque chose de la mre. Les autres sont souvent vus comme des figures maternelles (bonnes ou mauvaises).

Elle narrive pas faire le deuil de ce dsir inassouvi de la bonne mre , de ce quelle na pas eu et ne pourra jamais avoir de cette mre-l. Elle se relie sur le mode fusionnel.

Elle vit dans ses fantasmes et ses rves (dflexion). Elle fuit la ralit ou en tout cas narrive pas sy confronter. Elle peut se rfugier dans le dni, lidalisation, la coupure (clivage, Faux Self), lanesthsie, loubli.

Pierre Van Damme (dont je me suis inspire ici) nous parle de ces rsistances du dpressif comme parfois d un ultime recours pour viter la maladie grave, la mort, ou la folie.(Van Damme,116)

Chez ma cliente Pam, les rsistances en jeu taient , tout dabord, une rtroflexion massive qui lamena jusqu la tentative de suicide (en se taillant les veines avec un bout de verre).

Lintrojection aura voir avec des messages la fois dincapacit et de fatalit (avec repli dans le monde petit, touffant et clos de son village natal aprs une vie assez cosmopolite et citadinelui faisant voir sa vie comme une peau de chagrin). La projection dimages idalises sur son copain perdu (sur un homme qui apparemment stait servi delle et navait, de toute vidence, jamais eu lintention de quitter son foyer).

La confluence dans sa relation avec les diffrents hommes de sa vie tait nette (symbiose, fusion), avec en plus une connotation de proflexion: elle soccupait deux, les soignait jusqu ce quils gurissent de leur maladies respectives (et sen aillent lorsquils taient guris), leur prodiguait soutien et attention, les cocoonait. Elle tait avec eux la bonne mre qui lui avait toujours manqu. Elle leur donnait ce quelle avait besoin de recevoir.

Ces outils conceptuels de la GESTALT seront utiliss tout dabord comme outils diagnostiques. Le thrapeute devra tre conscient de ces rsistances chez le client et pouvoir les reprer luvre (et comprendre la problmatique en jeu). Toutefois travailler sur et avec les rsistances comme on le fait habituellement en Gestalt de manire exprientielle (et parfois confrontante) devra tre modul, et gard pour un deuxime temps dans la thrapie, lorsque le lien de confiance aura t suffisamment tabli. Dans tous les cas il faudra manier cela avec une extrme dlicatesse, toutes ces rsistances tant souvent lies, chez le dpressif, une rupture de lien prcoce (terme de Gilles Delisle, cit par Pierre Van Damme,116). Le nouveau lien avec le psychothrapeutedevra donc tre suffisamment instaur et solide, avant daller taquiner les rsistances du dpressif. Il sera important dagir avec vigilance et par tapes. Ce nest que progressivement et grce ltayage et au soutien du thrapeute que la personne pourra traverser la crise dpressive, (r)-apprendre se confronter avec la ralit, renoncer la toute puissance, et revisiter les frustrations et les souvenirs douloureux enfouis.(Van Damme,117)

III LES LIMITES (possibles) DE LA GESTALT

Il semblerait que lapproche Gestaltiste soit parfois insuffisante pour le traitement de la dpression -- pathologie relativement lourde et souvent archaque--, aussi bien sur le plan des mthodes que de la thorie. Bien sr, cela dpendra ensuite de la qualit du thrapeute lui-mme, de sa finesse, de sa comprhension, de son empathie, de son exprience et de son savoir-faire, ainsi que de sa formation complmentaire (beaucoup de Gestaltistes ont dautres formations et viennent la GESTALT aprs un long parcours, et tous sont ouverts aux autres approches: la capacit de synthse et dintgration de la GESTALT , son ouverture au nouveau , sa crativit et sa souplesse lui ont valu, juste titre, sa rputation).

Les limites possibles de la GESTALT-Thrapie vont avoir faire avec tout ce qui demande trop deffort ou de dfi un client la structure psychique fragile et incapable de sassumer dans ltat o il est , savoirles approches comme:

- la responsabilisation trop prcoce du client

- la mise en acte et la crativit (au moins dans la premire phase de la thrapie)

- les mthodes comme lamplification, le travail sur les polarits, et tout ce qui a trait au psychodrame

- la confrontation

La GESTALT a tendance considrer le client comme un gal, avec sympathie. Avec le client dpressif, lempathie sera plus adquate que la sympathie, le client ntant pas en tat dtre un interlocuteur gal, mais plutt un enfant en grande demande, un tre en grande souffrance et dpendance. Peu capable de prendre la responsabilit de son tat, le dprim vient justement en thrapie pour scrouler dans les bras de quelquun, pour tre pris en charge (au moins dans un premier temps).

