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La Gazette n° 285 - Du 30 mai au 3 juillet 2013 8 enquête ant que je ne suis pas mort, je continue à investir. Coûte que coûte”, martèle l ostréiculteur Laurent Arcella à Loupian. “On a échappé in extremis au déchirage du chalutier, alors on s’accroche, assure le pêcheur Frédéric Fallourd, sur le chalutier Stéphane-Cardone. Faut pas que les matelots regret- tent les journées de 15 heures qu’ils passent en mer.” Des deux côtés de l’étang de Thau, à Loupian et à Sète, l’ostréiculteur Laurent Arcella et le pêcheur Frédéric Fallourd se battent pour leur métier. Et ils ne sont pas les seuls. Certes, dans le port de Sète, les chalutiers ne sont plus que 14 au lieu de 35 en 2005 et les marins peinent à se payer au- delà du Smic. Sur l’étang, les jeunes hésitent à re- prendre les mas conchylicoles, avec des mortalités d’huîtres records depuis 2008. Mais, bien que criblés de dettes, les pros de la mer et de l’étang ne déposent pas les armes. L’énergie du déses- poir? “On garde la foi.” Rien de mystique. Pour mieux valoriser poissons et coquillages, se diver- sifier ou réduire les coûts, ils testent une panoplie de solutions techniques. Et anticipent même l’après-crise. Des chalutiers pris en tenaille Car ces filières maritimes impliquent près de 2000 emplois directs, et plus de 4000 emplois indirects “à terre”, dont 250 liés aux chalutiers (1). “Si on mise tout sur le tourisme, on risque de folkloriser la mer. Et sans chalut – 90 % des poissons de Méditerranée –, toute la filière de vente serait dés- tructurée…”, prévient Jean-Marc Deslous-Paoli, di- recteur du Cepralmar (2), le centre régional de développement marin et lagunaire. Démarrée le 25 mai, la campagne de thon, elle, sort la tête de l’eau. Après une réduction drastique des quotas, les stocks de thons semblent se recons- tituer: onze thoniers-senneurs peuvent participer à la pêche cette année, au lieu de six en 2012. Mais au prix d’un millier de pertes d’emplois en cinq ans. Moins énergivores Les chalutiers restants, eux, tentent de desserrer la tenaille. D’un côté, une quasi-disparition du poisson “bleu” — sardines et anchois (voir encadré) . Qui a poussé la majorité des armements à se ra- battre sur le poisson “blanc”, de fond (soles, etc.). De l’autre côté, le prix du gasoil qui a quintuplé depuis 2000. Or, poussés à l’époque à surdimen- sionner leurs équipements “grâce” aux aides eu- ropéennes, les chalutiers en consomment 350000 l par an. Plus de la moitié de leur chiffre d’affaires, désormais. “Certains trimestres, j’ai 3000d’agios à cause du gasoil, témoigne Frédéric Fallourd. Les sorties de flotte, ça n’arrange que les banques!” Lors d’un “déchirage” de navire, sub- ventionné par l’Europe, les banques se rembour- sent, mais, selon Bertrand Wendling, directeur de la SaThoAn (3), “les patrons de chalut s’en tirent à zéro, au mieux”. Au pire, en vendant leur maison, avec une bonne déprime en bonus. L’Europe ferme les vannes, aucun patron n’a la capacité d’investir un seul euro de sa poche. Alors, pour la modernisation, les chalutiers comptent désormais sur France filière pêche, un nouvel or- ganisme financé par la grande distribution. Ces deux dernières années, la quasi-totalité des cha- lutiers sétois a bénéficié de 18000à 24000d’aides pour s’équiper de chaluts (filets) sophisti- qués. Comme pour le prud’homme Pierre d’Acunto sur le Louis-Gaëtane, ces adaptations ont déjà per- mis 30 % d’économies de gasoil, soit 66000en- viron par an. Pour diminuer encore la traction dans l’eau, ils pensent aussi à tester la senne da- noise (p. de droite) . Pour mieux vendre sa pêche localement, tout en valorisant des espèces mal connues — grondins, pageots, mulets, etc. —, la fi- lière développe une marque nationale, Pavillon France (voir La Gazette de mai). Le Stéphane- Cardone choisit même de vendre 10 % de sa pro- duction en circuit court, via les paniers Terroir di- rect (4) et l’Amap (5) Cantagal de Villeveyrac. Certes, “la sortie de crise ne se fera pas d’un coup de baguette magique”, prédit Ramond Fareng, spé- cialiste des filières maritimes au Département. Selon lui, “c’est tout un contexte à réformer. Il faut harmoniser les normes des criées. Négocier du gasoil en commun. Mettre des navires coopératifs en lo- cation-vente à des jeunes, au lieu de les découper”. Mais pour ça, “il faut s’entendre.” (1) Pour un emploi en mer, quatre emplois à terre. (2) Centre d’études et de promotion des activités lagunaires et maritimes en Languedoc-Roussillon. (3) Coopérative Sardine Thon Anchois. (4) www.terroir-direct.com (5) Association pour le maintien d’une agriculture paysanne. Le gasoil flambe, les huîtres crèvent. Mais dans les chaluts sétois ou les parcs à huîtres de Thau, pas question de baisser les bras. Dans leurs filets, pêcheurs et ostréiculteurs multiplient les trouvailles pour sortir de ces crises. La Gazette piste les solutions d’avenir. “T Pêche et coquillages C’est la crise : on s’accroche ! Filetier près de la gare Orsetti à Sète, Ange Calli part à la pêche aux innovations. Fil plus fin et plus résistant, mailles plus carrées que en losange : il déniche de nouveaux matériaux, dessine de nouvelles coupes de filets et des panneaux profilés. Sa stratégie : réduire la traction des chalutiers sétois, donc leur consommation de carburant. Un bol d’air financier pour les marins.

