Gérard Lemaine. Latour Bruno, Politiques de La Nature. Comment Faire Entrer Les Sciences en...

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Gérard Lemaine Latour Bruno, Politiques de la nature. Comment faire entrer les sciences en démocratie. In: Revue française de sociologie. 2000, 41-2. pp. 405-408. Citer ce document / Cite this document : Lemaine Gérard. Latour Bruno, Politiques de la nature. Comment faire entrer les sciences en démocratie. In: Revue française de sociologie. 2000, 41-2. pp. 405-408. http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rfsoc_0035-2969_2000_num_41_2_5287

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  • Grard Lemaine

    Latour Bruno, Politiques de la nature. Comment faire entrer lessciences en dmocratie.In: Revue franaise de sociologie. 2000, 41-2. pp. 405-408.

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    Lemaine Grard. Latour Bruno, Politiques de la nature. Comment faire entrer les sciences en dmocratie. In: Revue franaisede sociologie. 2000, 41-2. pp. 405-408.

    http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rfsoc_0035-2969_2000_num_41_2_5287

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    du monde. Rejetant les oscillations binaires entre culturalisme et naturalisme, illustration du schma de Pareto sur la domination alternante de thories extrmes, les sciences sociales doivent selon l'auteur adhrer un projet cognitiviste qui puisse rendre compte en comprhension des faits axiologiques par l'intermdiaire de complexes de raisons fortes, fussent-elles faiblement connectes.

    Si le septime article intitul Qu'est- ce qu'une bonne thorie? n'est pas indispensable la comprhension des prcdents, comme l'affirme l'auteur, il n'en traite pas moins d'une question pistmo- logique cruciale : celle de la scientificit des thories mises dans le champ des sciences sociales. Partant des Rgles de la mthode sociologique, Boudon analyse quels sont les critres de scientificit mis en avant par le programme positiviste de Durkheim, l'empirisme de Milton Friedman ou le rationalisme critique de Popper. La rponse de l'auteur cette question privilgie une tradition du positivisme bien tempr reprsente par Adam Smith, Tocqueville, Weber, mais aussi Huyghens o la congruence avec le rel n'est pas le seul test de scientificit et o l'acceptation des inobservables est conditionne par leur capacit expliquer d'autres phnomnes.

    Le recueil se conclut avec le compte rendu d'un ouvrage de Russel Hardin sur les dangers du communautarisme. L'analyse des valeurs attaches l'identit culturelle y met en vidence la tension entre particularisme et universalisme. Pour l'idologie communautariste, les valeurs culturelles s'inscriraient toujours comme l'manation de communauts. Selon l'auteur, l'ouvrage de Hardin dmontre en creux l'impuissance des sciences sociales proposer des thories qui permettent de rendre compte de l'impact social de valeurs universelles. D'o la ncessit d'une thorie explicative des faits axiologiques (quod erat demonstrandum !).

    Dominique Desbois Service Central des Enqutes et des Etudes Statistiques

    Ministre de l'Agriculture et de la Pche

    Latour (Bruno). - Politiques de la nature. Comment faire entrer les sciences en dmocratie. Paris, La Dcouverte (Armillaire), 1999, 382 p., 145 FF.

    On pourrait sous-titrer le livre autrement : de la construction de la nature par les sciences, au fonctionnement, enfin dmocratique, du collectif.

    D'emble le lecteur sera dans l'embarras. Le livre, nous dit-on (p. 19), n'a pas d'auteur, juste un secrtaire de rdaction qui a mis au propre les discussions et conclusions de ceux qui ont travaill (un col- laboratoire ) dans le cadre d'un contrat pass avec le ministre de l'Environnement. Mais dans la prsentation, en quatrime de couverture, on lit que le texte fait suite un livre de 1 99 1 et, note 5 page 34 1 , qu'une partie du chapitre V est le rsum de deux ouvrages de l'auteur, le prcdent, de 1991, et un autre paratre en 1999. Latour prcise qu'il s'exprimera plus personnellement dans les notes.

