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École d’architecture de la ville & des territoires à Marne-la-Vallée document soumis au droit d’auteur Gehry, le théâtre et l’envers du décor Complexité formelle, outil numérique et techniques de construction Thibault Marcilly Mémoire de master Janvier 2012 Directeurs de mémoire Jean-François Blassel Guillemette Morel-Journel Pascale Joffroy

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Gehry, le théâtre et l’envers du décorComplexité formelle, outil numérique et

techniques de construction

Thibault Marcilly

Mémoire de masterJanvier 2012

Directeurs de mémoireJean-François Blassel Guillemette Morel-JournelPascale Joffroy

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Thibault Marcilly

Mémoire de master Janvier 2012

Directeurs de mémoireJean-François Blassel Guillemette Morel-JournelPascale Joffroy

Remerciements aux directeurs de mémoire : Jean-François Blassel, Guillemette Morel-Journel, Pascale Joffroy

Remerciements aux architectes et aux ingénieurs qui ont contribué à l’élaboration de ce mémoire : Philippe Bompas (architecte, RFR, Paris), David Guichard (architecte, Studios Architecture, Paris),Renaud Farrenq (ingénieur, Studios Architecture, Paris), John Zils (architecte ingénieur, SOM, Chicago)Beth Gervain (ingénieur, SOM, Chicago), John Fawcett (architecte, SOM, New York), Annette Fierro (architecte, University of Pennsylvania School of Design, Philadelphie), Michael Hasse (ingénieur, Gehry Technologies, Paris)

Remerciements à mes proches pour leur soutien durant l’écriture de ce mémoire.

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Résumé

Au début des années 1990, la complexité formelle des projets de Frank Gehry s’appuie sur l’essor de l’outil numérique. Son intégration dans le processus des projets génère de nouvelles techniques permettant de maîtriser cette complexité. D’un point de vue constructif et économique, la réalisation de nouvelles formes semble possible. Ainsi l’outil numérique n’est pas seulement indispensable à la pratique de Frank Gehry, il est la condition d’existence de son architecture.

Tandis que Frank Gehry dispose des moyens techniques nécessaires pour envisager la construction de ces nouvelles formes, les bureaux d’ingénierie et de construction doivent adopter l’outil numérique et la technique de modélisation virtuelle pour s’adapter à l’évolution de ses projets. Dans chaque corps de métier, les nouvelles techniques numériques supplantent les techniques traditionnelles.

De la conception à la construction, la complexité formelle des projets amène les bureaux et les entreprises à travailler en étroite collaboration, et engendre une globalisation des techniques. L’usage paradoxal de l’outil numérique semble sur le point de remettre en cause l’architecture de Frank Gehry.

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Avant-propos 9

Introduction 11

1. Du réel au virtuel 15

1.1 Vers de nouvelles formes 15

a. Renouveler l’architecture 15

b. Conceptionn de la maquette physique 17

1.2 La forme virtuelle 20

a. Introduction de l’outil numérique 20

b. La faisabilité des formes complexes 23

c. Crise, culture et architecture 25

1.3 Complexité et indétermination 29

a. Numérisation 29

b. Rationalisation 30

2. Du virtuel au réel 33

2.1 De la forme vers la structure 33

a. Un processus continu 33

b. La crise de l’échelle 39

2.2 Vers un clivage ? 41

a. Surface virtuelle et construction 41

b. Complexité et moyens matériels 45

2.3 Vers une globalisation des techniques 47

a. Un outil commun 47

b. Les limites de la 3D 49

Conclusion 55

Bibliographie 59

Table des illustrations 63

Annexes 65

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Avant-propos

9

Avant de développer notre sujet, il est essentiel d’expliciter certains termes qui seront employés tout au long de ce mémoire. Le terme outil numérique sera employé pour considérer l’ordinateur comme outil de conception au sein des processus de projets d’architecture. Associé au terme outil, comme objet fabriqué pour transformer un objet de travail, l’adjectif numérique renvoie aux mathématiques et à la puissance de calcul d’un ordinateur. En ce sens il sera préféré à des termes semblables tels que outil informatique ou outil digital. Le mot ordinateur servira à définir le support physique qui permet d’utiliser l’outil numérique.

Ordinateur : Machine algorithmique composée d’un assemblage de matériels correspondant à des fonctions spécifiques, capable de recevoir de l’information, dotée de mémoires à grande capacité et de moyens de traitement à grande vitesse, pouvant restituer tout ou partie des éléments traités, ayant la possibilité de résoudre des problèmes mathématiques et logiques complexes, et nécessitant pour son fonctionnement la mise en œuvre et l’exploitation automatique d’un ensemble de programmes enregistrés. Définition CNRTL, ressources textuelles du CNRS.

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Introduction

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Au cours des dernières décennies, l’outil numérique est progressivement devenu indispensable dans un vaste panel de domaines. Les nouvelles possibilités de représentation qu’il a offert ont permis de faire évoluer les techniques de conception en trois dimensions. Tandis qu’il a été adopté par les industries aéronautique dès 1967, son apparition en architecture s’est faite au milieu des années 1980.

L’apparition tardive de l’outil numérique en architecture est liée à la nature de la discipline. D’une part les moyens économiques dont disposent les agences sont moindres vis-à-vis de ceux impartis aux entreprises industrielles. En architecture, il est utilisé comme outil de représentation en deux dimensions. Il permet d’accéder à une plus grande précision des documents graphiques et de dessiner plus rapidement. L’accélération du processus de conception préfigure la disparition du dessin sur papier au profit de la représentation numérique. Cependant, déjà utilisé comme outil de modélisation en trois dimensions dans les industries, le coût élevé des programmes de modélisation restreint son usage, qui toute fois n’apparaît pas encore indispensable à la conception architecturale.

A la fin des années 1980, la discipline architecturale cherche à redéfinir un style. Au travers de l’outil numérique, certains architectes entrevoient une façon d’explorer de nouvelles géométries et ainsi de se poser en instigateurs d’une nouvelle architecture. Frank Gehry, Peter Eisenman, Zaha Hadid, parmi d’autres, revendiquent leur pratique de l’outil numérique et défendent sa légitimité dans l’exercice contemporain. Cependant, face au panel de possibilités qu’il offre, ces architectes adoptent différentes postures. Tandis que Peter Eisenman en fait l’objet de théories, d’autres architectes comme Frank Gehry se focalisent exclusivement sur la capacité de l’outil numérique à modéliser des géométries complexes qui ont rendu caduques les techniques de représentation traditionnelles.

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Frank Gehry incarne l’un des premiers architectes à avoir adopté l’outil numérique, et a joué un rôle prépondérant dans son développement. En 1989, alors qu’il venait d’être désigné lauréat du Prix Prtizker, Frank Gehry a fait évoluer son architecture de façon manifeste, en introduisant un nouveau type de complexité formelle que les outils traditionnels ne permettaient pas de maîtriser. Ces formes sont caractéristiques de sa production au cours des deux dernières décennies, et le musée Guggenheim, entre autres, a fait oublier sa production architecturale antérieure à l’arrivée des techniques numériques. En ce sens, ce mémoire a pour objet d’interroger la place de l’outil numérique dans la pratique de Frank Gehry, et de faire apparaître les mécanismes de son évolution.

La Fish Sculpture, construite à Barcelone en 1992, constitue le premier projet conçu grâce à la modélisation numérique. Sa conception marque l’introduction de l’outil numérique dans le processus des projets, et l’arrivée de nouveaux associés aux côtés de Frank Gehry. Si la modélisation numérique permet de représenter la complexité formelle des projets, comment les formes virtuelles peuvent-elles intégrer l’architecture ? Dans un contexte de crise, l’outil numérique permet d’introduire de nouvelles formes dans l’architecture de Frank Gehry. Le musée Guggenheim de Bilbao incarne avec justesse l’influence de l’architecture pour répondre à la crise économique.

Tandis que la forme virtuelle est définie, comment l’outil numérique permet-il d’envisager sa construction ? La conception de la structure intervient alors dans un second temps, et interroge le rapport entre la forme architecturale et la structure. Le musée Guggenheim construit à Bilbao y apporte des éléments de réponses. Il expose l’évolution technique engendrée par la complexité formelle qui le caractérise. Parallèlement, sa construction interroge le rapport de l’architecture au contexte économique dans lequel elle s’inscrit.

Conscient du potentiel de l’outil numérique, Frank Gehry confère à ses projets une complexité croissante. L’Experience Music Projet en témoigne. La complexité se répercute à chaque étape de la conception et de la construction du projet, et engendre des techniques mises en œuvres spécifiquement pour le projet. Si l’outil numérique occupe une place centrale dans la conception architecturale, il semble inéluctable pour tous les corps de métiers de s’y adapter. L’actuelle construction du musée d’art contemporain de la Fondation Louis Vuitton le démontre. Si la résolution de la complexité formelle engendre une globalisation des techniques numériques, comment l’usage de l’outil numérique conditionne-t-il chaque corps de métier ?

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1. Du réel au virtuel

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Vers des formes nouvellesRenouveler l’architecture

A New York en 1988, le MoMA (Museum of Modern Art) accueille l’exposition « Deconstructivist Architecture ». Philip Johnson (1906 - 2005) et Mark Wigley (actuel doyen de la Columbia University, New York), commissaires de l’exposition, exposent les travaux de sept architectes internationaux. Rem Koolhaas, Peter Eisenman, Zaha Hadid, Bernard Tschumi, Coop Himmelblau, Daniel Libeskind et Frank Gehry supplantent la génération précédente. En effet, le mouvement postmoderne s’essouffle. L’exposition marque le renouvellement de l’élite internationale.

La nouvelle avant-garde déconstructiviste, en rupture avec ses prédécesseurs, remet en cause la pureté du modernisme. Pour Mark Wigley, il faut rompre avec le postulat moderniste qui prône la combinaison de formes pures pour générer un ensemble stable. Le mouvement déconstructiviste cherche à composer avec des formes alternatives. L’architecture prend alors une forme plastique, mettant en scène un enchevêtrement de formes accidentées. L’extrapolation de la forme remplace les éléments traditionnels de l’architecture ; la distorsion supplante la structure.

Cependant, la posture de Philip Johnson est ambiguë. Témoin de l’essor du mouvement postmoderne, le début des années 1970 a vu l’architecte abandonner ses principes modernistes au profit du mouvement postmoderne. L’intérêt pour le fonctionnalisme est remis en cause. Philip Johnson tente alors de s’imposer en mentor du postmodernisme américain. En 1979, lauréat du premier Prix Pritzker, il incarne la figure de la postmodernité, l’exacerbation de l’architecte. En janvier 1979, tenant dans ses bras la maquette du AT&T Building, Philip Johnson occupe à lui seul la première page du TIME Magazine.1

1 Propos historiques issus du cours de Pierre Chabard, « Histoire immédiate d’une fin de siècle », donné aux étudiants de 3e année en cycle de licence à l’EAVT. 2008/2009

1.1a.

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Processus de la maquette physiqueDevant la caméra de Sydney Pollack, Craig Webb et Frank Gehry font évoluer la maquette physique en pliant, découpant et associant arbitrairement des morceaux de papier.Photomontage réalisé à partir de captures d’écran du film Esquisses de Frank Gehry

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Du réel au virtuel 17

En 1989, Frank Gehry (Toronto, 1929) est à son tour lauréat du Prix Pritzker. Cette distinction assied son influence dans la discipline architecturale. Entre conférences, interviews sur des plateaux de télévision, et l’apparition de son propre personnage dans la série The Simpsons2, Frank Gehry s’est imposé dans la culture populaire américaine. Et Philip Johnson d’insister : « Aujourd’hui, c’est le plus grand architecte du monde. C’est une évidence »3. Mais ce postulat est remis en cause. Pour Hal Foster, il « en dit long sur notre époque, car [il] souligne la place centrale occupée par l’architecture dans le discours culturel. Cette centralité trouve son origine dans les débats des années 1970 sur le Postmodernisme, qui soulignaient l’importance essentielle de cet art ; elle a été confirmée par l’inflation du design et du visuel dans toutes sortes de sphères : l’art, la mode, les affaires, etc...»4

Conception de la maquette physique

En 2006, Frank Gehry apparaît sur les écrans de cinéma. Sydney Pollack réalise un film documentaire retraçant le parcours et la vie quotidienne de l’architecte. « Des tas de gens lui ont proposé de faire un documentaire sur lui. Quand il me l’a demandé à moi, j’ai cru qu’il était fou. Je ne connaissais rien aux documentaires, et rien à l’architecture. Et il a dit : ‘‘C’est pour ça que tu es parfait’’. »5 Entre anecdotes personnelles et critiques subjectives sur fond de musique éthérée, le film expose partiellement la façon dont Frank Gehry aborde le travail en maquette. Dans un bureau de l’agence, Frank Gehry découpe un morceau de papier, et l’applique sur l’un des volumes de la maquette. A ses côtés, Craig Webb, architecte associé, s’empresse de la fixer au ruban adhésif. En léger retrait, Sydney Pollack observe la scène, caméra en main. Au fur et à mesure que la forme de la maquette évolue, Frank Gehry commente : « Plutôt pas mal », « Bizarre », « Regardons-le jusqu’à ce que ça nous saoule, et on trouvera ce qu’il faut faire. »

Sydney Pollack, lui-même filmé par son équipe de tournage, apparaît souvent à l’écran. Et lorsqu’il disparaît, c’est en voix-off qu’il intervient : « Qu’est ce que tu n’aimes pas ? » Et Frank Gehry de répondre : « Je ne sais pas encore. Ca me parait un peu pompeux. Un peu prétentieux. C’est là que j’ai du mal à m’exprimer avec des mots ». Craig Webb s’affaire alors à déformer le volume que Frank Gehry vient de remettre en cause. Il en découpe un angle, puis l’arrondit. Le problème semble réglé. Il tourne alors la maquette. Face à une surface verticale plane d’un autre volume, Frank Gehry se lamente : « Cette façade ne me plait toujours pas, Craig !