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La Gazette n° 285 - Du 30 mai au 3 juillet 2013

8 enquête

ant que je ne suis pas mort, je continue à investir.Coûte que coûte”, martèle l’ostréiculteur LaurentArcella à Loupian. “On a échappé in extremis audéchirage du chalutier, alors on s’accroche, assurele pêcheur Frédéric Fallourd, sur le chalutierStéphane-Cardone. Faut pas que les matelots regret-tent les journées de 15heures qu’ils passent en mer.”Des deux côtés de l’étang de Thau, à Loupian et àSète, l’ostréiculteur Laurent Arcella et le pêcheurFrédéric Fallourd se battent pour leur métier. Etils ne sont pas les seuls. Certes, dans le port deSète, les chalutiers ne sont plus que 14 au lieu de35 en 2005 et les marins peinent à se payer au-delà du Smic. Sur l’étang, les jeunes hésitent à re-prendre les mas conchylicoles, avec des mortalitésd’huîtres records depuis 2008. Mais, bien quecriblés de dettes, les pros de la mer et de l’étangne déposent pas les armes. L’énergie du déses-poir? “On garde la foi.” Rien de mystique. Pourmieux valoriser poissons et coquillages, se diver-sifier ou réduire les coûts, ils testent une panopliede solutions techniques. Et anticipent mêmel’après-crise.

Des chalutiers pris en tenailleCar ces filières maritimes impliquent près de2000 emplois directs, et plus de 4000 emploisindirects “à terre”, dont 250 liés aux chalutiers(1). “Si on mise tout sur le tourisme, on risque defolkloriser la mer. Et sans chalut – 90% des poissonsde Méditerranée –, toute la filière de vente serait dés-tructurée…”, prévient Jean-Marc Deslous-Paoli, di-recteur du Cepralmar (2), le centre régional de

développement marin et lagunaire.Démarrée le 25 mai, la campagne de thon, elle,sort la tête de l’eau. Après une réduction drastiquedes quotas, les stocks de thons semblent se recons-tituer: onze thoniers-senneurs peuvent participerà la pêche cette année, au lieu de six en 2012. Maisau prix d’un millier de pertes d’emplois en cinqans.

Moins énergivoresLes chalutiers restants, eux, tentent de desserrerla tenaille. D’un côté, une quasi-disparition dupoisson “bleu” — sardines et anchois (voir encadré).Qui a poussé la majorité des armements à se ra-battre sur le poisson “blanc”, de fond (soles, etc.).De l’autre côté, le prix du gasoil qui a quintuplédepuis 2000. Or, poussés à l’époque à surdimen-sionner leurs équipements “grâce” aux aides eu-ropéennes, les chalutiers en consomment350000 l par an. Plus de la moitié de leur chiffred’affaires, désormais. “Certains trimestres, j’ai3000€d’agios à cause du gasoil, témoigne FrédéricFallourd. Les sorties de flotte, ça n’arrange que lesbanques!” Lors d’un “déchirage” de navire, sub-ventionné par l’Europe, les banques se rembour-sent, mais, selon Bertrand Wendling, directeurde la SaThoAn (3), “les patrons de chalut s’en tirentà zéro, au mieux”.Au pire, en vendant leur maison,avec une bonne déprime en bonus.L’Europe ferme les vannes, aucun patron n’a lacapacité d’investir un seul euro de sa poche. Alors,pour la modernisation, les chalutiers comptentdésormais sur France filière pêche, un nouvel or-

