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    Introduction

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    En vertu de quel complexe la Sein e et la Charente ontelles tenu devenir maritimes pou.r ne plus tre infrieures ?De mme les r( basses Pyrnes. devenues atlantiques . , les basses Alpes devenues deHau te-Provence et la Loire infrieure devenue atlantique . Par contre, et pour un e raison quim'chappe, le bas Rh in ne s'est touj ours pas offusqude la proximit du ha ut ,On remarquera, de mme, qu e la Marne, la Savoie etla Vienne ne se sont jamais senties hum il ies par l'existence de la Hau te-Marne, de la Hau te-Savoie et de laHaute-Vienne, ce qui devra it vouloir di re quelque chosequan t au rle du marqu et du non marqu dans lesclassifications et les hirarchies.Georges Prec, Penser /Classer

    Art majeur, ar t mineur : ces catgories tentent, d'une faon quin'est pas compltement satisfaisante, de rendre compte d'une opposition fortement ancre dans le monde angle-saxon, mais pourlaquelle la langue franaise ne possde pa s d'quivalent : high an dlow . Ces termes d'usage de plus en plus cou ra nt - une recherchedans les banques de donnes amricaines donne un nombre chaquejour croissant de rponses - prsente le mrite de poser explicitement le prob lme de la hirarchie en art, ce qui ne veut pas dire,tant s'en fau t , de le rsoudre.La langu e franaise est plus retorse. S'i! existe bien des arts dit s mineurs (les a r ts dcorat ifs J, on ne parle pas en revanched'art majeur . , de sorte que c'est plut t l'quivalen t de high artqui nous fait dfaut. Pour l'voquer, force est d'util iser une priphrase : ar t avec un grand A ", Art avec majuscule . , l'art

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    comme tel , Ce qui ne veut pas dire, loin de l , que nous ne connat rions pas de hirarchie, mais plutt qu 'elle prend dans la langueune forme diffrente . En fait, ce qu i s'oppose, en franais, aux artsmineurs, est l'a rt tout court, et l'art au singulier. Il es t en effet frappant de remarquer la diffrence hirarchique qui est faite ent rel'art (comme te l), et les a rts , flanqus d'une pithte : arts dcoratifs, arts populaires, arts primitifs, arts mineurs, etc. Le seul faitd'accoler au terme .. a rt . un qualificatif est dj une marque dprciative, un signe de minoration, comme si l'art .. tout court " se suffisait lui-mme, en donnant l'illusion de s'auto-dfinir en quelquesorte . C'est pour rompre cette dissymtrie entre art et arts mineursque nous proposons d'introduire , en dpit de ses insuffisances, l'opposition entre a rt majeur et art mineu r.Quelque commode qu'elle soit, cette opposition n'en a pas moinsdeux dfauts .. majeurs , Le premier est que la catgorie dprciative d'arts mineurs exis te dj , mme si elle tend tomber endsutude, remplace par celle d'art dcorati f ou art industriel". Deplus, parler de deux blocs, majeur . et " mineur " revient fairedu second une catgorie fourre-tout comprenant des formes artistiques htrognes : arts populaires, arts de masse, arts folkloriques, artisanat, a rt rgional, arts primitifs, arts ethniques ",etc., dont les fron tires se recoupent parfois, selon les dcoupagesdont procdent ces notions, souvent critiques, bien que d'emploitoujours courant. Quant au premier, son extension est galementfluctuante, dans le temps comme dans l'espace, pou r ne rien diredes frontires entre les deux. En reconduisant ces deux grandescatgories , n'est-on pas en train d'entriner une division culturelleproduite par le systme, au lieu de la mettre en question ? Onrpondra que le risqu e est certes toujours prsent, mais qu'ilconvient de l'assumer au lieu de prtendre efface r d'u n coup uneopposition largement prsente dans les dbats. Feindre de l'ignorerserait encore pire. Aussi faut-il l'affronter, et pour ce fai re les catgories de majeur et de mineur peuvent s'avrer utiles, car les1. Louis Rau crivait ce propos que l'art dcoratif ou industriel . comprendles industries de l'ameublement, du costume, l'orfvrerie , la cramique, qu'onclassait autrefois sous le terme ddaigneux. d'arts mineurs . , Dictionnaireillustr d'art et d'archologie, Paris, Larousse, 1930, art. Dcoratif (Art ) " ,p. 142. Consquent avec lui-mme , Rau n'avait pas inclus d'entre .. artsmineurs .

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    termes sont, dessein , suffisamment caricat uraux pour que leurusage laisse entendre - du moins fau t-il l'esprer - ce qui en euxfai t problme. Qu'il soit donc clair que leur emploi ne vise pas cautionner la hirarchie de va leur qu'ils impliquent, mais la d signer explicitement comme l'objet mme qu 'il s'agit d'analyser defaon critique. Pour accentuer cet te dimension critique, majeur "et mineur " seront dsormais mis entre gu illemets , faute d'unmarqueur d'ironie qui fait cruellement dfaut la langue.En empruntant cette opposition - comme bien des concepts en artsplastiques - au monde de la musique, il s'agit aussi de suggrer quela diffrence entre art majeur et art mineur est peut-tre moins unediffren ce ontologique, que modale. Au reste, comme le rappelle icimme Daniel Arasse, la thorie musicale des modes est aussi un despoints de dpart de la hirarchie des genres en peinture.Cependant, par-del la musique, les modes majeur et mineur fontappel - tout comme high et loto - des catgories cognitives quistructurent leu r fonction hirarchique. Majeur/mineur re pose surl'opposition grand/petit - ne parle-t-on pas de grand art " faceaux arts mineurs ? - ce qui renvoie une hirarchie base sur lacroissance biologique : les arts mineurs seraient donc infrieursen ceci qu'ils n'auraient pas encore atteint la majorit propreaux arts majeurs , C'est donc un schme cognitif, la mtaphorebiologique de la croissance, qui nous aide classifier des rapportshirarch iques. C'es t au ssi une catgorie cognitive, elle galementprofondment ancre dan s nos schmas corporels - embodied - qui structure l'opposition entre high et loto : la verticalit. Dan stoutes les expressions idiomat iques qu' elle vhicule dans de nombreuses langues, le hau t " reprsente la valeur positive et le bas " la valeur ngative, de sorte que cette opposition est celle qui,mieux que tout autre, permet de signifier des relations hirarchiques, le haut tant constamment associ un rang lev dans lahirarchie sociale, le bas un statut infrieur. Ainsi, on le voit , la