    Il s'agit de repenser l'cologie politique qui allait de travers puisque la nature tait mise en politique, une nature ( natu- ralistique) conue comme l'assemble des choses opposes la socit, i.e. l'assemble des humains (Latour n'a aucune peine montrer que le terme nature est fort loin d'tre clair). La nature va mourir (p. 42) vive l'cologie politique, la vraie, que les Verts de toutes nuances n'ont pas comprise. Il faut en finir avec l'opposition d'une nature unifie et hors procdure et de socits ou de cultures multiples sans accs au rel. En finir galement avec l'antinomie ancienne, qui n'est pas la bonne, des faits et valeurs. On doit tendre la dmocratie aux non- humains et quel autre terme que celui d'cologie permettrait d'accueillir les non-humains en politique ? (p. 298). On va enfin entrer en civilisation. La dmocratie est un mot qui revient sans cesse dans une criture o, pratiquement chaque page, on tombe sur une image guerrire. Est-ce de l'humour ou une subtile dfense, lorsque l'auteur crit que l'im-

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    munologie est toute pollue par des mtaphores guerrires (p. 145). L'expression de mtaphores militaires comme marque de fabrique de Latour (Latour's trade mark) est de S. Shapin en 1988.

    Les sciences n'entreront en dmocratie que si elles se substituent La Science qui dit le vrai (Platon, la caverne et le monde des ides sont beaucoup utiliss) et que si l'on abandonne epistemologie de combat, policire, des Koyr, Bachelard et Canguilhem. Les sciences, elles, exhibent le travail ncessaire tabl issement des donnes obstines et ttues (p. 140). La grande crise tant celle de l'objectivit, il faut inventer epistemologie politique de l'avenir (p. 33). Dans cette ligne les sciences politiques sont exclure qui paralysent la vie politique par la Science, comme l'conomie politique avec sa nature rouge et sanglante (p. 1 84) et ses lois d'airain qui imposent une forme de naturalisme. Trouvent grce l'conomie et ses livres de compte, qui ont la capacit unique de donner un langage commun ceux dont la tche est [...] de dcouvrir le meilleur des mondes communs (p. 207), ainsi que [...] le nez infaillible des conomistes [...] (p. 272).

    Dans ce livre, grandiose, rptitif et obscur, Latour souhaite mettre en place une nouvelle dmocratie sans les transcendances laques du politique, au sens usuel, et sans les valeurs d'une thique formelle et universelle. Il s'agit [je reprends les expressions] de fonder une mtaphysique exprimentale - recherche de ce qui compose le monde commun - oppose une mtaphysique de la nature, la solution tr

    aditionnelle qui donnait un rle politique la nature (tout cela ne nous dit pas si le trou d'ozone est quelque chose d'avr ou non. Mille pardons pour une remarque aussi triviale !).

    Le schma de l'auteur utilise des notions ou des termes pour lesquels le glossaire est fort prcieux. La symtrie des relativistes et la symtrie gnralise de Latour sont devenues (presque) obsoltes et si les actants sont dfinis, ils sont utiliss avec parcimonie dans l'ouvrage.

    tation d'intrts humains des non- humains, hylozoisme de Latour dnonc par S. Schaffer (en 1991), comme le constructivisme social sont bmoliss encore que (p. 116) les objets peuvent tre considrs comme des acteurs sociaux dans le cadre d'un monisme o objets et sujets sont associs ; c'est : [...] la volont explicite de ceux, humains et non-humains [...] (p. 183). C'est encore plus complexe que le lecteur press pourrait le croire. Je lis : Les non-humains [...] ne sont pas des objets et encore moins des faits [...] [ce sont] des entits nouvelles qui font parler ceux qui s'assemblent autour d'elles et qui discutent entre eux leur propos; [...] [une] ralit extrieure [...] libre de l'obligation faite aux objets de fermer la bouche des humains. (p. 104). Et : [...] la petite transcendance des ralits extrieures (p. 260).

    Le collectif cumule les pouvoirs de la nature et de la socit et dsigne une procdure pour rassembler les associations d'humains et de non-humains. Une proposition dsigne l'une de ces associations qui vient, en quelque sorte, frapper la porte du collectif et qui sera accepte ou non. L'admission et l'exclusion (les entits en appel et les entits extriorises ) peuvent tre comprises si l'on sait que le collectif est compos d'une chambre (haute) qui a pour mission la prise en compte avec les fonctions de perplexit et de consultation - et d'une autre chambre (basse) ayant, elle, pour objectif l'ordonnancement (Pouvons-nous vivre ensemble ?) avec les fonctions de hirarchisation et d'institution.