Je me souviens encore , dans une phase de dtresse et de dpression, des mots dun thrapeute gestaltiste auquel je mtais adresse, aprs quelques semaines de travail avec lui: Tant que tu nauras pas choisi de vivre, je ne veux plus travailler avec toi. Nous avons eu encore quelques sances ensemble, mais pour moi, le travail avec lui sest termin ce jour-l. Ne me sentant pas soutenue, le lien thrapeutique na pas pu se crer, et jai pris la dcision, cet instant-l, daller chercher du soutien et de la comprhension ailleurs. Sans doute voulait-il me bousculer et me rveiller de mon tat morbide, mais ce quil me demandait me paraissait de lordre de limpossible dans ltat o jtais, et jai reu cette phrase comme une agression et un abandon.

Le thrapeute gestaltise devra donc tre tout spcialement vigilant son attitude, son ton et son vocabulaire: le choix des mots, la rassurance, et la scurit affective tant particulirement importants pour crer le lien thrapeutique avec un dpressif.

Le Gestaltiste peut tre particulirement dcontenanc par le fait que l ici et maintenant de la sance avec un dpressif est lourd, pesant, dsespr, vide, inactif, peu vivant. Il y a peu de matire avec laquelle travailler, pas de mise en acte possible (au moins dans un premier temps), et linterlocuteur-client non seulement ninterlocute pas, mais souvent ne coopre pas non plus

Le thrapeute devra pouvoir accepter ltat rgressif et laccompagner, porter le client et gagner sa confiance, puis accepter douvrir la bote du pass, les souvenirs frustrants, douloureux ou traumatiques qui jalonnent lhistoire du client (dans ce que le Gestaltiste peut percevoir comme une longue litanie de plaintes), revisiter les deuils, les manques, les carences et les blessures anciennes, et mme remplir les blancs (deviner) lorsquil sagit de souvenirs o de moments auxquels il est impossible davoir accs, soit que le client les ait gomms/oublis/refouls, soit quils appartiennent la priode archaque, pr-verbale, voire embrionnaire

Si le thrapeute na pas de solides notions sur la psychologie du nourrisson et des premires annes de la vie, sil nest pas laise pour ce qui est de larchaque et de la psycho-pathologie de ltat dpressif, il aura du mal accompagner la rgression. (La GESTALT sefforce, depuis plusieurs annes, de rparer cette lacune thorique et pratique, en renforant sa formation de Psychopathologie).

En ce domaine, la synthse ralise par Gilles Delisle entre Phnomnologie et Psychiatrie, entre GESTALT et Psychanalyse des Relations dObjets, me semble une avenue tout fait intressante, comme complment de formation pour mieux accompagner les clients dpressifs.

Le simple contact ne suffira pas toujours aller chercher la personne dpressive dans son marasme. Cest de lien prcoce rompu et abm quil sagit et de la rparation de celui-ci par la formation dun lien scuritaire se dveloppant dans la dure, en apprivoisant la confiance et r-apprenant lintimit.

La thrapie de groupe sera aussi introduire et manier avec prcaution. Dans un premier temps, elle peut apparatre comme trop challengeante, trop confrontante, et lintimit du cabinet et de la relation duelle semble prfrable pendant toute la construction du soutien et de la confiance dans la relation thrapeutique.

Dans un deuxime temps toutefois, elle pourra servir de matrice au dpressif et nourrir son moi en reconstruction.

Au mieux, les deux thrapies (individuelle et de groupe) pourront tre envisages simultanment, tant que la relation duelle reste une boue de sauvetage en cas de secousse, de noyade, ou dangoisse dabandon.

La demande massive de prise en charge et dattention, la dsesprance et la fragilit psychique du dpressif auront besoin dune vritable empathie, dun soutien affectif continu (ou en tout cas rgulier), voire dun tayage ou dune sorte de reparentage.

Le psychothrapeute gestaltiste aura-t-il la patience, lendurance et la comptence pour accompagner ce client-l? Acceptera-t-il de sortir de lici-maintenant pour replonger dans le pass avec son client, pour se pencher sur son berceau? Il sagit de permettre et favoriser la rgression, tape ncessaire dans la reconstruction des fondations de base de lindividu, pour quil puisse reprendre enfin le cours de son chemin dveloppemental interrompu.