    2. Cf. sur ce point D. Chateau, "Un artiste peut trs bien couper un salamiaussi 1" Rflexions philosophique s sur quelques modes artistiques peu ou proumineurs ", dans Le mode mineur de la cration (sous la direction de R. Conteet J.-Cl. Le Couic), Lyon, Alas , 1996, p. 31-48 .3. Pour adapter ici librement la langue franaise les propos extrmement sti-mulants de G. Lakoff et M. Johnson, on oppose la grandeur .. la fo:petitesse ",9

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    hi rarchie s'exprime au travers de catgories cognit ives . Aussi unerflexion sur les hirarchies en art se doit-elle d'tre galementattentive aux catgories qui nous servent exprimer ces relationshirarchiques . Et te l est prcisment un des object ifs de cet OUvrage : entamer une an alyse des catgories et des classifications partir desquelles nous pensons les relat ions hirarchiques.En effet, si l'opposition entre high et loto prsente l'avantage d'afficher explic itement l'axe de verticalisation constamment mis enuvre pour exprimer des rapports hirarchiques, cela ne veut direque ceux qui l'emploient rflchissent au contenu hirarchiquequ'elle exprime, ni aux formes qu' elle prend. Bien au contraire, ilsemblerait que, du fait que cette hira rchi e s'nonce cla irementdans les termes utiliss, ceux qui l'emploient se croient par lmme dispenss d'en justifier ou d'en analyser l'usage. Il est ainsifrappant de constater que la hirarchie qui sous-tend la diffrenceentre majeur et mineur, high et lou: est rarement discute, et encore moins mise en question. Aussi est-ce un autre des objectifs duprsent ouvrage de combler cette lacune criante.Pour n'en donner qu 'un exemple , l'exposition prcisment intitule High and Loto, et qui a fait beaucoup pour populariser l'expression dans le champ a rtistique , n'a jamais mis en question cette hi

    rarchie . Bien au contraire, elle n'a servi qu ' la re nforce r. Les commissaires de l'exposition n'ont jamais cach que l'art majeur "constituait leur principal centre d'int rt'[. En fait, la philosophie , si l'on peut dire, dont ils se rclament est d'une incroyableingnuit; disons, pour tre plus juste, qu' elle apparat surtouttelle aprs le formidable toll d 'indignation que l'exposi t ion a suscit. Gauchissant l'opposition entre high et loui pour en faire deuxmondes qui aura ient toujours t compl tement hermtiques, etl'art mineur exclu de toute a ttention parce qu'infrieur, leurapport, consi ste, leurs yeux, montrer que l'art mineur n'est pas

    on .. monte ... dans la hirarchie, du .. bas ... de l'chelle jusqu'au .. sommet ... dela carrire, et il est malheureuse ment trop rare qu'un personnage de .. haut ...rang soit issu des .. bas ...-fonds (l\fetaphors We Live By, Chicago et Londres,University of Chicago Press, 1980, p. 16).4. High modern painting and sculpture const itu e our primary topic . ,K. Varnedoe et A. Gopnik, introduction au catalogue de l'exposition High &Low : Modern Art and Pop/dar Culture, New York, MoMA, 1990, p. 19.

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    si infrieur que cela, puisqu'il a t revaloris par l 'art majeur quis'en est servi comme source d'inspiraticn - attitude tout faitsymptomatique d'une hi stoire de l'art crite du point de vue de l'art" majeur " par un regard condescendant, de haut en bas.Cette exposition a au moins eu le mrite de susciter d'normesdbats6, en tout cas dans le monde anglo-saxon, les auteurs delangue franaise ayant en gnral fort peu particip ces discussions. Un des rsultat s de cette effervescence a t d'attirer l'at

    tention sur ces questions et de stimuler les historiens d'art en lesincitant prendre position. Aussi, en raison, au moins partiellement, de cette stimulation, est-il de plus en pl s de bon ton de prtendre mettre en question la hirarchie entre majeur et mineur, etil est rare aujourd'hui, de trouver un ouvrage sur l'art contemporain dans lequel l'auteur n'entreprend pas , un moment ou unautre, de discuter la question7. Cela est surtout vrai d'un nouveauconcept fort la mode ces dernires annes, celui de culturevisuelle ". Dans un des recueils parus sous ce titre, le texte de pr -

    5. Je n'exagre pas: l'introduction, tant du catalogue que du livre qui sert decomplment l'exposition, enfonce des portes depuis longtemps grandesouvertes en croyant dcouvrir que les deux mondes du majeur et du mineur nesont pas aussi impermables que cela , et surtout que le mineur n'est pas simineur puisqu'il sert alimenter le majeur. Il y aurait auss i beaucoup diresur l'image du fou du roi qui vient sous leur plume pour caractriser le mineur(

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    sentation in siste sur le fait que la nouvelle catgorie transgresse la polarit traditionnelle entre h igh et low 8. Une telle revendication, cependant, es t loin d'aller de soi. Car si l'ide de culturevisuelle permet d'embrasser des catgories aussi diffrentes que lapublicit, le cinma, la photo, la vido, la tlvision, la peinture, lapropagande, les journaux, etc., i l ne suffit pas de les subsumer sousune no tion commune pour effacer comme par un coup de baguettemagique toutes leurs diffrences, et en particulier leurs diffrenceshirarchiques. En ce sens, il est difficile de se dpartir de l'impression que l'i de de culture visuelle participe aussi, mme si ceux quis'en r clament s'en dfendent, d'une sorte de tout-visuel , del'ide d'une libre circula tion des images l're de la globalisation,ide qui, loin d'effacer les hirarchies, ne fait qu 'exacerber le processus de dcontextualisation qui est une des procdures principales qui caractrisent l'art majeur en gnral et le fonctionnement des images visuelles sur internet en particulier. Est-il sr quel'on gagnerait transformer l'histoire de l'art en une histoire desimages, comme le proposent les coordinateurs d'un autre volumeconsacr la cul ture visuelle'[? Il faudrait y rflchir deux fois,et de mme avant d'utiliser la notion de culture visuelle , elleaussi fort d battueU ' .Les textes runis dans ce volume partent d'une perspective diffrente. Tout d'abord, il ne s'agit pas de prtendre dpasser l'opposition entre majeur et mineur. Une telle prtention, on vient dele voir, ne peut qu 'entriner, voire conforter la hirarchie qu'im-

    8. Ch. J enks, introduction au volume Yisual Culture, Londres et New York,Routledge, 1995, p. 16.9. N. Bryson, M. A. Holly et K Moxey (ds.), Introduction " Yisual Culture :Images and Interpreta tions, Hanover et Londres, University Press of NewEngl and , 1994, p. XVI.10. Cf. le questionnaire adress un cer tain nombre de personnes par la revueOctober, et leurs rponses, Visual Culture Questionnaire ", October n 77, t1996, p. 25-70. Cf. aus si W. J . T. Mitchell, What is Visual Culture? ", dansMean ing in the Visual Arts : Views from the Out side : A CentennialCommemoration of Erwin Panofsky (18921968), sous la direction de I. Lavin,Princeton, Institut of Advanced Studies, 1995, p. 207-217 ; et T. Crow,.. Unwritten Histories of Conceptual Art : Against Visual Culture ", dans sonlivre Modern Art in the Common Culture, New Haven et Londres, YaleUniversity Press, 1996, p. 212 sq .

