gérôme peintre et sculpteur

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Biography of Gérôme

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  • ' DU MEME AUTEUR

    ROMANS ET NOUVELLES

    La vie d'artiste. Pion et Nourrit, diteurs.

    Maquettes et pastels. Pion et Nourrit, diteurs.Les gamineries de monsieur triomphant. Pion et Nourrit,

    diteurs.

    L'amour qui passe. Pion et Nourrit, diteurs.

    Le sentier du mariage. Pion et Nourrit, diteurs.Les rapins. E. Flammarion, diteur.

    OUVRAGES D'ART

    Lks portraits de l'enfant. Hachette et Cu,diteurs.

    Chefs-d'uvre des grands matres, ire srie et 2 srie.Hachette et Cie

    ,

    diteurs.

    L'homme et son image. Hachette et Cle,diteurs.

    La prface des uvres d'atm morot (en prparation) .Hachette et Cifl

    ,diteurs.

  • F jy.GEROMEPEINTRE ET SCULPTEUR

  • ci:ro.\ik, par AIME morot.

  • lOREAU-VAUTHIER

    GROMEPEINTRE ET SCULPTEUR

    L'HOMME ET L'ARTISTEd'apbs SA CORRESPONDANCE, SES NOTESLES SOUVENIRS DE SES ELEVES

    ET DE SES AMIS

    ... Voulez-vous tre heureux dans la vie?.

    ... Restez toujours tudiants!...

    Grme, ses lves.

    M* o1

    LIBRAIRIE HACHETTE ET GIE

    Paris, 79, Boulevard Saint-Germain

    1906

  • AVANT-PROPOS

    Jem'adresse ses lves, ses amis.

    Je souhaite que ce livre leur plaise,leur rappelle le matre, sa physionomie etson caractre.

    Beaucoup d'anecdotes etpoint de critique

    d'art, tel est mon programme. Je suis sr

    d'honorer ainsi sa mmoire dans la formequi aurait t seule capable de le satisfaire.Grme professait pour la critique un

    souverain mpris. Certes elle rvle trop la

    faiblesse des jugements humains. On vou-drait nous convaincre qu'avec le temps il lui

    estpermis de voir plus clair . Quelle erreur!Ne dnigre-t-elle pas Raphal aprs Vavoirdivinis ? N'adore-t-elle pas Rembrandt

    aprs Favoir ignor ? Pourquoi d'ailleurs

    comprendrait-on mieux des artistes parce

  • ii A VANT-PROPOS

    qu'ils sont morts depuis des sicles, et qu'onne partage plus rien de leurs penses et de

    leurs murs?Reconnaissons avec modestie que les plus

    sincres parmi nous, aussi bien peintresque critiques, ne sont pas trs srs d'avoir

    raison dans leurs prfrences ; et honorons

    avant tout les hommes qui se sont loyale-ment affirms parmi leurs contemporains.Que leurs uvres nous plaisent encore ouqu'elles subissent les retours de la mode (lamode, ce ridicule de demain, a dit je nesais qui), leur vie mrite notre tude et notre

    admiration : une belle vie ne ressemble-

    t-elle pas une uvre d'art?

    Grme ralisa le parfait quilibre deVhomme complet. Aux dons naturels, auxfaveurs de lafortune, il joignit les rsultats

    qu*assurent Vintelligence et la volont.

    Homme heureux, Grme sut mriter son

  • AVANT-PROPOS m

    bonheur. Sa vie rappelle le mot de Berlio\ :

    La chance d'avoir du talent ne suffit pas ,il faut encore le talent d'avoir de la

    chance.

    Ce talent ne consistapas en habilet mon-

    daine, en souplesse diplomatique, mais en

    travail, en vaillance et en loyaut.A mes souvenirs d'lve, ceux que je

    tenais de mon pre qui avait t son voisinet son ami, j'ai voulu ajouter les renseigne-ments de ses lves, de ses amis, de ses

    collgues, de tous ceux qui ne Vont pasoubli.

    Au cours de mes recherches, j'ai eul'honneur d'approcher de grands artistes et

    de passer des heures charmantes voquerGrme, rappeler ses mots spirituels, ses

    rflexions o brillaient toujours la clartde son esprit et Vardeur de sa verve.

    Je citerai entre guillemets les souvenirs

    qui mont t donns par crit etje rsume-rai les autres aussi exactement que possible .

    Mon travail est un hommage collectif.

  • A VANT-PROPOS

    Une part est due aux amis de Grme etdoit leur rester.

    Un mot encore.Les plaisanteries d'atelier asse^ nom-

    breuses dans les pages qui suivent res-

    semblent ces vins si lgers qu'ils doivent

    tre bus dans leur pays d'origine, parmi lesbraves gens qui les ont vendangs. Qu'on lesmette en pice et les porte la ville, tout

    l'arme s'en vapore. On ne les reconnat

    plus.

    J'ai commis cette imprudence : voici levin clairet en bouteilles.

    Maisje m'adresse ceux qui l'on bu dansla libert du plein soleil, au grand air des

    champs, sous l'ombre des treilles et des

    pampres.Ils voqueront le cadre lointain; ils son-

    geront au temps pass, aux illusions d'an-

    tan, aux rires bruyants et insouciants de

  • AVANT-PROPOS v

    leurjeunesse. Et, la faveur de ces souve-

    nirs, peut-tre retrouveront-ils, au fond du

    verre, le parfum vanoui. ce parfum de

    griserie qui les entranait sur la route, plus

    courageux et plus forts, malgr le vent,malgr la pluie.En tout cas, je suis sr que Grme,

    rest si jeune, si gai, Vy aurait retrouv.

  • GRMEPEINTRE ET SCULPTEUR

    Et puis j'ai eu l'amour de tout. 1

    ... Il mena sa vie une allure de pas de

    charge o sa voix sonnait comme le clairon.Dix jours avant sa mort, le i er jan-

    vier 1904, les lves qui venaient lui pr-senter leurs souhaits de nouvel an, s'ton-

    naient devant l'abondance et la varit de

    ses tableaux d'Orient :

    J'ai des tudes dans mes armoires,

    rpondait le matre,... de quoi travailler

    encore pendant vingt-cinq ans2

    .

    Grme avait soixante-dix-neuf ans.Il prononait ces paroles de sa voix reten-

    1. Conversation de Grme avec Castaigne, note parM. Duploy, stnographe du Snat. Manuscrit indit.

    2. Phrase note par Prinet.

  • 2 GROME, PEINTRE ET SCULPTEUR

    tissante, avec son air entreprenant, la phy-sionomie si vigoureuse et si jeune sous sescheveux blancs que ce dfi lanc la mort

    semblait tout simple.. . . Lorsqu'on le rencontrait dans le monde,

    dans les crmonies officielles, en public, on

    tait merveill par sa vivacit comme parsa distinction. C'tait l'homme n pour fas-

    ciner, pour commander, pour conduire; etl'on songeait ces fiers espagnols qui long-

    temps dominrent en son pays de Franche-Comt.A cet atavisme probable, le matre fa-

    milier de Compigne et des Tuileries, dontles traits anguleux et volontaires rappelaient,en plus gai, le masque de Bonaparte

    avait joint l'entrain du second Empire,poque de ses succs, de sa maturit.Mais plus encore qu'aux aventureux Fer-

    nand Cortez et aux brillants Morny, Grmem'avait toujours fait penser aux artisansde la Renaissance, aux orfvres devenus

    peintres et sculpteurs, ces artistes du

  • SON ACTIVIT 3

    xv e sicle, agiles, ingnieux et hautains,amoureux des belles formes, des riches

    toffes, des animaux froces, de la vie danstoutes ses manifestations pittoresques, et

    qui laissaient parfois leurs boutiques pourse runir en de joyeux banquets ou pourfigurer sous de somptueux costumes dans

    des cortges magnifiques, parmi les patri-ciens et les princes.Avec la diffrence des temps, Grme,

    fils d'orfvre, renouvela cette existence; et

    si parfois il jugea, non sans impatience, la

    vulgarit de notre sicle, soyez sr qu'il

    portait l'inconscient regret d'un ge loin-

    tain.

    Il ne faudrait pas croire nanmoins qu'ilait t gar parmi nous. Son esprit trsveill avait, au contraire, compris avec

    lucidit l'art du xixe sicle, art essentielle-ment historique. Sur les traces de son ma-

    tre Delaroche, Grme pratiqua la peintureen chroniqueur et en voyageur scrupuleux.Son talent prpara la vision nouvelle, l'tude

  • 4 GROME, PEINTRE ET SCULPTEUR

    de la vie contemporaine, en rompant avec

    la solennit de David et la fantaisie des ro-

    mantiques, en apportant dans ses tableaux

    le souci de l'exactitude et de la vrit.

    Bien plus, soixante ans, l'ge de la

    retraite pour tant d'autres, il se lanait dans

    une carrire nouvelle et ranimait un art

    oubli, la sculpture polychrome.Cette activit, qui dura toute sa vie, pr-

    senta le curieux spectacle d'un tempramenttrs impatient, mat par un esprit trs m-

    thodique. Dans son travail, dans ses affai-

    res, dans ses relations, le matre apparais-sait sous ce double aspect. Certainement

    Grme n'a pas donn une seule minute desa longue existence la flnerie .

    Chez son ami le docteur Faivre, Franc-

    Comtoiscommelui, combien de fois il entraiten courant, peine arriv pitinait, parlaitde s'en aller et, la montre la main, regar-dait l'heure tous moments. Mme Fai-vre, qui tait femme d'esprit, disait souventau visiteur :

  • SON AMOUR DU TRAVAIL 5

    Tu as l'air de faire cuire des ufs l ! Sa volont dominait cette impatience, si

    bien qu'au lieu d'en souffrir, il en tirait

    avantage. Il lui dut la varit comme

    l'abondance de sa production.Travailler! telle tait sa raison de vivre,

    son bonheur. Travailler en toute sincrit,dans la passion d'exprimer sans faiblesse

    sa pense, sa vision2

    .

    Son gendre, Guillaume Breton, me con-tait les repas de Bougival, quand le matredescendait de son atelier, envahissait la

    salle manger avec la mine presse d'un

    voyageur d'express dans un buffet de gare,

    s'asseyait, criait, appelait tout son monde,exigeait tous les plats la fois, bousculait

    le service, mangeait, buvait sans respirer et

    disparaissait en courant, comme si, l-haut,sa palette et sa toile l'eussent attendu

    heure fixe, prtes partir sans lui !

    1. Communication de Maxime Faivre.

    2. Net, loyal et ferme, il savait se dcider rapidement entoutes choses. Notes de Dagnan.

  • 6 GROME, PEINTRE ET SCULPTEUR

    La veille de sa mort son ardeur au travail

    tait encore la mme. J'ai voulu rappeleren tte de ces souvenirs sa parole ses

    lves : Soyons tudiants! Il demeuratudiant jusqu' sa dernire heure, tudiant

    par son application, sa jeunesse, son entrain,son amour de la vie, son dsir de savoir, sa

    recherche et son respect de la vrit.

    La vrit, telle est la noble desse quele matre a toujours vnre, toujours sui-vie.

    Au-dessus de son lit un tableau la

    reprsentait, et son visage tait tourn vers

    cette image quand on le trouva immobileet le bras lev, glac par la mort, dans un

    geste suprme de respect et d'adieu...

    Mince, agile, vif, de tournure militaire,de caractre enjou, de parole vibrante,avec un ton mordant et l'accent franc-

  • SA PHYSIONOMIE 7

    comtois, tel Grme doit paratre dans lecours de ces souvenirs.

    Chaque fois que sa conversation est

    reproduite, il faut, pour en goter la saveur

    trs particulire, imaginer le verbe sonore

    et tranchant du matre et sa physionomie,son il grand ouvert, ses sourcils en cir-

    conflexes, sa main dresse vers l'interlocu-teur.

    Ses paroles perdent l'criture : la

    musique et la mimique manquent. Il fallaitle voir, l'entendre. Ses lves et ses amis

    le savent. Combien ne peuvent rpter ses mots sans y joindre involontairementses gestes et ses intonations.