ganisme financé par la grande distribution. Cesdeux dernières années, la quasi-totalité des cha-lutiers sétois a bénéficié de 18000€ à 24000€d’aides pour s’équiper de chaluts (filets) sophisti-qués. Comme pour le prud’homme Pierre d’Acuntosur le Louis-Gaëtane, ces adaptations ont déjà per-mis 30% d’économies de gasoil, soit 66000€en-viron par an. Pour diminuer encore la tractiondans l’eau, ils pensent aussi à tester la senne da-noise (p. de droite). Pour mieux vendre sa pêchelocalement, tout en valorisant des espèces malconnues — grondins, pageots, mulets, etc. —, la fi-lière développe une marque nationale, PavillonFrance (voir La Gazette de mai). Le Stéphane-Cardone choisit même de vendre 10 % de sa pro-duction en circuit court, via les paniers Terroir di-rect (4) et l’Amap (5) Cantagal de Villeveyrac.Certes, “la sortie de crise ne se fera pas d’un coupde baguette magique”, prédit Ramond Fareng, spé-cialiste des filières maritimes au Département.Selon lui, “c’est tout un contexte à réformer. Il fautharmoniser les normes des criées. Négocier du gasoilen commun. Mettre des navires coopératifs en lo-cation-vente à des jeunes, au lieu de les découper”.Mais pour ça, “il faut s’entendre.”

(1) Pour un emploi en mer, quatre emplois à terre.(2) Centre d’études et de promotion des activités lagunaires et maritimes en Languedoc-Roussillon.(3) Coopérative Sardine Thon Anchois.(4) www.terroir-direct.com(5) Association pour le maintien d’une agriculturepaysanne.

Le gasoil flambe, les huîtres crèvent. Mais dans les chaluts sétois ou les parcs àhuîtres de Thau, pas question de baisser les bras. Dans leurs filets, pêcheurs etostréiculteurs multiplient les trouvailles pour sortir de ces crises. La Gazettepiste les solutions d’avenir.

“TPêche et coquillagesC’est la crise: on s’accroche!

Filetier près de la gareOrsetti à Sète, AngeCalli part à la pêcheaux innovations. Filplus fin et plusrésistant, mailles pluscarrées que enlosange : il déniche denouveaux matériaux,dessine de nouvellescoupes de filets et despanneaux profilés. Sastratégie : réduire latraction des chalutierssétois, donc leurconsommation decarburant. Un bol d’airfinancier pour lesmarins.

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9!PÊCHERéalisé par Raquel Hadida /

photos Guillaume Bonnefont /Infographie Philippe Crespy, d'après Jean-Yves Le Gall et l'Ifremer /

Marin gestionnaire du chalutier sétoisle Stéphane-Cardone, Frédéric Fallourdtient le cap malgré la ruineuse flambéedu gasoil, de 13 à 70 centimes le litre en10 ans. Et n’hésite pas à investir dans lenavire pour réduire ses besoins encarburant.

Un rêve de chalutier“propre”Un chalutier pourrait-il naviguerà l’électricité renouvelable ?Depuis avril dernier, à Boulogne-sur-Mer, un chantier navalexpérimente le Frégate III, unchalutier rééquipé avec unmoteur électrique et deuxgénérateurs “Dual Fuel” gasoil-gaz naturel. Objectif de ceprogramme : évaluer soncomportement en pêche réelle,pour ensuite faire profiter toutela flotte française d’économiespotentielles de 30 % à 40 %. Le“navire du futur” ? Au Cepralmar,Jean-Marc Deslous-Paoli croitaux nouvelles énergies… d’iciquinze ans. “L’avenir est auxgénérateurs gasoil-électricité ouà la pile à hydrogène, mais çacoûterait au moins 600 000€…Les chalutiers devront profiterdes innovations d’autressecteurs : pour un motoriste debateau, une quinzaine denavires ne constituent pas unmarché porteur !” À lacoopérative SaThoAn, BertrandWendling n’est pas convaincu :“Un chalutier, c’est comme untracteur. Pour traîner un chalut,un moteur électrique ne seraitpas assez puissant. La pile àhydrogène fonctionne, mais ilfaudrait avoir un réservoir àbord, ou bien en avoir uneembarquée – impossible pour lasécurité.”

Une conduite optimaleÀ bord, un économètre permet au chalutier d’optimiser saconsommation de carburant, surtout lorsqu’il fait route verssa zone de pêche. En pêche, des caméras embarquées,comme sur le Jean-Louis-Vincent, permettent de gérer lapuissance en vérifiant l’écartement du chalut : s’il est malouvert, il perd en efficacité.