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    plique cet te opposition, et qu'il convient au contraire d'affronter,pour en tudier les modes, les modulations et les modalits. Il faut cet gard tre trs vigi lant vis --vis du renversement de hirarchie: la revendication du populaire comme art plus vrai contrel'art majeur a souvent des relents nationalist es et rac istesll .Ensuite , il n'y a pas une, mais plusieurs hirarchies, comme les diffrentes contributions le met tent en vidence . Tout d'abord, il fautdistinguer la hir archie au sein d'un mme domaine, de celle quioppose des domaines ar tistiques diffrent s. En ce qui concerne lapremire, une section est consacre la hirarchi e des genres enpeinture. Et pour ce qui regarde la seconde, une autre section luiest dvolue; dont le contenu sera dtaill un peu plus loin , et dontles objets n'avaient pas, jusqu' prsent , donn lieu analyse.Ensuite, et peut-tre encore plus fondamentalement , s'il y a plusieurs hirarchies, c'est que l'examen des seules hirarchies artistiques tablies par l'art majeur (comme par exemple les canonsprescrits par l'Acadmie) s'avre tout fait insuffisant pour comprendre, non seulement les changements qui l'ont affect, maisaussi les raisons mmes qui ont motiv son instauration-X. Aussiplusieurs des auteurs runis ici ont- ils insist juste t itre sur lancessit d'tudier paralllement hirarchie artistique et hirarchie sociale, et ce dans diffrent s sens: soit en mont rant commentla hirarchie en art est corrle une hirarchie sociale, soit enmontrant les interactions entre la hirarchie majeure, imposepour ainsi dire d'en haut, et le rle du public. Enfin, s'il y a plusieurs hirarchies, c'est aussi, comme la question du public le meten vidence, que les gots mineurs ou majeurs obissent des11. Cf. sur ce point . Michaud, Nord-Sud. (Du nationali sme et du racismeen histoire de l'art. Un e anthologie) , Critique n'' 586 , mars 1996, p. 179.12. Dan s cette perspective, l'tude de la faon dont la hirarchie entre high et low .. a t produite dans la culture amricaine du XIXe a donn lieu destravaux qui mritent d'tre signa ls , tan t dans une perpective historique (cf.L. W. Levine, Highbrow 1Low brow : The Emergence of Cultural Hierarchy inAmerica, Cambridge. Mass. et Londres, Harvard University Press, 1988) quesociologique (cf. P. DiMaggio, Cultural Entrepreneurship in Nin eteenthCenturyBoston : The Creation of an Organizational Base for High Culture inAmerica ", dans Ch. Mujerkij et M. Schudson ( ds.) , Rethinking PopularCulture : Contemporary Perspectives in Cultu ral Studies, Berkeley et LosAngeles, University of Californ ia Press, 1991, p. 374-397.

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    schmes classificatoires distincts13. D'o la ncess it qui s 'estimpose d'autres auteurs, d'tudier les hirarchies sous l'angledes catgories cognitives dont elles participent.Ce bref tour d'horizon le montre suffisance, ds lors que l'ons'efforce de traiter du mineur et du majeur sous l'angle des hirarchies - perspective originale, faut-il le prciser? - surgissent unefoule de questions que ce volume s'efforce de traiter sans prtendre,tant s'en faut, l'exhaustivit.Avan t de passer son contenu en revue, une dernire prcision s'im

    pose. L'un e de ses vises, en effet, est d'inter roger les mutati ons quiont eu lieu au xxe sicle dans la hirarchie dans et entre les arts .Ces mutations constituent l'horizon gnral des interrogations quinous portent. Il nous a cependant paru indispensable d'aborder cesquestions dans une perspective historique. Impossible en effet decomprendre les ruptures et les dplacements qui ont affect les hirarchies dans l'art du xxe sicle sa ns un regard rtrospectif sur lanature, le rle et la fonction de la - ou plus exactement des - hi rarchiels) dans l'art antrieur. Par une srie de rgressions presquesans fin, il faudrait idalement remonter de l'art contemporain aumodernisme pour interroger la manire dont ce dern ier s'est situpar rapport aux hirarchies traditi onnelles qu'il a largement contribu dstabiliser et dplacer. Mais un tel regard su ppose galementune meilleure connaissance de ce qu'ont t ces hirarchies et laman ire dont elles ont t institutionnalises . Ce qui implique decommencer ce vaste parcours - dont, il va de soi, seules quelquestapes, mais dcisives, seront abordes dans les pages qui viennent- par le texte canonique qui fonde en France la hirarchie acadmique des genres en peinture, la Prface de Flibien au premierrecueil des Conferences de l'Acadmie royale de peinture et de sculp-ture ( 668), texte sur lequel il n'existait curieusement aucune analyse dtaille jusqu ' une date rcente14.

    13. On a pu tab lir en ce sens une corrlation entre le niveau d'tudes et lesprfrences : ceux qui ont suivi des cours d'art ou d'histoire de l'art prfrentl'art or majeur . , tandis que les autres prfrent les uvres mineures ..; cf.A. S. Winston et G. C. Cupchik. The Evalu ati on of High Art and Popular Artby Nave and Experienced Viewers .., Visual Arts Research, vol. 18 n 1, prin-temps 1992, p. 1-14.14. Cf. Th. Kirchner,