    Sa conversation effleurait, marchait parbonds successifs, sans transition. Renseignsur un point, il passait soudain un autre

    par une interrogation brve. Les gens quine le connaissaient pas taient quelquefois

    surpris. A un lve, il demandait : Et lapeinture?... pour s'informer de son travail.

    A un ami de mme, il lanait : Et votre

  • 8 GEROME, PEINTRE ET SCULPTEUR

    pre?... ou bien : Et un tel?... Aprstout, cela ne suffisait-il pas pour s'entendre?

    A ses sympathies, il rservait le ton fermeet contenu, digne des paroles qui lient les

    curs, mais ses rpugnances, il lchait la

    bride avec un emportement qui surprenait,en nos jours de rserve exagre. Ses bou-tades sont clbres, et, au fond, elles accu-

    sent plus de gaiet que de vraie malice1

    .

    Il adorait la plaisanterie. On ne pouvaitlui tre plus agrable qu'en lui rptant

    quelqu'une des charges , parfois inno-

    centes, qui courent dans les ateliers. Il s'en

    rjouissait fort et s'empressait de les col-

    i. A la suite d'une crmonie officielle, un peintre quin'tait pas de l'Institut, dit: Vous tiez fort bien avec votretricorne, votre pe, votre bel habit vert... si vert... Ehoui, poursuit Grme, trop vert ! Dans une commission, un personnage politique parle trs

    longuement, critique l'enseignement des Beaux-Arts, ledtruit de fond en comble mais ne propose rien la place desruines qu'il vient de faire. Grme se lve son tour et com-mence parler en ces termes : Messieurs, il est plus faciled'tre incendiaire que d'tre pompier ! A un modle qui, devant un de ses tableaux, lui demande :

    Qu'est-ce que a veut dire ? Grme rpond : Que voustes une bte, mon ami.

  • SON CARACTRE g

    porter. Sa rputation de joyeux conteurtait sa coquetterie. M. Daumet me disait

    que le duc d'Aumale se divertissait cou-

    ter Grme, s'amusait mme provoquersa verve.

    Son accueil, qui resta toujours trs simplemalgr sa haute situation, s'accordait aveccette humeur facile. Lorsqu'on frappait sa porte, on tait sr de le voir venir les

    mains tendues.

    Nous avons tous remarqu d'ailleurs ladlicatesse et la sensibilit que cachait son

    apparence de rudesse. Grme repoussaitles tristesses qui affaiblissent et dsarment. Il ne faut pas penser ces choses-l ! . . .

    Mme en peinture, il rejetait les sujets troptristes 1 : On ne peint pas ces choses-l. Il mnageait sa vaillance. Et puis, il res-

    pectait l'motion.

    i . Frmiet m'crit : Vous savez l'extrme sensibilit deGrme pour la souffrance des btes. Un jour que je luimontrais un groupe reprsentant un chat qui s'apprte man-

    ger une niche de jeunes moineaux, Grme me dit : Jem'en vais... Je ne peux pas regardez a. C'est affreux !

  • io GEROME, PEINTRE ET SCULPTEUR

    Il possdait la fleur exquise des curs

    fiers : la pudeur de l'attendrissement1

    .

    Je suis venu au monde par hasard...Je dois le jour la Rvolution... Je suis, ma manire, un fils de la Rvolution...

    2

    Son grand-pre allait recevoir les ordres,

    quand la Rvolution avait clat. Obligde renoncer l'glise, le digne hommefinissait par se marier; son fils, horloger-orfvre Vesoul, devint le pre de LonGrme.

    Il ne dplaisait pas au peintre des Deux

    Augures que sa naissance offrt cet imprvu,ce pittoresque. Mais s'il savait gr son

    grand-pre de l'ironie comme du fait,

    i . M. Grme tait d'un caractre gal ; il tait extrme-ment gai et plaisantait sans eesse. Notes de Dcorchemont.

    Il tait d'une humeur gale, enjoue, d'un esprit aimable,vif, d'un caractre essentiellement franc, franc jusqu' l'h-rosme... Notes de Dagnan.

    2. Conversation avec Castaigne.

  • A VESOUL il

    Grme n'avait pas hrit les faiblessesd'un caractre hsitant, ni les ferveurs d'une

    me mystique. Ce n'est pas que je n'aie essay... mais,

    ma foi, a n'a pas pris...1

    Jean-Lon Grme naquit Vesoul le1 1 mai 1824.

    J'ai retrouv Vesoul une photographie

    qui reprsente son pre. On est saisi parla ressemblance : mme tnacit, mmevolont. Le bas du visage, la bouche, le

    nez surtout semblent calqus l'un sur l'au-

    tre. Mais, autour du front moins large et

    dans les yeux moins vifs, ne brille pointcette lueur qui claire le visage de Lon.Le pre annonce plus de placidit, une

    ambition plus restreinte.

    Le jeune Lon, dlicat, frle mme 2 , enapparence, mais nergique dj, semble

    avoir t un petit travailleur press de faire

    uvre d'homme.

    1. Communication de Dagnan.2. Communication de Mme Grme.

  • 12 GROME, PEINTRE ET SCULPTEUR

    N'attendez point les cahiers couverts de

    croquis, les rveries, les projets d'avenirdes biographies courantes. L'colier poss-dait le caractre ferme, l'esprit clair et pra-

    tique de l'homme futur. Comme il dessinaitau collge avec l'adresse d'un enfant n

    parmi les crayons et les outils d'un orfvre,

    peu peu, l'ide de devenir peintre plustard se prsentait son imagination. La car-

    rire d'artiste tait un mtier agrable

    pour lequel il se reconnaissait du got en

    mme temps que des facilits. A Vesoul,si loin de Paris, dans un milieu trs pro-vincial et une poque o la Presse nedonnait point encore si facilement l'illusion

    de la clbrit, l'art ne possdait aucun

    prestige, tout au contraire.

    L'enfant n'avait qu' regarder son pro-fesseur de dessin pour apprendre que la

    peinture ne conduisait pas la gloire.Grme pouvait donc dclarer, soixante-

    dix ans plus tard :

    Je n'avais aucune ide de la vie de

  • SON PROFESSEUR DE DESSIN 13

    peintre. Je considrais que c'tait un m-tier comme un autre, assez intressant,mais voil tout. Je ne savais rien... Et puis

    j'tais oblig de travailler beaucoup en rh-

    torique, en philosophie, pour tcher d'avoir, seize ans, mon grade de bachelier es

    lettres; de sorte que je faisais un peu de

    dessin, mais trs peu...i

    Le professeur de dessin du collge s'ap-pelait Cariage.

    M. Cariage a t mon premier matreet je lui suis profondment reconnaissantdes bons conseils qu'il m'a donns quandj'tais presque enfant. Sous sa direction,

    j'ai commenc me pntrer des propor-tions relatives des choses

    ; j'ai appris

    mettre en place et apport cette opra-tion difficile toute la volont imaginable. Il

    tait exigeant et nous habituait faire tout

    avec soin;aussi ai-je gard cette excellente

    habitude, ne laissant partir un ouvrage que

    1 . Conversation avec Castaigne.

  • i 4 GROME, PEINTRE ET SCULPTEUR

    lorsque j'avais apport toute ma probitd'artiste, recommenant deux et trois

    fois des tableaux qui me paraissaient ter-

    mins 1 .

    Cariage qui mourut en 1875, l'gede soixante-dix-sept ans, put assister aux

    succs de Grme et, chaque anne jusqu'sa mort, eut la joie de voir son ancien

    lve lui apporter en de frquentes visites

    lorsqu'il venait Goulevon2 des

    tmoignages de respect et un reflet de

    gloire.

    J'aurais de nombreux exemples donnerdu culte de Grme pour ses vieux amis.Les plus modestes compagnons de son exis-

    tence trouvaient en lui une inbranlable

    fidlit dans le souvenir.

    On aurait pu croire, tant il y mettaitde simplicit, qu'il obissait plus son

    1 . Lettre de Grme Gaston Coindre, dans une brochure :Cariage, par G. Coindre.

    2. Vers 1860, le matre dcida ses parents se retirer auxenvirons de Vesoul, Coulevon, dans une jolie proprit ochaque t se retrouvait toute la famille Grme.

  • LE TABLEAU DE DECAMPS 15

    sentiment du devoir qu' sa sensibilit

    naturelle.

    Je suis un homme de devoir ' ! rp-tait-il avec son affectation de rudesse.

    Mon bon matre, pourquoi ne vouliez-vous pas avouer que de tels devoirs vous

    taient doux ?

    Comme le petit dessinateur s'acquittaitavec adresse des copies de gravures que lui

    demandait le digne Cariage, son pre lui

    rapporta de Paris une bote de couleurs et

    un tableau de Decamps.Grme avait quatorze ans. Il entreprit

    une copie de la toile qui reprsentait un

    montreur de singes avec des chiens.

    Premire peinture, premier succs. On

    parla de Paris ; un ami de Delaroche quihabitait Vesoul, offrit de recommander Ten-

    1. Communication de Dagnan.

  • i6 GROME, PEINTRE ET SCULPTEUR

    fant. Mais le pre de Grme opposait unersistance d'homme prudent et pratique :

    Gueux comme un peintre'

    ! rp-tait-il.

    Lorsque Grme se souvenait de ce pro-verbe, il hochait la tte.

    On le disait, alors. On le dira denouveau, prochainement... Vous verrez

    cela 2 !

    Malgr sa vaillance naturelle et son heu-reuse carrire, il semble que, toute sa vie,le matre ait conserv dans les oreilles

    Tcho des paroles paternelles. Il ne cessade redouter pour lui-mme, pour les siens,

    pour ses lves, pour ses amis, les menaces

    de la misre.

    Ds qu'un jeune homme lui exprimaitle dsir d'tre peintre, il se proccupaitde son avenir, le questionnait sur ses pa-rents :

    ce Votre pre a-t-il de la fortune, peut-il

    1. Conversation avec Castaigne.2. l.

  • GUEUX COMME UN PEINTRE! 17

    vous aider longtemps... longtemps, enten-

    dez-vous ?... peut-tre mme toujours ? Dans ses dernires annes, il reut une

    lettre enthousiaste et dsole. L'histoire

    d'un pre sans fortune qui refusait de lais-

    ser son fils entrer l'cole des beaux-

    arts, dut reporter le glorieux matre ses

    lointains dbuts. Sans hsitations, il rpon-dit :

    Je n'encouragerai jamais personne au-

    jourd'hui faire de la peinture \

    Il disait souvent :

    Les jeunes gens se figurent un travail

    gentil, un travail qu'on fait ses heures,

    quand vient l'inspiration... Elle ne vient

    jamais dans ces conditions-l !.. Notremtier est peut-tre le plus dur que jeconnaisse. Mme avec du talent, la pein-ture ne fait pas vivre, encore moins la

    sculpture... Mieux vaut tout autre mtier :on serait plus sr de vivre... Quelques rares

    1. Conversation avec Castaigne.

  • 18 GROME, PEINTRE ET SCULPTEUR

    artistes parviennent une situation, mais

    les autres, tous les autres ?... C'est la mi-

    sre...1

    Et il achevait sur un ton solennel, avec

    les bras levs :

    Je m'tonne qu'il y en ait encore devivants !

    Dans son atelier de l'cole des beaux-

    arts, lorsqu'un lve ne montrait aucun

    don srieux, il lui adressait la terrible

    question :

    Mon ami, qu'est-ce que fait votre

    pre ?

    Si le pauvre rapin ne comprenait pointcette invitation dtourne continuer le

    mtier paternel, Grme insistait, dans unesrie de petites phrases images, que nous

    lui avons entendu rpter invariablement

    sur un ton sonore et bourru :

    Gela ne va pas!... Nous sommes dans

    une mauvaise voie,... qui conduit une

    i. Conversation avec Castaigne.

