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germaine guèvremont

Née à Saint-Jérôme en 1893, Germaine Grignon publie son premier article en 1913 dans Le Canada, sous le pseudonyme de Janrhêve, et elle collabore à L’Étudiant et à La Patrie (1914). Elle épouse Hyacinthe Guèvremont en 1916. Le couple s’installe d’abord à Ottawa, puis à Sorel où la future romancière devient rédactrice en chef du Courrier de Sorel (1928). Secrétaire aux Assises criminelles de Montréal (1936), elle publie dans Paysana une série de « paysanneries » qu’elle réunit en 1942 sous le titre de En pleine terre. En 1945 paraît Le Survenant, qui lui vaut le Prix David, suivi deux ans plus tard de Marie-Didace, qui lui ouvre les portes de l’Académie canadienne-française. La traduction en langue anglaise de ces deux romans lui assure une audience internationale et les adaptations télévisées, un véritable triomphe. Collaboratrice au Nouveau journal (1961-1962), elle pré-pare un recueil de souvenirs resté malheureusement inachevé. Elle meurt en 1968.

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En 1947, Germaine Guèvremont reprend dans Marie-Didace le récit qu’elle avait interrompu avec la disparition du Survenant. Si le « Grand-dieu-des-routes » a bien quitté le Chenal du Moine, il prend presque encore plus de place par son absence. On aurait néanmoins pu s’attendre à une accalmie dans les destinées du clan Beauchemin ; la suite des évènements, heureux et tragiques, décevra ceux des per-sonnages qui escomptaient un retour à l’ordre ancien. À l’époque de sa parution, nombre de critiques ont dit de ce deuxième volet qu’il surpassait Le Survenant. Quoi qu’il en soit, les qualités d’ori-gine sont là : dramaturgie adroite, vérité des personnages, peinture convaincante du monde rural et, peut-être surtout, déplacement réussi d’une langue orale vers une prose élégante, réaliste et admi-rablement incarnée.

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Germaine Guèvremont

Marie-Didace

Présentation de Madeleine Ferron

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Mise en pages : Marie-Josée RobidouxEn couverture : © Julie Deshaies\Shutterstock.com

Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada

Guèvremont, Germaine, 1893-1968

Marie-Didace

(Biblio-Fides)

Édition originale : Montréal : Beauchemin, 1947.

isbn 978-2-7621-3891-7 [édition imprimée]isbn 978-2-7621-3892-4 [édition numérique PDF]isbn 978-2-7621-3893-1 [édition numérique ePub]

I. Titre. II. Collection : Biblio-Fides.

PS8513.U47M3 2015 C843’.52 C2015-940028-7PS9513.U47M3 2015

Dépôt légal : 1er trimestre 2015Bibliothèque et Archives nationales du Québec© Fides, 1949

La maison d’édition reconnaît l’aide fi nancière du Gouvernement du Canada par l’entremise du Fonds du livre du Canada pour ses activités d’édition. La maison d’édition remercie de leur soutien fi nancier le Conseil des Arts du Canada et la Société de développement des entreprises culturelles du Québec (SODEC). La maison d’édition bénéfi cie du Programme de crédit d’impôt pour l’édition de livres du Gouvernement du Québec, géré par la SODEC.

imprimé au canada en février

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PrésentationLes gens d’un pays

Il est heureux, pour nous, que Germaine Guèvremont, suivant l’adage populaire « Qui prend mari, prend pays », se soit, en 1920, installée à Sorel. De là, comme d’un balcon, elle s’est mise à observer le Chenal du Moine d’un regard tout neuf, le plus effi cace, puisqu’il n’est pas terni par une longue habitude. Comme elle possédait aussi l’œil fureteur et toujours aux aguets de l’écrivain, elle nous a transmis la magnifi que particu-larité de ce minuscule pays cerné d’îles.

Grâce à sa curiosité de botaniste, elle nous off re d’inoubliables tableaux, où « le foin doré à la tête, bleu près de la tige, se couche parmi le miel sauvage, le trèfl e d’odeur, le laiteron et la faverolle ». À l’automne, le Chenal scintille sous la gamme nuancée des ors : le jaune des trembles, le fauve du cornouiller fi n et le blond emmêlé aux longs cheveux des rouches.

Son oreille sensible lui a facilité l’intégration du par-ler local qu’elle nous rend avec une justesse et une élé-gance toutes naturelles. Elle a ainsi contribué à enrichir le fonds de la langue française et ses livres demeureront sans doute un réservoir pour nos philologues. Les eth-nologues pourront aussi y trouver leur profi t. Moi qui ai toujours eu un faible pour les courtepointes, m’éton-nant de la richesse de leurs dessins improvisés, j’ai été ravie d’apprendre qu’ils étaient tracés au moyen de fi celles trempées d’une pierre bleue délayée de farine.