2 Lors d’un épisode de la série, Frank Gehry chiffonne une lettre qu’il vient de lire et la jette. Après coup, la feuille froissée lui inspire son futur bâtiment pour la ville de Springfield.

3 Philip Johnson, Esquisses de Frank Gehry, Sydney Pollack, 2005. Retranscription et traduction TM.

4 Hal Foster, Design & Crime, Paris, Les Prairies Ordinaires, 2008, pp. 43-44 (Version originale : Design and Crime, Verso, Londres, 2002)

5 Sydney Pollack, Esquisses de Frank Gehry, Sydney Pollack, 2005. Retranscription et traduction TM.

b.

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Maquette d’étude et complexité formelleLa forme de la maquette résulte d’une juxtaposition de morceaux de papier fixés les uns aux autres avec du ruban adhésif. L’imprécision de la forme et de l’assemblage de la surface traduit la complexité de la géométrie. Maquette de l’Experience Music Project.Gehry, Frank, « Museo della musica Contemporanea a Seattle : un puzzle Caleidoscopico dedicato a Jimi Henfrix » Casabella, n° 653, février 1998, p. 6

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Du réel au virtuel 19

Cette façade ne me plait toujours pas ! » avant de s’exclamer : « Je sais pourquoi je ne l’aime pas ! » Il prend alors une feuille de papier gris brillant de format A4, la froisse entre ses mains, et la pose verticalement sur la façade. FG : « Il faudrait que ce soit un peu plus froissé. » SP : « Plus froissé ? »L’architecte abandonne son idée et défait le morceau de papier qu’il venait de plier. Fixant la maquette, tous se tiennent la tête, en silence. Et Frank Gehry d’annoncer : « Je sais comment faire. Ca marcherait pour un masque africain. Il faut le plier en accordéon. On essaie ? » Craig Webb se saisit d’une nouvelle feuille de papier, et la plie.FG : « Mon Dieu, aidez-nous ! » À Craig Webb : « Enlève un pli. Faut l’aplatir comme Maggie’s Place... comme ça, plus plat. Deux plis ? » CW : « Oui, deux c’est parfait »FG : « Tu vois ça marche. » CW : « Yep »FG : « Ça a l’air si con, c’est génial. »SP : « Ça a l’air con ? »FG : « Tu trouves pas ? C’est juste... Yaah ! »6

Levant les bras au ciel, Frank Gehry exulte.

Dans cette scène, Sydney Pollack expose la façon dont Frank Gehry approche le travail en maquette. Certes la retranscription de ces dialogues n’alimente pas notre propos. Cependant, au travers du discours de Frank Gehry, il n’est pas évident de comprendre qu’il conçoit un bâtiment. Durant l’élaboration de la maquette, les préoccupations formelles inhérentes à son aspect extérieur s’imposent en dépit de problématiques architecturales. Ceci amène alors à interroger la posture de Frank Gehry.

A la fin de la scène, Mildred Friedman, écrivain, estime qu’il est « à la fois architecte et artiste »7. Puis d’ajouter : « il prend tant de risques ! Et c’est ce que les artistes font. Ils prennent des risques, de faire ce qu’on a encore jamais vu »8. Son seul statut d’architecte est alors ambigu. Son approche en maquette interroge la cohérence formelle du projet. Quelle légitimé ces formes entretiennent-elles dans les projets d’architecture ? Pour quelle raison une telle complexité formelle a-t-elle émergé ?

« Quand le Post-Modernisme est arrivé et que mes collègues ont commencé à revenir aux temples Grecs, ça m’a ennuyé alors j’ai dit : si vous voulez faire un retour en arrière pourquoi ne revenez-vous pas trois cent millions d’années avant l’Homme, au poisson ? Alors j’ai commencé à dessiner des poissons, ils ont pris

6 Frank Gehry, Sydney Pollack, Craig Webb, Esquisses de Frank Gehry, Sydney Pollack, 2005. Retranscription et traduction TM.

7 Mildred Friedman, in Esquisses de Frank Gehry, Sydney Pollack, 2005. Retranscription et traduction TM.

8 Id.

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vie d’eux-même, et sont devenus des lampes et autres objets. [...] Puis j’ai essayé de couper la queue, couper la tête, couper les nageoires, d’en faire quelque chose d’abstrait et de voir jusqu’où je pouvais aller, et j’en ai fait une pièce pour l’exposition. Cela m’a appris à construire avec ce genre de formes et à capturer ce genre de sentiments, c’était ça l’évolution. »9

L’introduction de ces nouvelles formes apparaît pour Frank Gehry comme une façon de se détacher du mouvement postmoderne. Mais en envisageant la forme du poisson comme forme du passé, il adopte une posture semblable à celle des architectes postmodernes. Si le style postmoderne a disparu, la condition postmoderne semble quant à elle ancrée dans l’approche architecturale de Frank Gehry. De ce fait, par quels moyens techniques de représentation et de définition ces formes ont-elles été retranscrites dans son architecture ?

La forme virtuelleIntroduction de l’outil numérique

En 1989, Frank Gehry rencontre des difficultés avec le projet du Disney Concert Hall de Los Angeles. Le projet dépasse le budget, et la complexité des formes du bâtiment rend leur représentation délicate. En témoigne la collaboration avec une agence d’architectes censée produire les dessins techniques pour les entreprises de construction. Frank Gehry explique qu’ils ont « refait les dessins depuis le début parce que l’architecte exécutif n’avait pas été capable de les faire. Il était impossible de construire le bâtiment depuis leurs dessins... Ils voulaient procéder comme ils avaient l’habitude de faire »10. Ainsi la complexité de la géométrie du Disney Concert Hall montre les limites des techniques traditionnelles de représentation. La complexité des projets appelle une nouvelle technique de représentation.

Frank Gehry contacte Jim Glymph, architecte célèbre à l’époque pour son expérience avec les nouveaux outils de modélisation. Ils collaborent avec des ingénieurs de l’industrie aéronautique qui modélisent une représentation tridimensionnelle de la double courbure des façades du bâtiment. De cette façon, les architectes importent une technique propre à un autre domaine. L’outil numérique semble alors indispensable à la pratique de Frank Gehry.

En 1989, tandis que le Village Olympique de Barcelone est en construction, Frank Gehry dessine un hôtel parmi un important complexe géré par SOM11. A la demande du client, Frank Gehry y conçoit une sculpture en forme de poisson.

9 Frank Gehry, « In Conversation with Frank Gehry », 2009. http://fora.tv Retranscription et traduction TM.

10 Frank Gehry, «Frank Gehry : Plain Talk with a Master», Robert Ivy, Architectural Record, Mai 1999 Retranscription et traduction TM.

11 Skidmore, Owings & Merrill, bureau d’architectes et d’ingénieurs basé aux Etats Unis.

1.2a.

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Du réel au virtuel 21

Au pied de l’hôtel, la Fish Sculpture s’étend sur 54 mètres de long, mesure 35 mètres de haut, et constitue une étape clé dans l’introduction de l’outil numérique au sein de l’agence.

En effet, le processus de modélisation de la géométrie du projet est cette fois-ci établi directement à l’agence. Jim Glymph conçoit une première modélisation à partir du programme Alias12. Le programme permet de représenter en trois dimensions la géométrie de la sculpture. Cependant sa définition manque de précision. Pour représenter une surface à double courbure, le programme la décompose en une multitude de polygones. La double courbure de la forme n’est donc pas continue, et l’existence de surfaces planes dans la géométrie de la surface restreint les possibilités d’intersection entre la forme et la structure. Après avoir cherché un nouveau programme plus précis, Jim Glymph décide d’utiliser le programme CATIA13, utilisé depuis 1981 dans l’industrie aéronautique par Dassault Aviation14. Initialement conçu pour concevoir de façon plus précise le fuselage des avions, CATIA est capable de traduire n’importe quelle surface en une équation mathématique et d’atteindre une complexité géométrique qu’il n’avait pas été possible de définir au seul moyen de prototypes physiques. Ainsi, la modélisation virtuelle tend à faire disparaître toute technique physique de définition des formes. La maquette virtuelle devient « le référentiel unique du produit dans l’entreprise »15.

En l’occurrence, si l’outil numérique apparaît indispensable à la définition et à la représentation des projets de Frank Gehry, il ne fait pas disparaître le travail en maquette physique. En effet, les architectes sont septiques quant à sa capacité de représentation. « Je ne crois pas que l’on puisse appréhender la vraie forme d’un objet sur un écran d’ordinateur en deux dimensions. Je me fais avoir à chaque fois quand on vérifie un objet dans CATIA. »16 Le travail en maquette physique est alors conservé pour donner au projet sa forme initiale. Ainsi quelle incidence l’usage de l’outil numérique a-t-il sur la forme du projet ? Comment permet-il d’envisager la construction de nouvelles formes architecturales ?

12 Programme édité par Autodesk, San Rafael, Californie.

13 Acronyme de Computer-Aided Threedimensional Interactive Application.

14 Constructeur d’avions français.

15 Dassault Aviation, « La maquette numérique », http://www.dassault-aviation.com

16 Craig Webb, Bruce Lindsey : conversation with Craig Webb, Dennis Shelden, Rick Smith, entretien, 3 Novembre 2000. Source : Digital Gehry, Material Resistance, Digital Construction, Bruce Lindsey, Birkäuser, Bâle, 2001, p.62

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Gehry, le théâtre et l’envers du décor Thibault Marcilly.22

La forme virtuelleModélisation de la forme de la Fish Sculpture sous CATIA. Comment rendre la forme complexe constructible ?http://mafana.wordpress.com

Solution constructiveModélisation de la structure de la Fish Sculpture sous CATIA. Les ingénieurs de SOM apportent à la complexité de la forme une solution constructive.Bruce Lindsey, Digital Gehry, Material Resistance, Digital Construction, Birkäuser, Bâle, 2001, p. 34

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Du réel au virtuel 23

La faisabilité des formes complexes

Désormais, ni Frank Gehry ni les autres architectes de l’agence n’ont les connaissances techniques pour maîtriser eux-mêmes tout le processus de leurs propres projets. La modélisation numérique et le langage mathématique auquel elle recourt. L’apparition de l’outil numérique dans le processus des projets implique donc d’intégrer d’autres corps de métiers au sein de l’agence.

La modélisation de la Fish Sculpture amène Jim Glymph à contacter Rick Smith, ingénieur chez IBM. « Ils disaient qu’ils voulaient construire un bâtiment en forme de poisson. Comme vous savez, nous travaillons pour l’industrie aéronautique, et ça nous a tous fait beaucoup rire, mais j’aimais l’idée. Je pouvais m’en charger. J’ai toujours voulu être architecte »17. En 1990, l’activité de l’industrie aéronautique est ralentie et Rick Smith rejoint l’agence de Frank Gehry comme consultant. L’agence compte encore très peu d’ordinateurs, et achète à IBM une copie de CATIA. Ils développent alors la maquette virtuelle de la Fish Sculpture.

La surface est générée suivant des équations de la géométrie descriptive. La précision de la définition de la surface permet d’aller au-delà de ce que permettait le programme Alias. Il est alors possible de localiser tout point d’une surface. La précision de définition de CATIA permet de définir les points où la forme peut être supportée par la structure.