  • GUEUX COMME UN PEINTRE! 19

    impasse!., nous ne pourrons pas en sor-

    tir!... Nous sommes perdu!...

    Aprs une pause, il concluait en regar-dant en face le jeune homme tout con-fus :

    Il faudra changer de mtier.

    Lorsque cette rudesse n'avait pas abouti,

    que plus tard, dans ses courses travers

    les ateliers, au moment des envois au Salon,il retrouvait le rfractaire obstin, le matre

    s'adoucissait. A quoi bon dblatrer ! Lesavis ne serviraient plus de rien !.. Il tait

    trop tard...

    D'un coup d'il, il examinait le logisde son lve et il s'informait :

    Voyons, mon ami, a va-t-il?.. Sommes-

    nous content ?

    Et l'excellent homme intervenait aubesoin, non seulement par de bonnes paro-les, mais par des actes.

    Si un jour enfin arrivait un dsastre, ilintervenait toujours.Combien de secours, ignors parfois de

  • 20 GROME, PEINTRE ET SCULPTEUR

    ceux mmes qui en profitaient, de travauxcommands sa demande, par ses amis,par son beau-pre, Goupil, par l'tat !Dans sa jeunesse, un de ses camarades,

    mari, pre de famille, parvenait difficile-

    ment vivre et se dcourageait devant Tin-

    diffrence des amateurs. Grme s'entendavec plusieurs amis, runit une somme

    d'argent, la porte Goupil, et lui dit :

    Achetez, avec cela, des tableaux X...

    Si vous les vendez, vous reporterez l'argent notre petite masse.

    L'affaire russit merveille : non seule-

    ment Grme et ses amis recouvrrent leur

    argent, mais Goupil, entran, acheta pourson compte des tableaux; et le camarade

    lanc, plein d'ardeur, devenu un des bons

    peintres de notre temps, ignora toujours

    quel ingnieux et touchant stratagme il

    devait ses premiers succs.

    Pensez-vous la jolie scne qui se jouaitdans les ateliers de Grme et de ses amis,quand leur camarade accourait, tout heu-

  • LE PETIT BACHELIER 21

    reux, leur annoncer la bonne nouvelle qu'ilssavaient si bien :

    ce Goupil m'achte mon tableau! Ahbah ! tu es content au moins ? Content ?

    Ma foi oui, je suis content! Et quel plaisir dlicat de savourer cette

    joie en songeant qu'on en est l'auteur et

    que l'oblig n'en saura jamais rien1...

    *

    Bachelier seize ans, Grme prenait laroute de Paris avec une lettre de recom-

    mandation pour Delaroche. A seize ans,presque un enfant.

    Son pre avait cd, mais il avait pro-nonc cette menace qui montrait toute son

    ignorance de la vie d'artiste :

    Je te donne un an... Si cela va bien, tucontinueras. Si cane va pas, il faudra penser autre chose 2 .

    1. Ce fait m'a souvent t cont par mon pre. L'artiste enquestion mourut deux ou trois ans avant Grme.

    2. Conversation avec Castaigne.

  • 22 GROME, PEINTRE ET SCULPTEUR

    Bien souvent, m'crit Mme Grme, ilme racontait ce dpart de la maison pater-nelle, l'inquitude des grands parents, le

    blme mme qu'ils manifestaient en voyantleur petit-fils embrasser la carrire d'artiste !

    Ils le croyaient irrmdiablement perdupour eux...

    Aprs deux jours et une nuit de voyagesur l'impriale de la diligence, le petit Lon,bris de fatigue mais bien heureux, dbar-

    quait rue Montmartre dans la cour des Mes-

    sageries dont le tableau de Boilly (Louvre)nous a conserv le souvenir, etdescendait rue

    Neuve-Saint-Martin chez un correspondanto devait s'couler la premire anne deson sjour dans la capitale

    1.

    J'y tais trs mal; j'avais une chambrede domestique sous les toits

    2.

    Mais il entrait l'atelier des lves de

    i. Dans une lettre du 9 octobre 1840, le petit voyageurraconte en termes nafs sa premire course dans Paris etdcrit avec un enthousiasme de jeune provincial la place de laConcorde.

    2. Conversation avec Castaigne.

  • ARRIVE A PARIS 23

    Delaroche, joie qui effaait toutes les tris-

    tesses : Chaque matin, je courais, je volais mon travail i !

    L'ancien atelier des lves de Delaroche

    existe encore aujourd'hui. Il forme l'ateliern 3 dans la cour de l'Institut et est occup

    par le matre sculpteur Frmiet.

    Frmiet, l'ami de sa jeunesse, dans cetatelier o il avait dbut, quelle rencontre!

    Chaque fois qu'il y venait, me disaitM. Frmiet, Grme regardait avec intrtces murs qui lui rappelaient tant de loin-

    tains souvenirs et souriait au pass2

    .

    A l'poque o Grme y apprenait lesrudiments de l'art, cet atelier s'ouvrait sur

    la rue Mazarine. La vie bruyante des jeunes

    1. Communication de Dcorchemont.

    2. Lettre de Frmiet : Grme tait mon ami le plusintime : nous nous tions connus nos ges de vingt ans.Parmi quantit de traits d'amiti dvoue qui formaient le fondde notre liaison, en voici un de grande dlicatesse de senti-ment. Lors de ma rception l'Institut, quoiqu'il ne ft pasalors prsident, il voulut tenir le fauteuil, de faon ne paslaisser d'autres le soin de me recevoir. Et tout le monde mecomplimenta du speach mu et charmant qu'il m'adressa encette crmonie...

  • 24 GROME, PEINTRE ET SCULPTEUR

    peintres amusait beaucoup le petit pro-vincial. Sa gaiet naturelle s'panouissaitdans ce milieu jeune et joyeux. Il riait detout son cur, sans doute avec une certaine

    innocence, parce qu'il se rappelait que les

    anciens remarquaient :

    ce Rit-il btement, le nouveau1

    ! .

    Nanmoins, Grme n'eut pas souffrirdes brimades traditionnelles. Son ami,Jean Aubert, qui le connut l'atelier Dela-

    roche, me disait que Grme imposait djet sans effort, par son entrain, son air

    d'nergie, par cette singulire autorit

    qui, toute sa vie, lui a permis de forcer

    l'attention son gr, o il voulait etcomme il voulait 2 . Et puis, il avait sur

    ses camarades le prestige de son titre

    de bachelier. A cette poque, un bachelier

    i . Conversation avec Castaigne : J'ai un vieux camarade,mort aujourd'hui, qui disait : Rit-il btement, le nouveau l

    Je lui rappelais cela quand je le revoyais.

    2. Il tait pourtant, cet ge. chtif et peu dvelopp, medisait Mme Grme, qui tenait ce renseignement de ses beaux-parents.

  • L'ATELIER DELAROCHE 25

    ne se rencontrait pas souvent dans les ate-

    liers.

    Les farceurs ne manquaient pourtant pas

    parmi les lves de Delaroche. Cham, lefutur caricaturiste, rvlait dj son inta-rissable gat.

    Quand un nouveau arrivait, si on s'aper-cevait qu'il ne connaissait pas Delaroche,on le poussait vers Cham.

    Voil le patron : prsente-toi au patron, M. Delaroche... 1

    Et Cham jouait son rle avec une gravitburlesque. Il s'informait en dtail de la

    famille du nouveau. Il insistait d'un air

    souponneux :

    Vous m'affirmez que personne, parmiles vtres, n'a rien se reprocher... .

    Que mangez-vous vos repas ? deman-dait-il encore. M. Ingres ayant prononccette parole admirable : ,Le nombril estl'il du ventre , tout ce qui intresse le

    1. Communication de Jean Aubert.

  • 26 GROME, PEINTRE ET SCULPTEUR

    ventre doit attirer nos soins, parce que ce

    qui intresse le ventre intresse l'il et quel'il c'est la vue...

    Le nouveau abasourdi balbutiait... Un

    jour qu'il confessait manger souvent dessardines l'huile, Cham entra en fureur :

    Des sardines l'huile!... l'huile!

    Mais, malheureux,., l'huile de poisson ne

    sche jamais : rien n'est plus mauvais pourla peinture!

    Enfin, il priait le nouveau de se dsha-

    biller :

    Je veux connatre mes lves, dclarait-

    il. Comme on fait dans sa nature, je neveux pas d'lve mal fait, parce que les

    gens mal faits font de la peinture mal

    faite.

    Quand le postulant tait dshabill, ill'examinait longuement au milieu du cercle

    des lves silencieux et recueillis. Un pin-ceau la main, charg de bleu de Prusse,il indiquait, par des croix de couleur sur

    la chaire nue, les formes dfectueuses

  • L'ATELIER DELAROCHE 27

    que le patient devait s'engager corriger

    par tous les moyens possibles et mmeimpossibles, sous peine d'exclusion. Aun nouveau qui portait un nez norme,Cham dclara en lui barrant de bleu sonappendice : Je veux bien vous recevoir...

    nez en moins, c'est--dire que vous devrez

    vous prsenter ici ayec la marque bleue de

    ma correction tant que vous n'aurez pasrduit votre nez une dimension conve-

    nable... Jamais vous ne pourriez dessinerune tte d'ensemble avec un nez pa-reil!

    Les nouveaux rcalcitrants taient ficels

    une perche dans la pose d'un cul-de-jatteet transports sur la place de l'Institut oils restaient en dtresse, exposs la curio-

    sit des passants, jusqu' ce que unebonne me les dtacht.

    Les moindres occasions prtaient la

    plaisanterie. Un jour de rception l'Ins-titut, des plantons cheval s'chelonnaient

    dans la cour. L'un d'eux post prs du

  • 28 GROME, PEINTRE ET SCULPTEUR

    vitrage de l'atelier Delaroche, trs intrigu

    par le vacarme, risquait de temps en tempsun regard de ce ct. Les lves s'en aper-

    urent, ouvrirent un carreau du vitrage,

    engagrent la conversation. Tu t'embtes l, mon vieux... Tu de-

    vrais venir avec nous. Comme on n'est pasencore de l'Institut, on s'amuse...

    Le pauvre diable souriait, impassible.ce Et puis nous avons un modle de

    femme .L'il du planton s'anima : Oui, quelque chose de gentil... Oh! tu

    peux regarder, mon brave : a ne cote

    rien... En te dressant sur tes triers...

    Le cavalier obit, passe la tte par le

    vitrage, se penche l'intrieur... Aussitt

    les rapins l'empoignent, lui frotte le visagede bleu de Prusse, lui coupent les crins de

    son casque... On imagine quel effet pro-duisait, dans la cour, la tenue peu militaire

    du planton et le scandale que souleva son

    apparition lorsque, la face bleue et le casque

  • HAMON 29

    ri

    sur son cheval...

    chauve, tout ahuri, le malheureux retomba

    Des contrastes mouvants florissaientdans cette atmosphre de gaiet.Hamon 1

    , pensionn par son dparte-ment qui lui donnait 5oo francs par an,

    Hamon, avec un sourire de philosophe,montrait ses pieds nus dans ses chaussures

    troues et, la fin des sances, recueillait

    les crotes de pain laisses par les dessi-

    nateurs.

    Voil de quoi faire, ce soir, une bonne

    petite soupe2

    .

    Combien Grme devait penser au pro-verbe : Gueux comme un peintre!Et quelle singulire existence que celle

    de ce petit Breton qui, pour expliquer son

    1. Je trouve la plupart des renseignements suivants surHamon dans une plaquette Hamon, par Hoffman.

    2. Communication de Jean Aubert.

  • 3o GEROME, PEINTRE ET SCULPTEUR

    courage, devait plus tard crire cette phrasede terrible ironie :

    J'avais eu le bonheur, tant jeune,d'avoir t plus pauvre encore

    1.

    Il devait crire aussi, en pensant cette

    poque de sa vie : Les mendiants ont des amis

    ;mais les

    malheureux qui ne veulent pas tre men-

    diants, n'ont pas d'amis. C'est une secte

    part. Etre plus pauvre qu'un mendiant,c'est assez rude. Eh bien! j'ai t dans la

    catgorie de ces gens-l...2

    Hamon tait n dans la commune dePlouha (Ctes-du-Nord) en 1821.