Fritz Perls

Peut-tre que les limites de la GESTALT tiennent la personnalit de son fondateur, Fritz Perls ou plutt son aura, ou cequil nous en reste aujourdhui. Il est curieux que, sans lavoir connu par autre chose que des on-dit et des rcits de premire et seconde main tel un grand-pre ou arrire-grand-pre quon naurait pas connu mais qui nous aurait toutefois fortement influencs--, nous nous sentons marqus vie par son nergie, sa personnalit, sa rputation et son enseignement retransmis, et que nous ayons un sentiment bien particulier et paradoxal pour cet anctre-l.

Je limagine original, intelligent et cratif, en avance sur son temps, trs soixante-huitard avant lheure, un des premiers Cratifs Culturels (Ray) et pionnier de la Psychothrapie contemporaine.

En rbellion contre lautorit et la socit de lpoque, il ose sattaquer la psychanalyse pour la rvolutionner. Un leader n, rebelle, provocateur, lenfant terrible de la psychanalyse, il est en train de crer une nouvelle forme: la Gestalt-Thrapie.

Un pionnier, certes, qui a ouvert le champ de la psychothrapie, des psychothrapies car beaucoup dentre elles ont emprunt la GESTALT. Un praticien, un exprimentateur, un homme de terrain.

Habit dune nergie communicative, dune intelligence fine et pragmatique, et dun grand cur (il a quelquechose de Rabelaisien), je le vois aussi comme un homme impatient, goste, colreux, emport, au temprament sanguin, truculent, extrme.

Les marathons de Gestalt des annes 60-70 portent une aura dexcessivit, de confrontation voire de provocation parfois violente, de manque de cadre et de limites.

Un homme bless dans son narcissisme primaire (son rejet de et par Freud, son besoin de reconnaissance) et refusant peut-tre (inconsciemment) daller visiter ses blessures profondes pour les assimiler et les mtaboliser (cest une hypothse que jmets)

Un homme pas tout fait mr, jamais vraiment assagi ou pacifi, inquiet, toujours en transit et en recherche (en fuite?), encore un peu adolescent dans ses ractions et ses excs, un peu borderline dans son comportement, avec sa vie en dents de scie

Un homme portant une profonde souffrance narcissique pas tout fait reconnue, pas tout fait visite, pas tout fait transmute.

Or, cest bien de cela quil sagit en psychothrapie (GESTALT ou non), et tout spcialement dans le cas de la dpression et de son effondrement physique et psychique: aller revisiter les souffrances, les traumatismes, les frustrations, les rsistances et les blocages psycho-affectifs pour les dnouer de lintrieur (non pas juste intellectuellement mais avec tous les outils dont nous disposons: intuitions, sensations, ressentis, sentiments, motions); souffrances continuant apparatre dans le prsent, certes, mais ayant souvent leurs racines dans un ou des vnements du pass (petite enfance ou priode ftale), dans une ambiance rcurrente de conflits ( de douleur, dabandon, dabus, de violence, dabsence ou de confusion) quil sera bon de reconnatre et didentifier, dans une histoire jalonne dvnements plus ou moins traumatisants, plus ou moins mtaboliss, dans une trajectoire dont il est important de se rapproprier les tapes, les rptitions, les reproductions, pour pouvoir en dgager le sens et les comprendre, les transformer, les transmuter ou les transcender.

Cest un gros travail intrieur de mtaboliser les blessures refoules de son histoire et pas tous y arrivent, faute de soutien, daccompagnement, de lcher prise, de patience, dnergie, de courage, de persvrance et dendurance.

Perls lavait-il fait, lui qui avait vcu son enfance dans un climat de conflits et de violences permanents, de dvalorisation et dhumiliation (lhumiliation vcue avec Freud le renvoyait une srie dhumiliations plus anciennes, de son pre, violent et mprisant envers lui, qui le traitait, parat-il, de tas de merde Ginger,85)?

Ou avait-il chapp sa propre dpression par le dni?