Mais si les architectes se sont adaptés à la modélisation numérique, le bureau d’ingénierie et de construction Permasteelisa18 n’a quant à lui pas les outils nécessaires pour appréhender la complexité du projet. En effet ils tentent de concevoir la structure avec des dessins techniques en deux dimensions. Ceci traduit la difficulté que rencontre Frank Gehry à faire comprendre aux ingénieurs et aux constructeurs la géométrie réelle de son architecture. Après avoir échoué à plusieurs reprises, Permasteelisa doit s’adapter aux nouvelles techniques numériques, et commence à travailler avec le programme CATIA. En collaboration avec Rick Smith, il travaillent « de la peau vers la structure »19. En six mois, la conception du projet est terminée, contre les dix mois initialement prévus. Jim Glymph parle alors d’un « processus révolutionnaire »20. La Fish Sculpture démontre donc que malgré la complexité du projet, l’outil numérique raccourcit considérablement le temps de conception estimé initialement.

17 Rick Smith, « Bruce Lindsey : Conversations with Craig Webb, Dennis Shelden, Rick Smith », 3 novembre 2000. Digital Gehry, Material Resistance, Digital Construction, Bruce Lindsey, Birkäuser, Bâle, 2001, p. 35

18 Bureau d’ingénierie et de construction fondé par Massimo Colomban en 1973 en Italie.

19 Rick Smith, Bruce Lindsey : Conversations with Craig Webb, Dennis Shelden, Rick Smith, entretien, 3 novembre 2000. Source : Digital Gehry, Material Resistance, Digital Construction, Bruce Lindsey, Birkäuser, Bâle, 2001, p. 35

20 Jim Glymph, cité par Hal Foster, Design & Crime, Paris, Les Prairies Ordinaires, 2008, p. 38

b.

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Gehry, le théâtre et l’envers du décor Thibault Marcilly.24

Maquette finale en cartonMaquette du projet pour le concours. Le musée résulte d’une composition de formes exacerbées. Bruce Lindsey, Digital Gehry, Material Resistance, Digital Construction, Birkäuser, Bâle, 2001, p. 34

Maquette d’étude en boisLes différentes formes qui composent le bâtiment sont conçues indépendamment des autres. Elles sont ensuite assemblées.http://anaviaja.blogspot.com

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Du réel au virtuel 25

Pour Frank Gehry, CATIA devient un outil indispensable car il « retranscrit la qualité gestuelle de la maquette dans le bâtiment »21. En des termes différents, Hal Foster estime que la conception depuis ce programme ne fait que « privilégier plus que tout la configuration extérieure d’ensemble, la forme et la peau. [...] Cela a conduit Gehry à jouer avec des topologies délirantes qui bouleversent les symétries traditionnelles - d’où les courbes, les volutes, les formes non euclidiennes qui devinrent sa signature dans les années 1990 »22. Frank Gehry est conscient que le potentiel de CATIA permet de rendre constructibles des projets complexes. « Quand j’ai réalisé qu’il y avait un vrai potentiel, il fallait répondre à l’appel d’offre pour Bilbao. Nous avons formé six personnes pendant une semaine à utiliser CATIA. Leur travail de conception a réduit le budget de 19%. Je me suis dit que c’était un outil fantastique que je pourrai utiliser dans l’avenir. »23 L’usage de l’outil numérique démontre alors qu’il ne permet pas seulement de rendre une forme complexe constructible, mais qu’il permet également d’anticiper le budget de sa construction, et semble-t-il de le réduire. Et ce point a joué un rôle prépondérant au vu du contexte économique dans lequel s’est développé le projet.

Crise, culture et architecture

En effet, à la fin des années 1980, tandis que la Fondation Guggenheim, basée à New York, cherche à créer son premier musée satellite, la ville de Bilbao est en pleine crise industrielle et cherche à relancer son économie. En 1991, la Fondation Solomon R. Guggenheim, le Gouvernement Basque et le Conseil Général de Biscaye s’entendent pour y implanter un musée et organisent un concours.

« Pour Bilbao, on a été à toute vitesse, la fondation Guggenhiem a retenu trois architectes, Frank Gehry, Arata Isosaki et Coop Himmelblau. Chaque agence a reçu la somme de 10.000$, a pu visiter le site une seule fois, et a eu trois semaines pour présenter son projet. Nous avons loué une suite dans un grand hôtel de Francfort, on s’y est réunis le 17 juillet 1991 pour étudier toutes les maquettes. Après une journée de délibération, Frank a été choisi »24. Il semble alors que l’usage de l’outil numérique ait permis à Frank Gehry d’accélérer le processus de conception du projet. Il semble alors légitime d’interroger le dessein du musée Guggenheim.

A l’époque le projet s’inscrit « dans le cadre d’une revitalisation de la ville »25. La question n’est pas tant de savoir si Bilbao a besoin d’un musée.

21 Frank Gehry, cité par Hal Foster, Design & Crime, Paris, Les Prairies Ordinaires, 2008, p. 55

22 Hal Foster, Design & Crime, Paris, Les Prairies Ordinaires, 2008, p. 50

23 Frank Gehry, «Life Beyond the Box: The Design Philosophy of a Master Architect», Tehelka/Newsweek, conférence et entretien avec Thomas Pritzker, 5 novembre 2011

24 Thomas Krens, directeur de la Fondation Guggenheim, Esquisses de Frank Gehry, Sydney Pollack, 2005.

25 Fondation Guggenheim, Bilbao. http://www.guggenheim-bilbao.es

c.

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Gehry, le théâtre et l’envers du décor Thibault Marcilly.26

Processus de numérisationPoint par point, la maquette est numérisée à l’aide d’un bras FARO.Image extraite du film Esquisses de Frank Gehry, Sydney Pollack, 2005.

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Du réel au virtuel 27

Le musée Guggenheim a pour objectif d’incarner « le symbole de la vitalité du Pays Basque »26. Et son succès est immédiat. Le musée « se convertit quasiment dès son inauguration en une importante attraction touristique qui captive l’attention des visiteurs de nombreux pays et constitue le plus important symbole contemporain de la ville »27. Avant la construction du musée, Bilbao ne dispose pas d’édifice culturel majeur. La ville compte 350000 habitants, et représente la 6e plus grande ville d’Espagne. Parallèlement, la construction du musée Guggenheim coûte 150 millions d’euros et offre à la ville plus de 24000 m de surface d’exposition. La grande échelle du projet semble être alors surestimée pour une ville comme Bilbao.

« La première année, nous avons accueilli 700000 visiteurs. Ensuite une sorte de communauté s’est formée. Nous sommes passé de l’admiration pour l’architecte à la fierté d’avoir été les plus brillants pour porter ce projet, d’avoir choisi cet architecte, et d’avoir ce bâtiment que le monde entier admire »28. Dans Esquisses de Frank Gehry, Nerea Abasolo, journaliste espagnole, fait état d’une fierté locale exacerbée. Le musée semble avoir été accueilli de façon positive dans la ville. Cependant, les dernières décennies témoignent souvent de la réticence des populations urbaines envers des architectures en radicale rupture avec leurs villes. Ainsi, comment le musée Guggenheim s’en est-il exempté ?

Le musée est implanté au bord du Nervion, en léger surplomb sur la ville. Il dépasse tous les bâtiments, dont il est par ailleurs isolé. Sa situation en fait un bâtiment en rupture avec son contexte. La forme du musée résulte de l’enchevêtrement de volumes exacerbés recouverts de feuilles de titane. Néanmoins Frank Gehry défend son intégration dans la ville : « On est parti de l’intérieur du bâtiment, pour développer la relation du musée avec le site. Il y avait un pont, une ville du xixe siècle, une rivière, des problèmes dus aux différents niveaux du site, et ça nous a mené à une sorte d’amphithéâtre venant de la rue descendant vers le musée. Ils voulaient une pancarte signalétique pour attirer les gens vers le musée et pour l’apercevoir depuis la mairie, alors il fallait qu’il soit placé très haut »29. La mise en scène du musée comme symbole de la ville est alors littérale.

Mais le bâtiment ne doit pas uniquement son succès à sa situation dans la ville. Depuis sa construction, « le Guggenheim rapporte 3 millions d’euros chaque années à Bilbao »30. Le musée incarne alors la relance économique de la ville, et permet a Frank Gehry d’asseoir son architecture. Au travers des médias, on parle alors de « l’effet Bilbao ».

26 Fondation Guggenheim, Bilbao. http://www.guggenheim-bilbao.es

27 Id.

28 Nerea Abasolo, journaliste, Esquisses de Frank Gehry, Sydney Pollack, 2005. Retranscription et traduction TM.

29 Frank Gehry, « Life Beyond the Box », conférence et conversation avec Thomas Pritzker. Retranscription et traduction TM.

30 Id.

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Gehry, le théâtre et l’envers du décor Thibault Marcilly.28

Retranscription virtuelle de la maquette physiqueComment les architectes parviennent-ils à faire comprendre la complexité des formes aux bureaux d’ingénierie et aux entreprises de construction ?Bruce Lindsey, Digital Gehry, Material Resistance, Digital Construction, Birkäuser, Bâle, 2001, p. 44

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Du réel au virtuel 29

Néanmoins, le musée Guggenheim est le premier bâtiment conçu par Frank Gehry à l’aide de CATIA. L’usage de l’outil numérique constitue alors la condition de possibilité de son architecture. Cependant, tandis que la modélisation numérique faisait disparaître les prototypes physiques dans l’industrie aéronautique, son introduction dans l’agence de Frank Gehry n’a pas engendré la même évolution. En effet la conception de maquettes physiques conserve une place prédominante. Ainsi, comment l’outil numérique est-il considéré dans le processus du projet ? Si la géométrie du projet est d’abord définie en maquette physique, quel est le rôle de CATIA ?

Complexité et indéterminationNumérisation

« Nous avons mis au point des méthodes pour numériser les maquettes et les introduire dans l’ordinateur pour passer des maquettes en trois dimensions à des dessins en deux dimensions. Ça a permis à Frank d’aller encore plus loin, d’accentuer le côté sculptural, en toute confiance et avec beaucoup de précision. L’essentiel était d’introduire cette technique dans la démarche de Frank sans faire changer ni Frank, ni sa démarche »31. Il semble alors que Frank Gehry ne cherche pas à s’adapter à l’outil numérique, mais à adapter l’outil numérique à son approche du projet.

Lors de la numérisation, la géométrie de la maquette est retranscrite au travers d’une grille de points. Disposés sur la maquette, ils sont répartis de façon à couvrir le plus précisément possible chaque variation de la forme de la maquette. Point par point, la géométrie des volumes est scannée à l’aide d’un bras FARO32 et retranscrite directement vers CATIA. A l’écran de l’ordinateur, les points relevés sont représentés en trois dimensions. A partir de ces points, CATIA permet aux architectes de générer une surface. La maquette physique possède alors sa représentation virtuelle.

Cependant, cette étape du processus engendre un usage paradoxal de l’outil numérique. A l’origine, le programme CATIA était conçu pour modéliser des géométries complexes depuis un ordinateur. C’est-à-dire qu’il permettait de les dessiner directement à l’écran. Cette technique de modélisation permettait d’abandonner la construction de maquettes physiques au profit d’une maquette virtuelle. Or dans le cas présent, la conception des formes dépend à la fois des maquettes physiques élaborées par Frank Gehry, et de leur représentation virtuelle en trois dimensions. 31 Jim Glymph, Esquisses de Frank Gehry, Sydney Pollack, 2005. Retranscription et traduction TM.

32 Technique de numérisation utilisée en chirurgie pour définir une modélisation précise d’une colonne vertébrale humaine.

1.3a.

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Les formes ne sont donc pas dessinées depuis l’ordinateur mais directement importées dans CATIA. Mais si la technique de numérisation génère une représentation très précise des maquettes, sa définition manuelle originale la rend approximative. De plus, la numérisation retranscrit l’imprécision des géométries que les architectes ont tenté de définir. Le comportement de la matière en maquette et ses déformations non contrôlées perdent tout leur sens une fois représentés virtuellement, et n’ont manifestement plus de raison d’être.

Rationalisation

L’indétermination des formes en maquette physique et leur retranscription littérale engendre alors un processus de rationalisation, qui tend à simplifier leur géométrie. D’après Jim Glymph, cette étape introduit « des règles de constructibilité »33 dans la forme. Le processus de rationalisation consiste à optimiser la géométrie des formes pour les rendre développables, comme si elles avaient été modélisées directement depuis CATIA. Néanmoins, d’après David Guichard, architecte chez Studios Architecture, ce processus est limité. « Il y a forcément des défauts, des pertes, [...] mais entre guillemets Gehry se moque un peu de ça, c’est surtout le travail plastique qui est primordial par rapport à une surface mathématiquement juste. [...] Dans pas mal de bâtiment il compte sur la souplesse du matériau à mettre en œuvre pour adhérer à la surface. »34

Néanmoins, le processus de rationalisation est essentiel à Frank Gehry pour maîtriser la complexité du projet. Il est établi selon quatre critères. Le coût, la complexité constructive, les matériaux et la structure conditionnent la géométrie des formes. Les éléments qui composent le bâtiment sont hiérarchisés selon des critères formels, selon si la pièce est droite, plate, courbée, à double courbure... Puis chaque catégorie représente un coût. Des critères supplémentaires sont établis pour ajuster le coût d’une pièce selon si elle est unique, semblable ou identique à une autre. Au fil des projets, les architectes ont établi une règle qui consiste à limiter les pièces trop complexes à 5% de l’ensemble des pièces du bâtiment. Néanmoins, comment les architectes estiment-ils le degré de complexité d’une pièce d’un point de vue objectif ?