    Le cur du pays remarqua le gamin dudouanier qui s'amusait dessiner et colo-

    rier les images d'une Bible. Sur sa recom-

    mandation, Hamon entrait Lannion chezles frres. Ceux-ci encourageaient ses gotsd'artiste, et le poussaient prononcer des

    vux. Peut-tre la joie d'tre nomm pro-1. Hamon, par Hofman.

    2. U.

  • HAMON 31

    fesseur de dessin et d'criture entranait-

    elle le petit Hamon cder. Il pronona,pour trois ans, les vux d'obissance, de

    pauvret et de chastet. Je fus un saint

    pour l'observation de ces vux1. Certes

    frre Elpyre devait mme connatre la pau-vret plus longtemps encore et sans s'y tre

    vou librement.Mais peu peu le doute assaillit le petit

    frre. Il se mit crire de longues pages

    son confesseur. Il prtendait ne pouvoiradmettre Dieu tel qu'on le lui dcrivait. On me l'explique mal. Je ne l'aime pascomme cela. Je veux le connatre. Je veux

    l'aimer 2 .

    Un soir enfin, h dclara tout net qu'ilpartait le lendemain.

    Il partit...

    Ces souvenirs, lorsqu'il les contait

    ses camarades, prenaient une curieuse

    saveur de tristesse et d'ironie. Sa vie

    1. Hamon. par Hoffman. v

    2. l.

  • 32 GROME, PEINTRE ET SCULPTEUR

    tait tisse des navets d'un rveur, d'un

    timide et d'un tendre. 11 les notait avec

    la complaisance et la finesse d'un obser-

    vateur et les contait avec l'esprit d'un hu-

    moriste.

    A l'en croire, en arrivant Paris, sapremire pense avait t d'aller au Luxem-

    bourg. Ne lui avait-on pas dit : C'estl que sont les peintres vivants. Il y

    court, heureux de voir des artistes, des

    collgues. Il entre : il n'y avait que des ta-

    bleaux.

    Voici comment il parlait plus tard de

    l'poque o Grme l'avait rencontr dansl'atelier de Delaroche :

    Je djeunais avec deux sous de pain etdeux sous de charcuterie; je dnais pourneuf sous avec Picou. Nous achetions deux

    sous de pain chez le boulanger et, au res-

    taurant, nous demandions un bol, nous ymettions notre pain coup, et nous disions :

    Trempe^! et on nous trempait la soupe

    pour trois sous ; puis nous demandions

  • JE TE DONNE UN AN ! 33

    un ce buf : quatre sous. Total : neuf

    Auprs d'une telle misre, Grme, aid

    par sa famille, semblait le filleul des fes.

    Toi, lui dit un jour un camarade, tu astoutes les veines 2 !

    Le petit Vsulien savait qu'il ne devait

    pas ngliger sa veine . Il dpendait de lui

    qu'elle se prolonget au del d'une chance

    menaante : Je te donne un an ! Dsi-reux de triompher dfinitivement des hsi-

    tations paternelles, d'assurer son avenir

    suivant ses rves, il travaillait avec ardeur

    et acharnement.

    Dans une lettre date du 10 dcembre

    1. Hatnon, par Hoffman.

    2. Communication de Jean Aubert. Plus tard, soixante-quinze ans, Grme, dans sa conversation avec Castaigne,devait dire: J'ai toujours eu beaucoup de volont, maisjamais d'ambiticn. J'ai dpass de beaucoup toutes mes esp-rances. Tout le monde ne peut pas en dire autant.

  • 34 GRME, PEINTRE ET SCULPTEUR

    1840, Grme crit son pre : Je meporte merveille... Je vais trs rgulire-ment l'atelier et je suis occup peindreau Louvre un chien d'aprs Zurbaran. Je

    l'ai presque termin et je pense vous l'en-

    voyer bientt.

    Un passage de cette lettre montre combienle pre tenait se renseigner sur l'assiduit

    du jeune tudiant. M. Alary est dj all deux ou trois

    fois chez M. Delaroche, comme tu le lui

    avais dit, mais il ne l'a pas encore trou-v... Et Grme poursuit : Au resteM. Delaroche m'a encore dit aujourd'huique ma tte (dans sa prcipitation, il a oubli

    d'crire les mots suivants et il continue:) et

    dans quelques semaines, je dessinerai, jecrois, d'aprs nature.

    Le 28 dcembre 1840, une autre lettrenous apprend que le chien de Zurbaran at expdi Vesoul et nous donne desdtails sur la vie du petit rapin :

    J'ai pens que cela te ferait plaisir, dit

  • A L'COLE DES BEAUX-ARTS 35

    Grme son pre, c'est un chien d'aprsZurbaran et ce qui m'a engag le copier,c'est le naturel et la vie qui le caract-

    risent.

    Je me trouve toujours trs bien Pariset je trouve la vie d'atelier trs agrable. Je

    vais le matin huit heures; et, l'heure

    du djeuner, nous nous prcipitons touschez le marchand de pommes de terre frites,et avec un sou de pain, un sou de pommesde terre, on fait son petit djeuner de gar-on.

    Je dessine d'aprs nature. Car M. Dela-

    roche a t trs content du torse de la Vnusde Milo que j'avais copi.

    Je pense qu' l'avenir, il sera toujoursaussi content de moi. Je suis trs bien avec

    tous les rapins et quoique une fois sorti de

    l'atelier je ne les voie plus, ils sont au mieuxavec moi.

    Il suivait aussi les cours de l'cole des

    beaux-arts, sans enthousiasme, par devoir,

    pour obir son pre , tcher d'obtenir

  • 36 GROME, PEINTRE ET SCULPTEUR

    les titres officiels qui brillent et qui son-

    nent 1 .

    Il s'ennuyait l'cole. J'ai toujoursaim travailler sans tre en prison. Gela me

    fatiguait, cela m'assommait de ne pouvoirdire un mot 2 . Les sances dans l'atelier

    Delaroche, au milieu du bavardage de ses

    camarades, Jean Aubert, Damery, Picou,

    Gobert, Hamon, Alfred Arago, plus tard

    inspecteur des beaux-arts, Hbert, Lan-

    delle, Jalabert, Yvon, Chani, lui plaisaient

    davantage. Toute sa vie, Grme, malgrson entrain naturel, fut incapable de sup-

    porter la solitude; et ce silence imposdans les cours de l'Ecole lui donnait une

    impression de tristesse et d'isolement. J'ai

    toujours aim le ct gai de la vie3

    , rp-tait-il souvent.

    Au bout d'un an, le pre de Grme vint

    i. Grme devait obtenir une troisime mdaille de dessind'aprs YAntique, le 26 aot 1843.

    2. Conversation avec Castaigne.

    3. Communication de Dagnan.

  • RUE DE L'ANCIENNE-COMDIE 37 Paris. Les rsultats obtenus en si peude temps le rassurrent, il parat. Nonseulement Lon Grme put poursuivreses tudes, mais il lui fut permis de quitterla rue Neuve-Saint-Martin et de louer, plus

    prs de l'atelier Delaroche et de l'cole, une

    chambre, 24, rue de l'Ancienne-Comdie.

    On imagine la joie du jeune artiste. Aubert,Hamon, Picou, Gobert, Damery, bien quela pice ne ft pas grande, se runissaient

    dans la chambre de Grme, et, au milieude la fume des pipes, discutaient, chan-

    taient, dessinaient.

    A la fin de Tanne, le 24 dcembre, enenvoyant ses souhaits son pre, Grmerend compte de sa vie nouvelle :

    M. Delaroche est content de moi et

    aujourd'hui je suis all chez lui, pour luifaire voir une esquisse d'aprs Titien que

    j'avais faite au Louvre. Il m'a prt un de

    ses dessins pour le copier et m'a engag beaucoup travailler, conseil que je crois

    remplir en ce moment. Je n'ai pas eu le

  • 38 GROME, PEINTRE ET SCULPTEUR

    temps de te faire un tableau pour ta fte,

    je te l'enverrai un peu plus tard.

    ce Je me trouve encore mieux Pariscette anne que Tanne dernire. Je restetout prs de l'atelier, ce qui est trs com-

    mode pour moi, et je n'ai plus l'ennui debarboter le matin et le soir, dans la boue de

    Paris, ma chambre est grande et commodeet je me trouve au milieu de tous mes amis.

    *

    Enfin je me trouve trs heureux... *

    La petite bande de rapins parcouraitaussi, par les beaux jours, les environs de

    Paris, la bote couleurs sur le dos et le

    parasol en mains. Grme, avec cette faci-lit de travail et cette impatience qui ne le

    laissaient jamais inactif, terminait toujoursses tudes de paysage avant ses amis et les

    bousculait. Tas de clampins J'ai fini,moi... Je m'en vais. On bougonnait, maison laissait l'tude pour le suivre

    1.

    Lorsque Jean Aubert parlait ainsi, je me

    i. Communication de Jean Aubert.

  • INDPENDANCE ET VOLONT 39

    rappelais la clbre lgende de Raffet :

    Ils grognaient, mais le suivaient tou-

    jours ! Grnie, qui ne dplaisait pointcette domination, mais qui charmait sans

    s'y appliquer1

    , affectait au contraire des

    manires brusques capables de repousserla sympathie. C'est souvent l'habitude des

    hommes dous de ce pouvoir d'entrane-ment. Napolon montrait cette rudesse etsavait aussi charmer, malgr tout, en mmetemps qu'il imposait. Hamon, trs affec-

    tueux, trs sensible et trs expansif, repro-chait souvent Grme son manque d'ef-fusion. Tu ne m'aimes pas ! non ! tu nem'aimes pas ! A quoi Grme, que cesdmonstrations agaaient, ripostait en letraitant durement d'imbcile 2 ...La volont inflexible et l'indpendance

    du matre apparaissaient dj dans sontravail. Il ne subissait aucune influence.

    Les observations des camarades, les con-

    1. Mot trs juste de Jean Aubert propos de Grme.2. Communication de Jean Aubert.

  • 4o GRME, PEINTRE ET SCULPTEUR

    seils, les critiques ne le froissaient jamais ;il acceptait tout sans broncher. A l'occa-sion mme il approuvait : En effet, tuas raison. Mais il dclarait : Eh bien,a sera pour une autre fois. Et il pour-suivait sans s'mouvoir 1 .

    Deux annes s'coulrent ainsi. Grmequittait la chambre de la rue de l'Ancienne-Comdie et allait, rue de Svres, louer unmodeste atelier de 3oo francs. Le petitcnacle pouvait y travailler plus Taise.

    Dans une lettre du 19 dcembre 1842,Grme crit son pre :

    Je me souviens toujours des bons con-seils que tu me donnais quand j'tais Vesoul. Je me trouve toujours trs bien demon sjour Paris, maintenant surtout

    que j'ai un atelier o je peux travailler l'aise. Mes tudes sont aussi bien que je pou-vais l'esprer et M. Delaroche continue tre content de moi.

    1. Communication de Jean Aubert.

  • RUE DE SVRES 41 L'atelier de Grme tait l'atelier com-

    mun, crivait plus tard Hamon. Le soir,nous y composions, ou bien, nous nous

    amusions peu de frais ; on riait comme des

    fous pour peu de chose. Il venait des amis en

    masse. Grme a toujours eu un don denature : il sait attirer lui tout le monde

    ;il

    est obligeant, toujours gai, aimant la

    socit; bref, on aime tre avec lui pourmille raisons : entre autres, c'est un travail-

    leur infatigable, il inspire l'amour du travailet du travail en chantant et en riant. Il tait

    ainsi cette poque et il est rest le mme.Il tait le centre d un certain nombre d'in-dividus qui aimaient l'art. Nous vivions

    ensemble, nous mangions ensemble. Dansce temps nous allions rarement au caf ; le

    caf se prenait chez lui, o nous nous ru-nissions une dizaine pour travailler dans son

    petit atelier de la rue de Svres. On s'en-tr'veillait le matin et on partait pour l'ate-

    lier; on piochait^ puis on allait djeunerchez ce bon pre Laffitte, qui faisait crdit

  • 42 GROME, PEINTRE ET SCULPTEUR

    ceux qui taient malheureux comme moi,et Picou, et bien d'autres; puis on retour-

    nait l'atelier 1 ...