Quand les chalutiers deviennent économesLe tout-électrique à bordEn mai, le Stéphane-Cardone a remplacéses deux moteurs “secondaires” pourl’électricité à bord par des batteries. Treuils,enrouleurs, ventilation, ordinateurs, micro-ondes, pompe à gasoil (pour démarrer lemoteur principal)… : il adapte unmaximum de matériel du 380 V au 24 V. Etbranche la pompe à eau (lavage dupoisson et des cales) sur le moteurprincipal. Objectif : économiser 25 l degasoil/h en se passant d’un groupeélectrogène “qui nous a fait perdre500 000€ en quinze ans”.

Ne pas négliger les détails- Une peinture autolissante peut favoriserla pénétration dans l’eau en limitant lesaspérités.- Des tuyères peuvent concentrer la forcedes hélices (comme dans un avion).

Des panneaux allégésTraîner des panneaux d’une tonne demétal dans la mer, ça tire sur le réservoir !Pour économiser 10 % de gasoil, leschalutiers sétois ont adopté les panneauxde 850 kg de l’entreprise bretonneMorgère, aux formes plusaérodynamiques, plus petits,en matériauplus léger. “En réduisant les côtés de 10 à20 cm, le bateau est bien moins freiné. Enmer, la différence est énooooorme”,assure Ange Calli, le filetier-pêcheur sétois.Le Cepralmar, lui, calcule une forme depanneaux “sauteurs”, qui se décollentrégulièrement des fonds… pour éviter deles abîmer. À sujet sensible, réponsepragmatique.

Une bouche referméeEn diminuant l’ouverture du chalut de6 m à 3 m de hauteur, on réduit sa traînéedans l’eau. La limite : “On perd près de lamoitié du merlu (merlan).”

Un câble “mixte”Métal et nylon : un nouveau câbleallégé, moins lourd à trimbaler.

Un fil aérienAussi solide, mais plus fin : le filBrezTop©, en nylon renforcé, permetd’alléger le filet, donc de retenir moinsd’eau. Si les chalutiers sétois l’ontadopté, ils n’ont pas encore sauté lepas vers le Dyneema©. Proche du filde kitesurf, cette nouvelle fibrepolyéthylène hyper-résistante à latraction permet de réduire de 40 % latraînée du chalut. Un Graal onéreux :d’après Ange Calli, un filet Dyneema©coûterait près de 30 000€ au lieu de8 000€. “Mais, en faisant économiserà nouveau 30 % de gasoil, il seraitamorti dans l’année.”

La maille qui m’ailleChez Ange Calli, c’est un peu lahaute couture du chalut. Le filetiersétois crée des coupes de filet pourque les mailles se tendent plus encarrés qu’en losanges. “L’eau filtreplus vite et la retenue est doncmoindre.”

La disparitiondu poisson bleuC

Pour les pêcheurs sétois, sardines etanchois demeurent quasi introuvables.

En 2012, ils en ont débarqué 800 tonnes au lieude 6 000 tonnes en 2009. Comment expliquerce soudain épuisement ? Surpêche ? Ilsemblerait que non. Pollution, changementclimatique ? Possible, avec des conséquencessur le plancton. Selon l’Ifremer, les poissons,mal nourris, affaiblis, auraient du mal à sereproduire et à grandir. Et selon BertrandWendling, directeur de la coopérativeSaThoAn, ils seraient aussi effrayés et dévoréspar les “petits” thons rouges du golfe du Lion…interdits à la pêche depuis 2006. “Le poissonbleu peut revenir, mais le marché sera alorsdifficile, explique Bertrand Wendling. Lesconserveurs ont choisi desapprovisionnement plus stables, commel’anchois du Pérou.”

Croisez une senne de thonier avec un chalut, vous obtiendrez lasenne danoise. Le principe: sur les fonds marins, encercler lepoisson sur 3 à 4 km de rayon, pour le rabattre vers uneextension en forme de chaussette – type mini-chalut. Au fur et àmesure que le chalutier avance, il rembobine le câble et retrécitle cercle, le refermant sans avoir besoin de le tracter dans l’eau ousur le fond marin.Cette technique permet à la fois d’économiser 40 % de gasoil etde vendre un poisson de qualité, 30% à 40 % plus cher, puisqu’iln’est plus compressé au fond du filet.Financé par France filière pêche, le projet Asfeech* évalue cettetechnique comme alternative ou complément au chalutage. Enjuin, huit pêcheurs méditerranéens, dont plusieurs Sétois,

devraient partir en stage aux Sables-d’Olonne pour manipulerl’engin avec des pêcheurs qui l’utilisent déjà. Avant de recevoir àleur tour des Sablais ici.Si les pêcheurs restent intéressés, les organismes professionnelsaffréteront alors un bateau pour le tester à Sète pendant 15 jours.La senne danoise est-elle adaptée à nos fonds marins? Est-ellerentable? En demandant beaucoup d’espace, ne créera-t-elle pasdes conflits entre pêcheurs et autres usagers? Réponses dansquelques mois.