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    La hirarch ie des genres .La premire section est donc consacre l'tude de la hirarchiedes genres en peinture, du XV Ie sicle la Rvolution franaise . Le

    texte de Daniel Arasse, qui ouvre ce recueil, a jus tement pour objetd'examiner la prface de Flibien et de l'clairer par une lectureattentive de la hirarchie des genres au XVIe sicle, ou, plus exactement, de c e qu'il faudrait appe ler une prhistoire de la hirarchiedes genres. Cette dm arche illustre et confirme d'ailleurs la ncessit d'un clairage historique pour mieux comprendre les tenants etles aboutissants de cette hirarchie. Ep effet, l'apport de DanielArasse ce dbat consiste prcisment montrer que la hirarchietablie par Fli bien fut une sorte de riposte du monde del'Acadmie face une autre hi rarchie, dj fortement prsentedans le march de la peinture au XVIe sicle , et qui valori sait lesgenres mineurs " (paysage, nature morte, etc. ), genres apprcispar les amateurs clairs et achets par les collectionneurs. Il rappelle cet gard qu e la hirarchie des gen res en peinture a sansdoute sa source dans la tradition d'origine rh torique, selon laquelle il fallait peindre les diffrent s sujets (bas, moyens ou hauts) suivant un mode appropri. Or cette thorie des modes ", si elleimplique bien une hirarchie entre sujets, n'tait cependant pasrigide, dans la mesure o l'important tait d'accorder le mode ausujet, non de classer les sujets hirarchiquement , comme le feraFlibien pour t en ter de fonder en droit les mrites du genre noble , la peinture d'histoire et l'allgorie. Arasse distingue ut ilement cet gard la thorie des gen res ou des modes , qui n'implique pas, bien au contraire , une dvalorisation des genres bas "ou mineurs ", et la hirarchie des sujets " qu 'tablit Flib ien, quiest bien une classification ascendante, dans laquelle les mtaphores d'lvation abondent .Il ressort de cette analyse une vision contrast e du texte deFlibien , lequel obit certes des objectifs politiques, mais viseau ssi contrebalancer le prestige et la faveur dont jouissaient lesgenres bas " auprs du public comme des collectionneurs ; en ce

    naissance de la thorie de l'art en France, 16401720, n 31-32 de la ReUlle d'es-thtique, 1997, p. 187-196.15

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    sens , la fracture entre noble et bas, majeur et min eur, es t aussi cequi oppose les canons que l'Acadmie met en place au got dupublic, des amateurs , des curieux et des collectionneurs. Bref, ils'agissait aussi, en voulan t lever la pein ture au rang d'art libral ,de la dbarrasser de ce qu'elle avait encore de mcanique15. D'oga lement la dichotomie su r laquelle insisteArasse, entre plaisir etdiscours : aux uvres qui plaisent (et dont il est difficile de parler)s'opposent celles qui sont susceptibles (et dignes) de fai re l'objetd'un discours.C'est galement la Prface de Flibien au premier recueil des

    Con ferences de l'Acadmie, qu 'est consacre la contribution de RenDmoris . Son texte va cependant au -del de Flibien car il brosseun vaste tableau des ava tars de la h irarchie des genres duranttoute l'poque classique. La Prface de Flibien fixe en effet unehirarchie assez rigide qui , partant du niveau le plus bas (la reprsentation de frui ts , de fleurs et de coquillages) s' lve en passantau paysage, aux animaux, pu is au portrait, pour accder enfin lafable, l 'histoire et l'allgorie. Si la finalit de cette classificationest politique, puisqu'il s'agissait de mettre au -dessus du lot lesuvres qui vantent les grandes actions de Louis XIV, elle est cependant ga lement lie la division sociale du travail en arts librauxet arts mcaniques; d'o le fait que la pratique est j uge moinsnoble que la th orie , et qu'il es t fait l'loge de l'artiste comme crateur s' levant au -dessus du simple imi tateur.La pens e de Flib ien est cependant plu s complexe, et Dmoris lanuance en pren an t en compte les Entretiens qu'il connat particulirement bien 16 et dan s lesquels se fait jour une conception beau coup moins . dogmatique que da ns la " Prface aux Conferences:Flibien s'y montre beau coup plus atte ntif qu 'on ne pou rrait le croire la pein ture de genre (expression qui n'apparat pas sous saplum e), plus que bien des crit iques du XVIlIe, pour qui la supriori t de la pe intu re d'h istoire semblait aller de soi. Dmoris sou ligne

    15. Cf. sur cette question D. Posner, .. Concerning the "Mechanical" Parts ofPainting and the Artistic Culture of Seventeenth-Century France . , dans TheArt Bulletin, vol. LXXV, n" 4, dcembre 1993, p. 583-598.16. Il a dit ces Ent retiens sur la vie et les ouvrages des plus excellentspeintres. dont seuls les deux premiers ont paru ce jour (Paris, Les BellesLettres, 1987).

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    galement combien la hirarchie des genres en peinture va l'encon tre de la concept ion religieuse selon laquell e tou tes les cra.tures de Dieu ont droit aux mmes gards , un e opposition qu'avaitdj souligne Arasse propos de la Contre Rforme.Puis , retraant grands traits certains aspects de la hirarchie

    des genres au xvm", Dmoris montre enfin comment la hirarchiedes genres se dplace avec la prise en compte du public, partir desRflexions de Du Bos comme de La Font de Sa int-Yenne!" , Et, ence qui concerne Diderot en particulier, l aussi il appelle relativiser le jugement t rop frquent qui gra tifie le philosophe desLumires d'une avance en la matire, du fait qu 'il a soutenu despeintres de genre comme Greuze ou Chardin . Or il est un fait queses ides restent timides , si on les compare par exemple avec l'article de Watelet sur la peinture de genre dans l'Encyclopdie.Poursuivant ce survol grandes enjambes de moments clsdans l'volution de la peintu re de genre, la contribution de JanWhiteley, consacre la hi ra rchie des genres dur an t laRvolution frana ise , est une util e mise au point concernant lesdbats qui ont ag it l'poque sur cette question, dbats d'autantplus pres que le dcalage s'tait encore accru ent re la peinture degenre qui ava it la faveur du public et des amateurs, et la peintu red'histoire, prne par l'Acadmie. Les partisans de cette dernirednoncrent la fr ivolit de la peintu re de genre en me ttant enavant le contenu moral de l'art sur lequel La Font de Saint-Yenneavait dj insist lorsqu 'il stigmat isait la " dcadence " de la peinture . Mme si une plus large place devait tre faite dans les Salonsaux pein tres de genre qui dnonaient, de leur ct, le lien entr earistocrat ie et peinture d'h istoire, et qui s'avraient meilleurs propagandistes , l'ouverture du Salon de 1893 des peint res quin'taient pas coopts par les Acadmiciens devai t poser des problmes dbordant la hirarchie des genres pui squ'il s'agissa it deslimites de ce qui pouvait tre considr comme ar t : tel est le castrs intressant que soulve Whiteley, celui des modles de cirecolore, qu i seront refuss en dpit de leur originalit, car jugs endehors de la catgorie de l'a rt.

    ,

    17. Dmoris rejoint ici l'hypothse centrale qui guide Th. Crow dans son livrePainters and Public Lire in Eigteenth-Century Paris , New Haven et Londres,Yale University Press, 1985.