    Le bon pre Laffitte dont parle Ha-mon tenait un restaurant prs de Saint-

    Germain-des-Prs, non loin de l'endroit ose dresse aujourd'hui la statue de Diderot.La perce du boulevard Saint-Germain et

    de la rue de Rennes a fait disparatre en

    cet endroit un quartier trs pittoresque et

    plein de ces souvenirs, tour tour misra-

    bles, joyeux et glorieux, que laissent tantd'existences d'artistes.

    La place Saint-Germain-des-Prs, aucoin de la rue Childebert, tait barre parune norme btisse connue sous le nom dela Childebert. Construite en 93 sur les

    anciens jardins de l'abbaye, cette haute cagevitre avait abrit dans leur jeunesse un

    grand nombre d'artistes, depuis la Rvolu-tion. Delaroche l'avait habite. Grme y

    1. llamon, par Hofman.

  • LA CHILDEBERT 43

    connut Signol, Franais, Baron, Nanteuil,

    Aim Millet, ses derniers habitants1.

    Signol y fut dvor par les punaises et

    Aim Millet, le sculpteur, pensa s'y noyer,un jour que le peintre Lapierre, son voisin,dsireux d'obtenir des rparations dans la

    toiture, avait trouv bon de laisser la pluieinonder son atelier, en y joignant lui-mmede nombreux seaux d'eau.Grme put y connatre aussi Bouginier,

    brave homme et artiste modeste, pourvud'un nez norme qui lui valut l'honneur de

    devenir, suivant la formule consacre, une

    a figure presque historique.Un jour, un nomm Fourreau dessina ce

    nez en y joignant comme accessoire un petitBouginier. Le dessin fut trouv drle. La

    Childebert s'en empara et bientt Paris

    s'tonna de voir sur tous ses murs ce grandnez orn d'un petit corps. Bouginier tait

    devenu clbre...

    1. Voir, sur la Childebert/mon volume. La vie d'artiste (Pionet C ie ).

  • 44 GROME, PEINTRE ET SCULPTEUR

    Telle est l'histoire, mais la lgende am-

    plifie et poursuit :

    Sur ces entrefaites, le printemps arriva.

    Comme de nos jours, les peintres quittaientTatelier ds les premires feuilles ; on par-tait en bande, le sac de paysagiste au dos,droit devant soi, pied, car il n'y avait

    point encore de chemins de fer... Cetteanne-l quelques rapins restrent en

    arrire, retenus par des travaux : ils pro-mettaient de rejoindre les autres. Bah ! onse retrouverait toujours... Quinze jours plustard les retardaires quittaient la Childebert,

    gagnaient la barrire et la porte d'Italie...

    L ils s'arrtaient indcis. Quel cheminavaient pris leurs camarades ?

    Tiens Bouginier ! s'crirent-ils sou-dain.

    Sur un pan de mur, Bouginier leur appa-raissait comme l'toile aux rois Mages ; iltait l, dessin grands traits et du boutde son nez dsignait la route de Fontaine-

    bleau. Le guide tait sr ; ils n'hsitrent

  • BOUGINIER 45

    pas... A Fontainebleau, Bouginier se dressade nouveau et montra la route de Dijon. A

    Dijon, Lyon, Marseille, ils retrouvrentleur nasillard ami prt les remettre dans

    la bonne direction. Enfin la mer leur barra

    la route. Dsorients, les rapins parcou-raient la Gannebire en se demandant si

    l'image n'avait pas t confie aux flots

    inconstants et balaye par le vent, lors-

    que, sur la cloison d'un bureau d'expdition,le nez demand s'allongea. Il soulignait cenom: Malte...

    Ils ne s'arrtrent point encore. Ils ne

    rejoignirent leurs amis qu'au pied des

    Pyramides. Au moment o ils les abor-

    daient, leurs collgues sous les regardsdes quarante sicles gravaient dans la

    pierre des Pharaons le glorieux appendicede leur hros.

    Telle est la lgende de Bouginier, dont

    le nez, semblable au drapeau tricolore, a

    fait le tour du monde. Des contemporainsde la Ghildebert vous diront aussi que, pen-

  • 46 GRME, PEINTRE ET SCULPTEUR

    dant plusieurs annes, la caricature de Bou-

    ginier servit de guide aux Prix de Rome en route pour l'Italie.

    *

    Grme dut compter ce moment desheures difficiles. L'argent que lui envoyaitsa famille, coulait entre ses doigts, ne par-venait pas soulager la misre de ses

    amis, et finissait par le laisser lui-mmesans ressources.

    Ces difficults matrielles se compliqu-rent d'une crise morale. Avec sa vivacit

    naturelle, sa manire de considrer leschoses en face et de vouloir marcher droit

    et bien, il est probable qu'un beau jourGrme jugea ncessaire d'examiner sasituation sans faiblesse. Il constata que

    prs de trois ans de travail et d'applicationde sa part, de sacrifices de la part des

    siens, n'avaient pas encore clair son ave-

    nir. Au contraire. Ses camarades, Picou,

  • CRISE DE DCOURAGEMENT 47Hamon, trs dous, trs habiles, le surpas-saient et l'crasaient. Assurment, pensait-il avec dcouragement, il ne parviendraitjamais les galer. A quoi bon, d'ailleurs,les galer, puisqu'ils taient en train de

    mourir de faim !

    En somme cette dtente naissait de son

    scrupule, de son ardeur, de sa force mme ;les faibles ne se jugent jamais avec unetelle vaillance. La chute fut terrible. Grmedsempar, dsol, regarda autour de lui.Dans l'isolement o il se trouvait au milieude ce grand Paris, si loin de ses parents,il chercha qui confier sa peine... Le doc-

    teur Faivre, ami de sa famille, lui parleraitdes siens, lui montrerait de la compassion.C'tait un Franc-Comtois, un Vsulien, sonan de quelques annes seulement. Il ne

    pouvait trouver meilleur confident, plus

    digne de l'couter, plus capable de le com-

    prendre et de le plaindre...A la vue de son compatriote, le docteur

    s'tonne :

  • 48 GRME, PEINTRE ET SCULPTEUR

    Toi ! Qu'y a-t-il donc ? Et son regard de praticien, habitu

    fouiller les visages, examine Grme : Dis donc, tu as une sacre mine.

    L'air dsol du jeune peintre annonaitune grosse peine qui demandait se sou-

    lager.

    Allons, conte-moi cela.

    Il n'en fallut pas davantage. Longuement,avec l'effusion d'un pauvre gamin quimanquent les tendresses familiales, Grmeexpliqua que a ne marchait pas, que jamais il n'arriverait, qu'il voulait lcher la peinture !

    Ah! combien son pre avait raison de

    rpter : Gueux comme un peintre ! Quede misres il voyait autour de lui. Des

    jeunes gens ardents, travailleurs, pleins detalent mouraient de faim. A quoi bons'acharner, puisqu'il s'apercevait qu'il ne

    valait mme pas ces pauvres diables ! C'ett marcher la ruine.

    Et, sr de s'adresser un auditeur com-

  • L'AME NE VIEILLIT PAS 49

    ptissant, il s'exaltait dire perdumentsa tristesse et sa rsolution.

    Mais quand ses confidences furent com-

    pltes, le docteur, au lieu de s'mouvoir, se

    contenta de prononcer sur un ton amicale-

    ment bourru :

    Tu vas rentrer chez toi, tout droit.Et puis tu vas te purger... Tu as la jau-nisse.

    Le docteur connaissait son jeune ami.Cette manire d'tre trait en malade, pres-que irresponsable, suffit pour rendre au

    dsespr sa conscience et son nergie.Grme obit. Quelques jours plus tard, soncourage tait revenu.

    Avec la recommandation de Delaroche,Grme donna un dessin au directeur duMagasin Pittoresque, Edouard Charton. Jecrois qu'on peut considrer cette composi-tion comme une des premires uvres pr-sentes par le matre au public, en tout cas

    comme sa premire illustration, genre oil se manifesta fort peu.

    4

  • 50 GRME, PEINTRE ET SCULPTEUR

    Le sujet s'appelle : L'me ne vieillit

    pas .

    Une jeune fille marche au-devant d'unevieille femme et lui tend la main en sou-riant. N'est-il pas curieux de voir cette

    frache ide fleurir l'origine d'une carrire

    que Grme devait terminer tout chargd'annes, mais si jeune encore d'me, d'es-

    prit, de cur?...

    Castaigne, en 1902, dans la conversation

    que j'ai plusieurs fois cite dj, lui parlaitde ce dessin. Grme ne s'en souvenait plus,mais disait : Je le verrais, je le reconna-trais.

    Il est fcheux qu'on ne le lui ait pasmontr.

    C'et t la mise en action de son sujet,cette rencontre, au bout de soixante ans,du vieux matre et de sa premire pensede jeunesse...En constatant qu'il n'avait pas chang,

    qu'il n'avait cess de viser en art la com-

    position ingnieuse, il aurait pu, de sa voix

  • LES CHEMINS DE CROIX 51

    clatante, clamer en se redressant : Mafoi ! c'est vrai : l'me ne vieillit pas !

    Combien n'en pourraient pas dire autant.Grme peignit mme des Chemins de

    Croix.

    Mon pre passant en sa compagnie, vers1890, place Saint-Sulpice, lui montrait de

    loin, la devanture d'un marchand d'es-

    tampes religieuses, la gravure du tableau : Les chrtiens livrs aux btes . Grmesourit :

    Oui, je travaille pour ces gens-l... Cen'est pas la premire fois... J'ai fait deschemins de croix, dans ma jeunesse... Onfinit comme on a commenc.

    Cette gnration aimait rire, mme enface de la misre : on mettait gaiementen couleurs les chemins de croix. On pla-ait les toiles la file, et on peignait tous

    les rouges de la srie, en passant d'une

    toile l'autre, puis tous les bleus... Et

    petit petit, par ce moyen simple en

    apparence seulement, mais qui rendait Fin-

  • 52 GROME, PEINTRE ET SCULPTEUR

    sipide besogne plus divertissante le che-

    min de croix marchait, au milieu des rires,sinon la perfection, du moins l'excu-tion .

    tudes mdiocres, sant dlabre, sys-tme nerveux trs irrit. Malgr cela, je fai-sais des efforts et je travaillais de mon

    mieux... J'tais dans ma troisime anne

    d'tudes, lorsque revenant de vacances,

    j'appris la fermeture de l'atelier1et en mme

    temps la nouvelle que M. Delaroche nous

    avait placs, Picou et moi, chez M. Drolling.Deux tuiles la fois. J'allai immdiatementtrouver mon cher matre et lui dis que,satisfait de ses conseils, je n'en irais point

    i. A la suite de brimades trop violentes qui avaient eu duretentissement, Delaroche avait dj, quelques mois auparavant,voulu fermer son atelier d'lves, mais tous les jeunes gens,au nombre de 600, taient alls, rue de la Tour-des-Dames,dfiler devant le balcon de Delaroche qui, sensible cettemanifestation respectueuse et enthousiaste, avait cd sur lemoment. Mais des raisons de sant se joignirent aux autres etle matre ferma dfinitivement son atelier.

  • DPART POUR ROME 53chercher ailleurs, que je vivais Paris

    avec ma petite pension, que par consquent,

    je vivrais galement Rome o il allait

    passer une anne et que je voulais l'ysuivre 1 .