« Les pièces plates valent un dollar, les pièces uniques valent deux dollars. Les pièces à double courbure valent dix dollars. Le bon côté de l’ordinateur c’est qu’il vous permet de garder le contrôle de la géométrie et du budget »35.

33 Jim Glymph, cité par Bruce Lindsey, Digital Gehry, Material Resistance, Digital Construction, Birkäuser, Bâle, 2001, p. 44

34 David Guichard, entretien, 8 décembre 2011, cf. Annexes, p. 65

35 Frank Gehry, « Frank Gehry 1991-5, Conversation with Frank O. Gehry », Alejandro Zaera, in El Croquis, n° 74-5, 1995

b.

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Du réel au virtuel 31

Chaque élément est référencé selon un code couleur, en fonction de son emplacement et de la déformation qui lui est appliquée. Ces informations alimentent une base de données reliée à la maquette virtuelle, et constitue le référentiel unique du projet. Alors la maquette virtuelle « est envoyée à l’entrepreneur qui entre les informations dans un fichier informatique qu’il envoie au fabricant qui réalise directement la pièce. En théorie il n’y a donc pas besoin de papier, ou alors juste comme simple vérification. »36 L’outil numérique semble alors engendrer un processus continu, de la conception à la réalisation des éléments du bâtiment. Mais ce processus implique qu’à chaque étape de la conception, tous les intervenants soient capables d’utiliser l’outil numérique.

La définition de la forme architecturale des projets de Frank Gehry engendre une hybridation des techniques. Elle requiert dans un premier temps la technique traditionnelle de la maquette physique, puis fait intervenir la technique de modélisation numérique. Ainsi le processus de conception associe paradoxallement deux techniques opposées par leur précision.

Cependant, si la forme finale du projet est définie grâce à l’outil numérique, elle n’est pas validée au travers d’un écran d’ordinateur. En effet, Frank Gehry n’intervient pas de lui même dans le processus de modélisation numérique. Pour garder le contrôle de son évolution, il impose un retour vers une maquette physique, pour vérifier l’exactitude de la maquette numérique. De fait, sa géométrie est décomposée en une multitude de surfaces horizontales planes. Ces surfaces sont exportées vers une machine à découpe laser, et découpées dans des plaques de cartons. Alors la superposition de ces plaques permet de reproduire la géométrie initiale dans la réalité. Cette étape permet aux architectes de considérer la maquette numérique comme référentiel unique du projet.

Désormais, les conditions techniques et économiques permettent aux architectes d’envisager un nouveau type de complexité, et d’introduire de nouvelles formes dans l’architecture. Mais si la modélisation numérique permet à Frank Gehry de maîtriser ces formes, de quels moyens disposent les ingénieurs et les entrepreneurs pour appréhender leur complexité ?

36 Tim Paulson, directeur de la modélisation 3D, Gehry Partners. Esquisses de Frank Gehry, Sydney Pollack, 2005.

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2. Du virtuel au réel

33

De la forme vers la structureUn processus continu

Si l’apparition de l’outil numérique dans le processus des projets permet désormais de faire évoluer l’architecture de Frank Gehry, il engendre également une évolution des techniques de conception. De façon logique, tous les intervenants dans la conception du projet doivent s’adapter à cette évolution. Lors de la conception du musée Guggenheim, SOM est en charge de concevoir la structure du bâtiment. Ainsi par quels moyens les architectes ont-ils communiqué leur projet aux ingénieurs ?

« A cette époque nous n’utilisions pas CATIA. Nous n’avons pas directement interagi sur le logiciel avec Frank Gehry. Nous avions notre propre programme ici chez SOM. »37 John Zils, architecte et ingénieur, travaille au début des années 1990 à la conception de la structure du musée Guggenheim. Ce qui intéresse particulièrement notre propos dans le cas de ce projet, c’est le passage de la forme virtuelle à la forme construite, car il fait intervenir la conception de la structure. Ainsi comment la structure est-elle considérée dans l’approche de Frank Gehry ? Dans le cas du musée Guggenheim, comment est-elle conçue et mise en œuvre ?

Dans la maquette virtuelle modélisée à l’agence de Frank Gehry et envoyée aux ingénieurs, « il n’y avait qu’une surface, juste une façade, Frank [Gehry] n’avait pas indiqué où la structure devait se trouver ou ne pas se trouver. [...] Il n’a jamais suggéré ou dessiné de structure »38. Il semble alors que la forme ait été conçue en dépit de toute préoccupation structurelle. D’après John Zils, les ingénieurs ont conçu la structure « en suivant la forme du bâtiment »39.

37 John Zils, entretien, 13 décembre 2011. cf. Annexes, p. 71

38 Id.

39 Id.

2.1a.

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Modélisation virtuelle des formes du musée Guggenheim« Il n’y avait qu’une surface, juste une façade. Frank n’avait pas indiqué où la structure devait se trouver ou ne pas se trouver. » John Zils, entretien, 13 décembre 2011, cf. Annexes, p. 71Coosje Van Bruggen, Frank O. Gehry : Guggenheim museum Bilbao, New York, Guggenheim Museum, 1997, p. 137

Modélisation filaire de la structure du bâtiment La structure s’adapte littéralement à la forme du bâtiment. Ici la structure n’est pas encore dimensionnée.Bertrand Lemoine, L’acier pour Construire, n° 58, mars 1998, p. 13

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« Il était très important de s’adapter à la forme que Frank Gehry avait dessinée. Et ça a été un des plus gros défis à relever, il fallait s’assurer que notre structure était parfaitement coordonnée selon les formes architecturales. [...] Nous avons conçu une grille. Nous avons défini des lignes verticales au travers de la surface environ tous les trois mètres. Puis nous avons fait la même chose horizontalement. Ainsi les dimensions de base de la géométrie globale sont très similaires. Ce qui est différent, c’est que la courbure varie sans cesse. La structure ne comporte aucune pièce courbe, donc chaque élément métallique de la structure est toujours droit, qu’il soit vertical ou horizontal. Pour assembler les éléments, chaque nœud est basé sur un seul et même système de liaison. Toutes les dimensions sont similaires, toutes les connections sont similaires. Ce qui varie, c’est l’angle qui est créé à chacune d’entre elles. »40 Pour résoudre structurellement la complexité géométrique du bâtiment, les ingénieurs ont donc défini un principe de standardisation des éléments structurels.

Dans un premier temps, les ingénieurs de SOM appliquent ce principe structurel dans une maquette virtuelle, où chaque élément de la structure est représenté par une droite. Dans cette maquette, la grille structurelle représente littéralement chaque forme du bâtiment. Puis les calculs de charges sont simulés dans le propre programme de SOM, et les éléments de la structure sont dimensionnés. Trois types d’éléments structurels sont standardisés, pour faciliter les calculs de dimensionnement des éléments structurels, leur fabrication et leur assemblage. La modélisation de la structure est alors envoyée à IDOM, bureau d’architectes et de consultants mandataires basé à Bilbao. Sur le chantier, IDOM a pour mission principale de contrôler l’évolution du budget.

En 1991, lorsque le projet est officialisé, le gouvernement Basque en place prépare sa réélection à la fin de l’année 1994. Il est donc imposé que le gros œuvre et la structure métallique du bâtiment soient terminés avant les élections, afin que le projet constitue un argument pour la campagne politique du gouvernement en place. Afin d’assurer l’évolution du chantier, le budget est estimé toutes les six semaines en fonction des nouvelles décisions prises durant la conception. D’un point de vue technique, IDOM utilise également son propre programme de modélisation, différent de CATIA. Depuis ce modèle virtuel, IDOM génère les plans d’atelier et les plans de montage. Malgré la standardisation des éléments de la structure, IDOM réalise environ 11000 dessins techniques pour plus de 12000 pièces. Ces dessins sont ensuite transmis à URSSA, l’entreprise chargée de fabriquer les éléments métalliques de la structure, qui utilise également son propre programme de modélisation. A partir de Bocad41, la géométrie de chaque élément de la structure est exportée vers une machine à commande numérique, puis les éléments sont découpés, percés et soudés en atelier.

40 John Zils, entretien, 13 décembre 2011, cf. Annexes, p. 71

41 Programme développé par Bocad Holz GmbH, Allemagne

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Assemblages des éléments structurelsLe principe structurel défini par les ingénieurs de SOM parvient à s’adapter à la double courbure des formes du bâtiment. Les éléments métalliques sont standardisés. Bertrand Lemoine, L’acier pour Construire, n° 58, mars 1998, p. 15

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Structure principale du musée GuggenheimPour concevoir la structure, les ingénieurs ont défini une grille composée d’éléments métalliques d’environ trois mètres de long. D’après SOM, tous les éléments qui composent la grille structurelle sont droits et possèdent tous les mêmes dimensions. La courbure est obtenue par l’inclinaison des noeuds qui varie à chaque liaison. Si le principe structurel semble être appliqué à tous les volumes du bâtiment, l’image ci-dessus montre néanmoins que son systématisme est perturbé lorsque la géométrie devient trop complexe. En haut à droite, le motif du carré définit par la grille se transforme en triangle. La structure de la toiture est en rupture avec le principe structurel établi en façade. La disposition parallèle de pannes en acier traduit la complexité à associer un système traditionnel en toiture, et le système spécialement définit pour les façades.Coosje Van Bruggen, Frank O. Gehry : Guggenheim museum Bilbao, New York, Guggenheim Museum, 1997, p. 155

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Ossature de la façadeLa structure principale est composée d’éléments droits, dont l’assemblage produit la courbure. La définition précise de la forme finale du bâtiment requiert une ossature secondaire. Des éléments verticaux en acier s’adaptent à la courbure du bâtiment, avant d’être recouverts de plaques d’acier galvanisé. C’est sur ces plaques que seront vissées les feuilles de titane.L’outil numérique permet une définition très précise des formes complexes. Paradoxalement, la précision de la technique constructive qu’il génère est approximative.Coosje Van Bruggen, Frank O. Gehry : Guggenheim museum Bilbao, New York, Guggenheim Museum, 1997, p. 154

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De la conception des formes du bâtiment à la réalisation des éléments structurels, la maquette virtuelle du projet évolue, d’une représentation abstraite de la forme du bâtiment à une modélisation de chaque pièce qui le compose. Ainsi, de l’usage commun de l’outil numérique résulte un processus continu.

« Cette technique me donne la possibilité d’être plus proche de l’artisanat. Par le passé, il y avait beaucoup d’étapes entre mes esquisses et le bâtiment construit, et l’intention du design pouvait se perdre avant d’arriver aux ouvriers. C’est comme si j’avais toujours parlé une langue étrangère, et que soudainement, les ouvriers me comprenaient. Dans ce cas, l’ordinateur ne déshumanise pas ; c’est un interprète. »42 Cependant, si l’usage commun de l’outil numérique permet de conserver la cohérence du projet, il n’en perd pas sa complexité initiale, qui se répercute à chaque étape du processus.

La crise de l’échelle

« Lorsque l’ordinateur a commencé à se diffuser dans le domaine de l’architecture au milieu des années 1980, on s’attendait à ce qu’il vienne renforcer le statut de la structure et de la tectonique en raison des nouvelles possibilités qu’il offrait de passer sans heurt ni rupture des premières esquisses aux spécifications techniques détaillées. Le processus continu qu’il semblait promettre semblait à l’époque synonyme d’un plus grand degré de cohérence entre conception architecturale et décisions structurelles. »43 Dans le cas du musée Guggenheim, la définition de la structure résulte de la forme du bâtiment. Si la structure doit s’adapter à la forme, cette dernière n’est à aucun moment remise en cause. En ce sens, la forme et la structure n’entretiennent aucun rapport de réciprocité.