De par sa personnalit et son histoire, Perls nous ramne lhumilit et la compassion devant le problme de la rpression de la souffrance psychique , qui peut saper certaines vies.

le gnie-crateur de Perls ayant t , justement, dutiliser sa propre blessure narcissique - et lagressivit qui laccompagnait pour crer, en pionnier, cette nouvelle approche thrapeutique des rapports humains, base sur lawareness, le contact et lajustement crateur, tout ce qui avait manqu au climat enflamm et inscurisant de son enfance

Bref, les limites de la GESTALT vis vis de la dpression pourraient bien tre celles de son fondateur (le refus de ltat dpressif et de la rgression) -- mme si tout dpendra ensuite des qualits propres du thrapeute gestaltiste, de son exprience, de sa sensibilit, de son travail personnel et de sa recherche et formation continue pour amliorer ses comptences affectives, rflectives et interactives, ainsi que de toute lvolution de la GESTALT-Thrapie dans les dernires dcennies.

Le thrapeute gestaltiste devra donc tre tout spcialement conscient, avec ses clients dpressifs, quil ne sagit pas seulement de contact mais de la formation dun lien scuritaire, soutenant et durable, pour accompagner la rgression et favoriser la rparation des ruptures de lien prcoces chez le client. Un lien rassurant et chaleureux sur lequel ce dernier pourra sappuyer: pour plonger dabord dans larchaque, puis redmarrer son processus de croissance et retrouver le flux de la vie.

IV POUR UNE PSYCHOTHERAPIE INTEGRATIVE

La GESTALT est dj, ds sa naissance, une psychothrapie intgrative puisquelle sinspire, au dpart, des fondements de la psychanalyse (dont elle sest distancie), de lexistentialisme, de la phnomnologie, de la Gestalt-Psychologie, du Zen et des philosophies orientales.

Peut-tre dailleurs quen se coupant de la psychanalyse elle a jet le bb avec leau du bain. Il semblerait quune rconciliation avec certains lments de la psychanalyse soient ncessaires pour comprendre et accompagner les clients dpressifs et les problmatiques archaques (position par rapport ltat rgressif et les relations dobjet).

Lidal serait une psychanalyse modernise, devenue plus chaleureuse et relationnelle, plus implique, moins frustrante, qui accepterait la co-construction de sens avec le client par le dialogue hermneutique, et qui porterait plus dattention au corps (et au toucher!)et une GESTALT plus patiente, assagie et rflchie, qui accepterait de sortir si ncessairede lici-et-maintenant de la sance pour revisiter la trajectoire de vie du client ,et accepterait de se pencher sur son berceau (accompagnement de la rgression)-- ce qui commence tre le cas , dailleurs, les deux approches ayant rflchi leurs dfauts respectifs

Gilles Delisle a dj russi une sorte dintgration de la GESTALT et de la Psychanalyse dans sa Psychothrapie Gestaltiste des Relations dObjets. Cette Psychothrapie du Lien nest peut-tre encore quune tape vers la thrapie du futur. Les limites entre les mthodes se d-rigidifient, les frontires sassouplissent, les diffrents domaines sinterpntrent et senrichissent mutuellement.

On retrouve mme, dans danciennes approches oublies ou mises de ct, un air de jeunesse et de modernit, et une utilit toute actuelle. Cest le cas, par exemple, de la premire mthode de Freud, reprise par Ferenczi sous le nom de nocatharsis, et dcrite par Edmond Marc dans son article La rgression thrapeutique, dont je cite un extrait:

La premire mthode de Freud (celle des Etudes sur lHystrie) pourrait tre qualifie de mthode rgressive [] dans la mesure o elle encouragerait la reviviscence des traumatismes passes et leur abraction [] notamment par le procd de lhypnose.

On sait que Sandor Ferenczi vers la fin de sa vie retrouve un peu cette dmarche sous le nom de nocatharsis. [] Il sagit, grce la mise en place dun cadre scurisant et la relaxation, daider le patient rgresser la situation traumatique tout en surveillant le degr de tension et en le modrant par une rponse positive et adquate aux aspirations, dsirs et besoins du patient rgress. Dans ce sens, lanalyste naide pas seulement llucidation et la reconstruction de lhistoire du patient; il opre aussi un effet correcteur et rparateur par rapport aux traumatismes de lenfance. (Marc, Revue Gestalt n23, p.32)

Cette abraction ou nocatharsis est bien le but recherch par de nombreuses approches nouvelles, utilisant la visualisation (sinon lhypnose), et est tonnamment moderne (ou prenne). Le rve veill, les visualisations utilises par le chamanisme et la Psychologie Transpersonnelle, et mme lEMDR et le DESCOPEM (dsensibilisation des corps physique motionnel et mental) utilisent un procd similaire bien des gards.