    Deux lettres ont t retrouves Vesoul

    par Muenier. Dans la premire, Grme

    apprend son pre la dcision qu'il a prise;dans la seconde, huit jours plus tard, le

    pre rpond son fils, l'approuve et lui

    donne de prudents conseils.La lettre de Grme montre, dix-huit

    ans, son caractre dj form, tel que nousl'avons tous connu plus tard. Ses lves

    reconnatront son langage riche en imageset mme des termes qu'il employait fr-quemment dans ses corrections.La rponse du pre, avec sa forme solen-

    nelle et ses clichs littraires, prend la

    saveur d'un document historique ; on ydcouvre l'me de l'poque. L'criture, d'un

    1. Notes crites par Grme pour son ami Timbal, en jan-vier 1876.

  • 54 GROME, PEINTRE ET SCULPTEUR

    trs beau dessin graphique, est pleine de

    modration, de droiture et d'nergie.

    Paris, le ii octobre 1843.

    Mon cher pre, Je suis sur le point de partir pour l'Italie

    et mon voyage n'ayant d'autre but qu'unacheminement vers le bien de mes tudes,je me prpare travailler de mon mieux.

    J'espre en retirer de grands fruits surtout

    en travaillant sous la direction de M. Dela-

    roche et avec le jeune homme qui a rem-port cette anne le prix de Rome, car ilest un de mes amis intimes *.

    Depuis que l'atelier est ferm, je ne

    travaille plus avec la mme ardeur qu'au-paravant. Je n'ai plus cette base solide,l'tude du modle vivant, qui servait d'ap-pui toutes les autres et dont elles manaienttoutes. Aussi, je me serais vu forc d'entrer

    dans un atelier, si je n'avais pas suivi

    1. Damery.

  • DPART POUR ROME 55M. Delaroche en Italie. Nous resterons six

    mois Rome pendant l'hiver et six mois Florence. Je tcherai d'en rapporter le plusd'tudes qu'il me sera possible.

    En attendant mon dpart, je travaillechez moi toute la journe et le soir je vais l'cole pour ne pas perdre l'habitude detravailler d'aprs nature et d'aprs l'anti-

    que. Une vingtaine d'lves de l'atelier sesont mis sous la direction de M. Glaire *.C'est le noyau d'un nouvel atelier qui va se

    former.

    Je pense qu'en revenant d'Italie, j'iraichez ce matre, homme de talent et amiintime de M. Delaroche.

    Je termine en t'embrassant,

    J.-L. Grme.

    Vesoul, le 18 octobre 1843.

    (( Tu pars pour l'Italie, mon cher Lon,et sous des auspices bien favorables. Je

    1. Gleyre.

  • 56 GROME, PEINTRE ET SCULPTEUR

    t'en flicite, le patronage dontM. Delarochete couvre est le plus beau, le plus glorieux

    tmoignage que tu puisses ambitionner.Toutes les personnes qui nous portent ainsi

    qu' toi de l'intrt, le considrent ainsi et

    font des vux pour que des succs non

    quivoques justifient cette prdilection.A toi donc de raliser d'aussi belles

    esprances. Le chemin de la vie, si hriss d'obsta-

    cles pour tant d'autres, est applani pour toi

    ds le dbut et j'ai lieu de croire que pn-tr de la ncessit d'avancer chaque jourdans ta carrire, tu ne reviendras pas sans

    avoir fait un grand pas vers le but. Tu le sais, une volont ferme, un tra-

    vail soutenu, opinitre, font surmonter les

    difficults.

    Livr toi-mme, matre de tes actions,dans un pays o, dit-on, les dlices de

    Gapoue se rencontrent chaque pas, tu

    dois tre constamment en garde sur tes

    dmarches, tes frquentations, le choix

  • DPART POUR ROME $7d'amis surtout, et si jamais tu avais quel-que chose te reprocher, rappelle-toi les

    sacrifices que Ton fait pour toi, rappelle-toi

    que tu ne dois pas reculer ni mme resterstationnaire, car ce serait une chute d'autant

    plus grave qu'elle dtruirait des prvisionsraisonnablement fondes.

    Combien ces lettres rvlent l'activit

    imaginative de ces deux caractres, l'un,encore jeune, l'autre, en pleine maturit!Nulle motion, nul sentimentalisme affai-

    blissant au moment de ce grand voyage.De la rsolution, des projets, aucune rve-rie et pourtant quelle abondance d'images.Potes, assurment ils le sont, mais potes leur manire, potes en action. Ils cri-

    vent des faits et non des ides. Et ils voient

    si nettement ce qu'ils crivent que leurs

    images se poursuivent avec solidit. Ce

    sont des voyants. Comment ne seraient-ils

    pas des artistes !

  • 58 GROME, PEINTRE ET SCULPTEUR

    A dix -huit ans, Grme arrivait Rome.

    Aprs trois annes d'efforts, au momento une crise de dcouragement venait demrir son caractre et de dcouvrir l'insuf-

    fisance de ses premiers travaux, ce voyagelui apportait un renouvellement d'ardeur et

    offrait ses tudes un champ inpuisableet magnifique. Il considrait cette annecomme une des plus heureuses et des mieux

    remplies de sa vie.

    Le petit provincial qui trois ans plus tt

    admirait Paris avec innocence, s'tait dve-

    lopp, avait appris voir et comprendre.Son ignorance, grande encore, mais djmoindre, avait conscience d'elle-mme :

    c'tait le premier progrs et la meilleure

    prparation aux progrs futurs. Je ne m'tais fait aucune illusion sur

    mes tudes d'atelier. Je ne savais rien,

    j'avais tout apprendre... Je ne perds pas

    courage : ma sant dbile se relve sous

    l'influence du bon climat et de la vie en

  • A ROME 59

    plein air et je me mets au travail avec

    ardeur '.

    La vie sdentaire dans des ateliers sur-

    chauffs et infects par la fume du tabacavait nerv le petit Vsulien dj si

    maigre et si frle.

    A Rome, il adopta une existence plusactive; il entreprit des excursions pied,sac au dos, il mit au vert son talent et

    sa sant.

    Lopold Robert tait mort il n'y avait

    pas plus de huit ans. Rome ressemblaitencore la pittoresque ville qu'il avait

    connue et l'Italie la patrie des brigandset des pcheurs qu'il avait peinte.La vision du mlancolique auteur des

    Moissonneurs, qui devait obsder tant d'ar-tistes jusque vers 1870, n'eut aucune prisesrieuse sur Grme. A peine s'il excutaplus tard quelques toiles dans le style ita-

    lien en faveur. Ce genre sentimental devait

    1. Notes de Grme pour Timbal (1876).

  • 6o GEROME, PEINTRE ET SCULPTEUR

    lui sembler fade, conventionnel. L'Orient,alors moins exploit, lui tait rserv dansle prsent; quant au pass, tous les sicles

    devaient intresser son esprit curieux et

    captiver son imagination vive. Mais pourle moment il ne songeait qu' s'instruire.

    Son ambition tait d'apprendre, d'ap-

    prendre le plus possible, de s'armer, de

    de faire provision de savoir. Et s'il faut

    remarquer combien Grme se montraitmesur, prudent et sage, contrairement nos jeunes contemporains qui ne pensentqu' exposer et produire aprs deux ou

    trois ans passs l'cole, il faut dire aussi

    qu'il visait plus haut et que son rve ne

    tendait rien moins qu' embrasser lanature entire, qu' se mesurer avec tous

    les sujets dans tous les pays et dans tous

    les temps. Si l'on veut tre un peintre srieux,

    tout fait srieux, disait-il plus tard, il

    faut connatre tout, aussi bien l'architecture

    que le paysage, la figure que les animaux.

  • L'ETUDE DU FORUM 61

    Autrement, quand on imagine certains

    sujets, on est oblig dy renoncer, de ne pasles faire, tout simplement parce qu'on ne

    peut pas les faire1.

    ... Nous faisions des tudes et beaucoupde croquis... Dans les rues, il y avait du

    linge aux fentres, des costumes, des

    vaches, des buffles, beaucoup de buffles,

    qui servaient au transport des pierres...J'ai perdu un album plein de croquis detoutes sortes. Je l'ai beaucoup regrett...

    2

    Si son zle brlait de tout tudier, son

    ardeur aspirait en mme temps faire lemieux possible.

    Sur le Forum, une tude venait bien,

    trop bien au gr du jeune enthousiaste quiprtendait avec plus d'efforts devoir mieuxrussir encore.

    Ah ! un instant ! Tu as fait cela tropfacilement : il faut le recommencer ! Et il

    gratte rsolument la couleur sur la toile.

    i. Conversation avec Castaigne.2.U.

  • 62 GEROME, PEINTRE ET SCULPTEUR

    Grme qui aimait conter l'histoire decette tude gratte, racontait souvent aussi

    ses. lves l'histoire d'un canif perdu qui, ses yeux, prouvait combien sa consciencedans son travail lui permettait dj de par-venir l'exactitude qu'il prtendait recher-

    cher avant tout.

    J'tais jeune; je n'tais pas riche... Uncanif cotait quelques sous. Comment leretrouver dans la campagne Romaine, cedsert ? Je regarde mon travail, un dessin.

    Je me dis : Ma foi, nous allons voir simon tude est juste! Je pars, le dessin

    la main, comme un plan. . . Je vais, je viens,

    je cherche. Je retrouve l'endroit o j'avaistravaill... et mon canif qui m'attendait.

    Que des lecteurs superficiels ne jugentpas ces petits faits trop insignifiants. Ceux

    qui ont connu Grme le retrouveront ltout entier, avec son esprit, sa volont, son

    caractre.

    Il ne faut pas croire que, dans ce paysde chefs-d'uvre, les Matres aient t l'ob-

  • L'ART ITALIEN 63

    jet de ses tudes, durant cette anne de

    srieux progrs. Grme estimait plus lanature que les uvres d'art. Je crois qu'iln'aimait pas les muses. Il gotait, par-dessus tout, le pittoresque, l'imprvu, pres-

    que l'excentrique dans le sujet et la vrit

    dans l'excution.

    L'art italien ne pouvait lui apportercela.

    Au fond, me disait Dagnan, l'art italienavec ses proccupations d'ordonnance, d'ar-

    rangement, de rythme, de symtrie lui

    tait peu sympathique.

    Ses voyages en Italie comme en Orient

    furent des explorations de curieux en qute

    d'impressions et non des tudes de dilet-

    tante amoureux des productions de l'art.

    Il s'emportait parfois en boutades contre

    Michel-Ange, Donatello... Il les considraitcomme des outranciers *.

    Sa conscience naturelle le portait exi-

    1. Notes de Dagnan.

  • 64 GROME, PEINTRE ET SCULPTEUR

    ger la simple vrit. Ds qu'il ne la recon-naissait plus, il se rvoltait. Dans un

    voyage Florence, vers la fin de sa vie, en

    compagnie de Dtaille et de Glairin, G-rme ne cessait, dans les rues et les muses,de dblatrer, de prendre tmoin ses

    amis, de s'obstiner vouloir leur faire con-

    venir que tout tait mauvais1

    .

    Je me rappelle moi-mme, comme jerentrais d'Italie, une conversation o ilclamait sa rpugnance pour les sculpteursflorentins. Nous a-t-on assez trompsavec toutes ces c...hoses-l ! Mme lors-que je citai le David de Benvenuto Gellini,je ne parvins obtenir de lui qu'une moue

    de ddain.

    Il devait pourtant prouver dans un mu-

    se d'Italie, l'une des impressions les plusvives de son voyage, et qui allait lui inspi-rer des uvres nombreuses, parmi lesquellesle tableau, son avis, le mieux conu

    2.

    1. Communication de Clairin.2. Le Pollice Verso.

  • GERME, MEDAILLE PAR CHAPLAIN.Muse du Luxembourg.

  • LE CASQUE DE GLADIATEUR 65

    Au muse de Naples, il apercevait un

    casque norme et bizarre, un casque de

    gladiateur.

    Saisi, transport, Grme s'animait tou-

    jours ce souvenir. Voil qui m'ouvre un horizon immen-

    se!... Comment ! tous les peintres, tousles sculpteurs sont venus ici, ont vu cela,

    et pas un n'a song refaire un gladia-teur i .