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Toutes ces particularités font partie des accessoires qui enrichissent Marie-Didace mais n’en sont évidem-ment pas l’élément essentiel, qui demeure sa structure et son style.

Le livre de madame Guèvremont obtint un très grand succès auprès des lecteurs et des critiques. Il le méritait.

Une communion intime s’était établie entre elle et le milieu géographique et humain du Chenal du Moine. Il en a résulté des personnages aussi vrais qu’intéressants et une nature tout en nuances, partie intégrante de Marie-Didace, comme elle l’avait été du Survenant.

Il y a d’ailleurs une corrélation entre les deux livres : des personnages ont glissé de l’un à l’autre et certaines situations s’y prolongent. Ainsi, l’importance accrue des Provençal et le déclin des Beauchemin, levier central du premier livre, demeure la toile de fond du second, où le souff reteux Amable Beauchemin ne fait toujours pas le poids avec les fi ls robustes de Pierre-Côme Provençal.

Le Survenant, qui avait donné son titre au premier livre, se retrouve dans le second, où il hante encore le Chenal. Angélina porte dans son cœur le poids dou-loureux de son amour perdu. Ce n’est qu’en croyant reconnaître le Survenant, dans un journal, en uni-forme militaire, sous l’en-tête « Glorieux disparu », qu’elle se consolera : « Désormais, au lieu de l’humi-liation de la vieille fi lle déjetée, elle portera, en sa per-sonne, la dignité d’une veuve. »

Phonsine, qui avait résisté au regard ensorceleur et à la galante prévenance du Survenant, cède dans Marie-Didace au trouble que lui apporte son souvenir.

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Un autre pont relie les deux romans puisque c’est le Survenant qui a présenté Blanche Varieur au père Didace, introduisant ainsi au Chenal une incon-nue, venue d’ailleurs. L’étranger-étrangère, cet être mythique, nimbé de mystère, synonyme de liberté, porteur des secrets du vaste monde, qui bouleverse l’ordre établi partout où il passe, éveille la méfi ance en même temps que la curiosité et le trouble.

C’est ainsi que l ’Acayenne devient l ’élément déclencheur des drames qui se succèdent dans Marie-Didace. Veuve d’un marin, elle a bourlingué sur une mer inconnue, à bord des chalands où elle était au service d’une vingtaine de mariniers. Le père Didace, après l’avoir épousée secrètement à Sorel, est venu l’installer de nuit à la maison, sans en avoir au préa-lable discuté avec son fi ls Amable et sa bru Phonsine. Ils ont trouvé, au matin, l’étrangère dans la cuisine. Elle y cuisait des crêpes en buvant, avec une révoltante assurance, dans la tasse de Phonsine. Le premier à s’octroyer ce droit avait été le Survenant. Cette pro-fanation relie encore une fois les deux livres par les deux étrangers. La tasse, avec les années, « dorée de tons chauds où dansent des lueurs nacrées », deviendra un objet fétiche auquel Phonsine identifi era, dans les innombrables cauchemars qui secoueront ses nuits, les êtres qui lui sont chers.

L’Acayenne était toute en rondeurs, forte et vail-lante. « Par l ’échancrure, à sa gorge, au-delà du triangle de chair nue que le soleil avait rosie et tavelée de taches de son, sa peau se révélait d’une blancheur fascinante. »

La sourde lutte qui s’établit entre les deux femmes sera inégale. Phonsine, orpheline élevée par la charité

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publique, adolescente humiliée, femme maladive, bru dépossédée de la conduite de la maison, n’a plus comme poids que celui de l’enfant qu’elle porte. Elle ne trouvera qu’une seule arme pour se défendre : hâter la donation de la terre à son mari en obtenant de ce der-nier qu’il quitte la maison. Temporairement, croit-elle. C’était compter sans l’orgueil, le trait caractéristique des Beauchemin. Elle ne se serait jamais douté que son pauvre Amable en avait hérité. Phonsine devient ainsi la cause du drame fi nal. Madame Guèvremont, au lieu de faire une longue analyse des sentiments de ses per-sonnages, a recours à des faits, à des gestes et à quelques phrases pour mieux les faire connaître. Nous appre-nons que l’orgueil du père Didace commence à fl an-cher quand « il sort le ber du fournil, passe et repasse sa main sur le bois comme pour en adoucir le grain ». Phonsine qui observe la scène de la fenêtre ne sera pas surprise quand son beau-père lui dira le lendemain : « J’ai pensé à une autre chose, ma fi lle. On ira voir ce qui se passe à Sorel », c’est-à-dire à la recherche d’Amable.