Dans tous ces cas, on accueillera les motions, sensations et images lies la scne traumatisante, tout en maintenant laccompagnement par la voix et travers un contact physique rassurant. On ira chercher avec le client ( travers les souvenirs douloureux) le besoin fondamental qui na pas t respect et on tentera dy rpondre, tout en laissant se drouler la scne et en permettant ces images traumatisantes de se dgonfler peu peu de leur intensit motionnelle, de se transformer au rythme de limaginaire du clientqui pourra ainsi pour ainsi dire- recrer son pass et transformer les croyances installes lors du traumatisme. Le nettoyage de ces motions anciennes, sorte dabraction donc, aideront revenir une image plus neutre et plus supportable, des sensations galement plus neutres et sereines, et rduire le stress intrieur et langoisse (voire positiver les ressentis et les penses).

Dans les rgressions ltat de nourrisson (avec ou sans images), le plus important sera le son de la voix du thrapeute, rassurant et berant, le contact (holding), la qualit de prsence et dattention. Il sagira de redonner des impressions nourrissantes et chaleureuses, pour effacer le froid ressenti, la distance, le rejet vcu sous forme dangoisse archaque,de sensation de manque et de vide.

Cest dans les moments de rgression cet tat infantile que lon pourra nourrir la personne de nouvelles impressions positives et nourrissantes qui viendront se substituer aux sentiments de carences, dangoisse, de dtresse et de manque.

Pam, les tapes dune thrapie

Avec ma cliente Pam, je me suis souvent sentie comme une mre au chevet de son enfant, lui tenant la main pour quelle se rassure et puisse traverser la crise dangoisse ou de dtresse.

Allong l, ce petit corps amaigri et qui avait frl la mort tait comme celui dun enfant fragile qui demandait beaucoup de bons soins, de prsence dlicate et dattention non pesante.

Les six premiers mois de la thrapie de Pam ont consist en ce soutien, ce bercement de la voix et du geste, cette nourriture de base pour tenter de retrouver la cohrence cardiaque dont parle David Servan-Schreiber. Les sances se droulaient ainsi:

Pam arrivait, sasseyait, me parlait de sa semaine, de son tat, de comment elle avait du mal faire face au quotidien. Elle nommait ses angoisses, sa fatigue, ses ides noires, ses insomnies et sa difficult vivre. Souvent elle me demandait de sallonger pour se dtendre.

Ctait lhiver. Je la couvrais dune couverture quand elle avait froid, lui proposais de fermer les yeux et dobserver sa respiration. Je la guidais parfois dans une relaxation-visualisation, en laissant merger ses propres images pour dcrire ses sensations internes. A partir de cette image, de ce hologramme ngatif qui lhabitait, je lui demandais de la localiser dans son corps, de lui donner une forme, ou de laisser venir les images ou les souvenirs qui allaient avecen laissant sexprimer les pleurs, les angoisses, en nommant les motions avec pour objectif toutefois de retrouver un minimum de bien-tre aprs avoir travers limage ou le souvenir ngatif (et avant la fin de la sance): Au lieu de ce sentiment dabandon, de rejet, de dtresse, quest-ce que tu aurais aim rellement ressentir? recevoir? [un sentiment daccueil, damour, de tendresse, de comprhension]..Quel serait limage, le symbole qui reprsenterait ce sentiment de bien-tre/damour/de tendresse? [le soleil, une fleur, un champ de bl en t, un vitrail inond de lumire] Avec une grande respiration laisse limage du soleil/ du champ de bl/ du vitrail remplacer la forme ngative [la masse noire, la roue dente etc], et laisse cette image positive de la force vitale te nourrir et rayonner dans tout ton corps (avec les sentiments positifs de bien-tre/ de tendresse/damour qui taient ton vrai besoin).

Si nous utilisions la visualisation guide lorsque Pam tait au plus bas en partant toujours , toutefois, de ses propres images, ses propres symboles- elle emportait alors un cadeau symbolique de la sance, pour la tenir jusqu la prochaine fois (son image de lumire, son vitrail imaginer pendant la semaine avant de sendormir, ou son champ de bl en t).

Parfois elle me demandait du contact physique, de lui tenir la tte entre mes mains pendant de longues minutes, ou de poser ma main sur son plexus nou par langoisse pour lapaiser.

Parfois nous restions en silence, elle allonge, moi assise, parfois avec de la musique douce, avec ou sans contact physique.