    Il se met l'tude avec une conscience,une opinitret qui le rvlent dj toutentier et tel qu'il restera jusqu' la fin desa longue carrire.

    Je recherche tout ce qui avait trait au

    gladiateur : des mosaques, des peintures,de petites sculptures, le tombeau de Scorus,etc., etc.. collection assez nombreuse carles gladiateurs ont jou un rle consid-rable dans le monde romain : Panem etcircenss 2 .

    1. Conversation avec Castaigne.2 Idem.

  • 66 GROME, PEINTRE ET SCULPTEUR

    Une heureuse circonstance lui permettait,quelques annes plus tard, de parfaire satrouvaille.

    Le gnral de Reffye, alors com-

    mandant, qui tait un de mes amis, ayantt envoy par l'empereur Napolon IIIen Italie pour excuter des moulagesde la colonne Trajane, allait Naples et

    prenait pour moi des moulages de cesarmures \

    On sait les tableaux et les sculptures quidevaient rsulter de ces recherches et de

    ces documents.

    La recherche des matriaux d'un tableau,ennui pour tant d'autres, intressait Grmeautant que l'excution matrielle du tableau.Il y consacra souvent des mois, des annes.

    Quand il ne trouvait pas ce qu'il voulait, ilattendait, avec la patience d'un chasseur

    l'afft. Son got de l'anecdote, du petit fait

    expressif, pittoresque, le poursuivait jus-

    i . Conversation avec Castaigne.

  • LE GOUT DU BIBELOT 67

    que dans la conversation. Il est du temps

    o, dans les ateliers, on aura dit, pour

    exprimer sa satisfaction et son approba-tion : C'est amusant!

    Depuis on a dit : C'est dlicat! ou

    bien : a a du caractre! J'ai entendudire dernirement par une jeune peintresse : C'est intense!

    Grme tait d'une gnration qui esti-mait que l'art, pas plus que la vie, n'avaient

    le devoir de se tenir dans le monotone, dans

    l'ennui. On a peut-tre chang cela outremesure.

    Son got du bibelot primait le got de

    l'uvre d'art parce que, dans le bibelot, il

    admirait un travail curieux, excut par un

    ouvrier habile, tandis que, dans l'uvre

    d'art, il apercevait la nature qu'elle pr-tendait rappeler et ne la voyait jamaiscomme on voulait la lui prsenter. Esprit

    clair, jugement impitoyable, il allait droit l'erreur, la faiblesse, dans un tableau,une sculpture, et, obsd par la vue du

  • 68 GROME, PEINTRE ET SCULPTEUR

    dfaut, il ne pouvait plus goter les

    qualits.Je n'oublierai jamais une visite au muse

    du Luxembourg o je l'entendis devant

    chaque toile crier ses critiques en termes

    violents. A peine s'il dclarait schementen faveur de quelques-unes : C'est bien,

    a. Toujours dans cette approbation jereconnaissais une indulgence voulue,

    l'gard d'un ami ou d'un jeune artiste. Pourles autres, sa franchise l'emportait. Chez

    lui, l'artiste ne se sparait point d'un

    artisan scrupuleux, soucieux de tche soi-

    gneusement excute. Nullement rveuravec cela, incapable de se livrer la jouis-sance offerte, au thme donn, s'il tait

    conu dans l'indtermin, rfractaire

    complter l'indfini plastique de tant d'oeu-vres d'art,

    indtermin qu'il considraitcomme une faiblesse ou une ruse il pr-frait la nature. Au moins avait-elle

    toujours raison. Et puis, quand elle l'en-

    nuyait, il ne la regardait pas et il lui savait

  • LA PHOTOGRAPHIE 69

    gr de possder, contrairement l'uvre

    d'art, la modestie de ne pas vouloir s'im-

    poser son admiration1

    .

    Avec une pareille prdilection pour

    l'exactitude, on ne s'tonnera pas queGrme ait apprci la photographie. Danssa jeunesse, il avait assist l'enthousiasmesoulev par les premiers essais de daguer-

    rotype et sa propre admiration ne fit

    qu'augmenter avec les annes.

    Aprs lui avoir demand des renseigne-ments et s'tre appliqus imiter sa perfec-tion dans les dtails, les artistes commen-

    cent s'en loigner. La photographie, quinous a valu la peinture trs excute, nous

    apporte aujourd'hui , par raction , la peinturetrs efface. On lui abandonne l'exactitudeet l'on recherche le sentiment. Cettetendance

    serait louable si elle ne tournait l'excs...

    Grme ne cessa d'estimer la prcision1. Grme n'aurait pas prononc le mot de Flaubert

    George Sand : Je ne suis pas Yhomme de la nature... Je don-nerais tous les glaciers de la Suisse pour le muse du Vati-can !

  • 70 GRME, PEINTRE ET SCULPTEUR

    de la photographie. La veille de sa mort,dans sa dernire conversation avec ses

    amis de l'Institut, il clbrait encore lesrsultats de la photographie et menaaitses collgues de cette concurrence. Cette

    opinion tenait au temprament mme deGrme, l'idal de son art qui visait lasincrit et mettait cette sincrit dans la

    prcision.Sa conviction se refusait tout clectisme 1 .

    Voir autrement que lui tait manquer desincrit et ce manque de sincrit dansle travail lui semblait rvler un esprit

    dpourvu de droiture. Il le pensait et il le

    proclamait. Son mpris pour ceux quiadoptent une manire, une faon d'exprimerla nature et s'y tiennent, tait norme; il lesfltrissait du nom de formulards. Il neles considrait pas seulement comme des

    paresseux, mais aussi comme des gens sansmoralit.

    i. Je ne parle pas ici du professeur. On verra plus loin quel'enseignement de Grme tait trs large.

  • FIVRE TYPHODE 71Il y a tel de nos contemporains dont il

    disait, en n'appuyant sa rprobation quesur le caractre de son talent : ce C'est un

    malhonnte homme! Je ne lui confieraismme pas mon porte-monnaie 1 .

    Un jour la nouvelle arrivait Vesoul quele voyageur venait d'tre arrt dans ses

    tudes par la fivre typhode. On ima-

    gine l'angoisse des parents. Mme Grmen'hsita pas et entreprit le long voyage de

    Rome 2 .Je n'ai pu retrouver des renseignements

    prcis sur la marche de la maladie, maisil est permis de croire que, sans les soins

    1. Les honntes gens, c'est trs rare dans les arts, et, horsde l'honntet il n'y a rien du tout. Ce qui me fait beaucoupadmirer Meissonier, c'est non seulement son grand talent,mais c'est le grand exemple d'honntet qu'il a donn, com-

    prenez-vous?... une conscience admirable ! Conversationavec Castaigne.

    2. Communication de Thomas.

  • 72 GROME, PEINTRE ET SCULPTEUR

    de sa mre, Grme si jeune, si dlicat,n'aurait pas t sauv.

    Au bout d'un an d'absence, l'lve deDelaroche rentrait Paris, arm pourcombattre et pour produire

    l.

    Nanmoins, aprs ces mois de travail en

    libert, il jugeait bon de se remettre la

    discipline de l'Ecole et d'aller passer trois

    mois dans l'atelier de Gleyre. Nous avonsvu que ce projet datait de son dpart pourl'Italie.

    En acceptant de reprendre l'atelier de

    Delaroche, Gleyre avait dclar aux lves :

    C'est une condition : vous ne me don-

    nerez pas un sou. Je me souviens du tempso j'tais bien souvent forc de me passerde dner pour conomiser les 25 ou 3o francs

    que je donnais chaque mois au massier de

    M. Hersent.

    Gleyre, pendant vingt-sept ans, se rendit

    rgulirement deux fois par semaine son

    i. Notes pour Timbal.

  • RETOUR A PARIS 73

    atelier d'lves. Son enseignement tait

    trs large. Hamon a laiss des notes int-ressantes :

    M. Gleyre me plut tout de suite. Je

    trouvais en lui un homme naturellement bonet bienveillant, comprenant son monde sans

    mystre, ne faisant pas le grand homme,d'une modestie exagre : un homme anti-que. Il avait t malheureux comme les

    pierres et ne s'en tait jamais vant 1 ... Hamon veut sans doute faire allusion

    non seulement son sjour en Orient durant

    lequel, malade, devenu presque aveugle, il

    faillit mourir, mais aussi son aventureavec Ingres, quand celui-ci exigea la des-truction de peintures excutes par Gleyre

    pour l'htel du duc de Luynes. On a prtenduque Ingres niait le fait, assurait avoir seu-

    lement formul le regret que ces peinturesn'aient pas t commandes ses lves.En tout cas, les dcorations de Gleyre

    1. Hamon^ par Hoffman.

  • 74 GROME. PEINTRE ET SCULPTEUR

    avaient t effaces par ordre de M. de

    Luynes, l'instigation de Ingres. Jamais

    Gleyre ne parlait de ce sujet, mais, quel-

    que temps aprs, il exposa son clbre

    tableau les Illusions Perdues puis, malgrses succs, il renona compltement auxSalons.

    Gleyre avait connu Napolon III danssa jeunesse et avait conserv avec lui desrelations trs intimes. A la suite du coupd'tat, il cessa de voir cet ami qui, devenu

    Empereur, pouvait lui apporter tous les

    honneurs, mais dont il condamnait la con-

    duite. Quand on lui parlait des expositionso il n'envoyait plus de tableaux, Gleyredisait : Ah, mon Dieu! pensez donc!...

    je serais peut-tre refus... Il ajoutait,

    aprs un silence, comme s'il eut parl d'une

    humiliation pire encore : Qui sait! jeserais peut-tre mme dcor 1 ! Avec les annes il devint de plus en

    i. Communication de M. Douillard.

  • L'ATELIER GLEYRE 75

    plus solitaire, presque misanthrope. Mon

    pre le connaissait un peu. Gleyre lui dit

    un jour : Quand je mourrai, inutile devous dranger. Je ne veux personne mon

    enterrement.

    Il mourut subitement, en vrai dvot de la

    peinture, parmi les chefs-d'uvre de l'art, au

    cours d'une visite l'exposition des Alsa-

    ciens-Lorrains.

    A son atelier d'lves, Gleyre passait del'un l'autre, parlait bas sans jamais leverla voix. Delaroche, au contraire, corrigeait

    haute voix, aimait se livrer de grandes

    improvisations qu'il dbitait debout, au

    milieu de l'atelier, en s'adressant tous ses

    lves.

    Grme semble avoir subi pour quel-ques annes l'influence de l'ducation plusacadmique, moins pittoresque et plusmue de son nouveau matre. Ses tout pre-miers tableaux rvleront un idal de grceet de sentiment o se retrouvent la foisle charme de Gleyre et l'ingniosit de son

  • 76 GEROME, PEINTRE ET SCULPTEUR

    camarade Hamon, qui allait devenir unartiste estim.

    Aprs ce court passage dans l'atelier du

    peintre des Illusions Perdues, Grmeconsacrait prs d'un an travailler pourson matre Delaroche, et lui prparaitl'bauche d'un tableau qui figure au musede Versailles, le Passage des Alpes.Une telle besogne avait d perfectionner

    sa pratique. Il tait temps de prouver qu'ilsavait quelque chose.

    Grme tenta le concours de Rome 1,

    fut

    reut le premier l'esquisse mais refus la figure . Le jeune Franc-Comtois, tropclairvoyant et trop courageux pour ngligercette leon, se gourmanda : ce II parat quetu ne sais pas excuter de figures nues...

    Eh bien, il faut en peindre, et de grandescomme nature 2 .

    Il entreprit et composa son premier

    i. Parmi ses concurrents, il y avait Benouville, Cabanel etLenepveu, trois futurs prix de Rome.

    2. Conversation avec Castaigne.

  • LE COMBAT DE COQS Jj

    tableau dans cette intention. GommeGrmes'tait li avec deux jeunes sculpteurs trs

    passionns de la vie animale, Frmiet et

    Jacquemart, il voulut joindre une tude debte l'tude de nu.