* Audit et senne danoise pour favoriser les économies d’énergiesdes chalutiers méditerranéens.

Déplacement du bateau

Zone de capture

Cordage mixte

Zones de rabattage

Senne

En route pour la senne danoise

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Les conchyliculteursinnovent tous azimuts

Côté lagune de Thau aussi, “onprend la crise dans la tête”, balan-cent les ostréiculteurs. À Loupian,Laurent Arcella carbure: “Mêmeà poil, avec des crédits jusqu’aucou, je lance des stratégies pleinpot: faut que j’anticipe.”Au lieu de10% de mortalité “normale”, sui-vant les mas, 80% voire 90% desjeunes huîtres (1) meurent(“pètent”), lorsque l’eau oscilleautour de 19°C, au printemps età l’automne. Température idéalepour un variant de l’herpès-virus,inoffensif pour l’homme, maisfaucheur d’huîtres depuis 2008.Sans pitié et sans distinction, frap-pant tous les bassins de produc-tion du monde.Le bassin de Thau ne produit plusque 6000 tonnes d’huîtres, deuxfois moins qu’il y a quatre ans:“Les tables sont vides, mais lesgens s’accrochent”, assure Phi-lippe Ortin, président du CRCM(comi té régional conchylicole deMéditerranée). Dans le coquil -lage, les repreneurs se font perlesrares, autant que les banquesenthousiastes. Ce qui bloque lesdéparts à la retraite et provoqueun papy-boom. Parmi les 600mas, peu ont mis la clé sous laporte. Chapeau pour la survie.Mais point de magie: les ostréi-culteurs adaptent leur calendrier

Elles sont bio, mes moules !Déjà élevés au naturel, sans produit pétrochimique ni “engrais”, comment les coquillagespeuvent-ils être encore plus bio? Pas d’arnaque marketing: dès 2014, le label bio sur lesmoules de Thau garantira leur qualité – vendues de mai à septembre, elles seront “bienremplies” – et les pratiques écologiques de l’entreprise. Décantation des boues de lavage,récupération des déchets de carénage, moteur économe… Sur ses sites de Frontignan etLoupian, l’entreprise Marédoc est déjà dans les starting-blocks. Objectif : faire reluire lesmoules locales pour affronter la concurrence de celles d’Espagne, de Hollande ou debouchot (côte Atlantique). Et inciter les producteurs à consacrer plus d’espace aux moulessur leurs tables conchylicoles, afin de répartir les risques.

En laboratoire, les chercheursviennent d’identifier la séquenceADN qui permet de résister auvibrio, la bactérie porteuse duvirus. Mais c’est en milieu naturelqu’Adeline est chargée dereconnaître les plus solides parmi500 huîtres “naïves”. Ce ciblagecroisé devrait permettred’identifier des huîtres-mères “enbéton”, en vue de lancer uneproduction de naissains deMéditerranée (voir p. 12).

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pour tenter d’échapper à la mor-talité. Et surtout, à près de 4€ lekg d’huîtres, au lieu de 1€ à1,50€ le kg en 2007, une haussedes prix compense l’hécatombe.Pour dépasser cette crise de pro-duction, impossible – et tant mieux– d’appliquer les recettes de l’éle-vage industriel: “Pas de vaccin,pas de grosse cavalerie chimique:il faut travailler avec la mer et pascontre elle, même si c’est long etdifficile”, temporise Denis Régler,directeur du CRCM.

Coquillages à domestiquerD’autant plus qu’on est loind’avoir percé le fonctionnementsubtil de ces “bêtes” à coquille.“L’aventure de la domestication nefait que commencer!”, s’enthou-siasme Jean-Marc Deslous-Paoliau Cepralmar (voir p.8). Premièreurgence: dénicher les huîtres lesplus résistantes génétiquement.Dans l’idée, d’ici 10 à 15 ans, deprendre en main localement lareproduction de l’huître.Deuxième stratégie : ne pasmettre tous ses coquillages dansle même filet. Le Cepralmarmène des essais pour dévelop-per le captage et l’élevage en mer.Pitchélines (pétoncles noirs), puiscoquilles Saint-Jacques, voirebijus (violets).