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    Il ressort de cet exa men qu e la hirarchie des gen re s ne sera pasfondamen talement modifie cet te poque, mme si les peintres degenre faisaient valoir bon droit qu'ils peignaient, eux, des vnements contempora ins. Cependant, le poids de l'Acadmie, et lapression exerce par les peintres d'histo ire auprs des instances duPouvoir donnrent gain de cause ces derniers , de sorte que la hirarchie entre peinture d'histoire et peinture de genre se maintint.Pour que de grands bouleversements se produisent, il faudraa ttendre les ann es 1870 et la monte de l'impressionnisme et dumodernisme. Ceci confirme a contrario qu 'une modificat ion profonde de la hira rchie interne l'art ne peut avo ir lieu sans une modification corrlative du champ artistique dan s son ensemble18 etpour ce faire les conditions n'taient pas encore runies en 1789.Reste se demander si les catgories de la hirarchie des genressont encore pertinentes pour pen ser l'art contemporain ? Cettequestion ne se ra pas aborde ici, parce qu 'elle l'a dj t aill eurs.Signalons ce propos deux rponses positives qu i lu i ont t apportes . Tom Crow a montr dans une tude stimulante que le genreclassique du paysage pastoral constitue une cl pour comprendreun courant qui traverse l'art contemporain du cubisme jusqu'auxannes 198019. Pa r a illeurs , dans une perspective trs diffrente,Nathalie Heinich a suggr l'ide que la catgorie a r t contemporain pouvait tre comprise comme un " genre " au sens de lavieille hirarchie des genres en art20. L'intrt de cette perspective, bien qu'elle soulve des objections , est de prendre en compte lefai t que ce qui s'affronte de nos jours ne son t plus tant des gots ausein du mme axe hi rarchique, mais des paradigmes, c'est--diredes dfinitions de ce que doit tre l'a rt lorsqu 'il prtend t re del'art.

    18. Cf. sur ce point P. Bourdieu, Les rgles de l'art : Gense et structure duchamp littraire, Paris. Seuil, 1992, en particulier p. 183 sq . et 351-2.19. T. Crow, The Simple Lire : Pastoralism and the Pers istence of Genre inRecent Art , dans Modern Art in the Commun Cultu re, op. cit., (n. 10), p. 173211.20. Cf. N. Heinich, Le Triple jeu de l'art contemporain, Paris, Minuit, 1998,p. 11; elle a depuis dvelopp cette ide dans . Pour en finir avec la querellede l'a rt contemporain " Le Dbat n' 104 , mars-avril 1999.

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    La hirarchie entre les arts.Si l'poque classique a fix les termes d'un dbat qui devait sepoursuivre au xxe sicle, comme i l vient d'tre suggr , ell e a aussivu se dvelopper d'autres formes de hirarchie, non plus au seind'un mme type d'expression (comme la hirarchie des genres enpeinture), mais ent re diffrentes formes artistiques. Il est ainsifrappant de constate r l'existence d'une hirarchie qui va lorise lapein ture au dtriment de la sculpture , du XV IIe au XIXe, hi rarchiequi reste malheureusement toujours de mise

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    Jacqueline Lichtenstein avec une autre hirarchie, celle entre ledessin et la coul eur, qui lui a justement perm is de les articuler fin ement , dans la mesure o elle mont re combien les deux hira rchiessont lies : la consquence inattendue du renversement de tendance qui fait prvaloir partir de de Piles la couleur sur le dessindans la peinture est que ds lors la sculpture se trouve , dans lest h ories esthtiques, subordonne la pe inture.Si l'on regarde les jo urnaux illustrs de la fin du XIXe, on s'aper

    cevra, non sans surprise, qu'ils accordent une place statistiquement crasante la peinture et que la sculpture y est sous-reprsente. L'examen attentif de cette presse, auquel s'est livr TomGret ton, un moment crucial du dveloppement de la mode rnit ,les annes 1880 , aboutit cependant des conclusions moins a t tendues . Comment en effet la hirarchie traditionnelle entre majeur etmineur se trouve-t-elle rpercute dans les journaux illustrs?Tout l'intrt de ces analyses dtailles de la mise en page des journaux et du rle qu 'y jouent les images, en rapport ou non avec lestextes, consiste montrer la relation complexe qui s'y produit entred frence (respect de la hirarchie et valorisation consquen t e desuvres majeures des Salons) et diffrence, qui mine en quelquesorte cette hirarchie, en nivelant les images reproduites, toutessoumises au mme code de reprsentat ion visuelle justementemprun t aux uvres majeures ". Par l'utilisation de ce mmetraitement de l'image (qui met donc sur un mme pied d'galitrepor tage, fait divers et uvre d 'art), la presse illustre entendfaire valoir sa diffrence spcifique et con tribue ainsi la formationde la cul ture de l'lite de l'poque.Ce tte appropriation des ressources reprsentatives de l'art

    majeur )' par un art mineur pose une question bien embarrassante, que Gretton avait dj souleve propos du graveur mexicain Posada: celui-ci produisait des uvres populaires , certes,mais en usant des moyens les plu s sophistiqus que la photom canisation pouvait offrir l'poque-. Ici , Gret ton va plus loin en

    21. Cf. T. Gretton, Posada's Prints as Photomechanical Artefacts ", PrintQuarter/y, IX, 1992,4 , p. 335-356; Posada and th e "Popular" : Commoditiesand Social Constructs in Mexico before the Revolution ", Oxford Art Journal,vol. 17 n 2, nov. 1994, p. 32-47.

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    mettant en question l'opposition entre maj eur et mineur, et enmontrant combien les journaux illustrs la rendent caduque : ceuxci ne peuvent plus tre qualifis de populaires , non seulementparce qu'ils utilisent les re ssources visuelles du grand ar t, on vientde le dire, mais aussi parce que leur co t les mettait hors de portedu budget des gens du peuple; leur vri table public tait la bour geoisie cultive et aise. Voil qui jet te un regard nouveau sur lesrelations complexes ent re" majeur " et " mineur " au moment del'avnement de la modernit.Or prcisment , si cette tude minutieuse d'lin genre " mineur "largement nglig, l'illustration, appor te des hypothses passionnantes sur la stratgie reprsentative adopte par ces journaux