    Frmiet m'avait donn l'amour des

    btes, puis j'ai eu l'amour de tout. Ds sixheures du matin, en t, j'allais tous les

    jours pendant deux ou trois mois au Jardindes Plantes. Cela m'a servi normment 1 . Le tableau appel le Combat de Coqs,

    ou plus exactement Jeunes gens faisantbattre deux coqs, n'a pas d'autre origine.Son auteur y avait vu un exercice plutt

    qu'un sujet de tableau et l'appelait souvent

    une erreur de jeunesse. On peut, en toutcas, considrer qu'il reprsente au Luxem-

    bourg, depuis 1874, le talent de Grmed'une manire inexacte sinon infrieure.

    C'tait en 18472

    .

    1. Conversation avec Castaigne.2. A la date du 24 dcembre 1846, une lettre de Grme

    son grand'pre prouve que le jeune peintre avait l'ambition

  • 78 GROME, PEINTRE ET SCULPTEUR

    Le Combat de Coqs termin, le jeuneartiste prouvait la grosse inquitude des

    dbutants scrupuleux. Je redoutais le

    Salon et craignais un chec1

    .

    Delaroche parvint calmer ses appr-hensions. La toile partit.A cette poque, les jurs, plus rservs

    que de nos jours, absolument indpendants

    puisque composs de membres de l'Institutils n'avaient point la proccupation de plaire des lecteurs, ne commettaient aucune

    indiscrtion. Les artistes apprenaient seu-

    lement leur sort le jour de l'ouverture,en visitant l'exposition dans les salles

    du muse du Louvre o, durant quelquessemaines, les peintres contemporains pen-

    d'envoyer trois tableaux l'Exposition : Je n'aurai gure quedeux tableaux l'Exposition et j'esprais en avoir trois. Mais

    je suis arrt dans mon travail, comme mon pre doit te l'avoirdit. On m'a command une copie pour la Reine, et j'ai saisil'occasion de gagner un peu d'argent, car ces occasions ne se

    prsentent pas souvent. On m'a donn un atelier au Louvre.Voil trois ou quatre jours que j'y travaille. J'espre que dansun mois et demi, deux mois, j'aurai entirement termin...

    i . Notes Timbal et conversation avec Castaigne.

  • LE COMBAT DE COQS 79

    daient leurs toiles sur des cloisons volantes,dresses devant les tableaux des vieux

    matres, et se donnaient ainsi l'illusion de

    les effacer.

    J'ai cont ailleurs 1 comment Delacroix

    avait, en 1822, envoy son premier tableaule Dante et Virgile aux Enfers , dans un

    mauvais cadre de bois blanc taill par lui-

    mme, et comment, le jour de l'ouverture,il avait parcouru vainement les salles sansretrouver ses bordures de sapin, frottes

    d'ocre. Boulevers, convaincu d'un refus, il

    abordait Gros et s'informait de cette exclu-

    sion, quand celui-ci l'avait la fois rassuret flicit :

    Vous aviez un trs vilain cadre. Gommeil s'est bris, j'ai pris la libert de le rem-

    placer par un autre qui, ma foi ! ne semble

    pas lui nuire. Voyez plutt, l, devantnous... Savez-vous qu'il est fort bien votretableau. Je l'admire beaucoup.

    1. Maquettes et Pastels (Pion et C ie dit.).

  • 80 GEROME, PEINTRE ET SCULPTEUR

    Grme fut reu et dcouvrit son tableaufort mal plac, dans son cadre intact; maisil prouva la surprise d'un succs qu'iljugeait exagr. Je me mfiais : Je croyaisqu'on me faisait une plaisanterie

    1.

    Plus tard, il comprit les motifs de cette

    russite. A cette poque (je parle au pointde vue gnral) , il y avait dans l'art une

    absence complte de sincrit. Le chictait en grand honneur, quand il tait

    accompagn d'habilet, ce qui n'tait pasrare, et ma toile avait ce mince mrited'tre d'un bon jeune homme qui, ne sachantrien, n'avait pas trouv mieux que de s'ac-crocher la nature et de la suivre pied

    pied, sans force, sans grandeur et timide-

    ment sans doute, mais avec navet2

    .

    Chaque fois que Grme parlait de cetheureux dbut, il l'expliquait avec la mmemodestie. Navement j'avais copi la

    nature, et j'tais arriv ce rsultat par

    i . Conversation avec Castaigne.2. Notes Timbal.

  • UNE TROISIME MDAILLE 81

    ma sincrit, de sorte, que mon tableau ne

    ressemblait aucun de ceux qui taient

    exposs en mme temps. D'ailleurs, ce succs de sa jeunesse venait

    l'appui de ses opinions les plus chres,de ses conseils les plus frquents et de cette

    parole qu'il aimait rpter : Il faut tre

    naf. Quand on est naf, on a dj du talent,mme si on ne sait rien 1 . Le Combat de Coqs reut la fois l'ap-

    probation des artistes et de la presse. Le

    jury lui dcerna une troisime mdaille et

    Thophile Gautier, le grand matre de la

    critique contemporaine, lui consacra un longet logieux article dont voici les principaux

    passages :

    Au pied du socle d'une fontaine tarieo s'adosse un sphinx de marbre au profilcorn et qu'entourent les vgtations des

    pays chauds, arbousiers, myrtes, lauriers-

    roses, dont les feuilles mtalliques se

    i. Communication de Gustave Courtois.

  • 82 GROME, PEINTRE ET SCULPTEUR

    dcoupent sur l'azur tranquille de la mer,spare de l'azur du ciel par la crte vio-ltre d'un promontoire, sont groups deux

    adolescents, une Vierge et un Ephbe quifont battre les courageux oiseaux de Mars.

    La jeune fille s'accoude sur la cage quia contenu les belliqueux volatiles, dans une

    pose pleine de grce et d'lgance. Ses

    mains effiles et pures s'entre-croisent et

    s'arrangent heureusement, un de ses bras

    presse lgrement sa gorge naissante et letorse prend cette ligne serpentine si cher-che par les anciens; la cuisse vue en rac-courci est dessine savamment; la tte

    coiffe avec un got exquis d'une couronnede cheveux blond cendr, dont les tons fins

    et doux tranchent peine sur la peau, a une

    mignonnerie enfantine, une suavit virgi-nale

    ;les yeux baisss, la bouche entrouverte

    par un sourire de victoire, car son coq

    parat avoir l'avantage, la jeune fille suit lalutte avec cette attention distraite d'un

    parieur sr de son fait...

  • THOPHILE GAUTIER 83... Le garon, les cheveux orns de

    quelque folle brindille, de quelque feuille

    cueillie au buisson, s'agenouille et se

    penche vers son coq dont il tche d'exciter

    la valeur. Ses traits, quoique rappelant

    peut-tre un peu trop le modle, sont des-

    sins avec une finesse extrme : on voit

    qu'il suit de tous ses regards de toute son

    me, les pripties du combat. Quant aux coqs, ce sont de vrais pro-

    diges de dessin, d'animation et de couleurs

    ni Sneyders, ni Wnic, ni Oudry, ni Des-

    portes, ni Rousseau, ni aucun de ceux quiont peint des animaux, n'ont atteint, aprs

    vingt ans de travail, la perfection oM. Grme est arriv tout d'un coup... Grme ne pouvait plus douter de son

    succs.

    On imagine la joie du jeune matre; son

    ge, vingt-trois ans, il dut savourer ces

    loges avec ivresse. Quel bonheur de penser la fiert de ses parents, au retentissement

    d'un pareil article Vesoul parmi ceux qui

  • 84 GROME, PEINTRE ET SCULPTEUR

    l'aimaient. Jamais, par la suite, ses uvres

    les plus estimes ne lui apportrent une

    satisfaction aussi complte, j'en suis con-

    vaincu. Durant le reste de sa carrire,Grme fut en gnral malmen par la

    presse. Son talent, d'excution classique et

    d'esprit indpendant, dplaisait aux uns

    par son respect de la tradition, aux autres

    par son originalit. Comme la plupart descritiques s'en tiennent exclusivement la

    forme facile du dnigrement, Grme nercoltait que les restrictions des uns et des

    autres.

    Le matre avait aussi l'habitude de ne

    pas cacher son mpris pour ceux qui dposent de la littrature le long des

    Beaux-Arts 1 .

    Les peintres n'aiment pas les critiquesd'art mais il les mnagent. Grme, toujourssi franc, laissait entendre son opinion et

    mme la proclamait. A Nestor Roqueplan

    i. Je ne sais si ce mot est de Grme ou d'Eugne Lam-bert, le peintre des chats .

  • JE NE PAIE PAS LA CLAQUE! 85

    qui lui conseillait plus de mnagements,il dclarait : Mes tableaux sont bons ou

    mauvais. S'ils sont bons, ils se dfendront

    tout seuls. S'ils sont mauvais, vos loges ne

    les rendront pas meilleurs.

    Comme un critique, la suite d'unarticle logieux, lui demandait une tude,un souvenir, Grme dclara schement :

    Je ne paie pas la claque*

    !

    Dans une circonstance semblable, il r-

    pondait Albert Wolf : Je ne donne

    pas de peinture aux critiques d'art. Et

    comme Albert Wolf s'empressait d'ajouter : Mais je compte bien payer, cher matre :

    ce n'est pas un don mais une vente...

    Grme hocha la tte et dit tranquille-ment : Je ne vends pas de peinture aux

    critiques d'art.2

    1. Quand Bastien Lepage peignit le portrait de Wolf,comme il avait reprsent le critique d'art avec de grandesbottes trs soigneusement peintes, on dit dans les ateliers queBastien avait lch les bottes du critique et le mot fut attri-bu Grme. La plaisanterie tait spirituelle, mais point justi-fie. On sait la sincrit et l'indpendance du talent de Bastien.

    2. Communication de Dagnan.

  • 86 GEROME, PEINTRE ET SCULPTEUR

    Qu'on ne voie point dans ces paroles desboutades d'artiste pntr de sa valeur.

    J'aurai l'occasion dmontrer que Grmeavait conscience de ses dfauts. Il disait

    avec raison : Je suis trs svre pour moi-mme. Je suis mon critique le plus dur :je ne m'illusionne pas sur mes ouvrages

    1...

    Gautier m'avait donc fait un trs bel

    article. En ce moment, j'tais un tout petitgamin et puis j'tais bien timide naturel-

    lement, n'est-ce pas : je n'tais pas all

    voir Gautier et le remercier 2 .

    Mais les circonstances ne tardaient pas le rapprocher du critique d'art.

    Arsne Houssaye, directeur du journalL'Artiste, m'avait demand un dessin duCombat de Coqs. Pendant quelques joursj'allai l-bas, au Louvre, ds six heures

    i. Notes Timbal.

    2. Conversation avec Castaigne.

  • RUE DE FLEURUS 87

    du matin, pour travailler mon croquisavant l'ouverture des salles... Ds qu'il futtermin je le portai chez Arsne Hous-

    saye qui demeurait l'htel de Chimay,devenu aujourd'hui annexe de l'cole desbeaux-arts. Les bureaux du journal L'Ar-tiste taient en bas. J'arrive, je remets mondessin dans le bureau et j'attends Houssayequi avait du monde. Un monsieur quiattendait aussi, regarde mon dessin :

    Tiens, le tableau de Grme! Qui adessin cela? Je rponds : C'est moi,monsieur. Qui tes-vous ? Je suisGrme. Et moi, Thophile Gautier. Je m'criai : Ma foi, monsieur, je suisbien content de vous rencontrer. Je n'ai pasos vous remercier de votre article... Voulez-

    vous me permettre de vous offrir ce dessin'

    ?

    Grme avait transport son atelier ruede Fleurus 27, dans une maison qui ne s'esttransforme que rcemment.

    1 . Conversation avec Castaigne.

  • 88 GROME, PEINTRE ET SCULPTEUR

    Une longue btisse glace de hauts vi-

    trages se dressait au fond d'un jardinetferm sur la rue par