Troisième volet: anticiper l’après-crise. Car le remède pourraits’avérer pire que le mal. Aujour-d’hui, en “brassant” moins de ton-nage pour un même chiffre d’af-faires, certains mas accèdent àune meilleure rentabilité. “Alorsque, le jour où les huîtres redé-marrent partout, les prix risquentde dégringoler dangereusement,pronostique Philippe Ortin.Et là,on verra l’intérêt de se différencieravec des labels de qualité, commele bio ou le Label rouge.”Et de valo-riser l’image des coquillages deThau auprès des riverains et destouristes. En améliorant la des-serte des mas – accès, stationne-ment, accueil – ou grâce auxpaniers de poissons et coquillageshebdomadaires organisés par desgroupes de consommateurs àMontbazin, Marseillan, Poussanet Villeveyrac (2).Parmi ces nouvelles propositions,à chaque professionnel de faireson marché. “L’essentiel, selonDenis Régler, est de donner deséléments solides pour favoriserl’installation de jeunes conchyli-culteurs.” !(1) En 2012, la mortalité a aussi atteintles huîtres adultes.(2) Un projet mené par le Centre per-manent d’initiative pour l’environne-ment du bassin de Thau. www.paniersdethau.fr

L’élection de Miss rustiqueSur sa barge du Mourre-Blanc à Mèze,Adeline Perignon n’évolue pas vraiment dansle même milieu que Geneviève de Fontenay.Et pourtant, cette chargée de mission ducomité conchylicole veille chaque jour surdes huîtres numérotées, pour sélectionner lesMiss les plus… rustiques. Tu sonnes creux?C’est que tu ne tiens pas le choc face àl’herpès-virus: dehors! Les heureusesgagnantes, elles, seront invitées à sereproduire. Pour, de leurs lignées, repeuplerles tables depuis cinq ans décimées.C’est la première année où Adeline participeà deux modes de sélection, d’avril ànovembre. Pour le programme nationalScore, elle met à l’épreuve 60 famillesd’huîtres différentes, métissées entredifférents bassins de production. Lecroisement entre les huîtres captées dansl’étang de Thau avec celles d’Arcachonsembledonner un taux de survie à 50 %,contre 3 % à 10 % pour les autres. Un espoir.Deuxième piste: le programme Signagène. Àl’université de Montpellier 2, CNRS et Ifremerplanchent sur le profil génétique des huîtresrustiques.

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Le rapt des bébés huîtresViens, petite huître, te fixer surmes coupelles. Rien de pervers :lorsque l’eau atteint 28 °C, deuxhuîtres sont capables deproduire un million de bébés.Alertés par l’analyse de l’eau endifférents points de pompagede l’étang, une cinquantained’ostréiculteurs de Thauprofitent de ce “bloom” d’étépour capter les larves prêtes àse fixer. Et récupérer ainsi unnaissain naturel, local etgratuit.Un succès en 2010, un relatiféchec en 2011 et 2012 : avant dese fixer, elles meurent à 1 mm,soit de faim, soit dévorées par…les moules et les huîtres. Enrevanche, l’année suivante, lesrares survivantes passentallègrement les périodes demortalité. D’où l’intérêt, àmoyen terme, de développercette sourced’approvisionnementcomplémentaire. Dans l’idéal,en dehors des tables, ce qui estpour l’instant interdit.

Dompter la Saint-Jacques d’ici…La coquille Saint-Jacques de Méditerranée n’estpas un mythe. Mais quant à développerl’élevage de cette espèce… Un programme duCepralmar débute cette année, pour unepotentielle application d’ici cinq à huit ans.“On part de zéro”, annonce Jean-MarcDeslous-Paoli. L’idée : trouver de bons géniteurspour les reproduire en laboratoire, avant de lesélever en pleine mer dans des lanternes. Oubien de réensemencer des zones sableuses, puisde créer des roulements de pêche entre lesdifférents gisements, comme en Normandie ouen Bretagne Nord.

… et le mystérieux bijuDe même, pour maîtriser le biju (violet), toutreste à faire, et déjà à comprendre. Cette annéeaussi, c’est le laboratoire Arago de Banyuls quidémarre des tests de faisabilité. Devenue rare,cette ascidie à l’intense goût iodé est désormaisimportée de Grèce. Mais à Marseille, onpaierait bien 20€/kg pour s’en délecter.