Cest dans cette phase rgressive que des images et situations de sa vie et de son enfance commencrent lui apparatre, tout un climat de rejet et dabandon avec quelques figures clairant cette grosse douleur dont elle parlait souvent (une mre qui ne stait jamais occupe delle, accapare quelle tait soigner son premier fils, rachitique et malade, peine plus g que Pam, celle-ci tant laisse pour compte par cette mre insuffisante, indisponible et vcue comme rejetanteet comment ce premier abandon avait men dautres, toute une srie, jusqu ses relations avec les diffrents hommes de sa vie qui venaient sappuyer sur elle et dont elle avait pris soin -- comme de ce frre invalide--( un homme avec un cancer qui, ds quil fut guri, labandonna pour une autre; lhomme avec qui elle avait eu sa fille et qui, ds la naissance de lenfant, disparut, nassumant pas sa paternit; un homme alcoolique et drogu quelle avait accompagn un bon moment; enfin lhomme mari indisponible qui aprs maints va-et-vient coupa les ponts, ce qui la prcipita dans sa tentative de suicide.)

Des liens se faisaient; une comprhension naissait

Aprs ces longs mois dhiver et de thrapie allonge, au printemps, Pam se releva.

La phase purement rgressive et de soutien fit peu peu place une phase thrapeutique debout, plus responsable et plus active.

Son traitement mdical fut paralllement allg par son psychiatre.

Les sances, de type plus gestaltiste classique (si lon peut dire) inclurent mme quelques mises en actes:

Je me souviens du jour o, debout et avec assertivit, elle a tranch les liens touffants avec ses parents ( confus et intrusifs) quelle se reprsentait comme des lianes et des racines de la fort vierge, avec un couteau pain que je lavais autorise prendre, sa demande, dans la kitchenette attenante au cabinet, telle un explorateur dans la jungle avec sa machette pour se frayer un chemin. Je pensais --non sans humour noirquelle nutilisait plus un tel instrument tranchant pour se tailler les veines comme elle avait tent de le faire un an plus tt, mais bien pour projeter cette nergie vers lextrieur ( fin de la rtroflexion!), dans cet acte de sparation et dindividuation.

Les diffrents domaines de sa vie commencrent se remettre en place et samliorer: travail repris plein temps, relation avec sa fille redevenue complice et affectueuse, recherche dun nouvel appartement dans le but de sortir de lemprise de ses parents (qui lavait hberge titre gratuit dans un local leur appartenant mais o ils abusaient de leur situation de logeurs pour empiter sur sa vie en permanence).

Aprs cette phase dimmobilit qui avait dur tout lautomne et lhiver, Pam se remit bouger. Elle reprit contact avec danciens amis quelle alla voir, les weekends, dans le Sud de la France. Elle sengagea mme avec eux dans un projet professionnel trois qui naboutit pas cause de points de vue conflictuels, mais o elle put se positionner. Son agressivit/assertivit revenait:

Une des sances consista r-apprendre dire NON clairement quand on envahissait son espace, et me repousser dans un corps--corps, mains contre mains puis paule contre paule. Pam faisait maintenant sa thrapie debout.

Quelque chose commenait sincarner mesure que les petits plaisirs de la vie revenaient ainsi quun vrai sourire, de plus en plus souvent, sur son visage.

Elle commena mieux dormir et arrta les somnifres. Elle entra dans la phase de sevrage des mdicaments.

Un autre pisode important de sa vie, dans cette phase, fut sa visite au cimetire de sa ville dorigine o tait un de ses ex-compagnons. Elle ntait pas alle lenterrement (cest la nouvelle compagne du moment qui y tait), lpoque, plusieurs annes auparavant. Elle dcouvrit ce jour l, plusieurs annes plus tard donc, quaprs lincinration on avait oubli de faire mettre le nom du dfunt sur la plaque devant lurne funraire (ngligence conjointe du cimetire et de la deuxime compagne, disparue depuis). Elle fit rectifier cette erreur en offrant elle-mme la plaque, parachevant ainsi son deuil en mme temps que la spulture de cet ami qui elle navait pas dit adieu. Sinspirant aussi du film La liste de Schindler qui lavait touche, elle profita de sa visite au cimetire pour laisser un petit caillou blanc sur une autre tombe aime, avec un message.

Cette visite au cimetire (o elle avait plusieurs morts), re-travaille en thrapie mais bien agie dans la vie relle, fut un moment important o la vivante quelle tait (et qui avait failli mourir puisquelle tait rescape de justesse de sa T.S.) tait alle rendre visite aux morts pour leur dire adieu.