Une fois le bâtiment achevé, la structure est dissimulée entre la façade extérieure et le revêtement intérieur, et n’est jamais perçue. Elle ne participe donc pas à l’expression architecturale du bâtiment. D’après Antoine Picon, « la perte d’influence de la structure comme fil conducteur de la conception »44 est le symptôme de la « crise de l’échelle »45.« L’œuvre de Frank Gehry fournit peut-être l’une des meilleures illustrations de cette crise avec ses édifices spectaculaires où la forme triomphe sans guère de concession aux contraintes structurelles. La conclusion semble être que l’ordinateur permet de réaliser la forme même si celle-ci est loin d’être optimale d’un point de vue technique »46. 42 Frank Gehry, http://www.ibm.com

43 Antoine Picon, Culture numérique et architecture : une introduction, Birkhäuser, Bâle, 2010, p. 127

44 Antoine Picon, Culture numérique et architecture : une introduction, Birkhäuser, Bâle, 2010, p. 129

45 Ibid.

46 Ibid.

b.

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Structure principale de l’Experience Music ProjectLa structure principale est constituée de portiques métalliques qui s’adaptent à la forme du bâtiment. Dès que cette structure n’est plus supposée en contact avec la forme, elle n’a plus de raison d’être déformée, à l’image des poteaux à gauche de l’image. Cependant la complexité formelle à laquelle les portiques doivent s’adapter implique une structure secondaire. Des socles métalliques sont fixés sur les portiques. Ils doivent supporter une structure secondaire définissant de façon plus précise chaque variation de la forme du bâtiment. Annette Lecuyer, Steel and Beyond, new strategies for metals in architecture, Bâle, Birkhäuser, 2005, p. 15

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La définition d’une nouvelle complexité formelle aurait eu pour effet d’annihiler le « caractère fondateur »47 de la structure.

Si cette crise concerne la considération de la forme et de la structure, comment se manifeste-t-elle entre architectes et ingénieurs ? Tel que le décrit John Zils, le processus de conception du musée Guggenheim semble s’être établi en deux temps. La forme a d’abord été définie par Frank Gehry, puis les ingénieurs de SOM ont dû concevoir une structure « parfaitement coordonnée selon les formes architecturales »48.

Vers un clivage ?Surface virtuelle et construction

Alors que la construction du musée Guggenheim est achevée, Frank Gehry est invité à construire un musée à Seattle. Financé par Paul Allen, cofondateur de Microsoft, l’Experience Music Projet doit « rendre hommage à la musique populaire américaine ».49

A première vue le bâtiment résulte d’un processus de composition similaire au musée Guggenheim. Six volumes aux formes exacerbées sont juxtaposés pour créer les différents espaces du musée. Chaque volume est doté d’une géométrie à double courbure, où façades et toitures se confondent en une forme continue. Les volumes sont uniformément revêtus d’une même couverture constituée de feuilles d’aluminium de plusieurs couleurs. Seul apparaît le motif généré par la juxtaposition de ces feuilles en revêtement. La géométrie des formes semble atteindre une plus grande complexité qu’à Bilbao, et leur exacerbation traduit leur détachement de toute préoccupation fonctionnelle. De fait, si les formes du bâtiment atteignent une plus grande complexité que celles du musée Guggenheim, comment ont-elles été mises en œuvre ? Quel principe structurel a-t-il été possible d’adapter à de telles géométries ?

Le travail de conception des ingénieurs de Skilling Ward Magnusson Barkshire50 commence de la même façon que celui de SOM pour le musée Guggenheim. Une fois la forme de l’Experience Music Project définie par Frank Gehry, sa modélisation tridimensionnelle est transmise aux ingénieurs. Cependant, ces derniers utilisent un programme différent de CATIA, et modélisent la structure dans Multiframe51.

47 Ibid.

48 John Zils, entretien, 13 décembre 2011, cf. Annexes, p. 71

49 « Vive le Baroque. Experience Music Project », in Techniques et Architectures, n° 453, avril-mai 2001, pp. 62-66.

50 Bureau aujourd’hui renommé Magnusson Klemencic Associates.

51 Programme développé par Formation Design Systems, Perth, Australie.

2.2a.

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Gehry, le théâtre et l’envers du décor Thibault Marcilly.42

Mise en œuvre de la structure secondaire supportant la couvertureLa structure secondaire montre un enchevêtrement de tubes métalliques. La complexité formelle du bâtiment semble rendre leur disposition aléatoire. L’épaisseur de la structure secondaire montre que la forme extérieure n’entretien aucun rapport avec l’intérieur du musée.« Vive le Baroque. Experience Music Project », in Techniques et Architectures, n° 453, avril-mai 2001, p. 64

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Le principe structurel établi est caractéristique d’un système traditionnel, car il consiste à définir une série de portiques métalliques pour chaque volume. Ces portiques s’adaptent littéralement aux formes architecturales. Ils sont espacés de trois mètres aux entraxes et sont composés de profilés en acier courbés et assemblés par boulonnage. Un ouvrier de Olympia Wire explique à propos des éléments de la structure qu’ils n’ont « pas de vrai rayon, aucun des 239 éléments n’est identique »52. La complexité formelle du bâtiment semble avoir restreint les possibilités de principes structurels. Sur les portiques métalliques de la structure sont disposés des socles tubulaires en acier. Leurs longueurs varient pour compenser l’écart entre la géométrie décrite par la structure principale et la géométrie finale de la forme extérieure. En réalité, ces éléments varient de quelques centimètres jusqu’à 240 centimètres. Leur disposition irrégulière traduit la complexité de la mise en œuvre finale de la façade. Au sommet de ces socles sont assemblés des profilés métalliques supportant une structure secondaire définissant la forme exacte du bâtiment. Contrairement au principe structurel du musée Guggenheim, la standardisation des éléments n’a pu être envisagée. Au regard du rapport qu’entretiennent la forme et la structure, il apparaît que le musée Guggenheim et l’Experience Music Project sont les parangons de la « crise de l’échelle ».

Tandis que chaque élément de la structure est dimensionné et calculé, la maquette virtuelle est ensuite reconvertie au format de CATIA et envoyée à l’agence de Frank Gehry pour qu’elle soit validée.Parallèlement, la réalisation de la couverture du bâtiment est confiée à Zahner Company. Une fois de plus, les ingénieurs de l’entreprise utilisent un programme différent. La conception de la façade est donc établie dans Pro Engineer53. Le choix d’un revêtement métallique est lié au succès du musée Guggenheim, que Paul Allen tentait de réitérer. La surface est donc composée d’une multitude de feuilles métalliques. Cependant la complexité des formes du bâtiment n’a pas permis de standardiser leur fabrication. Chaque feuille qui compose la surface du bâtiment est unique. Et les feuilles originales dans lesquelles elles ont été découpées l’étaient également.

La géométrie à laquelle les feuilles métalliques doivent s’adapter et le budget imparti à la réalisation de la façade implique l’usage de l’aluminium. Cependant, toutes les feuilles ne sont pas soumises aux mêmes déformations. De fait, différents alliages d’aluminium sont réalisés. Un alliage à haute résistance est mis en œuvre là où les efforts auxquels la façade est soumise dépassent les tolérances habituelles que permet l’aluminium, tandis que les feuilles utilisées pour les formes pliées sont fabriquées à partir d’un alliage qui leur procure un degré de maniabilité suffisant pour que les ouvriers puissent leur appliquer manuellement leurs déformations.

52 Randy Gragg, « Olympia Wire, Museum Design Tests Hoffman’s Learning Curve », in The Oregonian, 11 avril 1999

53 Programme développé par Parametric Technology Corporation, Needham, Massachusetts, Etats-Unis.

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Découpage des surfaces du bâtimentLa forme en elle-même peine à rendre l’échelle du bâtiment évidente. Cependant le découpage des surfaces en multiples feuilles d’acier traduit la façon dont ces surfaces sont réalisées. Chaque feuille étant posée par les ouvriers, on devine alors l’échelle humaine.Frank Gehry, « Museo della musica Contemporanea a Seattle : un puzzle Caleidoscopico dedicato a Jimi Henfrix » Casabella, n° 653, février 1998, p. 10

Application des feuilles d’aluminium en façadeLa réalisation de la surface de la façade laisse transparaitre les limites du principe de définition de la forme. La fixation des feuilles d’aluminium ne retranscrit pas aussi nettement la forme virtuelle.Frank Gehry, « Museo della musica Contemporanea a Seattle : un puzzle Caleidoscopico dedicato a Jimi Hendrix », in Casabella, n° 653, février 1998, p. 10

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Le contraste apparent des couleurs sur la surface finale traduit les différentes natures de feuilles. La complexité de la forme virtuelle et le budget imparti à sa réalisation ne permettent pas de construire la forme finale dans un matériau unique. 80% des feuilles d’aluminium ont une forme prédéfinie en atelier. Les 20% de feuilles restantes sont posées par les ouvriers et déformées directement lorsqu’elles sont appliquées sur la façade.De fait, l’application en façade de feuilles de natures différentes complique leur assemblage. En effet le soudage est limité car chaque feuille n’y réagit pas de la même façon. Chaque feuille est alors vissée à la structure secondaire.

L’intérieur met en scène un conglomérat de formes toutes aussi exacerbées et colorées. Elles se développent sur la hauteur du musée, pour s’arrêter en sous face de la toiture. Dès lors, on entrevoit partiellement les portiques en acier de la structure principale. Manifestement, la géométrie extérieure n’est pas mise en valeur à l’intérieur. Au contraire, le plafond et les portiques en acier sont uniformément peints en noir dès qu’ils sont visibles. Les espaces intérieurs semblent traités comme si la structure n’avait d’incidence sur leur intégrité. L’architecture de l’Experience Music Project s’apparente à un décor, dont on perçoit l’envers.

Pour Antoine Picon, « il y a quelque chose de paradoxal dans le fait que l’ordinateur contribue, comme on pouvait s’y attendre, à articuler étroitement conception et réalisation, et qu’il laisse se recréer simultanément une distance souvent frappante entre l’image du projet et la réalité des techniques constructives »54. Tandis que la forme virtuelle apparaît lisse et continue sous CATIA, sa construction dans la réalité impose une technique de construction dont la complexité la rend unique

Complexité et moyens matériels

La complexité de tels projets se répercute à chaque étape de la conception et de la construction. Ainsi chaque intervenant est tenu de faire évoluer ses méthodes de travail pour pouvoir s’adapter.

Lors de la construction du musée Guggenheim et de l’Experience Music Project, les programmes utilisés par chaque intervenant sont différents. Travailler à partir d’un même fichier informatique impose alors de multiples conversions de format de fichier, qui nécessitent plusieurs heures de chargement sur les ordinateurs. Et d’un programme à l’autre, il n’est pas garanti que toutes les informations soient conservées, ou exploitées de la même façon.

54 Antoine Picon, Culture numérique et architecture : une introduction, Birkhäuser, Bâle, 2010, p. 129

b.

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Gehry, le théâtre et l’envers du décor Thibault Marcilly.46

Structure apparente à l’intérieur du muséeAu travers de la mise en scène de formes exacerbées, comme décor intérieur, apparaissent les portiques métalliques de la structure. Le théâtre et l’envers du décor.Moore, Rowan ; Swimmer, Lora, « Gehry dopo Bilbao : Rowan Moore e l’ultima fatica di Frank Gehry nella città più modesta dalla West Coast. » in Domus, n° 829, septembre 2000, p. 83

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L’accès à ces techniques implique d’acquérir du matériel informatique puissant qui soit capable de supporter des programmes très lourds en terme de poids informatique. Le stockage externe des données informatiques doit lui aussi bénéficier d’une capacité importante, car les fichiers 3D créés peuvent atteindre plusieurs centaines de Giga octets. D’un point de vue économique, le matériel informatique nécessaire représente un investissement très important pour une entreprise.Si les intervenants disposent des moyens matériels, ils doivent d’être formés pour utiliser les programmes. Steve Huey, ingénieur chez Wallace Engineering, fait remarquer qu’il n’y a « pas beaucoup de gens qui sont formés sur Pro Engineer ou sur CATIA »55. Et lorsqu’une entreprise emploie une personne capable d’utiliser ces programmes, « cela revient au moins à deux fois un salaire mensuel »56. Ainsi, face aux contraintes économiques qu’impose l’adaptation aux nouvelles techniques numériques, et face au processus complexe de construction des projets, comment cette évolution est-elle considérée ?

D’après Tom North, chef de projet chez Wallace Engineering, « La conception en trois dimensions est bénéfique dans des cas comme l’Experience Music Project, où la complexité est telle qu’il est difficile de résoudre des problèmes dans l’espace. Ce que la conception 3D apporte, c’est de nous aider à construire l’impossible. »57 Cependant, d’après Tom North, « bien que l’outil numérique facilite la modélisation, il introduit parallèlement un nouveau genre d’erreurs. On peut faire des milliers d’erreurs en un seul clic, et il est plus difficile de les retrouver. A moins de vérifier indépendamment chaque élément où l’on évalue un certain risque, on peut ignorer les erreurs les plus subtiles »58. Si elle permet une infinité de possibilités géométriques, la modélisation numérique peut néanmoins engendrer un risque d’erreur proportionnel.