Réalisé par Raquel Hadida /photos Guillaume Bonnefont,

CRCM-Adeline Perignon,Cepralmar-Erika Gervasoni et Nicolas Marc /

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Poêlée de pitchélines sétoisesAvec de l’aïl et du persil, voire de bonnestagliatelles… quel délice, ces pitchélinesde Méditerranée ! Et ce petit goûtpoivré, rien à voir avec les noix depétoncle chiliennes congelées… Scotchéaux failles des cailloux, ce pétoncle noirse montre très rarement dans les filets.Mais pourrait se monnayer de 12€ à14€/kg. Alors, pour le Cepralmar,l’association Voile de Neptune tentedepuis quatre ans de le collecter en mer.Près de la côte sétoise, le long d’unecorde de 250 m, Félix et Hervéimmergent des grappes de coupelles(voir photo à gauche). Adoptées ! Lespitchélines s’y fixent en nombre et ygrandissent sans sourciller. Simple etpas cher, cet élevage en mer pourraitbientôt ouvrir une voie dediversification pour desconchyliculteurs… motivés parl’aventure. Aujourd’hui, seuls 60 d’entreeux travaillent encore en mer.

Musclée ET raffinée :l’huître de qualitéDu haut de gamme gastronomique : àLoupian, Laurent Arcella façonne des huîtrescharnues, à coquille dure et rosée et au goûtsubtilement iodé-sucré. Des “bombesatomiques”, qui lui ont valu plusieursMédailles d’or agricoles. Ces délicieuses“spéciales” affichent un taux de chair de13 % à 17 % (contre 10 % ou 11 %), toutcomme celles, très médiatisées, deTarbouriech ou de Vaudo, aux halles de Sète.Le comité conchylicole propose de suivre cespionniers, en lançant la démarche pourobtenir un Label rouge collectif, d’icitrois ans : 200 producteurs seraient déjàintéressés.Le principe ? “Exonder” les huîtres deux foispar semaine pendant 24h, en remontant leslanternes (1) hors de l’eau via des perchestournantes, à la main ou à l’aide d’unmoteur. Pour éviter de s’assécher, l’huîtredurcit sa coquille, la rosit au soleil etaffermit ses adducteurs. Sportive ! Une foisadulte, bercée au ras des vagues pendant 2à 4 mois, elle polit sa coquille. Et leglycogène du muscle lui confère unesingulière saveur “sucrée”. Pour obtenir cerésultat, sur la moitié de ses 19 tables,Laurent a investi 35 000€ par table pour lesrehausser, installer des perches rondes etacheter des lanternes (2). Depuis cinq ans, ila dû tout apprendre. Il peut désormaisvendre ses huîtres 6€ à 7€/kg, sans sesoucier des débouchés : la demande est àl’affût.(1) Filets à plateaux suspendus aux tables.(2) Dont 40 % financés par l’Europe et laRégion pour l’innovation.

! COQUILLAGES

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12 enquêteréalisé par Raquel Hadida /

Photo Raquel Hadida - Adeline Perignon - Guillaume Bonnefont /

L’huîtredu futursera “née ici”

Sur le lido de Sète à Marseillan, une éclo-serie d’huîtres fournit en naissains lesostréiculteurs du bassin de Thau. Il est loin,

le temps des années 2013, où les camions desgrosses écloseries-nurseries de la côte atlan-tique vendaient encore à prix fort leurs nais-sains dans les mas ostréicoles, de Bouzigues àMarseillan. Des naissains de second choix ettrimballés sur des centaines de kilomètres.Depuis 2030, ça y est : les naissains sont enfinnés ici, de souches locales. Pas chauvins pourun sou, mais franchement adaptés à la Médi-terranée. À sa salinité, ses températures, sesfluctuations, plus contraignantes. On en fait desdurs à cuire, et faciles à vivre.

Une écloserie collective…Au lieu de lâcher 5 à 10millions d’euros par anpour acheter des naissains, le bassin de Thaudéveloppe sa propre filière. Des entreprises semontent : d’abord un centre de sélection-éclo-serie expérimental et collectif, pour éviter laprivatisation du vivant, puis des nurseries pri-vées, créant nombre d’emplois.Cet avenir, c’est celui dont rêvent les profes-sionnels du coquillage. “Ça m’arrangerait d’avoirnotre propre approvisionnement, appuie Lau-rent Arcella à Loupian. Par exemple, c’est trèsdifficile de trouver du naissain en octobre-novembre.”

Le prochain défi de l’ostréiculture de Thau : produiredu naissain de Méditerranée.