    dans leur concurrence avec le grand art et pose des questionsmthodologiques trs importantes, ds lors que l'on veut sortir descritres traditionnellement appliqus l'tude de l'art " majeur ,elle dborde cependant largement, dans ses conclusions, le seul casdes journaux illustrs. Gretton montre en effet , d'un ct, commentl'art majeur lui -mme a d ragir face au dfi que lui lanaient lesmoyens de reproduction massive de l'image. Et de l'autre, il insiste juste titre sur ce dont les journaux ne sont qu 'un signe parmid'autres cette poque charni re o se const it ue la modernit : lefait que la hirarchie subit un bouleve rsement considrable dslors qu'aux rapports de dfrence se substituent des rapports plu sconflictuels d'appropriation et de diffrenciation.D'une faon plus gnrale, le processus par lequel l'illustrations'approprie certains des codes de l'art " majeur " est relativementfrquent, et se produit chaque fois qu 'un genre artistique jug infrieur vient s'tayer sur le genre qui occupe le somme t de la hirarchie. Or il est intressant de constate r que ce phnomne se ren contre galement en dehors de la civilisation occidentale et en particulier en Chine, comme le note Yolaine Escande dans son tudedtaille de la hirarchie entre calligraphie et pein ture, dont elletrace un vaste tableau qui va de l'origine de ce que l'esthtique chinoise appelle " art " jusqu' la contestation, dans l'art chinoiscontemporain, de la h irarchie traditionnelle .Dans un style clair et avec un grand souci de prcision, elle russit mettre la porte du non-spcialiste tous les lments ncessaires la comprhension de la hirarchie entre les arts , dans lacivilisation chinoise, celle, assurment, dont l'histoire est la plu s

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    longue. Cette contribution obit plusieurs objectifs. Tout d'abord,i l s'agissait de contrebalancer un tant soit peu une autre hirarchie- souvent implicite - qu i relgue les arts non occidentaux uneplace secondaire, en accordant un espace significatif l'tude de lahirarchie des arts, telle qu'elle se prsente en Chi ne. Ensuite,outre son intrt propre, cette tude fournit aussi un point de comparaison avec la hirarchie te lle qu'elle se dgage de l'art occidental. Or cette comparaison s'avre particulirement instructive.L'art qui occupe en Chine le sommet de la hirarchie, la calligraphie, es t en effet un genre artistique rserv un e lite, les lettrs(gnralement de hauts fonctionnaires), qu i la concevai ent commeune pratique d'amateurs en l'opposant la peinture, fruit de professionnels , Difficile ici de ne pas songer une fois de plus l'opposition ent re arts libraux et arts mcaniques, d'autant que lapeinture tait considre par les lettrs chinois comme un artmanuel et non intellectuel (comme l'tait leurs yeux la calligraphie) et qu'ils la taxaient d'artisanale et de mercantile. Ajoutonsque l'exemple de la Chine illustre clairement combien la hirarchieentre les arts est directemen t lie la hirarchie sociale et culturelle, dans la mesure o, comme le note Escande, comprendretoutes les rfrences littraires, historiques et potiques de la calligraphie tait le privilge de l'lite cultive, seule mme deconsacrer des annes l'tude et la pratique . Voil qui rappelle,mutatis mutandis, le rle de l'allgorie dans la peinture d'histoire.Hirarchies et art contemporain .On considre souvent que la hirarchie entre majeur " et

    mineur " est reste relativement stable jusqu' ce que, avec lemodernisme, elle commence tre mis e mal , en particulier cause du dclin de la hira rchie des genres qu 'a impliqu l'introduction de sujets modernes , c'est--dire emprunts la vie quotidienne . Or la hirarchie des genres n'a jamais t aussi fixe et rigide qu'o n veut bien le dire en simplifiant un phnomne plus cornplexe. Car i l existe un processus ancie n permet tant de subvertir lahira rchie des genres : la parodie, celle-ci tant dfinie par DuMarsais comme le fai t d'imiter un sujet srieux pour le transformeren un autre moins srieux. Or du point de vue de la hirarchie, onpeut distinguer deux formes de parodie. La premire, celle que dfi-

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    nit Du Marsais et qui consiste tran sfrer un genre min eur unsujet appartenant un genre majeur (pa r exemple de la tragdie la comdie, ou de la posie la prose). La seconde procde l'in verse et consiste introduire dans un genre maj eur un sujet appartenant un genre infrieur (pa r exemple la Musique aux Tuileriesde Manet qui dclencha un scandale pour avoir introduit en peinture un sujet banal qui n'tait digne que de la gravure ou de la cari cature). Ma propre con tribution ce volume consiste en l'tude desprocds parodiques qui ont rendu possible un dial ogue entre majeur et mineur - : je m'efforce galement de montrer com-ment l'usage de la parodie s'est tran sform en mme temps que semodifiaient les rapports hirarch iques entre mineur et majeur .Aux nombreux bouleve rsements qu'a connu la hirarchie traditionnelle au xx" sicle, les avant-gardes historiques des annes 20ont beaucoup contribu, comme le mon tre Philippe Roussin dansune perspective transversale, partir d'une comparaison entredeux mouvements apparemment bien diffrents : le surra lisme enFrance et le constructivisme russe. Pourtant, de la mme faon quele parapluie et la machine coudre ne sont pas aussi loigns qu'ilsemble premire vue , comme Breton l'a remarqu, ces deux mouvements ont en commun une attitude semblable de dsacralisationquant la position de la sphre artistique vis- -vis du social : aumot d'ordre de Lautramont : La posie doit tre fai te par tous ",rpond celui de Maakovski: les rues sont nos pinc eau x ". Roussinmet ainsi en vidence un double phnomne complmentaire: d'unct, une socialisation de la littrature, et de l'autre, une littralisation de la socit, ce dernier aspect tant manifeste dans le choixthmatique de la grande ville et l'exaltation de l'espace urbain .Aussi tant le surra lisme que le constructivi sme ont-ils repens lestatut le l'artiste comme crateur " : les surralis tes en dplaantla catgorie de cration vers celle d'invention ; les constructivistesen mettant l'accent sur l'ide de laboratoire, de crativit et de production. Cette position entrane une rvaluation des ra pportsentre high et loui, avec l'importance dvolue par les surralistesaux arts dits mineurs , et la production industrielle et technique par les constructivistes. Roussin note justement ce proposque l'intrt pour les arts mineurs ", loin d'tre d une volont thorique de re nverser la hirarchie traditionnelle, s'est au