Vers une globalisation des techniquesUn outil commun

Alors que la construction de l’Experience Music Project est achevée, Gehry Partners a accumulé environ dix années d’expérience en matière de conception numérique. En 2002, Frank Gehry fonde la société Gehry Technologies, en partenariat avec Dassault Systèmes, et développe un nouveau programme. « Gehry Technologies s’est basé sur le noyau de CATIA, qui était fait pour concevoir des voitures, des avions. Sur cette base ils ont développé un module complémentaire d’architecture, Digital Project »59.

55 Steve Huey, « A whole new experience », in Civil Engineering, vol. 70, n° 8, août 2000, pp. 58-65

56 Ibid.

57 Tom North, « The Digital Evolution », in Civil Engineering, vol. 70, n° 8, août 2000, pp. 50-55

58 Ibid.

59 David Guichard, entretien, 8 décembre 2011, cf. Annexes p. 65

2.3a.

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Ce programme doit apporter de nouvelles solutions « aux professionnels de l’industrie du bâtiment »60. Il ne permet pas seulement de modéliser un projet, il donne la possibilité d’en maîtriser le budget et l’intervention de chaque corps de métier pendant sa construction. Le programme n’est donc pas seulement destiné aux architectes. Il s’adresse à tous les corps de métiers de la construction, considérés par Gehry Technologies et Dassault Systèmes comme une industrie.

Cependant, le terme « industrie » occupe-t-il une place légitime dans le champs du projet d’architecture ? David Guichard, architecte travaillant actuellement sur le projet du musée de la Fondation Louis Vuitton à Paris, apporte un élément de réponse. « Nous ne sommes pas dans une industrie, où l’on conçoit un produit qui va être reproduit plusieurs fois. Et malgré tout, il y a une telle complexité et tellement d’intervenants qu’il n’y a pas beaucoup de programmes au monde qui peuvent permettre de travailler en collaboratif. »61 Digital Project supplante les autres programmes de modélisation qu’avaient adoptés les autres corps de métier. Désormais, architectes, ingénieurs et constructeurs sont amenés à travailler avec un outil commun.

« L’idée de Frank était d’utiliser le potentiel de CATIA et d’en faire un meilleur outil pour nous tous. Et de façon évidente, comme nous y sommes parvenu, ce programme est devenu un produit. Et puis c’est devenu un business. »62

En commercialisant Digital Project, Frank Gehry dépasse son seul rôle d’architecte. Parallèlement, plusieurs architectes63 influents sur la scène internationale, qui revendiquent leur pratique de la modélisation numérique, se sont récemment associés à Frank Gehry, pour former une « alliance stratégique »64. Celle-ci est destinée à « transformer l’industrie du bâtiment au travers de la technologie »65. Parmi ces architectes, Zaha Hadid, Greg Lynn, Matthias Schuler, contribuent désormais au développement de Digital Project.

« Je veux pouvoir donner aux architectes un meilleur contrôle du processus du projet, pour qu’ils puissent développer le fruit de leur imagination, ce qu’attendent de nous nos clients. »66. A priori, Digital Project n’est pas réservé à une élite, mais doit pouvoir être accessible à tous les architectes. Cependant, qu’en est-il réellement ? Comment contribue-t-il au développement des projets ?Actuellement à Paris, la construction du musée d’art contemporain de la Fondation Louis Vuitton, dessiné par Frank Gehry, utilise ce programme.

60 Dassault Systèmes, http://www.3ds.com

61 David Guichard, entretien, 8 décembre 2011, cf. Annexes p. 65

62 Craig Webb, entretien avec Roy Green, UTS Business, 2009.

63 David Childs, Massimo Colomban, Zaha Hadid, Greg Lynn, Laurie Olin, Wolf D. Prix, David Rockwell, Moshe Safdie, Matthias Schuler, Patrik Schumacher, Ben van Berkel, et Richard Saul Wurman

64 Frank Gehry, http://www.gehrytechnologies.com

65 Id.

66 Id.

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Si l’avancement du chantier ne permet pas d’analyser le bâtiment en lui-même, les maquettes physique et virtuelles en revanche préfigurent sa complexité. L’architecture du bâtiment résulte d’un enchevêtrement de larges surfaces vitrées soutenues par une multitude d’éléments structurels ancrés sur des « icebergs » opaques.

Les limites de la 3D

Au pied du musée en construction se tiennent des bureaux temporaires. Tous les intervenants du projet y travaillent depuis 5 ans. « Nous avons été regroupés au même endroit, pour avoir des réunions et des discussions permanentes. [...] Si chacun était resté dans ses bureaux, [...] nous en serions encore au stade du développement, et nous n’aurions même pas commencé le chantier. C’est vraiment un gain de temps. »67 Ce n’est plus seulement l’usage de l’outil numérique qui fait gagner du temps, mais le fait que tous les corps de métiers en fasse un usage global, en un même lieu.

Toutes les entreprises qui participent au projet doivent « s’équiper et travailler avec Digital Project »68. S’adapter aux nouvelles techniques de travail engendre alors « un coût associé énorme car l’entreprise va devoir se former, former des gens, acheter les logiciels ou les louer. »69 En phase de conception, les architectes et ingénieurs de Studios Architecture, RFR et TESS travaillent à partir de la maquette numérique du projet modélisée à l’agence de Frank Gehry.

« Le modèle70 simplifié de Gehry Partners contient uniquement les surfaces finies, les surfaces architecturales. Il n’y a pas de nœuds, c’est très basique, ça reste du design et de l’intention, ce n’est pas une maquette de détail. »71 Tandis que la conception du projet évolue dans un « modèle MOE »72, les entreprises de construction disposent d’un « modèle PRO », mis à jour depuis le modèle MOE, au sein duquel chaque corps de métier doit modéliser ce qu’il va construire. Ainsi, du gros oeuvre aux gaines techniques, la maquette numérique représente la globalité des éléments qui composent le bâtiment, afin d’anticiper chaque phase du chantier. Cette technique de travail en collaboration nécessite « des discussions permanentes pour régler les problèmes de coordination dans la maquette globale »73.

67 David Guichard, entretien, 8 décembre 2011, cf. Annexes p. 65

68 Id.

69 Id.

70 Ici le « modèle » signifie la maquette numérique.

71 David Guichard, entretien, 8 décembre 2011, cf. Annexes p. 65

72 La maquette numérique pour la Maîtrise d’Œuvre

73 David Guichard, entretien, 8 décembre 2011, cf. Annexes p. 65

b.

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Maquette physique du musée d’art contemporain de la Fondation Louis VuittonContrairement au musée Guggenheim ou à l’Experience Music Project, la structure du bâtiment est apparente. Ce parti architectural préfigure-t-il une évolution dans le rapport qu’elle entretient avec la forme du bâtiment ?Yukio Futagawa, (Ed.), Frank Gehry : recent project, Tokyo, A.D.A. Ed., 2011, p. 69

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Néanmoins, si tous les corps de métiers travaillent conjointement pour faire évoluer une même représentation virtuelle du projet, cette évolution doit se faire au même rythme. Or, sur le chantier, tous les intervenants ne travaillent pas à la même vitesse. « Il y a des entreprises qui avaient fini leur 3D pendant que certaines n’avaient pas encore commencé. C’est une question de culture des corps de métiers. Les façadiers travaillent déjà beaucoup en 3D, pas les étancheurs. »74

Cependant, malgré qu’elle l’aient accepté, certaines entreprises ne travaillent pas sur Digital Project. Sur le chantier, Philippe Bompas confie qu’« il y a des corps de métiers qui ne s’y sont pas encore mis et cela peut poser des problèmes de synthèse et de coordination entre lots. Par exemple, demander à un plâtrier d’apprendre à se servir de Digital Project pour travailler n’a pas encore de sens. Ils sont aidés par l’entreprise générale qui peut aborder ce travail de façon plus globale. »75

Au delà des problèmes de coordination, l’usage exclusif de la modélisation en trois dimensions se confronte à ses propres limites. « Le problème c’est qu’avec la 3D, on n’a pas le niveau de détail de la 2D, parce qu’en 3D on ne dessine pas les filetages, pas les joints, ni toutes les rondelles. [...] Il faut réussir à sortir des plans de détails en 2D cohérents avec la 3D, faire une 3D cohérente avec les plans de détails en 2D, et faire des allers et retours entre les deux. C’est ça la plus grosse difficulté. »76 Si la modélisation en trois dimensions permet de représenter de façon très précise tous les éléments du bâtiment, paradoxalement, elle peine à atteindre la précision que permet la représentation en deux dimensions. Et cette méthode de représentation tend progressivement à disparaître face à l’engouement pour la modélisation en trois dimensions. « De nos jours, ceux qui dessinent en 3D ne savent très souvent plus dessiner à la main. Par exemple, pour régler des détails de superpositions des membranes d’étanchéité sur des détails compliqués, qu’il est trop fastidieux de représenter en 3D, il vaut mieux faire deux ou trois croquis à la main, mais cette capacité a malheureusement tendance à se perdre. »77

La complexité formelle des projets de Frank Gehry impose de s’adapter aux nouvelles techniques numériques, ce qui constitue une évolution pour tous les corps de métiers associés. Il apparaît donc que cette évolution ait du sens si elle conserve les techniques de représentation traditionnelle. L’usage exclusif de la modélisation numérique est donc remis en cause par ses propres limites. Cependant, si Digital Project peine à représenter précisément des détails en trois dimensions, la complexité de ces détails en est peut être la conséquence.

74 Philippe Bompas, entretien, 8 décembre 2011, cf. Annexes p. 65

75 Id.

76 Id.

77 Id.

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D’après Philippe Bompas, les architectes et les ingénieurs utilisent « très peu le potentiel paramétrique que permet Digital Project, parce qu’il y a justement peu de répétitivités, pas beaucoup de paramétrisation possible. C’est paradoxal de se munir d’un tel outil, et de ne pas l’utiliser pour ce qu’il permet de faire. »78

Si Digital Project permet de maîtriser la complexité du projet, de la conception à la construction, il n’est pas l’outil à partir duquel cette complexité a été générée. Comme le musée Guggenheim ou l’Experience Music Project, le projet du musée d’art contemporain de la Fondation Louis Vuitton doit sa complexité à l’élaboration de la maquette physique initiale. L’évolution du processus numérique remettrait alors en cause la place de la maquette physique dans le processus du projet.

78 Philippe Bompas, entretien, 8 décembre 2011, cf. Annexes p. 65

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Conclusion

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La complexité formelle des projets de Frank Gehry a rendu l’outil numérique indispensable à sa conception. Son évolution a défini de nouvelles techniques qui ont modifié les méthodes de travail de l’agence de Frank Gehry, et ont remis en cause la place de l’architecte au sein du processus de conception. Au tournant des années 1980 et 1990, afin de maîtriser la complexité de l’outil numérique et de l’adapter aux projets, Frank Gehry a dû s’entourer de nouveaux associés. N’étant nullement familier à l’usage de l’ordinateur, il a concentré sa pratique sur l’élaboration de la maquette physique initiale. Tandis que le projet entrait en phase de conception numérique, Frank Gehry n’était alors plus impliqué directement dans son évolution, au risque de n’être plus maître que de l’intention formelle du projet. De fait, l’usage de l’outil numérique tend à réduire la prise de décisions de l’architecte sur son propre projet.

La complexité formelle des projets de Frank Gehry n’aurait su se développer si la conception numérique n’avait permis de la rendre constructible. De fait, l’outil numérique n’est pas seulement indispensable à la pratique de Frank Gehry, il est la condition d’existence de son architecture.

Dans les années 1990, le contexte de crise architecturale et économique dans lequel Frank Gehry a exercé a largement conditionné l’évolution de son architecture. La nécessité de définir un nouveau style dans la discipline architecturale, et de remédier à la situation économique de Bilbao et de la région Basque, a fait de l’architecture du musée Guggenheim le symbole d’un renouvellement. Dans sa réponse formelle au contexte économique, et l’effet positif qu’elle a généré, Frank Gehry a su asseoir la légitimité de son architecture.

Si la production de Frank Gehry a fait évoluer les possibilités formelles en architecture, elle est marquée d’une dissociation entre la forme et sa structure, caractéristique de la crise de l’échelle. Dès lors la définition d’une nouvelle complexité formelle s’est faite en dépit de toute considération structurelle.

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La structure s’adapte à la forme, sans jamais la remettre en cause, et n’est nullement amenée à participer à l’expression architecturale du bâtiment. L’image que véhicule l’architecture prime aux dépens de ce qu’elle contient, et de ce qui la compose. La crise de l’échelle est symptomatique de l’utilisation de l’architecture par les pouvoirs politique et économique.