La deuxième partie du roman concerne surtout la petite Marie-Didace. Elle est le centre d’intérêt, le point de mire des adultes de la maison, se préparant ainsi à devenir le personnage d’un troisième volume qui, malheureusement, ne verra pas le jour. J’imagine qu’elle y aurait marié un des fi ls Provençal, terminant d’une façon fort recommandable la lutte de pouvoirs entre les deux familles.

La relecture de Marie-Didace laisse en moi une impression profonde qui sera durable, j’en suis convaincue, puisque les personnages, aussi véridiques que vivants, me sont devenus familiers comme les gens de mon entourage.

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Madame Guèvremont fut un des meilleurs écri-vains de son époque. On a rangé son œuvre dans « la catégorie des romans paysans, régionalistes, du ter-roir ». Cette classifi cation restrictive est agaçante sur-tout qu’elle eut longtemps, sous la plume des pontifes littéraires une connotation péjorative. « Dorénavant, le roman sera urbain et si d’aventure il conserve quelque relent du terroir, ce sera à cause de son côté “Survenant” qu’il s’imposera », écrit l’un d’eux à la sortie de Marie-Didace. Il eff ace ainsi d’un coup de crayon une partie importante du pays qui continue pourtant à inspirer de nombreux auteurs.

Le régionalisme a été identifi é, et l’est encore pour certains, au conservatisme le plus étroit, à des valeurs traditionnelles dépassées, à une existence statique, comme si le progrès et la modernité ne pouvaient par-ticiper aussi à la mouvance de la mentalité rurale, de ce monde rural qui comprend toutes les catégories sociales.

Dans la plupart des critiques qui ont paru à la sor-tie des romans de madame Guèvremont, on emploie beaucoup le terme paysan, mot exotique ici, puisqu’il n’a jamais été employé et ne serait juste que dans sa signifi cation première, celle du xiie siècle, où païsens, païsant, voulait dire « gens d’un pays ».

Madeleine Ferron

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Marie-Didace

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À mon père, à ma mère

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première partie

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Les bras en couronne sur la tête, Phonsine ne dor-mait pas. Inquiète, elle épiait dans la nuit les moindres bruits de la maison : l’œuvre lente du bois, un bour-donnement d’insecte, la chute d’un tison parmi les cendres. Au dehors, par rafales, les joncs secs cra-quaient et le serein faisait goutter du toit une eau lourde sur les feuilles tombées. Soudain un bruit — grondement, puis éboulis — couvrit tous les autres. Phonsine poussa son mari.

Allongé sur le dos, droit comme une fl èche, Amable continua à dormir, anéanti.

— Amable, t’entends pas ?Il ronfl ait, la bouche ouverte.— Amable ! Le tonnerre gronde au nord !Amable renifl a. Puis, indiff érent, la voix enrouée de

sommeil, il dit tout bas :— Laisse-le gronder. Tonnerre… en octobre… pré-

sage d’une belle… automne…— Une belle automne sûrement ! s’impatienta

Phonsine. Il mouille à verse presquement à tous les jours.

Mais Amable, face au mur, se rendormait déjà.Après le départ du Survenant, Phonsine avait

recommencé à traîner au lit, le matin, comme autre-fois. Moins par besoin de sommeil cependant — sa grossesse la portait plutôt à l’insomnie — que par

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satisfaction, croyant reconquérir ainsi à ses propres yeux la part de prestige que la présence de l’étranger lui avait enlevée.

Aux premiers temps, il lui arrivait même de s’éveil-ler de joie, au milieu de la nuit. Les yeux grands ouverts, elle cherchait à quel vert feuillage son cœur volait ainsi, léger et tout eff arouché. Ah ! oui, le Survenant était parti. Il avait quitté le Chenal du Moine. Plus de gros repas à préparer pour les hommes, au petit jour, dans la cuisine humide où les ombres s’attardaient. Soucieux, le père Didace Beauchemin n’accomplissait plus que les travaux urgents. Le matin, il se contentait de manger les restes de la veille, souvent froids, ou encore du pain et du lait, avec du sucre du pays. Jamais il ne se plaignait de la nourriture.

Mais d’être seule à la savourer, Phonsine voyait sa joie perdre, de jour en jour, les couleurs du pre-mier éclat, elle la voyait se faner, comme une plante à l’abandon. Sans qu’elle se l’avouât, la maison lui paraissait grande et les prévenances du Survenant lui manquaient. Si Amable avait voulu comprendre et se rendre serviable le moindrement ! Loin de là, il avait retrouvé ses anciennes habitudes de fl ânerie, les jambes allongées, à fumer près du poêle. Phonsine avait essayé de lui dire, un midi : « T’es toujours dans mon chemin. » Cela n’avait pas fait. Il l’avait boudée et le père Didace s’était emporté contre lui. Depuis, Amable avait repris sa place accoutumée. Plutôt que de lui réclamer quotidiennement du bois dans le bûcher, Phonsine préférait partir à la recherche d’éclisses, même de bûches qu’elle entrait à pleines brassées. Ce n’était pas le fend-le-vent…

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L’image du Survenant, avec son grand rire et ses défauts, avec son verbe insolent et son obligeance, sil-lonna sa pensée. Mais elle s’interdit de trop penser à lui, de peur que l’enfant ne fi nît par lui ressembler.