Lt approchait. Pam allait beaucoup mieux. Elle tait calme, souriante, sereine. Son beau regard ntait plus angoiss. Il avait repris de lclat. Elle avait des projets, voyait lavenir avec srnit. La vie reprenait des couleurs.

Avant les vacances dt, elle me dit quelle se sentait assez solide pour faire une pause, voire arrter la thrapie. Elle avait aussi fait une rencontre sympathique quelle voulait explorer.

Nous prmes quelques sances pour clore et nous dire au revoir, en regardant ensemble le chemin parcouru. Je lui demandai toutefois de venir faire le point la rentre, pour massurer quelle tait hors de danger dune rechte.

Je la revis une fois, en Septembre. Elle paraissait heureuse. Ses dcisions prenaient forme. Elle avait aussi des projets davenir avec lhomme sympathique, avec qui elle se sentait bien: La bonne surprise, me dit elle, cest quaprs navoir eu, dans ma vie, que des hommes problmes, celui-ci au contraire na que des solutions!

Je nai trac quune esquisse des tapes de la thrapie de Pam. Je ne dis pas, non plus, que cette thrapie tait forcment termine. Mais Pam semblait hors daffaire , heureuse dans sa nouvelle relation et ses nouveaux projets, aprs sa traverse du dsert. Jai su depuis quelle a quitt lefond de la valle perdue, chang de rgion, et commenc une nouvelle vie avec son ami.

Les trois grandes phases de sa thrapie furent:

1. 1. La thrapie de soutien ou thrapie allonge pendant la phase rgressive (avec les sances de relaxation-visualisation)

2. 2. Le retour progressif de lagressivit et de lassertivit, et la thrapie-debout, de type gestaltiste (incluant quelques mises en acte)

3. 3. Les actes symboliques et rparateurs autour du thme de la mort et du deuil: phase de rparation (aller-retour vers le monde rel et achvement des Gestalts de deuil).

Cette dernire phase fut spcialement significative, avec toute la problmatique de mort qui entourait la cliente. (Je ne lai pas mentionn, mais en plus du frre an rachitique et malade dont il fallait soccuper, un troisime enfant arriva lorsque elle avait 6 ans, bb auquel elle stait attache pour compenser lamour impossible avec la mre indiffrente/indisponible /rejetante --, et qui ne vcut que 8 ou 9 mois. La mort de ce petit frre ador avait marqu aussi ses jeunes annes, et ses compagnons futurs avaient aussi voir avec la maladie, la mort, le suicide)

On peut dire quun des aspects de la dpression cest justement les deuils jamais achevs. Cest une des principales Gestalts inacheves de ltat dpressif: ne pas arriver faire le deuil de quelque chose ou de quelquun (entranant souvent plusieurs deuils successifs et rptitifs), ne jamais clore cette Gestalt de mort, de perte ou de manque fondamental, et donc ne pas pouvoir mener bien une nouvelle Gestalt de vie.

Pam avec son instinct de survie (malgr tout) et sa crativit retrouve, avait russi complter cette Gestalt-l, suffisamment en tout cas pour sortir du bocal, du fond de la valle perdue, et revenir parmi les vivants.

Je voulais vous parler aussi: du rle de la lumire dans la dpression ( mlatonine, synthtisation de la lumire solaire par la glande pinale, septime chakra du Yoga), des deux piliers de lawareness et de lquanimit de la thorie du yogi et psychiatre amricain Stephen Cope, dautres approches complmentaires comme les mdecines douces et thrapies alternatives qui peuvent aider dans les soins parallles pour la dpression(en plus de la relaxation-visualisation, dj mentionne):

- Yoga, mditation, respiration (Pranayama)

- Acuponcture

- Massages, soins corporels

- Exercice physique mesur

- Marche dans la nature (voire jogging recommand par David Servan-Schreiber)

- Appartenance un groupe de soutien

tout ce qui peut aider le dpressif retrouver le sens de lui-mme, de sa respiration, de son corps, de son bien-tre et de son appartenance au monde. En plus de soins complmentaires reus, une discipline personnelle (yoga, mditation , exercice rgulier, activit de plein air) aideront le dpressif dvelopper son auto-soutien.

Jaurais mentionn aussi la psychognalogie et les constellations familiales, dans un 2e ou 3e temps de la thrapie (en thrapie complmentaire), pour travailler sur le transgnrationnel et lhritage familial dans le contexte de la dpression.