    J'explicite : la perplexit rend attentif aux propositions qui souhaitent et vont (ou non) entrer dans le monde commun ; la consultation rpond la question de la pertinence des preuves et relve du jugement sur la recevabilit ; la hirarchisation cre un ordre homogne (il est dit aussi optimal) et institution clt le collectif, au cours d'une procdure explicite, provisoirement bien sr, puisque le collectif est par dfinition instable, toujours prt soumettre examen, prendre en compte et

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    aussi rejeter ce qui le met en danger (voir l'ordre optimal).

    C'est ainsi que se cre le monde commun, toujours en mouvement et enfin pacifi, dbarrass de tous les intrts, passions et violences (le ressassement joue, je crois, plus que la dmonstration dans tout ce que je tente de rsumer ici).

    Le collectif, pour fonctionner, requiert la sparation des pouvoirs (une autre fonction) entre les chambres et une capacit de scnarisation de la totalit (la sixime fonction), qui ne peut tre atteinte que si l'on fait intervenir d'autres acteurs que les sciences, les conomistes, la politique ou les moralistes, tous quelque peu limits dans leurs interventions. Le rle des politiques et moralistes est loin d'tre clair. De ces deux acteurs qui, l'intrieur du modle, manquent de perspective, il est dit (pp. 170-171) que dans l'Ancien Rgime ( remplacer), le moraliste ne connat pas tout le travail de la consultation et que le politique n'a pas accs au front de la recherche ce qui l'oblige dcider l'aveuglette. Il est sous-entendu que dans le Nouveau Rgime il en ira autrement.

    Le diplomate, qui n'est pas vraiment un pouvoir, a en charge le royaume des fins et c'est grce l'preuve diplomatique, au travail de ngociation, que sera dcid ce qui est essentiel et superflu tant pour entrer dans le(s) collectif(s) que pour en tre exclu. Le collectif avance l'aveuglette mais faute de prvoir il doit gouverner et c'est l qu'intervient le diplomate.

    Cette machine ne peut fonctionner que si le collectif sait garder la trace de ses cheminements et il n'espre d'autre salut que de l'enregistrement des protocoles qui s'accumulent derrire lui et de la plus obsessionnelle traabilit (p. 277). Cela va permettre l'apprentissage au cours de l'exprimentation sociale propose. Le pouvoir de suivi, de distinction des fonctions, de coordination des corps de mtier substantiels revient l'administrateur ou au bureaucrate, matre des procdures (la petite transcendance de l'exprience collective , p. 264). Apparat ici la distinction, qui peut surprendre, entre

    stance et forme : les bureaucrates tant matres de la forme et sans pouvoir, ce sont eux qui vont gouverner (avec l'aide des diplomates sans doute).

    Voil qui va faire sursauter, pour le moins. On ne trouve aucune allusion aux travaux des sociologues, des philosophes du politique, au moins, qui je le crois sincrement ont assez bien montr quel pouvoir substantiel pouvait tre acquis par la matrise de l'information, sa rtention, sa circulation calcule, partielle, partiale et comment se constituent des appareils rgulateurs qui se proccupent trs vite d'autre chose que des procdures ou du formel au sens latourien. On lit, page 106 : [...] [le] mariage monstrueux de la police pis- tmologique avec la philosophie politique bni par le sociologue . On tombe de haut. La dmocratie de la nouvelle cologie politique et des sciences risque fort de ne pas durer longtemps malgr tous les apprentissages , prises en compte , etc.

    Le lecteur va se poser des questions trs ordinaires. Nous avons mentionn le substantiel et le procdural mais on sera galement surpris que l'auteur ne voie pas de problme particulier {sauf un problme d'chelle, page 264, mince de problme qui a t abord tant par les scientifiques que les pistmologues depuis des lustres !) passer des expriences des sciences l'exprimentation collective si l'on est attentif la traabilit.

    mes yeux, comme dans toute utopie, c'est l que gisent quelques-unes des difficults. Ce texte pourrait inquiter mais on s'aperoit vite que ce n'est rien d'autre qu'un long exercice de style sur la politique de la nature - il est vrai rdig en chambre (p. 20).