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    contraire impos en quelque sorte de l'intrieur de leur dmarche,ds lors que les constructivistes cherchaient dvelopper la crativit inhrente toute pratique comme toute technique.Enfin , l'essor ext raordina ire du cinma du rant cette priodeapporte non seulement un formidable modle d'art collectif, et nonplus individualiste , mais surtout celui d'une technique populairequi s'est hisse au rang d'ar t majeur, renversant ainsi l'ide suivant laquelle le schma des rapports entre majeur et mineur seraitncessairement descendant et non ascendant, l'art dit populairetant encore trop souvent vu comme une forme abtardie d'art majeur ,L'apport de Michael Corris - t horicien, mais aussi artiste (il futmembre de la section new-yorkaise du groupe Art & Language quifait l'objet de son essai) - n'est pas ais caractriser, car il est cheval entre la rflexion thorique et une vocation potico-artistique dont les associations et les jeux de mots constituent la cl, cequi n 'a gure facilit la tche de la t raductrice. La comparaison, parlaquelle dbute son texte, entre une srie tlvise amricaine desannes 60 et le groupe Art & Language, tient non seulement leurusage commun des jeux de langage, mais aussi aux associationsque fait Corris autour des schmes cogn itifs que vhiculent lestermes high and low , C'est la raison pour laquelle il accentue leparallle entre la position difficil e de ces adolescents vis--vis del'ascension sociale (laquelle a pour prix la renonciation leur ident it culturelle de dpart) et celle d'Art & Language, galementconfront un problme sim ilaire: comment s'insrer dans le systme tout en le critiquant? Le fond de cette comparaison est aussi comprendre au niveau du langage, puisque c'est d'un quartier deNew York appel le Lower East Side qu 'il s'agit, te rme qui n'estvidemment pas choisi au hasard . En fait, tout le text e est travers par cette question lancinante des rapports entre haut et bas,avec toutes les connotat ions que la langue anglaise vhicule expli-citement22. Ainsi y fait cho te lle phrase d'un autre membre du

    22. J'en voudrais pour preuve le fait qu 'un magazine amricain de grandediffusion, pour annoncer l'ouverture dans ce quartier de New York , d'un magasinjaponais haut " de gamme , avait rcemment titr : The High End of theLower East Side ,

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    groupe, Michael Baldwin, que Corris cite propos : We aim tobring our art low ( " nous cherchons ra mener notre art vers lebas ). Cette attitude commune aux loulous du Lower Eas t Sidepuis du Bowery (o l'auteur eut lui-mme son atelier) et Art &Language est caractr ise par leur recours commun aux jeux demots et l'usage d'une posture comique vis--vis du monde, attitudequi leur permet d'assumer une position critique. Corris mobili se iciun genre lit traire, la comdie, et la catgorie du burlesque en par-ticulier, pour penser la ri poste commune aux jeunes voyous de lasrie tlvise et aux membres d'Art & Langu,age, con fronts lamme alternative, e t ne souhaitant ni rester dans le low nis'identifier aux valeurs du high , cet gard, l'argumentationrappelle celle de Tom Crow, s'appuyant, pou r penser la positionmarginale des avant-gardes, sur les t ravaux de sociologues consacrs aux attitudes " dviantes " des mili eux d favoris s,Parmi les formes que prend l'opposition entre mineur et majeur,celle entre art et publicit continue de cristalliser beaucoup dedbats. D'autan t plus que, comme le fait remarqu er RainerRocblitz, qui a centr sa contribution sur cette question, les critresd'valuation des uvres d'art se sont dplacs. De nos jours, i l y abien toujours une hirarchie entre les uvres, mais ell e repose demoins en moins sur une hirarchie des genres au sens trad itionnel,car cette dernire tend t re remplace par une classificati on va luative en quelque sorte " interne ", savoir que les uv res sontjuges en fonction de leur mri te propre bien plus pa r leur appar-tenance .un genre. E t cette hirarchie interne a le plus souventpourcritres l'originalit, l'impact et la profondeur des uvres, cequicomplique singulirement la tche de celui qui cherche diffrencier uvre d'art et publicit, dans la mesure o selon de tel s critres, beaucoup de bonnes publicits pourraient tre considrescomme des uvres d'a rt. Or admettre que de bonnes publicits sontdes uvres d'art, comme d'aucuns le soutiennent, c'es t ne retenirquel'image ou le texte ou leur combinaison, en perdant par consquent de vue la finalit de la publicit, qui diffre de l'uvre d'art.Car, explique Rochlitz, une publicit vise toujours associer unmessage un produit, de sorte que si elle peut t re consid re23.T. Crow,

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    comme artistique, c'est malgr sa fonction publicitaire. Deux caslimite lui permettent d'illustrer la ncessit de maintenir une diffrence entre art et publicit : l'affiche de Ben C'est pour la vie (campagne pour l'emploi de prservatifs ), qui s 'approche desuvres d'art, non parce que son auteur est un artiste, mais par sesqualits intrinsques. Et les campagnes pour Benetton orchestrespar Toscani, dont les prtentions faire de l'art peuvent tre aisment contres lorsque l'on prend en compte le fait que son message, s'il a beau vouloir provoquer une raction ou lever le degrde conscience de l'humanit sur des problmes moraux, n'en est pasmoins toujours associ une marque, de sorte que le sens du message consiste en dfini tive fai r e croire que porter des vtementsBenetton reviendrait tre conscient des problmes moraux quepose notre poque.Perspectives philosophiques et anthropologiques.

    La ncessit de maintenir des critres gnriques et pas simplement valuatifs, que Rainer Rochlitz met en vidence, est aussi unedes questions qu'aborde Jean-Marie Schaeffer, quoique sous unangle diffrent. C'est en effet une clarification fort utile des processus cognitifs en jeu lorsque nous jugeons des uvres de faonhirarchique qu'est consacre la premire partie de sa contribution. ses yeux, la distinction entre majeur et mineur est une classification valuative, diffrente, comme telle, de classifications simplement descriptives comme celle entre tragdie et comdie, romanet conte, etc. En dpit des nombreux problmes que soulve cettedistinction, dont celui - qu'il reconnat - que pose leur sparationdans la pratique, Schaeffer plaide en faveur de son maintien. TI yajoute une autre catgorie, celle de hirarchie a ttentionnelle, quirend compte des rapports complexes qui s'tablissent entre hirarchies descriptives et valuatives.Ces distinc tions sont proposes afin d'expliquer le fait que, depuisle romantisme, i l existe une confusion entre fait et va leur, qui a eud'normes rpercussions sur la manire mme dont nous continuons de penser la question de la hirarchie en ar t. Ainsi, dans laseconde partie de sa contribution , Schaeffer met fort bien en vidence le fait que le parad igme roman tique, la fois essentialiste eth istor iciste, a fait un tort considrable la thorie de l'art, dans la