Mais je crois quil est plus raisonnable que je marrte ici et que je conclue cet article avant quil ne devienne indigeste ou ne se transforme en roman. Le reste sera pour une autre fois(ou alors je le mettrai dans un appendice cet crit).

CONCLUSION

Au moins aussi important que la technique, la mthode ou lapproche, cest lesprit dans lequel elle sera aborde, la manire dont le thrapeute lutilisera bon escient, dans un climat chaleureux propre renforcer le soutien, qui prvaudra.

Cest par la relation chaleureuse, nourrissante, intime- du prsent, quon gurit la relation insuffisante, douloureuse, frustrante- du pass. ( Soulignons quand mme que pas tous les dpressifs ont besoin dun psychothrapeute pour traverser leur crise. Certains y arrivent sans cela, tout spcialement sil sagit de dpressions situationnelles et sils ont un entourage chaleureux et/ou un rseau relationnel-amical suffisant, o ces qualits de chaleur humaine et dintimit sont prsentes. Dans les dpressions caractre plus chronique et plus archaque toutefois, un bon accompagnement psychothrapeutique sera prcieux).

Le thrapeute est essentiellement l pour accueillir, nourrir, soutenir, donner ltayage affectif ncessaire, sorte dereparentage. Il accompagnera la rgression, puis aidera clarifier, nommer, accepter, comprendre, et enfin il encouragera le client mettre en uvre ces nouvelles comprhensions dans sa vie.

Lessentiel est de redonner cette base de soutien qui a manqu et sur laquelle le dpressif sappuiera pour reprendre pied, complter ses phases dveloppementales interrompues, dvelopper peu peu son autonomie et son auto-soutien, et retrouver le flux de la vie.

Le dpressif aura appris, ce faisant, mieux se connatre et saimer, sortir du faux Self, respecter ses limites, trouver son rythme et sappuyer sur son vrai Self, utiliser son intuition pour aller lessentiel de ses vrais besoins et dsirs, tre plus juste dans les tapes pour les satisfaire, se reconstruire. (A complter ses Gestalts et situations inacheves.)

Il aura appris galement travers la souffrance de cette preuve- la compassion pour la souffrance des autres, le respect des plus faibles, la solidarit humaine.

Le thrapeute, lui, continue apprendre raffiner son coute, sa sensibilit lautre, son empathie et son intuition. Il continue dvelopper sa comptence affective (contact, intimit, capacit crer du lien), interactive (choix des mots et des gestes, propositions appropries) et rflexive (comprhension, recherche, tude).

En touchant les limites de la souffrance travers ses clients dpressifs il prend conscience de la fragilit de la psych humaine (les rechtes sont toujours possibles, une vigilance sera de mise) aussi bien que du pouvoir de gurison de celle-ci (lorsque ses bases lui sont redonnes), et il dveloppe, chaque fois, encore un peu plus, son humanit.

_____

Le contact motionnel est, pour les mammifres, un vritable besoin biologique, au mme titre que la nourriture et loxygne. []

La relation affective est en soi une intervention physiologique comparable un mdicament

David Servan-Schreiber, Gurir

Lintimit est un amour de gurison par le fait si simple et si essentiel de compter vraiment pour un autre.[] Cest le regard damour de lautre qui nous fait natre nous-mmes, seconde naissance, dans la grce de lintimit.[] Lintimit ouvre ainsi la richesse infinie de la vie.

Marthe Marandola, Lintimit

BIBLIOGRAPHIE

BORYSENKO Joan

Minding the Body, Mending the Mind

Bantam Books, 1988.

COPE Stephen

Yoga and the Quest for the True Self

Bantam Books, 1999.

CORNEAU Guy

La Gurison du Cur

Robert Laffont, 2000.

CYRULNICK Boris

Les Nourritures Affectives

Odile Jacob

DELISLE Gilles

La Relation dobjet en Gestalt-Thrapie

Editions du Reflet, Montral, 1998.

Les Pathologies de la Personnalit

Perspectives dveloppementales

Editions du Reflet, Montral, 2004.

DUPEREY Anny

Le voile noir

Seuil, avril 1992.

Je vous cris

Seuil, octobre 1993

EDELMAN Hope

Motherless Daughters, The legacy of loss

Bantam books, New York, 1994.

FOURRURE Sophie

Je me suis perdue

Vivre et traverser la dpression

(mmoires EPG 2me cycle)

GINGER Serge et Anne

La GESTALT, une thrapie du contact

Hommes et groupes ditions, Paris, 1987.

LABRO Philippe