    Puisque les notes en fin de livre sont plus personnelles, je remarque que Latour, plusieurs reprises, parle avec vhmence de la guerre des sciences et de l'affaire Sokal, celle-ci tant qualifie de tempte dans un verre d'eau (p. 304), ce que le ton adopt tend dmentir. Je pense que Sokal et Bricmont - et beaucoup d'auteurs avant 1996 et aprs - ont simplement critiqu le relativisme cognitif radical de certaines

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    tudes sociales des sciences et relev les erreurs de philosophes (post-modernes ) et de sociologues des sciences qui se sont aventurs disserter sur des sujets fort techniques, dont ils ignoraient peu prs tout, alors mme que cela n'tait pas ncessaire leurs travaux et rflexions.

    La rancur du pacifiste Latour clate dans la note 22 du chapitre 3, page 327. Il se plaint que les Franais ne peuvent s'empcher, aprs l'avoir cout, de lui opposer l'affaire Lyssenko et la science juive des nazis. C'est l un tmoignage accablant sur le niveau des discussions en France de la part de critiques qui n'ont pas honte de s'abaisser ce genre d'abjection . J.-J. Salomon, qui avait publi un article dans Le Monde (en 1997) au moment des dbats sokaliens, est pris partie (ainsi que J.-F. Revel) mais le malheur est que Salomon, pour m'en tenir lui, n 'a pas parl de Lyssenko ni de science nazie : il n'a cit qu'un texte de Mussolini de 1924 sur le relativisme. Latour s'attaque aux Franais mais des non-Franais ont t (bien avant Sokal), et sont toujours, autrement redoutables pour lui. Par exemple, dans son compte rendu de Science in action, Olga Amsterdamska (1990), reprochait l'auteur, et avec quelle fermet, de soutenir que la vrit en science est au bout d'un rapport de force, que Might et Right se valent {Might et Right est une expression reprise des dizaines de fois dans le livre analys ici). Et Olga Amsterdamska, for good, citait Lyssenko, non pour attaquer le relativisme en soi mais pour dnoncer la similitude entre le langage de Latour et les mthodes utilises par Lyssenko ( Latour' s terminology fits Lyssenko activities [...] ). Pour faire bonne mesure, elle se rfrait l'Apartheid en Afrique du Sud et l'infriorit vidente des Noirs ! De qui et de quoi parle Latour ? Mystre. Sauf que la critique de la draison est beaucoup plus qu'impure, elle est policire, dans

    le meilleur des cas, dplace. la mme page 327, Latour ne craint pas d'crire que l'affaire Lyssenko ne tmoigne pas d'un envahissement de la science gntique par l'idologie politique, mais, au contraire, d'un envahissement de la politique par la Science [...] (les lois scientifiques de l'histoire et de l'conomie). Visiblement, Latour ne connat pas cette affaire et au lieu de se livrer un jeu d'inversion dont il est coutumier, il aurait pu dire que l'idologie a envahi aussi les lois de l'histoire et de l'conomie.

    Pour un tel livre, il faudrait simplement suivre la recommandation de Lichtenberg, Laissons tranquillement crotre l'herbe sur ce sujet (Le miroir de l'me). Mais c'est difficile, pour deux raisons au moins : 1) Quelques-uns, dont je suis, ne parviennent pas s'habituer l'esbroufe intellectuelle et 2) Les tudiants peuvent se laisser sduire par des crits rutilants qui ne mnent nulle part et qui, en outre, seront considrs, dans quelque temps, comme dpasss par les auteurs eux-mmes mais sans qu'ils se soient donns la peine d'une (auto-) rfutation srieuse. J'ai signal le sort rserv aujourd'hui la symtrie (du Programme fort de Bloor) mais cela est indiqu brivement page 348, [...] telle est l'erreur que j'avais commise l'poque et pour la symtrie gnralise de Latour (moque par les reprsentants les plus en vue de l'cole d'Edinburgh) [...) je n'avais pas encore compris l'poque [...] . Tout le monde est dpass par de telles virevoltes, dissimules juste ce qu'il faut dans les notes, a fortiori les tudiants en sciences sociales qui auront toujours quelques figures de style de retard.

    Grard Lemaine Groupe d'Etudes et de Rei herches sur la Science

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