La jeune femme palpa son ventre, si plat, si maigre. Était-ce possible qu’en elle le mystère de la vie s’accom-plît ? Vitement, elle tira les couvertures pour recouvrir ses jambes et ses hanches. La première année de son mariage, elle avait cru que, lorsqu’elle attendrait un enfant, elle en parlerait à cœur ouvert avec Amable. Maintenant qu’elle le portait, le respect humain lui imposait le silence. Et, en réunion, elle se tenait à l’écart.

Aussi longtemps qu’elle aurait un souffl e, l’enfant ne manquerait de rien, elle se le promettait. Non pas seulement de ce qui s’achète, mais de ce qui se donne. Rien ne se perd dans le monde. Le Survenant le disait toujours. Une neuvaine de beau temps nous récom-pense des jours pluvieux. Il devait en être ainsi des joies. Sa part de joie, de toutes les joies dont elle avait été privée, elle la donnait au petit.

Une clameur partit de la commune. À peine assour-die par les clairs aulnages des berges, elle traversa la rivière, fi lant sa détresse au-dessus de l’eau. Un vent faible la répandit le long de la côte sud, éveillant les chiens du voisinage. Leurs aboiements tenaces, aff olés renforcèrent la rumeur et la propagèrent au-delà des prairies.

Assise dans son lit, Phonsine écouta. Elle distingua nettement, au milieu des jappements, du heurt des sabots et de piétinements du sol, le cri de porcs qu’on égorge.

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Des voleurs d’animaux. Amable ! réveille-toi, il se passe de quoi sur l’île !

« Il dort comme un bienheureux, pensa Phonsine. Il dormirait le gros bout dans l’eau. Des malfaiteurs me tueraient à ses côtés, on passerait au feu et il n’en aurait même pas connaissance. »

Pieds nus, elle marcha dans l’obscurité jusqu’à la chambre de son beau-père. Le père Didace n’avait pas couché à la maison. Sur le coup elle ne s’en étonna point, tellement elle ne songeait qu’à se protéger. Son premier instinct fut de courir à la porte de devant qu’on ne verrouillait jamais. En s’y rendant, elle faillit trébucher, un orteil pris dans l’anneau de la trappe de cave. Trop dominée par la peur pour en ressentir aucun mal, elle se dégagea comme rien. Le loquet ne voulait pas glisser. Elle appuya le dossier d’une chaise contre la porte et attendit. Peu à peu ses yeux s’habi-tuèrent à l’obscurité. Comme elle surveillait les alen-tours, des ombres surgirent au quai des Provençal. Elles s’engagèrent sur l’eau, traversèrent le chenal et atteignirent la commune.

— Il y a pas de soin, se dit Phonsine, les Provençal, quand il s’agit de surveiller le bien, on les prend jamais en défaut, Pierre-Côme, avec ses quatre garçons, il faut leur donner ça. Sont pas riches de rien…

À l’approche des hommes, le tapage des bêtes se calma, puis il cessa tout à fait. Phonsine frissonna. Rassurée par la tranquillité, elle se faufi la sous les cou-vertures. Amable, au contact des pieds froids de sa femme, s’éveilla en sursaut.

Mécontente, elle lui dit :— T’es ben bâti ! Tu dors comme une bûche sans

t’inquiéter de rien.

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Le Survenant a quitté le Chenal du Moine aussi mystérieusement qu’il y était venu… Après son départ, rien n’est plus pareil. Mais dans les îles de Sorel, à peine troublées par la rumeur lointaine de la guerre, les habitants continuent de souff rir, d’aimer et de mourir, mus par les fi ls fragiles de leur destin.

Cette œuvre remarquable, qui fait suite au Survenant, raconte l’histoire d’une harmonie perdue, celle qui unissait jusque-là l’homme et les champs, les bêtes et leur Créateur.

Germaine Guèvremont compte parmi les figures marquantes de la littérature québécoise du xxe siècle. Son célèbre roman, Le Survenant, qui a été adapté pour la télévision et pour le cinéma, a valu à son auteur une audience internationale.

Germaine GuèvremontMarie-Didace

isbn 978-2-7621-3892-4