Du musée Guggenheim à l’Experience Music Project, la complexité des formes architecturales s’accroît, et engendre de façon logique des techniques de construction de plus en plus complexes. Cette évolution de la complexité interroge sa propre légitimité. Si la place de la structure n’a pas évolué, l’architecture ne prend plus la peine de la dissimuler. Se pliant littéralement à la déformation du bâtiment, la structure adopte une forme caricaturale. L’architecture de Frank Gehry considère la ville comme un théâtre au sein duquel elle s’impose comme un décor, dont on perçoit l’envers.

Paradoxalement, l’écart de considération entre forme et structure amène les architectes et les ingénieurs à travailler en étroite collaboration. La résolution structurelle de la complexité formelle des projets de Frank Gehry impose de travailler avec des ingénieurs qui maîtrisent également la modélisation numérique. De façon naturelle, la résolution de la complexité appelle des techniques complexes. Indubitablement, tous les corps de métiers se retrouvent concernés. Chacun doit adopter l’outil numérique pour s’adapter à l’évolution technique du projet. Désormais, tous les corps de métiers sont amenés à maîtriser les mêmes techniques numériques au travers d’un outil commun.

Cette adaptation s’adresse aux bureaux et aux entreprises qui peuvent investir des moyens économiques conséquents, pour acquérir le matériel informatique, les programmes de modélisation tridimensionnelle, et les formations nécessaires.

La complexité des projets s’est confrontée aux limites des techniques traditionnelles de représentation en deux dimensions. Entre l’architecte et tous les corps de métiers, la modélisation en trois dimensions est devenue un outil de communication. Sur l’actuel chantier du musée d’art contemporain de la Fondation Louis Vuitton, tous les corps de métiers, de la conception à la construction, sont regroupés durant toute la durée des travaux, partageant les mêmes techniques de modélisation numérique. Cette méthode collaborative fait apparaître les limites de la représentation en trois dimensions, et réinvestit la précision de la représentation en deux dimensions. De plus, le potentiel paramétrique qu’a acquis Digital Project engendre un usage paradoxal de l’outil numérique. La complexité formelle du musée d’art contemporain de la Fondation Louis Vuitton empêche la standardisation et la répétition des éléments. Chaque pièce est unique. Si l’outil numérique doit sa place et son évolution à l’architecture de Frank Gehry, il est désormais en mesure de la remettre en cause.

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La globalisation des techniques numériques n’a rien d’une évolution logique, essentielle à tous les corps de métier. C’est une évolution imposée par la construction d’un projet complexe. Cependant, si la modélisation numérique constitue un outil de communication efficace entre tous les acteurs du chantier, elle peut asseoir sa contribution de façon pérenne, et préfigurer la démocratisation d’une méthode collaborative, où la conception du projet et sa construction tendent à évoluer simultanément, vers une coordination en temps réel.

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Bibliographie

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Documents vidéographiquesConversation with Frank Gehry, http://fora.tv, 2009Esquisses de Frank Gehry, Sydney Pollack, film documentaire, 2005Then What ?, Frank Gehry et Richard Saul Wurman, conversation en conférencehttp://www.ted.com, Février 2002Conversation entre Charlie Rose et Frank Gehry, puis avec Philip Johnson, http://video.google.com, entretien télévisé, USA, 8 Juillet 1996

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EntretiensEntretien avec Philippe Bompas (architecte, RFR, Paris), David Guichard (architecte, Studios Architecture, Paris), et Renaud Farrenq (ingénieur, Studios Architecture, Paris) effectué dans les bureaux de RFR et Studios Architecture sur le chantier de la Fondation Louis Vuitton, le 8 Décembre 2011. Retranscription partielle en annexes.

Entretien téléphonique avec John Zils (architecte et ingénieur, SOM, Chicago) effectué le 13 Décembre 2011. Retranscription partielle en annexes.

Entretien avec Michael Hasse (ingénieur, Gehry Technologies, Paris) effectué au siège de Gehry Technologies Europe, à Paris, le 16 Décembre 2011.

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Table des illustrations

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Processus de la maquette physique, p. 16Maquette d’étude et complexité formelle, p. 18La forme virtuelle, p. 22Solution constructive, p. 22Maquette d’étude en bois, p. 24Maquette finale en carton, p. 24Processus de numérisation, p. 26Retranscription virtuelle de la maquette physique, p. 28Modélisation virtuelle des formes du musée Guggenheim, p. 34Modélisation filaire de la structure du bâtiment, p. 34Assemblages des éléments structurels, p. 36Structure principale du musée Guggenheim, p. 37Ossature de la façade, p. 38Structure principale de l’Experience Music Project, p. 40Mise en œuvre de la structure secondaire supportant la couverture p. 42Évolution constructive de la forme virtuelle, p. 44Découpage des surfaces du bâtiment, p. 44Application des feuilles d’aluminium en façade, p.44Structure apparente à l’intérieur du musée, p. 46Maquette physique du musée d’art contemporain de la Fondation Louis Vuitton, p. 50

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Annexes

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Entretien avec Philippe Bompas (architecte, RFR, Paris), David Guichard (architecte, Studios Architecture, Paris), et Renaud Farrenq (ingénieur, Studios Architecture, Paris) effectué dans les bureaux de RFR et Studios Architecture sur le chantier de la Fondation Louis Vuitton, le 8 Décembre 2011. Retranscription partielle.

Thibault Marcilly – Une fois que la maquette est numérisée, la forme obtenue dans CATIA doit être rationalisée. Mais comment passe-t-on de la forme indéterminée de la maquette à une forme dite rationnelle ?

David Guichard – Il y a forcément des défauts, des pertes, […] mais entre guillemets Gehry se moque un peu de ça, c’est surtout le travail plastique qui est primordial par rapport à une surface mathématiquement juste, c’est une façon de travailler, mais que la forme ne soit pas purement développable n’est pas forcément ce qui va nous gêner, c’est-à-dire qu’on a des surfaces qui sont un peu limites en développabilité, certaines ont été retravaillées pour qu’on puisse vraiment faire des surfaces développables, mais il y en a certaines qui sont légèrement dégénérées. Ca ne le gène pas. Dans pas mal de bâtiment il compte sur la souplesse du matériau à mettre en œuvre pour adhérer à la surface.

TM – Quand vous recevez la maquette 3D de Gehry Partners, quel niveau de détail est atteint d’un point de vue structurel ? Comment sont représentés les assemblages entre chaque élément de la structure ?

DG – Le modèle simplifié de Gehry Partners contient uniquement les surfaces finies, les surfaces architecturales. Il n’y a pas de nœuds, c’est très basique, ça reste du design et de l’intention, ce n’est pas une maquette de détail.

TM – La maquette 3D sur laquelle vous travaillez est commune à tous les intervenants du chantier ?

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DG – La maquette MOE (maîtrise d’œuvre) est divisée par bureaux d’études et intervenants. C’est un peu particulier comme projet parce que la Fondation (Louis Vuitton) demandait à ce qu’on soit regroupés, et en phase conception tous les bureaux d’études ont été regroupés dans des bureaux de la Fondation. C’est assez rare, en général chacun est chez soi, on communique par mail, on transfère nos fichiers. Si on a été regroupés au même endroit c’est pour avoir des réunions et des discussions permanentes pour régler les problèmes de coordination dans la maquette globale. Du modèle MOE est exporté un modèle PRO (de 310 Go). Les entreprises ne doivent se baser que sur ce modèle. Normalement on ne devait pas y avoir accès, mais c’était tellement compliqué qu’il fallait les aider. Il y avait confusion avec le modèle entreprise d’exécution. Les études de développement du projet aboutissent à un modèle de base pour les études d’exécution (modèle PRO). Ce modèle est la référence pour les entreprises, et est mis à jour en continu selon les modifications qui sont apportées.L’entreprise gère deux modèles globaux. Le premier est interne (INT_VINCI), c’est une gestion de la synthèse. Lorsque celui-ci est acceptable, l’entreprise met à jour le modèle EXE qui est la référence pour la construction du bâtiment. En fait chaque sous traitant pose son modèle, mais il n’y a aucune résolution de clash ou de synthèse. Normalement ça devrait être fait. Au début chacun posait sa géométrie, mais ça partait dans tous les sens. On leur a dit « pour vous aider donnez nous accès au modèle interne INT_VINCI pour qu’on puisse regarder, vous aider et aller plus vite ».

TM – Mais dans ce cas précis le poids des fichiers pose un réel problème ?

DG – C’est un problème, si tout le monde accède au modèle global stocké sur un serveur. C’est pour cette raison qu’il est stocké temporairement sur chaque ordinateur. Le fichier est tellement lourd que chaque jour on effectue une procédure de mise à jour du modèle, qui est chargé sur chacun de nos disques durs, parce que si tout le monde devait accéder au réseau, au même modèle en même temps, il exploserait, on n’arriverait plus à le gérer comme ça. Donc chacun possède le modèle en local, qui est updaté tous les jours, depuis lequel on peut travailler sur une partie du bâtiment.

TM – Et chaque matin, combien de temps est-il nécessaire pour charger un modèle ?

DG – Selon les jours, de dix minutes à plus d’une heure. Là ce ne sont que des mises à jour. Mais sinon ça prendrait la journée.

TM – Et comment procédez-vous quand il y a des erreurs dans le modèle ?

DG – C’est justement pour ça que nous avons été regroupés au même endroit,

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pour avoir des réunions et des discussions permanentes pour pouvoir régler ce genre de problèmes. Si chacun était resté dans ses bureaux, un à Paris, un à Tombouctou, nous en serions encore au stade du développement, et nous n’aurions même pas commencé le chantier. C’est vraiment un gain de temps.

TM – Ca signifie que dans chaque entreprise quelqu’un doit savoir se servir de Digital Project ?

DG – C’est spécifié dans le CCAG (Cahier des Clauses Administratives Générales). Toute entreprise qui demande à participer au projet doit s’équiper et travailler avec Digital Project. Le maître d’ouvrage sait bien que c’est un coût associé énorme parce que l’entreprise va devoir se former, former des gens, acheter les logiciels ou les louer.

TM – Gehry Partners insiste sur le fait que cet outil est essentiel parce qu’il fait gagner du temps et de l’argent. Mais c’est surtout parce qu’ils n’auraient pas pu faire autrement ?

DG – Gehry Technologies s’est basé sur le noyau de CATIA, qui était fait pour concevoir des voitures, des avions. Sur cette base ils ont développé un module complémentaire d’architecture (Digital Project). En fait le plus gros problème, c’est que nous ne sommes pas dans une industrie, où l’on conçoit un produit qui va être reproduit plusieurs fois, et malgré tout, il y a une telle complexité et tellement d’intervenants qu’il n’y a pas beaucoup de programmes au monde qui peuvent permettre de travailler en collaboratif.

TM – Donc ça implique plusieurs maquettes virtuelles, et non pas une unique...

DG – La gestion et la coordination de toutes ces maquettes est faite par un prestataire externe, qui est ici, c’est Gehry Technologies. Eux viennent de revendre le développement du logiciel à Dassault Systèmes, et ne font plus que de la prestation de services, ils font des formations. Ils nous ont tous formés ici. Ils développent aussi des outils, des scripts, des sous-programmes ».

TM – Donc en étant sur place, Gehry Technologies vous apporte presque en temps réel de nouveaux outils ?

DG – Oui, pour répondre à notre demande. On sait ce qu’on veut mais pas forcément comment l’écrire. Gehry Technologies a accès à un serveur mondial, celui de Gehry Partners, sur lequel ils ont téléchargé le modèle original de Gehry.

TM – Certaines choses qui sont construites ne sont pas totalement identiques à ce qui avait été modélisé.

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DG – C’est un chantier compliqué, donc il y a quand même quelques erreurs. Il y a des choses que l’on a modélisées qui ne se retrouvent pas au bon endroit, alors on leur fait démonter.

TM – La maquette est tellement précise que finalement elle permet très peu de liberté, de marge d’erreur ?

DG – Oui mais entre une maquette 3D très précise et les plans 2D d’exécution des ouvriers qui sont sur place, c’est un calcul de risque de la part de l’entreprise.

TM – Est-ce que vous devez faire plus appel à vos intuitions ?DG – Sur ce bâtiment, on se fait tous avoir par son échelle. Tout le monde se trompe. Il n’y a aucune trame ordinaire, aucune trame connue. Pas de trame de porte normale, pas de trame de fenêtre normale…

TM – C’est peut être la limite du tout-numérique ?

DG – Peut être. Sans vouloir généraliser, car certains préfèrent le virtuel, sans croquis, sans analyse papier de la forme, on se perd.