! COQUILLAGES

D’après Jean-Marc Deslous-Paoli, directeur duCepralmar, “une huître sélectionnée (en Atlan-tique, NDLR) a deux fois moins de chance de sur-vivre en Méditerranée qu’en Atlantique. Après lasortie de crise de mortalité (voir p.10), si on veutsécuriser notre ostréiculture et la garder compé-titive, c’est impératif de travailler sur une éclose-rie-nurserie locale”.

…à la place de ListelDenis Régler, directeur du comité conchylicolede Méditerranée (CRCM), partage cet avis : “Lenaissain serait probablement moins cher. Et onutiliserait mieux l’argent avec un outil au servicede la profession, dans un développement solide,intelligent et de valeur.” À Marseillan, l’entre-prise Thau Naissains élève bien des jeuneshuîtres localement, mais sa production ne four-nit qu’à une poignée de mas. Les éleveurs depoissons n’ont pas envie de se lancer. Surtoutque l’activité d’écloserie s’apparente à de larecherche appliquée, demandant des annéesd’études et d’observation, une forte capacité deréaction…Avec le déménagement de l’entreprise viticoleListel, prévu en 2014, l’idée de développer desbassins ostréicoles, à sa place, sur le lido de Sèteà Marseillan, commence à séduire les collecti-vités. Thau Agglo mène actuellement une étudede faisabilité. Premiers résultats en 2014.

2-En nurserie(extérieur)

En 10 à 18 mois, les

1-En écloserie(bâtiment)Reproduction : élevagede géniteurssélectionnés. Mélange desemence des mâles etdes ovules des femelles.Puis tamisages successifsdes larves alimentées pardu plancton purifié,jusqu’à ce que les huîtres

atteignent 6 mm (T6).Sur la photo, le tamiscontient près de 90 000naissains d’huîtres.

3-En mas ostréicoleAchat des naissainsd’Atlantique, détroquageéventuel pour les séparer,et collage avec duciment autour de cordes(“traditionnel”) ourépartition dans les filetsà plateaux (lanternes).

5-CommercialisationTri par calibre etprésentation enbourriches.Sur le bassin de Thau, cestrois dernières étapesprennent près de deuxans. Plusieursgénérations d’huîtres

4-Sur les tablesd’élevage

Croissance des huîtres,suspendues sur les

Thau Naissains, pionnier artisanalC

Ce couple prend les huîtres au berceau. Les bichonne dans une eauchauffée, les nourrit de phytoplancton repiqué en fioles,

désinfectent régulièrement leurs bassins. Les habitue à l’eau de l’étang deThau, pompée à 1,2 km. Avant de vendre des petits lots de “T 15 (15 mm)prêts à coller”, à une douzaine d’ostréiculteurs. Depuis un an et demi,Nicolas et Isabelle Desrousseaux (photo) ont quitté leurs postes àl’Occimarée pour reprendre le “bébé” de Jean-Pierre Blanc à Marseillan :un élevage de loups et daurades, diversifié avec une nurserie d’huîtres, etdésormais la fabrication de bacs aquacoles en résine.

Des huîtres rodées à l’étangThau Naissains est l’unique producteur de naissains pré-grossis sur lebassin de Thau. L’entreprise fournit 8 millions de “bêtes” par an, de quoiremplir une petite centaine de tables, sur les 2 500 de la lagune. Enrevanche, les mortalités observées par ses clients –12 % à Mèze, 30 à 35 %à Marseillan… – se situent bien en deça des fréquents 80-90 % quidéciment les mas. Même si l’essentiel des naissains d’huîtres triploïdesprovient de larves d’Atlantique, ils semblent s’adapter à la salinité del’étang et surtout à son plancton riche et varié. En prime, minimisertransport et stockage évite aussi de fragiliser les naissains en lessurmanipulant. Nicolas et Isabelle planifient de doubler leurs bassins, etd’atteindre 20 à 25 millions de naissains. Certes, ce volume resterainsuffisant pour approvisionner le bassin ostréicole. Mais leur approcheartisanale a le mérite de lancer un pavé dans l’étang. Et augure unenouvelle phase de “domestication” locale du coquillage.

naissains d’huîtresgrandissent en milieuprotégé, de 6 mm à15 mm. Soit dans despoches superposées enbassin, alimentées parde l’eau pompée enétang (voir grandephoto), soit en lanternessur tables conchylicoles.

cordes ou en lanternessur les tables d’élevagede 50 m de long,implantées dans l’étanget munies de 100perches. Les huîtrespeuvent ensuite être“affinées” (mises àgrossir) en “pochons”immergés.

sont donc élevéessimultanément.

Une vie d’huîtrePlus de 99 % des naissains d’huîtresélevées sur le bassin de Thauproviennent d’une dizained’écloseries-nurseries d’Atlantique.

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