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    mesure o ses thoriciens pensaient dfinir l'essence de l'art demanire objective et indpendamment de tout critre valuatif.C'est pourquoi ce paradigme a eu et continue d'avoir des effets pernicieux sur la thorie de l'art. Schaeffer montre en ce sens, qu'endpit de sa prtention l'objectivit, le paradigme qu'il nommeromantique contient en ralit diffrentes formes de hirarchiesd'autant plus insidieuses qu 'elles restent occultes: hirarchie valuative des faits historiques, toujours perceptible aujourd'hui dansle fait que, par exemple, l'expression art contemporain " ne dnote pas seulement l'ide d'un art fait de nos jours, mais implique unjugement de valeur. Hirarchie entre J'art comme connaissanceextatique rvlant une vrit transcendantale et le reste des activits humaines, hirarchie qui viendr a surdterminer et modifier lavieille opposition entre arts libraux et arts mcaniques, en latransformant en art authentique et inauthentique ou art pur etdiverti ssement , ce qui a donn, en dernier ressort, l'opposition entrehigh et low. Enfin, le pa radigme romant ique contient une hirarchie, interne cette fois, classant les formes artistiques en fonction deleur capacit manifester un contenu philosophique, ce quiimplique par voie de consquence une valorisation des arts du verbal et une dvalorisation du visuel. Ceci montre combien Schaefferest conscient des imbrications entre les deux catgories descriptiveset valuatives, dont le brouillage a beaucoup nui.Cette excellente mise en perspective des consquences du pa radigmeromantique sur la manire mme dont nous pensons les rapports ent re majeur et mineur, est clairante bien des gards . EUeexplique par exemple fort bien pourquoi il nous est devenu difficilede penser l'alliance du constructivisme russe avec la technologie,que Philippe Roussin a mise en vidence, ds lors qu'avec Je modernisme, la technologie est pense comme alination, ou inauthenticit.Par ailleurs, la quere lle de l'art contemporain concerne non seulement des questions esthtiques de classification et d'valuation,mais aussi des questions ontologiques. Aussi le problme des rapports entre majeur et mineur devait-il galement tre interrogsous cet angle. Partant de l'opposition entre l'attitude adopte parles organisa teurs des deux principales expositions consacres cesquestions dans les annes 90 (High & Low : Modern art andPopular Culture, au MoMA, et Art & Pub, au Centre Pompidou),

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    Dominique Chateau a entrepris d'interroger le statut ontologiquede l 'art qui sous-tend les diffrentes attitudes envers ce qui estmajeur et ce qui est mineur. Il ne suffit pas, ses yeux, de constater l'existence dans les faits d'une telle hirarchie en se contentantde dcrire comment elle fonctionne, car ce don t i l s'agirait de rendrecompte, c'est du statut d'uvre confr ou non certaines entits.Prenant appui sur l'esthtique analytique angle-saxonne, il passeen revue et critique diffrentes approches de l'art, notamment l'approche fonctionnaliste. Ds lors, en effet, qu 'il s'agit du statutes thtique de l'art, on ne peut se contenter de critres classificatoires (une uvre est uvre si elle entre dans un genre dfinicomme artistique) ou fonctionnels (une uvre est uvre si elle estreconnue comme telle). Afin de proposer un critre ontologique permettant de dfinir une uvre d'art, Chateau dveloppe alors,comme alternative, l'ide d'tienne Souriau pour qui l'art, c'estl'activit instauratrice , tant entendu qu'instauration est prendre en un double sens: non seulement l'art est instaur, maisil instaure. Ainsi s 'explique ses yeux ce qu'il nomme le principedu majeur et qu'il illustre notamment par l'exemple de CarlEinstein: ce dernier, en mettant en avant, ds 1915, les propritsplastiques de l'art africain, contribue non seulement l'instaurati on d'un nouveau canon esthtique, mais aussi l'instauration descollections d'art africain en Europe.La question du primitivisme qu'voque Chateau est en -effetincontournable, ds lors qu'on s'interroge sur les rapports entremajeur et mineur. Aussi est-ce une anthropologue africaniste,Michle Coquet, qu'il revient de clore ce volume. Que les anthropologues soient sans doute les mieux mme de parler du primitivisme , on en donnera pour preuve que c'est dans ce champ que se sontproduites quelques-unes des critiques les plus fortes et les plus stimulantes qui aient t adresses l'opposition entre majeur etmineur, en montrant en particulier comment l'art majeur a servi etcontinue de servir d'instrument de domination culturelle24.

    24. Outre les travaux de Clifford et Priee dont Coquet fait tat, signalons lestudes runies par Brenda Jo Bright et Liza Bakewell, Loohing High andLow : Art and Cultura l Identity, op. cit. (n . 6).

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    Michle Coquet a pris comme point de dpart certains des dbatsqu'entoure la cration Paris d'un grand muse consacr aux arts" primitifs ". Il vaut d'ailleurs la peine de signaler ici que mme lenom de ce muse a suscit d'innombrables discussions, et qu 'avantmme d'tre construit, il a dj t baptis et dbaptis plusieursreprises. Afin d'viter le vocab le primitif " aux connotations partrop dprciatives, il fut nomm dans un premier temps musedes arts premiers ", ce qui n 'est certes plus pjoratif, mais ne veutpas dire grand-chose, pu is " muse des arts et civilisations ", qu iavait le dsavantage d'tre trop gn ral. Pour couper court cesdifficults qui en disent long sur les rapports entre classification ethirarchie, on aurait retenu, aux dernires nouvelles, une solutionde facilit, le recours au toponyme: muse du quai Branly, en excipant d'antcdents (Jeu de Paume, Orsay, etc.).Partant des vicissitudes de la position " officielle" l'gard desarts " primitifs " envisage pour le futur muse, Coquet se livre une vaste t ude de l'volution que le regard occidental a port surles objets africains depuis la fin du sicle dernier, rega rd danslequel les perspectives " anthropologique " et artistique " se sontsouvent affrontes, tel point que dans les annes 30 les anthropologues en sont venus privilgier l'objet banal, pour viter dlibrment de cder au culte du chef-d'uvre. Cette rflexion montrenon seulement comment l'Occident a plaqu ses propres hirarchies sur les arts primitifs ", mais surtout elle jette un regard enretour sur notre propre faon d'envisager, diffrents moment s , cequi est considr comme majeur ou mineur ,En ce sens , l'apport de Coquet est aussi une contribution l'his

    toire des " hirarchies at tentionnelles qu'il est urgent de poursuivre, car faute d'une " histoire sociale de la perception" qui nousfait toujours cruellement dfaut, il r este difficile d'apprcier sajuste valeur comment et pourquoi les hirarchies en art se font etse transforment, dans une ngocia tion constante entre les diffrents acteurs en prsence. Puisse le prsent volume, qui n'abordeque certains aspects des hirarchies en art, et dont les points devue complmentaires sont parfois opposs, inciter d'autres auteurs poursuivre l'effort de recherche que ncessite et que mrite cevaste thme.