...

TM – Digital Project, comme AutoCAD il y a 20 ans, est amené à se démocratiser dans les années à venir ?

Philippe Bompas – Je pense que oui, mais de façon plus complexe, c’est ce qui va rendre son développement très long parce qu’il va y avoir des dizaines de gens à former. Mais dans 15 ans, tout le monde se servira de Digital Project ou d’un programme similaire. En attendant, sur les chantiers, il y a des corps de métiers qui ne s’y sont pas encore mis et cela peut poser des problèmes de synthèse et coordination entre lots.Par exemple, demander à un plâtrier d’apprendre Digital Project pour travailler, n’ a pas encore de sens. Ils sont aidés par l’entreprise générale qui peut aborder ce travail de façon plus globale. Au final, on a besoin à la fois de la 3D et des dessins en 2D. Il faut d’abord résoudre la 2D, faire des croquis à la main, et ensuite faire de la 3D, rien ne sert de faire de la 3D si les fondamentaux ne sont pas résolus. Le problème c’est qu’avec la 3D, on n’a pas le niveau de détail de la 2D, parce qu’en 3D on ne dessine pas les filetages, pas les joints, ni toutes les rondelles. La 3D, c’est nécessaire et utile, mais il faut faire attention. Il faut réussir à sortir des plans de détails en 2D cohérents avec la 3D, faire une 3D cohérente avec les plans de détails en 2D, et faire des allers et retours entre les deux.

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C’est ça la plus grosse difficulté. A la fin, il ne faut pas oublier que le dessin, qu’il soit en 2D ou en 3D, c’est un outil de communication.

TM – L’évolution c’est que tout le monde utilise le même outil ?

PB – La force d’un programme comme Digital Project c’est qu’il peut intégrer tous les corps d’état dans un même modèle BIM. Il y a donc ce côté collaboratif, et aussi contractuel, parce que l’on sait qui fait quoi et à quel moment. S’il y a un problème sur une surface qui a été mal soumise, tu peux retrouver l’origine de la soumission. En fait, tout n’est pas modélisé avec Digital Project, de nombreux autres programmes sont utilisés par les divers acteurs du projet, MOE ou entreprises... beaucoup de choses sont faites avec Rhino, mais aussi Tekkla, mais pourquoi pas Autodesk ou Bentley.

TM – Si tout le monde travaille sur le même modèle, ça implique que tout le monde travaille à la même vitesse...

PB – Il y a des entreprises qui avaient fini leur 3D pendant que certaines n’avaient pas encore commencé. C’est une question de culture des corps de métiers. Les façadiers travaillent déjà beaucoup en 3D, pas les étancheurs. Par ailleurs, de nos jours, ceux qui dessinent en 3D ne savent très souvent plus dessiner à la main. Par exemple, pour régler des détails de superpositions des membranes d’étanchéité sur des détails compliqués, qu’il est trop fastidieux de représenter en 3D, il vaut mieux faire deux ou trois croquis à la main, mais cette capacité a tendance à se perdre malheureusement.

Renaud Farrenq – Disons qu’aujourd’hui on n’a pas les moyens de vérifier le dimensionnement des éléments en 3D dans Digital Project. Pour l’entreprise de construction, la 2D ce n’était que pour discuter avec eux. Ça aussi c’est un vrai problème.

TM – D’autant plus que c’est un projet complexe, car chaque élément est unique ou presque ?

PB – Oui, et sur ce projet on utilise très peu le potentiel paramétrique que permet Digital Project, parce qu’il y a justement peu de répétitivités, pas beaucoup de paramétrisation possible. C’est paradoxal de se munir d’un tel outil, et de ne pas l’utiliser pour ce qu’il permet de faire, de la façon la plus basique, on utilise surtout l’atout du BIM.

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Entretien téléphonique avec John Zils (architecte et ingénieur, SOM, Chicago) effectué le 13 Décembre 2011. John Zils a travaillé en tant qu’ingénieur structure sur le Fish Sculpture de Barcelone, et sur le Musée Guggenheim de Bilbao. Contact établi grâce à John Fawcett (SOM, New York) et Beth Gervain (ingénieur, SOM, Chicago). Contenu traduit de l’anglais. Retranscription partielle.

TM – Comment SOM en est-il arrivé à travailler sur le projet du Musée Guggenheim ?

John Zils – Nous étions les ingénieurs structure pour tout le projet d’hôtel à Barcelone, même pour la partie que Frank Gehry dessinait, ainsi que le Fish Sculpture. Donc nous étions amenés à travailler avec Frank Gehry pour la première fois sur ce projet, et une fois le projet réalisé, Frank venait de remporter le concours pour le Musée Guggenheim à Bilbao, alors il nous a demandé si ça nous intéressait de travailler avec lui une nouvelle fois, et nous avons répondu que nous étions d’accord. C’est comme ça que nous en sommes venus à travailler sur ce projet.

TM – Qu’avez vous reçu de Frank Gehry ? Une maquette virtuelle sous CATIA ?

JZ – A cette époque nous n’utilisions pas CATIA. Nous n’avons pas directement interagi sur le logiciel avec Frank Gehry. Nous avions notre propre programme ici chez SOM.

TM – C’était la première fois que Frank Gehry utilisait CATIA pour concevoir un bâtiment. En ce sens peut-on considérer l’approche comme expérimentale ?

JZ – Je ne sais pas si « expérimental » est le bon mot, mais c’était certainement quelque chose de très nouveau. Les méthodes de travail entre nous étaient nouvelles, et bien sûr le projet était compliqué, avec des formes également nouvelles. Alors l’interaction entre la structure et la forme extérieure du bâtiment, et même intérieure, s’est faite en étroite collaboration, parce que toutes les surfaces étaient très arbitraires. Il était donc très important que nous soyons proches.

TM – Quel rapport la structure entretient-elle avec la forme originale ?

JZ – En fait, nous avons modélisé et créé la structure primaire en suivant la forme du bâtiment, donc il était très important de s’adapter à la forme que Frank Gehry avait dessinée. Et ça a été un des plus gros défis à relever, il fallait s’assurer que notre structure était parfaitement coordonnée selon les formes architecturales.

TM – Et comment avez-vous procédé pour concevoir la structure, étant donnée la

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complexité des formes ?JZ – Nous avons conçu une grille. Nous avons défini des lignes verticales au travers de la surface environ tous les 3 mètres. Puis nous avons fait la même chose horizontalement. Ainsi les dimensions de base de la géométrie globale sont très similaires. Ce qui est différent, c’est que la courbure varie sans cesse. La structure ne comporte aucune pièce courbe, donc chaque élément métallique de la structure est toujours droit, qu’il soit vertical ou horizontal. Pour assembler les éléments, chaque nœud est basé sur un seul et même système de liaison. Toutes les dimensions sont similaires, toutes les connections sont similaires. Ce qui varie, c’est l’angle qui est créé à chacune d’entre elles.

TM – Dans le modèle que vous avez reçu, quel niveau de détail était atteint d’un point de vue de la structure ?

JZ – Il n’y avait qu’une surface, juste une façade. Frank n’avait pas indiqué où la structure devait se trouver ou ne pas se trouver. En fait, quand nous avons commencé à travailler sur le projet, l’idée première de Frank était de faire une structure en béton, pas en acier, et après avoir commencé à établir différentes options, il nous est apparu de façon évidente que la façon la plus économique de concevoir la structure n’était pas d’utiliser du béton, mais de l’acier, pour plusieurs raisons. Et il a accepté. C’est de cette façon que nous avons procédé. Donc il n’a jamais suggéré ou dessiné de structure.

TM – Et quelle influence avait-il sur le dessin de la structure ?

JZ – La conception était menée conjointement, comme nous avions commencé à dessiner la structure, il fallait bien sûr que tout soit coordonné entre lui et nous. A la fin, nous étions très bien coordonnés, mais pas initialement.

TM – La complexité des formes d’un tel projet nécessite l’usage d’outils sophistiqués et l’emploi de nouvelles techniques. Cette complexité peut-elle engendrer un clivage entre architectes et ingénieurs ?

JZ – Je ne pense pas. Je pense que ce n’est pas tant dû à l’outil en soi, mais plutôt dû aux gens qui l’utilisent. Ca peut bien se passer comme ça peut mal se passer. Ça dépend juste des gens qui s’en servent. Pas tant l’outil en lui-même.

TM – Donc, à l’inverse, l’outil numérique et les nouvelles techniques sont bénéfiques pour la collaboration entre architectes et ingénieurs ?

JZ – Oui, je pense. Mais comme je vous disais, si l’on ne s’en sert pas correctement, ça peut devenir un vrai problème entre nous. Mais je pense qu’elles sont bénéfiques, en effet.

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TM – Depuis 2006, SOM utilise Digital Project. Comment ce programme a-t-il fait évoluer votre approche ?

JZ – Nous ne nous en servons pas pour tous les projets. Nous l’utilisons pour certains projets, et sommes encore en train d’apprendre à nous en servir. C’est encore très nouveau. Nous faisons des progrès sans cesse, mais nous avons encore du chemin à faire.

TM – Sur le chantier de la Fondation Louis Vuitton, des architectes à qui j’ai parlé m’ont confié qu’ils pensaient que d’ici 15 ans, toutes les agences utiliseraient Digital Project. Pensez-vous que l’outil va se démocratiser à un tel point dans les années à venir ?

JZ – C’est assez difficile à deviner, mais je dirais oui. Je pense que c’est un outil du futur, et nous travaillons dur pour apprendre à nous en servir. Je pense qu’on s’en servira de plus en plus au fil du temps.

TM – Comment vos agences réagissent à l’intégration de ce nouvel outil ?

JZ – C’est difficile. Ça prend beaucoup de temps pour arriver à être vraiment efficace. Nous sommes encore en train d’apprendre.

TM – Que pensez-vous du fait que Frank Gehry, en tant qu’architecte, contribue à l’élaboration d’un logiciel, et le commercialise ? Parce que l’on ne parle plus vraiment d’architecture, mais de business ?

JZ – Je crois que c’est une bonne chose. C’est comme ça que ça doit se passer. Ici chez SOM, nous avions conçu nous même un programme complet très puissant dans les années 1980. Architectes et ingénieurs étaient capables de concevoir un projet en utilisant ce programme. Il était produit par IBM, malheureusement ils l’ont encodé sur une mauvaise plate-forme, ce qui a fait que nous ne pouvions plus nous en servir. Ce sont des choses qui arrivent… C’était regrettable parce que le programme était probablement bien meilleur que celui là. Mais je pense que c’est une bonne chose qu’architectes et ingénieurs puissent utiliser le même programme, comme outil commun.

TM – La façon dont Frank Gehry considère la structure a semble-t-il peu évolué au fil des projets. Vous disiez avoir commencé à concevoir la structure du musée Guggenheim à partir d’une maquette numérique où seule la géométrie extérieure du bâtiment apparaissait, et que Frank Gehry n’avait pas donné d’indication particulière concernant la structure. Ma synthèse est peut être trop littérale, mais il semble que le processus s’effectue en deux temps, où l’architecte dessine une forme, et l’ingénieur doit la faire tenir.

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JZ – Ce n’est pas notre façon de travailler. Nous travaillons en étroite collaboration avec les architectes, particulièrement les ingénieurs structure, et que ce soit sur Digital Project ou un autre programme, cette collaboration démarre dès qu’ils veulent. Ce n’est pas un processus où les architectes font quelque chose, et nous ingénieurs devons le faire tenir debout. Ce n’est pas du tout comme ça que nous travaillons chez SOM, et ça ne devrait pas se passer comme ça. Nous ne travaillons pas comme ça.

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Au début des années 1990, la complexité formelle des projets de Frank Gehry s’appuie sur l’essor de l’outil numérique. Son intégration dans le processus des projets génère de nouvelles techniques permettant de maîtriser cette complexité. D’un point de vue constructif et économique, la réalisation de nouvelles formes semble possible. Ainsi l’outil numérique n’est pas seulement indispensable à la pratique de Frank Gehry ; il est la condition d’existence de son architecture.

Tandis que Frank Gehry dispose des moyens techniques nécessaires pour envisager la construction de ces nouvelles formes, les bureaux d’ingénierie et de construction doivent adopter l’outil numérique et la technique de modélisation virtuelle pour s’adapter à l’évolution de ses projets. Dans chaque corps de métier, les nouvelles techniques numériques supplantent les techniques traditionnelles.

De la conception à la construction, la complexité formelle des projets amène les bureaux et les entreprises à travailler en étroite collaboration, et engendre la globalisation des techniques. L’usage paradoxal de l’outil numérique semble sur le point de remettre en cause l’architecture de Frank Gehry.